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Le Conseil d’Etat et l’antisionisme : un nouveau Statut des Juifs en France ? Pierre Lurçat

May 10 2022, 07:38am

Logo du “Comité Palestine Vaincra”, affiché sur son site

Logo du “Comité Palestine Vaincra”, affiché sur son site

Une version abrégée de cet article est parue sur Causeur.fr

 

Dans l’actualité des lendemains d’élection présidentielle, la nouvelle est passée quasiment inaperçue : le Conseil d’État, statuant en référé, a invalidé vendredi 29 avril la décision du Ministère de l’Intérieur de dissoudre deux associations propalestiniennes radicales, le “Collectif Palestine Vaincra” et le “Comité Action Palestine”. Au-delà de son aspect purement judiciaire, cette décision illustre le double discours de la France au sujet du conflit israélo-arabe et de ses retombées en France.

 

 

C’était le 25 février dernier : à quelques heures du traditionnel dîner du CRIF, le ministre de l’Intérieur annonçait sa décision de dissoudre deux associations propalestiniennes radicales, en raison de leurs appels “à la haine, à la discrimination et à la violence” et de leur soutien affiché à des actes terroristes. Un rapide coup d’œil sur le site Internet du Collectif Palestine Vaincra permet de comprendre que la décision du ministre Darmanin était pleinement justifiée sur le plan des faits.

 

Celui-ci affirme en effet soutenir “la lutte du peuple palestinien contre le sionisme, l’impérialisme et les régimes réactionnaires arabes pour la libération de toute la Palestine de la mer au Jourdain (ce qui est confirmé par le logo sur lequel l’État d’Israël est entièrement effacé) et soutenir “la Résistance qui est le seul moyen pour le peuple palestinien de reconquérir ses droits historiques et légitimes. Nous la soutenons sous toutes les formes qu’elle juge nécessaire et légitime, y compris armée”.

 

On ne saurait être plus explicite. Ce soutien sans faille et sans tabou s’accompagne de campagnes menées sur le territoire français en faveur du boycott d’Israël, de la libération de terroristes condamnés et emprisonnés en Israël et de la cause palestinienne en général. La rhétorique du Comité Action Palestine est largement similaire, avec des communiqués mettant en cause la politique de la France “aux ordres de ses maîtres sionistes" et autres déclarations du même acabit. Parmi les “partenaires” du Collectif figure en bonne place le mouvement terroriste FPLP, branche de l’OLP d’obédience marxiste dont la phraséologie du Collectif s’inspire manifestement.

 

Dans ces circonstances, la décision du Conseil d’État s’apparente à un blanc-seing offert aux associations propalestiniennes les plus radicales, pour poursuivre leurs activités sur le sol français, au nom de la “liberté d’expression”. La lecture des deux décisions en référé est instructive. On y apprend notamment que le Collectif a prétendu devant le Conseil d’État que sa charte “faisait état de son soutien à la cause palestinienne sans prôner la violence ou la lutte armée”, alors même que cette charte affirme soutenir la “résistance” palestiniennesous toutes les formes qu’elle juge nécessaire et légitime, y compris armée”.

 

On reste sidéré qu’un mensonge aussi flagrant ait pu convaincre les membres éminents de la plus haute juridiction administrative française. Les juges du Conseil d’État savent-ils lire ? La position du Conseil d’État est exactement à l’opposé de celle que défend le ministre de l’Intérieur, mais également le président de la République Emmanuel Macron, qui a régulièrement affirmé que l’antisionisme était une forme d’antisémitisme.

 

La même dissonance se retrouve à l’égard de l’appel au boycott d’Israël, que le Conseil d’Etat considère comme légitime, affirmant que « l’appel au boycott, en ce qu’il traduit l’expression d’une opinion protestataire, constitue une modalité particulière d’exercice de la liberté d’expression et ne saurait par lui-même, sauf circonstances particulières établissant le contraire, être regardé comme une provocation ou une contribution à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes ». Cette affirmation contredit des dispositions de loi très claires qui font de l’appel au boycott une infraction pénale, comme le rappelait récemment le CRIF.

Comment comprendre dès lors ce double discours des autorités politiques et judiciaires françaises sur ce sujet ? Comme le rappelle Yves Mamou dans un livre récent (Le grand abandon, Les élites françaises et l’islamisme), ce sont les élites - et notamment les grands corps de l’État - qui sont le plus en pointe pour soutenir l’islamisme et pour laisser émerger sur le territoire français une “nation musulmane”, dont les valeurs sont contraires à celles de la République. La décision du Conseil d’État corrobore cette analyse.

 

Comme dans l’affaire Sarah Halimi, la justice française, jusque dans ses plus hautes instances, s’avère être le “maillon faible” dans la lutte contre l’antisionisme et l’antisémitisme, et pour le respect des principes républicains et de l’État de droit menacé par l’islam radical et ses soutiens. Les belles proclamations dans le sens contraire du président Macron ne modifient en rien cette triste réalité. La décision du Conseil d’Etat dans cette affaire confirme l’impression donnée par la Cour de cassation dans l’affaire Halimi : aux yeux des plus hautes instances de la justice française – dans sa branche judiciaire comme dans sa branche administrative – l’antisionisme/antisémitisme ne sont plus aujourd’hui une circonstance aggravante, mais bien une circonstance atténuante ! Cette sinistre réalité qui émerge sous nos yeux ressemble de plus en plus à un nouveau « Statut des Juifs » en France.

P. Lurçat

Manifestation contre Israël (source : site du Collectif Palestine vaincra)

Manifestation contre Israël (source : site du Collectif Palestine vaincra)

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Samuel Willenberg, le révolté de Treblinka, par Pierre Lurçat

April 27 2022, 09:45am

Posted by Pierre Lurçat

 

(Extrait de mon livre Victor Soskice, Qui sauve un homme sauve l'humanité, qui vient de paraître aux éditions L’éléphant)

 

Entre Acco et Nahariya, sur la côte de la Méditerranée, à quelques kilomètres de la frontière nord d’Israël, se trouve le kibboutz Lohamei Hagetaot (“Les combattants des ghettos”). Fondé en 1949, le kibboutz abrite aussi le Musée des Combattants des ghettos, qui a pour particularité d’être le premier musée de la Shoah fondé en Israël, la même année que le kibboutz, et d’avoir été créé par des survivants de la Shoah, parmi lesquels plusieurs anciens combattants du ghetto de Varsovie. Quand on arrive par la route venant de Haïfa, on remarque tout d’abord l’aqueduc romain qui longe le kibboutz sur son côté Ouest. Le musée, dont la structure impressionnante est due à l’architecte Samuel Bickels, est presque vide, en ce début d’après-midi.

 

Nous parcourons les salles consacrées aux Justes des Nations et à la Résistance juive, avant de tomber en arrêt devant les sculptures réalisées par Samuel Willenberg. Ce sont des scènes terribles, tirées de la vie quotidienne dans le camp de Treblinka et reconstituées de mémoire, et qui semblent tirées de l’Enfer de Dante. J’ai bien connu Willenberg, car il était le “méhoutan” (mot intraduisible en français) de mon oncle Menahem – la fille du premier ayant épousé le fils du second – et je l’ai souvent croisé, étant adolescent, mais je n’ai compris que très tard le secret qui l’habitait. Dans la famille, on l’appelait familièrement “Igo”, de son nom de guerre. À l’époque, il m’intimidait, avec sa voix rauque et la manière qu’il avait de vous scruter de son regard bleu profond et intense. J’avais l’impression qu’il me dévisageait avec insistance, comme pour lire au fond de moi, et son regard me mettait mal à l’aise. J’étais trop jeune alors pour comprendre que ce n’était pas dû à un quelconque sentiment d’hostilité, mais au fait qu’il n’était pas entièrement ici, dans le monde que nous partageons avec nos contemporains.

 Detail

Son parcours, qu’il a relaté dans un livre de souvenirs traduit en français[1], est celui d’un survivant de Treblinka et d’un héros dont le courage n’avait d’égal que la modestie. Son père, Peretz, enseignant et peintre à Czestochowa, avait épousé une Russe orthodoxe qui avait fui la Révolution. Elle se convertit pour l’épouser. En 1941, après la création du ghetto de Czestochowa, Samuel et ses parents parviennent à échapper aux rafles, tandis que ses deux sœurs, Tamara et Ita, sont déportées. Arrêté lors de la liquidation du ghetto d’Opatów, Samuel est déporté à Treblinka à l’âge de dix-neuf ans. Suivant le conseil donné sur la rampe menant au camp, il se fait passer pour maçon, ce qui lui sauve la vie, alors que la plupart des membres du convoi sont immédiatement emmenés dans les chambres à gaz.

 

Le révolté de Treblinka

 

Samuel réussit à survivre entre octobre 1942 et août 1943, date de la révolte du camp, à laquelle il participe avec plusieurs centaines de prisonniers. Blessé à la jambe, il parvient à regagner Varsovie, où il retrouve son père, qui s’est caché du côté “aryen” de la ville. Il prend part au soulèvement de Varsovie dans les rangs de l’Armiya Krajova (l’armée de l’intérieur polonaise). Après la guerre, Samuel demeure plusieurs années en Pologne et se porte volontaire dans l’armée polonaise, où il devient officier, avant de partir en Israël en 1950. Il y travaille comme ingénieur au ministère du Logement jusqu’à sa retraite. Par la suite, il prend des cours de sculpture et guide des jeunes Israéliens venus visiter les camps en Pologne. Je me suis souvent demandé ce qui le poussait à revenir, chaque année pendant plusieurs décennies, dans ce pays qui avait été celui de son calvaire et celui de sa famille. Le désir de transmission ? Il aurait pu se contenter de donner des conférences dans les lycées en Israël. Ce n’est qu’en avril 2016, devant les sculptures exposées au musée du kibboutz, que j’ai trouvé la réponse à cette question.

 

 

Willenberg était le dernier survivant de la révolte de Treblinka, et à de nombreux égards, il était resté là-bas. Son corps avait certes survécu, et il donnait le sentiment d’une force incroyable, comme si le fait d’avoir enduré les privations et l’horreur des camps l’avait rendu à jamais invincible. Mais son âme, elle, était restée dans cet autre monde, ce monde de l’horreur et de l’indicible, que la nation la plus raffinée d’Europe avait créé pour y exterminer le peuple Juif. Un petit film émouvant, au musée du kibboutz, le montre évoquant, la voix tremblante, la révolte de Treblinka et ses compagnons d’infortune, dont les images n’ont cessé de le hanter jusqu’à son dernier jour, comme il l’explique, 70 ans plus tard : “Treblinka zeh Ani!” (Treblinka, c’est moi!) Cette déclaration n’était pas une fanfaronnade ou une affirmation saugrenue ; elle exprimait la quintessence de son être, la réalité de sa vie depuis les années terribles dont il n’était jamais sorti.

 

 

“Igo”, le lieutenant de l’armée polonaise, le révolté de Treblinka, n’avait en réalité jamais été entièrement libéré de là-bas. Les Allemands, dans leur volonté criminelle d’extermination, avaient réussi à tuer non seulement les morts, mais aussi, dans une certaine mesure, les survivants. En voyant le visage de Willenberg, au musée du kibboutz des combattants des ghettos, je me dis qu’il fallait le rencontrer, l’entendre encore une fois raconter sa vie et son destin incroyable. Hélas, il était trop tard… Samuel était décédé deux mois auparavant, à quelques jours de son quatre-vingt-dixième anniversaire. Une fois de plus, le temps m’avait pris de court, comme avec les rares survivants qui avaient connu Victor. Ainsi, pensai-je en sortant du musée des combattants des ghettos, j’avais cru échapper à Victor, en venant me reposer quelques jours en Israël, et je le retrouvai immanquablement, à travers Willenberg et les autres témoins de la période tourmentée dans laquelle il avait vécu et qui avait déterminé son cruel destin.

 

 

Mais cette découverte, loin de susciter en moi un nouvel accès de tristesse ou de découragement, me confirma que j’étais sur la bonne voie. J’avais mis plusieurs décennies à comprendre le secret de Samuel Willenberg, qui m’était apparu dans son éclatante vérité, lors de la visite au kibboutz Lohamei Hagetaot. A présent, je savais pourquoi je me devais d’écrire sur Victor, quoi qu’il m’en coûte, même s’il fallait y consacrer encore des nuits blanches et des mois entiers. Ce n’était pas seulement par fidélité au héros de mon adolescence et au sauveur de mon père. C’était aussi par fidélité à moi-même, à la promesse que je m’étais faite un jour en rencontrant, dans les circonstances extraordinaires que j’ai relatées, l’ami de Victor, André Simon. Mais aussi pour tous les autres témoins de sa brève existence, ceux que j’avais interviewés ou croisés – Jacqueline et son frère – et ceux que je n’avais pas eu le temps de rencontrer, comme Jac Remise, son camarade de classe. Il fallait que j’écrive la vie de Victor, que je lègue ce récit aux générations suivantes et que je lui offre, à mon tour, le tombeau de papier qui devait remplacer celui qu’il n’avait pas eu.

 

 


[1] Révolte à Treblinka, Ramsay 2004.

 

NB extrait de mon livre Victor Soskice, éditions l’éléphant. En vente sur Amazon, B.o.D. et dans toutes les bonnes librairies!

Amazon.fr : Irène Lurçat : Livres

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L’islam, la violence et le sacré : trois explications, Pierre Lurçat

April 24 2022, 07:51am

Posted by Pierre Lurçat

Emeutiers palestiniens en chaussures à l'intérieur de la mosquée Al-Aqsa

Emeutiers palestiniens en chaussures à l'intérieur de la mosquée Al-Aqsa

L’islam, la violence et le sacré : trois explications, Pierre Lurçat

 

L’observateur attentif de l’actualité, en France, en Israël ou ailleurs, n’aura pas manqué de constater que le mois du Ramadan, mois le plus sacré du calendrier musulman, est aussi celui qui est marqué chaque année par une vague de violences. Ce “secret” est évidemment bien gardé par la plupart des médias et des hommes politiques occidentaux, qui préfèrent s’afficher lors de repas de l’Iftar et faire des déclarations d’amitié et de “dialogue interreligieux”. Mais ce n’est pas sur la question de cette attitude – marquée par l’hypocrisie ou par la condescendance – que je voudrais m’interroger ici.

 

Une question plus essentielle encore est en effet de savoir comment s’explique ce lien entre violence et sacré. Est-il intrinsèque à l’islam et peut-il dans ce cas être modifié ? Les images d’émeutiers lançant des projectiles incendiaires depuis la mosquée Al-Aqsa sur le Mont du Temple, et même à l'intérieur de la mosquée, auraient dû soulever l’étonnement des médias français, si seulement ils les avaient diffusées. Comment comprendre que des musulmans puissent eux-mêmes profaner l’endroit qu’ils disent considérer comme sacré, au nom de leur opposition irréductible à l’Etat d’Israël?

 

La première réponse possible est qu’il ne s’agit pas de l’islam tout entier, mais d’une branche bien particulière de l’islam – à savoir, l’islam politique des Frères musulmans, dont sont issues les principaux mouvements islamistes (du Hamas à Al-Qaïda), comme je l’ai montré dans mon livre Le sabre et le Coran. De fait, la plupart des attentats terroristes à notre époque émanent de mouvements radicaux qui partagent tous une vision particulière de la religion musulmane, mobilisée au service d'objectifs politiques et dans laquelle le Djihad a été érigé en “sixième pilier”’ de l’islam. Quoique juste, cette réponse est loin d’épuiser le sujet.

 

Une autre réponse est donnée par Marie-Thérèse Urvoy dans un livre récent *. Le Coran lui-même, explique-t-elle, est marqué par une “ambiguïté initiale" et par une “tension interne entre visée spirituelle et ambition d’emprise sur le monde”. La vie même du Prophète permet de comprendre cette dualité. En effet, dans sa période mecquoise, celui-ci est persécuté et se considère comme victime, ce qui l’amène à prêcher la patience et le pardon des offenses. Plus tard, devenu un chef de guerre victorieux, il appelle au djihad contre les mécréants, proclamés ennemis de l’islam. L’orientation guerrière du texte coranique apparaît ainsi dans la fameuse Sourate 9, qui appelle au “combat dans le Sentier de Dieu”, expression promise à un brillant (et sanglant) avenir.

 

La troisième réponse tient à ce que René Girard appelle – dans son livre La violence et le sacré – le “désir mimétique”, qui engendre la violence dans les sociétés primitives. A de nombreux égards, l’islam n’a pas réussi à dépasser cette étape de l’histoire commune aux grandes religions, et reste jusqu’à ce jour empêtré dans une vision binaire du monde, où la violence demeure la clé d’appréhension et de résolution des conflits. Comment l’islam, auquel la notion même d'histoire est largement étrangère, pourra-t-il évoluer et faire son aggiornamento? La réponse appartient aux musulmans eux-mêmes. Quant à l’Occident, il devrait soutenir toutes les forces progressistes et réformistes authentiques au sein du monde musulman, au lieu de chercher des alliances contre nature avec les Frères musulmans et leurs épigones.

Pierre Lurçat

 

* Islam et islamisme, frères ennemis ou frères siamois? Editions Artège 2022. Ma recension détaillée du livre de M.-T. Urvoy paraîtra dans le prochain numéro de la revue Commentaire.

L’islam, la violence et le sacré : trois explications, Pierre Lurçat

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"Al Aqsa en danger" : aux origines d'un slogan mensonger, par Pierre Lurçat

April 18 2022, 12:42pm

Posted by Pierre Lurçat

N.B. J'ai abordé ce sujet ce matin au micro de Daniel Haïk sur Radio Qualita

C’est au début des années 1930 que la mosquée Al-Aqsa et Jérusalem deviennent des éléments centraux de l’opposition arabe au sionisme, et qu’apparaît un slogan mensonger qui a fait couler depuis des rivières de sang : « Al Aqsa est en danger ! »

Ce slogan a été entendu à de nombreuses reprises ces dernières semaines, tant dans la bouche des prédicateurs et chefs radicaux du Hamas et du mouvement islamiste arabo-palestinien, que dans celle des dirigeants du Fatah et de l’Autorité palestinienne, tous unis dans la même détestation d’Israël et du peuple juif. Mais son invention remonte à une époque déjà lointaine *, où se sont mis en place les principaux acteurs et paramètres de l’affrontement actuel.

J’ai décrit dans mon livre Le Sabre et le Coran ** l’implication des Frères musulmans égyptiens dans la question palestinienne, par l’intermédiaire du Mufti de Jérusalem, Hadj Amin Al-Husseini. Celui-ci a joué un rôle clé dans l’établissement d’une « alliance germano-islamique », qui n’était pas de pure circonstance : le père fondateur du mouvement national palestinien était en effet un nazi convaincu, qui a passé plusieurs années à Berlin pendant la Deuxième Guerre mondiale, diffusant des émissions de propagande à destination des pays musulmans et œuvrant avec acharnement pour convaincre le régime nazi d’inclure les Juifs de Palestine dans la « Solution finale ».

Al-Husseini, les Frères musulmans et le nazisme : une alliance oubliée

C’est Amin Al-Husseini qui a convaincu le mouvement des Frères musulmans égyptiens – matrice de l’islamisme contemporain – de faire de la guerre contre les Juifs et de la question de Jérusalem un élément central de leur propagande, à une époque où ils ne manifestaient aucun intérêt pour ce qui se passait dans la Palestine mandataire voisine. Certains écrivains et hommes politiques égyptiens avaient même exprimé leur sympathie pour le mouvement sioniste, à l’instar du célèbre penseur musulman Rashi Rida, rédacteur en chef du journal Al-Manar.

Al-Husseini avec un dignitaire nazi

Tout change en 1936, année des émeutes arabes fomentées par le Mufti de Jérusalem, qui marquent le début de l’implication des Frères musulmans dans la question palestinienne. Au début de l’été 1936, le Haut Comité arabe de Jérusalem, dirigé par Al-Husseini, envoie ainsi des émissaires en Egypte afin de mobiliser les autorités religieuses, gouvernementales et les médias en faveur de la cause arabe en Palestine. Pour sensibiliser l’opinion, ils prétendent que les Juifs ont voulu « profaner les Lieux Saints » de Jérusalem, soi-disant pour « reconstruire le Troisième Temple sur l’emplacement de la mosquée d’Omar ». Cette rumeur est propagée par les mosquées dans toute l’Egypte, les prédicateurs affirmant que c’est une obligation religieuse pour chaque musulman de s’engager dans le djihad en faveur de la Palestine.

Cet épisode fondateur, largement méconnu, a ainsi permis de poser les bases de l’affrontement idéologique, dont nous vivons aujourd’hui les derniers rebondissements. Le slogan « Al Aqsa en danger » n’a pas été inventé par le Hamas ou par Mahmoud Abbas, le faux modéré dirigeant de l’Autorité palestinienne, qui poursuit le même but que ses nouveaux alliés de Gaza, par des moyens parfois différents. Il remonte à 1936, année cruciale qui voit s’édifier l’alliance entre le fondateur du mouvement national palestinien et les Frères musulmans égyptien.

 

Hitler et le fondateur du mouvement national palestinien, Al-Husseini

Cette alliance est décisive dans l’histoire du mouvement palestinien, tant sur le plan idéologique que sur celui des organisations politiques. En effet, tant le Fatah que le Hamas – ces deux jumeaux que les médias présentent trop souvent comme des adversaires – sont largement issus des Frères musulmans. Le Hamas est la branche palestinienne du mouvement islamiste égyptien, et le dirigeant historique du Fatah, Yasser Arafat, a fait partie dans sa jeunesse des Frères musulmans.

On comprend mieux alors la suite des événements : l’accusation calomnieuse « Al Aqsa en danger », devenue un élément central de la propagande arabe à l’époque de l’alliance entre Hitler et le Mufti de Jérusalem, n’a jamais disparu. Elle réapparaît régulièrement, chaque fois que le conflit s’essouffle et qu’il est nécessaire d’ajouter un peu d’huile sur le feu. Les dirigeants palestiniens, de l’AP ou du Hamas, n’ont même plus besoin aujourd’hui de faire appel aux prédicateurs des mosquées pour diffuser ce slogan mensonger : ils sont aidés par les médias arabes et occidentaux, organes de propagande tout aussi efficaces que les appels des mosquées.

 Pierre Lurçat

* Bien avant que ne se pose la question de la prière juive sur le Mont du Temple, dont la propagande arabe relayée par certains Israéliens voudrait faire aujourd’hui le nœud du conflit…

** Paul Landau, Le Sabre et le Coran, Tariq Ramadan et les Frères musulmans à la conquête de l’Europe, éditions du Rocher 2005.

Calaméo - Le sabre et le Coran

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Marek Yanai , peintre de la Jérusalem d’en-bas, Pierre Lurçat

April 14 2022, 06:54am

Posted by Pierre Lurçat

 

Comme l’écrit Pnina Gefen dans un long article consacré au peintre Marek Yanai, à l’occasion de l’exposition rétrospective de ses œuvres qui se tient actuellement à Jérusalem, “contrairement au regard traditionnel sur la ville qui se focalise sur l’esthétique, comme dans les tableaux de Gutman, de Rubin ou de Ticho - Yanai offre une place d’honneur également aux facettes délaissées, et même moins belles, de la Jérusalem d’en bas. Il ne dissimule pas les ballons d’eau chaude, de gaz ou les gouttières rouillées, et mêle dans sa peinture la Jérusalem splendide et touristique à la Jérusalem des quartiers pauvres et moins visités”.

 

Vue sur la Knesset, aquarelle

 

En réalité, Yanai va précisément trouver une forme de beauté dans des lieux inattendus de la ville sainte, comme par exemple dans les “shikounim” (HLM) ou dans une carrière du quartier de Gilo. La très belle exposition qui lui est consacrée actuellement  au Bet Avi Chai s'ouvre par une citation du poète Yehuda Amihai, qui parle de Jérusalem : “Je voudrais vivre dans la Jérusalem du milieu, sans tourner ma tête vers le haut, sans que mes pieds ne s’égratignent sur la terre”. Comme Amihai, le peintre, né en Allemagne dans un camp de personnes déplacées et monté en Israël dans les années 1950, dépeint une Jérusalem qui est à la fois terrestre et céleste.

 

Carrière à Gilo, aquarelle

 

Sa manière de peindre Jérusalem (à laquelle il a consacré toute son œuvre depuis un demi-siècle) fait penser aux livres de David Shahar. Comme ce dernier, Yanai parvient à voir derrière les choses et les événements les plus anodins le côté poétique de l’existence, pleine de mystère et de charme. Il n’est pas, de toute évidence, un peintre “religieux” et ses sujets sont entièrement profanes. Pourtant la Jérusalem qu’il peint, comme celle de Shahar, est traversée par un regard attentif à l’au-delà des choses, à la poésie de la vie et à la beauté immanente qui nous est offerte à chaque moment.

 

 

En tant que professeur à l’école Betsalel, Yanai porte un regard acerbe sur l’art contemporain. “Dans le domaine de l’art plastique, n’importe quelle célébrité qui barbouille quelque chose est présentée comme un ‘artiste’. C’est un problème dans le monde entier, mais encore plus en Israël”.



 

Petit déjeuner à Talbiyeh

 

Ses natures mortes ne sont jamais vraiment mortes, et la seule présence d’un chat suffit à donner vie à un intérieur vide de toute présence humaine. Même lorsque les objets qu'il peint sont figés, les fenêtres sont ouvertes sur la ville qui est bien vivante…  Les paysages lumineux sur lesquels s’ouvrent les fenêtres des natures mortes de Yanai sont comme une promesse d’évasion, promesse d’un au-delà de la nature, promesse de résurrection et d’éternité. Pessah cacher vé-Saméah!

Pierre Lurçat

Le site de Marek Yanai : https://marekyanai.com/

 

Un regard attentif au mystère et à la poésie

Marek Yanai dans son atelier, photo Noam Rivkin Fenton Flash 90

 

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Face à la terreur arabe: construire des barrières ou ériger une “Muraille d’acier”? Pierre Lurçat

April 10 2022, 10:05am

Posted by Pierre Lurçat

 

La nouvelle vague de terrorisme arabe renvoie une fois de plus Israël au dilemme ancien de sa conception sécuritaire, qui traverse le débat stratégique et existentiel depuis les débuts de l’épopée sioniste. Dilemme qu’on peut résumer par l’opposition entre deux visions opposées : celle de la “barrière de sécurité” et du Kippat Barzel d’une part, et celle du “Kir ha-Barzel’ d’autre part, la “Muraille d’acier” préconisée par Jabotinsky et toujours d’actualité.

 

Aucun mur, aucune barrière n’ont jamais arrêté un ennemi déterminé. De la tristement célèbre “Ligne Maginot” construite par la France au tournant des années 1930, jusqu’à la “ligne Bar Lev” érigée par Israël le long du canal de Suez, aucun édifice militaire protecteur n’a pu mettre en échec cette loi d’airain de la guerre. La “barrière de sécurité” édifiée par Israël depuis 2002 pour séparer le petit Israël des frontières de 1967 de la Judée Samarie et de Gaza ne fait pas exception.

 

Le fortin “Budapest” sur la ligne Bar Lev

 

Les djihadistes meurtriers venus de Djénine pour semer la terreur au cœur de Tel-Aviv ont une fois de plus rappelé à Israël que la sécurité ne s’achetait pas en construisant des barrières, aussi perfectionnées soient-elles. Celle qui suit la “ligne verte” souffre de beaucoup de défauts, et ressemble à certains égards à un fromage de gruyère plein de trous. Mais même la barrière ultra-sophistiquée érigée autour de la bande de Gaza repose en définitive sur la même vision illusoire, celle d’un ennemi repoussé à l’extérieur d’un Israël vivant en sécurité derrière des murs.

 

L’erreur de cette conception est double : politiquement, elle repose sur l’axiome mensonger “eux là-bas, nous aussi”, slogan qui exprime le fantasme d’un Israël sans Arabes. Ce fantasme, on ne le rappellera jamais assez, est celui de la gauche israélienne, ou plutôt d’une certaine gauche, celle qui a adopté la funeste logique des accords d’Oslo et de l’évacuation du Goush Katif. 

 

Mais cette conception est également démentie sur le plan strictement militaire par toute l’histoire du sionisme et de l’implantation juive en Eretz Israël. Des premières alyot modernes jusqu’à nos jours, toute l’histoire de l’Israël moderne est traversée par un double ethos militaire. L’éthos purement défensif de “Homa ou Migdal”, de la Haganah et de la “Havlaga” –  la fameuse “retenue” juive face aux agressions arabes –   et celui, plus offensif, des opérations menées sur le territoire de l’ennemi, au-delà des frontières, pour anéantir les nids de la terreur arabe et “terroriser les terroristes”.

 

Kippat Barzel en action 

 

Les deux dernières décennies illustrent à cet égard une régression de la doctrine militaire, notamment durant la période des mandats de Binyamin Nétanyahou. L’audace des opérations menées en Iran s’est en effet accompagnée d’une timidité grandissante face au Hamas et aux autres bras armés de l’Iran à Gaza et ailleurs. La fameuse “Kippat Barzel” illustre mieux que toute autre réalisation militaire le paradoxe d’une armée toujours plus intelligente, mais de moins en moins audacieuse.

 

Pour que Tsahal et pour qu’Israël retrouvent la grandeur qui a fait l’admiration du monde entier, il faut comprendre une fois pour toute que les barrières ne suffisent pas, et qu’elles sont souvent contre-productives, en nous privant de la nécessaire offensive à l’intérieur du territoire ennemi. Israël doit abandonner l’illusion d’une sécurité reposant sur des barrières technologiques, aussi perfectionnées soient-elles, et retrouver l’esprit offensif et guerrier du Tsahal d’antan. C’est seulement ainsi qu’une véritable “Muraille d’acier” (Kir ha-Barzel”) - non pas au sens propre, mais au sens figuré où l’entendait Jabotinsky - pourra être érigée autour des frontières de notre pays et dissuader véritablement nos ennemis.

 

P. Lurçat

 

J'ai le plaisir d'annoncer la parution de mon nouveau livre, Victor Soskice, Qui sauve un homme sauve l'humanité, éditions l'éléphant 2022. En vente sur Amazon et B.o.D et dans toutes les bonnes librairies.

VIctor Soskice

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Le “Kiddoush Hachem” de la députée Idit Silman, Pierre Lurçat

April 6 2022, 16:54pm

Posted by Pierre Lurçat

Idit Silman

Idit Silman

 

L’histoire politique d’Israël depuis 1948 est riche en rebondissements spectaculaires et en revirements lourds de conséquences. L’annonce dramatique de la députée Idit Silman, qu’elles qu’en soient les conséquences à court et moyen terme, s’inscrit d’ores et déjà dans cette histoire et restera probablement comme un événement marquant.

 

Des coalitions sont déjà tombées pour des raisons similaires dans le passé : le premier gouvernement Rabin était tombé en 1976 après l’atterrissage de F-16 livrés à Israël par les Etats-Unis après la tombée de la nuit, un vendredi soir. Mais il s’agissait alors d’une coalition avec des partis religieux ultra-orthodoxes, alors que la députée Silman appartient au parti non orthodoxe Yemina.

 

Si ce gouvernement devait finalement tomber, l’histoire retiendra que la coalition la plus hostile à un Etat juif aura fini de diriger Israël en raison de sa volonté de remettre en question l’interdiction du Hamets dans les hôpitaux publics. Le sujet peut sembler anecdotique, ou ésotérique aux yeux d’un observateur profane. En réalité, il touche pourtant au coeur du débat ancien sur le caractère juif de l’Etat.

 

Le statu quo fragile entre Juifs religieux et laïcs en Israël a en effet toujours reposé sur un double principe : liberté de culte et d’opinion d’une part, respect des principes fondateurs du judaïsme dans l’espace public de l’autre. Cet équilibre était lié à la conviction, partagée par l’ensemble des pères fondateurs du sionisme politique et de l’Etat d’Israël, que celui-ci devait incarner la vocation spécifique du peuple Juif et ne pas être simplement un Etat comme tous les autres.

 


Jabotinsky et Martin Buber

 

 


Cette conviction était partagée tant par les penseurs du sionisme religieux que par ceux du sionisme travailliste, et elle réunissait des figures aussi diverses que le rabbin Kook, David Ben Gourion, Martin Buber ou Jabotinsky. Ce dernier en particulier, Juif laïc par excellence, avait compris que la tradition juive n’était pas seulement une enveloppe, une “structure” extérieure et une “religion”, mais qu’elle était l’âme du peuple Juif tout entier, et qu’à ce titre, elle devait être au coeur de la culture nationale qui allait refleurir dans le futur État juif (1). A l’autre extrême de l’échiquier politique sioniste, Martin Buber avait exprimé la même idée, en déplorant l’éventualité que le futur Etat juif ne soit rien de plus qu’un Etat où ne soufflerait aucun souffle divin…

 

C’est précisément ce risque qui s’est incarné dans la coalition hétéroclite dirigée par Naftali Bennett, dont l’ADN est entièrement post-sioniste et post-moderniste. En prétendant réformer la cacherout, les conversions et en voulant abolir l’institution même du rabbinat en Israël, celle coalition contre-nature a cru qu’elle pouvait ériger un “Etat de tous ses citoyens” dans lequel le judaïsme ne serait plus qu’une affaire entièrement privée, et où le caractère juif de l’Etat serait réduit à une simple menorah sur des timbres-postes…

 

La décision courageuse de la députée Idit Silman a sans doute mis un coup d’arrêt à cette descente vers l’abîme de la coalition Bennett-Lapid-Abbas, et a rappelé au peuple Juif et au monde entier que le retour d’Israël sur sa terre n’était pas un événement anodin, détaché de toute signification juive. A quelques jours de Pessah, ce rappel salutaire est un véritable “Kiddoush Hachem”, une Sanctification du Nom divin. Pessah cacher vé-Saméah!

 

Pierre Lurçat

 

1. Comme je l’explique dans ma préface au recueil d’articles de Jabotinsky Questions autour de la tradition juive, éditions l’éléphant 2022.

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"Victor Soskice - Qui sauve un homme sauve l'humanité", Pierre Lurçat

April 5 2022, 08:56am

Posted by Pierre Lurçat

"Victor Soskice - Qui sauve un homme sauve l'humanité", Pierre Lurçat

J’ai le grand plaisir d‘annoncer la parution de mon nouveau livre, “Victor Soskice, Qui sauve un homme sauve l’humanité” (éditions L’éléphant). Fils adoptif de mon grand-oncle, l’artiste Jean Lurçat, Victor Soskice s’est engagé à l’âge de vingt ans dans le S.O.E. (Special Operations Executive), le fameux service secret militaire britannique qui joua un rôle crucial dans l’organisation de la Résistance en France pendant la Deuxième Guerre mondiale. 

Parachuté en France occupée en août 1943 pour y mener une opération de sabotage d’une usine stratégique, il fut capturé par les Allemands et emprisonné. Son sort véritable resta ignoré jusqu’à la fin de la guerre. Je reproduis ici l’interview accordée au journal des anciens élèves du Lycée français de New York, dans laquelle j’expliquais pourquoi j’avais entrepris d’écrire ce livre.
 

Victor Soskice en uniforme militaire en 1943.

Qui était Victor Soskice ? 

Victor Soskice était élève au LFNY, durant l’année scolaire 1940-1941. Il se destinait à une carrière diplomatique et était allé étudier à Georgetown University, mais il a renoncé à ses études pour s’engager dans l’armée américaine. Parachuté en France pour une mission de sabotage d’une usine produisant du pétrole synthétique pour l’armée allemande, il a été arrêté, torturé, incarcéré au camp de Flossenburg et finalement exécuté, quelques mois avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Pourquoi avez-vous décidé d’écrire un livre sur lui ?

Victor était le fils adoptif de mon grand-oncle, l’artiste Jean Lurçat, qui avait épousé en secondes noces sa mère, Rossane. Mon père l’a connu dans son enfance et il l’admirait beaucoup, d’autant que Victor l’avait sauvé de la noyade pendant un séjour de vacances familiales. C’était donc à la fois un héros de la guerre et un personnage presque mythique dans ma famille, dont mon père m’a souvent parlé.

Qu’est ce qui vous a le plus marqué lors de vos recherches ?

Le fait que toutes les personnes qui ont connu Victor ont gardé un souvenir très fort de lui, de sa personnalité et de leur rencontre avec lui, qui remonte à si longtemps… Plusieurs personnes que j’ai interviewées – toutes âgées de plus de 90 ans – m’ont confié qu’elles pensaient toujours à lui, plus de soixante-dix ans après sa mort dans des circonstances tragiques.

Que souhaitez-vous accomplir à travers votre ouvrage? 

Je souhaite faire connaître aux lecteurs la personnalité attachant de ce jeune homme, engagé volontaire dans l’armée américaine pour combattre le nazisme, qui a fait le sacrifice de sa vie pour défendre la liberté. Comme il l’écrivait dans une lettre à sa fiancée, Ginette, elle aussi ancienne élève du lycée, “j’ai réalisé l’affreuse torpeur et souffrance morale qui peut être imposée par le manque de liberté d’expression“.

Il est frappant de constater, 70 ans plus tard, que la liberté reste menacée par d’autres ennemis dans le monde actuel et qu’il demeure tout aussi vital de s’engager pour la défendre.

(Interview réalisée en 2016 par Florence Reynier, LFNY)


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Face au terrorisme, l’erreur tragique de la justice israélienne, Pierre Lurçat

April 3 2022, 06:39am

Posted by Pierre Lurçat

 

La nouvelle vague de terrorisme qui frappe Israël ne remet pas seulement en cause la sécurité quotidienne des Israéliens, mais elle interroge la validité du modèle israélien de lutte antiterroriste, dont la réputation n'est plus à faire. Confronté au terrorisme depuis de nombreuses décennies, l'État hébreu peut compter sur l'excellence de ses services de sécurité et de renseignements, sur la détermination de ses dirigeants à éradiquer la menace terroriste et sur la résilience de sa société civile.

 

Un élément vient toutefois assombrir ce tableau et constitue en quelque sorte le maillon faible d'Israël - mais aussi d'autres pays et notamment de la France - face au terrorisme djihadiste. Ce maillon faible est celui de la justice. Pour s'en convaincre, il faut lire les premiers éléments de l'enquête sur l'attentat de Bnei Brak, qui a fait cinq victimes. Son auteur avait été emprisonné il y a quelques années, après avoir projeté un attentat suicide. Pourtant, le tribunal militaire a fait preuve à son égard d'une clémence stupéfiante, en acceptant un "plea bargain" aux termes duquel le terroriste en puissance n'a passé que deux ans et demi derrière les barreaux, avant d'être libéré et de pouvoir mettre à exécution ses projets criminels.

 

Attaque mortelle en Israël : "On ne pensait pas qu'un attentat pouvait  avoir lieu ici", témoigne une habitante de Bnei Brak, près de Tel-Aviv

La justice militaire israélienne n'est pas réputée pour être spécialement laxiste et elle prononce souvent des peines de prison à perpétuité contre les terroristes palestiniens. Comment expliquer sa clémence dans le cas de Diaa Hamarsheh? Le journal Ha’aretz nous donne quelques éléments de réponse. Lors du procès de 2013, le tribunal a été convaincu par les réquisitions du procureur et par la plaidoirie de l'avocat de l'accusé et lui a accordé une "seconde chance". Le juge a même été jusqu’à considérer que Dia Hamarsheh avait été “victime d’une escroquerie”, n’ayant pas reçu du Djihad islamique la ceinture explosive qu’il avait payée…. 

 

Plus qu'une simple erreur d'appréciation presque comique, il y a là un défaut de compréhension, dont les conséquences se sont avérées tragiques. La clé de cette incompréhension du phénomène terroriste de la part de la justice israélienne est donnée par le dernier roman de Karine Tuil, dont nous avons rendu compte dans ces colonnes. L'erreur du juge israélien est en effet partagée par ses collègues français, comme la juge antiterroriste héroïne du livre La décision. Comme elle, il croit que le terrorisme de l'État islamique s'apparente à la criminalité de droit commun et que le rôle de la justice est de permettre aux criminels de s'amender, en leur offrant une seconde chance.

 

Cette conception erronée ne relève pas seulement de la politique pénale, mais procède plus fondamentalement d'une vision de l'homme qui nie la possibilité même du mal radical, en considérant que les terroristes, même les plus extrémistes, peuvent être ramenés dans le droit chemin. Cette erreur philosophique s'avère lourde de conséquences, en Israël comme en France. Face au terrorisme, le présupposé d'humanité des criminels se retourne contre leurs victimes. Comme dit le Talmud, " la pitié pour les méchants fait tort aux justes".
 

Pierre Lurçat

Article paru dans Causeur

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L'affaire Pollard au regard de l'histoire et de l'actualité israélienne, Pierre Lurçat

March 29 2022, 07:13am

Posted by Pierre Lurçat

Jonathan et Esther Pollard z.l. à Jérusalem

Jonathan et Esther Pollard z.l. à Jérusalem

(Article paru sur Mabatim)

Le hasard a voulu que la série israélienne consacrée à l'affaire Pollard soit diffusée en Israël la semaine où est décédée Esther Pollard. Ce triste concours de circonstances a permis de mesurer l'écart considérable entre la manière dont Jonathan et sa femme sont perçus par le peuple d'Israël et celle dont il est décrit dans la série

 

Pour résumer en une phrase cet écart de perception, nous pourrions dire que Jonathan, considéré à juste titre comme un héros par une grande partie de la société israélienne (il avait été accueilli à l'aéroport de Tel Aviv par le Premier ministre Binyamin Netanyahou en personne, qui lui avait remis sa carte d'identité, le 30 décembre 2021) est dépeint dans la série comme un être bizarre, psychologiquement perturbé, aux motivations difficilement compréhensibles.

 

Cette série est pourtant intéressante à plusieurs titres. Elle retrace l'itinéraire du jeune Juif américain, fils d'un professeur renommé dont une partie de la famille a été déportée et exterminée dans la Shoah, devenu analyste au sein de la Marine américaine, avant de décider de transmettre des informations vitales a l'État d'Israël, puis d'être arrêté et emprisonné pendant trente-cinq ans.

 

L'incompréhension manifeste de plusieurs personnalités interviewées et la tentative de décrire Pollard comme souffrant de troubles psychiques en disent long sur le regard porté par une partie des élites israéliennes sur notre histoire et sur ses héros. Au-delà même des implications politiques de l'affaire Pollard, et des raisons pour lesquelles elle a tellement embarrassé l'establishment politique et militaire israélien, celle-ci nous renseigne en effet sur la perception de l'histoire juive et sioniste par une partie des élites et de la société israélienne en général.

 

Cette perception pourrait être résumée par le mot fameux prêté au philosophe juif allemand Hermann Cohen, à propos des militants sionistes de son époque : “Ils veulent être heureux…”’ Selon cette conception, le sionisme aurait normalisé le peuple Juif et l’existence juive en Israël. On comprend dès lors la course effrénée à la consommation et l’hédonisme qui règnent sans partage dans une partie de la société israélienne. Dans cette perspective, tout ce qui vient troubler cette course à la normalité et au matérialisme est perçu comme un rappel insupportable de la dure condition juive (le “dur bonheur d’être Juif”, comme disait André Neher) et comme une atteinte au droit de vivre “normalement”.

 

C’est ainsi qu’il faut interpréter le mépris que vouent ces mêmes élites politiques ou culturelles aux Juifs de Judée-Samarie, de Hébron ou du Goush Katif, considérés comme des fous (dans le meilleur cas)  ou comme des criminels dans le pire, comme vient nous le rappeler récemment le ministre Bar Lev, obsédé par la soi-disant “violence des Juifs de Judée-Samarie”. Le même mécanisme explique leur attitude envers le Mont du Temple, ce soi-disant “baril de poudre” qui risque de faire exploser leurs rêves de tranquillité et de normalité, bien plus que de faire “exploser le Moyen-Orient”.

 

 

Pollard lors de son arrestation en 1985

Pollard lors de son arrestation en 1985

Solitude d’Israël

 

Dans ce contexte, l’affaire Pollard est un rappel insupportable de la condition juive et de la solitude d’Israël. Solitude, car même le “meilleur ami” de l’État juif, les États-Unis, ont refusé obstinément de transmettre à leur allié indéfectible des informations vitales concernant les pays arabes. Quand un patriote Juif américain s’est opposé à ce refus de partager des informations vitales, il a été envoyé en prison plus longtemps que tous les espions prosoviétiques et prochinois de l’histoire américaine au vingtième siècle. Ce verdict n’était pas seulement une injustice flagrante, mais aussi et surtout, un rappel difficile à entendre du paradoxe de la relation entre Israël et les États-Unis.

 

Ce paradoxe apparaît bien dans le second épisode de la série, lorsque l’auteur énonce le principe fondamental de la politique israélienne envers le “grand frère américain”: “Israël ne mène pas d’activité d’espionnage sur le sol américain”. Ce principe d’airain est officiellement justifié par le fait que les États-Unis sont un allié - le plus important au monde - de l’État juif. Mais cette loi d’airain a été enfreinte dans l’affaire Pollard (et sans doute à d’autres occasions). Pourquoi?

 

La réponse, qui n’est pas clairement énoncée dans la série, est très simple. Israël a dû se procurer des informations vitales pour sa sécurité sur le sol américain, parce que les États-Unis se sont délibérément abstenus de lui transmettre ces informations vitales. “Pourquoi voler ce qu’on vous donne officiellement?” demande l’ancien attaché militaire aux États-Unis Rafi Simhoni. Cette question est un sommet d’hypocrisie, car Simhoni sait parfaitement que les informations transmises par Pollard ne l’avaient pas été par les États-Unis…

 

Le quatrième et dernier épisode de la série s’intitule “Le prix de la trahison”. De quelle trahison s’agit-il? De celle de Jonathan Pollard envers son pays natal, les États-Unis. De l’autre trahison - celle des élites israéliennes envers Pollard - il n’est quasiment pas question. Elle apparaît pourtant à plusieurs moments clés de la série, notamment lorsque le conseiller juridique américain Abe Sofer explique que les États-Unis étaient disposés à accorder l’immunité à tous les Israéliens impliqués dans l’affaire Pollard (dont certains ont réussi à conserver l'anonymat jusqu’à ce jour) en échange de leur entière collaboration pour juger et condamner Pollard. Cette trahison des élites demeure jusqu’à ce jour une tache indélébile dans l’histoire d’Israël. Mais le peuple d’Israël, lui, a fait un autre choix, comme en attestait la foule des anonymes venus accompagner Esther Pollard à sa dernière demeure.

 

Pierre Lurçat

 

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Déjà parus

  • JABOTINSKY, La rédemption sociale. Eléments de philosophie sociale de la Bible hébraïque.
  • JABOTINSKY, Questions autour de la tradition juive. État et religion dans la pensée du Rosh Betar.
  • GOLDA MEIR, La maison de mon père, fragments autobiographiques.

À Paraître :

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