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Les cybermédias et la grande angoisse contemporaine

August 31 2021, 11:41am

Posted by Pierre Lurçat

Cet article est le troisième volet d’un nouveau “feuilleton philosophique”, dans lequel je poursuis la réflexion entamée dans mon livre Seuls dans l’Arche, en analysant les conséquences de la révolution technologique et numérique sur la vie et sur la pensée humaine. P.L

 

Pourquoi l'homme contemporain se sent-il particulièrement seul et vulnérable? Les guerres, les maladies, la solitude propre aux grandes agglomérations urbaines : rien de tout cela n'est nouveau. Quant à la pandémie de la Covid 19, elle n’a fait que renforcer des tendances qui existaient déjà auparavant. L'hypothèse que nous voudrions exposer ici est que ce sentiment d'angoisse général est largement lié à l'obsession du moi qui caractérise notre époque, à la forme de communication propre aux réseaux sociaux et cybermédias et aux nouvelles relations interpersonnelles qu’ils ont instaurées.

 

Nous pourrions dire, pour caractériser l'angoisse propre à l'époque des cybermédias, qu'elle tient aux aspects paradoxaux, inhérents aux formes de communication caractéristiques des nouveaux médias et en particulier à deux phénomènes qui leur sont propres : celui de l'instantané et celui de l'illusion de proximité. Pour apprécier la forme d'angoisse spécifique générée par le premier phénomène, souvenons-nous de l'époque déjà lointaine où l'on envoyait des lettres par la poste. Lorsque la missive était partie, nous savions parfaitement que la réponse ne pourrait pas nous arriver avant un délai minimum de plusieurs jours. Ce n'est qu'une fois ce délai écoulé qu'on pouvait commencer à attendre une réponse et à s'inquiéter- le cas échéant - lorsqu'elle ne venait pas.

 

 

Dans le monde des cybermédias, l'attente de la réponse est - tout comme l'envoi du message qui la demande - instantanée. Et l'angoisse de la non-réponse est elle aussi instantanée : elle apparaît dès le moment où nous avons cliqué pour envoyer notre message. Ce phénomène est devenu tellement banal et quotidien, que nous avons tendance à oublier sa signification et ses conséquences pour notre état mental et émotionnel. Nous vivons dans une permanente attente de réponses, de réactions et d'appréciations de nos multiples correspondants, suiveurs et amis virtuels.

 

Les cybermédias nous replongent ainsi dans une attitude infantile et angoissante, qui est celle de l'enfant en attente d'un regard approbateur ou d'un sourire de sa mère… Mais, à la différence du sourire maternel ou de l’approbation paternelle, la réaction que nous attendons sur les réseaux sociaux et dans les cybermédias en général ne satisfera jamais entièrement notre soif de reconnaissance, d’approbation ou de relations virtuelles. Car elle sera toujours, par définition, incomplète et insuffisante...

 

Le “monde du clic” - que les publicitaires et les promoteurs des réseaux sociaux nous vendent comme celui de “l’accès” et de la connexion universelle - est ainsi celui de l’angoisse permanente, liée à la peur de ne pas recevoir à chaque instant la réponse que chacun de nos messages, posts ou tweets appellent. Il est le monde d’un naufrage permanent, dans lequel chacune de nos moindres actions virtuelles ressemble à une “bouteille à la mer” lancée dans l’océan du Web, cette mer souterraine agitée par le flux incessant et dans laquelle aucune terre ferme de nous permet de reprendre pied.

 

La solitude du surfeur du Web

 

Cette a ngoisse propre aux cybermédias est également due à un autre phénomène, qui est la conséquence du premier - que nous pourrions qualifier de “solitude du surfeur” du Web. L’illusion de proximité et de “connexion” permanente dans laquelle nous vivons génère en effet une déconvenue récurrente et presque permanente, dont nous faisons l’expérience chaque fois que la relation virtuelle se révèle pour ce qu’elle est : à savoir, une pâle copie des relations humaines authentiques.

 

Pour reprendre l’exemple évoqué ci-dessus, lorsque nous recevions jadis une lettre d’un ami ou d’un être aimé, nous la lisions et la relisions, et pouvions l’enfermer dans une boîte ou dans un tiroir, où elle demeurait cachée aux regards des tiers, trésor secret que l’on pouvait chérir et contempler à loisir, des mois ou des années après l’avoir reçu. Dans le “monde du clic”, le plus beau des messages reçus ne suscitera jamais en nous des sentiments aussi forts, beaux et durables que ceux que pouvait engendrer une lettre. Pourquoi?

 

La première raison tient au support même sur lequel il est reçu. Un message reçu sur un écran n’a pas la même signification qu’un message identique, écrit de la main de son auteur. Il y manquera toujours ces détails physiques et concrets (l’écriture manuscrite, le grain du papier ou même son odeur - rappelons-nous que les lettres étaient autrefois parfumées) qui concourent au charme incomparable de la missive sur papier. La deuxième raison tient à la nature instantanée décrite précédemment, qui altère souvent la nature du message, en le banalisant et en lui retirant de sa valeur unique et incomparable. 


Fragonard, La lettre d’amour

 

Mais la raison principale tient à l’état mental dans lequel nous plonge la réception d’un message envoyé sur les réseaux sociaux. Les qualités technologiques déteignent en effet sur le contenu du message (“The medium is the message”) et la valeur que nous lui attribuons est inversement proportionnelle à la facilité et la rapidité avec laquelle nous l’avons reçu. Dans le “monde du clic”, le plus beau message d’amour sera toujours plus éphémère et moins fort qu’une lettre d’amour manucrite. Imaginerait-on, pour illustrer ce propos, de conserver de tels messages dans un tiroir et de les relire des années plus tard? Ou même de faire parvenir à l’être aimé un message d’amour pieusement conservé, plusieurs décennies après l’avoir écrite? 

 

Aucune technologie de communication moderne n’envisage une telle possibilité… Dans le “monde du clic”, la lettre d’amour appelle une réponse instantanée. L’impatience propre aux cybermédias nous rend incapables de la “patience amoureuse”, qui permettait autrefois aux histoires d’amour d’éclore après une longue incubation, ou de renaître de leurs cendres après des années. Ici, comme dans d’autres aspects des relations interpersonnelles, nous sommes devenus impatients, infantiles et perpétuellement insatisfaits. (à suivre…)

Pierre Lurçat

__________________________________________________________________

”Un formidable parcours philosophique… Une méditation sur le sens de nos vies”. 

Marc Brzustowski, Menorah.info

“Une réfexion profonde sur des questions essentielles, comme celle du rapport de l'homme au monde et la place de la parole d'Israël”.

Emmanuelle Adda, KAN / RCJ

“Une analyse claire et percutante  de la définition de l’humain dans le monde actuel”

Maryline Médioni, Lemondejuif.info

 

 

En vente dans les librairies françaises d’Israël et sur Amazon.

 

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Olivier Ypsilantis - Mon intérêt pour les choses juives – 5/5

August 25 2021, 09:26am

Posted by Olivier Ypsilantis

Pierre Lurçat : Vous avez écrit de Tsahal qu’elle était la “plus belle armée du monde”. L’armée juive, tellement décriée dans les médias, serait-elle aussi un facteur de rapprochement avec Israël pour des non-Juifs ? Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez ?

 

Olivier Ypsilantis : Oui, Tsahal est bien la plus belle armée du monde. Je sais que cette seule affirmation me vaudra bien des ennemis et que je risque une fatwa ou quelque chose dans le genre, mais je m’en moque. L’histoire des forces armées d’Israël et des forces juives de Palestine (avant donc la création de l’État d’Israël) est passionnante. Je ne me lasse pas de l’étudier. La Haganah, le Palmach, sans oublier le groupe Stern (Lehi) et l’Irgoun. J’ai une grande affection pour Avraham Stern qui fut aussi un poète. L’histoire de cette armée m’intéresse d’abord parce qu’elle est intimement mêlée à celle du peuple juif de retour en Israël. Je n’ai pas le culte de la violence et de la mort mais il ne me déplaît pas de voir les Juifs se défendre et frapper si nécessaire. Dans le Talmud dont je ne suis nullement un spécialiste il est dit quelque chose comme : « « Si quelqu’un vient pour te tuerlèvetoi et tue-le le premier ». C’est ainsi. Le Juif qui a servi de bouc-émissaire, de souffre-douleur et d’exutoire se lève et se défend. Je claque la porte à ceux qui trouvent à y redire et pinaillent.

Oui, fort d’une expérience que je compte bien amplifier, je suis fier de travailler même très modestement (je le répète, je suis un homme de ménage, je m’active dans la logistique arrière) pour Tsahal. Je me sens mieux sous l’uniforme de Tsahal que sous l’uniforme français que j’ai dû porter lorsque le service militaire était obligatoire. Hormis quelques moments de bonheur (des marches dans des forêts d’automne ou au clair de lune par temps de neige), je garde de ce service militaire des souvenirs dignes de Courteline. Rien de tel en Israël.

L’armée d’Israël, un sujet immense et passionnant. La formation de la Haganah tient du roman d’aventure avec des séquences à la James Bond. Cette armée est aussi un puissant facteur d’intégration avec ces deux ans de service armé pour les femmes, trois ans pour les hommes. A ce propos, peu d’armées ont poussé à ce point l’intégration femmes/hommes et à tous les niveaux de la hiérarchie et dans (presque) toutes les armes. A ces années de service armé, ajoutez les périodes de réserve, les Milouims. Les Juifs forment un peuple, un peuple qui en Israël même a été terriblement menacé, surtout au moment de la déclaration d’Indépendance, en 1948. Cette période est cruciale pour la formation de cette armée et l’émergence de la question palestinienne, née du refus radical de la part des Arabes du plan de partage de l’O.N.U. Vous avez écrit à ce sujet des pages instructives, dans « Les mythes fondateurs de l’antisionisme » dont j’ai rendu compte sur ce blog dans une suite de quatre articles.

 

Avraham Stern (1907-1942)

 

L’armée d’Israël a servi de puissant intégrateur aux Juifs eux-mêmes, car si les Juifs forment un peuple (je ne reviendrai pas sur ce point et Shlomo Sand n’est qu’un schmock doublé d’un alte kaker qui traficote l’histoire en idéologue), c’est un peuple constitué d’individus et de communautés ayant vécu des expériences tellement différentes que la notion de peuple demande parfois à être réactivée, ce qui se fait sans trop de peine – et c’est l’un des « miracles » d’Israël. Les frottements entre Séfarades et Ashkénazes en Israël ont été forts, les Séfarades considérant qu’ils étaient regardés comme des citoyens de seconde zone par les Ashkénazes. Je n’ai pas à entrer dans cette affaire qui a probablement été assez sérieuse à une époque. Il me semble qu’aujourd’hui, avec le temps qui passe, la question s’est estompée jusqu’à disparaître. C’est tout au moins l’impression que je retire de mes observations et conversations sur le terrain. La question est à présent plus sérieuse entre Juifs religieux et Juifs laïcs, notamment sur la question du service armée. Il y a aussi la question des Beta Israel (les Juifs éthiopiens) qui semblent éprouver des problèmes d’intégration, une question que je n’ai pas suffisamment étudiée. Mais j’ai confiance en Israël et je sais que ces questions s’estomperont… et que d’autres se préciseront. La vie est ainsi faite.

J’ai confiance en ce pays. Lorsque je lis ou écoute l’information mainstream, je sens que les schmocks de diverses obédiences guettent ce qui pourrait affaiblir Israël : il y a peu c’était une guerre civile ou presque entre Juifs religieux et Juifs laïcs, deux désignations arbitraires qui recouvrent mille nuances, entre Juifs d’Israël et Arabes d’Israël, citoyens arabes d’Israël, et ainsi de suite. Les schmocks battent le tambour de leur ignorance et de leur haine d’Israël. Israël est aussi un formidable melting pot au sein du monde juif. La question des inégalités sociales à laquelle vous m’avez sensibilisé est sérieuse, mais Israël qui a affronté des questions en tout genre et souvent extrêmement graves saura l’affronter, je n’en doute pas.

Pour répondre à la deuxième partie de votre question, je ne sais si Tsahal aide au rapprochement entre Juifs et non-Juifs. Il y a des unités et des éléments non-juifs dans Tsahal, à commencer par des Druzes, des Arabes chrétiens (pas si nombreux), des Bédouins (plus problématiques que les Druzes), des Tcherkesses (ou Circassiens) et j’en passe. Et il y a ces Russes et Ukrainiens pas toujours vraiment juifs au sens disons halachique, voire pas juifs (ils seraient environ 30 %), arrivés massivement depuis l’effondrement de l’Empire soviétique, depuis le début des années 1990 donc, mais qui s’intègrent magnifiquement dans ce pays auquel ils apportent leur énergie et leurs compétences et qui n’hésitent pas à s’engager dans les unités combattantes de Tsahal. Tsahal est aussi un pont entre le militaire et le civil, avec transfert de high tech dont la cybersécurité, domaine où Israël est leader mondial. Mais une fois encore, je m’égare.

Deux souvenirs du Sar-El destinés à montrer la particularité de cette armée. Dans la base du Néguev, je me souviens que des femmes d’un certain âge, probablement des retraitées et des grands-mères, donnaient de leur temps et faisaient ce que nous faisions mais entre elles. Elles triaient, nettoyaient, certaines recousaient tout en papotant et en prenant le thé. Bref, de menus travaux mais essentiels à l’heure du combat. Tout en les observant, je me disais que ce n’est pas dans une base militaire de France que j’aurais pu voir des civiles donner ainsi de leur temps. J’imagine par ailleurs les relations entre ces femmes hors de la base, parties de bridge ou d’échecs, échanges de recettes de cuisine, bref, une densité apportée à la vie israélienne par l’armée.

Dans la base de Galilée, c’étaient des hommes, de vieux Russes qui travaillaient dans une pièce accolée au local technique où j’avais mon poste. Je leur apportais parfois un élément de Merkava II dont j’avais du mal à me dépêtrer. Ils devaient avoir environ soixante-dix ans et même plus. J’observais leurs visages et pressentais des histoires particulièrement denses. Ils n’étaient pas vraiment aimables au début, ils étaient même renfrognés et silencieux. Il est vrai que j’étais entouré de Français séfarades, sympathiques mais aussi volubiles que des Espagnols ou des Italiens (l’une des filles avait un débit digne d’Anna Magnani, vous imaginez !), ce qui semblait les agacer. Mais au bout d’une dizaine de jours des sourires sont venus. Nous avons partagé des thés même s’il manquait le samovar. C’est ainsi. L’armée d’Israël est unique, elle brasse femmes et hommes, jeunes et moins jeunes, Juifs et non-Juifs, et ainsi de suite.

Le Sar-El est une extraordinaire organisation. Dans les groupes de volontaires que j’ai intégrés, la proportion de Juifs (de France) était élevée, presque tous des Séfarades, environ les trois-quarts. Donner de son temps (et de sa sueur) pour Tsahal n’est pas une démarche courante. Nous sommes minoritaires, ultra-minoritaires. Israël et son armée inspirent presque toujours le dégoût et provoquent l’opprobre et plus encore la haine, je ne vous apprends rien. On fond, pour la masse et l’information mainstream, je suis le complice d’une politique d’apartheid voire d’un génocide. On préférerait que je travaille pour une O.N.G. palestinienne, ce serait vachement plus cool et je me ferais plein de potes… Mais n’oubliez pas : Etiam si omnes, ego non. Le seul nom Israël provoque des réflexes pavloviens. Ma femme partage mon engagement et nous avons le projet de faire un séjour au Sar-El sitôt que la situation sanitaire le permettra.

J’allais oublier un point très important. Israël est un pays épique ; et aujourd’hui, dans le monde, je ne vois guère de pays épiques, hormis les Kurdes qui luttent pour un Kurdistan libre. Il y en a probablement d’autres, qu’il ne faudrait pas oublier, mais je les connais moins. Les Kurdes, soit le peuple le plus nombreux sans État.  L’histoire d’Israël est épique, des Hébreux de la Bible à l’État d’Israël. Et je ne suis pas un judéolâtre comme on m’a accusé de l’être. Il y a autant de schmocks parmi les Juifs que parmi les Goyim ; mais, je le redis, l’histoire du peuple juif est épique, singulière et universelle – universelle parce que singulière. L’histoire du peuple juif est épique, comme l’histoire de l’État d’Israël et de son armée, Israël qui n’est pas né de la Shoah comme on se plaît à le répéter (par ignorance ou parti-pris idéologique), gommant ainsi le proto-État, le Yichouv et la formation d’une armée de défense qui s’est constituée avec des moyens de fortune, dans la clandestinité, sous le mandat britannique, et qui parviendra à repousser une puissante coalition arabe quelques heures après la proclamation de David Ben Gourion le 14 mai 1948. Oui, l’histoire du peuple juif et celle de l’État d’Israël s’étudient – se lisent – comme un grand roman d’aventure, mais ce roman est bien plus qu’un roman… Je ne suis pas juif mais je suis pris dans le grand sillage de cette histoire ; car l’histoire d’Israël n’est pas l’histoire d’un clan, d’une tribu ou d’une ethnie, elle parle à tous ceux qui n’ont pas les oreilles bouchées par le cérumen ou les yeux chassieux. Je ne plaisante qu’à moitié.

Olivier Ypsilantis 

https://zakhor-online.com/

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Jabotinsky et le rav Kook : la “rencontre” de deux géants, Pierre Lurçat

August 22 2021, 11:51am

Posted by Pierre Lurçat

 

A l’occasion du Yahrzeit du rabbin Avraham Itshak Hacohen Kook, qui a été célébré le 3 Eloul, je publie ici un extrait inédit du nouveau livre de Jabotinsky, Questions autour de la tradition juive, qui paraît ces jours-ci. J’y évoque l’influence décisive qu’a eue sur Jabotinsky la prise de position courageuse du rav Kook dans l’affaire Arlosoroff. P. Lurçat

 

 

L’homme de l’avenir, l’homme entier, auquel aucun sens ne manquera, sera “religieux”. Je ne sais pas quel sera le contenu de sa religion ; cependant il sera porteur du lien vivant entre son âme et l’infini qui l’accompagnera partout où il ira”. (Jabotinsky, De la religion)

 

Le pronostic formulé par Jabotinsky selon lequel “l’homme entier sera religieux”, marque une évolution marquante de sa pensée, depuis celle exprimée trente ans plus tôt dans son article Le sionisme et Eretz Israël. Que s’est-il passé entretemps ? Comment le jeune dirigeant sioniste russe, convaincu que la religion n’est plus aujourd’hui qu’un “cadavre embaumé”, en est-il venu à y voir une dimension importante de la personnalité humaine, aux côtés de la musique et de l’art ? Les raisons de cette évolution radicale sont multiples. Mentionnons tout d’abord le cheminement personnel de Jabotinsky, qui a mûri et a eu le temps d’approfondir sa réflexion sur de multiples domaines. Le leader sioniste endurci qui s’exprime en 1935 n’est évidemment pas le jeune homme fougueux de 25 ans.

 

Le second facteur est celui des rencontres qu’il a faites et des personnes qui l’ont marqué, parmi lesquelles on peut mentionner le rabbin Falk, qui servit comme aumônier militaire dans les rangs des Muletiers de Sion, mais aussi et surtout le grand-rabbin Avraham, qui exerça une influence importante sur l’idée que Jabotinsky se faisait du judaïsme et de la religion. Dans une lettre adressée en juin 1934 à Nathan Milikovsky, qui n’est autre que le grand-père de Benjamin Nétanyahou, Jabotinsky parle en ces termes du rabbin Kook : “Le nom du rabbin K. est devenu en l’espace d’une nuit un symbole sublime dans le cœur des foules. Et moi-même, en toute humilité, si je n’étais pas totalement ignorant des choses de la Tradition, craignant de m’exprimer sur les sujets religieux, je choisirais précisément cet instant pour lancer publiquement un appel dont je rêve depuis l’époque de ma jeunesse : renouveler, de nos jours, le titre de « Cohen Gadol » (Grand-Prêtre)”.



 

 

Le rav Kook : le “Cohen Gadol”

Jabotinsky : un “ange descendu du ciel”



 

De son côté, le rabbin Kook, selon certains témoignages, aurait qualifié Jabotinsky “d’ange de Dieu” . Les deux qualificatifs sont assez forts et inhabituels, tant dans la bouche de Jabotinsky que dans celle du rabbin Kook, pour mériter qu’on y prête attention. Comment ces deux hommes, que tout séparait en apparence et qui ne se sont selon toute évidence jamais rencontrés, en sont-ils venus à se porter une telle estime réciproque ? La réponse à cette question est liée à un événement qui a joué un rôle important non seulement dans l’histoire politique du Yishouv, l’affaire Arlosoroff, mais aussi dans l’évolution des conceptions de Jabotinsky  concernant la place de la religion juive dans le futur État juif, et des rapports entre État et religion en général. 

 

Lorsque le dirigeant sioniste travailliste Haïm Arlosoroff est assassiné sur une plage de Tel-Aviv le 16 juin 1933, la presse et les dirigeants du Yishouv accusent immédiatement – et sans la moindre preuve – le Betar. Trois militants sont arrêtés, sur la base d’un témoignage obscur de la veuve d'Arlosoroff et l’un d’eux, Avraham Stavsky, est condamné à mort. Jabotinsky  est d’emblée convaincu qu’il s’agit d’une fausse accusation et il œuvre sans relâche pour obtenir l’acquittement de Stavsky, qu’il compare dans des articles à Mendel Beilis (Juif ukrainien accusé de crime rituel en 1911). Dans ce combat, Jabotinsky  reçoit le soutien décisif du grand-rabbin de Palestine mandataire, Avraham I. Hacohen Kook. Ce dernier prend courageusement la défense des accusés, s’exposant à la vindicte des journaux et partis de gauche, qui l’insultent et dont certains (comme l’Hashomer Hatzaïr) n'hésitent pas à couvrir le pays d’affiches proclamant “Honte au pays dont les rabbins soutiennent des assassins”!  

 

 

Très impressionné par l’intervention du rabbin Kook, Jabotinsky  écrira plus tard, dans une lettre adressée au rabbin Milikowski, organisateur du comité de défense des accusés, “Vous ne pouvez pas estimer la valeur de cette action… Outre son rôle décisif pour faire triompher la justice dans l’affaire Stavsky, elle aura des conséquences profondes et essentielles sur l’orientation politique et spirituelle du public hébreu en Eretz-Israël et en diaspora. Un exemple : j’ai déjà reçu plusieurs lettres demandant que je propose, lors de notre prochain Congrès mondial, une motion spéciale concernant les rapports entre l’Hatsohar (Organisation sioniste révisionniste) et la tradition religieuse”.

 

Ainsi, de l’aveu même de Jabotinsky, c’est l’intervention du rabbin Milikovsky qui suscita le changement d’orientation de son mouvement, attaché à une laïcité militante, et son évolution vers une attitude plus favorable à la tradition juive. Un an plus tard, en 1935, lors du Congrès fondateur de la Nouvelle Organisation sioniste, Jabotinsky accueille avec sympathie “l’Alliance de Yéchouroun”, courant sioniste-religieux qui vient de s’intégrer au sein du parti révisionniste, malgré la vive opposition de plusieurs membres de la Vieille Garde du parti, au rang desquels figurent Adia Gourevitz (fondateur du mouvement cananéen) et son propre fils, Eri Jabotinsky. 

 

Dans son discours prononcé devant le Congrès de la N.O.S., Jabotinsky  déclare : “Bien entendu, la religion est l’affaire privée de chacun… Dans ce domaine doit régner la liberté absolue, héritée de l’ancien libéralisme sacré… Mais ce n’est pas une question privée de savoir si le Mont Sinaï, les prophètes sont des fondements spirituels ou une momie dans une vitrine de musée, comme le corps embaumé de Pharaon…” Et il poursuit : “C’est une question essentielle et supérieure pour un État et pour notre nation, de veiller à ce que le feu sacré perpétuel ne s’éteigne pas… pour que soit préservée, au milieu du tumulte des innombrables influences qui entraînent la jeunesse de nos jours, et qui la trompent parfois et l’empoisonnent, cette influence qui est une des plus pures – l’esprit de Dieu ; pour qu’un espace subsiste pour ses partisans et une tribune pour ses promoteurs”...

 

Pierre Lurçat

 

Jabotinsky, Questions autour de la tradition juive, précédé de “État et religion dans la pensée du Roch Betar”. La Bibliothèque sioniste 2021. En vente sur Amazon.

 

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Olivier Ypsilantis - Mon intérêt pour les choses juives – 4/5

August 19 2021, 10:53am

Posted by Olivier Ypsilantis

Olivier Ypsilantis - Mon intérêt pour les choses juives – 4/5

Pierre Lurçat : Vous avez visité Israël plusieurs fois et séjourné dans des bases de Tsahal en tant que volontaire de Sar-El. Votre intérêt pour la cause juive n’est pas purement livresque et intellectuel. Qu’est-ce qui vous attire en Israël ?

 

Olivier Ypsilantis : Je me suis toujours rendu en Israël pour y faire quelque chose, et je m’y rendrai toujours avec la même intention. Israël n’est pas pour moi un pays de tourisme. Je n’y viens pas simplement pour marcher sur les pas de Jésus ou pour visiter le tombeau de Rachel ; et je respecte infiniment Jésus et Rachel. Je pourrais me contenter de faire du tourisme aux Seychelles ou à Bali, mais je n’ai pas de temps à perdre et aller promener ma personne sous les cocotiers le long d’une plage ne me convient qu’un jour et encore.

En Israël, la présence juive m’intéresse plus que les autres. Je m’intéresse bien sûr aux autres présences dans cet espace plus disputé que n’importe quel espace au monde et où tout est tellement imbriqué. Mais j’insiste, en Israël la présence juive m’intéresse plus que toutes les autres. A ce propos, peu savent (ou ne veulent pas savoir) que la présence juive sur cette terre a été continue, plus ou moins marquée (au plus bas durant la période chrétienne), mais continue. L’exil n’a pas vidé Israël de ses Juifs, avec une période d’environ deux mille ans d’absence totale puis un retour soudain après la Shoah. Cette image fausse où la propagande et l’ignorance se donnent la main doit être détruite. Presque personne n’a entendu parler du Yichouv, de ce proto-État qui a précédé et annoncé l’État d’Israël. Presque personne ne connaît l’histoire des Juifs de Safed et de Tibériade. Presque personne ne connaît la fabuleuse histoire de Doña Gracia (Gracia Nasi), marrane d’origine espagnole née à Lisbonne au début du XVIe siècle. Et ainsi de suite.

Et en Israël, c’est surtout l’Israël d’aujourd’hui que j’aime, Israël bien vivant, un pays très ancien mais qui n’a pourtant que quelques décennies. J’aime Jérusalem mais je préfère Tel Aviv. Cette préférence ne s’appuie en rien sur une opposition laïcité/religion. J’ai exposé (trop brièvement il est vrai) mon immense intérêt pour le judaïsme. Ma préférence prend appui sur autre chose. Tel Aviv est une ville infiniment émouvante. C’est une ville exclusivement juive, née du sable, de rien, de presque rien. Certes, il y avait cette ville antique, Jaffa, contre laquelle Tel Aviv a pris appui pour se développer vers le nord, jusqu’au fleuve Yarkon et au-delà, mais cette ville est bien née de presque rien. Il faut visiter le musée du peintre Reuven Rubin, à Tel Aviv, pour apprécier la naissance et la croissance de cette ville.

 

Les débuts de Tel Aviv par Reuven Rubin

 

Il y a longtemps, et avant même d’entreprendre mes études, que le Bauhaus me passionne. Le Bauhaus est le phénomène artistique le plus important dans l’Europe du XXe siècle, et je pèse mes mots. Le Bauhaus en architecture a pensé comme personne l’union de la fonctionnalité et la beauté par les seules proportions. Les Juifs de ces années, en Israël, n’avaient pas de temps et d’argent pour les fioritures. J’ai rendu compte sur ce blog d’une passionnante lecture, un must me semble-t-il sur le sujet : « Tel Aviv, naissance d’une ville 1909-1936 » (chez Albin Michel, dans la collection Présences du judaïsme). Cette ville est pleine de constructions directement issues de l’enseignement du Bauhaus. Tel Aviv a d’abord été une ville ashkénaze, conçue et édifiée par des Juifs allemands.

Je me souviens de mon plaisir à me promener dans le quartier de Montefiore et dans certains quartiers limitrophes. Des souvenirs d’Athènes ne cessaient de me revenir. Athènes ! Athènes est elle aussi une ville orientale, de la Méditerranée orientale, comme Tel Aviv. Il faut avoir marché longuement dans le quartier de Monastiraki (Μοναστηράκι) à Athènes et de Montefiore à Tel Aviv pour être saisi par une même ambiance.

Mais j’en reviens à votre question. J’ai très vite éprouvé que mon intérêt pour Israël et la cause juive ne pouvaient s’en tenir à une connaissance livresque. J’ai toujours voulu appréhender Israël en y voyageant et, une fois encore, pour y faire un peu de tourisme mais pas que du tourisme. Dans mes jeunes années, soient les années 1980, j’ai travaillé dans des kibboutz, non parce que c’était à la mode mais par sionisme. Il me semble que je suis né sioniste, que je suis tombé dans une potion magique de sionisme. Il est vrai que le père d’Astérix était juif et ses aventures sont aussi juives que celles que rapporte la Bible.

J’ai donc travaillé dans des kibboutz, un sur le Golan, très Likoud, l’autre sur la Ligne verte, un kibboutz du Nahal (l’histoire du Nahal est passionnante). Dans ce deuxième kibboutz, après le travail, je me rendais tous les jours dans les villages arabes des environs afin de mieux connaître le pays. Je ne vais pas rentrer dans le détail de ces rencontres, fort riches, mais, simplement, travaillant avec des Juifs, je trouvais tout naturel d’aller parler avec les Arabes qui vivaient à de l’autre côté de l’enceinte. Je me souviens d’être parti en excursion avec trois Arabes dans les collines environnantes. L’un d’eux rêvait de venir en France, et savez-vous pourquoi ? Pour visiter les châteaux de la Loire ! Il me raconta l’histoire de plusieurs de ces châteaux et me décrivit leur architecture ; je l’écoutais bouche bée. Mais c’est du kibboutz sur le Golan que je garde les souvenirs les plus forts. La vie y était rude mais une fois encore je me voyais dans le désert des Tartares. Il faisait froid. Au loin, les monts de Syrie étaient enneigés. Nous étions en 1982, peu après Sabra et Chatila. Un Juif de France, un Alsacien, m’avait accueilli en parka, fusil d’assaut en bandoulière. Il fulminait contre son pays et ses médias qui envoyaient toute la merde sur Israël. Je lui expliquai que si j’étais ici, en Israël, dans ce kibboutz, c’est aussi parce que je ne prêtais aucune valeur à ces médias, que je flairais le mensonge. La nuit, mon lit de camp tremblait parfois. Des chasseurs- bombardiers frappaient là-bas, du côté du proche Liban. Le ciel s’illuminait par à-coups. J’étais un peu inquiet mais, une fois encore, je savais que j’étais là où je devais être. J’ai toujours eu cette certitude en Israël, dans les kibboutz et plus encore au Sar-El.

Je ne sais ce qui m’attire en Israël. Peut-être suis-je victime des Sages de Sion ou d’un philtre d’amour, je ne sais. Plus sérieusement. Pour moi Israël c’est d’abord sa population, toutes ces femmes et tous ces hommes que j’ai rencontrés dans les kibboutz puis à Tsahal. J’ai par ailleurs beaucoup circulé dans ce pays, du Golan au Néguev. Ce qui m’attire en Israël ? Il me faudrait un livre pour répondre à cette question. Vous savez, il circule tellement d’idées fausses au sujet de ce pays. Israël est probablement le pays dont on parle le plus en Europe, et trop souvent avec un mélange de prétention et d’ignorance, deux « qualités » qui se tiennent par la main. Il n’y aucun rapport entre l’information mainstream au sujet de ce pays et la réalité de ce pays qui ne peut s’appréhender qu’en y voyageant et en y travaillant, en y voyageant de préférence hors de tout voyage organisé. Le travail de connaissance par les livres, les documents et Internet (l’ordure y traîne mais on trouve aussi d’excellentes choses dans cette grande bibliothèque virtuelle) est important, très important, mais Israël est aussi un pays qu’il faut parcourir et où il est bon d’avoir une activité afin de mieux comprendre ce pays très particulier et très complexe. Je préfère me faire dorer la pilule ailleurs qu’en Israël. Il y a trop à faire là-bas, trop à apprendre, tant de personnes à rencontrer, à interroger, à écouter, et pas uniquement des Juifs. 20 % de la population d’Israël est arabe, des Chrétiens et des Musulmans, et je passe sur d’autres minorités non-juives mais ayant la nationalité israélienne. Israël est un pays formidablement divers et pour deux raisons : premièrement, celle que je viens d’énoncer (il n’y pas que des Juifs en Israël) ; deuxièmement, le monde juif en Israël est au moins aussi divers et donc aussi riche que le monde juif en diaspora – et cette richesse se trouve concentrée dans un petit pays. Je rappelle qu’Israël est à peine plus grand que deux-trois départements français.

Sur les bases de Tsahal, j’ai travaillé avec des Juifs et des non-Juifs venus de (presque) partout. Certains Juifs étaient nés dans le pays (les Sabras), d’autres y avaient émigré et de ce fait n’avaient pas le même niveau d’hébreu, l’hébreu n’étant pas leur langue maternelle. J’ai travaillé avec des Bédouins dans un parc de Merkava II (chaleur suffocante), dans un hangar (chaleur non moins suffocante) pour y détruire des masses de documents avec des Béta Israël. A cette occasion, j’ai appris qu’il fallait éviter de les désigner par Falacha (qu’ils jugent péjoratif). J’ai fait équipe avec un Juif de Bombay, un officier druze, un Juif roumain. J’ai beaucoup sympathisé avec ce dernier. Il m’apprenait des mots d’hébreu, je lui apprenais des mots d’espagnol et de portugais. Je me souviens qu’il avait particulièrement apprécié les mots « amapola », « mariposa » et « borboleta » qu’il s’amusait à répéter. Un soir, j’ai longuement conversé avec un Juif originaire d’Istanbul. J’en garde un souvenir très ému car il s’exprimait en ladino et moi en espagnol, en castillan pour être plus précis. Il n’avait pas étudié le castillan, je n’avais pas étudié le ladino mais nous nous sommes compris et sans jamais nous efforcer. Pour faire simple, le ladino est à l’espagnol ce que le yiddish est à l’allemand. Mais je force probablement la note : il me semble que le ladino est plus proche de l’espagnol que le yiddish ne l’est de l’allemand. A ce propos, il y a peu, j’ai trouvé sur Internet un article en ladino, sur eSefarad, un article intitulé « Muestra lingua : Leon Pinsker por Edmond Cohen » dans lequel j’ai eu le plaisir de lire : « Un syerto Olivier Ypsilantis, en el sityo zakhor on line, a eskrito sovre el livro de Pinsker un artikolo interesante sovre el kual yo lavori. Asigun Ypsilantis, i yo so de akodro kon el, este teksto es “uno de los mas ermozos del syonismo” ». La fréquence de la lettre k saute à la vue car elle est très rare en espagnol.

C’est ce qui m’intéresse le plus en Israël, cette unité dans cette diversité. Lorsque j’étais en Israël, dans les années 1980, la population différait grandement de celle d’aujourd’hui, notamment avec l’arrivée de ces très nombreux Juifs russes et ukrainiens, depuis les années 1990, suite à l’effondrement de l’Union soviétique et son empire. Il est connu qu’un assez grand nombre d’entre eux (un tiers environ) ne sont pas vraiment juifs mais qu’importe : ils le sont devenus et comptent parmi les défenseurs les plus déterminés d’Israël à ce qu’on m’a dit.

Les Juifs constituent un peuple, en aucun cas une race. Et je me moque de savoir si un tel descend d’Abraham, d’une tribu d’Israël qui ne soit pas l’une des dix tribus perdues ou de convertis (avec notamment cette histoire de Khazars qui a été plus ou moins arrangée par Arthur Koestler (voir « La Treizième tribu ») puis par Shlomo Sand pour étayer ses mensonges. Les Juifs forment un peuple et non une race ; un peuple, soit une entité plus ample et, dirais-je, plus consistante qu’une race.

J’aime par ailleurs les paysages d’Israël. Certains d’entre eux pourraient être espagnols. A ce propos, les techniques agricoles les plus avancées au monde (à commencer par l’irrigation) sont espagnoles et israéliennes. L’Espagne a longtemps été une terre privilégiée pour les Juifs et leur expulsion de la péninsule (n’oublions pas le Portugal) a été une catastrophe majeure pour le monde juif.

 (à suivre)

Olivier Ypsilantis

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Olivier Ypsilantis - Mon intérêt pour les choses juives – 3/5

August 18 2021, 11:16am

Posted by Olivier Ypsilantis

Olivier Ypsilantis - Mon intérêt pour les choses juives – 3/5

Pierre Lurçat : Vous avez intitulé un article de votre blog “La judéité comme la dernière forme d’aristocratie“, est-ce que vous vous considérez comme un “aristocrate”, et est-ce qui vous rapproche du peuple Juif ?

 

Olivier Ypsilantis : Je vais commencer par vous répondre indirectement. L’antisémitisme est vulgaire, profondément vulgaire, toujours, il est vulgaire même – et surtout – lorsqu’il se veut distingué. Il y a parmi les antisémites des gens très intelligents et cultivés ; ils ne constituent pas le gros de la troupe mais il y en a et commencer par considérer tous les antisémites comme des crétins incultes c’est déjà perdre le combat contre l’antisémitisme. Rien de plus grave que de méjuger l’ennemi. L’antisionisme est lui aussi presque toujours vulgaire : il est rare qu’il ne serve pas de désodorant à l’antisémitisme…

Au cours de sa très longue histoire, le peuple juif a été très souvent moqué et bafoué lorsqu’il n’a pas été massacré. Il a certes connu des périodes apaisées mais il savait, et à raison, que le danger flottait au-dessus de lui. Cette menace n’était pas seulement présente en terres chrétiennes mais aussi en terres musulmanes comme l’a montré Georges Bensoussan dans sa somme « Juifs en pays arabes – Le grand déracinement, 1850-1975 ». Et permettez-moi d’ouvrir une autre parenthèse, c’est aussi (et peut-être même d’abord) parce que Georges Bensoussan a dérangé la petite image convenue d’une cohabitation tout en douceur entre Juifs et Musulmans (principalement arabes) qu’il a été traîné en justice pour islamophobie.

 

 

J’ai vécu vingt-cinq en Espagne, et notamment à Cordoue, en Andalousie. J’ai étudié de près les manœuvres (et les mensonges) de la gauche espagnole dans son ensemble, mensonges touchant à la Guerre Civile et à ses causes mais aussi à la période musulmane dans la péninsule ibérique. A en croire sa propagande, les Juifs et les Chrétiens auraient coulé des jours particulièrement heureux dans ce qui était alors un émirat puis un califat. Il est vrai que l’islam de la péninsule a été particulièrement fécond (il ne faut pas oublier la période des taifas) et que les rapports entre les trois religions y ont été grosso modo meilleurs qu’en beaucoup d’autres lieux à d’autres époques. J’ai une affection particulière pour la période de l’émirat avec la dynastie des Omeyyades issue d’un rescapé d’un massacre organisé par les Abbassides. Mais l’histoire de l’Espagne musulmane s’étend sur plusieurs siècles pleins de violences, rien à voir avec le petit tableau (idéologique) tout rose composé par Roger Garaudy : violences entre Musulmans, entre dynasties, entre Arabes et Berbères, sans oublier les muladíes, ces Chrétiens convertis à l’islam mais qui se révoltèrent contre le mépris que professaient les Arabes envers tout ce qui n’était pas arabe. Et n’oubliez pas que Maïmonide a pris le chemin de l’exil suite à la conquête de Cordoue par les Almohades, une dynastie d’origine berbère. Et Averroès le Musulman ? Lui aussi a eu de graves problèmes avec les Almohades. Rien n’est simple contrairement à ce que veut nous faire accroire Roger Garaudy, rien ! Mais si pour l’authentique historien tout est complexe, pour l’idéologue (et Roger Garaudy n’est qu’un idéologue) tout est simple puisqu’il formate le réel de manière à ce qu’il entre dans le cadre de son idéologie.

Mais j’arrête avec Roger Garaudy (un méprisable négationniste par ailleurs), ce qui pourrait me conduire à vous exposer l’attitude de la mairie de Cordoue (alors de gauche) et ce partant de la gauche espagnole dans son ensemble à l’égard d’Israël ; et je puis vous dire que ça pue, que ça empeste et qu’il y a longtemps que j’ai renversé la table.

J’en reviens à cette notion d’aristocratie, en sens générique du terme entendons-nous. Cet acharnement contre le peuple juif est un acharnement de masse contre un peuple très ancien et porteur d’un message très particulier qui en fait un message universel. Si le peuple juif n’était qu’une secte occupée à diverses bizarreries, il ne m’intéresserait pas tant et je passerais. J’ai très tôt pressenti que le peuple juif, ce peuple à la fois très ancien et très moderne, très moderne parce que très ancien, que ce peuple très particulier et universel, universel parce que très particulier, était porteur d’un message, un message qui ne s’adressait pas seulement au peuple juif mais à tous et sans l’intermédiaire de Jésus-Christ ou de Mahomet.

Pourquoi mon intérêt pour « les choses juives » – et je reprends votre expression ? Je reviens sur ce que j’ai écrit. C’est en grande partie parce que le peuple juif est si particulier et donc universel que je l’étudie et l’écoute. Au fond, tous ceux qui s’en prennent « aux Juifs » s’en prennent plus ou moins consciemment à un substrat sur lequel nous reposons tous, eux et nous, un substrat dont ils sont en priorité les responsables et en aucun cas les propriétaires. Ils sont les dépositaires de quelque chose qui est destiné à l’humanité mais qui est passé par eux et qu’ils ont reçu alors qu’ils étaient à peine juifs, encore à moitié païens. Simone Weil ne comprend pas ou n’a pas voulu comprendre que dans le Premier Testament ce sont les Juifs qui sont les plus durement secoués par les instances supérieures, par Adonaï, car ce peuple qui s’efforce de sortir de sa gangue idolâtre retombe dans l’idolâtrie, l’adoration du Veau d’Or par exemple.

Le peuple juif a donc été témoin de quelque chose qu’il a reçu et qu’il doit transmettre à l’humanité. Il en est le gardien et le vecteur. A ce propos, la notion de « Peuple élu » est toujours aussi mal comprise, je puis l’affirmer car je parcours des fils de discussions sur des sites et des blogs et cette accusation ne cesse de revenir. Les Juifs se considérant comme le Peuple élu sont tenus de s’expliquer (ils sont en quelque sorte traînés devant les tribunaux) et ne doivent pas s’étonner d’avoir été et d’être si maltraités…

Le peuple juif est un Témoin, dépositaire de l’Origine, non pas jaloux, parfois méfiant, car après s’être fait traiter et se faire encore traiter de tous les noms, il arrive que l’on se referme. Non, je ne suis pas judéolâtre comme on m’accuse parfois de l’être. Le schmock est aussi présent chez les Juifs qu’ailleurs. Et je vais reprendre le bon mot d’un vieil ami aujourd’hui décédé, rescapé d’Auschwitz, qui me dit un jour, en se prenant la tête à deux mains : « Vous savez, Olivier, quand un Juif est con il est vraiment con, plus con que tous les autres ».

Le peuple juif a les caractéristiques de l’aristocratie : l’ancienneté (peuple de l’Origine et donc peuple Témoin), il est minoritaire, il est pétri d’exigences et d’abord envers lui-même. Le Peuple élu n’a pas été élu pour flemmarder et se pavaner dans les Hauteurs, au-dessus de la masse des goyim…

Puisqu’il est question d’aristocratie, je vais parler de ma famille, de ma femme. Je l’ai rencontrée pour la première fois en l’église polonaise de la rue Saint-Honoré, à Paris, un bel ensemble XVIIe siècle. J’étais assis dans les derniers rangs et elle dans les premiers rangs. Je la revois donc. Elle revenait de vacances, grande brune bronzée (elle dépassait presque tout le monde dans l’assistance) au nez busqué et aux cheveux noirs. Je me suis dit : c’est une fille d’Israël. Pourquoi ? Nous faisions partie d’un groupe de pèlerins qui s’apprêtait à partir en autocar pour la Pologne, pour le grand pèlerinage de Częstochowa. La Pologne était alors un pays assez fermé et ce pèlerinage était l’occasion de la visiter en y marchant quelque trois cent cinquante kilomètres, de la visiter sans faire du tourisme au sens commun du mot.

Donc, en observant cette jeune femme en l’église polonaise de la rue Saint-Honoré, je me suis dit, comme malgré moi, c’est une juive convertie, réaction étrange, j’en conviens, ridicule même mais c’est ainsi. J’apprendrai peu après qu’elle portait le nom d’un grand-maître de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem.

Nous avons eu trois enfants et leur avons donné les noms suivants : Sarah, Raquel et David. A ce propos, je me souviens qu’un homme s’était proposé de nous guider dans la vieille ville de Jérusalem. Habituellement je refuse les guides, mais l’attitude de cet homme avait quelque chose d’émouvant. Il était juif d’origine irakienne. Devant le tombeau de David (en compagnie de notre fils David), de fait un cénotaphe, je lui ai dit que notre fils s’appelait David, et que ses deux sœurs s’appelaient Rachel et Sarah.  Il m’a regardé les yeux écarquillés en s’exclamant (en anglais) : « Vous m’avez dit que vous n’étiez pas juifs, ce n’est pas possible ! Ce sont les noms de deux des quatre matriarches d’Israël et du plus grand roi d’Israël ! » J’ai eu un instant le sentiment que je lui avais menti.

Environ deux ou trois ans après cette visite à Jérusalem, je me suis mis en tête de suivre le tracé de deux branches coupées dans l’arbre généalogique de ma femme. C’était comme si une voix me disait : « Tu dois trouver ! » Je vais passer pour un illuminé, mais c’est ainsi, comme pour Marianne Cohn, « l’inconnue de Montauban ». Mais cette double enquête allait s’avérer beaucoup plus aisée. Une branche se découvrit sans tarder, via Internet. L’autre se découvrit suite à une recherche un peu plus prolongée mais relativement simple. Ces deux branches me conduisirent au monde ashkénaze, d’Altona (dans les environs de Hambourg) à la Lorraine.

Concernant mon article intitulé « La judéité comme la dernière forme d’aristocratie », je ne le renie pas, quitte à déplaire à plus d’un. Mais entendons-nous, l’aristocratie en question est combattante, toujours sur la brèche, devant répondre à des exigences posées par elle-même et assez terribles. Que certains Juifs flemmardent et ne se cassent pas la nénette est une autre affaire. Et puis il y a Israël ; mais j’y viendrai dans la question suivante.

Puisque nous évoquons l’aristocratie, restons-y avec ce propos devenu très ambigu, car il ne l’était probablement pas dans l’esprit de Stanislas de Clermont-Tonnerre, ce propos que vous citez dans « Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain » : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et accorder tout aux Juifs comme individus ». Ce propos m’a préoccupé très jeune et je vous suis reconnaissant de ne pas être un dévot des Lumières, comme trop de Juifs, les Lumières qui reposent sur un paradigme trompeur ainsi que vous le dites. J’évoque volontiers la part obscure des Lumières, quitte à me faire passer pour un affreux réactionnaire, ce dont je me moque car un réactionnaire est tout simplement un homme qui réagit. Donc, j’ai très vite pressenti que dans la belle formule de cet homme il y avait quelque chose d’inquiétant qui (à l’insu de son auteur) ouvrait la voie à un antisémitisme rajeuni, plus vigoureux que l’ancien. Je ne savais pas que Stanislas de Clermont-Tonnerre deviendrait l’un de mes parents par alliance. Ce lien n’a fait que m’inciter à réfléchir encore plus encore à cette remarque qui transporte d’aise bien des Juifs qui n’y voient que la face lumineuse, des Juifs qui ne s’éprouvent probablement que comme autant d’individus et non comme une nation ou un peuple. Ainsi que vous le faites remarquer (et vous me confirmez dans ce que j’ai toujours éprouvé), les Juifs ne sont ni une nation, ni une religion mais les deux à la fois, d’où le dialogue de sourds, trop souvent, à leur sujet. Cette particularité nation/religion a permis au peuple juif de survivre. L’Émancipation a certes amoindri l’antijudaïsme (l’antisémitisme religieux) mais il a conduit à l’antisémitisme sécularisé, raciste, biologique, plus meurtrier encore. Une fois encore, il ne s’agit pas de s’en prendre à l’homme de bonne volonté que fut Stanislas de Clermont-Tonnerre et de toujours l’envisager dans son contexte, très précis.

La formule de Stanislas de Clermont-Tonnerre se poursuit ainsi (lire l’intégralité de ce discours prononcé fin décembre 1789) : « Il faut refuser tout aux juifs comme nation et accorder tout aux juifs comme individus ; il faut méconnaître leurs juges ; ils ne doivent avoir que les nôtres ; il faut refuser la protection légale au maintien de leur corporation judaïque ; il faut qu’ils ne fassent dans l’État ni un corps politique ni un ordre ; il faut qu’ils soient individuellement citoyens. Mais, me dira-t-on, s’ils ne veulent pas l’être ? Eh bien, s’ils veulent ne l’être pas, qu’ils le disent, et alors, qu’on les bannisse. II répugne qu’il y ait dans l’État une société de non-citoyens et une nation dans la nation. Enfin, l’état présumé de tout homme domicilié dans un pays est d’être citoyen ». A méditer.

Et des souvenirs me reviennent, d’un coup. Ma grand-mère maternelle qui appartenait à une ancienne famille grecque m’a parlé plusieurs fois des Juifs lorsque j’étais enfant. Et lorsqu’elle m’en parlait sa voix tremblait. Je me souviens même que des larmes coulèrent sur ses joues. Je ne sais que dire. Elle avait un type fortement sémite ou, plus exactement, méditerranéen – je ne sais vraiment pas à quoi correspond le type sémite. Au cours de l’Occupation, elle faillit être prise dans une rafle de Juifs ; je crois que ce souvenir l’a marqué à jamais – une Madame Klein en quelque sorte…

Dans la partie grecque de ma famille, les Juifs étaient toujours évoqués avec respect : ils étaient considérés comme des égaux par l’ancienneté, la richesse de la culture, etc. On n’insistait guère sur les immenses différences entre la culture grecque et la culture juive. Son attitude se résumait à : nous sommes (très) différents mais nous sommes égaux, et c’est bien ainsi. Ma mère m’a rapporté que son grand-père lui disait que si les Grecs et les Juifs s’entendaient plutôt bien c’est parce qu’ils étaient pareillement bons en affaires. Je ne sais ce que vaut cette considération, mais je la rapporte.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

https://zakhor-online.com/

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Olivier Ypsilantis - Mon intérêt pour les choses juives – 2/5

August 15 2021, 10:54am

Posted by Olivier Ypsilantis

Olivier Ypsilantis - Mon intérêt pour les choses juives – 2/5

Je reproduis ici l'article en feuilleton publié par Olivier Ypsilantis sur son excellent blog, dont je recommande au passage vivement la lecture, Zakhor Online. P. Lurçat

Pierre Lurçat : Vous définiriez-vous comme un ami d’Israël, comme philosémite ou comme un défenseur d’Israël, ou autrement ?

 

Olivier Ypsilantis : Je n’aime pas l’appellation « philosémite » pour une raison très simple. Aujourd’hui, à l’heure où la langue grecque, latine et les humanités sont de moins en moins enseignées, à l’heure où la culture générale de type classique est de plus en plus négligée, on voit se multiplier les mots à tonalité savante, dans le genre « homophobe », « islamophobe » et j’en passe. Donc, je préfère m’écarter de ces mots à consonance grecque qui traînent dans la bouche d’incultes qui cherchent à se passer un vernis savant avec des mots à caractère « scientifique », des mots dont la puissance de choc leur semble irrésistible.

Me présenter comme un défenseur d’Israël serait prétentieux. Je ne suis pas David Ben Gourion, je ne suis pas Moshé Dayan, je ne suis pas un combattant de la Guerre d’Indépendance ou de la guerre des Six Jours, je n’appartiens pas au Shayeret Matkal ou au Mossad. Pourtant, en 2014, au moment de la guerre à Gaza, je me suis engagé comme volontaire chez Tsahal, dans une immense base du Néguev. J’y ai travaillé durant trois semaines, dans la chaleur et la poussière, un travail très intense qui m’a enivré, je dois le dire. Je ne faisais que de la logistique arrière, j’étais en quelque sorte un homme de ménage, mais je savais que j’étais là où je devais être – et j’étais simplement heureux de porter l’uniforme de Tsahal.

La base où j’ai travaillé est très importante. C’est une base où convergent en cas d’alerte de très nombreux soldats pour s’y équiper avant de partir éventuellement au combat. Nous étions responsables des casques, des paquetages, de l’armement, des trousses de secours, bref de tout ce qui est nécessaire au combat. Tout en travaillant dans ces hangars, nous savions qu’il y avait un fort lien entre les potentiels combattants et nous. Je m’éprouve donc comme un défenseur d’Israël, ce qui est très prétentieux, un tout petit défenseur, au plus bas échelon. Mais dans une échelle, tous les échelons tiennent aux mêmes montants…

 

5 versions pour un volontariat au sein de la meilleure armée du monde – Par  Bely | Telavivre

Volontaires de Sar-El

 

J’ai effectué un deuxième séjour chez Tsahal, en Galilée, près de la frontière libanaise, et je compte en faire un troisième, avec ma femme. Le travail y était beaucoup moins rude, soutenu mais moins rude. J’étais affecté à l’entretien de pièces de Merkava II (l’histoire de ce blindé et sa conception sont passionnantes) et à celui de casques de tankistes dans un vaste local technique avec ses compartiments. J’avais mon coin, avec mes brosses, mes pinceaux métalliques, mes tournevis, mes pinces, ma ponceuse-visseuse-perceuse, mon papier de verre, mes pots de peinture, mes pinceaux et je dois en oublier. Une fois encore, j’étais là où je devais être, tout simplement. L’air conditionné n’était pas désagréable et aidait, je dois le dire. Je faisais du petit entretien qui ne demandait aucune compétence technique particulière, rien qu’une certaine minutie. Mais j’ai très vite compris que le travail que j’accomplissais devait être bien fait afin de pouvoir être poursuivi par des personnes plus qualifiées ; je l’ai compris lorsqu’une pièce m’a été renvoyée parce que je n’avais pas fait correctement ce qui m’avait été demandé, par distraction probablement. Une fois encore, j’accomplissais un modeste travail mais qui s’insérait dans une chaîne somme toute assez complexe dans laquelle j’avais ma part.

J’en reviens à votre question. Je refuse le terme philosémite (même si je le suis) pour la raison que je viens de vous exposer. Je préfère ami d’Israël ou défenseur d’Israël, même si ce dernier titre me semble bien lourd à porter. Mais attention ! En tant que non-Juif et issu d’une famille chrétienne, j’apporte une précision. Je tiens à me démarquer d’un certain sionisme chrétien, du christianisme évangélique selon lequel la renaissance de l’État d’Israël (1948) en accord avec les prophéties bibliques prépare le retour de Jésus en Christ de gloire de l’Apocalypse. Je respecte toutes celles et tous ceux qui aident Israël, d’une manière ou d’une autre, je respecte donc le christianisme évangélique, très efficace dans son aide. Mais je ne vais pas en Israël pour préparer Son retour et déjà parce que je me méfie de saint Paul et que je ne parviens pas à établir le lien entre Jésus et le Christ, entre un rabbin juif parmi tant d’autres et le plus imposant des êtres théologiques de l’histoire de l’humanité.

Car je crois au Messie mais dans le sens juif, soit un Messie à venir, pas un Messie qui est venu et qui reviendra, ce qui est une manière de boucher l’histoire humaine. Me comprendra-t-on ? Une fois encore, je respecte infiniment Jésus le Juif, ce que j’en perçois ; mais le Christ, cet être théologique, me pose problème. Tant qu’à faire, je préfère me promener du côté des créatures hybrides de la mythologie grecque. Au moins ne font-elles pas de prosélytisme et elles sont franchement esthétiques et amusantes, avec leur côté BD.

Défenseur d’Israël… Je m’efforce de défendre Israël par l’écrit, avec des articles à caractère polémique dans lesquels je dis ce que je pense des antisémites et des antisionistes, pour ne citer qu’eux ; mais ce sont les articles à caractère historique et culturel qui dominent dans ce que j’écris, sur le présent blog tout au moins. Je me méfie de l’actualité, des actualités. Leur tintamarre occulte. Je préfère prendre appui sur l’histoire et la culture qui dans le cas des Juifs sont des aires immenses. Il y a même eu des Juifs en Chine ; je les évoque sur ce blog. Je ne suis pas coupé des actualités. Je les lis presque quotidiennement dans quatre langues, ce qui est peu ; tant de langues me restent inconnues. Je préfère cependant envisager la profondeur historique, ce que je fais par exemple avec le sionisme, un mot qui suffit à donner de l’urticaire à des citoyens de diverses obédiences. Le problème de l’antisioniste, c’est qu’il n’a le plus souvent aucune connaissance du sionisme, de son histoire dense et complexe. Remarquez, il n’a pas à s’en faire : en tant qu’antisioniste il considère qu’il appartient au camp du Bien – on ne cesse de le conforter dans ce sens. Il peut donc s’épargner la connaissance, ce chemin qui n’en finit pas, splendide, mais où la fatigue et le découragement vous saisissent parfois. Beaucoup préfèrent s’affaler dans leur canapé et avaler ce qui leur est servi, soit la tambouille antisioniste. Je pourrais aller plus loin : il y a quelque chose de scatologique chez les antisémites et les antisionistes. J’y reviendrai mais pas dans le cadre de ces questions.

Etiam si omnes, ego non est un cri de guerre et de ralliement. Je ne vais pas entrer dans l’histoire de cette devise qui est aussi celle de la famille de Clermont-Tonnerre, devise qui a à voir avec saint Pierre au jardin de Gethsémani, devise qui a été reprise par Philipp von Boeselager en signe de résistance au nazisme, une figure que j’ai évoquée sur ce blog. Pour ma part, cette devise signifie mon engagement auprès d’Israël en tant qu’État. Je ne vous cache pas qu’être sioniste n’est pas une sinécure. On est sans cesse sommé de s’expliquer tandis que les antisionistes se prélassent dans leurs canapés, hamacs, chaises-longues et balancelles ; et on ne se fait pas beaucoup de potes. Mais ne pratiquant que très peu le canapé et la chaise-longue, jamais le hamac et la balancelle, et détestant le genre pote, je ne vais pas me plaindre.

D’où me vient cet attachement au judaïsme, au peuple juif et à Israël ? J’ai donné des éléments de réponse mais la question reste. Je fais avec ce mystère qui m’occupe souvent. J’ai pensé consulter un psychanalyste, un psychiatre même, juif ou goy, qu’importe !

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J’en reviens à Jésus. Pour David Flusser, spécialiste israélien de l’histoire des origines du christianisme, comme pour Shmuel Safraï, spécialiste de l’histoire du second Temple, Jésus appartenait au monde des rabbins ; il était donc proche des Pharisiens, et les indices à ce sujet ne manquent pas. Je me suis souvent demandé pourquoi l’Église s’est tant acharnée contre ces derniers. Pourquoi ne s’en est-elle pas prise plus durement aux Sadducéens, ces collaborateurs des Romains soucieux de leurs seuls privilèges ? Cet acharnement m’a très vite mis mal à l’aise ; et je n’ai pas tarder à comprendre que ce sont les Pharisiens qui ont porté le judaïsme, que c’est par cette branche que le judaïsme est venu jusqu’à nous et bien vivant. Or, en l’attaquant, l’Église affirmait plus encore sa prétention à être le « Nouvel Israël ». Non, ce n’est pas un hasard si l’Église s’en est prise et s’en prend encore et de diverses manières aux Pharisiens. La dénonciation des Pharisiens figure explicitement dans les textes fondateurs du christianisme. Vatican II a fait ce qu’il a pu, mais on ne peut s’en prendre aux textes fondateurs.

Le mouvement pharisien était une arborescence dans laquelle figurait depuis le Ier siècle av. J.-C. un courant dit hassidique, ancêtre du hassidisme du XVIIIe siècle bien que sensiblement différent. Selon Shmuel Safraï, Jésus aurait été un hassid et à ce sujet son argumentation est captivante. Et si Jésus n’a pas été un hassid, les éléments d’identification ne manquent pas entre les relations que Jésus entretenait avec les Pharisiens et celles que les hassidim entretenaient avec les rabbins. En fait, tout ce que je lis sur Jésus et qui me retient a été écrit par des Juifs, et des Juifs religieux et pratiquants.

Et le christianisme dans toute cette immense affaire ? J’ai souvent le sentiment que le christianisme tel qu’il est venu à nous est du judaïsme « infecté » par le monde grec et romain, ce qui a donné une chose étrange et énorme dans laquelle j’erre, à la fois émerveillé (voir l’immensité de la production artistique activée par les Églises chrétiennes) mais un peu perdu. L’étude du judaïsme m’aide à reprendre mes esprits, je crois pouvoir dire les choses ainsi.

Je vais vous dire quelque chose qui vous paraîtra peut-être étrange – et une fois encore, je respecte a priori toutes les croyances religieuses. J’aimerais que les Chrétiens et les Musulmans (re)deviennent d’authentiques juifs. Bon, ce que je dis n’est pas très trendy, mais le meilleur moyen de survivre aux modes est de ne pas y succomber et de les regarder passer avec amusement ou indifférence.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

https://zakhor-online.com/

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Olivier Ypsilantis - Mon intérêt pour les choses juives – 1/5

August 12 2021, 14:54pm

Posted by Olivier Ypsilantis

Olivier Ypsilantis

Olivier Ypsilantis

Je reproduis ici l'article en feuilleton publié par Olivier Ypsilantis sur son excellent blog, dont je recommande au passage vivement la lecture, Zakhor Online. P. Lurçat

 

Pierre Lurçat : Votre blog contient de nombreuses entrées concernant Israël, le judaïsme et les Juifs. D’où vient cet intérêt pour les choses juives et à quand remonte-t-il ?

Olivier Ypsilantis : Je vais devoir parler de moi, et probablement trop. Mais qu’importe ! Je me demande souvent, en marchant, au volant, avant de m’endormir ou au cours d’insomnies, bref, je me demande très souvent et dans des situations très diverses pourquoi Israël, le judaïsme et les Juifs sont en moi un questionnement constant ou presque. Je reste incapable d’apporter une réponse complète à cette question mais très jeune j’ai d’abord été intrigué puis irrité et enfin révolté par l’antisémitisme et l’antisionisme ; et ces choses traînent un peu partout, comme de la poussière, comme de l’ordure.

Simone Weil avec laquelle j’entretiens des rapports très agités dit quelque part dans « Pensées sans ordre » : « Tout ce qui dans le christianisme est inspiré de l’Ancien Testament est mauvais… » Cette remarque que je juge révoltante, je l’ai simplement inversée – et, de fait, je la portais en moi bien avant de lire Simone Weil –, soit : « Tout ce qui dans le christianisme n’est pas inspiré de l’Ancien Testament est mauvais… ». Je ne parle et ne parlerai qu’en mon nom, sans aucune volonté de plaire ou de déplaire ; et je ne suis pas ici pour distribuer bons points et mauvais points.

Je dois d’abord dire que je me sens généralement plus chez moi lorsque j’écoute un rabbin ou un intellectuel juif que lorsque j’écoute un membre de l’Église ou un intellectuel chrétien ; et je ne nie pas que l’Église soit riche en puissantes personnalités et que des intellectuels chrétiens soient vivifiants.

Si des rabbins (et il y a des médiocres et des barbons parmi eux comme partout) me stimulent, c’est d’abord parce qu’il me semble qu’ils me soufflent à l’oreille : Tu réfléchis ; tandis que les membres de l’Église me disent d’une voix qui décourage la réplique : Tu crois ! Saint Paul (j’ai au moins autant de problèmes avec lui qu’avec Simone Weil) déclare (voir son Épître aux Romains) que c’est la Croyance qui amène le Salut – qui conduit au Salut. C’est intéressant mais je reste au bord de la route, je ne parviens pas monter dans l’autocar des Croyants qui roule sans frein vers le Salut. Je marche donc au bord de la route avant de m’en écarter. Je rencontrerai bien quelqu’un qui me recevra et m’invitera à un tête-à-tête, un rabbin peut-être ou un Juif préoccupé de son histoire et peut-être de la mienne.

 

Le passage de la mer Rouge, enluminure arménienne

 

Les Juifs croient eux aussi, ils croient en des faits historiques (et ils sont nombreux) qui constituent leur héritage (la sortie d’Égypte, le don de la Torah sur le Sinaï, etc.). Mais si cet héritage structure et donne volontiers de l’énergie, il n’est pas de nature à apporter le salut à celui qui l’accepte. Rien dans l’histoire d’Israël n’est de nature à apporter le salut au croyant. La sortie d’Égypte a sauvé le peuple d’Israël de l’esclavage mais y croire n’apporte pas pour autant le Salut éternel. Et j’en reviens à ce que je disais : l’histoire d’Israël telle qu’elle est relatée dans la Bible semble plutôt murmurer : Tu réfléchis. Je ne suis pas juif mais pour cette raison entre autres nombreuses raisons je me sens juif. Le Second Testament, le chrétien donc, semble plutôt dire : Tu crois ! Par exemple, tu crois en l’Incarnation, au Dieu fait homme, un dogme central du christianisme – le christianisme est riche en dogmes. Un dogme ne se discute pas. On l’accepte ou on lui tourne le dos sans un mot, en haussant éventuellement les épaules.

Un Chrétien à la foi très active m’a dit un jour que ma curiosité intellectuelle pouvait être un obstacle à la foi (chrétienne), qu’elle était volontiers une marque d’orgueil. Ce Chrétien que je n’ai pas voulu blesser opposait dans une vaste composition Foi et Connaissance. L’une et l’autre ne sont d’ailleurs pas incompatibles et croire en Dieu n’empêche pas l’astrophysicien d’étudier honnêtement l’Univers et le généticien d’étudier non moins honnêtement le génome codé dans l’ADN et ainsi de suite. A ce propos, le monothéisme juif est l’un des moteurs (et peut-être le plus puissant) qui ont conduit à la science moderne. Et si la Connaissance est un obstacle à la Foi, et bien je choisis la Connaissance tout en sachant qu’elle sera toujours fragile et imparfaite, tout en sachant que ce que je connais en regard de ce qui est connu (et je ne parle même pas de l’inconnu, infiniment plus vaste que le connu) ne sera jamais qu’un grain de sable dans un océan.

Je repense souvent à cette remarque qui a commencé par m’irriter puis que j’ai analysée et qui m’a permis de comprendre en partie ce qui m’éloignait du christianisme et me rapprochait du judaïsme. Pourquoi le christianisme s’est-il développé de la sorte ? Pourquoi n’est-il pas resté un courant parmi d’autres dans le judaïsme ? Chrétiens et Musulmans se sont trop souvent affirmés en cultivant une hostilité plus ou moins marquée envers les Juifs, envers le peuple de l’Origine, porteur de la Révélation et de la Loi. Certes, les Chrétiens ont fait des efforts, notamment avec Vatican II (1962-1965) et la reconnaissance d’Israël par le Saint-Siège (1993-1994). Je ne cherche pas des poux dans la tête des Chrétiens, je m’efforce d’exprimer clairement ce qui me préoccupe depuis longtemps et me préoccupera probablement jusqu’à la fin.

J’ai souvent des problèmes avec les Chrétiens lorsqu’il est question des Juifs, du judaïsme et d’Israël. Sur les sites et blogs où il m’est arrivé d’intervenir, j’ai senti de leur part une certaine irritation et, vraiment, je ne cherchais en rien à les provoquer, j’ai mieux à faire et je n’ai pas pour mission de les irriter, de les provoquer. Sur un blog où sévissaient des individus diversement de gauche, j’étais considéré comme un Juif qui n’osait (ou ne voulait) se présenter comme tel, comme un judéolâtre, et, surtout, comme un sioniste, désignation qui dans bien des petites têtes flirte avec « fasciste » (voire « nazi »), « impérialiste », « génocidaire », « raciste » et j’en passe.

Les antisionistes ! Il ne s’agit même plus de l’autocar des Croyants mais de hordes qui se perdent derrière la ligne d’horizon et qui tantôt trottinent tantôt galopent vers… le Salut peut-être : car il y a bien un sous-jacent religieux dans l’antisionisme. Il n’est pas possible d’expliquer autrement une telle ferveur.

Mais j’en reviens à la manière dont certains Chrétiens (par ailleurs très courtois) voient les Juifs – en tant que représentants du judaïsme. Ils voient les Juifs comme des gens avec lesquels il faut être très gentil, un peu comme avec une vieille dame mal assurée sur ses jambes et à moitié aveugle à qui il faut donner le bras pour la soutenir et la guider… Vous imaginez où je veux en venir. Pour ma part, je trouve que malgré son grand âge, le judaïsme reste très jeune et déjà parce qu’il ne traîne pas derrière lui ces lourds mécanismes théologiques comme en traîne le christianisme. Au fond, Tu réfléchis permet de conserver la forme…

Le christianisme et l’islam ont voulu kidnapper le judaïsme, le kidnapper après l’avoir détroussé. Ils l’ont fait chacun à leur manière – l’islam étant d’un certain point de vue plus proche du judaïsme. Mais sachant qu’ils avaient commis des méfaits, l’un et l’autre, et une fois encore chacun à leur manière, se sont employés et s’emploient encore (les Musulmans à présent d’une manière beaucoup plus soutenue et agressive) à dissimuler ces méfaits. Ils y parviennent d’une manière très efficace par l’inversion victimaire. Les Chrétiens ont remisé l’accusation de déicide même si elle sait se manifester indirectement (il y aurait un article à écrire à ce sujet). Les Musulmans quant à eux n’hésitent pas à traiter les Juifs d’assassins des Prophètes (dont Jésus). Et cette affaire religieuse se reporte dans l’aire politique puisque les Juifs (les Israéliens) sont accusés de tous les maux à l’égard des Palestiniens qui n’hésitent pas à reprendre des images christiques (à commencer par la Crucifixion) pour évoquer leurs malheurs. L’accusation médiévale de meurtre rituel est également recyclée : les Juifs aiment s’en prendre aux enfants palestiniens et blablabla. Lorsque les sornettes à caractère religieux deviennent des sornettes à caractère politique, les choses semblent empirer.

Donc, on a fait la poche des Juifs quand on ne les a pas kidnappés, ligotés et bâillonnés ; mais ce sont toujours eux les coupables, hier et aujourd’hui et probablement demain. Ce renversement victimaire est toujours très actif et efficace ; il entraîne de gros de la troupe, Chrétiens, post-Chrétiens et Musulmans. Il est vrai que des individus réfléchissent, reniflent la supercherie et envisagent le rôle central et résolument positif d’Israël pour le monde. Ils ne sont pas nombreux, vraiment pas nombreux. Je ne cherche pas à mettre Israël au-dessus de toute critique, mais je refuse toute critique envers Israël qui suppose son amoindrissement ou sa disparition, point à la ligne.

Je le redis, le judaïsme n’a pas de théologie, contrairement au christianisme. L’étude de cette théologie est certes passionnante (l’étude est toujours passionnante) mais la finalité de ces énormes constructions me reste mystérieuse. Elles impressionnent par leur volume et leur hauteur, mais pour le reste… Le judaïsme ne s’embarrasse pas de telles constructions et convie à l’Alliance, la Brit.

J’ai tendance à penser (et de ce point de vue je me sens juif) que tout messie qui est déjà venu est un faux messie. Ce point de vue ne facilite pas mes relations avec les Chrétiens. J’ai les plus grandes difficultés à effectuer la liaison – le saut – entre Jésus et le Christ. Ce petit trait d’union entre Jésus et Christ qui donne Jésus-Christ me semble hâtif et relever d’un tour de passe-passe. Certes, on me rétorquera : Tu crois ! Mais une autre voix me dit : Tu réfléchis. Tu réfléchis ! Quelle prétention me dira le Chrétien ! Avec tes moyens si limités ! Allez, un effort, tu crois et tu seras sauvé ! Martin Buber écrit quelque part (il me faudra trouver la référence) : « Telle est notre foi, la foi d’Israël : la Rédemption du monde est l’accomplissement de la création. Celui qui voit en Jésus le Messie qui accomplit l’histoire, celui qui l’élève à une place si haute, cesse d’être l’un de nous ; et s’il prétend contester notre foi en la Rédemption, alors nos chemins se séparent ». En fait, ce qui pose problème ce n’est pas la foi de Jésus mais la foi en Jésus, ce n’est pas la personne du Christ qui reste incompréhensible mais tout l’appareil théologique qui l’entoure et qui à certains moments semble même le soutenir. Je veux bien croire mais j’aime comprendre, surtout ce qui dépasse mon entendement…  Et vous vous souvenez du bon mot de David Ben Gourion, rapporté dans « Les premiers Israéliens » de Tom Seguev. Pour tempérer l’enthousiasme d’un participant à une rencontre au cours de laquelle était débattue l’identité juive, David Ben Gourion alors Premier ministre déclara (je cite de mémoire) que le Messie n’était pas venu et qu’il ne l’attendait pas, que lorsque son adresse figurerait dans l’annuaire il ne serait plus le Messie, que la seule utilité du Messie est qu’il ne vienne pas car l’attente du Messie est plus importante que le Messie lui-même et que le peuple juif vit dans cette attente et que sans elle et sa croyance en Lui le peuple juif n’existerait pas.

Au cours d’une conférence intitulée « Le renouveau du judaïsme », Martin Buber déclarait : « Ne pourrions-nous dire à ceux qui nous proposent aujourd’hui un rapprochement avec le christianisme : ce qui, au sein du christianisme, est créateur n’est pas le christianisme mais le judaïsme. »

Une petite anecdote pour terminer cette réponse (qui pourrait ne jamais finir). Il y a quelques jours, j’ai poussé la porte d’une église d’Espagne. Il faisant très chaud et j’ai apprécié la fraîcheur de cette belle construction. J’ai suivi la célébration et le sermon m’a ému. Plus question du « Nouvel Israël » (l’expression n’est plus employée mais les mécanismes qui la portent sont encore très actifs, et j’ai pris bien des notes à ce sujet) mais du Shabbat, de l’importance du Shabbat, « cette création juive fondamentale pour les Juifs mais aussi pour nous ». Et le célébrant s’est efforcé d’en exprimer l’importance suivant un discours assez proche de celui de Benjamin Gross – peut-être avait-il lu « Shabbat : un instant d’éternité ». Mais ce n’est pas tout : il a placé quelques mots d’hébreu dans son sermon. En l’écoutant, je me suis mis à espérer. Je me suis dit que le rapt que nous avons trop souvent opéré chez les Juifs allait se faire don. Car le judaïsme donne, ne cesse de donner et souvent sans le savoir. Certes, on peut se servir chez lui et en abondance car le judaïsme est généreux ; mais si nous le faisons, faisons-le avec reconnaissance, c’est-à-dire en commençant par citer nos sources et en cessant de nous contorsionner. Une fois encore, nous sommes dans l’inversion victimaire, si efficace ; nous accusons de vol celui que nous volons, nous accusons de violence celui que nous frappons.

J’en reviens au sermon en question. L’insertion de mots hébreux est très importante. Pour ma part, elle est essentielle. Je ne parle pas et ne lis pas cette langue ; mais la petite centaine de mots hébreux que je connais me permet lorsque je prononce l’un d’eux, à l’occasion, d’établir une proximité intellectuelle mais aussi affective avec un univers particulier, d’éprouver une ambiance unique. André Chouraqui évoquait sa traduction de la Bible en disant notamment qu’il a voulu rendre au Dieu de la Bible son nom d’origine qui est Adonaï Elohim, et non employer son équivalent grec ou latin. Dans la vie quotidienne, j’aime faire usage de mots hébreux.

Et j’en reviens à votre question. Mon intérêt pour les choses juives a des origines très diverses. Il tient en partie à mon étonnement au cours de célébrations chrétiennes, étonnement lié au fait que j’ai assez tôt éprouvé qu’il y avait dans les fondations de cette religion mondiale des… disons… des bizarreries, et qu’il me fallait enquêter, sans nécessairement chercher un coupable, mais enquêter. Et de l’antijudaïsme, je suis passé à l’antisionisme, car il y a un lien tenace entre ces deux choses. Je n’aime pas les affirmations massives, mais il en est une que je n’hésite pas à exprimer : l’antisémitisme et l’antisionisme sont incompréhensibles si aussi longtemps que l’on néglige l’antijudaïsme. Ce dernier n’explique pas tout mais il est en quelque sorte le point de passage obligé vers l’appréhension de ces phénomènes.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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Les Mythes fondateurs de l’Antisionisme contemporain, Pierre Lurçat

August 4 2021, 21:06pm

Posted by Marc Brzustowski

Le dernier ouvrage de Pierre Lurçat retrace la chronique de ce trait d’union de toutes les idéologies antijuives, qui se synthétise en un seul bouquet « final » dans la grande convergence historique de l’antisionisme.

Loin, en effet, de n’être qu’une simple « nouvelle expression » de l’antisémitisme traditionnel, réadaptée à notre époque post-Shoah, cette forme cathartique renouvelée de l’antique haine des Juifs constitue, selon les termes de Shmuel Trigano, une « nouvelle religion politique ».

Comme le dit l’auteur, l’ensemble de ses chapitres est un recueil de plusieurs cours structurés pour les dispenser dans le cadre de l’Université Populaire du Judaïsme, fondé par le philosophe.

Comme si nier la Shoah pouvait détruire la légitimité du nouvel Etat (Garaudy)

Le titre de l’ouvrage nous renvoie, parodiquement, à l’imposture de Roger Garaudy, ce négationniste et complotiste qui résumait la Shoah menée en Europe par le Nazisme à un « mythe »-prétexte à la fondation d’un Etat sioniste en terres « musulmanes ». Il résume, à lui seul, l’expérience collective de tous ces négateurs du droit à l’existence d’Israël, quel que soit le motif particulier qu’ils privilégient.

L’auteur décrit les motivations de la thèse fondamentale de ce « penseur » de l’anéantissement de l’Etat des Juifs en démontrant que pour le comprendre, il suffit d’inverser le postulat général : le refus de reconnaître l’existence de la Shoah est, d’abord et avant tout, un pilier de la négation du droit d’Israël à exister, en tant qu’expression de l’autodétermination d’un peuple, indépendamment de la tentative de démontrer que cet événement tragique ne serait pas déroulé à l’Est de l’Europe entre 1942 et 1945. Nier l’anéantissement des Juifs d’Europe ne sert pas à justifier ce régime en Allemagne à l’époque, ni le bienfondé d’une extermination, mais bien à assimiler l’actuel pays des Juifs à une démarche collective « d’usurpation » et de « génocide » d’autrui, les « victimes des victimes » (les Palestiniens), selon les termes d’Edward Saïd (lui-même usurpateur professionnel, puisque, contrairement à ses déclarations, il n’est jamais né à Jérusalem, mais bien au Caire, au sein d’une famille de antis égyptiens). Un peuple dont la cause est mise au point au détour de la défaite arabe de 1967, par le KGB et plusieurs services arabes. Sans quoi, les états coalisés contre l’Etat juif se seraient contentés de « jeter les Juifs à la mer », selon l’expression consacrée et de partager le territoire, comme ils comptaient le faire en 1948.

Détruire Israël : de la théorie à la pratique permanente (Hamas)

Toute contestation du droit « théorique » du peuple juif à constituer son propre état débouche inéluctablement sur la volonté d’y mettre fin : non seulement de démanteler les structures et instances « fonctionnelles de cet état, mais bien de disloquer et disperser ce peuple, comme l’empire romain l’a incarné au moment de l’Exil. Contestation du droit de ce peuple à reprendre en main son destin historique et délégitimation de cette construction étatique sont les deux premières formes d’antisionisme, qui se traduisent par sa diabolisation. Israël devient ainsi vite la source  de tous les maux de la région et, partant, de l’humanité dans son ensemble (voir Charte du Hamas).

Survient ensuite, sous couvert de critique politique « radicale » de la politique menée, la criminalisation du moindre de ses actes et décisions. Elle conduit à la caricature des premiers ministres israéliens comme de « bouchers » (Sharon, Netanyahu, avant eux Moshe Dayan, Begin, etc.).

La nouvelle internationale juive-sioniste

La cinquième forme d’antisionisme globalise l’ensemble juif mondial dans une internationale du crime, mêlant tout Juif de par le monde aux actes réels ou supposés de cet état, comme le soutenant intrinsèquement dans chacune de ses actions là où il se trouve. Ainsi peut-on raisonnablement incendier une pharmacie juive à Sarcelles en 2014 (ou une synagogue à la Roquette), en « représailles » aux bombardements de l’IAF, eux-mêmes motivés par les tirs de roquettes sans discontinuer sur le pourtour de Gaza et jusqu’à Tel Aviv et Haïfa.

Le cheikh Fadlallah  du Hezbollah parle simplement de la poursuite de la guerre ancestrale contre le « complot juif à l’encontre de l’islam » (sic.). L’inversion des causes et des effets permet d’engranger et entretenir le cycle continu de ces conflits épisodiques.

Du procès des Blouses Blanches au Parti d’Allah (Hezbollah)

Pierre Lurçat se focalise sur deux formes contemporaines d’antisionisme, qui en sont comme les père et mère fondateurs et alliés dès l’origine : l’idéologie soviétique et la lutte arabo-musulmane contre l’existence d’Israël. L’antisionisme devient, d’ailleurs, le dernier carré de la lutte antimondialiste, après la disparition de l’empire soviétique, la cause orpheline qui se perpétue en l’absence même d’idéologie de remplacement.

La première forme d’antisionisme culmine avec le procès des Blouses Blanches, à l’ère stalinienne, où les interrogateurs ont le « génie » soudain de remplacer l’ethnie mise en cause par la supposée aspiration à être « sioniste » (c’était-à-dire bourgeois déviant).

Avec Bat Ye Or, Pierre Lurçat dément une thèse en vogue : le monde musulman ne serait que comme une « page blanche » sur laquelle on aurait transposé, à l’identique, l’antisémitisme européen. La perfidie des Empires coloniaux, comme la France dans l’horrible « rumeur de Damas » (1840) ne peut occulter l’antijudaïsme intrinsèque de certains versets du Coran, qui a besoin de l’Autre pour s’y substituer comme prophète de vérité ultime. Ces remarques n’empêchent nullement l’auteure égyptienne de décrire une autre grande perversité, liée au partage d’un pourtant même sort de dhimmitude, entre Juifs et Chrétiens : la confirmation des thèses antisémites islamiques par de grands leaders des Chrétiens d’Orient, citant alors ses pires tenants : Antoun Sadé, créateur du Parti Social-Nationaliste syrien, George Habache (FPLP), Aflak, fondateur du Parti Baath, Alfred Roch, etc.

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https://terre-des-juifs.com/2021/08/01/les-mythes-fondateurs-de-lantisionisme-contemporain-pierre-lurcat/

 
 
 

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Le mythe de “l’intelligence artificielle” (I) : La métaphore et la tentation

August 1 2021, 09:37am

Posted by Pierre Lurçat

 

Cet article est le second volet d’un nouveau “feuilleton philosophique”, dans lequel je poursuis la réflexion entamée dans mon livre Seuls dans l’Arche, en analysant les conséquences de la révolution technologique et numérique sur la vie et sur la pensée humaine. P.L

 

Les utopies apparaissent comme bien plus réalisables qu’on ne le croyait autrefois. Et nous nous trouvons actuellement devant une question bien autrement angoissante : comment éviter leur réalisation définitive? Peut-être un siècle nouveau commence-t-il, un siècle où les intellectuels rêveront aux moyens d’éviter les utopies et de retourner à une société non utopique, moins “parfaite” et plus libre.

Nicolas Berdiaeff

 

L’intelligence artificielle, avant d’être un projet économique, technologique, voire philosophique, est avant tout une métaphore. A ce titre, elle n’a rien de foncièrement nouveau. Ce que l’écrivain Éric Sadin décrit comme le “”Veau d’or de notre temps” n’est en effet qu’une remise au goût du jour d’un mythe aussi ancien que l’humanité. De tous temps, l’homme a rêvé d’accéder à une condition surhumaine, de devenir l’égal des Dieux, ou d’être immortel… Et de tous temps, il a aussi imaginé de confier à des créatures non humaines - démons ou robots - une partie de ses attributs, croyant échapper ainsi à sa condition humaine. Le robot est certes une invention récente, qui a tout juste un siècle, mais le concept auquel il renvoie est bien plus ancien. 

 

D’où vient l’engouement actuel pour l’idée d’intelligence artificielle, et quelle est la signification profonde du projet sur lequel elle se fonde? Pour le comprendre; revenons à l’idée de métaphore d’où nous sommes partis, en gardant à l’esprit la notion de l’humain. La philosophie occidentale a longtemps hésité entre deux définitions de l’homme : celle d’être pensant, et celle d’être moral. Même lorsqu’elle a choisi la première - devenue prédominante au moins depuis Descartes - elle n’a jamais oublié la seconde. Ou pour dire les choses autrement : elle a toujours su que le savoir qui donne à l’homme son caractère spécial et éminent n’est pas seulement celui de la pensée calculante, mais aussi celui de la pensée capable de choisir entre le bien et le mal. Celui qui a le mieux exprimé cette complémentarité était le grand humaniste de la Renaissance, Rabelais, par sa fameuse maxime, “science sans conscience n’est que ruine de l’âme”.

 

Rabelais

 

Mais l’histoire de la philosophie occidentale est aussi celle de l’oubli progressif de cette vérité fondamentale et de la tentation permanente de définir l’homme uniquement comme “être pensant”, en oubliant qu’il est aussi (et peut-être surtout) “être agissant”, sommé à chaque instant de faire des choix, et donc de recourir à sa conscience morale. En quoi cela concerne-t-il la question de l’intelligence artificielle? Celle-ci, nous l’avons dit, est essentiellement une métaphore. Dire qu’un robot ou qu’un ordinateur est “intelligent” n’est pas plus exact que de qualifier un appareil photo ou un instrument de musique de “sensible”. L’intelligence et la sensibilité sont des qualités de l’homme et non des choses.

 

Nul ne prétendra sérieusement qu’un appareil photo ou qu’un piano possède une sensibilité au même titre qu’un être humain. Dire qu’il est “sensible” est  un anthropomorphisme et une pure métaphore, qu’on peut filer à l’avenant, sans être dupe de son caractère de figure de style. Un musicien pourra ainsi parler avec amour de son violon et des qualités qu’il lui attribue, en sachant parfaitement qu’il ne s’agit en fin de compte que d’un outil en bois savamment construit. En quoi l’ordinateur “intelligent” est-il différent du violon “sensible”? Il l’est précisément parce que nous avons tendance à oublier, dans son cas seulement, qu’il s’agit d’une métaphore. A force d’entendre parler jour après jour de l’intelligence artificielle et de ses avancées phénoménales, nous avons fini par oublier qu’il s’agissait d’une simple métaphore et que l’ordinateur ne deviendrait jamais “intelligent”, au même titre qu’un appareil photo - aussi sensible fut-il - n’aura jamais de sentiments.

 

Un “violon sensible” : Ivry Gitlis

 

 

Mais la question essentielle - et souvent éludée, y compris parmi les critiques les plus lucides de “l’intelligence artificielle” - est celle de comprendre comment nous avons pu prendre au sérieux cette métaphore. La réponse, explique Éric Sadin, tient largement au “tour de passe-passe” et à “l’appareillage verbal enjoliveur” dont se sont parés les thuriféraires de l’AI, pour mieux promouvoir leur projet technologique et idéologique, en  empruntant pour décrire les mécanismes de celle-ci le vocabulaire des sciences cognitives. Plus encore qu’un abus de langage et qu’une entreprise de marketing idéologique, il y a ici une confusion logique, dont on peut facilement démonter l’erreur de départ. Si, en effet, on définit le cerveau et l’intelligence humaine uniquement comme une machine à calculer, alors effectivement, un ordinateur est intelligent…

 

La notion “d’intelligence artificielle” repose entièrement sur cette erreur volontaire de définition, qui nous fait prendre pour leur quintessence ce qui n’est qu’un aspect étroit et très parcellaire de l’intelligence et de l’esprit humain. L’histoire récente de l’informatique - et en particulier celle de la cybernétique, discipline considérée comme l’ancêtre de l’IA - illustre bien cette erreur de vocabulaire. Dans un article publié en 1943, deux chercheurs américains affirmaient que le “cerveau représente une belle machine” dont ils entreprenaient de décrire le fonctionnement, en posant les jalons de la “science générale du fonctionnement de l’esprit” qui allait être développée lors des fameuses “conférences Macy” de New-York, entre 1946 et 1953.

 

 

Toute l’histoire de l’IA est celle d’une tentative de copier l’humain à travers des machines dites “intelligentes”, dotée d’organes effecteurs et d’organes sensoriels censés reproduire la morphologie humaine, correspondant ainsi à un “être vivant dans sa totalité”, selon l’affirmation du fondateur de la cybernétique, Norbert Wiener. Mais prétendre qu’une machine, aussi perfectionnée fut-elle, reproduise la “totalité de l’être vivant” est aussi chimérique que de construire un avion volant comme un oiseau, ou de transformer un robot en être humain. (à suivre...)

Pierre Lurçat

 

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”Un formidable parcours philosophique… Une méditation sur le sens de nos vies”. 

Marc Brzustowski, Menorah.info

“Une réflexion profonde sur des questions essentielles, comme celle du rapport de l'homme au monde et la place de la parole d'Israël”.

Emmanuelle Adda, KAN / RCJ

“Une analyse claire et percutante  de la définition de l’humain dans le monde actuel”

Maryline Médioni, Lemondejuif.info

 

 

En vente dans les librairies françaises d’Israël et sur Amazon.

 

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