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Jérusalem appartient à ceux qui l'aiment. Impressions recueillies le Yom Yeroushalayim

May 30 2022, 07:11am

Posted by Pierre Lurçat

Photos P. Lurçat

Photos P. Lurçat

 

Depuis bientôt trente ans que j’ai le privilège de vivre à Jérusalem, ville où se sont rencontrés mes grands-parents et où est née ma mère, je participe chaque année au traditionnel défilé des drapeaux du Yom Yeroushalayim, célébrant la réunification de la ville en 1967. Pourtant je n’ai jamais ressenti aussi fortement que cette année la joie particulière à cette fête, joie incomparable qu’on n’éprouve jamais aussi pleinement qu’en ce jour particulier. Impressions recueillies Yom Yeroushalayim 5782.


            Cela faisait déjà plus d’une semaine que les médias israéliens annonçaient que la Journée de Jérusalem se déroulerait dans une ambiance tendue, en raison des menaces du Hamas et des autres ennemis d’Israël, qui ne voulaient pas que le drapeau Juif soit brandi dans les rues de la Ville sainte réunifiée… Avec leur mauvais esprit typique, mélange de catastrophisme et de défaitisme, ils avaient presque réussi à nous faire oublier que ce jour est avant tout un jour de fête.

 

Mais le peuple d'Israël est plus intelligent que ses médias et surtout, plus confiant et plus au fait des choses essentielles. La foule qui défilait aujourd’hui dans les rues de la Nouvelle ville et de la Vieille ville était nombreuse - hommes, femmes et enfants, jeunes et vieillards (comme dans la prophétie d’Ezéchiel), Juifs religieux en majorité, kippot srougot prédominantes, mais aussi quelques Juifs orthodoxes ou laïcs, tous conscients de l’importance de cet anniversaire et de la Sainteté de ce Jour à nul autre pareil.

 

Comme chaque année, c'était les jeunes des Yeshivot sionistes qui constituaient l’immense majorité de cette foule bigarrée et joyeuse, défilant sous des banderoles au nom de leurs écoles et entonnant en boucle des vieux refrains israéliens et des chansons modernes, toutes à la gloire de Jérusalem. “Le peuple éternel n’a pas peur d’une longue route”, reprenaient-ils en chœur et ce refrain était comme un hymne à la gloire de ce jour.

 

“C’est comme un rite de passage” me fit remarquer mon ami Michel Koginsky. Oui, il y avait bien de cela… Car ces jeunes sont élevés dans l’amour de Sion et de Jérusalem, de la Torah, de la terre d’Israel et du peuple Juif. Il fallait voir avec quel entrain ils reprenaient les couples des Psaumes mis en musique et sautillaient sur place, embrassant les soldats et les garde-frontières qui les observaient eux aussi avec des yeux pleins de sympathie.

 

Jérusalem appartient à ceux qui l'aiment. Impressions recueillies le Yom Yeroushalayim

 

En les regardant, je sentais moi aussi mon cœur se gonfler d’amour pour notre peuple, si vieux et si jeune à la fois, si endurci par les souffrances et pourtant si plein de sentiments purs et de naïveté, cette “temimout” dont nos Sages disent qu’elle est un des traits caractéristiques du peuple Juif… Je pensais aussi à la description prophétique de Jérusalem faite par Theodor Herzl, notre nouveau Moïse, (que quelques esprits chagrins ou mal informés s’obstinent encore aujourd’hui à décrire comme un Juif assimilé). Quand j’ai été au musée du Mont Herzl, il y a une semaine, pour voir le manuscrit de son roman Altneuland exposé au public, à l’occasion des 120 ans de sa parution, j’ai été un peu déçu par les quelques pages jaunies exposées dans une vitrine.

 

Mais le plus bel hommage que le peuple ancien et nouveau rend au "Visionnaire de l’Etat" n’est pas sur le Mont qui porte son nom : il est dans les rues et les places de notre pays ancien-nouveau, cet Altneuland qui est si différent et pourtant si proche de la description qu’il en a faite dans son roman. Qu’il est beau, ce peuple à nul autre pareil ! Qu’elles sont gracieuses ces jeunes filles des oulpanot et qu’ils sont vaillants, ces jeunes élèves de yeshivot qui regardaient avec envie leurs aînés d’à peine quelques mois, portant fièrement l’uniforme des garde-frontière!  Si Yom Yeroushalayim s’est déroulé dans le calme et dans l’allégresse, c’est bien sûr grâce à la vigilance de nos policiers et de nos soldats, mais aussi à celle du “Gardien d’Israël, qui ne veille ni ne sommeille”.

 

Comme je l’écrivais l’an dernier, pendant les jours éprouvants de mai 2021, pour savoir à qui appartient Jérusalem, la ville que le monde entier, de Macron au Hamas - nous dispute, il suffit d’appliquer le jugement de Salomon, le “plus Sage des hommes” : qui, des deux “mères”, veut le bien de son enfant? Qui, de tous les peuples, a su réunifier la Ville sainte et en faire une capitale de paix et non de guerre ? Qui parle de Jérusalem comme ville de paix, et non comme un slogan guerrier pour inciter à la haine et à la violence ? Jérusalem appartient au peuple qui a su en faire une ville moderne, un “corps gigantesque qui vit et respire” selon les mots de notre dernier prophète, Zeev Binyamin Herzl. Oui, Jérusalem nous appartient, parce que nous seuls savons l'aimer et la faire prospérer. Yom Yeroushalayim Saméah!

Pierre Lurçat

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Mon dernier livre, Victor Soskice, vient de paraître aux éditions L'éléphant

Victor Soskice: héros inconnu - Causeur

Jérusalem appartient à ceux qui l'aiment. Impressions recueillies le Yom Yeroushalayim

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Yom Yeroushalayim : Comment notre peur de l’islam et des musulmans encourage leur violence

May 26 2022, 15:18pm

Posted by Pierre Lurçat

 

Les lignes qui suivent ont été écrites à la veille et au lendemain de Yom Yeroushalayim, en pleine vague de violence musulmanes du Ramadan à Jérusalem, à la frontière de Gaza et ailleurs, et juste avant le début du nouvel affrontement militaire qui a eu lieu il y a un an.

 

“Il n’y a rien de nouveau sous le soleil”, disait l’Ecclésiaste, “le plus sage de tous les hommes”. En 1921, au lendemain des terribles violences qui firent des dizaines de morts à Tel-Aviv, parmi lesquels l’écrivain Yossef Haim Brenner, de nombreuses voix au sein du Yishouv pleurèrent la terrible réalité des pogromes, auxquels ils avaient cru échapper en venant s’installer en Palestine pour “construire le pays et se construire”, selon le slogan sioniste. Plus encore que les morts de Tel-Aviv (et ceux de Hébron en 1929), c’est sur leurs propres illusions que ces pionniers sionistes versaient des larmes amères.

 

Sur la fosse commune des victimes des pogromes de Hébron, 1929

 

J’ai retrouvé la même désillusion, sous une forme différente, dans le récit que j’ai entendu récemment de la bouche d’un nouvel immigrant, venu s’installer à Jérusalem après avoir vécu longtemps à Paris. A travers son récit lucide se fait jour une vérité que beaucoup d’Israéliens de longue date ont tendance à oublier, ou à occulter. Voici son témoignage : “A l’oulpan, à Jérusalem, j’ai constaté que les élèves arabes, en surnombre dans la classe, jouissaient d’une position privilégiée. Le professeur leur donnait plus souvent la parole, et ils ne se privaient pas de faire “bande à part”, se comportant avec arrogance et mépris, avec son approbation tacite, alors que nous étions encouragés à faire profil bas”. Plus tard, j’ai retrouvé la même attitude lors de mes études, et plus tard encore, dans l'institution où j’effectue mon stage. Lors des réunions du personnel, chaque intervention d’un employé arabe est accueillie avec déférence et avec un excès de respect, comme si tout ce qu’il disait était parole sacrée… Je ne comprends pas cette attitude d’auto-effacement des Israéliens juifs face à leurs collègues arabes…”’

Pour répondre à la question de ce nouvel immigrant, j’ai cherché à comprendre les raisons de ce phénomène, qui sont multiples, parmi lesquelles on peut citer : la politique de “discrimination positive” menée par Israël pour encourager “l’intégration” des Arabes israéliens ; l'idéologie pacifiste juive, du Brith Shalom jusqu'à Shalom Archav (1), la méconnaissance de la culture arabe - surtout chez les Israéliens d’origine européenne - et en particulier de l’attitude de l’islam envers les minorités juives et chrétiennes (dhimmis) ; et enfin - et surtout - la peur de l’islam et des musulmans.

 

 La peur de l'islam, un sujet occulté

 

Ce sujet capital affecte non seulement la vie de tous les jours, dans les nombreux endroits où cohabitent Juifs et Arabes en Israël, comme ceux évoqués dans le témoignage ci-dessus, mais aussi la réalité de l’affrontement entre Israël et ses ennemis, à l’intérieur et aux frontières du pays. Quand Israël prétend “ramener le calme” à Jérusalem, en envisageant d’interdire des manifestations juives, quand il interdit toute prière sur le Mont du Temple, lieu le plus sacré du judaïsme, quand il s’abstient de riposter aux tirs de roquettes incessants venus de Gaza pendant des années, c’est cette même attitude de prudence timorée, mêlée d’ignorance et de peur, qui est à l’oeuvre.

 

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Batterie Kippat Barzel en action : puissance militaire et faiblesse politique

 

On me rétorquera bien entendu que dans le conflit face au Hamas, ou face aux émeutiers de Jérusalem, Israël est dans une situation de supériorité militaire ou policière, qui l’autorise à faire preuve de “prudence”, de “retenue”, ou d’autres qualités qui sont celles du fort envers le plus faible. Mais cette réponse tient d’une erreur de perspective, et aussi d’une tentative de nous mentir à nous-mêmes. Nous nous comportons comme si nous étions confrontés à un simple problème de police, ou à des “événements sécuritaires” (2), alors qu’il s’agit d’une guerre véritable, qui oppose une minorité juive à des ennemis faisant partie du vaste ensemble arabo-musulman.

 

 L'illusion de la puissance technologique

 

De fait, quand des Juifs sont caillassés ou agressés à Jérusalem ou ailleurs par des foules arabes, dans des circonstances qui rappellent les périodes les plus sombres de notre histoire, il s’agit d’une tentative de pogrome et pas d’un fait divers. Qui est le plus fort : le Juif orthodoxe qui tente d’échapper à ses agresseurs et de sauver sa vie, ou ceux-ci? Il en est de même à la frontière de Gaza: nous sommes persuadés d’être les plus forts, à l’abri derrière la barrière technologique du “Kippat Barzel”, qui détruit en vol (pas toujours) les roquettes lancées par l’ennemi, nous permettant de vivre dans une illusoire tranquillité (sauf pour les habitants des localités frontalières, dont la vie est transformée en enfer, dans l’indifférence générale). Mais cette force illusoire parvient mal à masquer une faiblesse morale et psychologique, qui éclate au grand jour quand le Hamas tire sur Jérusalem en plein Yom Yeroushalayim (3) 

 

C’est en effet à Jérusalem et notamment sur le Mont du Temple que cette faiblesse est le plus manifeste. A cet égard, l’attitude d’Israël sur le Mont du Temple constitue une double erreur, psychologique et politique. Psychologiquement, elle renforce les musulmans dans leur complexe de supériorité, en les confortant dans l’idée que l’islam est destiné à dominer les autres religions et que ces dernières ne peuvent exercer leur culte qu’avec l’autorisation et sous le contrôle des musulmans, c’est-à-dire en étant des « dhimmis ». 

 

Politiquement, elle confirme le sentiment paranoïaque de menace existentielle, que l’islam croit déceler dans toute manifestation d’indépendance et de liberté de ces mêmes dhimmis à l’intérieur du monde musulman. Paradoxalement, la souveraineté juive à Jérusalem est perçue comme une menace pour l’islam, précisément de par son caractère incomplet et partiel : les Juifs sont d’autant plus considérés comme des intrus sur le Mont du Temple, qu’ils n’y sont pas présents à demeure et qu’ils y viennent toujours sous bonne escorte, comme des étrangers et des envahisseurs potentiels.

 

Comment Israël a perdu la guerre psychologique

 

En apparence, Israël n’a pas peur du terrorisme, qu’il combat efficacement, et dont il a largement triomphé sur presque tous les fronts. Sauf sur un point essentiel : la guerre psychologique. Israël (et l’Occident tout entier) a perdu la guerre psychologique contre le Hamas et contre l’islam en général, parce qu’il a intégré dans sa propre psyché la peur de l’ennemi, arme psychologique la plus redoutable de tous les terrorismes, et dont l’islam a fait sa spécialité, en jouant constamment sur le double dispositif mental et militaire de la peur et de la soumission, de l’apitoiement et de la terreur.

 

La meilleure preuve de cette réalité paradoxale est l’attitude des responsables de services de sécurité israéliens à Jérusalem (Shin Beth, police, etc.), qui mettent constamment en garde le public israélien contre le risque “d’embrasement”’ du Mont du Temple, ce “baril de poudre” qui pourrait selon eux déclencher une “guerre mondiale”, si l’on autorisait une pognée de Juifs à venir y exercer librement leur culte, comme le proclament pourtant la Déclaration d’indépendance d’Israël et toutes les déclarations universelles des Droits de l’homme. Ces prétendus “gatekeepers”, censés assurer la responsabilité suprême de la sécurité d’Israël, sont devenus depuis longtemps les pourvoyeurs d’une idéologie défaitiste, par un curieux mécanisme psychologique qui reste à explorer.



 

La synagogue de Névé Dekalim, détruite après le retrait de Gaza

 

En définitive, cette attitude de peur se retourne également contre nos ennemis, en les poussant à la surenchère et en les empêchant de grandir, de se développer et de renoncer à leurs rêves funestes et infantiles. N’oublions pas que c’est le retrait de Gaza orchestré par Ariel Sharon qui a mis au pouvoir le Hamas, sous le joug duquel souffrent des millions de musulmans, et que ce sont les accords d’Oslo qui ont amené Arafat au pouvoir. La peur (et la corruption, intellectuelle et matérielle) a toujours été mauvaise conseillère. “Il est “plus difficile d’extirper la Galout du Juif que de faire sortir  les Juifs de la Galout”, disait Manitou. Le jour où  nous cesserons d’avoir peur de l’islam, nous pourrons enfin devenir ce “Nouveau Juif” que Jabotinsky appelait de ses voeux et gagner le respect de nos ennemis, et le nôtre.

Pierre Lurçat

 

1. Sur l’idéologie pacifiste, je renvoie à mon livre La trahison des clercs d’Israël, La Maison d’édition 2016.

2.  Le vocabulaire employé en Israël pour décrire les pogromes arabes a toujours été marqué par l’understatement, depuis l’euphémisme des “événements de 1929”

3. Sur l’illusion technologique que représente Kippat Barzel, voir http://vudejerusalem.over-blog.com/2019/11/israel-face-a-gaza-sortir-de-l-illusion-technologique-et-retrouver-les-valeurs-de-tsahal-pierre-lurcat.html.

 

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“L’homme de l’avenir sera religieux” : Jabotinsky, visionnaire du réveil spirituel de l’humanité

May 19 2022, 13:39pm

 

On a toujours tort d’avoir raison avant son époque… Jabotinsky, l’enfant terrible du sionisme russe, a eu raison avant sur ses contemporains sur de multiples sujets : sionisme, enseignement de l’hébreu, importance de l’auto-défense, etc. Sur la plupart de ces sujets, ses opposants ont fini par lui donner raison, parfois à titre posthume.

Mais il est un sujet peu connu  sur lequel il s’est également montré visionnaire : celui des rapports entre l’Etat et la religion et sur la place que la tradition juive devait occuper dans le futur Etat juif à l’édification duquel il a consacré sa vie, et dont il n’a pas vu le jour, étant comme Moïse, resté sur l’autre rive… Extrait du recueil “Etat et religion, Questions autour de la tradition juive” que j’ai récemment publié aux éditions de l’éléphant.

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 Ce petit livre permet de mieux connaître celui qui fut le créateur du mouvement sioniste révisionniste... On découvre ainsi l’attachement de ce grand leader à la religion juive. Impressionnant !

Jean-Pierre Allali (Crif.org)

 

“La génération à laquelle j’appartiens – fruit de l’assimilation russe dans le sud du pays, région où il n’existait aucune localité juive ancienne possédant une tradition bien établie – cette génération n’était pas, en réalité, “athée”. L’athéisme consiste en effet à professer une opinion, à soutenir une conception, même négative : “J‘affirme qu’il n’existe pas de Dieu”. Ma génération ne soutenait plus aucune conception en la matière. “Il se peut que Dieu existe, et il se peut que non, en quoi cela me concerne-t-il ?” Indifférence totale, dénuée de toute amertume, de toute colère ; sentiment comme celui qu’on éprouve pour la neige de l’an passé.

            Personne ne pourra dire qu’une telle génération est nécessairement une génération de voleurs et de criminels. Il se peut que ma génération ait donné au peuple Juif un pourcentage d’honnêtes gens qui n’est pas inférieur à celui des générations précédentes. Il existe des personnes, pour lesquelles la musique ou la poésie “n’existent pas”. Elles peuvent être des personnes tout à fait intelligentes, pourtant la question est de savoir, si le développement de telles personnes est achevé ? Est-ce que leur esprit est achevé, mûr et parfait à tous égards – du fait qu’il est incapable de saisir la magie des notes de musique, ou du fait qu’à leurs yeux, le plus beau poème n’est qu’une suite de mots rimés ?

     

“L’homme de l’avenir sera religieux” : Jabotinsky, visionnaire du réveil spirituel de l’humanité

       La musique et la poésie sont deux émotions considérables ; l’homme auquel une des deux fait défaut, ou même les deux, est un homme pauvre et défavorisé. Et pourtant, que sont la musique et la poésie, en comparaison de cette émotion dont la musique et la poésie sont peut-être la conséquence ? Elles expriment la nostalgie de l’âme humaine, qui nous a contraints, depuis l’époque du premier homme, à peupler les cieux et la terre, le fleuve, la mer et la forêt des secrets de la vie. Nostalgie, qui nous a contraints à plier le genou devant une force que nous n’avons jamais vue ; qui a engendré des guerres, qui a formé des bourreaux et des héros, a donné naissance à l’architecture et à la peinture, la sculpture et la philosophie. De tous les éléments spirituels de l’histoire mondiale, la religion a toujours été le plus puissant. Au Moyen-Âge – elle était sans doute l’élément le plus puissant de tous, spirituels ou “matériels”. Et voici qu’au terme de tout cela, apparaît une génération pour laquelle “il n’existe aucun problème”, et aux yeux de laquelle la question de la religion tout entière est en fait un malentendu. Comme la neige de l’an passé… Cela est quelque peu étonnant. C’est comme si l’on venait nier l’existence de l’océan, ou de l’Amérique et de l’Australie, ou de la stratosphère, du système des constellations – on ne les voit pas et on n’a aucune envie de la voir.

            Chez l’homme qui est pleinement évolué, il n’est pas possible qu’une émotion aussi considérable fasse défaut. L’homme de l’avenir, l’homme entier, auquel aucun sens ne manquera, sera “religieux”. Je ne sais pas quel sera le contenu de sa religion ; cependant il sera porteur du lien vivant entre son âme et l’infini, qui l’accompagnera partout où il ira… »

Etat et religion – Éditions L’éléphant (editions-elephant.com)

“L’homme de l’avenir sera religieux” : Jabotinsky, visionnaire du réveil spirituel de l’humanité

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Lire ou relire La manipulation des enfants, de Liliane Lurçat : Un essai captivant sur la manipulation des esprits contemporains

May 15 2022, 08:48am

Posted by Pierre Lurçat

Lire ou relire La manipulation des enfants, de Liliane Lurçat :  Un essai captivant sur la manipulation des esprits contemporains

 

לזכר אמי

נפטרה בי' באייר תשע''ט

 

La première édition de La manipulation des enfants est parue il y a vingt ans, en 2002, dans la collection “Esprits libres” que dirigeait alors Chantal Chawaf aux éditions du Rocher. Une nouvelle édition a été publiée six ans plus tard par l’éditeur François-Xavier de Guibert. Cette dernière est le dernier livre publié par l’auteur, directrice de recherche au CNRS et spécialiste de psychologie de l’enfant, décédée en 2019, il y a tout juste trois ans. Comme elle l’explique dans la dédicace du livre, dédié à Henri Wallon, ce dernier l’avait “initiée à une psychologie aujourd’hui disparue, héritière d’une grande tradition de psychologie pathologique et de psychologie sociale”.

 

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Henri Wallon (1879-1962)

 

La disparition de cette école de psychologie française était un sujet de préoccupation pour Liliane Lurçat. Cette tradition oubliée, qui se tenait à égale distance de la psychanalyse et de la psychologie cognitiviste américaine dont elle se différenciait tout autant, était caractérisée par une approche très large de la discipline, bien éloignée des conceptions actuelles. Dans l’esprit de Wallon, en effet, la psychologie ne se séparait pas de la philosophie (qu’il avait brièvement enseignée avant de bifurquer vers la psychologie). Elève et disciple de Wallon, Liliane Lurçat est restée fidèle sa vie durant à cette idée de la psychologie, comme en atteste son refus de “singer” les sciences dures (et la physique notamment) dans l’étude des phénomènes psychologiques et dans l’étude de l’être humain, sujet de recherche irréductible à aucun autre.

 

Le titre de son livre, La manipulation des enfants par la télévision et par l’ordinateur, est trompeur, car l’objet du livre dépasse de loin le seul sujet des influences télévisuelles sur l’enfant, qui a constitué un de ses derniers grands thèmes de recherche et d’écriture, à partir du début des années 1980[1]. En réalité, le livre aurait pu s’intituler “La manipulation ; s’imprégner, imiter, oublier”, trois des thèmes traités dans cet essai, “où il est question de télévision et d’école dans le monde actuel”, comme elle l’explique dans le préambule. C’est en effet le thème de la manipulation qui est le fil conducteur de cet essai, dans lequel L. Lurçat prend de la hauteur pour envisager dans une perspective plus large le thème de la télévision et de l’enfant, auquel elle a consacré quatre ouvrages entre 1981 et 1995[2].

 

De la psychologie de l’enfant à la psychologie des médias

 

Retraçant son parcours professionnel et l’évolution de son domaine de recherche, elle écrit : “J’ai voulu comprendre la démarche du jeune enfant confronté aux apparences télévisuelles… Puis, élargissant le problème, je suis passée de la psychologie de l’enfant téléspectateur à la psychologie des médias”. La recherche sur l’enfant face à la télévision qu’elle a menée pendant une décennie est ainsi le point de départ d’une réflexion passionnante et très actuelle sur la manipulation des esprits en général, dans laquelle elle aborde des sujets aussi divers que la perte du sens commun, la persuasion politique, l’imprégnation télévisuelle ou la “suggestion négative”. Ce dernier concept en particulier, qu’elle emprunte à Pierre Janet en lui donnant un sens nouveau, lui permet de décrire les phénomènes de contagion émotionnelle et de déculturation, tant à l’école (qui a été son premier champ de recherches, depuis les années 1970) que dans la société en général.

 

La description des phénomènes vécus par les enfants permet ainsi de comprendre l’évolution de la société tout entière, car l’école est devenue un véritable laboratoire social, et ce d’autant plus que la télévision (et les autres médias) ont entraîné une véritable “fusion des âges” et fait ainsi disparaître “‘l’enfance, en tant que période protégée de la vie[3]. Cette “disparition de l’enfance” décrite par plusieurs penseurs américains (J. Meyrowitz, Neil Postman) est au cœur de la réflexion de l’auteur, qui montre comment les médias électroniques privent l’enfant d’étapes essentielles de son développement. Parmi celles-ci, on peut mentionner non seulement l’acquisition des apprentissages fondamentaux (lire, écrire), auxquels L. Lurçat a consacré une vaste partie de ses recherches et plusieurs ouvrages[4], mais aussi la socialisation (remplacée par une “forme artificielle de socialisation par la télévision”) ou encore la perte du sens commun, conséquence de la limitation sensorielle inhérente à la situation télévisuelle.

 

 

La lecture de La manipulation des enfants, paru en 2002, permet de constater combien les analyses de l’auteur demeurent pertinentes aujourd’hui. En réalité, on s’aperçoit non seulement que les constats faits il y a 20 ans et plus, en étudiant les effets de la télévision sur les enfants et sur l’ensemble de la société restent tout aussi valables aujourd’hui qu’alors, mais on découvre également que l’analyse offerte dans ce livre est en réalité encore plus vraie aujourd’hui, à l’ère des nouveaux médias (Internet, réseaux sociaux). La lecture de ce livre - tout comme celle des ouvrages de Neil Postman et d’autres observateurs datant des années 1970 ou plus anciens - montre que les bouleversements que nous vivons actuellement ne sont que l’ultime phase de la transformation sociétale et humaine qu’ils avaient déjà décrite à leurs époques respectives.

 

Une rupture anthropologique

 

Citons à ce sujet Marshall Mac Luhan, qui écrivait en 1977 : “A l’inverse des changements antérieurs, les médias électriques constituent une transformation totale et presque immédiate de la culture, des valeurs et des comportements ; Ce bouleversement engendre de grandes souffrances et une perte d’identité auxquelles on ne pourrait remédier qu’en prenant conscience de sa dynamique[5]. Que dirait-il aujourd’hui de la transformation de la culture et des valeurs ? Il est frappant de voir combien les analystes les plus lucides de la télévision dans les années 1970 et 1980 avaient largement anticipé les évolutions plus récentes de nos sociétés.

 

Ces évolutions sont décrites par Liliane Lurçat dans deux parties éclairantes de son livre, consacrées respectivement aux “Mutations du mode de vie et des personnes”, et à la “Déréalisation” et à la “Perméabilité à la suggestion dès l’enfance”. Les phénomènes décrits par Lurçat - à une époque antérieure à Internet - comme la “substitution de la télévision au milieu humain”, “la perte de l’initiative et des choix personnels”, la “perte du réel” et la “fuite devant la réalité”, le “rapport onirique au réel”, les “bombardements émotionnels”, etc. restent valables, avec une force décuplée, dans le monde de la “réalité virtuelle” et des réseaux.

 

A travers son analyse percutante de la transformation de l’être humain engendrée par les médias électroniques, Liliane Lurçat tord le cou à deux idées reçues devenus de véritables “articles de foi” de notre civilisation technologique. La première est l’idée que les techniques sont “neutres” et ne modifient pas l’être humain dans sa nature profonde. La seconde est la croyance au progrès inéluctable de l’humanité, et la confusion entre progrès moral et progrès technologique. Comme l’écrivent Yves Marry et Florent Souillot dans un livre récent au titre éloquent, La guerre de l’attention, Comment ne pas la perdre[6], la modernité technologique provoque une véritable “rupture anthropologique”. Ce sont les prémisses de cette rupture anthropologique que décrit Liliane Lurçat dans ce livre passionnant, qui éclaire et permet de comprendre notre monde actuel.

 

Pierre Lurçat

 

[1] Son premier livre sur le sujet, A cinq ans seul avec Goldorak, Le jeune enfant et la télévision, est paru en 1981 chez Syros.

[2] Outre le premier déjà cité, Le jeune enfant devant les apparences télévisuelles, Paris ESF 1984, Violence à la télé, l’enfant fasciné, Paris, Syros 1989, et Le temps prisonnier, des enfances volées par la télévision, Paris, Desclée de Brouwer 1995.

[3] Joshua Meyrowitz, “L’enfant adulte et l’adulte enfant. La fusion des âges à l’ère de la télévision”, in Le temps de la réflexion, Essais sur la tradition et l’enseignement, Gallimard 1985.

[4] Depuis sa thèse, Etudes de l’acte graphique, Paris, La Haye, Mouton 1974 et jusqu’à L’écriture et le langage écrit de l’enfant, Paris, ESF 1985.

[5] M. Mac Luhan, “D’œil à oreille”, La nouvelle galaxie, Denoël-Gonthier, 1977, cité par L. Lurçat, La manipulation des enfants, op. cit. p.11.

Liliane Lurçat (1928-2019)

Liliane Lurçat (1928-2019)

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Le Conseil d’Etat et l’antisionisme : un nouveau Statut des Juifs en France ? Pierre Lurçat

May 10 2022, 07:38am

Logo du “Comité Palestine Vaincra”, affiché sur son site

Logo du “Comité Palestine Vaincra”, affiché sur son site

Une version abrégée de cet article est parue sur Causeur.fr

 

Dans l’actualité des lendemains d’élection présidentielle, la nouvelle est passée quasiment inaperçue : le Conseil d’État, statuant en référé, a invalidé vendredi 29 avril la décision du Ministère de l’Intérieur de dissoudre deux associations propalestiniennes radicales, le “Collectif Palestine Vaincra” et le “Comité Action Palestine”. Au-delà de son aspect purement judiciaire, cette décision illustre le double discours de la France au sujet du conflit israélo-arabe et de ses retombées en France.

 

 

C’était le 25 février dernier : à quelques heures du traditionnel dîner du CRIF, le ministre de l’Intérieur annonçait sa décision de dissoudre deux associations propalestiniennes radicales, en raison de leurs appels “à la haine, à la discrimination et à la violence” et de leur soutien affiché à des actes terroristes. Un rapide coup d’œil sur le site Internet du Collectif Palestine Vaincra permet de comprendre que la décision du ministre Darmanin était pleinement justifiée sur le plan des faits.

 

Celui-ci affirme en effet soutenir “la lutte du peuple palestinien contre le sionisme, l’impérialisme et les régimes réactionnaires arabes pour la libération de toute la Palestine de la mer au Jourdain (ce qui est confirmé par le logo sur lequel l’État d’Israël est entièrement effacé) et soutenir “la Résistance qui est le seul moyen pour le peuple palestinien de reconquérir ses droits historiques et légitimes. Nous la soutenons sous toutes les formes qu’elle juge nécessaire et légitime, y compris armée”.

 

On ne saurait être plus explicite. Ce soutien sans faille et sans tabou s’accompagne de campagnes menées sur le territoire français en faveur du boycott d’Israël, de la libération de terroristes condamnés et emprisonnés en Israël et de la cause palestinienne en général. La rhétorique du Comité Action Palestine est largement similaire, avec des communiqués mettant en cause la politique de la France “aux ordres de ses maîtres sionistes" et autres déclarations du même acabit. Parmi les “partenaires” du Collectif figure en bonne place le mouvement terroriste FPLP, branche de l’OLP d’obédience marxiste dont la phraséologie du Collectif s’inspire manifestement.

 

Dans ces circonstances, la décision du Conseil d’État s’apparente à un blanc-seing offert aux associations propalestiniennes les plus radicales, pour poursuivre leurs activités sur le sol français, au nom de la “liberté d’expression”. La lecture des deux décisions en référé est instructive. On y apprend notamment que le Collectif a prétendu devant le Conseil d’État que sa charte “faisait état de son soutien à la cause palestinienne sans prôner la violence ou la lutte armée”, alors même que cette charte affirme soutenir la “résistance” palestiniennesous toutes les formes qu’elle juge nécessaire et légitime, y compris armée”.

 

On reste sidéré qu’un mensonge aussi flagrant ait pu convaincre les membres éminents de la plus haute juridiction administrative française. Les juges du Conseil d’État savent-ils lire ? La position du Conseil d’État est exactement à l’opposé de celle que défend le ministre de l’Intérieur, mais également le président de la République Emmanuel Macron, qui a régulièrement affirmé que l’antisionisme était une forme d’antisémitisme.

 

La même dissonance se retrouve à l’égard de l’appel au boycott d’Israël, que le Conseil d’Etat considère comme légitime, affirmant que « l’appel au boycott, en ce qu’il traduit l’expression d’une opinion protestataire, constitue une modalité particulière d’exercice de la liberté d’expression et ne saurait par lui-même, sauf circonstances particulières établissant le contraire, être regardé comme une provocation ou une contribution à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes ». Cette affirmation contredit des dispositions de loi très claires qui font de l’appel au boycott une infraction pénale, comme le rappelait récemment le CRIF.

Comment comprendre dès lors ce double discours des autorités politiques et judiciaires françaises sur ce sujet ? Comme le rappelle Yves Mamou dans un livre récent (Le grand abandon, Les élites françaises et l’islamisme), ce sont les élites - et notamment les grands corps de l’État - qui sont le plus en pointe pour soutenir l’islamisme et pour laisser émerger sur le territoire français une “nation musulmane”, dont les valeurs sont contraires à celles de la République. La décision du Conseil d’État corrobore cette analyse.

 

Comme dans l’affaire Sarah Halimi, la justice française, jusque dans ses plus hautes instances, s’avère être le “maillon faible” dans la lutte contre l’antisionisme et l’antisémitisme, et pour le respect des principes républicains et de l’État de droit menacé par l’islam radical et ses soutiens. Les belles proclamations dans le sens contraire du président Macron ne modifient en rien cette triste réalité. La décision du Conseil d’Etat dans cette affaire confirme l’impression donnée par la Cour de cassation dans l’affaire Halimi : aux yeux des plus hautes instances de la justice française – dans sa branche judiciaire comme dans sa branche administrative – l’antisionisme/antisémitisme ne sont plus aujourd’hui une circonstance aggravante, mais bien une circonstance atténuante ! Cette sinistre réalité qui émerge sous nos yeux ressemble de plus en plus à un nouveau « Statut des Juifs » en France.

P. Lurçat

Manifestation contre Israël (source : site du Collectif Palestine vaincra)

Manifestation contre Israël (source : site du Collectif Palestine vaincra)

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Arik Einstein et la liturgie laïque du Yom hazikaron, Pierre Lurçat

May 4 2022, 09:15am

Posted by Pierre Lurçat

« Ses chansons étaient des prières » :

« Ses chansons étaient des prières » :

"les jours les plus marquants du calendrier israélien sont deux dates dont le cérémonial et la « liturgie » sont largement laïques : Yom Ha’atsmaout (Journée de l’Indépendance), et Yom Hazikaron  (Jour du Souvenir des soldats). Ce dernier jour, en particulier, est pour la plupart des habitants d’Israël indissociablement lié aux chansons qui passent en boucle à la radio pendant toute la journée, et dont beaucoup ont été écrites ou chantées par Arik Einstein. De ce point de vue, on peut dire que les chansons d’Einstein appartiennent non seulement au folklore israélien, mais aussi au rituel presque sacré du jour qui est le plus fédérateur de toute l’année, celui du Souvenir des soldats "

 

 


 

Lors de mon premier séjour en Israël, à l’âge de 17 ans, un des tout premiers disques que j’ai achetés était celui d’Arik Einstein, « Reguel po, reguel sham » (« Sitting on the Fence » en anglais). A l’époque, je ne comprenais presque rien des paroles de ses chansons, mais elles me parlaient quand même et trouvaient une résonance intime en moi (de même que j’ai su que ce pays était le mien, bien avant d’avoir compris que j’étais sioniste…). Ce souvenir personnel, qui ressemble sans doute à ceux de beaucoup d’olim, traduit à mes yeux le secret de l’affection que je portais – que nous portons – au chanteur qui vient de s’éteindre : ses chansons exprimaient, avec tant d’autres et peut-être plus encore que les autres, la quintessence de l’être israélien. Quel était son secret, et quel est le secret de cet « être israélien » ?

 

Répondre à cette question, c’est tenter de définir ce qui constitue le cœur de la culture israélienne. Né à Tel-Aviv en 1939, Einstein appartient à la « génération de l’Etat », celle des sabras qui n’ont pas connu l’exil. Son père faisait partie du théâtre Ohel, troupe d’inspiration socialiste fondée en 1925 (dont un des plus grands succès fut l’interprétation du « Brave Soldat Schweik »). La carrière musicale d’Arik Einstein est impressionnante : sa discographie s’étend du début des années 1960 à la fin des années 2000, soit un demi-siècle de création et d’interprétation musicale (outre sa carrière d’acteur).

 

 

Il est souvent considéré comme le fondateur du rock israélien (avec Shalom Hanoch) et comme celui dont l’œuvre a fait le lien entre les chansons hébraïques de l’époque d’avant l’Etat et la musique israélienne contemporaine. Mais dire que ses chansons figurent parmi les plus connues, et les plus jouées à la radio – jusqu’à ce jour, ce qui est remarquable pour un artiste de sa génération – ne suffit pas à décrire l’apport d’Einstein à la vie musicale et culturelle israélienne, et à la vie israélienne tout court. Comme l’écrivait Hemi Shalev dans Ha’aretz, Arik Einstein était « la voix d’Israël », et il incarnait ce « nouvel Israël, libéral (au sens américain) et séculier que nous pensions autrefois devenir… ». On ne saurait mieux définir tout ce qu’il représentait et représente aux yeux d’une large fraction du public israélien. Cet homme discret et modeste, qui n’aimait pas monter sur scène et détestait l’aspect commercial du métier d’artiste, incarnait en effet un visage d’Israël que beaucoup regardent aujourd’hui avec nostalgie et évoquent avec un sentiment quasi-religieux.

 

Le projet culturel sioniste et la musique israélienne

Ce visage d’Israël est étroitement lié au projet culturel, aussi ancien que le mouvement sioniste lui-même, et qui a engendré certaines des crises politiques les plus graves tout au long de l’histoire du mouvement sioniste, puis de l’Etat d’Israël, de l’époque d’Herzl 1 et jusqu’à nos jours. Pour le résumer en une phrase, on peut dire qu’il s’agit de créer une culture israélienne ou hébraïque profane, capable de rivaliser avec la vieille culture juive religieuse ou sacrée…

 

On pourrait dire, pour simplifier les choses et employer une forme de raccourci journalistique, que l’Israël qui pleure aujourd’hui Arik Einstein est celui qui n’a pas pleuré lors des monumentales funérailles du rav Ovadia Yossef, il y a quelques semaines. Mais la réalité est plus complexe, car ces « deux Israël » se recoupent dans une certaine mesure, jusque dans la famille d’Arik Einstein – dont les deux filles sont devenues ‘harédi en épousant les fils d’Ouri Zohar 2, son vieux camarade devenu un Juif orthodoxe – et beaucoup d’Israéliens vivent à la frontière entre les deux, « un pied d’un côté et un pied de l’autre » (pour citer une chanson d’Arik Einstein…).

Arik Einstein, avec Uri Zohar

 

On entend souvent dire que la culture israélienne laïque est en recul et on parle beaucoup du retour aux racines juives et à la tradition, qui touche le monde culturel et aussi la musique israélienne contemporaine. Mais ce n’est qu’un aspect de la réalité. Car de manière concomitante à ce retour aux sources, la culture israélienne laïque vit et se développe. Le projet culturel israélien – celui de fonder une culture laïque largement coupée des racines juives – n’a certes pas entièrement réussi, comme en témoigne le retour à la tradition d’une large partie du monde culturel et de la société israélienne dans son ensemble, mais il n’a pas totalement échoué non plus. On en donnera pour preuve le fait que les jours les plus marquants du calendrier israélien sont deux dates dont le cérémonial et la « liturgie » sont largement laïques : Yom Ha’atsmaout (Journée de l’Indépendance), et Yom Hazikaron  (Jour du Souvenir des soldats).

 

Ce dernier jour, en particulier, est pour la plupart des habitants d’Israël indissociablement lié aux chansons qui passent en boucle à la radio pendant toute la journée, et dont beaucoup ont été écrites ou chantées par Arik Einstein. De ce point de vue, on peut dire que les chansons d’Einstein appartiennent non seulement au folklore israélien, mais aussi au rituel presque sacré du jour qui est le plus fédérateur de toute l’année, celui du Souvenir des soldats (et aussi de certains jours tristes comme ceux d’attentats particulièrement tragiques ou celui de l’assassinat d’Itshak Rabin, dont on a vécu une sorte de « remake » lors du décès d’Einstein).

 

Plus généralement, elles appartiennent au cœur de l’expérience vécue par les Israéliens, dont beaucoup considèrent ces chansons comme une forme de prières (car Israël, même lorsqu’il ne respecte pas toutes les mitsvot, reste un peuple qui prie !) ; et elles contribuent à définir ce qui constituera sans doute un jour un élément central de l’histoire moderne d’Israël – histoire tout à la fois sacrée et profane – une sorte de « Méguilat Ha’Atsmaout » qui s’écrit sous nos yeux, dans la joie et dans les larmes.


 

1. L’opposition des rabbins à Herzl provenait essentiellement du projet sioniste de fonder une culture juive profane, soutenu par Herzl au début.

2. L’histoire de Zohar et Einstein – deux amis séparés par le « retour » du premier, mais dont les enfants se sont doublement unis par le mariage – est éminemment symbolique des rapports conflictuels mais néanmoins fraternels entre les différents secteurs de la société israélienne.

 

Extrait de mon livre, Israël, le rêve inachevé, éditions de Paris/Max Chaleil. P.L.

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