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Vers le sionisme suprême : De la religion dans l’État d’Israël, Pierre Lurçat

January 19 2023, 09:07am

Posted by Pierre Lurçat

Jabotinsky passant en revue une troupe du Betar/ Camp d’ Hunter/État de New York/ 3 août 1940/Jabotinsky Institute

Jabotinsky passant en revue une troupe du Betar/ Camp d’ Hunter/État de New York/ 3 août 1940/Jabotinsky Institute

Je dédie cet article à la mémoire de Jacques Kupfer, dont la Hazkara aura lieu ce soir (jeudi)

La cause sioniste a rallié de brillantes personnalités, des « caractères » … Dans la grande galerie de ces personnages souvent étonnants, Vladimir Jabotinsky occupe une place éminente, mais aussi singulière. Cet orateur incisif, ce propagandiste zélé fut un homme d’action infatigable : fondateur du Parti révisionniste hostile à la puissance mandataire britannique et initiateur de la Légion juive, il a milité ardemment pour préserver son peuple et bâtir un État affranchi de toute tutelle étrangère. Mais, parallèlement à toutes ses actions, éclatantes sinon toujours couronnées de succès, il n’a cessé de mener, au cours de son existence mouvementée, une réflexion soutenue sur la mission d’un futur État d’Israël, sur la spécificité de la nation juive, sur le rôle qu’elle est appelée à jouer dans l’histoire. On découvre ainsi, dans ses écrits nombreux, une pensée politique originale et fort consistante. Dans le recueil de textes réunis sous le titre : Questions autour de la tradition juive, il réfléchit sur le rôle que doit prendre la religion dans l’État hébreu qu’il appelle de ses vœux.

Un éloignement mêlé de respect

Moshé Bella, auteur d’un livre de référence sur Jabotinsky, relate l’anecdote suivante : quand Eri Jabotinsky, le fils du Roch Betar, qui se trouvait alors à Addis-Abeba, lui donna son accord pour publier un recueil d’articles de son père, il lui fit cette demande : « S’il vous plaît, ne transformez pas mon père en Juif religieux ». Et il ajouta : « Mon père n’était pas religieux. Si vous publiez des articles exprimant une attitude positive envers la religion, publiez également des articles hérétiques (“אפיקורסים/apikorsim”) ». Cette anecdote permet de saisir la complexité de l’attitude de Jabotinsky envers la religion juive (et envers la religion en général). On peut résumer ainsi son attitude : un éloignement mêlé de respect. Cette double attitude a évolué au fil du temps, et Jabotinsky s’est “rapproché” du judaïsme, non certes en devenant un Juif pratiquant, mais en approfondissant son respect pour la tradition juive. Certains éléments biographiques apportent un éclairage intéressant sur cette position idéologique et permettent parfois de mieux la comprendre.

Rappelons quelques moments marquants de sa vie

Jabotinsky a perdu, très jeune, son père et c’est sa mère qui s’est chargée de son éducation. Elle lui a transmis entièrement son judaïsme, tenant à lui faire donner des leçons d’hébreu, dès l’âge de huit ans. Dans son autobiographie, le leader de la droite sioniste écrit cependant : « hormis ces leçons d’hébreu, je n’avais alors aucun contact intérieur avec le judaïsme », p. 18. Il relate aussi qu’après la mort de son père, il s’est rendu matin et soir dans une petite synagogue ; « mais je ne m’y suis pas acclimaté et je ne prenais pas part aux prières, sinon à la récitation du kaddish », p. 18. Cet épisode est significatif, et pour ainsi dire fondateur, dans la vie et dans l’attitude de Jabotinsky envers la tradition : respect pour la mitsva du kaddish, accompagné d’un sentiment de distance à l’égard des rites et de la synagogue. Comme il l’explique encore : « Chez nous, il régnait une cacheroute stricte, maman allumait les bougies la veille du shabbat et priait matin et soir, et elle nous enseigna le ‘modé ani’/prière du lever et la lecture du Chema, mais toutes ces coutumes me laissaient indifférent », p.18. Cette description du foyer dans lequel il a grandi permet de mesurer combien celui-ci était différent de celui de Theodor Herzl, lui aussi souvent considéré, tout comme Jabotinsky (et à tort) comme un Juif parfaitement assimilé. Non seulement il n’était pas un Juif assimilé, mais il a reçu une certaine éducation juive – même s’il n’a fréquenté ni le ‘hédère/école juive pour enfants, ni la yeshiva/école juive pour adultes – ; il a été élevé par une mère observant les rites. Cela n’est pas négligeable.

Un esprit européen 

Bien entendu, cette formation élémentaire ne suffit pas à faire de lui ce qu’on appellerait un “Juif religieux”. Car à côté de la culture juive dans laquelle il a baigné enfant, c’est surtout la culture générale, russe et profane qui a prévalu dans son adolescence, pendant sa période de formation, à Odessa puis à Rome. De ce point de vue, le jeune homme s’est très tôt imprégné de culture européenne, comme il le reconnaît dans son autobiographie, où il qualifie l’Italie de « patrie spirituelle », dans laquelle il s’est assimilé et a forgé « ses conceptions relatives aux problèmes nationaux, de l’État et de la société ». C’est là, explique-t-il, qu’il a appris à aimer « l’architecture, la sculpture et la peinture », mais aussi « le chant latin ; la poésie de Leopardi, les livres de Tchékhov et de Gorki », p. 29. C’est là aussi, à l’Université, qu’il s’initie à la pensée politique.

 

Ce tableau ne doit pourtant pas laisser croire que le jeune Jabotinsky soit devenu un Juif parfaitement assimilé, un Européen épris exclusivement de culture non-juive à l’instar d’ un Stefan Zweig, par exemple. En réalité, ce n’était qu’un passage, une phase dans l’élaboration de sa pensée et de sa personnalité riche, aux facettes multiples. À la même époque, il lisait Bialik avec enthousiasme, et lorsqu’il fit ses débuts littéraires en tant que traducteur, il choisit de traduire en russe le Cantique des Cantiques (pas moins que cela!) et un poème de Yehouda Leib Gordon,  ce qui donne une idée de ses talents littéraires et de ses prédilections.

La religion dans ses rapports avec l’État

L’attitude que le penseur adopte envers le judaïsme considéré comme religion ne peut bien être comprise qu’en fonction de sa pensée politique, notamment de sa doctrine de la nation (dont le sionisme n’est qu’un élément particulier).

Il a en effet consacré de vastes recherches théoriques, passant une année entière à Vienne (1907-1908), enfermé dans des salles de bibliothèques, apprenant spécialement à lire le tchèque et le croate comme il le relate dans son autobiographie : « Je dévorai des livres. L’Autriche, à cette époque, était une école idéale pour étudier la « question des nationalités » : je passais matin et soir à la bibliothèque de l’université ou à celle du ‘Reichsrat’. (…) ; j’étudiais l’histoire des Ruthènes et des Slovaques – et jusqu’à celle des quarante mille Romanches des Grisons… en passant par l’histoire des tsiganes de Hongrie et de Roumanie », Histoire de ma vie, p. 90.

C’est ainsi que s’est formée sa conception générale de l’État. C’est en effet celle-ci qui commande sa vision des rapports avec religion, et non ses idées religieuses. Beaucoup de contre-sens ont été faits à ce sujet :  le fondateur du Betar est parfois présenté comme un partisan d’un État fort, d’un régime autoritaire, militariste, voire fasciste ! Or c’est exactement le contraire qui est vrai : non seulement il n’a jamais eu la moindre sympathie pour les régimes autoritaires et s’est opposé à ceux-ci dès le début des années 1930, avec une lucidité exceptionnelle (y compris au sein du monde juif et du mouvement sioniste), mais il a toujours été partisan d’une intervention minimale de l’État.

Lisons plutôt un extrait de son article Bné Melakhim /Fils de Roi publié, à titre posthume, en 1940 à New York. Cet article constitue à de nombreux égards une sorte de testament politique, ne serait-ce que parce qu’il est un des derniers qu’il ait écrits, peu de temps avant sa mort subite, après avoir passé en revue une revue d’armes du Betar : « (Quelle) est la véritable tendance fondamentale de notre antique tradition, concernant le pouvoir de l’État. Cette tradition déteste de toute évidence l’idée même du pouvoir de l’État, et ne le tolère que dans la mesure où il est indispensable et inévitable. Dans la vie et l’activité de chaque homme – dans son “royaume’ individuel – qui doit autant que possible être laissé hors de portée de l’interférence de l’État ; la meilleure règle consisterait à ce qu’on le laisse tranquille ».

On ne peut être plus aux antipodes d’un interventionnisme étatique.

Mais, poursuit-il : « Si cela s’avère vraiment impossible, car il existe malheureusement des dangers extérieurs et des besoins intérieurs, qui rendent nécessaire un effort collectif, que celui-ci soit strictement limité au minimum véritablement inévitable. Il s’agit, en résumé, d’une mentalité pour laquelle un État “totalitaire” serait un anathème. Son idéal authentique, au contraire, serait une sorte de sage anarchie, mais comme cela est impossible, qu’il s’agisse au moins d’un “État minimalitaire ».

Ainsi s’exprime son idéal politique et sa conception du rôle de l’État, précisément fondé sur l’interprétation qu’il donne de la tradition d’Israël. Le royaume individueldoit échapper à toute intrusion de l’État ! Cette idée est essentielle dans la pensée politique de Jabotinsky. C’est précisément au nom de cette notion qu’il considère que l’État doit respecter dans la mesure la plus étendue la liberté de pensée, d’opinion et de croyance et la liberté de culte. Il en découle que toute notion de “coercition religieuse” est totalement étrangère à sa pensée. Comme il l’exprime déjà en 1935 : « La religion est l’affaire privée de l’individu… Ici doit régner la liberté la plus totale », cité par Shmuel Katz, Lone Wolf, p. 942.

Une pensée en mouvement

      Une erreur courante, lorsqu’on envisage les conceptions d’un penseur politique est de les considérer de manière figée, hors du temps, comme s’il les avait élaborées d’emblée sous une forme définitive et achevée. Toute pensée est dynamique et se déploie dans le temps et sur la durée. Cela est d’autant plus vrai concernant Jabotinsky, qui n’a guère eu le temps d’élaborer de doctrine politique achevée et qui a abordé les thèmes essentiels de sa pensée politique au fil de ses incessantes pérégrinations autour du monde.

Dans Le sionisme et Eretz-Israël (1905), un article que Jabotinsky écrit alors qu’il est âgé de vingt-cinq ans, expose sa conception du rôle de la religion dans l’histoire juive pendant la période de l’exil. Il écrit : « C’est ainsi qu’est mort le judaïsme : car toute chose qui cesse de se développer est considérée comme morte, même si elle renferme un éclair de vie profondément enfoui… Il est mort dès l’instant où Israël est devenu un peuple sans terre et a entamé sa longue marche héroïque de deux mille ans de souffrances pour préserver son trésor sacré », Cité dans Rafaella Bilski Ben Hur, p.163.

Il exprime ainsi la conviction – largement partagée par les autres théoriciens du sionisme politique – que la religion juive a servi à conserver vivante l’identité nationale juive pendant les longs siècles de l’exil. Mais, filant la métaphore, il explique que le “trésor sacré” que le peuple Juif a su conserver pendant l’exil n’est pas la religion elle-même ; celle-ci n’en est que l’enveloppe : « Si ce trésor sacré était le judaïsme, le peuple l’aurait abreuvé d’eaux vives et aurait bénéficié de sa croissance et de son développement, tout comme avant la dispersion. Mais si le peuple a enfermé de son plein gré sa conscience religieuse dans un cadre de fer, l’a desséché au point qu’il se fossilise et a transformé une religion vivante en un cadavre de religion embaumée – alors il est clair, que ce n’est pas dans la religion que réside le trésor sacré, mais dans une autre chose, dans une chose à laquelle le cadavre embaumé devait servir uniquement d’enveloppe et de protection », cité dans Rafaella Bilski Ben Hur, p. 163.

Cette vision du “cadavre embaumé” de la religion, servant d’enveloppe et d’isolant à l’identité nationale du peuple Juif en exil, est un topos classique dans la pensée sioniste laïque. Elle dénote une attitude négative très courante envers la religion qu’on peut qualifier d’utilitariste.

Quel est donc ce “trésor sacré” pour lequel le peuple Juif a enduré deux mille ans de souffrances et d’exil ?

La réponse se trouve dans un article ultérieur (1933), intitulé Exposé sur l’histoire d’Israël : c’est ce qu’il appelle le “mécanisme spirituel”, – concept qui désigne selon lui l’élément occulté par Marx dans sa conception des “moyens de production” comme facteur déterminant de l’histoire. En effet, explique-t-il : « À partir du moment où l“isolant” naturel – à savoir le territoire national – est perdu, chaque chose se transforme en succédané du territoire, et en particulier ce moyen considérable de séparation qui a pour nom la tradition religieuse : mais pour cela il est nécessaire que cette tradition soit absolument immobile », p.46.

 

La religion, au fondement de la tradition

Dans cet article important, Jabotinsky analyse avec sincérité son attitude envers la religion, qu’il considère comme le fruit de son époque, celle de “l’assimilation russe”. Il affirme que la religion joue un rôle important dans l’histoire des peuples et dans l’histoire mondiale. Cette affirmation se trouvait déjà dans son Exposé sur l’histoire d’Israël, publié deux ans plus tôt à Varsovie. Mais son article, Religion (1935), va plus loin et dépasse la doctrine marxiste en général, et le “matérialisme historique” en particulier, en ajoutant aux fameux “moyens de production” l’élément spirituel qui en est totalement absent.

Il analyse et réfléchit aux raisons pour lesquelles la religion était absente chez les membres de sa génération et pourquoi elle jouera un rôle important à l’avenir. Jabotinsky décrit son indifférence à la religion comme une lacune, une sorte de cécité spirituelle et artistique, qu’il compare à l’incapacité d’apprécier la poésie et la musique, concluant par ces lignes révélatrices : « Chez l’homme qui est pleinement évolué, il n’est pas possible qu’une émotion aussi considérable fasse défaut. L’homme de l’avenir, l’homme entier, auquel aucun sens ne manquera, sera “religieux”. Je ne sais pas quel sera le contenu de sa religion ; cependant il sera porteur du lien vivant entre son âme et l’infini qui l’accompagnera partout où il ira », p. 73.

Le pronostic formulé par Jabotinsky, selon lequel « l’homme entier sera religieux », marque de toute évidence une évolution marquante de sa pensée, depuis celle exprimée trente ans plus tôt dans Le sionisme et Eretz Israël. Que s’est-il passé entre-temps ? Comment le jeune dirigeant sioniste russe, convaincu que la religion n’est plus  qu’un “cadavre embaumé”, en est-il venu à y voir une dimension importante de la personnalité, aux côtés de la musique et de l’art?

Les raisons de cette évolution radicale sont multiples.

Mentionnons tout d’abord le cheminement personnel d’un homme qui a mûri et a eu le temps d’approfondir sa réflexion sur de multiples domaines. Le leader sioniste endurci qui s’exprime en 1935 n’est évidemment plus le jeune homme fougueux de 1905.

Le second facteur est celui des rencontres qu’il a faites et de personnes qui l’ont marqué, parmi lesquelles on peut mentionner le rabbin Falk, qui servit comme aumônier militaire dans les rangs des Muletiers de Sion, qui ont combattu avec bravoure à Gallipoli, le rabbin Nathan Milikovsky, qui n’est autre que le grand-père de Binyamin Nétanyahou, mais aussi et surtout le grand-rabbin Avraham Kook, qui exerça une influence importante sur l’idée que l’agnostique se faisait du judaïsme et de la religion.

LIRE LA SUITE...

JABOTINSKY Vladimir, Questions autour de la tradition d’Israël | Sifriaténou/Notre Bibliothèque (sifriatenou.com)

Vladimir JABOTINSKY, Questions autour de la tradition d’Israël, Traduit de l’hébreu, présenté et annoté par P. Lurçat, Jérusalem, Recueil rassemblant : Exposé sur l’histoire d’Israël (1933) ; Questions autour de la tradition juive (1934) ; De la religion (1935) ; Lettre à Eri Jabotinsky : Naharayim (14 septembre 1935), s.l., Éditions l’Éléphant, 2021, Collection « La Bibliothèque sioniste ».

Jabotinsky, jeune homme, Varsovie, s.d.

Jabotinsky, jeune homme, Varsovie, s.d.

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Hannoukah et la “lumière des nations” : éclairer un monde déboussolé, par Pierre Lurçat

December 22 2022, 09:09am

Posted by Pierre Lurçat

Hannoukah et la “lumière des nations” : éclairer un monde déboussolé, par Pierre Lurçat

 

 

Avec le retour d’Israël sur sa terre, la fête de Hannoukah a retrouvé son sens premier, celui d’une fête nationale célébrant la victoire du peuple juif contre une civilisation - celle des Grecs - qui prétendait effacer la culture et l’identité collective d’Israël. Mais il serait erroné d’en déduire que le sens national et particulariste de la fête aurait éclipsé, ou relégué au second plan, son message universel. Car en réalité, comme l’histoire récente d’Israël nous le montre, c’est précisément en retrouvant notre identité collective authentique - celle d’un peuple rassemblé à nouveau sur sa terre - que nous sommes le mieux à même de faire rayonner dans le monde entier le message d’Israël.

 

Soldats de Tsahal allumant les bougies de Hannoukah


 

Redonner légitimité aux frontières et aux identités nationales

 

Quel est ce message aujourd’hui? Dans un monde de plus en plus désorienté - au sens premier, à savoir qui a perdu l’Orient(1) - il y a urgence pour la voix d’Israël à se faire entendre et à être écoutée, sur des sujets cruciaux et essentiels pour l’humanité. Ceux-ci touchent à la fois à l’actualité la plus brûlante et à la signification de Hannoukah. En prétendant effacer l’identité nationale particulière du peuple Juif, les Grecs ont en effet été parmi les premiers à contester l’idée même d’identité nationale, au nom de leur impérialisme culturel. Le combat d’Israël pour conserver son identité, spirituelle et nationale (car en réalité, il s’agit bien d’une seule et même chose), sert d’inspiration, aujourd’hui comme hier, aux peuples qui se battent pour pouvoir vivre et assumer librement leur identité.

 

En prétendant abolir la notion de frontières et, partant, celle d’identité nationale, l’Europe actuelle a tourné le dos au message véritable d’Israël, dont elle s’était pourtant largement inspirée pour élaborer les notions fondamentales de la pensée politique moderne, au XVIIe siècle, comme l’a montré l’historienne israélienne Fania Oz Salzberger, dans un article passionnant paru il y a une dizaine d’années dans la revue Azure (2). Les notions mêmes de liberté et de souveraineté nationale, dans leur acception moderne, doivent en effet beaucoup à la pensée politique hébraïque biblique et talmudique, source à laquelle se sont nourris plusieurs des grands théoriciens politiques de l’Europe éclairée, et notamment John Selden, pour fonder le droit international public et la pensée politique moderne.

 

Lors d’une fameuse controverse avec le juriste Hugo Grotius - qui défendait l’idée d’une mer libre et ouverte à tous, dans son ouvrage Mare Liberum (De la liberté des mers) - Selden a soutenu au contraire l’idée d’une mer divisée entre les différents Etats, dans son livre Mare Clausum. Son argumentation se fondait sur la notion hébraïque de frontières, apparue avec le partage de la terre d’Israël entre les 12 tribus, qu’il interprétait à la lumière des commentaires rabbiniques et talmudiques. Ainsi, c’est le droit hébraïque qui permettait selon lui de régler le différend politique et juridique entre deux grandes puissances maritimes du 17e siècle, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas.

 

L’oubli des sources hébraïques de la politique moderne, en oblitérant cette source d’inspiration essentielle, a amputé l’Europe d’un de ses deux piliers - Athènes et Jérusalem (3). L’antisémitisme meurtrier du 20e siècle est largement la conséquence tardive et monstrueuse de cet oubli. Ce n’est pas un hasard si l’Europe est devenue aujourd’hui l’entité politique la plus hostile à Israël sur la scène internationale (après, ou avec la Ligue arabe et l'OCI), alors même qu’elle doit en grande partie son existence et ses fondements théoriques à la pensée politique hébraïque.

 

Retrouver les notions fondatrices de l’humanité

 

Au-delà de ces concepts politiques, aujourd’hui contestés par l’idéologie post-moderniste (et son pendant israélien, le post-sionisme), ce sont aussi les notions fondatrices de l’humanité tout entière qui sont aujourd’hui remises en cause. La pensée hébraïque, on le sait, repose sur des distinctions fondamentales - au sens où elles fondent l’identité humaine - que sont l’opposition-complémentarité entre l’homme et la femme, l’opposition entre le shabbat- temps du sacré et le temps profane, l’opposition entre le règne animal et l’homme, seule créature créée “à l’image de Dieu” (Betselem Elohim), et enfin, l’opposition entre Israël et les nations.

Ce sont précisément ces distinctions fondamentales que certaines des idéologies en vogue actuellement prétendent abolir, en détruisant ce faisant la notion même d’être humain. Ainsi, comme l’a récemment montré un philosophe français, l’idéologie de “‘l’anti-spécisme”, qui conteste la distinction fondamentale entre l’homme et l’animal, aboutit à nier la spécificité de l’être humain, c’est-à-dire la notion hébraïque du Tselem, sur laquelle reposent tous les acquis de la civilisation humaine (4).


 

Michel-Ange, La création d’Adam

 

Si le vingtième siècle a été celui des grandes catastrophes et des génocides, le vingt-et-unième siècle semble devoir être celui de la perte du sens commun et de la notion même d’être humain. A certains égards, la négation de l’homme actuelle va encore plus loin (sur le plan théorique en tout cas) que celle qui était sous-jacente aux idéologies meurtrières du 20e siècle. Ces dernières prétendaient exclure de l’humanité certains races (nazisme) ou classes sociales (communisme), tandis que l’idéologie anti-spéciste aboutit à nier la notion même d’humanité.

 

La “fausse “morale juive” et le message authentique des Prophètes d’Israël.

 

Parmi les fausses idées qui se sont répandues au cours des dernières décennies, figure en bonne place une conception erronée de la “morale juive”, qui voudrait qu’Israël applique des standards moraux supérieurs à ceux des nations, dans son affrontement avec des ennemis qui ne respectent, eux, aucune morale, comme le Hamas et le Hezbollah (5). En réalité, le rôle d’Israël parmi les nations n’est plus aujourd'hui d’incarner une morale plus stricte (rôle qu’il a rempli jadis, en donnant au monde le Décalogue), mais bien plutôt celui de réaliser une identité collective nationale authentique.

 

Un des enjeux essentiels du Retour d’Israël sur sa terre est en effet celui de retrouver la mission véritable d’Israël au sein des nations, celle de “Lumière des nations”, qui est étroitement liée à la fête de Hannoukah. Une certaine théologie de l’exil a voulu faire croire que la dispersion d’Israël parmi les nations était voulue par Dieu, et qu’elle correspondait à la mission de “lumière des nations” d’Israël. C’est au nom de cette vision théologico-politique, qui n’a pas grand chose à voir avec la vocation d’Israël authentique, que les représentants du judaïsme réformé, en Allemagne et aux États-Unis notamment, se sont opposés au sionisme.

 

Le “sionisme suprême” - Zeev Jabotinsky

 


Maintenant que l’Etat d’Israël est devenu une réalité, il lui appartient de réaliser la “troisième étape du sionisme”, celle que Jabotinsky qualifiait de “sionisme suprême” et qu’il définissait précisément dans les termes du prophète Isaïe : “‘L’Etat juif n’est que la première phase de la réalisation du sionisme suprême. Après cela viendra la deuxième phase, le Retour du peuple juif à Sion… Ce n’est que dans la troisième phase qu’apparaîtra le but final authentique du sionisme suprême - but pour lequel les grandes nations existent ; la création d’une culture nationale, qui diffusera sa splendeur dans le monde entier, comme il est écrit; “Car de Sion sortira la Torah”. (6)

 

Pierre Lurçat

 

J'ai parlé de Jabotinsky dans une série de conférences en France avec l'Organisation sioniste mondiale. Voir ici

https://youtube.com/watch?v=1pNZMloGk8c&feature=share

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VIENT DE PARAITRE : REEDITION DE L’HISTOIRE DE MA VIE DE JABOTINSKY!

 

« C’est cette force foudroyante de tout utiliser, même l’échec, même l’isolement, la précarité, les controverses, l’adversité politique, les déceptions, c’est cette capacité de résister à tout, à toute humiliation, à tout découragement qui est la leçon la plus instructive de ce livre. »

Saskia Cohen

 

« Il fut certainement l’une des personnes les plus intelligentes que j’ai jamais connues. Il comprenait son interlocuteur à demi-mots car il lui portait un intérêt vorace et s’impliquait de façon créatrice dans la conversation. Il avait aussi de l’humour. Je buvais littéralement ses paroles, aussi brillantes et mordantes que sa pensée.»

Nina Berberova

 

« …On ne peut qu’admirer l’œuvre d’un visionnaire et prophète, un homme politique droit et sincère, traducteur de grandes œuvres, écrivain à la plume belle et puissante, polyglotte redoutable.

L’Histoire de ma vie présente l’histoire personnelle d’une des plus grandes figures du sionisme, d’un politique, écrivain et homme de talent trop souvent oublié et injustement dénigré. On ne peut plus apprendre le sionisme sans Jabotinsky et son Histoire de ma vie… »

Misha Uzan

Notes

(1) Israël étant l’Orient véritable du monde, contrairement à l’Orient arabe imaginaire et largement fantasmé des “Orientalistes” d’hier et d’aujourd’hui.

(2) Fania Oz-Salzberger, The Jewish Roots of Western Freedom

What modern republican thought learned from the Bible, the Talmud, and Maimonides. Azure, Summer 5762 / 2002, no. 13.

(3) Sur l'oubli du fondement hébraïque de la pensée occidentale, je renvoie notamment au livre de mon père, François Lurçat, La science suicidaire, Athènes sans Jérusalem. éditions F. X. de Guibert.

(4) “L’erreur consiste à vouloir «  effacer les limites » : entre les sexes, entre les animaux et les humains, entre les vivants et les morts. Il convient, au contraire, d’affronter ces limites qui nous constituent. Oui, parfois la philosophie devient folle, quand elle oublie l’homme”. Jean-François Braunstein, La philosophie devenue folle - le genre, l’animal, la mort. Grasset 2018.

(5) Je renvoie à ce sujet à mon livre La trahison des clercs d’Israël, La Maison d’édition 2016.

(6) Jabotinsky, Intervention devant le Congrès fondateur de la Nouvelle Organisation sioniste, septembre 1935. Cité dans ma postface à l’Histoire de ma vie.

 

Hannoukah et la “lumière des nations” : éclairer un monde déboussolé, par Pierre Lurçat

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Conférence le jeudi 15 décembre 2022 : « D’Odessa à Jérusalem : Jabotinsky, l’enfant prodige du sionisme russe »

December 14 2022, 08:08am

Posted by Pierre Lurçat

Conférence le jeudi 15 décembre 2022 : « D’Odessa à Jérusalem : Jabotinsky, l’enfant prodige du sionisme russe »

visioconférence avec Pierre Lurçat

 
 

« Né à Odessa en 1880, Vladimir Jabotinsky a entamé une carrière de journaliste et d’écrivain, avant de se convertir au sionisme. Malgré la “perte immense” pour la littérature russe déplorée par Maxime Gorki, Jabotinsky n’a jamais cessé d’écrire. Comment son parcours politique et ses idées ont-ils été influencés par sa ville d’origine ? En quoi est-il resté fidèle à la culture cosmopolite et à l’esprit de liberté caractéristiques d’Odessa ? Pierre Lurçat essaiera de répondre à ces questions en nous emmenant sur les traces du grand dirigeant sioniste, d’Odessa à Jérusalem.»

 

Pierre Lurçat, essayiste, écrivain et traducteur, est né en 1967 à Princeton (New Jersey) aux États-Unis. Il collabore à diverses publications en France (Causeur, Commentaire, Politique internationale) et en Israël (édition française du Jérusalem Post).

 

Notre rencontre aura lieu en visioconférence.

 

Il vous suffira de cliquer sur le lien suivant le jeudi 15 décembre 2022 à 19h45 pour vous connecter :

 

https://us06web.zoom.us/j/83842198297?

 

ou sur l'application Zoom : ID de réunion : 838 4219 8297Code secret : 775187

 

jeudi 15 décembre 2022 : « D’Odessa à Jérusalem : Jabotinsky, l’enfant prodige du sionisme russe » (amis-odessa.fr)

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Le mur de fer de Jabotinsky à aujourd'hui, avec Pierre Lurçat

December 5 2022, 17:24pm

Forces et faiblesses d’Israël à la lumière de Jabotinsky
 
L’OSM en France, en partenariat avec le KKL de France, reçoit le journaliste et essayiste Pierre Lurçat, qui vient d’éditer l’ouvrage « le Mur de fer de Vladimir Jabotinsky », pour une tournée de conférences sur le thème «forces et faiblesses d’Israël», depuis la publication du manifeste du grand leader sioniste, en 1923, jusqu’à nos jours. Pour mémoire, Jabotinsky y développe son analyse du conflit judéo-arabe en Palestine mandataire, après les atroces émeutes de Jérusalem en 1921, concluant à l’impérieuse nécessité d’organiser l’auto-défense juive. Des principes qui demeurent d’une étonnante actualité.
Jeudi 8 décembre à 19h30 
 
11 Rue du 4 septembre, 75002 Paris
Entrée gratuite, inscription obligatoire

 

Inscription

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Actualité de Jabotinsky : Le « Mur de fer » et la postérité

September 11 2022, 11:50am

Posted by Pierre Lurçat

Actualité de Jabotinsky : Le « Mur de fer » et la postérité

Je publie ici un extrait du préambule au livre Le mur de fer - Les Arabes et nous de Vladimir Jabotinsky, dans la traduction vient de paraître en français aux éditions L’éléphant. J’évoque le livre au micro d’Ilana Ferhadian sur Radio J. P. Lurçat

Aucune expression née de la plume féconde de Jabotinsky n’est aussi connue que celle du « Mur de fer », et aucune n’a sans doute donné lieu à autant de contresens. Avant d’examiner l’actualité de ses conceptions, arrêtons-nous sur certains des usages récents qui ont été faits du concept de « Mur de fer ». Parmi les nombreux exemples offerts par le discours politique israélien contemporain, nous en avons choisi deux, qui sont tous deux ceux de représentants de l’école des « Nouveaux historiens ». Le premier, Avi Shlaïm, a publié en 2001 un livre intitulé Le mur de fer, Israël et le monde arabe dans lequel il fait de la doctrine du « Mur de fer » le symbole de l’intransigeance israélienne, qui aurait été la cause principale de la perpétuation du conflit israélo-arabe. Shlaïm fait remonter cette prétendue intransigeance à 1948, David Ben Gourion ayant selon lui renoncé à chercher un accord de paix avec les pays arabes, convaincu que le temps jouait en faveur d’Israël. 

L’avis du second, Benny Morris, est très différent. Dans une interview au quotidien Ha’aretz datant de janvier 2004, il reprend ainsi à son compte la notion du « Mur de fer » dans l’acception que lui donne Jabotinsky, expliquant notamment qu'un « mur de fer est la politique la plus raisonnable pour la génération à venir », car « ce qui décidera de la volonté [des Arabes] à nous accepter sera seulement la force et la reconnaissance qu’ils ne sont pas capables de nous vaincre ». Malgré la divergence d’opinion entre Shlaïm et Morris, tous deux s’accordent pour dire que la doctrine du « Mur de fer » a été adoptée par l’ensemble des dirigeants israéliens, depuis Ben Gourion jusqu’à nos jours. Le premier y voit la cause de l’intransigeance israélienne, tandis que le second la considère comme la seule réponse possible à l’intransigeance arabe. La comparaison entre les deux est instructive, car elle montre que le « Mur de fer » est devenu depuis un siècle un concept fondamental du lexique politique israélien.

         Peut-on dire pour autant que ce concept a été adopté dans les faits, c’est-à-dire dans la politique et dans la stratégie israélienne ? A cet égard, la réalité est plus contrastée. Si la doctrine de la dissuasion de Tsahal peut être globalement considérée comme l’application du « Mur de fer », la politique de défense israélienne n’est pas toujours conforme aux idées développées il y a cent ans par Jabotinsky. Ainsi, pour prendre un exemple récent, le système de défense « Kippat barzel » (« dôme d’acier ») mis en place par Tsahal autour de la bande de Gaza peut difficilement être considéré comme l’application du « Kir ha-Barzel » (« Mur de fer »), en dépit de la similarité des deux expressions.

         Le « dôme d’acier », malgré toute sa perfection technologique, ne vise en effet pas à assurer une quelconque dissuasion pour Israël, face aux tirs de roquette incessants venant de Gaza, mais plutôt à protéger les civils israéliens, sans aucunement empêcher les groupes terroristes palestiniens de poursuivre leurs attaques. De ce fait, il illustre le paradoxe d’une armée toujours plus intelligente, mais de moins en moins audacieuse. Comme le savent bien les dirigeants de l’armée israélienne, seule une offensive terrestre au cœur de la bande de Gaza permettrait de démanteler les lanceurs de missiles, voire de mettre fin au pouvoir du Hamas, installé depuis le retrait de l’armée israélienne en 2006. Or, la protection toute relative offerte par le dispositif du « dôme d’acier » empêche en fait Tsahal de mener une telle offensive, en la dissuadant d’adopter une logique militaire plus coûteuse en vies humaines. La dissuasion s’exerce donc envers Israël et non envers ses ennemis.

         Le « dôme d’acier » n’est donc aucunement l’application de la doctrine du « Mur de fer » élaborée par Jabotinsky il y a près de cent ans : il en est la négation. Cet exemple ne signifie toutefois pas que le « Mur de fer » aurait été totalement oublié, mais que cette notion est appliquée de manière variable, selon les circonstances et les différents fronts. Israël fait ainsi preuve depuis plusieurs années d’une audace impressionnante face à l’Iran, multipliant les opérations et les éliminations ciblées en territoire ennemi, tandis que sur le front de Gaza, Tsahal se montre beaucoup plus timorée, restant sur la défensive la plupart du temps. Cette disparité montre que l’éthos défensif – qui remonte aux débuts de Tsahal et avant encore, à l’époque du Yishouv – s’avère insuffisant, face à des ennemis farouchement déterminés.

Toute l’histoire de la stratégie de défense d’Israël, depuis la Haganah et les premiers efforts d’auto-défense à l’époque de Jabotinsky et jusqu’à nos jours, est marquée par une oscillation permanente entre deux pôles opposés : celui de l’éthos purement défensif, largement prédominant d’une part, et celui d’un éthos offensif, celui de l’unité 101 dans les années 1950 et de la « Sayeret Matkal » (unité d’élite de l’état-major), d’autre part. De toute évidence, c’est cet esprit offensif qui a permis à Tsahal de connaître ses victoires les plus éclatantes, celle de juin 1967 ou celle de l’opération Entebbe, pour ne citer que deux exemples. Malgré cela, l’armée israélienne demeure attachée à l’éthos purement défensif, pour des raisons complexes liées à son histoire et à ses valeurs fondatrices. La doctrine du « Mur de fer » demeure ainsi d’actualité, un siècle après avoir été formulée par Jabotinsky. 

Les récents événements violents survenus en mai 2021 dans les villes mixtes d’Israël, et la persistance d’une opposition radicale à l’existence de l’Etat hébreu dans la région – malgré les avancées remarquables des accords Abraham – montrent que la dissuasion demeure une nécessité impérieuse, tant sur le front intérieur que sur les différents fronts extérieurs. L’aspiration à la paix qui caractérise le peuple Juif et l’Etat d’Israël ne doit pas éluder cette nécessité. Le pacifisme aveugle, il y cent ans comme aujourd’hui, menace la pérennité de l’existence d’un Etat juif souverain, au milieu d’un environnement encore largement hostile. Aujourd’hui comme hier, la paix repose sur la préparation à d’éventuels conflits, selon l’adage latin toujours actuel (« Si vis pacem, para bellum »), ou selon les mots de Jabotinsky : « le seul moyen de parvenir à un accord [de paix] est d’ériger un mur de fer ».

 

Pierre Lurçat

Le livre est disponible sur Amazon et B.o.D.


 

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Un événement éditorial : Parution d’un recueil de textes inédits en français de Vladimir Jabotinsky, Le Mur de Fer

September 4 2022, 10:33am

Posted by Pierre Lurçat

Un événement éditorial : Parution d’un recueil de textes inédits en français de Vladimir Jabotinsky, Le Mur de Fer

NB J'ai évoqué le Mur de fer de Jabotinsky ce matin au micro d'Ilana Ferhadian sur Radio J.

En 1923, Jabotinsky publiait un article au titre devenu célèbre : le « Mur de Fer ». Il y exposait sa conception du conflit israélo-arabe, élaborée au lendemain des émeutes de 1921 à Jérusalem, auxquelles il avait pris part en tant que témoin actif, ayant organisé l’autodéfense juive au sein de la Haganah. Cent ans plus tard, ses idées sur le sujet demeurent d’une étonnante actualité. Les articles réunis ici exposent une vision du conflit qui reste en effet très pertinente, tant à propos des racines du conflit israélo-arabe que des solutions que préconise Jabotinsky.

 

Celui-ci a en effet été un des premiers à reconnaître que le conflit entre Israël et les Arabes était de nature nationale et que la nation arabe n’allait pas renoncer à ses droits sur la terre d’Israël en échange des « avantages économiques » apportés par l’implantation sioniste. Mais ce constat lucide ne l’a pas conduit à préconiser un partage de la terre ou un Etat binational, contrairement aux pacifistes de son temps. L’originalité de l’analyse de Jabotinsky réside ainsi tant dans le respect qu’il porte à la nation arabe, que dans son refus de transiger sur les droits du peuple Juif.

 

Né à Odessa en 1880 et mort dans l’État de New-York en 1940, Vladimir Zeev Jabotinsky est une des figures les plus marquantes du sionisme russe. Écrivain, journaliste et militant infatigable, créateur du mouvement sioniste révisionniste et du Bétar, il a conquis sa place parmi les fondateurs de l’État d’Israël, entre la génération de Théodor Herzl et celle de David Ben Gourion. Théoricien politique extrêmement lucide, il avait compris la vertu cardinale pour les Juifs de se défendre eux-mêmes, et dès la Première Guerre mondiale, il obtint leur participation militaire sous un drapeau juif à l’effort de guerre des Alliés.

 

V. Jabotinsky Le Mur de Fer, Les Arabes et nous, traduction et présentation de P. Lurçat

 

Éditions L’éléphant / B.o.D.

Paris-Jérusalem

Le Mur de Fer (bod.fr)

Éditions L’éléphant – Livres consacrés à Israël, son histoire, son peuple, son pays et sa culture

 

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“Dôme d’acier” ou “Mur de fer”? Force et faiblesse d’Israël face à Gaza, Pierre Lurçat

August 7 2022, 07:52am

Posted by Pierre Lurçat

“Dôme d’acier” ou “Mur de fer”?  Force et faiblesse d’Israël face à Gaza, Pierre Lurçat

NB J'évoque le bilan de l'opération "Shahar" à Gaza au micro de Daniel Haik sur Studio Qualita.

Le nouveau round militaire entre Israël et Gaza, survenant à la veille de Tisha beAv, pose à nouveau la question lancinante de la doctrine stratégique israélienne face aux groupes islamistes soutenus par l’Iran. Au-delà des prouesses technologiques de “Kippat ha-barzel”, les tirs incessants venus de Gaza interrogent la validité du nouveau modèle instauré par Tsahal après la destruction du Goush Katif et, au-delà encore, celle de l’éthos défensif de l’armée israélienne. Dans les lignes suivants, extraites du livre Le mur de fer qui paraît ces jours-ci *, je montre en quoi Kippat Barzel est la négation du concept de Kir ha-Barzel développé par Jabotinsky il y a tout juste cent ans. P.L.

 

Le « Mur de fer » est devenu depuis un siècle un concept fondamental du lexique politique israélien. Peut-on dire pour autant que ce concept a été adopté dans les faits, c’est-à-dire dans la politique et dans la stratégie israélienne ? A cet égard, la réalité est plus contrastée. Si la doctrine de la dissuasion de Tsahal peut être globalement considérée comme l’application du « Mur de fer », la politique de défense israélienne n’est pas toujours conforme aux idées développées il y a cent ans par Jabotinsky. Ainsi, pour prendre un exemple récent, le système de défense « Kippat barzel » (« dôme d’acier ») mis en place par Tsahal autour de la bande de Gaza peut difficilement être considéré comme l’application du « Kir ha-Barzel » (« Mur de fer »), en dépit de la similarité des deux expressions.

            Le « dôme d’acier », malgré toute sa perfection technologique, ne vise en effet pas à assurer une quelconque dissuasion pour Israël, face aux tirs de roquette incessants venant de Gaza, mais plutôt à protéger les civils israéliens, sans aucunement empêcher les groupes terroristes palestiniens de poursuivre leurs attaques. De ce fait, il illustre le paradoxe d’une armée toujours plus intelligente, mais de moins en moins audacieuse. Comme le savent bien les dirigeants de l’armée israélienne, seule une offensive terrestre au cœur de la bande de Gaza permettrait de démanteler les lanceurs de missiles, voire de mettre fin au pouvoir du Hamas, installé depuis le retrait de l’armée israélienne en 2006. Or, la protection toute relative offerte par le dispositif du « dôme d’acier » empêche en fait Tsahal de mener une telle offensive, en la dissuadant d’adopter une logique militaire plus coûteuse en vies humaines. La dissuasion s’exerce donc envers Israël et non envers ses ennemis.

 

            Le « dôme d’acier » n’est donc aucunement l’application de la doctrine du « Mur de fer » élaborée par Jabotinsky il y a près de cent ans : il en est la négation. Cet exemple ne signifie toutefois pas que le « Mur de fer » aurait été totalement oublié, mais que cette notion est appliquée de manière variable, selon les circonstances et les différents fronts. Israël fait ainsi preuve depuis plusieurs années d’une audace impressionnante face à l’Iran, multipliant les opérations et les éliminations ciblées en territoire ennemi, tandis que sur le front de Gaza, Tsahal se montre beaucoup plus timorée, restant sur la défensive la plupart du temps. Cette disparité montre que l’éthos défensif – qui remonte aux débuts de Tsahal et avant encore, à l’époque du Yishouv – s’avère insuffisant, face à des ennemis farouchement déterminés.

 

Toute l’histoire de la stratégie de défense d’Israël, depuis la Haganah et les premiers efforts d’auto-défense à l’époque de Jabotinsky et jusqu’à nos jours, est marquée par une oscillation permanente entre deux pôles opposés : celui de l’éthos purement défensif, largement prédominant d’une part, et celui d’un éthos offensif, celui de l’unité 101 dans les années 1950 et de la « Sayeret Matkal » (unité d’élite de l’état-major), d’autre part. De toute évidence, c’est cet esprit offensif qui a permis à Tsahal de connaître ses victoires les plus éclatantes, celle de juin 1967 ou celle de l’opération Entebbe, pour ne citer que deux exemples. Malgré cela, l’armée israélienne demeure attachée à l’éthos purement défensif, pour des raisons complexes liées à son histoire et à ses valeurs fondatrices. La doctrine du « Mur de fer » demeure ainsi d’actualité, un siècle après avoir été formulée par Jabotinsky.

 

Les récents événements violents survenus en mai 2021 dans les villes mixtes d’Israël, et la persistance d’une opposition radicale à l’existence de l’Etat hébreu dans la région – malgré les avancées remarquables des accords Abraham – montrent que la dissuasion demeure une nécessité impérieuse, tant sur le front intérieur que sur les différents fronts extérieurs. L’aspiration à la paix qui caractérise le peuple Juif et l’Etat d’Israël ne doit pas éluder cette nécessité. Le pacifisme aveugle, il y cent ans comme aujourd’hui, menace la pérennité de l’existence d’un Etat juif souverain, au milieu d’un environnement encore largement hostile. Aujourd’hui comme hier, la paix repose sur la préparation à d’éventuels conflits, selon l’adage latin toujours actuel (« Si vis pacem, para bellum »), ou selon les mots de Jabotinsky : « le seul moyen de parvenir à un accord [de paix] est d’ériger un mur de fer ».

 

Pierre Lurçat

* J'ai le grand plaisir d'annoncer la parution prochaine du nouveau tome de la Bibliothèque sioniste, Le mur de fer, Les Arabes et nous de Vladimir Jabotinsky. Il paraîtra officiellement à la rentrée de septembre mais est déjà disponible sur Amazon en prévente promotionnelle.

“Dôme d’acier” ou “Mur de fer”?  Force et faiblesse d’Israël face à Gaza, Pierre Lurçat

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Retrouver les valeurs fondatrices de Tsahal : Avec la famille Goldin à Jérusalem : “Ramenez notre fils!”

July 12 2022, 08:14am

Posted by Pierre Lurçat

Hadar Goldin z.l.

Hadar Goldin z.l.

 

Le calendrier israélien n’est pas exactement identique au calendrier juif tel qu’on le connaît ailleurs. Il s’est enrichi de dates nouvelles, pour le meilleur et pour le pire. C’est ainsi que nous avons marqué hier en Israël (avec un jour de retard dû au shabbat) le Dix Tammouz, date du début de la guerre à Gaza en 2014, connue sous le nom de "Bordure protectrice” (Tsouk Eitan). A certains égards, le Dix Tammouz marque – tout comme le 17 Tammouz dont le jeûne sera observé la semaine prochaine - la “première brèche” dans la muraille de Jérusalem. Pour le comprendre, il faut écouter ce que nous disent les parents et le frère de Hadar Goldin, jeune soldat de Tsahal capturé par le Hamas pendant la guerre de 2014 et dont la dépouille mortelle reste jusqu’à ce jour aux mains du Hamas.

 

Je me trouvais hier après-midi au mont Herzl, avec la famille Goldin, en dehors du mémorial où se tenait la cérémonie traditionnelle avec les familles des soldats tombés pendant “l’opération Tsouk Eitan”[1]. La famille Goldin est restée en dehors, parce que le message qu’elle entendait délivrer aux dirigeants de l’armée et aux dirigeants israéliens ne pouvait l’être dedans… En effet, comme l’avait déclaré le père de Hadar, le Dr Simha Goldin, en août 2019 : “Hadar a été abandonné à trois reprises par la lâcheté de nos dirigeants. La première fois, sur le champ de bataille, lorsqu’ils ont empêché son officier de pénétrer dans l’hôpital du Hamas où il était apparemment détenu et blessé. La deuxième fois, à la fin de l’opération Tsouk Eytan, lorsque les dirigeants israéliens ont négocié (un cessez-le-feu) au Caire avec le Hamas, sans exiger la restitution des deux soldats Oron Shaul et Hadar Goldin. Et la troisième fois, pendant les cinq dernières années…” Simha Goldin a aussi déclaré, lors du congrès annuel du mouvement Im Tirtsu, que pour la première fois dans l’histoire de Tsahal, un soldat avait été déclaré “tombé au combat” en pleine guerre, alors qu’il était disparu et que son sort n’était pas encore connu avec certitude.

 

Simha Goldin devant le Lion de Tel Haï

 

Ce précédent dangereux a été fixé en contradiction avec la tradition remontant aux débuts de Tsahal, de ne jamais abandonner un soldat sur le champ de bataille et de ne pas le considérer comme mort, tant que sa dépouille n’avait pas été récupérée. Mais en quoi cela concerne la sécurité de l'État d'Israël tout entier ? La réponse nous a été donnée l'an dernier, lors des évènements auxquels on a donné le nom significatif de Shomer haHomot, "gardien des murailles", quand le Hamas a réussi à enflammer l'ensemble du territoire israélien et en particulier les villes mixtes d'Israël. Ce faisant, le mouvement terroriste islamique porté au pouvoir par le retrait israélien de la bande de Gaza a signifié que la clé de la sécurité en Israël était bien entre ses mains… Tout comme la dépouille mortelle du soldat Hadar Goldin et de ses camarades.

 

Pour retrouver la clé de notre sécurité, Israël doit tout d'abord retrouver le sens des valeurs fondatrices de Tsahal, et en premier lieu, celle de l'obligation sacrée de porter ses soldats tombés au combat en terre d'Israël. C'est alors seulement que l'État juif pourra retrouver le sens du Hadar, le nom donné par le Dr Simha Goldin et son épouse à leur fils aîné. “Hadar” signifie en effet “splendeur” et il fait référence au Chir Betar, l’hymne du mouvement de jeunesse sioniste créé par Zeev Jabotinsky, qui fut aussi le fondateur de la Légion juive, ancêtre de Tsahal. Puissent les mots du Chir Betar inspirer les dirigeants de notre pays et de notre armée. “Hébreu, dans la misère même tu es Prince, Dans la lumière ou l’obscurité. Souviens-toi de cette couronne”. Qu’ils se souviennent, eux aussi, du Keter, de la couronne. Qu’ils se souviennent du Hadar. Et qu’ils n’oublient pas non plus les paroles du Chir HaReout, rédigé par Haïm Gouri, de “l’amour consacré dans le sang” des soldats tombés dans les guerres d’Israël.

 

Pierre Lurçat

 

Soutenir le combat de la famille Goldin :

Contribute - Hadar Goldin (hadargoldinfoundation.org)

 

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J'ai le grand plaisir d'annoncer la parution prochaine du nouveau tome de la Bibliothèque sioniste, Le mur de fer, Les Arabes et nous de Vladimir Jabotinsky. Il paraîtra officiellement à la rentrée de septembre mais est déjà disponible sur Amazon en prévente promotionnelle.

 

 

 

[1] Le terme d’opération est un euphémisme pour désigner la guerre, mais nous avons l’habitude en Israël de ce genre d’euphémisme, depuis les “événements de 1929”...

Retrouver les valeurs fondatrices de Tsahal : Avec la famille Goldin à Jérusalem : “Ramenez notre fils!”

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À l’occasion de la Semaine du livre en Israël, découvrez LA BIBLIOTHEQUE SIONISTE !

June 12 2022, 09:22am

 

Les grands textes des pères fondateurs du sionisme politique, inédits ou épuisés en français, mis à la disposition du public francophone.

DÉJÀ PARUS

JABOTINSKY, La rédemption sociale. Eléments de philosophie sociale de la Bible hébraïque.

JABOTINSKY, Questions autour de la tradition juive. Etat et religion dans la pensée du Rosh Betar.

GOLDA MEIR, La maison de mon père, fragments autobiographiques.

À PARAITRE :

JABOTINSKY, Les Arabes et nous, le mur de fer.

 

EN VENTE SUR AMAZON et dans les librairies françaises d’Israël, 

ou après de l’éditeur editionslelephant@gmail.com

 

 

 A l’occasion de la semaine du livre en Israël*, les ouvrages de la Bibliothèque sioniste sont vendus au prix promotionnel de 10 EUR / 35 NIS


*Offre valable jusqu’au 20 juin 2022

 

Dernier titre paru : JABOTINSKY, Questions autour de la tradition juive

Il faut être infiniment reconnaissant à Pierre Lurçat de nous permettre, par le biais de ce petit livre, de mieux connaître celui qui fut le créateur du mouvement sioniste révisionniste, celui qu’on désignait comme le « Roch Betar ». On découvre ainsi l’attachement de ce grand leader à la religion juive.

Impressionnant. À découvrir !

Jean-Pierre Allali, CRIF.ORG

 

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Yom Yeroushalayim : Comment notre peur de l’islam et des musulmans encourage leur violence

May 26 2022, 15:18pm

Posted by Pierre Lurçat

 

Les lignes qui suivent ont été écrites à la veille et au lendemain de Yom Yeroushalayim, en pleine vague de violence musulmanes du Ramadan à Jérusalem, à la frontière de Gaza et ailleurs, et juste avant le début du nouvel affrontement militaire qui a eu lieu il y a un an.

 

“Il n’y a rien de nouveau sous le soleil”, disait l’Ecclésiaste, “le plus sage de tous les hommes”. En 1921, au lendemain des terribles violences qui firent des dizaines de morts à Tel-Aviv, parmi lesquels l’écrivain Yossef Haim Brenner, de nombreuses voix au sein du Yishouv pleurèrent la terrible réalité des pogromes, auxquels ils avaient cru échapper en venant s’installer en Palestine pour “construire le pays et se construire”, selon le slogan sioniste. Plus encore que les morts de Tel-Aviv (et ceux de Hébron en 1929), c’est sur leurs propres illusions que ces pionniers sionistes versaient des larmes amères.

 

Sur la fosse commune des victimes des pogromes de Hébron, 1929

 

J’ai retrouvé la même désillusion, sous une forme différente, dans le récit que j’ai entendu récemment de la bouche d’un nouvel immigrant, venu s’installer à Jérusalem après avoir vécu longtemps à Paris. A travers son récit lucide se fait jour une vérité que beaucoup d’Israéliens de longue date ont tendance à oublier, ou à occulter. Voici son témoignage : “A l’oulpan, à Jérusalem, j’ai constaté que les élèves arabes, en surnombre dans la classe, jouissaient d’une position privilégiée. Le professeur leur donnait plus souvent la parole, et ils ne se privaient pas de faire “bande à part”, se comportant avec arrogance et mépris, avec son approbation tacite, alors que nous étions encouragés à faire profil bas”. Plus tard, j’ai retrouvé la même attitude lors de mes études, et plus tard encore, dans l'institution où j’effectue mon stage. Lors des réunions du personnel, chaque intervention d’un employé arabe est accueillie avec déférence et avec un excès de respect, comme si tout ce qu’il disait était parole sacrée… Je ne comprends pas cette attitude d’auto-effacement des Israéliens juifs face à leurs collègues arabes…”’

Pour répondre à la question de ce nouvel immigrant, j’ai cherché à comprendre les raisons de ce phénomène, qui sont multiples, parmi lesquelles on peut citer : la politique de “discrimination positive” menée par Israël pour encourager “l’intégration” des Arabes israéliens ; l'idéologie pacifiste juive, du Brith Shalom jusqu'à Shalom Archav (1), la méconnaissance de la culture arabe - surtout chez les Israéliens d’origine européenne - et en particulier de l’attitude de l’islam envers les minorités juives et chrétiennes (dhimmis) ; et enfin - et surtout - la peur de l’islam et des musulmans.

 

 La peur de l'islam, un sujet occulté

 

Ce sujet capital affecte non seulement la vie de tous les jours, dans les nombreux endroits où cohabitent Juifs et Arabes en Israël, comme ceux évoqués dans le témoignage ci-dessus, mais aussi la réalité de l’affrontement entre Israël et ses ennemis, à l’intérieur et aux frontières du pays. Quand Israël prétend “ramener le calme” à Jérusalem, en envisageant d’interdire des manifestations juives, quand il interdit toute prière sur le Mont du Temple, lieu le plus sacré du judaïsme, quand il s’abstient de riposter aux tirs de roquettes incessants venus de Gaza pendant des années, c’est cette même attitude de prudence timorée, mêlée d’ignorance et de peur, qui est à l’oeuvre.

 

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Batterie Kippat Barzel en action : puissance militaire et faiblesse politique

 

On me rétorquera bien entendu que dans le conflit face au Hamas, ou face aux émeutiers de Jérusalem, Israël est dans une situation de supériorité militaire ou policière, qui l’autorise à faire preuve de “prudence”, de “retenue”, ou d’autres qualités qui sont celles du fort envers le plus faible. Mais cette réponse tient d’une erreur de perspective, et aussi d’une tentative de nous mentir à nous-mêmes. Nous nous comportons comme si nous étions confrontés à un simple problème de police, ou à des “événements sécuritaires” (2), alors qu’il s’agit d’une guerre véritable, qui oppose une minorité juive à des ennemis faisant partie du vaste ensemble arabo-musulman.

 

 L'illusion de la puissance technologique

 

De fait, quand des Juifs sont caillassés ou agressés à Jérusalem ou ailleurs par des foules arabes, dans des circonstances qui rappellent les périodes les plus sombres de notre histoire, il s’agit d’une tentative de pogrome et pas d’un fait divers. Qui est le plus fort : le Juif orthodoxe qui tente d’échapper à ses agresseurs et de sauver sa vie, ou ceux-ci? Il en est de même à la frontière de Gaza: nous sommes persuadés d’être les plus forts, à l’abri derrière la barrière technologique du “Kippat Barzel”, qui détruit en vol (pas toujours) les roquettes lancées par l’ennemi, nous permettant de vivre dans une illusoire tranquillité (sauf pour les habitants des localités frontalières, dont la vie est transformée en enfer, dans l’indifférence générale). Mais cette force illusoire parvient mal à masquer une faiblesse morale et psychologique, qui éclate au grand jour quand le Hamas tire sur Jérusalem en plein Yom Yeroushalayim (3) 

 

C’est en effet à Jérusalem et notamment sur le Mont du Temple que cette faiblesse est le plus manifeste. A cet égard, l’attitude d’Israël sur le Mont du Temple constitue une double erreur, psychologique et politique. Psychologiquement, elle renforce les musulmans dans leur complexe de supériorité, en les confortant dans l’idée que l’islam est destiné à dominer les autres religions et que ces dernières ne peuvent exercer leur culte qu’avec l’autorisation et sous le contrôle des musulmans, c’est-à-dire en étant des « dhimmis ». 

 

Politiquement, elle confirme le sentiment paranoïaque de menace existentielle, que l’islam croit déceler dans toute manifestation d’indépendance et de liberté de ces mêmes dhimmis à l’intérieur du monde musulman. Paradoxalement, la souveraineté juive à Jérusalem est perçue comme une menace pour l’islam, précisément de par son caractère incomplet et partiel : les Juifs sont d’autant plus considérés comme des intrus sur le Mont du Temple, qu’ils n’y sont pas présents à demeure et qu’ils y viennent toujours sous bonne escorte, comme des étrangers et des envahisseurs potentiels.

 

Comment Israël a perdu la guerre psychologique

 

En apparence, Israël n’a pas peur du terrorisme, qu’il combat efficacement, et dont il a largement triomphé sur presque tous les fronts. Sauf sur un point essentiel : la guerre psychologique. Israël (et l’Occident tout entier) a perdu la guerre psychologique contre le Hamas et contre l’islam en général, parce qu’il a intégré dans sa propre psyché la peur de l’ennemi, arme psychologique la plus redoutable de tous les terrorismes, et dont l’islam a fait sa spécialité, en jouant constamment sur le double dispositif mental et militaire de la peur et de la soumission, de l’apitoiement et de la terreur.

 

La meilleure preuve de cette réalité paradoxale est l’attitude des responsables de services de sécurité israéliens à Jérusalem (Shin Beth, police, etc.), qui mettent constamment en garde le public israélien contre le risque “d’embrasement”’ du Mont du Temple, ce “baril de poudre” qui pourrait selon eux déclencher une “guerre mondiale”, si l’on autorisait une pognée de Juifs à venir y exercer librement leur culte, comme le proclament pourtant la Déclaration d’indépendance d’Israël et toutes les déclarations universelles des Droits de l’homme. Ces prétendus “gatekeepers”, censés assurer la responsabilité suprême de la sécurité d’Israël, sont devenus depuis longtemps les pourvoyeurs d’une idéologie défaitiste, par un curieux mécanisme psychologique qui reste à explorer.



 

La synagogue de Névé Dekalim, détruite après le retrait de Gaza

 

En définitive, cette attitude de peur se retourne également contre nos ennemis, en les poussant à la surenchère et en les empêchant de grandir, de se développer et de renoncer à leurs rêves funestes et infantiles. N’oublions pas que c’est le retrait de Gaza orchestré par Ariel Sharon qui a mis au pouvoir le Hamas, sous le joug duquel souffrent des millions de musulmans, et que ce sont les accords d’Oslo qui ont amené Arafat au pouvoir. La peur (et la corruption, intellectuelle et matérielle) a toujours été mauvaise conseillère. “Il est “plus difficile d’extirper la Galout du Juif que de faire sortir  les Juifs de la Galout”, disait Manitou. Le jour où  nous cesserons d’avoir peur de l’islam, nous pourrons enfin devenir ce “Nouveau Juif” que Jabotinsky appelait de ses voeux et gagner le respect de nos ennemis, et le nôtre.

Pierre Lurçat

 

1. Sur l’idéologie pacifiste, je renvoie à mon livre La trahison des clercs d’Israël, La Maison d’édition 2016.

2.  Le vocabulaire employé en Israël pour décrire les pogromes arabes a toujours été marqué par l’understatement, depuis l’euphémisme des “événements de 1929”

3. Sur l’illusion technologique que représente Kippat Barzel, voir http://vudejerusalem.over-blog.com/2019/11/israel-face-a-gaza-sortir-de-l-illusion-technologique-et-retrouver-les-valeurs-de-tsahal-pierre-lurcat.html.

 

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