Rencontre avec Marek Yanai à Jérusalem : Un des grands artistes israéliens contemporains
(Article paru dans Israël Magazine)
La salle est comble ce vendredi matin, à quelques heures du shabbat, pour écouter le peintre Marek Yanai, à Jérusalem, ville qui est un des thèmes principaux de son œuvre. Je l'ai découvert, comme dans doute beaucoup des gens qui sont assis dans la salle de conférence de Beit Avi Chai, à l'occasion de la très belle exposition rétrospective qui lui est actuellement consacrée.
Marek Yanai est un homme petit et râblé, au visage énergique, qui ressemble à l'autoportrait de lui exposé ici-même. Iris Barak, qui mène le dialogue avec lui, est la jeune directrice de la collection Dubi Shiff. “Je connais Marek depuis 10 ans. Notre collection vise à encourager la peinture figurative en Israël”. D’emblée, elle lui demande pourquoi il est devenu peintre. Question délicate, à laquelle il répond avec humour : “Un haltérophile n'aurais pas pu faire du saut en hauteur. J'essaie de travailler dans le domaine où je suis doué. J'ai choisi le département art graphique à Betsalel avant de m’orienter vers le département d'art libre (omanout hofshit) ».
Iris Barak insiste sur le fait que l'art figuratif n'était pas encouragé à l’époque : « L'art figuratif était considéré comme dépassé… les artistes qui choisissaient l’art figuratif choisissaient un domaine considéré comme "irrelevant"... En Israël, hélas, les budgets des musées sont inexistants. La plupart des artistes ne vivent pas de leur art ». Elle explique son travail auprès de Dubi Shiff, qui collectionne des œuvres d'artistes israéliens depuis trois décennies, et raconte avoir été impressionnée par la personnalité de Marek et par son œuvre. Elle emploie pour qualifier son travail le terme de « subversion ».
Marek Yanai : « Je fais ce que j'aime. Je récuse le terme de 'subversion'. Je récuse aussi le terme d'art et d'artiste. Aujourd'hui chaque coiffeur se présente comme artiste… Quelqu’un a dit que si Rembrandt vivait aujourd'hui, il serait réalisateur de films. A propos de Dubi [Shiff], je peignais mes tableaux et soudain vient quelqu'un qui se présente comme collectionneur… J'ai pensé "encore un…" il a regardé mes tableaux et m'a parlé dans ma langue. Je suis en colère car il m'a "pris" mes plus belles peintures… (rires). Il a même pris un de mes plus beaux tableaux pour son appartement de Miami… »
Dans la réponse de Yanai et dans sa façon très modeste de se définir comme un artisan, comme un peintre et non comme un artiste, je retrouve une qualité de certains grands artistes, qui refusent précisément d’entrer dans le jeu très particulier de l’art comme profession et comme activité économique, de ses définitions, de ses modes et de ses mensonges.
Iris Barak poursuit l’entretien en expliquant que « les plus grands musées israéliens exposent aujourd'hui des œuvres figuratives... C’est devenu bon ton et c'est la tendance actuelle. Mais ce n'a pas toujours été ainsi ». Lorsqu’elle lui demande quelles ont été ses influences, Marek Yanai répond : « Je vois un visage et je supplie la personne de devenir mon modèle… Rien n'est planifié. Tout est “à l'aide de Dieu’’ ».
Iris Barak affirme que Marek maîtrise tant l'aquarelle que la peinture à l'huile, mais là encore, il la reprend : « On ne maîtrise pas… on peut seulement développer une technique… C'est toujours à l'aide de D. et c’est un athée qui vous parle ! Aucun portrait à l’aquarelle ne m'a pris plus de trois heures. La peinture à l'huile nécessite des mois et des années de travail ». Effectivement, on peut le voir dans un film en train de peindre un portrait à l’aquarelle, qui lui sort littéralement des mains.
Une dame de l'assistance se lance dans une longue et intéressante description de la particularité de son art, et quand elle finit de parler, Marek lui répond qu'il ne « savait pas être comme ça… » En écoutant parler Marek Yanai, je comprends la différence entre l'artiste qui pratique son art en écoutant sa voix intérieure et celui qui prétend faire passer un message et qui joue le jeu de l'artiste, tel qu'on l'attend de lui… Iris Barak affirme que « Marek représente une école à lui tout seul ». Elle mentionne les noms de Hirshberg et d’Elie Shamir. « Il y a en Israël des artistes de premier rang. Cette année, pour la première fois, le musée d'Israël a accepté de recevoir de l'argent pour un prix décerné à une œuvre figurative… »
Marek Yanai explique avoir « peint la Jérusalem d'en haut et d'en bas ». Quelqu’un l’interroge sur son tableau représentant un petit déjeuner… « C'est une longue histoire que j'ai raconté sur le blog “Jerusalem vitrine” et dans le catalogue de l’exposition… Cela a commencé avec les personnes et pas par les objets ». De fait, une grande partie de son œuvre est constituée de portraits, et on comprend en les regardant que Marek Yanai est encore plus intéressé par les hommes et les femmes qu’il peint que par les paysages (qui sont, faut-il le préciser, superbes).
Dans le beau film qui lui est consacré à Bet Avi Hai, on le voit raconter comment il est devenu peintre, comment il a été deux fois « chassé » de l’école Betsalel (la prestigieuse école d’art israélienne, hélas menacée par les tendances destructrices de l’art contemporain et par l’antisionisme délirant de ses dirigeants). On le voit aussi parler de Vélasquez et évoquer, avec un éclat dans les yeux, sa passion des portraits. Mais trêve de paroles… Car rien ne remplace la rencontre avec l’œuvre de Marek Yanai. L’exposition à Bet Avi Hai à Jérusalem est ouverte jusqu’au 31 juillet. N’attendez pas le dernier jour pour vous y rendre, et découvrir un des grands artistes israéliens contemporains.
Pierre Lurçat