Overblog
Follow this blog Administration + Create my blog
VudeJerusalem.over-blog.com

La “cancel-culture” est-elle une invention juive ? La gauche israélienne et la politique du ressentiment (I)

April 25 2024, 08:15am

Posted by Pierre Lurçat

Manifestation anti-Nétanyahou

Manifestation anti-Nétanyahou

 

Après l’attaque sans précédent de l’Iran contre le territoire israélien et alors que le front Nord se réchauffe, comment comprendre que la “gauche” israélienne (qui n’a évidemment peu à voir aujourd’hui avec les idéaux de la gauche authentique, ses chefs appartenant tous – d’Ehoud Barak à Yaïr Lapid – à ce qu’on appelait jadis en France la “gauche caviar”) ne trouve rien de mieux à faire que de mettre les rues du pays à feu et à sang pour réclamer, comme elle ne cesse de le faire depuis plusieurs années, le départ de “Bibi”? Comment expliquer que cette même gauche, aux moments les plus dramatiques de notre histoire – et jusque dans le ghetto de Varsovie – ait préféré ses intérêts partisans à l’intérêt supérieur de la nation juive ?

 

En réalité, comme l’avait déjà observé Shmuel Trigano il y a plus de vingt ans, l’identité profonde de la gauche israélienne et juive est une identité du ressentiment. En effet, expliquait-il, “Le camp de la paix a toujours un “mauvais Israël” contre lequel s’affirmer, une exclusion d’autrui à travers laquelle il s’identifie lui-même. Son identité est fondamentalement une identité du ressentiment”[1]. Ce ressentiment, nous l’avons vu à l’œuvre depuis plus d’un siècle dans l’histoire d’Israël. Quand les portes de l’émigration ont été fermées par l’Angleterre devant les Juifs fuyant le nazisme dans les années 1930, le Yishouv dirigé par la gauche sioniste a interdit aux membres du Betar de recevoir les précieux “certificats”, les condamnant ainsi à une mort certaine.

 

Avant cela, elle leur avait fermé le marché du travail, la Histadrout exigeant de chaque travailleur juif qu’il détienne le “carnet rouge” (pinkas adom) attestant de son appartenance au “camp des travailleurs”... A la même époque, David Ben Gourion maniait l’insulte envers son principal rival, Zeev Jabotinsky, qu’il qualifiait de “Vladimir Hitler”. Plus tard, Ben Gourion ne désignait jamais Menahem Begin par son nom, s’adressant à lui à la Knesset uniquement comme “le voisin du député Bader”... Ce dernier exemple est particulièrement significatif. Il montre en effet que la “cancel culture” actuelle n’a rien inventé.

 

Depuis l’assassinat d’Arlosoroff (le 16 juin 1933) et jusqu’à nos jours, la gauche sioniste s’est servie de la violence et des accusations de violence à des fins politiques – pour asseoir et maintenir son hégémonie (l’affaire Arlosoroff est survenue alors que le mouvement sioniste révisionniste était à son apogée) – et elle a constamment accusé ses adversaires, en recourant à la “reductio ad hitlerum[2], c'est-à-dire en accusant ses adversaires politiques d'être des “nazis”

 

La reductio a hitlerum, dont sont aujourd’hui victimes Israël et ses défenseurs sur la scène publique internationale, est ainsi dans une large mesure une invention de cette gauche juive – sioniste et non sioniste – qui n’a reculé devant aucun procédé, recourant au mensonge et à la calomnie pour “annuler” ses adversaires. Ils ont “annulé” Jabotinsky et Begin, réécrit l'histoire du mouvement sioniste pour effacer la part de ceux qui ne pensaient pas comme eux – sionistes révisionnistes, sionistes religieux, mizrahim ou ‘haredim – et aujourd'hui ils voudraient annuler Netanyahou et la volonté de la majorité des Israéliens…

 

Ironie de l’histoire, ceux-là même qui ont trouvé des boucs émissaires dans leur propre camp, en accusant de tous les maux leurs adversaires politiques, se trouvent aujourd’hui trahis par leurs anciens “camarades” progressistes, devenus les ennemis jurés d’Israël, et qui sont en train de rendre judenrein les grandes universités, aux Etats-Unis et ailleurs… (à suivre)

P. Lurçat

 

NB. Mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain vient d’être réédité aux éditions B.O.D. et peut désormais être commandé dans toutes les librairies.

 

 

 

 

 

[1] S. Trigano, L’ébranlement d’Israël, Seuil 2002.

[2] Bien avant que l’expression ne soit forgée par Leo Strauss au début des années 1950.

 

 

[1] S. Trigano, L’ébranlement d’Israël, Seuil 2002.

"Le voisin du député Bader" : Menahem Begin

"Le voisin du député Bader" : Menahem Begin

See comments

Le rav Kook, Shmuel Yosef Agnon et le “bataillon du travail”. Une histoire de Pessah, P. Lurçat

April 21 2024, 12:32pm

Posted by Pierre Lurçat

Le campement du Bataillon du travail à Rehavia, Jérusalem

Le campement du Bataillon du travail à Rehavia, Jérusalem

 

L'histoire se passe à Jérusalem, pas loin du quartier où j'habite, en 1926. Les protagonistes sont des figures bien connues de l'histoire du Yishouv: le grand rabbin de la Palestine mandataire, Abraham Itzhak Hacohen Kook, l'écrivain et futur Prix Nobel de littérature Shmuel Yosef Agnon, et les Pionniers du Gdoud HaAvoda, le fameux « bataillon du travail », d'obédience sioniste socialiste. Le rabbin Kook – qui n'était pas seulement un érudit et un géant de la pensée, mais aussi un homme d'action – se rendit auprès des dirigeants du bataillon du travail à Jérusalem (ils étaient installés dans le quartier de Rehavia, alors en pleine construction), à l’approche de Pessah, pour les convaincre de ne pas manger de ‘Hamets à Pessah. Sachant que la matsa coûtait plus cher que le pain, il leur offrit de payer la différence…

 

Le rabbin Kook fut éconduit sans le moindre égard… « Ceux d'entre nous qui souhaitent manger de la matsa se sont déjà organisés. Quant aux autres, ce qu’ils consomment est leur affaire privée ». Sans se démonter, le rabbin Kook répondit à son interlocuteur que la consommation de ‘Hamets par les ‘haloutsim.qui s'occupent d'édifier le pays, n'était pas une affaire privée, mais bien une question publique… « Cela touche au cœur de la nation juive ! » Azriel Carlebach, élève du rav Kook et futur rédacteur en chef du journal Maariv, raconte que le rabbin fut chassé manu militari.

 

L'affaire fit quelques vagues dans la presse juive de l'époque, et l'organe de l’Agoudat Israel à Vienne, Haderekh, publia un article reprochant au rabbin Kook son attitude trop conciliante envers les « apikoyer »... Mais l'histoire ne s'arrête pas là. L'année suivante, à l'approche de Pessah, les pionniers du bataillon du travail reçurent des matsot de la part de l'écrivain Shmuel Yosef Agnon, qui était leur voisin. Et l'année suivante, ils vinrent acheter des matsot de leur propre initiative.

 

Cette histoire en dit long sur le conflit entre Juifs religieux et laïcs, qui se poursuit un siècle plus tard dans des termes presque inchangés. Le rav Abraham Wasserman, qui l’a relatée dans les colonnes de Makor Rishon, ajoute une précision intéressante. Les membres du bataillon du travail n’étaient pas tous des Juifs « éclairés » et laïcs. Un d’entre eux, Eliezer Orlander, était un Juif observant, qui poussait le zèle jusqu’à porter deux paires de tefillin chaque matin. Selon Wasserman, le dirigeant du Gdoud Ha-Avoda, Itshak Sadeh lui-même, veillait à trouver un minyan pour qu’Orlander puisse prier chaque matin… Je ne sais pas si ce détail est véridique, mais il ajoute évidemment une touche très positive à cette histoire.

 

Elle me touche personnellement aussi, parce que mon grand-père, Joseph Kurtz, a fait partie du bataillon du travail, à peu près à la même époque à laquelle se déroulent les faits, à Jérusalem où ma mère est née en 1928. Mon grand-père était, à l’instar de la plupart des ‘haloutsim du bataillon du travail, un Juif libéré du joug des mitsvot. Mais l’amour d’Israël qui coulait dans ses veines a été transmis aux générations suivantes, comme en atteste le fait que deux de mes nièces vivent en Israël, où elles sont montées à leur tour, des années après moi. Hag Pessah casher vé-Saméakh!

P. Lurçat

 

Joseph Kurtz, mon grand-père, en costume bédouin

Joseph Kurtz, mon grand-père, en costume bédouin

See comments

Oublier Amalek (III) : Israël et la question du Mal après le 7 octobre - Contenir le mal ou l’éradiquer ?

April 11 2024, 07:06am

Posted by Pierre Lurçat

Oublier Amalek (III) : Israël et la question du Mal après le 7 octobre - Contenir le mal ou l’éradiquer ?

Une récente déclaration du Premier ministre israélien met en lumière un changement radical dans le discours public en Israël après le 7 octobre : “Nous combattons le mal absolu… Sinwar sera éliminé comme Haman a été éliminé”. Au-delà de la référence à la figure tutélaire de l’ennemi du peuple Juif, cette déclaration contient surtout la désignation du Hamas comme “mal absolu”. A cet égard, il s’agit d’une nouveauté significative : Israël ne combat plus pour se défendre, ni même pour anéantir l’ennemi, mais pour détruire le ‘mal absolu”. Troisième volet de notre série d’articles consacrés à la question du mal depuis le 7 octobre.

Lire les 2 premiers articles:

 

Oublier Amalek? Israël et la question du mal après le 7 octobre, Pierre Lurçat - VudeJerusalem.over-blog.com

Oublier Amalek ? Israël et la question du mal après le 7 octobre (II) : De l’indignation à l’indifférence - VudeJerusalem.over-blog.com

 

“Le Mal existe de manière immanente, comme un phénomène particulier… Les temps dans lesquels nous vivons se caractérisent par un énorme accroissement du Mal sous les formes les plus variése. Je crois qu’il ne s’est jamais produit une telle progression du Mal, comme celle que nous connaissons aujourd’hui”

Gustav Herling[1]

 

            Dès le lendemain du 7 octobre, Israël a entamé une révision de la fameuse “Conceptsia”, qui avait rendu possible la guerre lancée par le Hamas le jour de Simhat Torah. Les questions posées ont permis d'aborder cette Conceptsia dans ses aspects militaires, politiques, stratégiques et moraux. Mais il y a une autre dimension, essentielle, qui a été quelque peu négligée et que nous voudrions esquisser ici : la dimension philosophique. Jusqu’au 7 octobre en effet, l’ensemble de l’establishment politique israélien – et, au-delà encore, une grande partie des élites intellectuelles, universitaires, rabbiniques et médiatiques – pensaient que le conflit israélo-arabe était un conflit territorial, qu’il était loisible de résoudre au moyen de concessions faites à un ennemi considéré comme un acteur rationnel (selon le fameux principe des “territoires contre la paix”, partagé par la gauche et par une partie de la droite[2]...)

 

C’est précisément cette croyance très largement partagée qui a volé en éclats, en même temps que la fragile barrière dite “intelligente”, séparant Israël de Gaza. Un des soubassements philosophiques du slogan “les territoires contre la paix” est en effet le présupposé selon lequel l’ennemi partage grosso modo nos valeurs et notre mode de pensée. Cette croyance profondément enracinée en nous, qui nous fait attribuer à l’ennemi (et à l’Autre en général) notre propre système de pensée, génère de multiples erreurs, dont les conséquences sont parfois immenses.

 

Sans prétendre épuiser ce sujet très vaste, nous pourrions définir comme l’“erreur fondamentale” celle qui consiste à croire que nos ennemis veulent le Bien. C’est en effet sur cette erreur que repose l’ensemble de la Conceptsia, qui a prétendu approvisionner Gaza en électricité, en denrées et produits de base et faire passer au gouvernement du Hamas l’argent du Qatar… Cette erreur fondamentale peut s'énoncer ainsi : “S’ils sont bien nourris, ils seront apaisés et enclins à ne pas nous attaquer”.

 

Or, cette erreur cruciale, qui remonte aux débuts du conflit israélo-arabe[3], repose sur un présupposé erroné : nos ennemis ne partagent pas nos valeurs. L’ennemi gazaoui et l’ennemi musulman en général ne cherche pas le Bien, la Paix, la Sécurité ou la Prospérité - toutes valeurs que nous révérons et pensons universelles - car il aspire exactement au contraire ! Le Hamas, le Hezbollah et l'Iran (mais aussi l’Autorité palestinienne, par d’autres méthodes) cherchent le contraire du Bien et de la Paix : ils veulent le djihad et la soumission, c'est-à-dire la Guerre et le Mal[4]. Les terroristes du Hamas et leurs supplétifs dans la population dite “civile” de Gaza n'aspirent pas à élever leurs enfants dans la prospérité mais à les voir mourir en “martyrs” dans le sang, le bruit et la fureur.

 

La découverte la plus lourde de signification faite par la société israélienne dans son ensemble après le 7 octobre est ainsi celle de la réalité du Mal. Comme l’écrivait le philosophe Jacques Dewitte dans un article éclairant paru en 2011, “le mal existe, ou plus exactement, il persiste, il insiste…” Ou, pour citer l’écrivain polonais Gustav Herling, ”il ne s’est jamais produit une telle progression du Mal, comme celle que nous connaissons aujourd’hui”. Face à cette manifestation d’un Mal absolu et persistant, l’après-7 octobre marque le début d’une désillusion et d’un douloureux réveil, qui passe aussi par une révision de notre vision du bien et du mal.  Un des aspects significatifs de cette révision est la modification à laquelle nous assistons du discours public en Israël, illustrée notamment par cette déclaration récente du Premier ministre israélien à l’occasion de Pourim : “Nous combattons le mal absolu… Sinwar sera éliminé comme Haman a été éliminé”.

 

De nombreuses déclarations du même acabit de la part de dirigeants politiques et militaires, mais aussi de soldats du rang et d’officiers, montrent que la société israélienne a (enfin) compris à qui nous avions affaire. L’ennemi doit être vaincu et détruit, non pas seulement en raison d’impératifs sécuritaires ou existentiels. Il doit être détruit et annihilé, en tant que représentant du Mal absolu, car aucune coexistence n’est possible avec le Mal absolu. Le rôle d’Israël n’est pas de “contenir” le mal (selon la doctrine américaine du containment mise en œuvre pendant la Guerre froide) mais bien de le combattre sans relâche et sans merci en vue de l'anéantir. Oui, le Hamas et Gaza, le Hezbollah et le régime iranien doivent être détruits. (à suivre…)

P. Lurçat

NB. Mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain vient d’être réédité aux éditions B.O.D. et peut désormais être commandé dans toutes les librairies.

 

 

[1] in Variations sur les ténèbres, Seuil 1999, cité par J. Dewitte, “Y a-t-il une réalité substantielle du mal?” Paru dans Crime et folie, Cahiers de la NRF, Gallimard, 2011.

[2] Cf le chapitre consacré aux Accords de Camp David de mon livre La trahison des clercs d’Israël

[3] Cf Jabotinsky Le Mur de fer, éditions l’éléphant 2022.

[4] Voir notamment les livres de Bat Yeor et celui de Bernard Lewis, Le langage politique de l’islam, Gallimard.

See comments

Le secret de l’armée israélienne vu par l'écrivain S. J. Agnon

April 8 2024, 08:23am

Posted by Pierre Lurçat

Agnon avec Ben Gourion

Agnon avec Ben Gourion

 

Le texte qu’on lira ci-dessous est exceptionnel à plusieurs titres. Shmuel Joseph Agnon, écrivain israélien et Prix Nobel de littérature, y aborde un sujet très actuel : celui de l’armée d’Israël. Les réflexions d’Agnon – sur les liens entre force physique et force spirituelle et sur le pacifisme notamment – demeurent étonnamment pertinentes pour la situation d’Israël aujourd’hui. Elles ont été publiées dans le quotidien Maariv à la veille de Simhat Torah en 1974 – c’est-à-dire il y a tout juste 59 ans et demi – sur l’initiative de la journaliste (et future membre de la Knesset) Geoula Cohen. Agnon est d'autant plus actuel qu'il est, tout comme son œuvre, à cheval entre deux mondes : celui de la tradition et celui de la modernité, celui de l'ancien Yishouv et celui des pionniers sionistes. Son regard sur la question brûlante des rapports entre armée et judaïsme est d'autant plus précieux. Bonne lecture ! P. Lurçat

“Je crois qu’il n’y a pas de force physique sans force spirituelle, qu’il n’y a pas de force sans Torah. En d’autres termes, aucun pouvoir physique ne se suffit à lui-même s’il ne provient pas d’un lieu de pouvoir spirituel, que nous appelons un « idéal ». Votre question concernant « l’Éternel des armées » et l’armée d’Israël est très profonde et difficile. En fait, j’ai une opinion arrêtée à ce sujet, mais j’ai besoin de clarifier un peu plus la raison pour laquelle j’ai cette idée. Il est écrit au sujet de Dieu que, sur le mont Sinaï, Il est apparu comme un vieil homme enveloppé dans un talith, et à la traversée de la mer Rouge, Il est apparu comme un guerrier. C’est ainsi qu’Israël devrait être lorsque nous devons nous engager dans des affaires spirituelles, enveloppés dans un talith ; mais quand c’est un temps de guerre, à Dieu ne plaise, alors même un époux sort de la chambre nuptiale et la mariée elle-même de dessous le dais nuptial !

Nous devons toujours croire que les deux sont interdépendants. S’il y a la sécurité, il y a aussi la possibilité de s’engager dans les affaires de la Torah ; s’il y a de la Torah, il y a de la force, s’il y a de la force, il y a de la Torah. Nous voyons avec Bar Kokhba que ses soldats observaient les mitsvot, c’est-à-dire qu’ils n’oubliaient pas les commandements de Dieu, et c’est ainsi que notre armée devrait être : non pas une armée pour une armée, ce que vous appelez un culte du pouvoir, mais plutôt pour l’amour de la Torah. Si je suis capable d’habiter ici, dans mon quartier de Jérusalem, Talpiot, qui est juste à la frontière, et d’étudier une page de la Guemara, c’est parce que je sais que l’armée israélienne me protège…

Je pense que l’armée n’est pas une partie de plaisir, mais s’adonner au pacifisme est une mauvaise affaire. En ce qui concerne nos pacifistes habituels, qui se prélassent dans leur pacifisme, les Sages ont déjà dit : « Quiconque fait miséricorde aux cruels finit par être cruel envers les miséricordieux ». J’ai reçu la visite d’un membre de l’Hashomer HaTzair, ce mouvement de jeunesse de gauche. En réponse à l’opinion qu’il m’a exprimée, j’ai répondu que le temps où le peuple d’Israël tendait le cou pour le massacre est révolu. Ils prétendent qu’une armée et la guerre ne conviennent pas au peuple d’Israël. Est-il « convenable » que notre ennemi nous massacre et que nous soyons massacrés ? En ce qui concerne l’ère messianique, il est dit : « Une nation ne lèvera pas l’épée contre une nation » (Isaïe 2 :4), mais pour y parvenir, nous devons être dignes du messie.

Autrefois, j’ai écrit une parabole satirique, « Le loup habitera avec l’agneau », sur les émeutes arabes de 1929 [publiées dans la revue Moznayim en 1930]. Je n’avais pas l’intention de m’en prendre, Dieu nous en préserve, à des personnes déterminées, mais seulement aux idéaux du pacifisme. Je n’ai pas formé mon opinion à partir d’idéologies, ni du pacifisme ni de son contraire. J’ai été instruit sur le pacifisme à mes dépens [P.L. lorsque la maison d’Agnon à Jérusalem a été dévastée dans les attaques arabes]. Mais cette histoire a provoqué un tollé à l’époque parmi les pacifistes du mouvement Brit Shalom [qui plaidait pour la coexistence judéo-arabe et renonçait à l’espoir d’un État juif], jusqu’à ce que tous, sauf un, Arthur Ruppin, prennent leurs distances… Ce n’est qu’avec le temps, après un peu d’introspection, qu’ils ont renouvelé leur amitié.

Je n’aime pas l’armée. Je ne parlerais pas d’une armée de Gentils de cette façon. Je ne suis pas touché par quoi que ce soit de pratique ou de technique. Une fois, j’étais à Yad Vashem le jour du Souvenir, et ils ont utilisé toutes sortes d’effets spéciaux, comme des torches et des choses comme ça, des choses qu’il y a quarante ans ou plus, je ne pouvais pas tolérer dans les théâtres de Reinhardt en Allemagne. Je veux vous dire, je sais que tout le monde est excité par le défilé de l’armée le jour de l’indépendance ; Je sais que les femmes sont très enthousiastes à ce sujet, mais cela ne m’impressionne pas... Pourtant, quand j’ai vu, ici, dans le quartier de Talpiot, les jeunes hommes de la guerre de libération, comment ils nous défendaient et comment ils venaient de leurs postes les veilles de Shabbat pour entendre le Kiddouch, alors je n’ai pas pu retenir mes larmes…”

(Traduit à partir de la version en anglais publiée par la Jewish Review of Books, “The Secret of Our Army’s Endurance” - Jewish Review of Books)

« Si je suis capable d’habiter ici, dans mon quartier de Jérusalem, Talpiot, qui est juste à la frontière, et d’étudier une page de la Guemara, c’est parce que je sais que l’armée israélienne me protège… »

« Si je suis capable d’habiter ici, dans mon quartier de Jérusalem, Talpiot, qui est juste à la frontière, et d’étudier une page de la Guemara, c’est parce que je sais que l’armée israélienne me protège… »

See comments

Une étincelle d’hébreu : Mishkan, le tabernacle et la sainteté du monde, Pierre Lurçat

April 5 2024, 13:05pm

Une étincelle d’hébreu :  Mishkan, le tabernacle et la sainteté du monde, Pierre Lurçat

 

Le judaïsme, à l’inverse de l’islam – dont toute la “sacralité” passe par l’instinct de violence et de meurtre, comme l’a montré René Girard – se préoccupe sans cesse de l’humanité et de la rédemption universelle, et pas seulement (comme il en a souvent été accusé à tort) du destin particulier du peuple Juif. Ce dernier a vocation à devenir un “peuple de prêtres” au service de l’humanité tout entière.

 

Cela apparaît bien dans la construction du Tabernacle (le “mishkan”, משכן) relatée dans les sections hebdomadaires du livre de Vayiqra que nous lisons actuellement. Le “huitième jour” donnant son nom à la parashat Chemini, qui est celui de l’inauguration du Mishkan, a été, dit le Talmud, “un jour de joie pour le Saint béni soit-Il comme celui de la création des cieux et de la terre”. C’est en effet, explique le Rav Léon Ashkénazi, la première fois dans l’histoire de l’humanité que la présence divine, la Chekhina (שכינה), va résider sur terre de façon définitive…

 

Vé-shakhanti bétokham”: Et je résiderai parmi eux” (ושכנתי בתוכם). L’idée que D.ieu puisse résider sur terre, parmi les hommes et non dans un Ciel lointain, est étrangère à bien des religions et cultures païennes, et sans doute également aux deux grandes religions qui se réclament de leur filiation avec le judaïsme. En réalité, cette idée essentielle au judaïsme a été méconnue par les musulmans tant que par les chrétiens. Les premiers, obsédés par la conquête matérielle et par la propagation de l’islam au fil de l’épée, sont imperméables à la notion même de sainteté, comme le montre bien l’utilisation qu’ils font de leurs mosquées à Gaza, Sichem et ailleurs, les transformant en dépôts d’armes et de munitions…

 

Les seconds, ayant fait de Jésus l’incarnation de D.ieu sur terre, ont en fait méconnu l’idée de sanctification du monde, en prétendant contre toute évidence que le monde était déjà rédimé. Ainsi, le message essentiel du judaïsme (“Soyez saints, car Je suis saint”) demeure tout aussi actuel aujourd’hui qu’hier, et l’impératif de sanctification du monde est encore plus urgent et essentiel à l’heure où Israël, de retour sur sa terre, se voit appelé à refaire de Jérusalem et du Temple reconstruit le centre spirituel et le poumon d’un monde en exil de sainteté authentique. Chabbat chalom!

P. Lurçat

See comments

Oublier Amalek ? Israël et la question du mal après le 7 octobre (II) : De l’indignation à l’indifférence

April 2 2024, 07:38am

Posted by Pierre Lurçat

Funérailles de victimes du pogrom de Hébron, 1929

Funérailles de victimes du pogrom de Hébron, 1929

 

“Il y a pire qu’une âme perverse, c’est une âme habituée”.

Charles Péguy

 

« Terriblement désespérée, moralement abattue, je me sentais absolument incapable d’accepter l’idée que je venais de vivre un pogrome en terre d’Israël… J’en avais vu de nombreux dans ma ville natale de Bialystok, et à Varsovie et à Siedlce ; mais un pogrome qui se déroulait ici, en Eretz-Israël ? Comment était-ce possible ? Il ne pouvait rien arriver de pire ! C’était le massacre de nos rêves et de nos espoirs, le massacre de nos années d’efforts et du mouvement sioniste dans son intégralité que ce pogrome… »

 

Puah Rakovski

Lire la première partie : Oublier Amalek? Israël et la question du mal après le 7 octobre, Pierre Lurçat - VudeJerusalem.over-blog.com

Dans son beau livre autobiographique, la militante sioniste et féministe Puah Rakovski raconte le sentiment d'effroi et de désespoir qu'elle a éprouvé lors des pogroms antijuifs des années 1920 en Eretz Israël. A ses yeux, il était impensable de revivre dans son pays d'adoption ce qu'elle avait vécu dans sa Russie natale. Le plus terrible à ses yeux était l'idée que le destin juif puisse se répéter dans le nouveau pays où s'édifiait un « Nouveau Juif », capable de se défendre et de contre-attaquer.

 

L'histoire des cent dernières années n'a fait que confirmer le regard désabusé porté par Rakovski sur les pogroms de 1921, auxquels l'historiographie sioniste a donné le nom très significatif d'« événements de 1921 »… Incapable de transformer radicalement le destin juif, le Yishouv a cru dissimuler cet échec, en inventant un euphémisme pour désigner les pogroms commis par les Arabes en Eretz Israël. L'indignation ressentie par la militante sioniste fraîchement débarquée dans le pays « ancien nouveau » a malheureusement fait place depuis lors à un sentiment tout autre, qu'on peut difficilement qualifier autrement qu'une forme d'habitude et même d'indifférence.

 

Pour avoir vécu en Israël depuis l'époque des funestes accords d'Oslo, il y a trente ans, je peux témoigner que les attentats horribles qui n'ont jamais vraiment cessé depuis lors ont été de plus en plus accueillis avec un sentiment de lassitude et de fatalisme, comme si la majorité du peuple d'Israël n'était plus capable de comprendre la signification du slogan resté depuis lors toujours actuel, hélas : « dam yehudi eyno hefker » (le sang juif ne coulera pas en vain). Il aura donc fallu le choc incommensurable du 7 octobre pour que la société israélienne dans son ensemble se réveille de sa torpeur et comprenne qu'il n'est pas possible de vivre derrière une barrière, avec des ennemis assoiffés de sang juif de l'autre côté !

 

De ce point de vue, le réveil de l'après 7 octobre aura été douloureux, mais salutaire. L'accoutumance au terrorisme à laquelle avaient conduit des décennies d'attentats meurtriers était en effet devenue une situation intenable et un piège mortel… A force de croire que le mal de la terreur arabe était inévitable, qu'il n'était pas plus grave que la neige en hiver ou que les accidents de la route, nous avions fini par ne plus comprendre ce qu'il signifiait et quelles pouvaient être ses conséquences.

 

Pour illustrer l'erreur conceptuelle dans laquelle l'État d'Israël et ses élites s'étaient largement enfermés avant le 7 octobre, je citerai un rabbin israélien connu, qui expliquait au micro de la radio de l'armée, il y a tout juste un an, à l'occasion de la fête de Pourim, que la notion d'Amalek était purement spirituelle et n'avait rien à voir avec l'actualité et qui mettait en garde les auditeurs – avec l'approbation enthousiaste du présentateur de l'émission – contre le soi-disant « danger » de confondre Amalek avec les Palestiniens..

 

De tels propos étaient répandus avant le 7 octobre, et on pouvait penser en écoutant ce genre de discours convenu que le rôle des rabbins était d'enseigner à leurs ouailles comment oublier Amalek, tout comme des générations de rabbins en galout avaient enseigné que Jérusalem était une notion spirituelle et qu'on devait faire de tout lieu sur la terre une petite Jérusalem… en oubliant la Jérusalem authentique. (A suivre...)

P. Lurçat

 

NB. Mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain vient d’être réédité aux éditions B.O.D. et peut désormais être commandé dans toutes les librairies.

 

 

See comments

Oublier Amalek? Israël et la question du mal après le 7 octobre, Pierre Lurçat

March 24 2024, 08:25am

Posted by Pierre Lurçat

Oublier Amalek? Israël et la question du mal après le 7 octobre, Pierre Lurçat

Souviens-toi d'Amalek!” : l'injonction biblique qui revient comme un leitmotiv dans la prière et dans le calendrier juif peut sembler étonnante à l'oreille du Juif moderne. Faut-il encore répéter que nous avons été, tout au long de notre longue histoire, détestés, haïs et persécutés ? Ne le savons-nous pas depuis l'aube de notre histoire ? Pourquoi répéter et ressasser cette injonction qui ressemble à un rappel cruel et vain d'une réalité à laquelle nous aurions préféré échapper ? Ou peut-être est-ce précisément en raison de notre tendance à chercher par toutes sortes de moyens sophistiqués à oublier cette réalité terrible que la tradition nous enjoint de nous souvenir d'Amalek? Réflexions à l'occasion du premier Pourim de l'après 7 octobre.

 

L'échec colossal à anticiper et à empêcher l'attaque meurtrière du 7 octobre interroge les fondements mêmes du projet sioniste, tout autant qu'il interpelle la conscience juive contemporaine. Cet échec n'est pas seulement, comme certains s'évertuent à le faire croire en Israël et ailleurs, celui de l'armée, du gouvernement et des services de sécurité, même s'ils sont les premiers concernés et mis en cause. En réalité, il s'agit d'un échec qui recouvre de multiples dimensions et qui, contrairement à celui de la surprise de Kippour 1973, va bien au-delà de ses dimensions strictement sécuritaires et militaires.

 

Il est aussi, comme nous voudrions le montrer dans les lignes qui suivent, un échec conceptuel et philosophique dans la capacité d'Israël et du peuple juif à 'appréhender le mal. Le mouvement sioniste avait pourtant cru tirer les leçons de notre histoire et de l'hostilité endémique à laquelle nous sommes confrontés depuis les débuts de l'histoire juive. Herzl, le “visionnaire de l'État” (Hozé ha-Medina) avait réfléchi sur l'antisémitisme et imaginé plusieurs “solutions” parfois naïves ou farfelues, avant d'en arriver à l'idée sioniste. Max Nordau s'est lui aussi intéressé de près au phénomène de la haine antijuive. Et Jabotinsky a consacré à ce sujet des nombreux articles qui demeurent souvent très actuels, tout en élaborant la dimension militaire du sionisme, qui était absente de la doctrine de Herzl.

 

Mais la création de l'État d'Israël a quelque peu relégué au second plan la réflexion sur cette question primordiale, en dépit des guerres incessantes depuis 1948 et de la persistance de l'antisémitisme en diaspora, et des formes nouvelles qu'a revêtues la “haine la plus ancienne”... Paradoxalement, la nouvelle réalité de l'existence juive après 1948 a peut-être engendré une illusion dangereuse, qu'on pourrait exprimer ainsi : avec notre souveraineté retrouvée, plus aucun Juif n'est en danger irrémédiablement.

 

L'État d'Israël est ainsi devenu, aux yeux de millions de Juifs à travers le monde, synonyme d'une “police d'assurance” contre l'antisémitisme. Chaque nouvelle vague de haine antijuive en Europe, en URSS ou, plus récemment, aux Etats Unis, s'est ainsi traduite par une vague d'émigration vers Israël, pays refuge. Or c'est précisément cette notion d'un Etat refuge qui a largement volé en éclats le 7 octobre, même si la situation des Juifs en dehors d'Israël s'est également dégradée depuis lors. Ainsi, de manière paradoxale, l'événement du 7 octobre et ses suites ont renforcé la vocation d'Israël comme État juif au sens identitaire tout en affaiblissant sa vocation première d'État refuge… (à suivre)

P. Lurçat

NB. Mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain vient d’être réédité aux éditions B.O.D. et peut désormais être commandé dans toutes les librairies.

See comments

Les intellectuels juifs et la guerre à Gaza (V) Démission et dérives des clercs juifs : Bruno Karsenti et Delphine Horvilleur

March 19 2024, 12:44pm

Posted by Pierre Lurçat

Les intellectuels juifs et la guerre à Gaza (V) Démission et dérives des clercs juifs : Bruno Karsenti et Delphine Horvilleur

 

Honte à tous ces fils qui préfèrent embrasser une carrière académique, ou “entrer en littérature”, dans le luxe et le confort des grandes villes d’Occident, au lieu de porter les pierres sur la grande route de Yeroushalayim”.

Theodor Lessing[1]

 

 

On ne sait pas si la nouvelle doit faire rire ou pleurer: le chorégraphe israélien Ohad Naharin, dont l’organisation “Ballet Irland” a décidé de déprogrammer un spectacle pour “punir” Israël de sa riposte militaire à Gaza, a réagi en déclarant qu’il aurait “soutenu cette décision s’il pensait qu’elle aiderait les Palestiniens”. Et il a ajouté, sur la télévision israélienne Kan, “Notre gouvernement est un ennemi d’Israël, les gens qui ont élu ces personnes sont des ennemis d’Israël”. Vous avez bien lu. Les ennemis d’Israël, selon Naharin, ne sont pas les terroristes du Gaza et leurs alliés, mais bien le gouvernement israélien et ses électeurs… Cette déclaration illustre un phénomène plus général, qu’on pourrait décrire comme la démission (ou la trahison, au sens où l’entendait Julien Benda) de certains intellectuels et artistes juifs, face au défi existentiel de la guerre déclenchée le 7 octobre par les ennemis mortels d’Israël.

 

Dans ce cinquième volet de notre série d’articles consacrée aux intellectuels juifs face à la guerre de Gaza, nous allons analyser les récents propos de deux intellectuels illustrant ce même phénomène. Dans un récent entretien sur Akadem, Delphine Horvilleur trouve ainsi “abject” et révoltant le fait que l’armée israélienne “tue tellement de Palestiniens” à Gaza. Et Ruben Honigman qui l’interviewe abonde dans son sens. Dans la revue K (qui fut parfois mieux inspirée), Bruno Karsenti prétend quant à lui qu’une guerre menée par des moyens injustes n’est pas une guerre juste, citant à l’appui de cette affirmation le philosophe juif américain Michael Walzer. Le commun dénominateur entre ces deux prises de position est que ces intellectuels prétendent critiquer (et condamner) Israël au nom de la justice (Karsenti) ou de la morale et des valeurs juives (Horvilleur).

 

Bruno Karsenti, comme bien d’autres avant lui, fait ainsi porter la responsabilité du “drame humanitaire” à Gaza au gouvernement israélien, n’hésitant pas à écrire : “Toujours à leurs postes dans le gouvernement, les sionistes religieux – dont la volonté de soumettre les Palestiniens est telle qu’ils puissent envisager leur expulsion de l’ensemble des territoires, et donc une politique d’épuration ethnique – ont continué à entretenir la haine et dresser des entraves à la fois à la politique humanitaire indispensable qui devait accompagner la riposte réassurant la sécurité…”. Ce faisant, il accrédite le narratif des adversaires politiques d’Israël (UE, frange progressiste du parti démocrate américain) qui établissent une symétrie entre le Hamas et une partie du gouvernement israélien.

 

Delphine Horvilleur, après avoir dénoncé la nazification d’Israël, qualifie la mort de civils palestiniens à Gaza d’”horrifiant” (sic) et va jusqu’à comparer la “contextualisation” par une partie de la communauté juive des morts de Gaza à celle des exactions du 7 octobre par les soutiens du Hamas. “Israël doit et peut faire beaucoup plus en matière de protection des civils”, explique doctement la rabbine, rejoignant ainsi l’exigence présentée à Israël par le président des Etats-Unis Joe Biden. Au-delà même de l’incroyable prétention d’intellectuels à juger de la stratégie militaire d’Israël, sans avoir pour cela plus de compétence que le téléspectateur lambda, en abusant de leur magistère intellectuel et de leur position sociale, il y a là une forme d’argumentation qui mérite d’être analysée, et si besoin dénoncée.

 

Comment ces intellectuels juifs peuvent-ils prétendre défendre Israël contre ceux qui l’accusent de “génocide” ou d’épuration ethnique, dès lors qu’eux-mêmes accusent Israël (ou son gouvernement) de ne pas faire assez pour protéger les civils (Horvilleur) ou d’aspirer à une épuration ethnique des Palestiniens (Karsenti)? Concernant ce dernier, le procédé rhétorique consistant à imputer à la fraction sioniste-religieuse du gouvernement une volonté d’épuration ethnique (totalement fantasmatique, pour qui connaît un peu le sionisme religieux, dont les meilleurs des fils se battent et meurent à Gaza) conduit en fait à faire porter sur Israël tout entier cette accusation délirante et lourde de conséquences.

 

On est bien loin ici, tant chez l’un que chez l’autre, de la responsabilité de l’intellectuel juif (et de l’intellectuel tout court) soulignée par André Neher. Comment expliquer un tel dévoiement ? La première hypothèse est que ces clercs préfèrent, selon les mots anciens mais toujours actuels de Theodor Lessing cités en exergue, penser à leur “carrière académique”, au lieu de “porter des pierres sur la grande route de Yeroushalayim”. L’autre explication, plus indulgente mais tout aussi préoccupante, est qu’ils sont tellement influencés par le débat public et par la propagande anti-israélienne en France qu’ils reprennent à leur compte, sciemment ou à leur insu, les arguments des ennemis d’Israël, tout en s’en défendant. (à suivre…)

Pierre Lurçat

 

 

Les intellectuels juifs face à la guerre de Gaza (IV) : Ceux qui refusent d’écouter les témoins du massacre - VudeJerusalem.over-blog.com

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (III) : entre mobilisation et “business as usual” - VudeJerusalem.over-blog.com

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (II) Biais cognitifs, préjugés et présupposés idéologiques - VudeJerusalem.over-blog.com

Les intellectuels juifs face à la guerre en Israël (I) : le serment solennel d’André Neher - VudeJerusalem.over-blog.com

 

 

[1] La haine de soi, le refus d’être juif, éditions Berg International 1990, pages 26-33, traduction de M. Ruben-Hayoun.

See comments

Une étincelle d’hébreu : “Hitpak’hout”, retrouver la vue et renoncer à ses illusions

March 13 2024, 09:32am

Posted by Pierre Lurçat

Une étincelle d’hébreu :  “Hitpak’hout”, retrouver la vue et renoncer à ses illusions

Parmi les mots d’hébreu qui ont connu un regain d’actualité depuis le 7 octobre, celui d’Hitpakhout mérite qu’on s’y arrête un instant. Marc Cohn, dans le dictionnaire Larousse, le définit simplement par son sens originel, “recouvrement de la vue” ou de l’ouïe, et par le sens figuré : “fait de devenir plus sage”. C’est ce dernier sens qui lui a donné sa signification très actuelle, celle de renoncer à des illusions et à des espoirs infondés. Les illusions, en l’occurrence, sont les illusions mortelles de l’avant 7 octobre, qui ont conduit aux événements tragiques qu’Israël a connus.

 

Pour illustrer ce dernier sens, nous prendrons un des exemples les plus marquants, celui du secrétaire du mouvement kibboutzique, Nir Meir. Interviewé dans Ha’aretz le 16 février dernier, il a donné à Meirav Moran des réponses étonnantes de sincérité. “Est-ce que vous vous définissez encore comme un homme de gauche ?” lui a-t-elle demandé? “Non, je me définis comme un homme qui sait dans quel environnement il vit”. Et d’ajouter : “Les habitants des implantations ne se trompent pas. La droite a raison : la méthode (des Arabes) est de conquérir des territoires. Et elle a raison d’affirmer que seule l’implantation permet d’asseoir notre souveraineté…

 

Lorsque la journaliste lui demande ce qu’il pense de l’Autorité palestinienne, il répond sans hésiter : “Il n’y aura pas de paix avec les Palestiniens. Je ne me raconte pas d’histoires”. Et quand elle l’interroge pour savoir si ses opinions reflètent celles du mouvement kibboutzique, il rétorque que “les avis concernant le conflit ont été modifiés de fond en comble depuis le 7 octobre. La plupart des habitants des kibboutz qui ont vécu le 7 octobre ne peuvent plus entendre un mot d’arabe, et souhaitent que Gaza soit rasée…” Autre exemple de hitpak’hout, tout aussi marquant: celle du YIVO, la vénérable institut d’études juives créé à Vilna et basé à New-York, qui a récemment annoncé une série de conférences sur les liens entre le Hamas et le nazisme.

           

En lisant les propos de Nir Meir, on comprend la signification très actuelle du mot Hitpak’hout. Il s’agit bien de retrouver la vue, dans son acception la plus large. Pendant des décennies, la gauche israélienne a en effet refusé de voir l’évidence : nos ennemis ne nous ont toujours pas accepté. Les habitants des kibboutz frontaliers de la bande de Gaza ont ainsi cru se faire “amis” des Gazaouis en leur donnant du travail ou en les emmenant dans les hôpitaux israéliens subir des traitements médicaux… On connaît la suite.

 

            Il faut saluer la clairvoyance, tardive mais bienvenue, de Nir Meir et des autres représentants de cette gauche qui s’est si longtemps trompée. Tout comme les anciens communistes devenus les plus lucides critiques de l’URSS, ces kibboutnikim doivent aujourd’hui jouer le rôle de lanceurs d’alerte et d’éveilleurs des consciences en Israël et à l’étranger. Leur hitpak’hout doit inspirer tous ceux qui, en Israël comme ailleurs, continuent de penser selon les schémas dépassés de l’avant 7 octobre. Après le 7.10.23, le mot d’ordre doit être : “Titpak’hou!” Recouvrez la vue !

 

P. Lurçat

           

NB A l’occasion du début du Ramadan, j’analyse au micro de Daniel Haïk la question occultée de la violence de l’islam.

La légitimation de la violence est imprégnée dans l'Islam L'invité de la rédac - YouTube

See comments

Le SPCJ : Protection policière ou auto-défense – Comment assurer la sécurité des Juifs en France ?

March 10 2024, 14:04pm

Posted by Pierre Lurçat

Le SPCJ : Protection policière ou auto-défense –  Comment assurer la sécurité des Juifs en France ?

En marge de la manifestation parisienne qui a connu des affrontements entre manifestants juifs et pro-Hamas, je publie un extrait de mon enquête inédite sur l’auto-défense juive en France. P.L.

 

J’ai rendez-vous avec Dan A. (nom fictif), le responsable du SCPJ (Service de protection de la communauté juive). Il me reçoit dans le local que son organisation occupe, au cœur de Paris, dans un bâtiment abritant plusieurs institutions communautaires, parmi les mieux protégés de la capitale… Le nom du SPCJ ne laisse pas de m’intriguer. Pourquoi donc y a-t-il besoin aujourd’hui d’un service de protection spécifique à la communauté juive française ? N’est-ce pas un aveu d’échec flagrant des autorités françaises à garantir l’existence pérenne des Juifs en France ? J’espère en savoir plus au terme de notre entretien.

 

Dan me parle tout d’abord de Jabotinsky – dont il sait que j’ai traduit l’autobiographie en français – et de son fameux article « La muraille d’acier », dans lequel le dirigeant sioniste, fondateur du Bétar, explique que la paix avec les Arabes ne pourra s’instaurer que le jour où ceux-ci auront renoncé à tout espoir de parvenir à détruire Israël. Il me raconte qu’il a distribué L’Histoire de ma vie de Jabotinsky aux membres de son staff, sur le conseil d’un ancien camarade du Tagar, devenu entretemps un géopoliticien très apprécié sur les plateaux de télévision.

 

Dans un coin de la pièce – un local sans fenêtre qui ressemble plus à une chambre forte d’un immeuble d’habitation israélien qu’au bureau d’une association juive parisienne très officielle – sont entreposées des caisses contenant un petit livre au titre évocateur : « Autoémancipation » de Pinsker, autre classique de la littérature sioniste. Dan m’apprend qu’il offre ce petit livre en cadeau à tous les jeunes militants juifs qui suivent la formation dispensée par le SPCJ. « Il faut leur faire lire Pinsker, Jabotinsky et les autres grands penseurs sionistes », m’explique-t-il. Il me relate ensuite l’historique du SPCJ, dont il est le jeune directeur. Comme l’explique son site Internet : « Le Service de Protection de la Communauté Juive a été créé en 1980, au lendemain de l’attentat de la rue Copernic à Paris.

 

Le SPCJ est issu d’une volonté commune du Conseil Représentatif des Institutions juives de France (CRIF), du Fonds Social Juif Unifié (FSJU) et des Consistoires, de protéger la communauté juive dans son ensemble. Ainsi, les membres du Bureau Exécutif du SPCJ sont désignés par les Institutions citées plus haut pour y siéger une fois par mois. Le Président du SPCJ est M. Eric de Rothschild. L’existence du SPCJ est essentiellement due à la menace terroriste et antisémite qui sévit depuis les années 80 ».

 

            Aux yeux du grand public, le SPCJ s'occupe essentiellement de répertorier les actes antisémites – au sujet desquels il publie un rapport circonstancié qui tient lieu de « baromètre » de l'évolution de la haine antijuive dans la France actuelle – mais ce n'est en réalité que la partie la plus visible de son activité. En fait, il s'occupe surtout de protection des édifices et lieux de culte juifs, en totale collaboration avec la police française, et aussi d'audit et de conseil en travaux de sécurité : en clair, comment faire en sorte que les synagogues et les écoles soient mieux protégées…

 

« J’ai porté les cercueils des enfants juifs de Toulouse… »

 

Après ce préambule, j’entre dans le vif du sujet et interroge mon interlocuteur sur l’horrible attentat de Toulouse en mars 2012 et ses conséquences pour les Juifs de France. Comment expliquer que l’assassin-djihadiste ait pu commettre son crime horrible sans être inquiété et n’ait pas même rencontré un sas de sécurité ou un garde à l’entrée de l’école Ozar Hatorah de Toulouse ? La réponse, me confie Dan avec franchise et sans la moindre langue de bois, tient en une phrase : « Nous n’avons pas réussi à convaincre les dirigeants de cette école d’embaucher un agent de sécurité ».

 

Aveu terrible, car même en admettant que le terroriste Mohammed Merah aurait pu abattre sans difficulté un gardien formé au contrôle des sacs à main, et pas à la lutte antiterroriste – argument que j’ai entendu souvent depuis lors – il n’en reste pas moins que la présence d’un agent de sécurité aurait pu avoir un effet de dissuasion, et que son absence doit peser lourd sur la conscience des dirigeants de la communauté juive de Toulouse, et peut-être aussi sur celle du rabbin Monsonego, dont la fille fait partie des victimes de Merah !

 

Dan confirme mon sentiment, en m’expliquant : « J’ai porté les cercueils des enfants juifs de Toulouse… Les responsables de la communauté sont venus vers moi et m’ont dit : ‘Cela fait des années que tu nous avais mis en garde, et on ne t’a pas écouté…’ » Pourtant, rencontrant quelques jours plus tard le dirigeant d’une des plus grandes organisations de la communauté juive parisienne, je n’aurai pas l’impression d’une quelconque remise en question, ou d’une volonté de tirer des leçons de cette tragédie : mais plutôt celle d’un retour à la normale, « business as usual », comme disent les Américains.

 

Nous abordons maintenant le thème de l’activité quotidienne des militants du SPCJ, en dehors des périodes de crise comme celle qui a suivi l’attentat de Toulouse : la protection des synagogues et l’entraînement sportif des volontaires. Dan m’explique qui sont les jeunes Juifs qui suivent la formation dispensée par le SPCJ. « J’ai organisé il y a quelques mois une rencontre entre les dirigeants de la communauté et les jeunes qui s’entraînent au Krav Maga… Ils ont été surpris par deux choses : voir des filles s’entraîner aux côtés des garçons, et voir des jeunes adultes, avocats ou médecins ! »

 

Il n’y a en effet pas de profil sociologique bien défini des volontaires du SPCJ, qui recrute dans tous les milieux. Curieusement, beaucoup des jeunes Juifs qui montent la garde pendant plusieurs heures chaque semaine – le shabbat et les fêtes – sont issus de familles non pratiquantes, voire très assimilées. Comme l’explique avec ironie un jeune volontaire, « c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour venir à la synagogue chaque semaine, sans jamais y mettre les pieds… »

 

Le SPCJ : une organisation communautaire avec un message sioniste

 

Aux yeux de Dan, il est évident que le SPCJ est sioniste. Il me l’explique en me montrant le petit livre de Pinsker, Auto-émancipation, offert aux jeunes volontaires à l’issue de leur formation. Pour beaucoup d’entre eux, ce sionisme se traduit par la participation à la sécurité des Juifs de France, mais certains poursuivent leur engagement en faisant leur alyah, à l’instar d’un jeune Juif de la banlieue parisienne devenue un symbole : Yohann Zerbib, tombé pendant la Deuxième Guerre du Liban à l’été 2005, qui était, m’apprend Dan, un volontaire du SPCJ. Mon interlocuteur a d’ailleurs tenu à ce que cet engagement sioniste se manifeste très concrètement, par une « prestation de serment » des jeunes volontaires, qui se déroule à la synagogue de La Victoire ou dans la crypte du Mémorial de la Shoah.

 

Le SPCJ se défend d’être un « mouvement de jeunesse », même si ses volontaires ont presque tous entre 18 et 25 ans. Une des activités développées récemment est la formation au Krav- maga dans les écoles juives, dans le cadre du programme « Massada * », qui s’adresse aux élèves âgés de 12 à 16 ans. « L’école Lucien de Hirsh nous a demandé de donner des cours de ‘Krav’ dans le cadre de l’éducation physique et sportive, gratuitement », m’explique Dan. « Nous avons immédiatement accepté ». Par la suite, d’autres écoles juives ont rejoint ce programme.

 

Pour conclure cet entretien, je lui demande comment il en est venu à travailler au SPCJ. Il me raconte qu’il a suivi des études dans un lycée parisien, dans une section littéraire, avant de partir en Israël, où il a fait son armée au sein d'une unité combattante. Il me parle aussi de son cousin, Noam Ohana, qui a raconté son parcours dans l’armée israélienne dans un livre publié en 2002, qui a connu à l’époque un certain retentissement : Journal de guerre.

 

Ohana, m’explique Dan, était élève à Sciences-Po, avant de tout quitter pour rejoindre les rangs de Tsahal. Il s’est « bagarré » avec le directeur de cette école à la réputation prestigieuse (dont le niveau actuel n’est plus celui qu’elle avait jadis), pour le convaincre de perpétuer la mémoire d’un condisciple juif, David Gritz, disparu tragiquement dans l’attentat de la cafétéria de l’université hébraïque de Jérusalem. Episode dont je me souviens parfaitement, car j’étais présent en France à l’époque et j’avais participé, comme beaucoup de Juifs parisiens, à l’enterrement de Gritz, au cimetière du Montparnasse.

Le directeur de Sciences Po, Richard Descoings, a refusé obstinément d’accéder à la demande d’Ohana. Jusqu’au jour où celui-ci, recruté entretemps par un grands Fonds d’investissement américain, partenaire de la « Sciences Po US Foundation », s’est trouvé en position de force pour négocier avec son ancien directeur… En clair, il l’a placé devant un ultimatum : si Sciences-Po ne veut pas commémorer la mémoire de David Gritz, nous cesserons notre soutien financier à l’école française ! Anecdote qui en dit long sur l’état d’esprit de certaines « élites » françaises actuelles. Je quitte le directeur du SPCJ avec l’impression que ce jeune homme ouvert et intelligent porte une lourde responsabilité sur les épaules…

P. Lurçat

Extrait de L’étoile et le poing, livre inédit, à paraître aux éditions l’éléphant.

See comments

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 30 40 50 > >>