5785 - Nouvelle année, nouvel ordre régional ? Pierre Lurçat
“Seder hadash” (“nouvel ordre”) : jamais une opération militaire n’aura aussi bien porté son nom. L’opération magistrale menée par Tsahal au cœur de Beyrouth, qui a permis l’élimination du chef du mouvement islamiste chiite et principal “proxy” de l’Iran, a en effet de grandes chances de marquer l’aube d’une ère nouvelle au Moyen-Orient et d’un nouvel ordre régional. En supprimant méthodiquement les dirigeants du Hezbollah, Israël n’est pas seulement en train d’écarter la menace sur sa frontière Nord – préparant ainsi le retour dans leurs foyers des dizaines de milliers d’habitants déplacés au début de la guerre, il y a tout juste un an – mais il est aussi en passe de remodeler la carte de la région tout entière.
La longue attente des habitants du nord d’Israël aura donc fini par être récompensée. Car il est clair aujourd’hui que la guerre au Liban ne s’arrêtera pas, tant que la sécurité n’aura pas été rétablie sur la frontière Nord. Mais au-delà de cette première victoire sur le front libanais, c’est en réalité tout l’équilibre stratégique qui est en train d’être modifié radicalement. Il faut se souvenir, pour comprendre l’étendue de ce changement, du fameux discours prononcé par Hassan Nasrallah en 2006, dans lequel il comparait Israël à une toile d’araignée.
Le plus grave n’était pas cette croyance – bien ancrée parmi les ennemis d’Israël – qu’ils allaient finir par réaliser leur projet génocidaire envers l’Etat juif honni (croyance qui n’est évidemment pas étrangère à l’attaque du 7 octobre). Non, le plus grave était sans doute que certains dirigeants et membres de l’establishment militaire israélien ont eux aussi fini par voir Israël – à travers le regard de ses ennemis – comme un Etat faible, et par redouter le Hezbollah, devenu à leurs yeux un ennemi invincible, face auquel l’armée israélienne n’avait aucune chance de vaincre.
Ainsi, paradoxalement, ce n’est pas seulement le “complexe de supériorité” souvent évoqué, au sein de Tsahal, qui a mené au 7 octobre, mais c’est en fait un double complexe d’infériorité-supériorité : supériorité technologique indéniable, accompagnée d’un sentiment d’infériorité morale. La stratégie offensive mise en œuvre depuis plusieurs semaines sur le front Nord – au terme de longs mois de guerre à Gaza – est ainsi en train de porter ses fruits, non seulement en remodelant la carte de la région, mais aussi et surtout, en rétablissant l’élément essentiel de la sécurité d’Israël : sa capacité de dissuasion.
La dissuasion de Tsahal restaurée
La notion de dissuasion est multiforme et difficile à appréhender, mais on peut la définir succinctement en disant qu’elle repose sur deux éléments : les capacités militaires, et la volonté de les utiliser. Dans le cas d’Israël, le premier élément était bien présent, mais c’est le second qui faisait défaut, surtout depuis les retraits successifs du Sud-Liban et de Gaza, qui ont contribué à faire croire à nos ennemis que nous étions affaiblis au point de nous retirer derrière des barrières et des “murs de sécurité”, attitude qui a toujours été interprétée comme un signe infaillible de la faiblesse de l’ennemi, depuis l’époque de la Bible.
Depuis lors, c’était en réalité Israël qui était dissuadé face au Hamas et au Hezbollah, cas classique de ce qu’on appelle la dissuasion du faible au fort. Or, c’est précisément cet élément moral de la dissuasion qui a été rétabli en l’espace de quelques semaines, face au Hezbollah – et face à l’Iran son patron. Ce faisant, Israël a accompli un progrès décisif en direction de la restauration du “Mur d’acier” – concept créé par Jabotinsky il y a un siècle et devenu le pilier de la doctrine stratégique d’Israël. Contrairement aux fausses idées, devenues monnaie courante à partir des années 1990, la sécurité d’Israël ne repose en définitive pas seulement sur la supériorité technologique, ni sur la conclusion d’accords de paix – par définition réversibles et provisoires – mais avant tout sur la volonté démontrée d’assurer à tout prix notre existence, sans craindre la guerre. “Ni par la puissance ni par la force, mais bien par mon esprit”, selon les mots du prophète Zachari. Chana tova à tous mes lecteurs, que l’année 5785 soit celle de la victoire totale sur nos ennemis !
P. Lurçat