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“Un tel héroïsme n’a pas été vu, même à l’époque des Hasmonéens” - Hommage à S. J. Agnon, par Zeruya Shalev

December 31 2024, 08:24am

Posted by Pierre Lurçat

“Un tel héroïsme n’a pas été vu, même à l’époque des Hasmonéens” - Hommage à S. J. Agnon, par Zeruya Shalev

Le texte qu’on lira ci-dessous a été prononcé par Zeruya Shalev, à l’occasion de la réception du Prix Agnon 2024. Outre le grand écrivain, elle y évoque la figure de son père, le critique littéraire Mordehai Shalev. Au-delà de son intérêt pour comprendre l’œuvre de celle qui est considérée comme une des voix féminines les plus importantes de la littérature israélienne, contemporaine, il permet aussi de comprendre comment l’influence d’Agnon continue de s’exercer jusqu’à aujourd’hui parmi les auteurs israéliens, deux générations après la disparition du grand écrivain.

 

J’ajouterai une note plus personnelle : lorsque j’avais interviewé Zeruya Shalev en 2007, elle m’avait déclaré ne pas mêler littérature et politique. Elle a depuis changé d’avis sur ce sujet, en joignant sa voix à celles des intellectuels israéliens qui critiquent leur gouvernement - y compris dans des médias étrangers. C’est évidemment regrettable, mais je suis persuadé qu’elle demeure tout aussi patriote qu’elle l’était alors. (“Mon écriture se déploie dans un territoire qui est indépendant de la politique. Je ne veux pas prendre la posture du « prophète » qui prédit l’avenir. Le rôle de l’écrivain est de montrer la complexité et l’ambivalence de la réalité... Lorsque je suis à l’étranger, je m’efforce de présenter une opinion patriote mais non politique”).

Pierre Lurçat

 

Le coq Rabbi Zerah et Netha le cocher

 

“Imaginez-vous deux enfants en pyjama, dans un petit appartement de l’Agence juive, au sein d’une localité entourée de vergers dans la région du Sharon, au début des années soixante. Ils sont couchés dans leur lits, côte à côte et au milieu d’entre eux, assis sur une chaise, un jeune homme tient dans les mains un livre, le roman La dot des fiancées, qu’il lit avec lenteur et en mettant le ton. Chaque fois qu’il fait mine d’interrompre la lecture, les deux enfants sautent hors de leur lit, tapent des mains en criant “Agnon! Agnon!” comme des supporters de football dans leur tribune. C’est ainsi que mon frère Aner et moi, demandions chaque soir un “bis” que nous obtenions le plus souvent.

 

Ces heures de lecture avant le coucher étaient les plus heureuses de notre enfance, et pas seulement en raison de l’amour de la littérature ou de la précision de notre discernement et de notre goût, je dois le reconnaître. A la manière des enfants, nous étions totalement dépendants des humeurs de nos parents, et il ne fait aucun doute que notre père était heureux à ces moments.

 

Avant même d’entamer sa lecture, alors qu’il croisait les jambes et ouvrait le livre à l’endroit où il s’était interrompu la veille, un sourire apparaissait sur ses lèvres et sa voix s’emplissait de bonheur dès la première phrase, comme s’il goûtait et offrait à ses enfants le plat le plus raffiné au monde. C’est ainsi que nous avons goûté pour la première fois les mots d’Agnon, souriants et agréables à l’oreille et à la bouche. Même lorsqu’ils parlaient de tristesse et de misère, comme celles des malheureuses files de Rabbi Youdel le ‘Hassid, dont les yeux étaient consumés de larmes et dont les cheveux avaient blanchi, alors que leur père était immobile comme un Golem et qu’aucun fiancé ne venait effacer leur honte.

 

Nous suivions avec plaisir les tribulations du père, contraint de recueillir des dons pour marier sa fille aînée. Les personnages du livre devenaient un élément de notre vie, les chevaux m’entraînaient dans leur course, avec le coq rabbi Zerah et Netha le cocher. De temps à autre, notre père s’étonnait et commentait le texte, parfois il éclatait de rire et nous à sa suite, et maman interrompait ses occupations pour se joindre à nous, parfois au milieu d’une peinture, le pinceau à la main, elle s’asseyait sur un des lits et riait avec nous.

 

Les histoires d’Agnon étaient présentes chez nous pendant les fêtes aussi. La question de savoir laquelle nous lirions le soir de fête était plus importante et plus intéressante à nos yeux que celle de savoir quel serait le menu de la fête, également en raison du fait que notre mère, qui avait grandi dans la Kvoutsa de Kinneret, n’avait pas un grand savoir en matière de cuisine. A Rosh Hashana nous lisions le plus souvent “L’orchestre”, tiré du Livre des exploits et pour Yom Kippour “L’autre talith” ou “Chez Hemdat”, “La maison” ou “Dans la maison de mon père” à Pessah, et parfois nous lisions une histoire en l’honneur du shabbat, tirée du Livre des exploits, à la place du Kiddoush ou de la bénédiction après le repas, que nous n’avions pas l’habitude de réciter.

 

Plus tard, lorsque nous avons grandi et avons quitté la maison de nos parents pour fonder notre propre foyer, il n’y avait pas plus heureux que notre père lorsque nous lui demandions de “nous lire Agnon” à l’occasion d’une fête ou d’une autre.

 

Au-delà du plaisir de la rencontre conjointe avec sa grande passion littéraire, il y avait aussi une intention et même un plaisir de nous exposer à la richesse infinie de la langue, des sentiments et des manières de les exprimer, et plus encore, de nous léguer et nous rendre accessible également les sources d’Agnon, les bagages culturels essentiels des sources juives. Et pas seulement à nous. En tant qu’enseignant et que critique littéraire, notre père s’efforça toute sa vie de faire connaître l’importance considérable de la littérature du Midrash et de la Haggada, du hassidisme et de la Kabbale, et il critiqua avec férocité la littérature hébraïque moderne qui s’était coupée des sources juives.

 

Tout cela m’influença évidemment de manière profonde, tout comme mon écriture. “C’est de lui que j’ai reçu le peu de style que je possède ainsi que l’esprit de la poésie qu’il m’a insufflé”, écrivait Agnon à propos de son père, le grand érudit qui fut aussi son maître, et je ne peux que reprendre à mon compte ses mots, avec reconnaissance et gratitude.

 

Les histoires d’Agnon et ses livres ont accompagné avec force mon adolescence. ”Le serment” qui m’enchanta dans ma jeunesse, “La dame et le colporteur” qui m’emplissait de crainte et “Fernheim” qui m’emplissait de douleur[1]. Je ressentais les épreuves de l’amour avec Hershel dans Une histoire simple, avec Itshak Kumer dans Le chien Balak, et avec le Dr Manfred Herbst dans Shira, et le jour de mon divorce, je portai une robe marron et lus “Un autre visage”.

 

Les histoires d’Agnon se sont imprégnées si profondément en moi, qu’en écrivant Vie conjugale, je ne pensai pas du tout à Tirtsa Mintz qui tente de réaliser son amour raté de sa mère pour Akavia Mazal, ni à Tehila dont le père avait enfreint le vœu de ses fiançailles, mais elles entrèrent dans mon livre sans que je distingue leur présence, et pas seulement elles. Il me semble que dans tous les livres que j’ai écrits, résonne le même modèle agnonien  tragique, avec lequel je lutte parfois, et auquel je m’abandonne parfois, avec le même naturel que nous éprouvons concernant le savoir acquis dans l’enfance.

 

De nombreuses oeuvres d’Agnon montrent qu’il est impossible d’échapper au destin juif tragique dans la dispersion. Est-ce qu’en terre d’Israël aussi, un tel destin nous est imposé, à Dieu ne plaise? Un chapitre sombre de l’histoire de notre peuple s’écrit actuellement sous nos yeux. Il est facile de désespérer, mais nous n’en avons pas le droit. Nous avons l’obligation de faire tout notre possible pour changer le cours des événements et pour écrite avec nos actes et avec nos personnes la suite de l’histoire.

 

Voici ce que déclarait Agnon au mois d’Av 1948, à la bibliothèque Schoken à Jérusalem: “Alors que nous sommes au milieu du feu, je veux dire quelque chose au sujet de nos frères et soeurs, nos fils et filles, chers enfants de Sion, héros d’Israël, armée de Dieu. La terre d’Israël est ouverte aux quatre vents et ils se tiennent au milieu du gué et la protègent  avec leur corps et leur âme, avec amour et force, avec courage et avec héroïsme, et un tel héroïsme n’a pas été vu même au temps des Hasmonéens”.

 

© Z. Shalev

et P. Lurçat pour la traduction française

 

[1] Plusieurs des histoires ici mentionnées ont été traduites en français dans le recueil 21 Nouvelles de S.J. Agnon, publié par Albin Michel en 1977.

Agnon avec Ben Gourion

Agnon avec Ben Gourion

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5785 - Nouvelle année, nouvel ordre régional ? Pierre Lurçat

October 1 2024, 06:43am

Posted by Pierre Lurçat

5785 - Nouvelle année, nouvel ordre régional ? Pierre Lurçat

 

Seder hadash” (“nouvel ordre”) : jamais une opération militaire n’aura aussi bien porté son nom. L’opération magistrale menée par Tsahal au cœur de Beyrouth, qui a permis l’élimination du chef du mouvement islamiste chiite et principal “proxy” de l’Iran, a en effet de grandes chances de marquer l’aube d’une ère nouvelle au Moyen-Orient et d’un nouvel ordre régional. En supprimant méthodiquement les dirigeants du Hezbollah, Israël n’est pas seulement en train d’écarter la menace sur sa frontière Nord – préparant ainsi le retour dans leurs foyers des dizaines de milliers d’habitants déplacés au début de la guerre, il y a tout juste un an – mais il est aussi en passe de remodeler la carte de la région tout entière.

 

            La longue attente des habitants du nord d’Israël aura donc fini par être récompensée. Car il est clair aujourd’hui que la guerre au Liban ne s’arrêtera pas, tant que la sécurité n’aura pas été rétablie sur la frontière Nord. Mais au-delà de cette première victoire sur le front libanais, c’est en réalité tout l’équilibre stratégique qui est en train d’être modifié radicalement. Il faut se souvenir, pour comprendre l’étendue de ce changement, du fameux discours prononcé par Hassan Nasrallah en 2006, dans lequel il comparait Israël à une toile d’araignée.

 

Le plus grave n’était pas cette croyance – bien ancrée parmi les ennemis d’Israël – qu’ils allaient finir par réaliser leur projet génocidaire envers l’Etat juif honni (croyance qui n’est évidemment pas étrangère à l’attaque du 7 octobre). Non, le plus grave était sans doute que certains dirigeants et membres de l’establishment militaire israélien ont eux aussi fini par voir Israël – à travers le regard de ses ennemis – comme un Etat faible, et par redouter le Hezbollah, devenu à leurs yeux un ennemi invincible, face auquel l’armée israélienne n’avait aucune chance de vaincre.

 

Ainsi, paradoxalement, ce n’est pas seulement le “complexe de supériorité” souvent évoqué, au sein de Tsahal, qui a mené au 7 octobre, mais c’est en fait un double complexe d’infériorité-supériorité : supériorité technologique indéniable, accompagnée d’un sentiment d’infériorité morale. La stratégie offensive mise en œuvre depuis plusieurs semaines sur le front Nord – au terme de longs mois de guerre à Gaza – est ainsi en train de porter ses fruits, non seulement en remodelant la carte de la région, mais aussi et surtout, en rétablissant l’élément essentiel de la sécurité d’Israël : sa capacité de dissuasion.

 

La dissuasion de Tsahal restaurée

 

La notion de dissuasion est multiforme et difficile à appréhender, mais on peut la définir succinctement en disant qu’elle repose sur deux éléments : les capacités militaires, et la volonté de les utiliser. Dans le cas d’Israël, le premier élément était bien présent, mais c’est le second qui faisait défaut, surtout depuis les retraits successifs du Sud-Liban et de Gaza, qui ont contribué à faire croire à nos ennemis que nous étions affaiblis au point de nous retirer derrière des barrières et des “murs de sécurité”, attitude qui a toujours été interprétée comme un signe infaillible de la faiblesse de l’ennemi, depuis l’époque de la Bible.

 

            Depuis lors, c’était en réalité Israël qui était dissuadé face au Hamas et au Hezbollah, cas classique de ce qu’on appelle la dissuasion du faible au fort. Or, c’est précisément cet élément moral de la dissuasion qui a été rétabli en l’espace de quelques semaines, face au Hezbollah – et face à l’Iran son patron. Ce faisant, Israël a accompli un progrès décisif en direction de la restauration du “Mur d’acier” – concept créé par Jabotinsky il y a un siècle et devenu le pilier de la doctrine stratégique d’Israël. Contrairement aux fausses idées, devenues monnaie courante à partir des années 1990, la sécurité d’Israël ne repose en définitive pas seulement sur la supériorité technologique, ni sur la conclusion d’accords de paix – par définition réversibles et provisoires – mais avant tout sur la volonté démontrée d’assurer à tout prix notre existence, sans craindre la guerre. “Ni par la puissance ni par la force, mais bien par mon esprit”, selon les mots du prophète Zachari. Chana tova à tous mes lecteurs, que l’année 5785 soit celle de la victoire totale sur nos ennemis !

P. Lurçat

5785 - Nouvelle année, nouvel ordre régional ? Pierre Lurçat

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Quand Alain Finkielkraut Invoque Levinas pour défendre les “civils innocents” de Gaza

January 16 2025, 11:48am

Posted by Pierre Lurçat

Quand Alain Finkielkraut Invoque Levinas pour défendre les “civils innocents” de Gaza

Le titre de cet article pourra susciter l’étonnement du lecteur. Quel rapport, en effet, entre le philosophe juif décédé il y a 30 ans et la guerre à Gaza, déclenchée le 7 octobre 2023 par le Hamas ? Cet étonnement fut aussi le mien, en écoutant la dernière émission Répliques sur France Culture. Alain Finkielkraut y recevait deux jeunes philosophes juifs français, qui viennent tous deux de publier des livres consacrés à Emmanuel Levinas. Le premier, David Haziza, est l’auteur de Mythes juifs, le retour du sacré. Le second, Dan Arbib, est notamment le maître d'œuvre (avec Danièle Cohen-Levinas) du quatrième tome des œuvres complètes de Levinas qui vient de paraître chez Grasset.

 

Dans la présentation de son émission, Alain Finkielkraut explique que Levinas a “fait entrer les traités vermoulus du judaïsme dans la pensée contemporaine…”, citant les Lectures talmudiques, Totalité et Infini ou Autrement qu’être ou au-delà de l’essence. “Le judaïsme et pas seulement la question juive”, précise Finkielkraut. Hélas, cette entrée en matière alléchante s'avère rapidement être une tromperie : car du judaïsme et de la philosophie ou de l’apport d’Emmanuel Levinas à la pensée contemporaine, il ne fut pratiquement pas question au cours de l’émission.

 

La scandaleuse accusation de “suprémacisme juif”

 

Au lieu de cela, les cinquante minutes de l’émission ont été principalement consacrées à des considérations et à des échanges sur des sujets aussi éloignés de Levinas que les “civils innocents” de Gaza, l’usage de la force par Israël ou encore… “Ben Gvir et Smotrich” (sic) et le “danger du messianisme”. Le premier à ouvrir le feu a été David Haziza, qui a expliqué comment le “mythe de l’élection” du peuple Juif avait donné lieu à des “dérives”, dont il prend pour exemple “Ben Gvir, Baruch Goldstein et Meir Kahana”, ou encore Yigal Amir. Par la suite, Haziza reprend à son compte le concept de “suprémacisme juif”, concept fallacieux dont un spécialiste des médias français avait montré il y a quelques années qu’il avait été inventé par l’antisémite américain David Duke.

 

Dans la suite de l’émission, le second invité, Dan Arbib, est revenu sur le sujet de l’élection en expliquant comment, chez Levinas, “l’essence de la subjectivité est l’élection”. A. Finkielkraut cita de son côté la conception lévinassienne du visage d’autrui et expliqua comment Levinas “fait entrer des catégories juives dans la philosophie”. David Haziza revient à la charge, en affirmant que “l’essence du judaïsme c’est l’éthique” et que même s’il “peut y avoir des débordements suprémacistes du judaïsme”, ce sont des “corruptions du judaïsme”. A. Finkielkraut abonda dans son sens en affirmant (s’appuyant sur le député israélien de gauche Gilad Kariv) que “certains en Israël sont en train de trahir la Torah”.

 

De son côté, Dan Arbib invoqua Levinas pour affirmer qu’”être Messie c’est porter secours à autrui et endosser les souffrances d’autrui”. Finkielkraut surenchérit en citant lui aussi Levinas, parlant du “fait de ne pas se dérober à la charge qu’impose la souffrance des autres…” La souffrance de qui ? Des otages et des victimes du Hamas ? Non ! Celle des “civils innocents de Gaza”... Misère de la philosophie ! Ce n’est qu’à la seizième minute de l’émission que fut rappelé le fait crucial de l’attaque abominable du 7 octobre 2023. Comme s’il s’agissait d’un « détail », pour reprendre l’expression d’un dirigeant politique français récemment décédé, adulé par un média français dont Finkielkraut est le maître à penser. Cette impression désagréable m’a d’ailleurs accompagné tout au long de l’émission : les trois intellectuels dissertaient doctement de Levinas, de la souffrance des « autres » et de l’humanité des Palestiniens, comme si rien ne s’était passé le 7 octobre 2023.

 

Levinas détourné pour attaquer Israël…

 

            Au-delà même de l’utilisation du concept scandaleux de “suprémacisme juif”, mentionné par David Haziza et repris à son compte sans la moindre réserve par Alain Finkielkraut, cette émission est donc doublement scandaleuse. D’abord, parce que Finkielkraut s’est paré de l’aura d’Emmanuel Levinas pour porter des appréciations politiques et des accusations sans fondement contre la politique et contre le gouvernement israélien. Mais aussi – et surtout – parce que l’attitude des trois intervenants de l’émission était à mille lieues de celle de Levinas lui-même à l’égard d’Israël. “Je ne me permets pas de critiquer Israël, n’ayant pas choisi de courir cette noble aventure”, avait dit en substance le philosophe. A l’encontre de cette sage modestie, Finkielkraut et ses deux invités n’ont eu cesse de porter leurs jugements à l’emporte-pièce, pour attaquer et diffamer le gouvernement israélien.

 

            Le fait même de reprocher à des ministres israéliens d’avoir affirmé qu’il n’y a pas de civils innocents à Gaza témoigne d’une totale incompréhension de la guerre qui dure depuis 15 mois. Car cette affirmation n’est nullement – comme l’ont prétendu Finkielkraut et ses invités – le fruit d’un positionnement idéologique (“les Palestiniens sont a priori coupables”), mais bien au contraire celui d’un constat empirique, qui a été celui de tous les soldats israéliens – toutes tendances politiques confondues – revenant de Gaza. Ce sont nos soldats qui ont vu de leurs propres yeux la réalité du fanatisme dans chaque maison, la présence de drapeaux du Hamas et de caches d’armes dans les lits de bébés. Dans l’Allemagne nazie, des Allemands se sont révoltés et ont tenté d’assassiner Hitler. A Gaza, le Hamas n’a fait l’objet d’aucune contestation et d’aucune tentative de révolte.

 

            Judith Butler, la “papesse” de la théorie du genre, avait jadis pris à parti Emmanuel Levinas en l’accusant – sur la base d’une citation tronquée – d’avoir prétendu que les Palestiniens n’avaient pas de visage (“faceless”). Alain Finkielkraut et David Haziza ont eux aussi détourné la pensée de Levinas en l’utilisant pour appuyer leurs opinions politiques et pour défendre la soi-disant “humanité” des habitants de Gaza, ceux qui détiennent depuis quinze mois des civils israéliens – femmes, enfants, bébés et vieillards – et qui ont commis les crimes atroces que l’on sait. En conclusion, cette émission était triplement scandaleuse. En prétendant invoquer la mémoire de Levinas pour défendre “l’humanité” des Gazaouis, Finkielkraut a insulté non seulement la vérité et diffamé les Israéliens, mais il a aussi insulté la mémoire du grand philosophe auquel il prétendait rendre hommage.

Pierre Lurçat

 

NB Le premier tome des Ecrits sionistes de Jabotinsky vient de paraître en français à la Bibliothèque sioniste, éditions l’éléphant. Disponible sur Amazon et bientôt en librairie !

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NOUVEAU : Le Mur de fer et autres écrits sionistes - parution du vol. 1 des Ecrits sionistes de Jabotinsky

January 14 2025, 17:43pm

Posted by Pierre Lurçat

NOUVEAU : Le Mur de fer et autres écrits sionistes - parution du vol. 1 des Ecrits sionistes de Jabotinsky

NB J'évoquais ce matin ce nouveau livre de la Bibliothèque sioniste au micro d'Ilana Ferhadian:

Israël : "Benjamin Netanyahou est l’héritier de Vladimir Jabotinsky" - Pierre Lurçat

Les textes ici réunis, pour la plupart inédits en français avant leur première publication dans le cadre de la Bibliothèque sioniste, abordent des sujets très différents. Israël et les Arabes, Etat et religion, philosophie sociale de la Bible hébraïque… Le point commun entre ces thèmes est sans doute l’actualité des idées de Jabotinsky pour Israël aujourd’hui, malgré le temps écoulé depuis leur rédaction initiale.

C’est en effet le génie propre au fondateur du Betar et de l’aile droite du mouvement sioniste, d’avoir su élaborer une pensée riche et complexe qui continue – près d’un siècle après son élaboration – d’enrichir le débat politique et intellectuel en Israël. Le Mur de Fer est évidemment le texte le plus fameux à cet égard, et celui dont l’actualité brûlante ne s’est jamais démentie depuis 100 ans, surtout depuis le 7 octobre 2023.

Mais sur les autres thèmes ici abordés – qu’il s’agisse de l’économie et de la justice sociale ou des rapports entre Etat et religion – la pensée de Jabotinsky demeure tout aussi pertinente. Ainsi, lorsqu’il prétend trouver une troisième voie entre capitalisme et socialisme pour garantir l’impératif de justice sociale inspiré de la Bible, ou lorsqu’il souligne l’importance du caractère juif de l’Etat dans la sphère publique, Jabotinsky apporte un regard inspirant pour résoudre certaines des questions les plus brûlantes de la vie publique en Israël aujourd’hui.

 

 

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Hannoukah, histoire sainte ou histoire profane? Pierre Lurçat

December 25 2024, 08:04am

Posted by Pierre Lurçat

Le “Maoz Tsour” traditionnel et le “Shiv’hé Maoz” de Naomi Shemer 

Dans une belle émission diffusée sur Galei Tsahal il y a deux ans, Ofer Gabish relatait l’anecdote suivante, au micro de Shimon Parnass. L’histoire se passe en décembre 1969, pendant Hannoukah, il y a tout juste 55 ans. Nous sommes en pleine guerre d’usure - guerre difficile et injustement oubliée, qui s’est déroulée le long du canal de Suez entre la guerre des Six Jours et la guerre de Kippour. Naomi Shemer avait été invitée à visiter les fortins de Tsahal dans le Sinaï pour y rencontrer les soldats, selon une belle tradition qui veut que les meilleurs chanteurs israéliens viennent réjouir et renforcer le moral des soldats, jusque sur les lignes de front.

 

Naomi Shemer se rendit donc sur le canal de Suez - qui tenait lieu de frontière israélo-égyptienne entre la fin de la guerre des Six Jours et le retrait israélien en 1980. Elle visita les fortins les plus avancés et entendit les soldats raconter les bombardements. Ils lui racontèrent aussi comment ils avaient fabriqué une immense Hannoukiah, faite de morceaux d’obus, érigée juste en face du canal. Chaque soir, ils allumaient d’immenses flammes - visibles par les soldats égyptiens sur l’autre rive - et entonnaient en choeur le chant traditionnel “Maoz Tsur”. C’est alors que la chanteuse eut l’idée, simple mais géniale, de modifier le premier vers de Maoz Tsur, en transformant sa signification. 
 

Naomi Shemer en visite sur le canal de Suez, 1969 (photo : Archives de Tsahal)

 

Le “Rocher puissant de ma délivrance” devint ainsi le “Fortin, rocher de ma délivrance”: conformément à l’esprit de laïcisation inhérent à l’hébreu moderne, ce n’est plus le “Rocher d’Israël” (appellation traditionnelle de Dieu, qui figure aussi dans la Déclaration d’Indépendance d’Israël), mais le Fortin (maoz), qui est donc la source de notre délivrance. Le chant de louange à Dieu qui nous apportera la Délivrance finale devient ainsi, sous la plume de Naomi Shemer, un chant militaire en l’honneur des fortins du Canal de Suez et de leurs vaillants défenseurs. 

 

On pourrait certes voir là un énième épisode de la guerre culturelle - qui remonte aux débuts du sionisme politique et encore avant - entre deux visions radicalement opposées de l’histoire juive: la première, Histoire sainte dans laquelle les hommes ne sont que les instruments du projet divin, tandis que le héros véritable est, selon l’expression de la michna de Avot, “Celui qui maîtrise son penchant”. La seconde, histoire purement humaine dans laquelle Dieu n’a aucune part et où les guerres, à l’époque des Maccabim comme aujourd’hui, sont remportées uniquement par l’héroïsme des soldats. Mais une telle vision ferait insulte à la fois à la riche personnalité de Naomi Shemer, et à la réalité complexe de l’histoire d’Israël.



 

Soldats de Tsahal allumant les bougies de Hannouka

Car en réalité, la chanson “Shivhé Maoz” de Naomi Shemer n’est pas simplement un chant militaire (qui a été notamment interprété par la Lahakat Pikoud Darom) et un hymne au courage des soldats de Tsahal. Elle est aussi, comme l’a démontré Ofer Gabish, pétrie de citations des prophètes Isaïe, Jérémie et d’autres livres de la Bible (Shmuel et les Juges). Dans les chansons de Naomi Shemer en général, comme dans celles d’autres artistes de sa génération, la réinterprétation de motifs traditionnels n’est pas tant motivée par la volonté d’effacer le Nom de Dieu, que par celle de montrer - par des allusions et des références constantes aux textes de la Tradition - qu’il est présent même lorsqu’il paraît ne pas l’être, selon la thématique traditionnelle du “Ester Panim”, du “voilement de la face de Dieu”.

 

Le débat ancien pour savoir si la victoire de Hannoukah a été rendue possible par l’héroïsme des Maccabim, ou par la Main providentielle de Dieu a pris un sens nouveau depuis 1948. La réponse à cette question ancienne est devenue plus évidente au cours des guerres modernes d’Israël, et surtout durant la guerre qui a commencé le 7 octobre : ce sont évidemment les deux ! Libre à chacun de préférer voir le bras de nos soldats, ou la “main tendue” du Rocher d’Israël. Le génie de Naomi Shemer est précisément de signifier, par petites touches allusives, ce que chaque Israélien comprend confusément. L’histoire récente d’Israël, qui s’écrit sous nos yeux, est une histoire humaine, pleine d’héroïsme et de bravoure, écrite par des hommes, mais aussi une Histoire sainte, celle d’un peuple spécial, Am Segoula dont le destin échappe aux lois de l’histoire humaine en général. Hag Ourim saméah!

 

Pierre Lurçat

 

Naomi Shemer (1930-2004)

 

שבחי מעוז / נעמי שמר

מָעוֹז צוּר יְשׁוּעָתִי, לְךָ נָאֶה לְשַׁבֵּחַ

הַרְחֵק־הַרְחֵק לְיַד בֵּיתִי, הַפַּרְדֵּסִים נָתְנוּ רֵיחַ

אָבוֹא בַּמִּנְהָרוֹת וּבַמְּצָדוֹת וּבַמְּעָרוֹת

וּבְנִקְרוֹת־צוּרִים וּבִמְחִלּוֹת־עָפָר

אֵי־שָׁם בְּלֵב הַלַּיְלָה, דָּרוּךְ וַחֲרִישִׁי

צוֹפֶה בִּי, מְבַקֵּשׁ נַפְשִׁי.

מעוֹז צוּר יְשׁוּעָתִי, מִבְצָר עִקֵּשׁ וְקִשֵּׁחַ

עֲצִי־שָׁקֵד לְיַד בֵּיתִי, עוֹמְדִים בְּלֹבֶן פּוֹרֵחַ

אָבוֹא בַּמִּנְהָרוֹת וּבַמְּצָדוֹת וּבַמְּעָרוֹת

וּבְנִקְרוֹת־צוּרִים וּבִמְחִלּוֹת־עָפָר

אֵי־שָׁם בְּלֵב הַלַּיְלָה, דָּרוּךְ וַחֲרִישִׁי

מַבִּיט בִּי מְבַקֵּשׁ־נַפְשִׁי.

מָעוֹז צוּר יְשׁוּעָתִי, בִּקְרַב אֵין קֵץ יְנַצֵּח

אֵלַי אַיֶּלֶת אֲחוֹתִי, חִיּוּךְ עָיֵף תְּשַׁלֵּחַ

אָבוֹא בַּמִּנְהָרוֹת וּבַמְּצָדוֹת וּבַמְּעָרוֹת

וּבְנִקְרוֹת־צוּרִים וּבִמְחִלּוֹת־עָפָר

אֵי־שָׁם בְּלֵב הַלַּיְלָה, דָּרוּךְ וַחֲרִישִׁי

אוֹרֵב לִי מְבַקֵּשׁ־נַפְשִׁי.

אֲבוֹי לוֹ מֵעֻקְצִי, וַאֲבוֹי לוֹ מִדִּבְשִׁי

אֲבוֹי לִמְבַקֵּשׁ־נַפְשִׁי.

 

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Walter Benjamin : une pensée juive entre Moscou et Jérusalem

December 19 2024, 08:37am

Posted by Pierre Lurçat

Walter Benjamin

Walter Benjamin

(Article paru originellement dans Causeur.fr)

 

Une anecdote qu’on racontait jadis dans ma famille maternelle parlait de deux bateaux se croisant en Méditerranée, et des passagers sur le pont se faisaient le même signe : tourner leur index contre la tempe, en désignant ceux de l’autre navire. Le premier bateau emmenait des Juifs en Eretz-Israël (la « Palestine » de l’époque), tandis que le second les en éloignait, à destination de l’URSS. Cette anecdote m’est revenue à l’esprit en découvrant l’essai que Jean Caune vient de consacrer à Walter Benjamin, sous-titré Une pensée juive entre Moscou et Jérusalem.

 

Juif allemand assimilé, Benjamin fut attiré par le marxisme et par la Révolution – à l’instar de nombreux autres penseurs juifs du vingtième siècle – mais aussi séduit un temps par le sionisme. Largement méconnu de son vivant, il a pourtant été admiré par d’éminents intellectuels comme Hannah Arendt, Theodor Adorno ou Gershom Scholem, avec lequel il entretint une amitié durable. Dans le petit livre qu’elle lui a consacré, Arendt écrit de Benjamin qu’il “n’avait appris à nager ni avec le courant, ni contre le courant”.

 

Un passage d’une lettre de Benjamin à Scholem, écrite de Berlin en 1931, fait écho aux mots d’Arendt. Il s’y compare à “un naufragé dérivant sur une épave, qui grimpe à la pointe de son mât, lui-même déjà fendu”. Et Benjamin conclut : “De là-haut, il a la chance de lancer un signal pour qu’on le sauve”. Moins de dix ans plus tard, il se donnait la mort à Port Bou en Catalogne, âgé de 48 ans. Désespéré par l’éventualité d’être rattrapé par la Gestapo, Benjamin disait “n’avoir d’autre choix que d’en finir, dans une situation sans issue”. Personne n’était venu le sauver…

 

Pour illustrer la dimension juive de sa pensée, Jean Caune part de l’idée chère à Benjamin, selon laquelle l’homme “communique sa propre essence spirituelle en nommant toutes les autres choses”. Ce pouvoir de nomination confié par Dieu à l’homme dans le récit de la Genèse fait ainsi d’Adam le “premier philosophe”, bien avant Platon. La judéité de Benjamin, observe l’auteur, “était une composante centrale de sa personnalité”. Toutefois, elle “était essentiellement fondée sur une approche intellectuelle et manquait d’ancrages concrets dans son expérience culturelle”.

 

            Le livre comporte un chapitre intéressant sur le messianisme de Walter Benjamin et ses sources juives. La thématique messianique occupe une place centrale dans l’œuvre de Benjamin, et notamment dans ses Thèses sur le concept d’histoire, un de ses livres les plus fameux. Peut-on pourtant affirmer qu’il s’agit bien du messianisme dans son acception juive ? Ayant récemment traduit un recueil de textes de David Ben Gourion sur ce même sujet*, je me permets d’en douter. Aux yeux de Ben Gourion, le messianisme était le cœur de la croyance du peuple Juif et ce qui lui avait permis de recréer son Etat, après deux mille ans d’exil. Benjamin, lui, n’avait pas les idées aussi claires, et c’est son hésitation entre Moscou et Jérusalem qui fut la cause de son destin tragique.

 

Les précédents ouvrages de Jean Caune, professeur émérite des universités, portaient sur l’esthétique et sur le théâtre. Expliquant son engouement pour la pensée de W. Benjamin, il évoque la mémoire de ses parents, “venus chercher en France la possibilité de vivre dignement”, comme le dit la dédicace du livre. Je peux tout à fait souscrire à cette motivation familiale, ma mère étant née à Jérusalem en 1928, de parents sionistes russes, et mon père ayant passé plusieurs années à Moscou dans les années 1930, où mon grand-père, l’architecte André Lurçat, avait été invité par la société pan-soviétique pour les relations culturelles avec l’étranger.

 

Les événements survenus depuis le 7 octobre 2023 donnent au livre de Jean Caune une résonance dramatique. Pour beaucoup de Juifs assimilés – en France et ailleurs – la judéité redevient en effet un élément central de l’existence, qui les amène à s’interroger sur leur avenir et, pour certains d’entre eux, à retrouver le chemin de Jérusalem. La lecture de ce livre n’en est que plus actuelle.

Pierre Lurçat

 

Jean Caune, Walter Benjamin, Une pensée juive entre Moscou et Jérusalem, 170 pages, éditions Imago 2024.

 

* David Ben Gourion, En faveur du messianisme, L’Etat d’Israël et l’avenir du peuple juif, éditions l’éléphant 2024.

Walter Benjamin : une pensée juive entre Moscou et Jérusalem

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Le huitième front de la guerre d’Israël (II) Tsahal: armée du peuple ou “armée de la Cour suprême”?

December 15 2024, 13:50pm

Posted by Pierre Lurçat

Le huitième front de la guerre d’Israël (II) Tsahal: armée du peuple ou “armée de la Cour suprême”?

L’offensive menée par le “Deep State” sur le front judiciaire et les propos de l’ancien procureur de l’Etat appelant à l’insubordination montrent que les leçons du 7 octobre n’ont pas été tirées. Aux yeux du camp “tout sauf Bibi”, le Premier ministre demeure “l’ennemi à abattre”, même au milieu de la guerre existentielle qui dure depuis 14 mois. Second volet de notre article sur le “huitième front de la guerre”

Le huitième front de la guerre (I) Le « Deep State » contre la démocratie israélienne - VudeJerusalem.over-blog.com

Pendant les longs mois de crise et de luttes intestines qui ont précédé (et qui ont précipité) l’attaque meurtrière du 7 octobre 2023, les manifestants anti-Nétanyahou ont employé l’expression sybiline de “crise constitutionnelle”, dont la signification était alors difficilement compréhensible. Comment peut-il y avoir une “crise constitutionnelle” dans un pays dénué de Constitution véritable?[1] Pour expliciter cette expression, les opposants au gouvernement affirmaient que l’armée devait obéir à la Cour suprême et non au pouvoir élu… Or ce scénario, qui paraissait alors très improbable, s’est en fait réalisé sous nos yeux, et il est sans doute une des explications du fiasco du 7 octobre.

 

La récente affaire Feldstein permet en effet de rassembler les morceaux épars du puzzle pour comprendre un aspect essentiel de l’échec phénoménal du 7 octobre : celui du renseignement et de l’information. Si le conseiller militaire du Premier ministre Eli Feldstein et d'autres soldats ont été incarcérés et maintenus au secret pendant de longues semaines, sans pouvoir rencontrer d’avocat, parce qu’ils avaient voulu communiquer des documents au Premier ministre (!), cela signifie que dans la nouvelle réalité politique créée par les tenants d’un “gouvernement des juges”, le Premier ministre n’est plus le pouvoir suprême.

 

Nous sommes aujourd’hui en mesure de comprendre que, dans les mois fatidiques qui ont précédé le 7 octobre, l’état-major de l’armée était devenu un pouvoir indépendant de tout contrôle politique, qui s’était coupé à la fois de la base de l’armée (comme l’illustre l’exemple tragique de ces courageuses observatrices de Tsahal, qui ont vainement averti leurs supérieurs de ce qui se passait à la frontière de Gaza) et de l’échelon politique, auquel l’armée est supposée obéir dans une démocratie véritable.

 

Or, dans la version déformée de la démocratie, élaborée par les tenants du “pouvoir des juges”, l’armée n’obéissait plus au gouvernement mais uniquement aux élites judiciaires-médiatiques-sécuritaires, qui constituent le pouvoir véritable du “Deep State” israélien… Ainsi le slogan agité comme un épouvantail de la “crise constitutionnelle” (“l’armée n’obéit pas au gouvernement mais à la Cour suprême”) était devenu une réalité ! Le fameux pouvoir judiciaire que redoutait David Ben Gourion s’est matérialisé et il porte une lourde responsabilité dans l’avant 7 octobre.

 

Ce à quoi nous avons assisté le 7 octobre, c’est ainsi l’absence de l’état-major, qui était occupé par sa lutte politique et totalement aveugle aux menaces du Hamas, et qui a volontairement refusé d’informer le Premier ministre jusqu’aux premières heures du samedi noir, et l’action héroïque des soldats et policiers qui ont sauvé la situation malgré l’impéritie de l’état-major. L’armée du peuple a sauvé le pays pendant que “l’armée de la Cour suprême” était aux abonnés absents !

 

Et depuis ? L’armée a certes été progressivement reprise en main par le gouvernement, surtout depuis que Yoav Galant a laissé la place à Israël Katz. Mais l’état-major continue de montrer ses vélléités d’indépendance vis-à-vis du pouvoir élu, comme l’a montré la récente sortie du porte-parole de Tsahal, Daniel Hagari, contre la loi Feldstein adoptée par la Knesset. L’offensive menée par le “Deep State” sur le front judiciaire et les propos de l’ancien procureur de l’Etat appelant à l’insubordination montrent que les leçons du 7 octobre n’ont pas été tirées. Aux yeux du camp “tout sauf Bibi”, le Premier ministre demeure “l’ennemi à abattre”, même au milieu de la guerre existentielle qui dure depuis 14 mois. (à suivre…)

P. Lurçat

 

[1] Je renvoie sur ce sujet important le lecteur à mon livre Quelle démocratie pour Israël ? exposant le débat constitutionnel israélien.

Le huitième front de la guerre d’Israël (II) Tsahal: armée du peuple ou “armée de la Cour suprême”?

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Immobilier israélien : pourquoi les prix ne baissent-ils jamais ?

December 11 2024, 09:00am

Posted by Pierre Lurçat

Immobilier israélien : pourquoi les prix ne baissent-ils jamais ?

Une des questions les plus lancinantes que se posent tant les acheteurs nouveaux immigrants que les Israéliens de longue date au sujet de l’immobilier en Israël, est celle de la hausse quasiment perpétuelle des prix. Ce phénomène est-il rationnel ? A-t-il des explications logiques ? Et a-t-on raison d’accuser souvent les acheteurs étrangers (américains ou européens) d’être les responsables exclusifs de la montée des prix ? Tour d’horizon.

 

La guerre a amplifié la hausse des prix !

 

Premier constat : après plus d’un an de guerre, les prix continuent de monter et atteignent des prix records. La “crise” économique et financière annoncée et parfois anticipée (notamment par les agences de notation), n’a pas eu lieu, ou n’a pas atteint le marché immobilier. En réalité, la guerre a même accéléré le phénomène de hausse constante des prix – sur lequel nous allons revenir – pour plusieurs raisons.

 

La première raison est la pénurie de logements, qui n’est pas un phénomène nouveau, mais qui a été encore amplifié par la guerre et l’arrêt de nombreux chantiers de construction, faute de main d’œuvre.

 

La seconde est la pression sur la demande, due au fait (lui-même assez étonnant) que de nombreux Juifs à travers le monde s’interrogent sur leur avenir en dehors d’Israël et sont amenés à envisager de faire leur alyah, ou au moins d’acheter en Israël pour investir et/ou pour préparer leur future alyah.

 

La troisième est la flambée des taux d’intérêts, qui a rendu plus onéreuse l’accession à la propriété pour les emprunteurs.

 

Une hausse des prix structurelle

 

A ces raisons circonstancielles liées à la guerre, s’ajoutent les causes structurelles – ou systémiques – propres au marché immobilier israélien, parmi lesquelles on peut nommer la croissance démographique, que le marché immobilier peine à suivre, ou encore l’existence d’une forte demande venant de Juifs habitant à l’étranger, investisseurs dotés d’un pouvoir d’achat plus élevé que celui de l’immense majorité des Israéliens.

 

Pour toutes ces raisons, il est plus que probable que la hausse des prix de l’immobilier, loin de se ralentir ou de s’interrompre, va s’accélérer encore au cours des prochains mois et des prochaines années, soutenue par une vague d’alyah entamée après le 7 octobre, qui ne fera que se renforcer au lendemain de la guerre (à suivre…).

 

Pierre Lurçat

Agent immobilier / Century21 Talbieh-Jérusalem

972 (0)50 286 51 43 / pierre.c21jer@gmail.com

Immobilier israélien : pourquoi les prix ne baissent-ils jamais ?

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Le huitième front de la guerre (I) Le « Deep State » contre la démocratie israélienne

December 5 2024, 10:12am

Posted by Pierre Lurçat

Moshe Yahalon

Moshe Yahalon

Les propos délirants de l'ancien chef d'état major Moshe Yahalon ont une fois de plus mis en lumière le phénomène inquiétant de ces "gatekeepers" devenus des contempteurs de leur propre armée et de leur propre État, et ce alors qu'Israël est plongé dans une guerre existentielle sur sept fronts… Ce phénomène ne concerne pas seulement l'avant 7 octobre – car ce sont ces gatekeepers qui ont ouvert les portes aux terroristes du Hamas – mais il interroge aussi l'avenir de l'état d'Israël. Premier volet d'un article consacré au huitième front de la guerre.

 

Le "huitième front" de la guerre actuelle pourrait ainsi être défini comme celui qui oppose d'un côté le pouvoir élu démocratiquement et, de l'autre celui du « Deep State », c’est-à-dire des anciennes élites qui refusent obstinément de céder leur pouvoir et de renoncer à leurs privilèges. Ce qui rend cette situation – qui dure déjà depuis plusieurs décennies – inédite et dangereuse est le fait que les représentants du « Deep State » et, au premier plan, les "gatekeepers" qui en sont devenus les porte-parole attitrés, ne reculent devant aucun moyen dans leur tentative pour faire tomber le gouvernement élu.

 

Après avoir échoué à cinq reprises à gagner le pouvoir par les urnes et après avoir intenté plusieurs procès contre le Premier ministre pour des raisons futiles, ils ont franchi une nouvelle étape dans leur combat sans merci en utilisant le Shin-Beth, le service de sécurité intérieure, comme un bras armé et comme une véritable police politique au service de leurs intérêts étroits…

 

Cette guerre intestine pourrait se transformer en une véritable guerre civile, si elle opposait deux camps aussi déterminés d'en découdre l'un que l'autre. Elle ne l'est pas devenue pour une seule raison : aujourd'hui comme hier (de la “Saison” à l’Altalena), le camp de la droite dans son immense majorité, refuse toute guerre intestine et prône l'unité face aux ennemis extérieurs.

 

La gauche de son côté, fidèle à l'héritage de ses pères fondateurs qui n'ont jamais totalement accepté la légitimité du camp sioniste révisionniste, affirme sans relâche que l'ennemi principal n'est ni le Hamas ni le Hezbollah mais qu'il est .. B. Netanyahou! Or il ne s'agit pas seulement d'un slogan – stupide et criminel – des manifestants de Kaplan et d'ailleurs, mais bien d'une conviction profonde et solidement ancrée dans l'éthos antidémocratique du camp des "tout sauf Bibi".

 

Cette affirmation en elle-même dangereuse est devenue pour ainsi dire l'unique leitmotiv d'une gauche qui a perdu tout espoir de regagner le pouvoir par les urnes. Dans la suite de cet article nous verrons comment la récente affaire Feldstein permet de comprendre la responsabilité immense des gatekeepers  et du « Deep State » dans le 7 octobre.

P. Lurçat

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Comment définir la puissance militaire ? Entretien avec Michel Gurfinkiel

December 2 2024, 08:18am

Posted by Pierre Lurçat/Israël Magazine

Comment définir la puissance militaire ? Entretien avec Michel Gurfinkiel

Rédacteur en chef à Valeurs actuelles, fin observateur de l'actualité française, israélienne et internationale, Michel Gurfinkiel est aussi féru d'histoire militaire. Dans un entretien passionnant qui est paru dans la dernière livraison d'Israel Magazine, il m'a livré sa définition de la puissance militaire. Extraits:

Pierre Lurçat: On pourrait définir la force militaire d’un pays par sa capacité de reprendre le dessus après avoir essuyé un revers ?

Michel Gurfinkiel: Absolument. L’après 7 octobre est un retournement prodigieux sur le plan militaire ! Toutes les armées du monde observent avec fascination ce qu’Israël est en train de faire. Lorsque je discutais avant le 7 octobre avec les experts militaires, il y avait un débat très virulent sur les capacités militaires d’Israël.

I.M. Est-ce que la dissuasion israélienne a été restaurée depuis le 7 octobre ?

M.G. Très largement, mais il ne faut pas perdre de vue le fait que nous sommes un petit pays vulnérable. Pour que les Arabes ne soient pas tentés de nous attaquer, comme me l’avait expliqué jadis Youval Neeman, il faut faire une piqûre de rappel, en leur infligeant régulièrement une défaite militaire.

La puissance d’un pays, selon le général Eisenhower, se mesure par trois facteurs : la force militaire, l’économie et le moral. Si un seul manque, la puissance est affectée.

I.M. Que pensez-vous de la dépendance d’Israël sur le plan de l’armement ?

M.G. Aucune armée du monde occidental ne contrôle entièrement sa chaîne de production d’armement.

I.M. Face au Hamas, la supériorité technologique d’Israël s’est-elle avérée impuissante ?

M.G. On ne peut pas du tout dire ça. Aucun des concepteurs de la “barrière intelligente” ne pensait qu’elle pouvait à elle seule arrêter l’intrusion d’ennemis. Tous avaient lancé l’alerte avant le 7 octobre !

Comment expliquer que le même pays peut frapper à Téhéran et se faire prendre par surprise à la frontière de Gaza ? Je n’ai pas de réponse.

I.M. La réponse est peut-être dans l’élément moral dont parlait Eisenhower ?

M.G. Cela faisait 20 ans que le Hamas évoquait le scénario du 7 octobre ! Tout cela était accessible et publié dans les médias israéliens… D’où les théories du complot qui pullulent sur ce sujet.

Nous savons que l’armée en Israël est un “Etat dans l’Etat”, qui rend très peu de comptes. Le Premier ministre ne peut rien faire, sans faire confiance aux analyses qu’il reçoit de l’armée. Aujourd’hui tout le monde comprend que la responsabilité principale du 7 octobre se trouve au sein de l’armée. Pourtant, l’état-major actuel mène très bien la guerre actuelle.

I.M. Quel bilan dressez-vous d’un an de guerre ?

M.G. Le bilan est que nous avons anéanti le Hamas. La mort de Sinwar signifie que le Hamas en tant que structure est anéanti. Depuis un an, on s’aperçoit qu’Israël a de la ressource. Tsahal a été capable de repousser à 80 % toutes les attaques de missiles, y compris les attaques massives venues d’Iran. L’Iran a envoyé le 13 avril plus de missiles contre Israël que l’ensemble des pays européens n’en possèdent !

Lire la suite dans Israël Magazine

 

Comment définir la puissance militaire ? Entretien avec Michel Gurfinkiel

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