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Le secret de l’armée israélienne vu par l'écrivain S. J. Agnon

April 8 2024, 08:23am

Posted by Pierre Lurçat

Agnon avec Ben Gourion

Agnon avec Ben Gourion

 

Le texte qu’on lira ci-dessous est exceptionnel à plusieurs titres. Shmuel Joseph Agnon, écrivain israélien et Prix Nobel de littérature, y aborde un sujet très actuel : celui de l’armée d’Israël. Les réflexions d’Agnon – sur les liens entre force physique et force spirituelle et sur le pacifisme notamment – demeurent étonnamment pertinentes pour la situation d’Israël aujourd’hui. Elles ont été publiées dans le quotidien Maariv à la veille de Simhat Torah en 1974 – c’est-à-dire il y a tout juste 59 ans et demi – sur l’initiative de la journaliste (et future membre de la Knesset) Geoula Cohen. Agnon est d'autant plus actuel qu'il est, tout comme son œuvre, à cheval entre deux mondes : celui de la tradition et celui de la modernité, celui de l'ancien Yishouv et celui des pionniers sionistes. Son regard sur la question brûlante des rapports entre armée et judaïsme est d'autant plus précieux. Bonne lecture ! P. Lurçat

“Je crois qu’il n’y a pas de force physique sans force spirituelle, qu’il n’y a pas de force sans Torah. En d’autres termes, aucun pouvoir physique ne se suffit à lui-même s’il ne provient pas d’un lieu de pouvoir spirituel, que nous appelons un « idéal ». Votre question concernant « l’Éternel des armées » et l’armée d’Israël est très profonde et difficile. En fait, j’ai une opinion arrêtée à ce sujet, mais j’ai besoin de clarifier un peu plus la raison pour laquelle j’ai cette idée. Il est écrit au sujet de Dieu que, sur le mont Sinaï, Il est apparu comme un vieil homme enveloppé dans un talith, et à la traversée de la mer Rouge, Il est apparu comme un guerrier. C’est ainsi qu’Israël devrait être lorsque nous devons nous engager dans des affaires spirituelles, enveloppés dans un talith ; mais quand c’est un temps de guerre, à Dieu ne plaise, alors même un époux sort de la chambre nuptiale et la mariée elle-même de dessous le dais nuptial !

Nous devons toujours croire que les deux sont interdépendants. S’il y a la sécurité, il y a aussi la possibilité de s’engager dans les affaires de la Torah ; s’il y a de la Torah, il y a de la force, s’il y a de la force, il y a de la Torah. Nous voyons avec Bar Kokhba que ses soldats observaient les mitsvot, c’est-à-dire qu’ils n’oubliaient pas les commandements de Dieu, et c’est ainsi que notre armée devrait être : non pas une armée pour une armée, ce que vous appelez un culte du pouvoir, mais plutôt pour l’amour de la Torah. Si je suis capable d’habiter ici, dans mon quartier de Jérusalem, Talpiot, qui est juste à la frontière, et d’étudier une page de la Guemara, c’est parce que je sais que l’armée israélienne me protège…

Je pense que l’armée n’est pas une partie de plaisir, mais s’adonner au pacifisme est une mauvaise affaire. En ce qui concerne nos pacifistes habituels, qui se prélassent dans leur pacifisme, les Sages ont déjà dit : « Quiconque fait miséricorde aux cruels finit par être cruel envers les miséricordieux ». J’ai reçu la visite d’un membre de l’Hashomer HaTzair, ce mouvement de jeunesse de gauche. En réponse à l’opinion qu’il m’a exprimée, j’ai répondu que le temps où le peuple d’Israël tendait le cou pour le massacre est révolu. Ils prétendent qu’une armée et la guerre ne conviennent pas au peuple d’Israël. Est-il « convenable » que notre ennemi nous massacre et que nous soyons massacrés ? En ce qui concerne l’ère messianique, il est dit : « Une nation ne lèvera pas l’épée contre une nation » (Isaïe 2 :4), mais pour y parvenir, nous devons être dignes du messie.

Autrefois, j’ai écrit une parabole satirique, « Le loup habitera avec l’agneau », sur les émeutes arabes de 1929 [publiées dans la revue Moznayim en 1930]. Je n’avais pas l’intention de m’en prendre, Dieu nous en préserve, à des personnes déterminées, mais seulement aux idéaux du pacifisme. Je n’ai pas formé mon opinion à partir d’idéologies, ni du pacifisme ni de son contraire. J’ai été instruit sur le pacifisme à mes dépens [P.L. lorsque la maison d’Agnon à Jérusalem a été dévastée dans les attaques arabes]. Mais cette histoire a provoqué un tollé à l’époque parmi les pacifistes du mouvement Brit Shalom [qui plaidait pour la coexistence judéo-arabe et renonçait à l’espoir d’un État juif], jusqu’à ce que tous, sauf un, Arthur Ruppin, prennent leurs distances… Ce n’est qu’avec le temps, après un peu d’introspection, qu’ils ont renouvelé leur amitié.

Je n’aime pas l’armée. Je ne parlerais pas d’une armée de Gentils de cette façon. Je ne suis pas touché par quoi que ce soit de pratique ou de technique. Une fois, j’étais à Yad Vashem le jour du Souvenir, et ils ont utilisé toutes sortes d’effets spéciaux, comme des torches et des choses comme ça, des choses qu’il y a quarante ans ou plus, je ne pouvais pas tolérer dans les théâtres de Reinhardt en Allemagne. Je veux vous dire, je sais que tout le monde est excité par le défilé de l’armée le jour de l’indépendance ; Je sais que les femmes sont très enthousiastes à ce sujet, mais cela ne m’impressionne pas... Pourtant, quand j’ai vu, ici, dans le quartier de Talpiot, les jeunes hommes de la guerre de libération, comment ils nous défendaient et comment ils venaient de leurs postes les veilles de Shabbat pour entendre le Kiddouch, alors je n’ai pas pu retenir mes larmes…”

(Traduit à partir de la version en anglais publiée par la Jewish Review of Books, “The Secret of Our Army’s Endurance” - Jewish Review of Books)

« Si je suis capable d’habiter ici, dans mon quartier de Jérusalem, Talpiot, qui est juste à la frontière, et d’étudier une page de la Guemara, c’est parce que je sais que l’armée israélienne me protège… »

« Si je suis capable d’habiter ici, dans mon quartier de Jérusalem, Talpiot, qui est juste à la frontière, et d’étudier une page de la Guemara, c’est parce que je sais que l’armée israélienne me protège… »

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Israël-Gaza : Comment transformer la victoire militaire en victoire politique ? Pierre Lurçat

March 4 2024, 08:04am

Israël-Gaza : Comment transformer la victoire militaire en victoire politique ? Pierre Lurçat

 

Dans une récente interview sur une chaîne française, l’historien Georges Bensoussan déclarait que “la solution militaire n’existe pas” et que la guerre menée par Israël contre le Hamas n’était “pas gagnable sur le long terme”, car “seule la solution politique est gagnable”. Ces propos convenus répètent un slogan déjà éculé de la gauche israélienne : la “solution ne peut être que politique”, et elle passe par la création d’un État palestinien. Ces slogans continuent ainsi d’être répétés comme un mantra par de nombreux intellectuels – à l’intérieur comme à l’extérieur d’Israël – qui s’obstinent à prétendre apporter des “solutions” dont le 7 octobre a pourtant démontré de manière flagrante la tragique inanité.

       En vérité, la principale leçon que l’on peut déjà tirer de la guerre menée par Israël à Gaza est exactement inverse : premièrement, Israël est en train de remporter une victoire militaire éclatante, qui dément tous les pronostics défaitistes. Deuxièmement, l’État hébreu est tout à fait capable de transformer cette victoire militaire en victoire politique, en dépit des obstacles nombreux qu’il devra pour cela surmonter. Cette transformation de l’essai a en fait déjà commencé.

Une victoire militaire sans précédent

       Le premier constat est celui de la nature sans précédent – au niveau mondial – de la victoire militaire contre le Hamas. Certes, aucun des deux objectifs principaux fixés par le gouvernement israélien (éradication de l’appareil militaire du Hamas et retour des otages) n’est encore atteint. Mais on peut d’ores et déjà dresser un bilan très positif de la guerre la plus longue depuis 1948. Comme l’explique ainsi Edward Luttwak, analyste militaire réputé, la victoire tactique remportée par le Hamas le 7 octobre est en train de se transformer en défaite stratégique face à Israël…

A cet égard, la victoire en cours met à mal un des axiomes de la pensée politique contemporaine, qui s’énonce ainsi : une démocratie ne peut pas gagner la guerre contre un mouvement de guérilla ou contre un mouvement terroriste. Ce “théorème” a souvent été entendu, depuis la guerre du Vietnam et jusqu’aux opérations américaines en Irak et ailleurs. S’il a pu être vrai dans le passé, il s’avère inexact aujourd’hui dans le cas d’Israël, pour une raison très simple : la guerre imposée à Israël par le Hamas ne ressemble aucunement à celles des États-Unis ou de la France, menées dans des pays lointains et sans frontière commune avec eux. 

Une guerre existentielle

Au Vietnam, en Indochine ou en Irak, les armées occidentales affrontaient des ennemis lointains, qui ne menaçaient pas leur existence souveraine. Israël se bat pour sa survie, pour rétablir des frontières sûres et pour restaurer sa souveraineté violée par l’attaque du 7 octobre. Cette différence cruciale explique pourquoi l’État juif déploie des efforts surhumains et fait preuve d’une incroyable capacité de résilience, tant militaire que civile. La guerre existentielle d’Israël contre le Hamas et le Hezbollah n’est pas une guerre coloniale, ni une “guerre inutile” et vouée à l’échec, face à un ennemi qui se battrait pour son indépendance. Elle est une guerre de survie, dans laquelle la seule option est celle de vaincre…

(LIRE LA SUITE dans le dernier numéro d’Israël Magazine, le pionnier de la presse francophone israélienne).

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Où était l’armée de l’air le 7 octobre? Ces “Gatekeepers” qui ont laissé entrer l’ennemi (III)

February 26 2024, 15:33pm

Un sentiment de supériorité et d'invincibilité

Un sentiment de supériorité et d'invincibilité

 

Au cours des mois qui ont précédé le 7 octobre, on a entendu à plusieurs reprises des officiers supérieurs de Tsahal, y compris des anciens généraux et chefs d’état-major, affirmer sans sourciller qu’ils n’obtempéreraient pas aux ordres du gouvernement de B. Nétanyahou. Le summum de ces appels à l'insubordination a été atteint lorsque des pilotes et des anciens dirigeants de l'armée de l'air ont affirmé qu’ils n’obéiraient pas aux ordres, y compris pour attaquer l’Iran et sa capacité nucléaire ! Or, le jour fatidique du 7 octobre, l’armée de l’air était aux abonnés absents… Y a-t-il un lien entre cette absence tragique et les appels à l’insubordination qui l’ont précédée ? Et si oui, quel est-il ? Troisième volet de notre série d’articles consacrés aux “Gatekeepers” qui ont failli dans leur mission de défense d’Israël.

 

Pourquoi le 7 octobre ? Ces “Gatekeepers” qui ont ouvert la porte à l’ennemi (I), Pierre Lurçat - VudeJerusalem.over-blog.com

Pourquoi le 7 octobre ? (II) Ces “Gatekeepers” qui ont oublié qui était l’ennemi, Pierre Lurçat - VudeJerusalem.over-blog.com

 

Une des questions les plus obsédantes que se posent des millions d'Israéliens et de Juifs à travers le monde depuis le 7 octobre est celle de savoir où était Tsahal, lorsque les hordes barbares de Gaza ont envahi le territoire israélien. Il ne s'agit pas d'une question théorique ou théologique, comme celle de savoir où était D.ieu pendant la Shoah… Non, il s'agit d'une question très simple et concrète. Où était Tsahal, où étaient ses chefs et ses officiers, et pourquoi ont-ils mis plusieurs heures avant de réagir, alors même que des centaines de soldats et de civils avaient déjà, eux, réagi et affluaient vers la frontière de Gaza ?

 

Cette question obsédante se pose avec une acuité décuplée s'agissant de l'armée de l'air, considérée depuis plusieurs décennies comme le fleuron de l'armée israélienne et devenue le pilier de sa doctrine stratégique de défense depuis 1967. Où était l'armée de l'air, pourquoi aucune escouade n'est-elle venue bombarder les hordes du Hamas et leurs supplétifs, pourquoi pas un seul avion n'était dans le ciel au-dessus de Gaza, à l'heure fatidique où des milliers de citoyens sans défense étaient attaqués ? La réponse définitive sera sans doute, espérons-le, donnée un jour par une commission d'enquête.  Une série documentaire de la chaîne publique Kan11 permet d’ores et déjà d’apporter des éléments de réponse.

 

Ha-Ahat” (“The One”) relate l'histoire d'une unité de l'armée de l'air, l'escouade 201, en octobre 1973. Le reportage nous plonge dans la vie quotidienne des pilotes pendant les heures critiques de la guerre de Kippour. On y découvre leur courage qui confine parfois à l’héroïsme (ainsi, un des pilotes fait prisonnier raconte avoir dit à un pilote égyptien, rencontré après la guerre : “vous avez utilisé de l’électricité (pour nous torturer) et nous avez brisé des cannes sur le dos, et nous n’avons rien dit… Je vais te révéler un secret : ‘Si vous m’aviez chatouillé, j’aurais tout raconté !”). Mais on découvre aussi leurs faiblesses et leur sentiment de supériorité et d'invincibilité, qui se mêle aux remords éprouvés après l’opération au cours de laquelle ils ont descendu par erreur un avion civil libyen, qui avait pénétré l’espace aérien d’Israël. La journaliste Sima Kadmon – elle-même ancienne soldate de l’unité – se focalise sans cesse sur les remords et sur le sentiment de culpabilité, comme si c’était l’aspect le plus important dans le vécu de ces soldats d’élite.

 

Un des moments clés du reportage est ainsi celui où un des pilotes exprime son sentiment à l’égard du gouvernement actuel (la série a été diffusée en septembre 2023). Lorsque Sima Kadmon lui demande ce qu’il répondrait à son petit-fils, s’il lui demandait s’il doit être incorporé dans l’armée, il répond sans hésiter : “Je lui dirais, mon cher petit-fils, je veux te dire qu’il n’est pas bon de mourir pour notre patrie… Et je souhaite que tu protèges ta vie. Et si tu dois prendre des risques pour ta vie, que cela soit pour la paix et pas pour la guerre…”. La journaliste insiste, en remarquant que c’est un message très troublant pour un jeune homme qui s’apprête à entrer dans l’armée… L'ancien pilote répond alors qu’il sait parfaitement ce que signifie qu’il n’est pas bon de mourir pour sa patrie. Car, explique-t-il, “notre pays a changé de visage. Ce n’est pas le pays duquel nous décollions alors…

 

Cette déclaration sans ambages d’un pilote n’est pas un acte isolé. Elle représente un état d’esprit hélas très présent au sein de ces anciennes élites de l’armée de l’air, qui ont subi en octobre 1973 un traumatisme dont elles ne se sont jamais remises. Ces anciennes élites ont joué un rôle clé – notamment à travers le mouvement “Ahim Laneshek” (Frères d'armes) – dans les manifestations incessantes qui ont prétendu faire tomber le gouvernement démocratiquement élu de l’Etat d’Israël, au cours des mois de luttes fratricides qui ont précédé le 7 octobre. A cet égard, elles portent une part de responsabilité dans ce qui s’est produit le jour fatidique de Simhat Torah.

 

La bonne nouvelle est toutefois que, même si l’armée de l’air était aux abonnés absents le 7 octobre, pour des raisons qui demeurent inexpliquées à ce jour, et même si une partie des élites au sein même de Tsahal a adopté un discours post-sioniste et anti-démocratique, à l’instar de ce pilote de l’unité 201, la jeunesse d’Israël, dans son immense majorité, reste profondément sioniste et continue de penser qu’il est “bon de mourir pour sa patrie”. Elle l’a prouvé le 7 octobre et continue de le démontrer chaque jour de la guerre la plus longue qu’Israël a connue depuis 1948.

P. Lurçat

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Pourquoi le 7 octobre ? (II) Ces “Gatekeepers” qui ont oublié qui était l’ennemi, Pierre Lurçat

February 1 2024, 09:25am

Posted by Pierre Lurçat

Ami Ayalon avec Itshak Rabin

Ami Ayalon avec Itshak Rabin

 

Comment les « Gatekeepers » ont-il pu méconnaître à ce point les intentions et le mode de pensée de nos ennemis ? Et pourquoi sont-ils tellement ignorants et méprisants à l’égard de la tradition d’Israël, ou plus précisément, pourquoi la considèrent-ils comme un danger et comme une menace sécuritaire, voire existentielle pour Israël ? Ce sont en fait les deux facettes d’une seule et même question. Deuxième volet de notre analyse consacrée aux « Gatekeepers », ces responsables des services de sécurité et de l'armée qui portent la responsabilité de l'échec colossal du 7 octobre. P.L. (Premier volet : Pourquoi le 7 octobre ? Ces “Gatekeepers” qui ont ouvert la porte à l’ennemi)

 

Si Israël, comme le pensent Ami Ayalon et tous ceux qui lui ressemblent, n’a vocation à être qu’un Etat occidental et une « démocratie libérale », alors effectivement, la question des droits de l’Homme est essentielle et c’est à l’aune du respect par Israël des « droits » de ses ennemis que peut se mesurer la réussite du projet sioniste. Cette hypothèse implicite n’est quasiment jamais remise en question, sinon sur le mode de la peur apocalyptique que suscite chez eux toute éventualité qu’Israël se transforme en autre chose[1]. Cette peur est explicitée par Ayalon sur la page de présentation de son livre au titre éloquent, Friendly Fire, How Israel became its own worst enemy, sur le site de l’université de Tel-Aviv.

 

 « Si Israël devient une dystopie orwellienne », écrit Ayalon, « ce ne sera pas grâce à une poignée de théologiens qui nous entraînent dans un sombre passé. La majorité laïque nous y conduira, motivée par la peur et propulsée par le silence ». Dans cette affirmation capitale, on trouve les deux credos fondamentaux de la gauche laïque pacifiste qu’il incarne : toute affirmation d’une identité juive israélienne dans le domaine public équivaut à un « retour à un sombre passé », et seule la « majorité laïque » peut empêcher ce scénario cauchemardesque.

 

Cette peur fantasmatique de la dimension collective du judaïsme est celle qui a animé les manifestations de l’avant 7 octobre, qu’Ayalon espère voir bientôt reprendre, avec la participation des 300 000 soldats qui se battent à Gaza. Aux yeux d’Ami Ayalon, le combat contre le Hamas est secondaire ; il ne doit pas effacer le combat prioritaire, celui pour l’identité d’Israël. C’est dans ce contexte qu’il appelle, aujourd’hui comme hier, à la création d’un Etat palestinien, sans se poser la question du danger que celui-ci représenterait pour Israël : « ll faut se battre pour un Etat palestinien, non parce que nous aimons les Palestiniens, mais pour notre sécurité et pour sauver notre identité ».

 

On comprend dès lors pourquoi Ami Ayalon, comme d’autres membres de l’establishment militaire israélien qui n’ont pas vu venir le 7 octobre, n’a pas changé d’un iota son discours depuis cet événement. A ses yeux, le 7 octobre et la guerre contre le Hamas ne sont qu’une parenthèse, qu’il faut s’empresser de refermer pour reprendre le combat intérieur, pour « sauver notre identité » (à savoir, celle d’un Etat laïque occidental dans lequel le judaïsme serait relégué à la sphère privée). Cette priorité du « combat intérieur » est la clé qui permet de comprendre la cécité d’Ayalon et des autres « Gatekeepers » partageant sa vision du monde face à la menace existentielle du Hamas et des autres ennemis radicaux du peuple Juif. Elle procède de la confusion – très répandue au sein de la gauche israélienne – entre l’adversaire et l’ennemi.

 

“Repenser l’ennemi” ?

 

C’est ainsi qu’il faut comprendre l’affirmation d'Ayalon – étonnante en apparence – selon laquelle il convient de « repenser l’ennemi », ou la phrase sibylline sur sa page du site de l’université de Tel-Aviv (où il est professeur émérite du département d’histoire du Moyen Orient et d’Afrique) selon laquelle « En tant que chef de l’agence de sécurité du Shin Bet, il a acquis de l’empathie pour ‘’l’ennemi’’ ». Si le mot ennemi est placé entre guillemets, cela signifie que, dans l’univers conceptuel où évoluent Ayalon et les autres membres de l’establishment qui partagent ses idées, le concept même d’ennemi a disparu

 

Le Hamas n’est donc pas à leurs yeux un ennemi irréductible d’Israël et des Juifs, comme l’ont cru des millions d’Israéliens au lendemain du 7 octobre (et bien avant, pour les plus lucides d’entre eux). Non, explique Ayalon (après le 7 octobre !) : « Nous ne faisons pas la guerre aux Palestiniens. Il y a des Palestiniens qui soutiennent le Hamas. Ils ne le font pas parce qu’ils adhèrent à l’idéologie religieuse du mouvement, mais parce qu’ils voient le Hamas comme la seule organisation qui se bat pour leur liberté et la fin de l’occupation israélienne… »

 

Citation éloquente et presque sidérante, dans la cécité qu'elle exprime envers la situation actuelle à Gaza, telle que la décrivent des dizaines de témoignages concordants de soldats et d'officiers qui y combattent. Non, le soutien au Hamas n'est pas comme le décrit Ayalon, celui à une organisation qui « se bat pour leur liberté », selon la vision occidentale totalement mensongère du « combat pour la libération nationale » du « peuple palestinien » (discours inventé de toutes pièces lors de la création de l’OLP, avec le soutien actif de l’URSS). Comme l’ont rapporté les soldats depuis Gaza, le soutien au Hamas procède d’une adhésion totale à son discours apocalyptique et radicalement antijuif, discours profondément enraciné dans la culture de l’islam.

 

Ainsi, il s’avère que la cécité des « Gatekeepers » face à la menace existentielle du Hamas n’est qu’un élément de leur cécité plus générale envers toute notion d’un ennemi musulman irréductible. Dans leur vision du monde idéologisée, le seul « ennemi » qui mérite d’être combattu est l’ennemi intérieur, à savoir les Juifs nationalistes/religieux/messianistes, comme en atteste la récente campagne de Fake News sur la soi-disant « violence des colons », ou encore les déclarations de l’écrivain Haïm Beer sur ce sujet. Obnubilés par leur idéologie et par leur obsession de la guerre fratricide, les « Gatekeepers » d’Israël ont laissé l’ennemi véritable bâtir sa force militaire et pénétrer le territoire souverain de l’Etat juif. (à suivre…)

 

P. Lurçat

 

 

[1] Alors que le mouvement sioniste, pour ne parler que de l’histoire récente, a toujours été traversé par un débat intérieur sur la nature du projet sioniste et sur l’identité de l’Etat qu’il voulait fonder.

Pierre Lurçat  050-2865143 - Century21  5 rehov Marcus, Talbieh, Jérusalem  About us - Century 21 Jerusalem

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Une étincelle d’hébreu : “Tsava katan vé-khakham”, la “petite armée intelligente” a fait long feu

December 26 2023, 11:09am

Posted by Pierre Lurçat

Une étincelle d’hébreu :  “Tsava katan vé-khakham”, la “petite armée intelligente” a fait long feu

Parmi les expressions de l’avant 7 octobre qui sont tombées en désuétude depuis, il en est une dont les conséquences ont failli être mortelles pour Israël : la “petite armée intelligente” (Tsava katan vé-khakham). En gros, l’idée des promoteurs de ce slogan était qu’à l’ère de la technologie, Tsahal n’avait pas besoin de reposer sur un aussi large réservoir humain que par le passé, et qu’on pouvait allègrement tailler dans les budgets des divisions de réserve et dans celui de l’infanterie.

            Comme le rappelle Caroline Glick dans un article passionnant, traduit par le site Mabatim, l’auteur de cette doctrine n’est autre qu’Ehoud Barak, ancien chef d’état-major qui fut aussi l'un des plus mauvais Premiers ministres qu'a connus Israël. La guerre qui se déroule depuis 80 jours est la preuve que le moment n’est pas encore venu où “le loup cohabitera avec l’agneau” (et même quand il sera venu, mieux vaudra être le loup, comme a dit Woody Allen). En attendant, Tsahal doit rester l’armée du peuple (Tsava ha-Am) et redevenir une armée offensive, toujours prête à riposter et à attaquer de manière préventive, toujours sur le pied de guerre pour défendre notre petit pays.

Une autre leçon de l’après 7 octobre est que nous devons développer une industrie de l’armement qui soit orientée non seulement vers l’exportation (comme elle l’est aujourd’hui), mais aussi vers l’auto-suffisance et l’indépendance de l’armée israélienne, au lieu de dépendre de l’approvisionnement d’autres pays, fussent-ils nos meilleurs alliés comme les Etats-Unis. Comme l’écrivait l’écrivain H. Brenner il y a cent ans, “Ce n’est pas que nous n’avons pas encore dépassé le militarisme, nous ne l’avons pas encore atteint”.

P. Lurçat

J’ai dressé un premier bilan de la guerre actuelle au micro de Richard Darmon sur

Studio Qualita :

Qu'est-ce qui a changé pour Tsahal dans cette guerre ? -IMO#220 (studioqualita.com)

 

 

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Comment gagner la guerre selon la Torah? Tsahal, le droit juif et la guerre, P. Lurçat

October 15 2023, 16:26pm

Posted by Pierre Lurçat

Comment gagner la guerre selon la Torah? Tsahal, le droit juif et la guerre, P. Lurçat

Le principe fondamental du droit juif de la guerre est celui énoncé dans la Torah, selon lequel « celui qui vient pour te tuer, devance-le et tue-le ». Il s’applique en temps de paix, et à plus forte raison en temps de guerre. Ce principe fondamental, qui constitue une des bases du droit à l’autodéfense dans la loi juive, a des conséquences très concrètes. Ainsi, expliquent les auteurs du livre Torat Hamele’h, « celui qui vient pour te tuer » n’est pas forcément un soldat en uniforme portant une arme. La situation est souvent plus complexe, comme lorsque les soldats de Tsahal se trouvent en territoire ennemi, pour neutraliser des missiles dirigés vers les villes d’Israël et qu’un berger arabe aperçoit la patrouille de soldats et va informer les terroristes de sa présence… Dans cette situation, le berger est lui aussi considéré comme « celui qui vient pour te tuer ».

 

Un exemple concret d’une telle situation m’a été relaté par un jeune parachutiste, qui était en première ligne pendant la guerre contre le Hamas à Gaza en 2009. Les consignes officielles, inspirées par le Code éthique de Tsahal et le principe de « pureté des armes », étaient de ne pas tirer sans sommation sur des civils, mais les soldats de Tsahal ne les ont pas toujours respectées, car ils savaient pertinemment que ces civils représentaient parfois un danger réel pour leur vie. Dans ce cas précis, la loi juive, telle que l’expose La Loi du Roi, est beaucoup plus claire que le Code éthique de Tsahal. La loi juive interdit en effet à un soldat juif de mettre sa vie en danger pour éviter de tuer un civil ennemi, comme cela est arrivé très souvent à Gaza ou au Sud-Liban. L’exemple concret relaté ci-dessus permet de mesurer toute la distance entre la loi juive et le Code éthique de Tsahal, rédigé par des gens qui n’ont apparemment aucune connaissance du droit juif de la guerre.

La loi juive est beaucoup plus claire que le Code éthique de Tsahal

En effet, comme l’explique le rabbin et mathématicien Eliahou Zini [1], Tsahal agit souvent selon un code éthique et un principe de « pureté des armes », qui s’inspirent de règles morales étrangères (lesquelles ne sont pas toujours appliquées par les autres armées occidentales). Lorsque treize soldats israéliens ont été tués à Djénine en 2002, pour ne pas employer l’artillerie contre la population civile ennemie, c’était en raison de ce fameux code éthique [2]. Cette morale d’inspiration étrangère, qui préfère la vie de civils ennemis à celles des soldats de Tsahal, n’a rien à voir avec la morale juive authentique, celle de la Torah et des prophètes. Eliahou Zini souligne aussi que le Code éthique de Tsahal, rédigé par une commission nommée par l’armée et dirigée par un professeur de philosophie, Asa Kasher, fait tantôt référence à la « tradition du peuple Juif » et tantôt aux « valeurs universelles », mais qu’en cas de contradiction entre ces deux sources, ce sont les valeurs universelles (non juives) qui prévalent. Le Code éthique, poursuit Zini, affirme encore que l’objectif de Tsahal est de « faire entrave aux efforts de l’ennemi visant à perturber le cours normal de la vie », comme si la « défense d’Israël se réduisait à la mise en place d’un abri pour sa population ».

 

On comprend alors pourquoi le livre La Loi du Roi est considéré comme « séditieux » par les médias de gauche et par le pouvoir judiciaire. Ceux-ci sont en effet impliqués, à des degrés divers et avec des motivations différentes, dans le combat mené – avec l’appui et le financement d’ONG et de pays étrangers – pour entraver les mains de Tsahal dans sa guerre contre le terrorisme arabe. Le rapport Goldstone, on s’en souvient, reposait entièrement sur les accusations mensongères de « crimes de guerre » qui provenaient d’associations israéliennes d’extrême-gauche financées par l’Union européenne. Dans ce contexte, le débat légitime sur les normes éthiques et morales que doivent suivre les soldats israéliens devrait viser à redonner à Tsahal, face aux efforts répétés pour lui lier les mains dans la guerre contre le Hamas, les moyens juridiques, fondés sur le droit juif, d’affronter ses ennemis et de les vaincre.

(Extrait de mon livre La trahison des clercs d’Israël, La Maison d’édition 2016).

 

[1] Eliahou Zini, « Code éthique ou matraquage politique », in Forum-Israël Nº 3, « Le temps de la guerre », éditions Ivriout 2006.

[2] « Depuis trop longtemps, des soldats de Tsahal ont été assassinés en vain dans la bande de Gaza, en Judée-Samarie, au Liban, uniquement afin de ne pas porter atteinte aux familles de terroristes, à leurs voisins, ou aux citoyens de peuples étrangers… Où est le respect de la vie de nos soldats, le respect de leurs familles, le respect de tout un peuple qui les a envoyés en première ligne ? ». Eliahou Zini, « Code éthique ou matraquage politique », art. cit.

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Retrouver les valeurs fondatrices de Tsahal : Avec la famille Goldin à Jérusalem : “Ramenez notre fils!”

July 12 2022, 08:14am

Posted by Pierre Lurçat

Hadar Goldin z.l.

Hadar Goldin z.l.

 

Le calendrier israélien n’est pas exactement identique au calendrier juif tel qu’on le connaît ailleurs. Il s’est enrichi de dates nouvelles, pour le meilleur et pour le pire. C’est ainsi que nous avons marqué hier en Israël (avec un jour de retard dû au shabbat) le Dix Tammouz, date du début de la guerre à Gaza en 2014, connue sous le nom de "Bordure protectrice” (Tsouk Eitan). A certains égards, le Dix Tammouz marque – tout comme le 17 Tammouz dont le jeûne sera observé la semaine prochaine - la “première brèche” dans la muraille de Jérusalem. Pour le comprendre, il faut écouter ce que nous disent les parents et le frère de Hadar Goldin, jeune soldat de Tsahal capturé par le Hamas pendant la guerre de 2014 et dont la dépouille mortelle reste jusqu’à ce jour aux mains du Hamas.

 

Je me trouvais hier après-midi au mont Herzl, avec la famille Goldin, en dehors du mémorial où se tenait la cérémonie traditionnelle avec les familles des soldats tombés pendant “l’opération Tsouk Eitan”[1]. La famille Goldin est restée en dehors, parce que le message qu’elle entendait délivrer aux dirigeants de l’armée et aux dirigeants israéliens ne pouvait l’être dedans… En effet, comme l’avait déclaré le père de Hadar, le Dr Simha Goldin, en août 2019 : “Hadar a été abandonné à trois reprises par la lâcheté de nos dirigeants. La première fois, sur le champ de bataille, lorsqu’ils ont empêché son officier de pénétrer dans l’hôpital du Hamas où il était apparemment détenu et blessé. La deuxième fois, à la fin de l’opération Tsouk Eytan, lorsque les dirigeants israéliens ont négocié (un cessez-le-feu) au Caire avec le Hamas, sans exiger la restitution des deux soldats Oron Shaul et Hadar Goldin. Et la troisième fois, pendant les cinq dernières années…” Simha Goldin a aussi déclaré, lors du congrès annuel du mouvement Im Tirtsu, que pour la première fois dans l’histoire de Tsahal, un soldat avait été déclaré “tombé au combat” en pleine guerre, alors qu’il était disparu et que son sort n’était pas encore connu avec certitude.

 

Simha Goldin devant le Lion de Tel Haï

 

Ce précédent dangereux a été fixé en contradiction avec la tradition remontant aux débuts de Tsahal, de ne jamais abandonner un soldat sur le champ de bataille et de ne pas le considérer comme mort, tant que sa dépouille n’avait pas été récupérée. Mais en quoi cela concerne la sécurité de l'État d'Israël tout entier ? La réponse nous a été donnée l'an dernier, lors des évènements auxquels on a donné le nom significatif de Shomer haHomot, "gardien des murailles", quand le Hamas a réussi à enflammer l'ensemble du territoire israélien et en particulier les villes mixtes d'Israël. Ce faisant, le mouvement terroriste islamique porté au pouvoir par le retrait israélien de la bande de Gaza a signifié que la clé de la sécurité en Israël était bien entre ses mains… Tout comme la dépouille mortelle du soldat Hadar Goldin et de ses camarades.

 

Pour retrouver la clé de notre sécurité, Israël doit tout d'abord retrouver le sens des valeurs fondatrices de Tsahal, et en premier lieu, celle de l'obligation sacrée de porter ses soldats tombés au combat en terre d'Israël. C'est alors seulement que l'État juif pourra retrouver le sens du Hadar, le nom donné par le Dr Simha Goldin et son épouse à leur fils aîné. “Hadar” signifie en effet “splendeur” et il fait référence au Chir Betar, l’hymne du mouvement de jeunesse sioniste créé par Zeev Jabotinsky, qui fut aussi le fondateur de la Légion juive, ancêtre de Tsahal. Puissent les mots du Chir Betar inspirer les dirigeants de notre pays et de notre armée. “Hébreu, dans la misère même tu es Prince, Dans la lumière ou l’obscurité. Souviens-toi de cette couronne”. Qu’ils se souviennent, eux aussi, du Keter, de la couronne. Qu’ils se souviennent du Hadar. Et qu’ils n’oublient pas non plus les paroles du Chir HaReout, rédigé par Haïm Gouri, de “l’amour consacré dans le sang” des soldats tombés dans les guerres d’Israël.

 

Pierre Lurçat

 

Soutenir le combat de la famille Goldin :

Contribute - Hadar Goldin (hadargoldinfoundation.org)

 

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J'ai le grand plaisir d'annoncer la parution prochaine du nouveau tome de la Bibliothèque sioniste, Le mur de fer, Les Arabes et nous de Vladimir Jabotinsky. Il paraîtra officiellement à la rentrée de septembre mais est déjà disponible sur Amazon en prévente promotionnelle.

 

 

 

[1] Le terme d’opération est un euphémisme pour désigner la guerre, mais nous avons l’habitude en Israël de ce genre d’euphémisme, depuis les “événements de 1929”...

Retrouver les valeurs fondatrices de Tsahal : Avec la famille Goldin à Jérusalem : “Ramenez notre fils!”

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Olivier Ypsilantis - Mon intérêt pour les choses juives – 4/5

August 19 2021, 10:53am

Posted by Olivier Ypsilantis

Olivier Ypsilantis - Mon intérêt pour les choses juives – 4/5

Pierre Lurçat : Vous avez visité Israël plusieurs fois et séjourné dans des bases de Tsahal en tant que volontaire de Sar-El. Votre intérêt pour la cause juive n’est pas purement livresque et intellectuel. Qu’est-ce qui vous attire en Israël ?

 

Olivier Ypsilantis : Je me suis toujours rendu en Israël pour y faire quelque chose, et je m’y rendrai toujours avec la même intention. Israël n’est pas pour moi un pays de tourisme. Je n’y viens pas simplement pour marcher sur les pas de Jésus ou pour visiter le tombeau de Rachel ; et je respecte infiniment Jésus et Rachel. Je pourrais me contenter de faire du tourisme aux Seychelles ou à Bali, mais je n’ai pas de temps à perdre et aller promener ma personne sous les cocotiers le long d’une plage ne me convient qu’un jour et encore.

En Israël, la présence juive m’intéresse plus que les autres. Je m’intéresse bien sûr aux autres présences dans cet espace plus disputé que n’importe quel espace au monde et où tout est tellement imbriqué. Mais j’insiste, en Israël la présence juive m’intéresse plus que toutes les autres. A ce propos, peu savent (ou ne veulent pas savoir) que la présence juive sur cette terre a été continue, plus ou moins marquée (au plus bas durant la période chrétienne), mais continue. L’exil n’a pas vidé Israël de ses Juifs, avec une période d’environ deux mille ans d’absence totale puis un retour soudain après la Shoah. Cette image fausse où la propagande et l’ignorance se donnent la main doit être détruite. Presque personne n’a entendu parler du Yichouv, de ce proto-État qui a précédé et annoncé l’État d’Israël. Presque personne ne connaît l’histoire des Juifs de Safed et de Tibériade. Presque personne ne connaît la fabuleuse histoire de Doña Gracia (Gracia Nasi), marrane d’origine espagnole née à Lisbonne au début du XVIe siècle. Et ainsi de suite.

Et en Israël, c’est surtout l’Israël d’aujourd’hui que j’aime, Israël bien vivant, un pays très ancien mais qui n’a pourtant que quelques décennies. J’aime Jérusalem mais je préfère Tel Aviv. Cette préférence ne s’appuie en rien sur une opposition laïcité/religion. J’ai exposé (trop brièvement il est vrai) mon immense intérêt pour le judaïsme. Ma préférence prend appui sur autre chose. Tel Aviv est une ville infiniment émouvante. C’est une ville exclusivement juive, née du sable, de rien, de presque rien. Certes, il y avait cette ville antique, Jaffa, contre laquelle Tel Aviv a pris appui pour se développer vers le nord, jusqu’au fleuve Yarkon et au-delà, mais cette ville est bien née de presque rien. Il faut visiter le musée du peintre Reuven Rubin, à Tel Aviv, pour apprécier la naissance et la croissance de cette ville.

 

Les débuts de Tel Aviv par Reuven Rubin

 

Il y a longtemps, et avant même d’entreprendre mes études, que le Bauhaus me passionne. Le Bauhaus est le phénomène artistique le plus important dans l’Europe du XXe siècle, et je pèse mes mots. Le Bauhaus en architecture a pensé comme personne l’union de la fonctionnalité et la beauté par les seules proportions. Les Juifs de ces années, en Israël, n’avaient pas de temps et d’argent pour les fioritures. J’ai rendu compte sur ce blog d’une passionnante lecture, un must me semble-t-il sur le sujet : « Tel Aviv, naissance d’une ville 1909-1936 » (chez Albin Michel, dans la collection Présences du judaïsme). Cette ville est pleine de constructions directement issues de l’enseignement du Bauhaus. Tel Aviv a d’abord été une ville ashkénaze, conçue et édifiée par des Juifs allemands.

Je me souviens de mon plaisir à me promener dans le quartier de Montefiore et dans certains quartiers limitrophes. Des souvenirs d’Athènes ne cessaient de me revenir. Athènes ! Athènes est elle aussi une ville orientale, de la Méditerranée orientale, comme Tel Aviv. Il faut avoir marché longuement dans le quartier de Monastiraki (Μοναστηράκι) à Athènes et de Montefiore à Tel Aviv pour être saisi par une même ambiance.

Mais j’en reviens à votre question. J’ai très vite éprouvé que mon intérêt pour Israël et la cause juive ne pouvaient s’en tenir à une connaissance livresque. J’ai toujours voulu appréhender Israël en y voyageant et, une fois encore, pour y faire un peu de tourisme mais pas que du tourisme. Dans mes jeunes années, soient les années 1980, j’ai travaillé dans des kibboutz, non parce que c’était à la mode mais par sionisme. Il me semble que je suis né sioniste, que je suis tombé dans une potion magique de sionisme. Il est vrai que le père d’Astérix était juif et ses aventures sont aussi juives que celles que rapporte la Bible.

J’ai donc travaillé dans des kibboutz, un sur le Golan, très Likoud, l’autre sur la Ligne verte, un kibboutz du Nahal (l’histoire du Nahal est passionnante). Dans ce deuxième kibboutz, après le travail, je me rendais tous les jours dans les villages arabes des environs afin de mieux connaître le pays. Je ne vais pas rentrer dans le détail de ces rencontres, fort riches, mais, simplement, travaillant avec des Juifs, je trouvais tout naturel d’aller parler avec les Arabes qui vivaient à de l’autre côté de l’enceinte. Je me souviens d’être parti en excursion avec trois Arabes dans les collines environnantes. L’un d’eux rêvait de venir en France, et savez-vous pourquoi ? Pour visiter les châteaux de la Loire ! Il me raconta l’histoire de plusieurs de ces châteaux et me décrivit leur architecture ; je l’écoutais bouche bée. Mais c’est du kibboutz sur le Golan que je garde les souvenirs les plus forts. La vie y était rude mais une fois encore je me voyais dans le désert des Tartares. Il faisait froid. Au loin, les monts de Syrie étaient enneigés. Nous étions en 1982, peu après Sabra et Chatila. Un Juif de France, un Alsacien, m’avait accueilli en parka, fusil d’assaut en bandoulière. Il fulminait contre son pays et ses médias qui envoyaient toute la merde sur Israël. Je lui expliquai que si j’étais ici, en Israël, dans ce kibboutz, c’est aussi parce que je ne prêtais aucune valeur à ces médias, que je flairais le mensonge. La nuit, mon lit de camp tremblait parfois. Des chasseurs- bombardiers frappaient là-bas, du côté du proche Liban. Le ciel s’illuminait par à-coups. J’étais un peu inquiet mais, une fois encore, je savais que j’étais là où je devais être. J’ai toujours eu cette certitude en Israël, dans les kibboutz et plus encore au Sar-El.

Je ne sais ce qui m’attire en Israël. Peut-être suis-je victime des Sages de Sion ou d’un philtre d’amour, je ne sais. Plus sérieusement. Pour moi Israël c’est d’abord sa population, toutes ces femmes et tous ces hommes que j’ai rencontrés dans les kibboutz puis à Tsahal. J’ai par ailleurs beaucoup circulé dans ce pays, du Golan au Néguev. Ce qui m’attire en Israël ? Il me faudrait un livre pour répondre à cette question. Vous savez, il circule tellement d’idées fausses au sujet de ce pays. Israël est probablement le pays dont on parle le plus en Europe, et trop souvent avec un mélange de prétention et d’ignorance, deux « qualités » qui se tiennent par la main. Il n’y aucun rapport entre l’information mainstream au sujet de ce pays et la réalité de ce pays qui ne peut s’appréhender qu’en y voyageant et en y travaillant, en y voyageant de préférence hors de tout voyage organisé. Le travail de connaissance par les livres, les documents et Internet (l’ordure y traîne mais on trouve aussi d’excellentes choses dans cette grande bibliothèque virtuelle) est important, très important, mais Israël est aussi un pays qu’il faut parcourir et où il est bon d’avoir une activité afin de mieux comprendre ce pays très particulier et très complexe. Je préfère me faire dorer la pilule ailleurs qu’en Israël. Il y a trop à faire là-bas, trop à apprendre, tant de personnes à rencontrer, à interroger, à écouter, et pas uniquement des Juifs. 20 % de la population d’Israël est arabe, des Chrétiens et des Musulmans, et je passe sur d’autres minorités non-juives mais ayant la nationalité israélienne. Israël est un pays formidablement divers et pour deux raisons : premièrement, celle que je viens d’énoncer (il n’y pas que des Juifs en Israël) ; deuxièmement, le monde juif en Israël est au moins aussi divers et donc aussi riche que le monde juif en diaspora – et cette richesse se trouve concentrée dans un petit pays. Je rappelle qu’Israël est à peine plus grand que deux-trois départements français.

Sur les bases de Tsahal, j’ai travaillé avec des Juifs et des non-Juifs venus de (presque) partout. Certains Juifs étaient nés dans le pays (les Sabras), d’autres y avaient émigré et de ce fait n’avaient pas le même niveau d’hébreu, l’hébreu n’étant pas leur langue maternelle. J’ai travaillé avec des Bédouins dans un parc de Merkava II (chaleur suffocante), dans un hangar (chaleur non moins suffocante) pour y détruire des masses de documents avec des Béta Israël. A cette occasion, j’ai appris qu’il fallait éviter de les désigner par Falacha (qu’ils jugent péjoratif). J’ai fait équipe avec un Juif de Bombay, un officier druze, un Juif roumain. J’ai beaucoup sympathisé avec ce dernier. Il m’apprenait des mots d’hébreu, je lui apprenais des mots d’espagnol et de portugais. Je me souviens qu’il avait particulièrement apprécié les mots « amapola », « mariposa » et « borboleta » qu’il s’amusait à répéter. Un soir, j’ai longuement conversé avec un Juif originaire d’Istanbul. J’en garde un souvenir très ému car il s’exprimait en ladino et moi en espagnol, en castillan pour être plus précis. Il n’avait pas étudié le castillan, je n’avais pas étudié le ladino mais nous nous sommes compris et sans jamais nous efforcer. Pour faire simple, le ladino est à l’espagnol ce que le yiddish est à l’allemand. Mais je force probablement la note : il me semble que le ladino est plus proche de l’espagnol que le yiddish ne l’est de l’allemand. A ce propos, il y a peu, j’ai trouvé sur Internet un article en ladino, sur eSefarad, un article intitulé « Muestra lingua : Leon Pinsker por Edmond Cohen » dans lequel j’ai eu le plaisir de lire : « Un syerto Olivier Ypsilantis, en el sityo zakhor on line, a eskrito sovre el livro de Pinsker un artikolo interesante sovre el kual yo lavori. Asigun Ypsilantis, i yo so de akodro kon el, este teksto es “uno de los mas ermozos del syonismo” ». La fréquence de la lettre k saute à la vue car elle est très rare en espagnol.

C’est ce qui m’intéresse le plus en Israël, cette unité dans cette diversité. Lorsque j’étais en Israël, dans les années 1980, la population différait grandement de celle d’aujourd’hui, notamment avec l’arrivée de ces très nombreux Juifs russes et ukrainiens, depuis les années 1990, suite à l’effondrement de l’Union soviétique et son empire. Il est connu qu’un assez grand nombre d’entre eux (un tiers environ) ne sont pas vraiment juifs mais qu’importe : ils le sont devenus et comptent parmi les défenseurs les plus déterminés d’Israël à ce qu’on m’a dit.

Les Juifs constituent un peuple, en aucun cas une race. Et je me moque de savoir si un tel descend d’Abraham, d’une tribu d’Israël qui ne soit pas l’une des dix tribus perdues ou de convertis (avec notamment cette histoire de Khazars qui a été plus ou moins arrangée par Arthur Koestler (voir « La Treizième tribu ») puis par Shlomo Sand pour étayer ses mensonges. Les Juifs forment un peuple et non une race ; un peuple, soit une entité plus ample et, dirais-je, plus consistante qu’une race.

J’aime par ailleurs les paysages d’Israël. Certains d’entre eux pourraient être espagnols. A ce propos, les techniques agricoles les plus avancées au monde (à commencer par l’irrigation) sont espagnoles et israéliennes. L’Espagne a longtemps été une terre privilégiée pour les Juifs et leur expulsion de la péninsule (n’oublions pas le Portugal) a été une catastrophe majeure pour le monde juif.

 (à suivre)

Olivier Ypsilantis

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Olivier Ypsilantis - Mon intérêt pour les choses juives – 2/5

August 15 2021, 10:54am

Posted by Olivier Ypsilantis

Olivier Ypsilantis - Mon intérêt pour les choses juives – 2/5

Je reproduis ici l'article en feuilleton publié par Olivier Ypsilantis sur son excellent blog, dont je recommande au passage vivement la lecture, Zakhor Online. P. Lurçat

Pierre Lurçat : Vous définiriez-vous comme un ami d’Israël, comme philosémite ou comme un défenseur d’Israël, ou autrement ?

 

Olivier Ypsilantis : Je n’aime pas l’appellation « philosémite » pour une raison très simple. Aujourd’hui, à l’heure où la langue grecque, latine et les humanités sont de moins en moins enseignées, à l’heure où la culture générale de type classique est de plus en plus négligée, on voit se multiplier les mots à tonalité savante, dans le genre « homophobe », « islamophobe » et j’en passe. Donc, je préfère m’écarter de ces mots à consonance grecque qui traînent dans la bouche d’incultes qui cherchent à se passer un vernis savant avec des mots à caractère « scientifique », des mots dont la puissance de choc leur semble irrésistible.

Me présenter comme un défenseur d’Israël serait prétentieux. Je ne suis pas David Ben Gourion, je ne suis pas Moshé Dayan, je ne suis pas un combattant de la Guerre d’Indépendance ou de la guerre des Six Jours, je n’appartiens pas au Shayeret Matkal ou au Mossad. Pourtant, en 2014, au moment de la guerre à Gaza, je me suis engagé comme volontaire chez Tsahal, dans une immense base du Néguev. J’y ai travaillé durant trois semaines, dans la chaleur et la poussière, un travail très intense qui m’a enivré, je dois le dire. Je ne faisais que de la logistique arrière, j’étais en quelque sorte un homme de ménage, mais je savais que j’étais là où je devais être – et j’étais simplement heureux de porter l’uniforme de Tsahal.

La base où j’ai travaillé est très importante. C’est une base où convergent en cas d’alerte de très nombreux soldats pour s’y équiper avant de partir éventuellement au combat. Nous étions responsables des casques, des paquetages, de l’armement, des trousses de secours, bref de tout ce qui est nécessaire au combat. Tout en travaillant dans ces hangars, nous savions qu’il y avait un fort lien entre les potentiels combattants et nous. Je m’éprouve donc comme un défenseur d’Israël, ce qui est très prétentieux, un tout petit défenseur, au plus bas échelon. Mais dans une échelle, tous les échelons tiennent aux mêmes montants…

 

5 versions pour un volontariat au sein de la meilleure armée du monde – Par  Bely | Telavivre

Volontaires de Sar-El

 

J’ai effectué un deuxième séjour chez Tsahal, en Galilée, près de la frontière libanaise, et je compte en faire un troisième, avec ma femme. Le travail y était beaucoup moins rude, soutenu mais moins rude. J’étais affecté à l’entretien de pièces de Merkava II (l’histoire de ce blindé et sa conception sont passionnantes) et à celui de casques de tankistes dans un vaste local technique avec ses compartiments. J’avais mon coin, avec mes brosses, mes pinceaux métalliques, mes tournevis, mes pinces, ma ponceuse-visseuse-perceuse, mon papier de verre, mes pots de peinture, mes pinceaux et je dois en oublier. Une fois encore, j’étais là où je devais être, tout simplement. L’air conditionné n’était pas désagréable et aidait, je dois le dire. Je faisais du petit entretien qui ne demandait aucune compétence technique particulière, rien qu’une certaine minutie. Mais j’ai très vite compris que le travail que j’accomplissais devait être bien fait afin de pouvoir être poursuivi par des personnes plus qualifiées ; je l’ai compris lorsqu’une pièce m’a été renvoyée parce que je n’avais pas fait correctement ce qui m’avait été demandé, par distraction probablement. Une fois encore, j’accomplissais un modeste travail mais qui s’insérait dans une chaîne somme toute assez complexe dans laquelle j’avais ma part.

J’en reviens à votre question. Je refuse le terme philosémite (même si je le suis) pour la raison que je viens de vous exposer. Je préfère ami d’Israël ou défenseur d’Israël, même si ce dernier titre me semble bien lourd à porter. Mais attention ! En tant que non-Juif et issu d’une famille chrétienne, j’apporte une précision. Je tiens à me démarquer d’un certain sionisme chrétien, du christianisme évangélique selon lequel la renaissance de l’État d’Israël (1948) en accord avec les prophéties bibliques prépare le retour de Jésus en Christ de gloire de l’Apocalypse. Je respecte toutes celles et tous ceux qui aident Israël, d’une manière ou d’une autre, je respecte donc le christianisme évangélique, très efficace dans son aide. Mais je ne vais pas en Israël pour préparer Son retour et déjà parce que je me méfie de saint Paul et que je ne parviens pas à établir le lien entre Jésus et le Christ, entre un rabbin juif parmi tant d’autres et le plus imposant des êtres théologiques de l’histoire de l’humanité.

Car je crois au Messie mais dans le sens juif, soit un Messie à venir, pas un Messie qui est venu et qui reviendra, ce qui est une manière de boucher l’histoire humaine. Me comprendra-t-on ? Une fois encore, je respecte infiniment Jésus le Juif, ce que j’en perçois ; mais le Christ, cet être théologique, me pose problème. Tant qu’à faire, je préfère me promener du côté des créatures hybrides de la mythologie grecque. Au moins ne font-elles pas de prosélytisme et elles sont franchement esthétiques et amusantes, avec leur côté BD.

Défenseur d’Israël… Je m’efforce de défendre Israël par l’écrit, avec des articles à caractère polémique dans lesquels je dis ce que je pense des antisémites et des antisionistes, pour ne citer qu’eux ; mais ce sont les articles à caractère historique et culturel qui dominent dans ce que j’écris, sur le présent blog tout au moins. Je me méfie de l’actualité, des actualités. Leur tintamarre occulte. Je préfère prendre appui sur l’histoire et la culture qui dans le cas des Juifs sont des aires immenses. Il y a même eu des Juifs en Chine ; je les évoque sur ce blog. Je ne suis pas coupé des actualités. Je les lis presque quotidiennement dans quatre langues, ce qui est peu ; tant de langues me restent inconnues. Je préfère cependant envisager la profondeur historique, ce que je fais par exemple avec le sionisme, un mot qui suffit à donner de l’urticaire à des citoyens de diverses obédiences. Le problème de l’antisioniste, c’est qu’il n’a le plus souvent aucune connaissance du sionisme, de son histoire dense et complexe. Remarquez, il n’a pas à s’en faire : en tant qu’antisioniste il considère qu’il appartient au camp du Bien – on ne cesse de le conforter dans ce sens. Il peut donc s’épargner la connaissance, ce chemin qui n’en finit pas, splendide, mais où la fatigue et le découragement vous saisissent parfois. Beaucoup préfèrent s’affaler dans leur canapé et avaler ce qui leur est servi, soit la tambouille antisioniste. Je pourrais aller plus loin : il y a quelque chose de scatologique chez les antisémites et les antisionistes. J’y reviendrai mais pas dans le cadre de ces questions.

Etiam si omnes, ego non est un cri de guerre et de ralliement. Je ne vais pas entrer dans l’histoire de cette devise qui est aussi celle de la famille de Clermont-Tonnerre, devise qui a à voir avec saint Pierre au jardin de Gethsémani, devise qui a été reprise par Philipp von Boeselager en signe de résistance au nazisme, une figure que j’ai évoquée sur ce blog. Pour ma part, cette devise signifie mon engagement auprès d’Israël en tant qu’État. Je ne vous cache pas qu’être sioniste n’est pas une sinécure. On est sans cesse sommé de s’expliquer tandis que les antisionistes se prélassent dans leurs canapés, hamacs, chaises-longues et balancelles ; et on ne se fait pas beaucoup de potes. Mais ne pratiquant que très peu le canapé et la chaise-longue, jamais le hamac et la balancelle, et détestant le genre pote, je ne vais pas me plaindre.

D’où me vient cet attachement au judaïsme, au peuple juif et à Israël ? J’ai donné des éléments de réponse mais la question reste. Je fais avec ce mystère qui m’occupe souvent. J’ai pensé consulter un psychanalyste, un psychiatre même, juif ou goy, qu’importe !

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J’en reviens à Jésus. Pour David Flusser, spécialiste israélien de l’histoire des origines du christianisme, comme pour Shmuel Safraï, spécialiste de l’histoire du second Temple, Jésus appartenait au monde des rabbins ; il était donc proche des Pharisiens, et les indices à ce sujet ne manquent pas. Je me suis souvent demandé pourquoi l’Église s’est tant acharnée contre ces derniers. Pourquoi ne s’en est-elle pas prise plus durement aux Sadducéens, ces collaborateurs des Romains soucieux de leurs seuls privilèges ? Cet acharnement m’a très vite mis mal à l’aise ; et je n’ai pas tarder à comprendre que ce sont les Pharisiens qui ont porté le judaïsme, que c’est par cette branche que le judaïsme est venu jusqu’à nous et bien vivant. Or, en l’attaquant, l’Église affirmait plus encore sa prétention à être le « Nouvel Israël ». Non, ce n’est pas un hasard si l’Église s’en est prise et s’en prend encore et de diverses manières aux Pharisiens. La dénonciation des Pharisiens figure explicitement dans les textes fondateurs du christianisme. Vatican II a fait ce qu’il a pu, mais on ne peut s’en prendre aux textes fondateurs.

Le mouvement pharisien était une arborescence dans laquelle figurait depuis le Ier siècle av. J.-C. un courant dit hassidique, ancêtre du hassidisme du XVIIIe siècle bien que sensiblement différent. Selon Shmuel Safraï, Jésus aurait été un hassid et à ce sujet son argumentation est captivante. Et si Jésus n’a pas été un hassid, les éléments d’identification ne manquent pas entre les relations que Jésus entretenait avec les Pharisiens et celles que les hassidim entretenaient avec les rabbins. En fait, tout ce que je lis sur Jésus et qui me retient a été écrit par des Juifs, et des Juifs religieux et pratiquants.

Et le christianisme dans toute cette immense affaire ? J’ai souvent le sentiment que le christianisme tel qu’il est venu à nous est du judaïsme « infecté » par le monde grec et romain, ce qui a donné une chose étrange et énorme dans laquelle j’erre, à la fois émerveillé (voir l’immensité de la production artistique activée par les Églises chrétiennes) mais un peu perdu. L’étude du judaïsme m’aide à reprendre mes esprits, je crois pouvoir dire les choses ainsi.

Je vais vous dire quelque chose qui vous paraîtra peut-être étrange – et une fois encore, je respecte a priori toutes les croyances religieuses. J’aimerais que les Chrétiens et les Musulmans (re)deviennent d’authentiques juifs. Bon, ce que je dis n’est pas très trendy, mais le meilleur moyen de survivre aux modes est de ne pas y succomber et de les regarder passer avec amusement ou indifférence.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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Penser la guerre de Gaza (I) :  sortir de l'illusion technologique et retrouver les valeurs de Tsahal, Pierre Lurçat

May 23 2021, 07:37am

Posted by Pierre Lurçat

 

Le dernier round des hostilités à Gaza s’est terminé comme les précédents, en queue de poisson. La “victoire” tactique et ponctuelle de l’élimination de plusieurs chefs du Hamas et du Djihad islamique est largement effacée et rendue dérisoire par la défaite stratégique à long terme, que constitue la transformation de la moitié du territoire d’Israël et de sa population en vaste champ de bataille, offert aux missiles tirés de Gaza, sans riposte effective, sinon la protection du Dôme d’acier. Dans cette série d’articles, nous voudrions esquisser une réflexion approfondie pour penser la guerre à Gaza, en la resituant dans le contexte de l’évolution de la doctrine militaire israélienne et des valeurs qui la sous-tendent.

 

Dans leur livre sur la guerre d’Indépendance, publié en 1960 (1), Jon et David Kimhi ont cette remarque éclairante, au sujet de l’issue de la guerre de 1948. “A bien des égards, les combats eux-mêmes n’ont joué qu’un rôle secondaire dans la guerre de Palestine. Ce qui a été le plus important, c’est l’affrontement des volontés”. Cette phrase semble faire écho à un verset bien connu du prophète Zachariah : “Ni par la force, ni par la puissance, mais bien par mon esprit”. Pendant des décennies, les dirigeants de l’armée et de l’Etat d’Israël avaient bien conscience que le principal élément de la force de Tsahal, face à des ennemis plus nombreux et souvent mieux armés, était l’esprit combatif, la motivation et la conscience de ses soldats qu’ils étaient obligés de vaincre. “Eyn brera!”


 

Le drapeau israélien hissé à Eilat

 

Paradoxalement, cette force intérieure a décru, au fur et à mesure que se développait la puissance technologique de Tsahal (2). Nous sommes arrivés aujourd’hui à un stade où les prouesses technologiques pallient difficilement l'effritement de la volonté de vaincre, et ne sont parfois plus un élément de la force de Tsahal, mais bien plutôt un élément de sa faiblesse… Un des premiers à avoir compris ce paradoxe est un chercheur du Centre d’études moyen-orientales de l’université d’Ariel, Eyal Levin, dont les travaux portent sur la “résilience nationale” (‘hossen léoumi) : “Le système Dôme d’acier n’exprime pas notre résilience nationale, mais au contraire notre faiblesse”, disait-il en substance, au lendemain de l’opération “Colonne de nuée” (Amoud Anan) de novembre 2012. Ce constat de faiblesse est toujours aussi valable, neuf ans plus tard, après d’innombrables rounds d’hostilités à la frontière de Gaza.

 

Le système de défense antimissiles “Kippat Barzel”, comme nous l’écrivions dans ces colonnes (3), ressemble à un immense parapluie troué, qui constitue une arme défensive très insuffisante et comporte des effets pervers, en dispensant Tsahal d’une contre-attaque authentique, comme l’a montré l’amère expérience des dernières années. Plus la prouesse technologique qu’il constitue est réussie (empêcher les missiles de l’ennemi d’atteindre le sol israélien), plus son effet pervers s’accroît : priver Israël d’une indispensable offensive préventive, pour interdire à l’ennemi d’essayer même de l’attaquer. A cet égard, Kippat Barzel est en réalité la négation du Kir Habarzel - la muraille d’acier - concept développé par Jabotinsky dans son fameux article de 1923, qui est au fondement de la doctrine stratégique de Tsahal (4). 

 

La muraille d’acier signifie en effet qu’il faut dissuader l’ennemi de nous attaquer, et pas seulement se défendre contre ses attaques incessantes. Selon cette conception,  la paix et la sécurité ne viendront pas en élaborant des systèmes de défense de plus en plus perfectionnés, pour intercepter les missiles du Hamas, du Hezbollah et de l’Iran. Elles ne viendront qu’en ripostant avec toute la force nécessaire et en attaquant les ennemis qui nous menacent, portant la guerre sur leur territoire - comme l’a fait Tsahal lors des guerres victorieuses de 1948, 1956, 1967 et 1973, jusqu’à ce qu’ils demandent grâce et renoncent à leurs intentions belliqueuses.

 

Une défaite morale et psychologique


Mais il faut aller plus loin encore. La réussite technologique (toute relative) de Kippat Barzel n’est pas seulement une défaite sur le plan militaire et psychologique, en empêchant Tsahal de riposter et en portant ainsi un coup fatal à notre capacité de dissuasion. Elle incarne aussi l’inversion et l’oubli des valeurs sur lesquelles reposait jadis la force de Tsahal. Un des exemples les plus frappants de cet oubli des valeurs fondatrices de l’armée de Défense d’Israël nous est donné par le cas tragique du soldat Hadar Goldin, capturé et tué par le Hamas le dernier jour de l’opération Tsouk Eytan à Gaza, et dont la dépouille est toujours détenue par le Hamas, sept ans plus tard.

 

Hadar Goldin z.l.

 

Comme l’a déclaré le père de Hadar, le Dr Simha Goldin, en août 2019 : “Hadar a été abandonné à trois reprises par la lâcheté de nos dirigeants. La première fois, sur le champ de bataille, lorsqu’ils ont empêché son officier de pénétrer dans l’hôpital du Hamas où il était apparemment détenu et blessé. La deuxième fois, à la fin de l’opération Tsouk Eytan, lorsque les dirigeants israéliens ont négocié (un cessez-le-feu) au Caire avec le Hamas, sans exiger la restitution des deux soldats Oron Shaul et Hadar Goldin. Et la troisième fois, pendant les cinq dernières années…” Simha Goldin a aussi déclaré, lors du congrès annuel du mouvement Im Tirtsu, que pour la première fois dans l’histoire de Tsahal, un soldat avait été déclaré “tombé au combat” en pleine guerre, alors qu’il était disparu et que son sort n’était pas encore connu avec certitude. 

 

Ce précédent dangereux a été fixé en contradiction avec la tradition remontant aux débuts de Tsahal, de ne jamais abandonner un soldat sur le champ de bataille et de ne pas le considérer comme mort, tant que sa dépouille n’avait pas été récupérée. L’exemple tragique de Hadar Goldin devrait susciter un vaste mouvement de réflexion et une prise de conscience au sein de la population israélienne, et surtout de sa jeunesse, dont la motivation pour servir dans les rangs de Tsahal n’a pas faibli. Car ce sont les valeurs fondatrices de Tsahal qui ont permis, jusqu’à ce jour, que des jeunes Israéliens s’engagent dans les rangs des unités combattantes. Si l’esprit de fraternité combattante (Reout) - immortalisé par les paroles du Chir HaReout, rédigé par Haïm Gouri durant la guerre d’Indépendance - devait s’estomper, comment pourra-t-on demain appeler des jeunes soldats à risquer leur vie pour leur pays? 

 

Simha Goldin devant le Lion de Tel Haï

 

Hadar Goldin portait un nom plein de signification. “Hadar” signifie “splendeur” et il fait référence au Chir Betar, l’hymne du mouvement de jeunesse sioniste créé par Zeev Jabotinsky, qui fut aussi le fondateur de la Légion juive, ancêtre de Tsahal. Puissent les mots du Chir Betar inspirer les dirigeants qui se considèrent comme les héritiers de Jabotinsky. “Hébreu, dans la misère même tu es Prince, Dans la lumière ou l’obscurité. Souviens toi de cette couronne”. Qu’ils se souviennent, eux aussi, du Keter. Qu’ils se souviennent du Hadar et du Tagar. Et qu’ils n’oublient pas non plus les paroles du Chir HaReout, rédigé par Haïm Gouri, de “l’amour consacré dans le sang” des soldats tombés dans les guerres d’Israël.

Pierre Lurçat

 

NB Je commente la fin de l'opération "Gardiens des murailles" au micro de Daniel Haïk sur Radio Qualita

https://www.youtube.com/watch?v=qlBysShmoYE&t=7s

 

Dans la suite de cet article, nous verrons comment la guerre asymétrique contre Gaza a fait perdre de vue la notion de guerre juste et quelles en sont les conséquences.

(1) La première guerre d’Israël, Arthaud 1969.

(2) Sur l’évolution de l’ethos de Tsahal et de la société israélienne en général, voir Oz Almog, Farewell to Srulik - Changing Values Among the Israeli Elite (Zmora Bitan and Haifa University Press, 2004).

(3) http://vudejerusalem.over-blog.com/2018/11/israel-gaza-accepter-la-pax-islamica-du-hamas-par-pierre-lurcat.html?fbclid=IwAR3BG1p7wyMDw5sdwIW_YODWeVPCCzVbVP1f0sdXKLpMSXYDkeRAopTARAU

(4) Sur la “muraille d’acier” et l’héritage politique et militaire de Jabotinsky, je renvoie à ma postface à son autobiographie, que j’ai eu le plaisir de traduire en français.


 

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