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L’enjeu essentiel de la réforme judiciaire : rétablir les droits de la majorité, Pierre Lurçat

February 26 2023, 08:28am

Posted by Pierre Lurçat

L’enjeu essentiel de la réforme judiciaire : rétablir les droits de la majorité, Pierre Lurçat

 

Au vu du pouvoir hégémonique sans précédent que la Cour suprême israélienne a acquis au cours des trois dernières décennies, il est difficile de faire revenir les choses en arrière, au statu quo ante. Les juges de la Cour suprême israélienne ont acquis un pouvoir auquel ils ne semblent pas prêts de renoncer. C’est pourquoi le changement ne peut pas venir de l’intérieur du système judiciaire. Il ne peut venir que de la Knesset et du gouvernement. La vox populi a montré son impuissance lors des grandes manifestations du public ultra-orthodoxe dans les années 1990, qui n’ont amené aucun changement, pas plus que les différentes initiatives venant d’autres milieux (comme le projet de Constitution par consensus de Ruth Gabizon et de Yaakov Madan).

 

Comme je l’écrivais en 2020, "pour rétablir les droits du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, ce sont le gouvernement et la Knesset qui doivent eux-mêmes se faire l’instrument d’une contre-révolution démocratique. C’est ce qu’avait commencé à faire Ayelet Shaked lors de son mandat au ministère de la Justice. Il est indispensable qu’un grand parti politique adopte pour cheval de bataille le rétablissement de l’équilibre des pouvoirs et des prérogatives de la Knesset".

 

Ce qui est en jeu dans la réforme judiciaire actuelle en Israël est emblématique du débat politique dans de nombreux autres pays occidentaux, comme la France ou les USA. Ici comme là-bas, des “minorités tyranniques” ont réussi à imposer leurs vues, sur bien des sujets très divers, contre les conceptions majoritaires de leurs concitoyens. Sur des thèmes comme l’immigration ou l’identité nationale en France comme en Israël, mais aussi sur le droit de la famille, etc., ces minorités actives se sont servies du pouvoir judiciaire pour imposer leurs vues.

 

Ce n’est pas un hasard si la Cour suprême israélienne, autrefois considérée comme le fleuron de la démocratie israélienne, est aujourd’hui devenue une institution hyper politisée, qui a perdu son aura et sa réputation d’impartialité. Dans le sillage de la Révolution constitutionnelle, la Cour suprême israélienne est en fait devenue le principal obstacle au jeu des institutions démocratiques. En réalité, comme nous avons tenté de le montrer, le juge Aharon Barak, tout comme ses élèves et successeurs, est tout le contraire d’un démocrate.

 Le juge Aharon Barak contre la démocratie, Pierre Lurçat

 

En bon élève de Lénine, il a utilisé les institutions démocratiques et le langage du droit pour asseoir son pouvoir. En Israël comme ailleurs dans le monde occidental, les deux pouvoirs qui se sont érigés en “maîtres du jeu” démocratique sont précisément les deux pouvoirs non élus, qui ne rendent de compte à personne : le pouvoir judiciaire (expression dont nous avons montré le caractère problématique) et le pouvoir médiatique.

 

En vidant de son sens la notion d’État juif et démocratique, la Cour suprême israélienne, depuis Aharon Barak, a porté atteinte au fragile équilibre sur lequel repose la société israélienne, constituée de secteurs multiples, porteurs de valeurs diverses et souvent contradictoires. Il importe aujourd’hui de rétablir cet équilibre, en restaurant un indispensable consensus national et en renforçant le caractère juif de l’État. Contrairement aux conceptions radicales d'Aharon Barak, le caractère juif de l’État ne menace pas la démocratie israélienne, il en est le ciment. C’est le vide engendré par le rejet du projet de droit israélien fondé sur les sources hébraïques qui a ouvert la voie à la situation actuelle.

 

Le but du sionisme politique a en effet toujours été de créer un État juif (avec certes des divergences quant au contenu de cette notion). Le caractère démocratique de cet État allait de soi, mais n’a jamais été un objectif en soi. Paradoxalement, c’est l’atteinte au caractère juif de l’État qui a affaibli de manière dangereuse le jeu démocratique des institutions, en imposant au peuple israélien des valeurs étrangères. Réaffirmer le caractère juif de l’État permettra de préserver la démocratie israélienne. La contre-révolution constitutionnelle a commencé, mais est loin d’être achevée. L’enjeu, en Israël comme ailleurs, dépasse de loin le seul problème institutionnel et politique. Il s’agit aussi et surtout de préserver l’idéal démocratique et de rendre au peuple le droit de choisir son destin.

Pierre Lurçat

(Extrait adapté de mon article “Comment la Cour suprême est devenue le premier pouvoir en Israël, revue Pardès no. 67 2021)



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LES ENJEUX DE LA RÉFORME JUDICIAIRE EN ISRAËL 

 

Pour connaître les enjeux de la réforme judiciaire actuelle, il est indispensable de connaître son contexte historique et notamment celui de la « révolution constitutionnelle » menée par le Président de la Cour Suprême Aharon Barak dans les années 1990.

Pierre Lurçat, juriste, écrivain et essayiste, expliquera au cours d’une conférence la situation actuelle au regard de l’histoire du droit israélien et de celle de la Cour Suprême, le mardi 28 février à 19:00 dans les locaux de la Wizo

35, rue King Georges

Tel Aviv

PAF : 30 shekels. 

(Sans réservation)

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Ce que m'avait dit Yariv Levin: « rendre le pouvoir au peuple d’Israël » Pierre Lurçat

February 21 2023, 09:00am

Posted by Pierre Lurçat

Ce que m'avait dit Yariv Levin: « rendre le pouvoir au peuple d’Israël »  Pierre Lurçat

Contrairement à une "fake news" véhiculée par certains médias israéliens, l'actuelle réforme menée par le ministre de la Justice ne sort pas de nulle part, et n'a rien à voir avec le procès intenté à Benjamin Nétanyahou. Elle a été longtemps et soigneusement préparée par l'actuel ministre de la Justice, Yariv Levin, qui m'en avait parlé dans l'interview qu'il m'avait accordée en janvier 2012, il y a tout juste 11 ans. Je republie ici l'article paru dans Israël Magazine P.L.

Par une froide journée de janvier, je me suis rendu à la Knesset pour rencontrer Yariv Levin, représentant de la « jeune garde » du Likoud qui a fait parler de lui récemment en proposant plusieurs textes de lois sur des questions sensibles, comme l’élection des juges à la Cour suprême ou la lutte contre le boycott d’Israël. Malgré son image de député très combattif et activiste, c’est un homme affable, au discours posé et réfléchi. Il se présente comme le « législateur le plus actif » au sein du Likoud – ayant initié ou participé à la rédaction de nombreuses propositions de lois sur des sujets aussi importants que la protection du patrimoine foncier, les conditions de détention trop faciles faites aux terroristes ou la suppression des droits sociaux de l’ex-député félon Azmi Bishara. Rencontre avec un homme politique qui veut donner, enfin, le pouvoir réel – et pas seulement la majorité à la Knesset – à la droite israélienne.

Yariv Levin me reçoit dans son bureau de président de la « Commission de la Knesset ». C’est un député relativement jeune (il a 43 ans) issu d’une famille politiquement engagée : les parents de sa mère faisaient partie de l’Irgoun, et l’oncle de celle-ci, Eliahou Lenkin, était le commandant de l’Altalena, le fameux bateau affrété par l’Irgoun qui fut bombardé, avec sa précieuse cargaison d’armes destinées aux combattants de la guerre d’Indépendance et des dizaines de Juifs à bord – dont plusieurs survivants de la Shoah – sur l’ordre du commandant du Palma’h, un certain Itshak Rabin… Le « Sandak » lors de la circoncision de Yariv Levin n’était autre que Menahem Begin, à l’époque chef de l’opposition et futur Premier ministre.

Avec de tels antécédents, il n’est pas étonnant que Levin ait attrapé très jeune le virus de la politique ! Il a en effet débuté son activité publique alors qu’il était étudiant, après avoir servi dans les Renseignements militaires (où il a dirigé un cours de traduction de l’arabe au sein de l’armée). Après avoir exercé la profession d’avocat,  il a été élu vice-président du Barreau d’Israël, ce qui lui a permis de connaître de l’intérieur le monde judiciaire. C’est sans doute une des raisons qui l’ont amené à se pencher de près sur le dossier brûlant de l’élection des juges à la Cour suprême. Il y a quelques semaines encore, Levin déclarait ainsi que cette institution, souvent considérée comme le fleuron de la démocratie israélienne, avait été accaparée par « une minorité de groupuscules d’extrême-gauche qui voulaient imposer leurs valeurs à la société tout entière… »

Pour changer cette situation, il s’est attaqué à la racine du problème : le système d’élection des juges à la Cour suprême, qui explique que la majorité des juges représentent le courant laïc de gauche, alors qu’il n’y a presque aucun juge religieux ou habitant de Judée Samarie… La question de l’élection des juges n’est pas purement technique, car comme me l’explique Yariv Levin, sous la présidence du juge Aharon Barak, la Cour suprême s’est attribué des compétences exorbitantes, au mépris du principe de séparation des pouvoirs, essentiel au fonctionnement de la démocratie. A ses yeux, Barak incarne la « dictature juridique ». Sous sa présidence, la Cour suprême a ainsi voulu transformer Israël en « État de tous ses citoyens », en effaçant progressivement le caractère juif de l’État.

Un autre sujet qui l’occupe est celui du boycott et de la délégitimation d’Israël sur la scène internationale. A cet égard, il a initié une loi pour retirer tout financement public aux organismes qui soutiennent le boycott. Comme me l’explique Yariv Levin, « la majorité du peuple en Israël penche vers la droite, mais la gauche et l’extrême-gauche bénéficient du soutien de pays étrangers ». L’exemple le plus criant est celui du rapport Goldstone, dont toutes les accusations mensongères ont été formulées par des groupuscules israéliens financés par l’Union européenne ! Face à ces interventions intolérables dans la politique israélienne, Levin œuvre sans relâche pour rendre à Israël sa souveraineté et son indépendance.

Rendre à Israël sa souveraineté

Le point commun entre tous les combats qu’il mène est le constat qu’il faut rendre le pouvoir au peuple, qui en a été dépossédé par plusieurs facteurs, parmi lesquels il cite notamment la bureaucratie, les médias, la Cour suprême et l’intervention de pays étrangers dans la vie politique israélienne. « Il ne suffit pas d’être au pouvoir », résume Levin. « Il faut rendre à la Knesset les compétences qui lui ont été prises par le pouvoir judiciaire et par la bureaucratie ». Un exemple de cette situation est celui des conseillers juridiques, qui ont acquis au cours des dernières décennies un pouvoir grandissant, au point que « les conseillers juridiques des ministres sont devenus les véritables décideurs », ce qui est en totale contradiction avec le principe de séparation des pouvoirs et l’essence de la démocratie.

En conclusion de notre entretien, je demande à Yariv Levin si Jabotinsky, le père fondateur de la droite israélienne, et Menahem Begin ont encore une place dans la vie politique actuelle. Il me répond sans hésiter de manière affirmative : « Il est réjouissant de voir qu’après avoir été longtemps mis à l’écart et oublié, Jabotinsky est aujourd’hui très présent dans la vie politique ». Levin affirme trouver dans les écrits de « Jabo » une source constante d’inspiration pour son action. 

Jabotinsky, qui était un grand démocrate, avait évoqué jadis la possibilité qu’un citoyen arabe soit vice-président du futur État juif. « Mais il n’avait évidemment pas pensé à quelqu’un comme Hanin Zouabi », ironise Levin, faisant allusion à la députée arabe qui était montée sur le bateau  terroriste Marmara. Très actif dans la défense des citoyens druzes israéliens, Levin s’oppose farouchement à la reconnaissance de droits nationaux pour les Arabes palestiniens. Il a aussi promu la loi sur le référendum, pour que tout abandon de souveraineté sur une partie d’Israël soit soumis à un vote populaire. 

Yariv Levin: « rendre le pouvoir au peuple d’Israël » - Israel Magazine

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CONFERENCE EXCEPTIONNELLE!

LES ENJEUX DE LA RÉFORME JUDICIAIRE EN ISRAËL 

Pour connaître les enjeux de la réforme judiciaire actuelle, il est indispensable de connaître son contexte historique et notamment celui de la « révolution constitutionnelle » menée par le Président de la Cour Suprême Aharon Barak dans les années 1990.

Pierre Lurçat, juriste, écrivain et essayiste, expliquera au cours d’une conférence la situation actuelle au regard de l’histoire du droit israélien et de celle de la Cour Suprême, le mardi 28 février à 19:00 dans les locaux de la Wizo

35, rue King Georges

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Photo de Sarah Nisani (Lurçat)

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Les médias israéliens mentent sur la réforme Levin

February 19 2023, 11:45am

Posted by Pierre Lurçat

Les médias israéliens mentent sur la réforme Levin

J'étais ce matin l'invité de Daniel Haik sur Studio Qualita pour commenter l'actualité et la réforme judiciaire en cours en Israël.

(2) Les médias israéliens mentent sur la réforme Levin - L'invité De La Rédaction Du 19 Février 2023 - YouTube

 

CONFERENCE TEL AVIV 28.2.23

LES ENJEUX DE LA REFORME JUDICIAIRE EN ISRAEL

 

Pour comprendre les enjeux de la réforme judiciaire actuelle, il est indispensable de connaître son contexte historique, et notamment celui de la “Révolution constitutionnelle” menée par le président de la Cour suprême Aharon Barak dans les années 1990. 

Pierre Lurçat, juriste, écrivain et essayiste, expliquera la situation actuelle au regard de l’histoire du droit israélien et de la Cour suprême.

 

Mardi 28 février à 19h00, dans les locaux de la WIZO 

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Le déclin de l'idée de démocratie en Israël et dans le monde actuel, Pierre Lurçat

February 14 2023, 16:36pm

Posted by Pierre Lurçat

Le déclin de l'idée de démocratie en Israël et dans le monde actuel, Pierre Lurçat

 

La vague de protestations à laquelle nous assistons actuellement en Israël s'explique à première vue par des causes politiques immédiates, comme par exemple le refus de l'actuelle opposition d'admettre sa défaite, la mobilisation des grands médias contre le nouveau gouvernement, ou encore le sentiment des représentants de ce que plusieurs commentateurs qualifient de « Deep State » de voir leur pouvoir s'effondrer. Mais au-delà de ces raisons diverses, il existe sans doute aussi d'autres causes plus profondes et moins circonstancielles, qui expriment un désaveu grandissant à l'égard de l'idée même de la démocratie, et qui concernent à la fois Israël et d'autres démocraties occidentales.

 

Ce sont ces dernières que nous voudrions analyser ici. Avant de tenter d'expliquer les causes de ce désaveu, il convient de rappeler ce que signifie le régime démocratique. Il est, comme le rappelle Pierre Manent, un régime « où tous les pouvoirs puisent leur légitimité dans le peuple » et où « tous les pouvoirs sont exercés par le peuple ou ses représentants »[1]. Il est aussi une « organisation des séparations », et en particulier de la séparation entre représentants et les représentés, c'est à dire entre la société civile et les institutions gouvernementales, et entre les pouvoirs.

 

La légitimité du peuple contestée

 

Si l'on considère les trois éléments de cette définition, on constate que le désaveu actuel de la démocratie porte sur chacun d'entre eux. La légitimité populaire, tout d'abord, est largement contestée depuis plusieurs années à travers la critique de l'idée même de la Vox Populi et de la capacité du peuple à choisir ses représentants. Que nous disent en effet les manifestations auxquelles on assiste en Israël, depuis le lendemain même de la formation du nouveau gouvernement, sinon que le pouvoir démocratiquement élu n'est pas légitime ? L'argument n'est pas nouveau et on l'a entendu à plusieurs reprises, ailleurs qu'en Israël, ces dernières années.

 

De nouveaux concepts sont même apparus dans le lexique politique pour exprimer la défiance envers la notion même de pouvoir du peuple, comme celui de « peuplocratie »... Ce que nous disent, grosso modo, toutes ces critiques, c’est qu’il n’y a pas de véritable démocratie en dehors de la « démocratie libérale » (le concept de « démocratie illibérale » a ainsi été forgé et récemment appliqué à Israël)[2]. Ce faisant, ces critiques opèrent une confusion dangereuse entre le régime démocratique et la politique de ses gouvernants, en disqualifiant tout gouvernement conservateur ou de droite, qualifié de « non démocratique ».

 

Quant au concept ancien de populisme, qui désignait jadis une forme de démagogie dans l'exercice du pouvoir, il est de plus en plus souvent employé pour dénigrer des partis politiques entiers, dont l'existence même serait un danger pour la démocratie. Il conviendrait donc de restreindre la participation aux élections aux seuls partis qui répondent à certains critères liés au contenu même de leurs programmes électoral et pas seulement au respect des règles formelles du jeu démocratique…

 

La Révolution constitutionnelle contre la séparation des pouvoirs

 

            Le second élément constitutif du régime démocratique, selon Pierre Manent, est celui de la séparation, qui dépasse la seule « séparation des pouvoirs ». La démocratie, explique-t-il en effet, repose sur l’organisation des séparations. Manent cite de manière éclairante plusieurs théoriciens de la démocratie à l’ère moderne, comme le philosophe écossais Adam Ferguson, qui décrivait le dix-huitième siècle comme « this age of separations », cette « époque où tout est séparé »[3]. De son côté, l’abbé Sieyès considère la représentation politique comme l’application du principe de division du travail.

 

            C’est précisément, explique encore P. Manent, par ce principe de séparation que la démocratie moderne se sépare des démocraties antiques, grecque ou romaine. Le principe de séparation n’est pas seulement une donnée acquise du régime démocratique : il est aussi une prescription. Il convient de préserver la séparation des pouvoirs pour garantir le bon fonctionnement de la démocratie.

 

            A cet égard, la situation engendrée en Israël depuis les années 1990 par la Révolution constitutionnelle initiée par le juge Aharon Barak, alors président de la Cour suprême, a marqué une atteinte considérable à la séparation des pouvoirs et, ce faisant, au fonctionnement de la démocratie israélienne. En concentrant entre les mains des juges de la Cour suprême des pouvoirs considérables - qui ne leur avaient jamais été conférés par la loi – le juge Barak a porté atteinte au fragile équilibre des pouvoirs et aux fondements du régime démocratique. C’est cette atteinte grave que la réforme actuelle s’efforce de réparer. (à suivre…)

 

Pierre Lurçat

 

 

[1] Pierre Manent, Cours familier de philosophie politique, Fayard 2001, p. 23 s.

[2] Le rav Oury Cherki a récemment relevé cette confusion entre démocratie et “démocratie libérale” dans un article passionnant de la dernière livraison de la revue Pardès, “Etat-nation ou “Etat des citoyens”.

[3] Adam Ferguson, Essai sur l’histoire de la société civile [1767], trad. M. Bergier, Paris, PUF 1992, cité par P. Manent, op. cit. p. 26.

Aharon Barak

Aharon Barak

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La Cour suprême et l’identité d’Israël (II) La contestation de l’État juif par les élites israéliennes, par Pierre Lurçat

February 12 2023, 09:07am

Posted by Pierre Lurçat

Aharon Barak : un “fondamentalisme juridique”

Aharon Barak : un “fondamentalisme juridique”

 

 

 

 

(Lire le premier volet de notre article)

 

En totale contradiction avec l’esprit de compromis manifesté par David Ben Gourion, qui a permis aux différentes composantes de la nation israélienne de coexister pendant les premières décennies de l’État, le juge Aharon Barak a adopté une démarche partisane et défendu des positions radicales sur le sujet crucial de l’identité de l’État d’Israël. Sous couvert de concilier les valeurs juives et démocratiques de l’État d’Israël, Barak a en effet mené un véritable combat contre tout particularisme juif de l’État. Au nom d’une conception bien particulière des “valeurs universelles” (“les valeurs de l’État d’Israël en tant qu’État juif sont les valeurs universelles communes aux membres d’une société démocratique[1]), la Cour suprême a pris toute une série de décisions marquantes, dont le point commun était de réduire à néant le caractère juif et sioniste de l’État.

        

 

Ces décisions ont tout d’abord concerné principalement des questions religieuses, comme les conversions non orthodoxes (effectuées par les mouvements juifs réformés et « conservative »), ou bien le respect du shabbat sur la voie publique. Sur toutes ces questions, le juge Barak a fait preuve d’un esprit antireligieux militant, qui a suscité, en réaction, d’immenses manifestations contre la Cour suprême, organisées par le public juif orthodoxe au milieu des années 1990. Mais il s’est avéré par la suite que la doctrine Barak n’était pas dirigée uniquement contre le judaïsme orthodoxe, mais tout autant contre les valeurs fondamentales du sionisme politique.

 

La décision la plus marquante à cet égard a été celle de la Cour suprême dans l’affaire Kaadan. Il s’agissait d’une famille arabe qui avait voulu acheter une parcelle de terrain dans le village juif de Katzir, créé par l’Agence juive sur des terres domaniales appartenant à l’État. Dans cette affaire, le juge Barak a pris le contre-pied de la politique traditionnelle d’implantation juive en Israël, qui remonte aux débuts du sionisme, bien avant la création de l’État. L’arrêt de la Cour suprême, rédigé par Barak, affirmait ainsi que « l’État n’est pas en droit d’allouer des terres domaniales à l’Agence juive en vue d’y construire un village sur une base discriminatoire entre Juifs et Arabes ». En d’autres termes, la Cour suprême prétendait disqualifier toute l’entreprise de peuplement juif menée par l’Agence juive depuis les débuts du sionisme politique, au nom de sa conception de l’égalité.

 

C’est dans ce contexte de remise en cause progressive des fondements du sionisme par la Cour suprême - et plus largement, par une partie des élites israéliennes dont elle est représentative - qu’il faut comprendre le débat virulent autour du projet de réforme judiciaire actuel et la récente polémique autour de la Loi fondamentale sur l’État-nation. En réalité, celle-ci n’ajoute rien de nouveau à la Déclaration d’Indépendance. L’opposition virulente qu’elle a suscitée s’explique surtout par l’effritement progressif du consensus sioniste, mis à mal par l’assaut de l’idéologie post-moderne et post-sioniste qui a triomphé à l’époque des accords d’Oslo, au début des années 1990. Cette période a été marquée par une véritable “révolution culturelle” - concomitante à la “révolution constitutionnelle” que nous avons décrite plus haut - qui a vu les notions fondamentales du sionisme politique remises en cause par une large partie des élites intellectuelles de l’État d’Israël, dans le monde universitaire, celui de l’art et de la culture, les médias, etc.[2]

 

Un de ceux qui a le mieux exprimé cette révolution culturelle a été l’écrivain David Grossman, qui écrivait dans un article publié en septembre 1993, intitulé “Imaginons la paix” [3] : “Ce qui est demandé aujourd’hui aux Juifs vivant en Israël, ce n’est pas seulement de renoncer à des territoires géographiques. Nous devons aussi réaliser un “redéploiement” - voire un retrait total - de régions totales de notre âme… Comme la “pureté des armes”... Comme être un “peuple spécial”... Renoncer au pouvoir en tant que valeur. A l’armée elle-même en tant que valeur…” Ce qui dit Grossman - et ce qu’ont exprimé à l’époque des dizaines d’autres intellectuels partageant la même idéologie - c’est qu’il était prêt à renoncer à tous les éléments essentiels de l’ethos sioniste (ou “régions de notre âme”), pour transformer l’État juif en État de tous ses citoyens, c’est-à-dire en État occidental dans lequel les Juifs n’auraient plus aucune prérogative nationale.

 

C’est au nom de la même idéologie radicale que d’autres intellectuels ont prétendu abroger la Loi du Retour, fondement de l’immigration juive en Israël et pilier de l’existence nationale dans l’esprit de David Ben Gourion, son principal artisan, qui la considérait comme “la quintessence de notre État”. Mais la révolution culturelle entreprise à l’époque des accords d’Oslo a échoué. Elle a doublement échoué : une première fois, dans le feu et le sang du terrorisme palestinien, qui a anéanti les espoirs chimériques de mettre fin au conflit par des concessions territoriales. Et une seconde fois, lorsque les Israéliens ont rejeté par les urnes, à une large majorité, l’idéologie post-sioniste qui avait brièvement triomphé lors de la révolution culturelle menée par les opposants de l’État juif.

 

Les citoyens israéliens ont en effet exprimé, à de nombreuses reprises, leur attachement aux valeurs fondamentales du sionisme politique et à la notion d’État juif, décriée par une partie des élites intellectuelles. Le “retrait total des régions de notre âme” promu par David Grossman n’a pas eu lieu, parce que les Israéliens ont refusé, dans leur immense majorité, cette entreprise d’auto-liquidation nationale. Ils ont signifié qu’ils étaient attachés à la Loi du Retour et aux notions de ‘pureté des armes’ et de ‘peuple spécial’ tournées en ridicule par Grossman, et que leur âme juive vibrait encore. Ils ont signifié leur attachement indéfectible aux valeurs juives traditionnelles, à l’armée d’Israël (où le taux d’engagement dans les unités combattantes n’a pas faibli, malgré l’idéologie pacifiste) et à “l’espoir vieux de deux mille ans d’être un peuple libre sur sa terre”, selon les mots de l’hymne national.

Pierre Lurçat

Extrait de mon livre Israël, le rêve inachevé, Editions de Paris / Max Chaleil 2019.            

 

 

[1] A. Barak, “The constitutional Revolution : Protected Human Rights”, Mishpat Umimshal, cité dans La trahison des clercs d’Israël, op. cit. p. 131.

[2] J’emprunte cette idée et d’autres au livre très riche de Yoram Hazony, L’État juif. Sionisme, post-sionisme et destins d’Israël, éditions de l’éclat 2007.

[3] Cité par Y. Hazony, op. cit. p.113.

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L’idéologie du genre : un néo-totalitarisme? Pierre Lurçat

February 8 2023, 09:06am

Posted by Pierre Lurçat

 L’idéologie du genre : un néo-totalitarisme? Pierre Lurçat

 

Un trait caractéristique du néo-totalitarisme, tel que nous le voyons s'épanouir actuellement, est précisément qu’il parvient à modifier la nature humaine de manière objective, alors même qu’il repose presqu’entièrement sur un nouveau discours. Comme l'explique Shmuel Trigano, analysant l'idéologie post-moderne, « toutes les figures du réel se voient désormais anéanties… c'est le concept même d'Homme qui se voit dénié[1] ». Dire que l’homme et la femme sont des « inventions » aboutit ainsi à créer une réalité nouvelle, dans laquelle le sexe biologique peut effectivement être modifié, voire aboli… Pour s’en convaincre, il suffit de voir les méfaits du discours du genre et de la propagande transgenre dans l’école, lieu par excellence où pénètrent tous les discours totalitaires[2]. Lorsque des jeunes adolescents prétendent « découvrir leur identité de genre » ou changer de sexe pour adapter leur identité biologique à leur vécu de genre, ils créent effectivement une nouvelle réalité objective[3].

 

Détruire les fondements de l'humanité

 

            Ce paradoxe d’un discours créateur de réalité, qui triomphe sans aucune contrainte étatique, avait été entre-aperçu dès 1946 par Aldous Huxley. Celui-ci écrivait ainsi que « le gouvernement au moyen de triques et de pelotons d’exécution, de famines artificielles et de déportations en masse » était « non seulement inhumain » mais aussi inefficace. Il évoquait aussi « l’application aux êtres humains des recherches futures en biologie, en physiologie et en psychologie »[4]. Huxley est sans doute un des premiers penseurs à avoir compris que le néo-totalitarisme s'attaquerait aux mécanismes de la filiation et ce faisant, aux fondements de l'identité humaine.

 

            Dans ces conditions, le combat contre ce néo-totalitarisme ne peut se contenter de dénoncer son discours et son idéologie comme émanant d’un projet totalitaire, utopique et délirant. Le projet d’abolir la différence sexuelle – au nom de l’idéologie totalitaire du « genre », « dernier grand message idéologique de l’Occident [5]» – est certes fou, mais sa folie est d’autant plus dangereuse qu’elle est réalisable et qu’elle connaît déjà un début de réalisation. Le plus grand danger du projet totalitaire actuel réside ainsi dans sa capacité à modifier la nature humaine et à imposer à l’humanité une nouvelle définition de l’homme, envers et contre tout (y compris contre la réalité objective de la nature humaine).

 

C'est pourquoi il est illusoire de croire qu’il suffit d’opposer au discours totalitaire la réalité objective ; car comme l’avait bien vu Arendt, « pour continuer à exister, la réalité objective elle-même dépend de l’existence du monde non-totalitaire ». Or celle-ci repose en dernière alternative, comme l'explique Arendt – citant Saint Augustin, auquel elle avait consacré sa thèse de philosophie – sur la notion de commencement qu'on retrouve dans le récit biblique de la Création. « Politiquement, il [ce nouveau commencement] est identique à la liberté de l'homme. Initium ut esset homo creatus est – « pour qu'il y eût un commencement, l'homme fut créé », dit Saint Augustin [6]». L'homme est érigé par le récit biblique en joyau de la Création, à laquelle il donne son sens (comme l'exprime le mot hébreu de Berechit que saint Augustin traduit par Initium).

 

Il n'est pas anodin que l'une des réponses apportées par Hannah Arendt au système totalitaire se fonde précisément sur le récit de la Genèse dans la Bible hébraïque, lu à travers le commentaire de Saint Augustin, qui voyait dans l’hébreu la « langue humaine des origines »[7]. Tout comme il est loin d'être anodin que le projet totalitaire actuel de remodeler l'identité humaine s'en prenne justement à la différence sexuelle, élément clé du récit biblique de la Genèse, au fondement de la civilisation occidentale. Rendant compte du livre d’Arendt en 1953, Eric Voegelin formulait l’hypothèse que « la véritable ligne de partage dans la crise contemporaine ne passe pas entre les libéraux et les totalitaires, mais entre les partisans d’une transcendance philosophique ou religieuse d’un côté, et les adeptes sectaires de l’immanentisme, libéraux ou totalitaires, de l’autre »[8]. Ce faisant, Voegelin se rangeait lui aussi du côté de ceux qui voient dans le totalitarisme une idéologie, bien plus qu’un régime politique.

 

Fin du totalitarisme ?

 

            Dans son compte-rendu du livre d’Hannah Arendt, Raymond Aron accepte avec quelques nuances sa caractérisation de « l’essence du totalitarisme », tout en y ajoutant une question essentielle à ses yeux : « Quelle est la durée promise au totalitarisme ? ». La réponse à cette question, que ni lui ni Arendt ne pouvaient apparemment prévoir à leur époque, est que le totalitarisme en tant qu’idéologie et en tant que projet a survécu aux régimes totalitaires meurtriers du vingtième siècle, nazi et soviétique. L’URSS a en effet disparu, tout comme l’Allemagne nazie, mais leur projet monstrueux d’édifier un « Homme nouveau » n’a non seulement pas disparu, mais prospère et se développe aujourd’hui au cœur même des sociétés démocratiques. L'idéologie totalitaire, qui prétend transformer la nature humaine est ainsi, hélas, bien vivante et plus menaçante que jamais.

 

[1] S. Trigano, La nouvelle idéologie dominante, Hermann 2012 p. 27-28.

[2] La pénétration de l’idéologie dans l’école, notamment par le biais de l’éducation sexuelle avait été analysée par Liliane Lurçat dans son livre prémonitoire, Vers une école totalitaire ? L’enfance massifiée à l’école et dans la société, éd. François-Xavier de Guibert 1998.

[3] Voir C. Masson et C. Eliacheff, La fabrique de l’enfant transgenre, éd. de l’Observatoire 2022.

[4]A. Huxley, Le meilleur des mondes, préface de 1946.

[5] Eric Marty, Le sexe des Modernes, Pensée du neutre et théorie du genre, Seuil 2021, p. 11.

[6] H. Arendt, Les origines du totalitarisme, op. cit., p. 838.

[7] Voir Maurice Olender, Les langues du Paradis, Seuil 1989, p. 13.

[8] E. Voegelin, « The Origins of Totalitarianism », Review of Politics, janvier 1953, traduit en français dans Les origines du totalitarisme, op. cit., p. 958 s.

(Extrait de mon article "Actualité du débat sur la nature du totalitarisme : Arendt, Aron, Voegelin" publié dans la dernière livraison de la revue Pardès qui vient de paraître)

 L’idéologie du genre : un néo-totalitarisme? Pierre Lurçat

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Diplomatie française vs Israël : quelle objectivité ? Pierre Lurçat au micro d’Ilana Ferhadia

February 5 2023, 10:33am

Diplomatie française vs Israël : quelle objectivité ? Pierre Lurçat au micro d’Ilana Ferhadia

J'étais l'invité d'Ilana Ferhadian vendredi pour commenter l'actualité israélienne et son traitement dans les médias français.

Diplomatie française vs Israël : quelle objectivité ? Pierre Lurçat – L’invité d’Ilana Ferhadian – Radio J

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En marge de la réforme judiciaire : La Cour suprême et l’identité d’Israël

February 2 2023, 17:22pm

Posted by Pierre Lurçat

Synagogue de Neve Dekalim détruite après le retrait du Goush Katif

Synagogue de Neve Dekalim détruite après le retrait du Goush Katif

NB Je serai demain matin (vendredi) l'invité d'Ilana Ferhadian sur Radio J à 8h30 pour évoquer l'actualité israélienne.

 

Deux éléments sont essentiels à la compréhension du débat juridico-politique actuel autour de la réforme judiciaire en Israël. Le premier est le fait que le système tel qu’il existe aujourd’hui repose sur une “monstruosité” juridique (au sens d’une réalité contre-nature), à savoir une Cour suprême exerçant le contrôle constitutionnel le plus activiste et le plus poussé du monde occidental, en l’absence de Constitution véritable. Sous la houlette du juge Barak, la Cour suprême a en effet accaparé les pouvoirs de la Cour de cassation, du Conseil d'Etat, de la Cour des Comptes et du Conseil constitutionnel… alors qu’Israël ne dispose d’aucune Constitution et d’aucune loi lui conférant de tels pouvoirs.

 

Le second élément est le fait que la “Révolution constitutionnelle” menée par le juge Barak dans les années 1990 a rompu le fragile statu quo instauré par David Ben Gourion en 1948, en abolissant la frontière entre droit et politique, entre décisions judiciaires et politiques et entre les normes juridiques acceptés de tous et les valeurs sociétales, sur lesquelles il n’existe pas de consensus en Israël. C’est ce fragile statu quo ante que la réforme Levin s’efforce de rétablir aujourd’hui. Dans les lignes qui suivent[1], je relate comment la Cour suprême a pris parti dans le Kulturkampf israélien et est devenue un acteur politique, avec le soutien des élites post-sionistes et de la frange gauche de l’échiquier politique, à partir des années 1990.

 

 
Ben Gourion: un esprit de compromis

Ben Gourion: un esprit de compromis

Pendant les quatre premières décennies de l’État d’Israël, la question de l’identité du droit israélien - juif ou occidental - s’est pour l’essentiel résumée à celle, de la place occupée par le droit hébraïque dans le système judiciaire. Celle-ci était pour l’essentiel une question technique, qui intéressait principalement les juristes et les hommes politiques, et beaucoup moins le grand public. Cette situation a été radicalement modifiée dans les années 1990, avec l’émergence de la doctrine de l’activisme judiciaire : à savoir, l’idée que la Cour suprême, et les tribunaux en général, n’ont pas seulement pour vocation de dire le droit et de trancher des litiges juridiques, mais qu’ils sont également habilités à se prononcer sur des questions de valeurs, en prenant ouvertement position dans le débat public, y compris sur des questions autrefois considérées comme échappant aux tribunaux.

 

Cette politisation de la Cour suprême a largement été l’œuvre d’un seul homme, le juge Aharon Barak, qui a mené à bien, à partir de la fin des années 1980, une véritable “révolution constitutionnelle”. Celle-ci s’est traduite par l’émergence d’un pouvoir judiciaire, faisant concurrence au pouvoir législatif de la Knesset et au gouvernement, en intervenant régulièrement dans des questions politiques ou sécuritaires. C’est ainsi que la Cour suprême israélienne, sous la présidence du juge Barak et jusqu’à aujourd’hui, s’est érigée en véritable “pouvoir des juges”. Ce faisant, elle a porté atteinte au fragile équilibre des pouvoirs sur lequel repose le système démocratique et à la confiance du public en l’impartialité des juges.

 

 

Cette évolution a été concomitante au phénomène de judiciarisation de la vie publique, commun à plusieurs démocraties occidentales à partir des années 1990. Mais elle revêt en Israël une dimension particulière, du fait de la situation spécifique à ce pays, qui tient notamment à l’absence de constitution formelle[2]. A partir de la “révolution constitutionnelle” menée à bien par le juge Barak, la Cour suprême a non seulement bouleversé l’équilibre des institutions, en accélérant dramatiquement le processus d’élaboration d’une constitution ; mais elle a aussi pesé de tout son poids dans le débat politique, en affaiblissant la notion d’un État juif inscrite dans la Déclaration d’Indépendance de 1948, au profit de celle “d’État de tous ses citoyens”[3]. C’est sans doute l’aspect le plus significatif de cette Révolution constitutionnelle, largement passée inaperçue du grand public à ses débuts, et qui suscite aujourd’hui une vive opposition et donne lieu à des débats virulents à la Knesset, dans les médias et dans la sphère publique en général.

 

 

Ainsi, la polémique déclenchée par le vote à la Knesset de la Loi fondamentale définissant Israël comme “l’État-nation du peuple Juif” est une conséquence directe de l’affaiblissement de la notion d’État juif par la Cour suprême. Cette notion était en effet inscrite dans la Déclaration d’indépendance de l’État d’Israël de 1948, qui mentionnait explicitement le droit naturel du peuple juif d’être une nation comme les autres nations et de devenir maître de son destin dans son propre État souverain”. L’idée que le nouvel État d’Israël était l’État-nation du peuple Juif était considérée comme une évidence incontestable par ses fondateurs, et elle a été acceptée par la communauté des nations, lors du vote de l’Assemblée générale des Nations unies du 29 novembre 1947.

 

 

Comment cette évidence a-t-elle été progressivement remise en question, au point que l’adoption par le parlement israélien de la Loi fondamentale sur l’État juif est aujourd’hui largement dénoncée comme “polémique” ou anti-démocratique ? La réponse à cette question est étroitement liée à l’interventionnisme judiciaire de la Cour suprême. C’est en effet cette dernière qui a ébranlé le large consensus qui existait en Israël en 1948, lors de la proclamation d’Indépendance, signée par des représentants de tous les partis, d’un bord à l’autre de l’échiquier politique. En faisant du caractère juif de l’État un sujet polémique et en opposant “État juif” et “État démocratique” - deux réalités qui avaient coexisté sans problème majeur pendant quatre décennies - la Cour suprême a ouvert la boîte de Pandore.

 

 

Dans l’esprit des pères fondateurs du sionisme politique et des premiers dirigeants de l’État d’Israël - au premier rang desquels David Ben Gourion - le caractère juif de l’État n’était en effet nullement contradictoire avec son caractère démocratique. C’est dans cet esprit qu’il a élaboré le fragile équilibre sur lequel ont reposé l’État et ses institutions après 1948. Ben Gourion a fait preuve à cet égard d’une volonté de compromis inhabituelle, qu’il justifie ainsi dans ses écrits : “Sauver la nation et préserver son indépendance et sa sécurité prime sur tout idéal religieux ou antireligieux. Il est nécessaire, dans cette période où nous posons les fondations de l’État, que des hommes obéissant à des préoccupations et à des principes différents travaillent ensemble… Nous devons tous faire montre d’un sage esprit de compromis sur tous les problèmes économiques, religieux, politiques et constitutionnels qui peuvent supporter d’être différés[4].

 

 

 

 

 

[1] Extraites de mon livre Israël, le rêve inachevé, Editions de Paris / Max Chaleil 2019.

[2] Pour des raisons historiques et politiques, l’Assemblée constituante élue en 1949 ne put accomplir sa tâche constitutionnelle, comme le prévoyait la Déclaration d’Indépendance. Au lieu de cela, elle adopta le principe d’une “Constitution par étapes”, c’est-à-dire de l’élaboration successive de Lois fondamentales, qui furent effectivement adoptées à partir de 1958.

[3] Je renvoie à ce sujet à mon livre La trahison des clercs d’Israël, chapitre 13. La Maison d’Edition 2016.

[4] David Ben Gourion, in Hazon ve-Derekh, cité par Avraham Avi-Hai, Ben Gourion bâtisseur d’État, p. 120.

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