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Georges Brassens et la chanson israélienne, Pierre Lurçat

October 25 2021, 16:03pm

Posted by Pierre Lurçat

 

A Gabrielle,

amoureuse d’Israël

et de la culture française

Joyeux anniversaire!

 

Le double anniversaire de la naissance du chanteur français (né le 22 octobre 1921) et de son décès (le 29 octobre 1981) est l’occasion de nous pencher sur l’influence qu’il a eue sur la chanson israélienne, notamment au travers de traductions et d’adaptations de ses chansons par certains des plus grands auteurs-compositeurs et interprètes israéliens. Remarque préliminaire : les liens entre la culture israélienne et la France sont un vaste continent, qui reste encore à explorer…(1) Dans les années 1950 et 1960 notamment, de nombreux écrivains et artistes israéliens se sont rendus en France et ont traduit ou adapté en hébreu de nombreuses œuvres françaises, de la littérature classique à la chanson populaire.

 

La première version de “Banaï chante Brassens”, 1974

 

Parmi les artistes israéliens qui ont chanté des chansons inspirées de Brassens en hébreu, Yossi Banaï fait figure de précurseur. Après un séjour à Paris, Yossi Banaï devint l’un des promoteurs de la chanson française en Israël. En 1969, il produisit le spectacle, « Il n’y a pas d’amours heureux », spectacle qui fut entièrement consacré aux chansons de Georges Brassens. Son disque “Yossi Banaï chante Brassens”, sorti en 1974 et réédité par Ed-Harzi en 1997, reprend certains des titres les plus connus de Brassens, parmi lesquels Le Gorille, Chanson pour l’Auvergnat ou Le parapluie. Ces chansons ont été traduites et/ou adaptées en français par des artistes, paroliers ou écrivains talentueux tels que Naomi Shemer, Dan Almagor, ou Yaakov Shabtaï.



 



 

Outre Banaï, il faut mentionner d’autres chanteurs aussi variés que Corinne Allal (qui a notamment interprété une version adaptée d’Au bois de mon coeur, sous le titre Ey Sham baLev, traduction d’Ehoud Manor), ou encore Chava Alberstein. Cette dernière a ainsi interprété la chanson “Véyoyo gam”, adaptation israélienne de La femme d’Hector de Brassens, qui a aussi été chantée par la troupe Lahakat Ha-Nahal en 1958, sur des paroles de Dan Almagor (lesquelles n’ont rien à voir avec les paroles de La femme d’Hector).



 



 

La chanson Véyoyo Gam a connu un grand succès et été reprise également par Yardena Arazi et Ofra Haza en 1979 (regardez-les ici, c’est un régal!) (2). Plus récemment Shlomi Shaban a interprété une version israélienne de Trompe la mort, traduite par Uri Manor. Comment expliquer le succès non démenti des chansons et mélodies de Brassens auprès de si nombreux auteurs et interprètes israéliens, jusqu’à aujourd’hui? Je laisse la question ouverte aux suggestions de mes lecteurs, qui sont les bienvenues.

 

 

Pierre Lurçat

 

1. Lire notamment notre article “Les écrivains israéliens et la France, un amour partagé” et “David Shahar, un écrivain israélien amoureux de la Bretagne”, repris dans mon livre Israël, le rêve inachevé.

2. Voir l’excellent blog Obegshabbat auquel nous avons puisé de précieuses informations. https://onegshabbat.blogspot.com/2011/04/blog-post_07.html


 

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Qui veut la peau du député français Meyer Habib? Un article aux relents antisémites signé France-Inter, Pierre Lurçat

October 21 2021, 06:43am

Posted by Pierre Lurçat


 

Les sites antisémites les plus radicaux du Web francophone ne s’y sont pas trompés. “L’étau se resserre autour de Meyer Habib”, titre ainsi “Egalité et Réconciliation”, le site du très sulfureux Alain Soral, tandis que le site islamiste Oumma.com titre avec moins d’emphase : “Positionnement pro-Likoud, actionnaire de sociétés non déclarées en France: une enquête de France Inter sur Meyer Habib”. En fait d’enquête, il s’agit d’un article publié sur le site de France-Inter le 15 octobre dernier, et pompeusement signé par la “Cellule Investigation de Radio France”.

 



 

Cette “cellule d’investigation” n’a pas eu besoin d’investiguer très loin : son papier est une compilation d’informations connues de tous et glanées sur le Net, pour lesquelles les journalistes de Radio France ont simplement demandé des commentaires, exclusivement à charge, auprès de certains anciens diplomates israéliens et de concurrents de Meyer Habib aux élections législatives. Drôle de conception de l’investigation.

 

Ainsi, les liens amicaux entre Habib et l’ancien Premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou n’ont rien d’une information (et encore moins d’un scoop), puisqu’ils sont affichés au grand jour par les deux protagonistes et connus de tous depuis de nombreuses années. Ce qui n’empêche pas France Inter d’écrire que “[Meyer Habib] a longtemps été le relais à l’Assemblée et à l’Elysée [de Nétanyahou], quitte à  s’opposer aux positions diplomatiques françaises”.

 

Meyer Habib (à gauche), avec E. Macron et B. Nétanyahou

 

La belle affaire! Depuis quand un député français est-il obligé de s’aligner sur la politique étrangère de son pays? A moins que ce député ne s’appelle Meyer Habib et qu’il ne soit Juif… Le mot n’est pas prononcé, mais l’accusation de double allégeance est en arrière-plan de l’article de France Inter à chaque ligne. Il n’est pas même besoin de lire entre les lignes… “Imaginer un seul instant que Benyamin Nétayahou puisse révéler à Meyer Habib des secrets qu’il ne faut pas dire, c’est extrêmement troublant et déstabilisant”, explique ainsi Elisabeth Garreaut, ancienne élue consulaire proche de LREM.

 

Accusation reprise par un ancien diplomate israélien à Paris, Danny Shek. Hormis ces deux personnalités, toutes les sources de France Inter sont anonymes (si tant est qu'elles existent vraiment). “Un ministre de l’époque, proche du chef de l’Etat”, “Une personnalité française, connue pour ses positions pro-palestiniennes”, “un cadre du Likoud”... En clair, il s’agit d’une enquête à charge fondée sur des témoignages anonymes (on aurait presqu’envie d’écrire, des “dénonciations anonymes”). 

Meyer Habib avec Emmanuel Macron (photo : site de France-Inter)



 

Un règlement de comptes aux relents antisémites

 

Les auteurs de cette “enquête” ne sont pas totalement inconnus dans le P.A.F.  Frédéric Métézeau a été correspondant de Radio France à Jérusalem. Il affirme dans une interview avoir le “goût de la nuance”, ce qui ne l’empêche pas de renvoyer dos-à-dos le Hamas, mouvement islamiste totalitaire, et “l’extrême-droite raciste” israélienne. Quant à Emmanuelle Elbaz-Phelps, elle est présentée par France-Inter comme une “journaliste franco-israélienne sur la chaîne publique Kan 11”. Elle collabore également au site Mediapart. Entre 2014 et 2016, elle a été attachée de presse à l’ambassade de France en Israël.  Double allégeance journalistique?

 

Les voeux de Meyer Habib pour Rosh Hachana, pièce à charge de l’enquête de France Inter

 

La question qui se pose est de savoir pourquoi cette enquête à charge est publiée aujourd’hui, et dans quel but. En tant que défenseur d’Israël à l’Assemblée nationale française, Meyer Habib ne manque certes pas d’ennemis. Pourquoi l’attaquer maintenant sur ses  relations avec le Premier ministre israélien Nétanyahou, alors que celui-ci est à présent dans l’opposition? Une explication possible est que cet article ait été publié en réaction à l’initiative courageuse du député Meyer Habib de diriger une commission d’enquête parlementaire sur les défaillances de la justice française dans l’affaire de l’assassinat de Sarah Halimi. 

 

Au cours des auditions de cette commission, l'avocat Nathanaël Majster a ainsi évoqué le risque d’une récidive de l’assassin de la sexagénaire d’origine juive, que la justice française a refusé de juger. Que le positionnement courageux de Meyer Habib dans l’affaire Halimi ait de quoi irriter certains membres de la justice française est évident. Que certains veuillent régler des comptes avec lui aux moyens d’une “enquête” aux relents antisémites est un peu plus étonnant. Mais quand il est question des Juifs en France, aujourd’hui, tout est possible.

 

Pierre Lurçat

La récente Guerre des dix jours entre le Hamas et Israël a déclenché une nouvelle vague d’hostilité envers l’Etat juif, accusé de commettre des crimes de guerre, d’opprimer les Palestiniens ou d’être un Etat d’apartheid. A travers ces accusations multiples et diverses se fait jour un discours structuré, élaboré depuis plusieurs décennies, celui de l’antisionisme contemporain, qui se décline autour de quelques thèmes majeurs.

Le présent ouvrage analyse l’antisionisme comme une véritable idéologie, pour en comprendre les ressorts et les failles. Il apporte un regard informé sur ce sujet, rendu encore plus brûlant par la crise du Covid-19, qui a ravivé les flammes de la haine envers les Juifs et Israël. Après avoir analysé les différents mythes de l’antisionisme contemporain, il esquisse l’espoir de dépasser l’antisionisme, en instaurant une nouvelle relation entre Israël et ses voisins.

Le rapprochement spectaculaire entre Israël et plusieurs pays arabes du Golfe – qui s’est récemment traduit par la signature des Accords Abraham entre Israël, les Émirats arabes unis et Bahreïn – illustre la reconnaissance véritable de l’existence du peuple Juif dans sa réalité historique et géographique, par plusieurs pays musulmans, reconnaissance lourde de conséquences.

La signification théologique de ces accords est en effet plus importante encore que leur portée politique et économique. A contre-courant de la théologie arabe de la substitution, ces accords permettront peut-être de détruire le fondement théologique de l’antisionisme musulman et d’inaugurer une nouvelle ère dans les relations judéo-arabes, porteuse d’espoir pour la région et pour le monde entier.


Table des matières


Introduction – L’antisionisme contemporain, une idéologie multiforme aux racines
anciennes
Chapitre 1 – Le mythe de la Nakba et la création de l’État d’Israël
Chapitre 2 – Le mythe du génocide du peuple palestinien
Chapitre 3 – Le mythe de l’État d’apartheid
Chapitre 4 – Le mythe du Shoah Business
Chapitre 6 – Le mythe du peuple palestinien souffrant
Conclusion : dépasser l’antisionisme?

Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain. Pierre Lurçat. Éditions l’éléphant – Jérusalem 2021.

En vente dans les librairies françaises d’Israël et sur Amazon.

Les demandes de service de presse doivent être adressées à pierre.lurcat@gmail.com

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Le cinéma israélien et la guerre : “Image of Victory” d’Avi Nesher, un chef d’œuvre, Pierre Lurçat

October 17 2021, 11:56am

Posted by Pierre Lurçat

 Le cinéma israélien et la guerre :  “Image of Victory” d’Avi Nesher, un chef d’œuvre, Pierre Lurçat

 

Le cinéma israélien, tel Janus, possède une double face. D’un côté, il y a le cinéma fait par des Israéliens qui n’aiment pas leur pays et qui font de leur désamour (ou de leur haine de soi) un argument commercial pour promouvoir leurs films - souvent médiocres - auprès d’un public occidental antisioniste, acquis d’avance à leurs thèses masochistes et défaitistes. Dans cette catégorie, qui obtient régulièrement des Lions d’Or à Berlin et des Prix à Cannes, on trouve certains films d’Amos Gitaï, de Samuel Maoz et, plus récemment, de Nadav Lapid, palme d’Or toutes catégories de l’auto-dénigrement.

 

La seconde face du cinéma israélien est celle de réalisateurs souvent méconnus en Europe et ailleurs, qui n’ont pas vendu leur dignité et leur fierté nationale pour un plat de lentilles et dont les films abordent des thèmes bien différents. Avi Nesher est un des représentants les plus talentueux de cette face lumineuse du septième art israélien. Né en 1953 à Ramat-Gan, de parents rescapés de la Shoah, il est l’auteur d’une vingtaine de long-métrages. Son dernier film, “Tmounat Nitsahon” (Image of Victory) est sans doute le plus abouti d’une œuvre riche et variée.



 

Une des scènes les plus drôles d’Image of Victory

 

Nesher y relate l’histoire tragique du kibboutz Nitsanim pendant la guerre d’Indépendance, alors que le village arabe voisin abrite un bataillon de volontaires égyptiens des Frères musulmans, qui vont tenter par tous les moyens d’éradiquer la “colonie” juive et d’apporter au Roi Farouk “l’image victorieuse” dont il a besoin pour sauver sa réputation. Cet épisode est raconté à travers le récit d’un jeune cinéaste égyptien, Hassanin, venu filmer la bataille et qui se remémore ces événements dramatiques, trente ans plus tard, au moment de la signature des accords de Camp David (1).


 

 

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Le cinéma israélien face à la guerre

 

La qualité du film de Nesher tient notamment à la méthode narrative originale et au talent de ses interprètes, parmi lesquels il faut citer le jeune Amir Khoury, et bien entendu l’actrice principale, Joy Rieger, habituée des films de Nesher (on a déjà pu la voir dans Sipour Aher (Other Story) en 2018 et dans Ha-hatayim (Past Life) en 2016. Dans Image of Victory, Rieger se révèle comme une grande actrice et c’est elle qui donne au film une grande partie de son intensité dramatique. A travers le personnage de Mira ben Ari, c’est tout l’héroïsme des femmes combattantes d’Israël qui est racontée dans le film, peut-être pour la première fois. L’histoire de la participation féminine aux guerres d’Israël est en effet un sujet rarement abordé dans le cinéma israélien.

 

Joy Rieger aux côtés d’Avi Nesher, sur le tournage de Sippour Aher



 

Outre ses grandes qualités cinématographiques, Image of Victory est ainsi l’occasion pour Nesher de rétablir la vérité historique, en adoptant délibérément un ton dénué de tout pathos, mais sioniste et patriote. Il n’est pas anodin que son film porte précisément sur la Guerre d’Indépendance - guerre qui vit s’affronter la jeune armée israélienne face aux armées de cinq pays arabes, combat de David contre Goliath, aujourd’hui largement oublié par le cinéma israélien, qui préfère en général parler de guerres moins héroïques (à ses yeux au moins) et des problèmes de conscience du soldat israélien, au lieu de porter aux nues l’héroïsme des fondateurs de notre pays. 

 

Face à la réalité de la guerre imposée à Israël depuis 1948, le cinéma israélien a en effet souvent adopté une attitude simpliste de dénonciation ou d’auto-critique, surtout depuis 1973. Selon certains commentateurs, Image of Victory entrerait dans la catégorie des films anti-guerre, se plaçant dans la lignée des Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick (2). Rien n’est plus éloigné de la vérité : Nesher n’a pas fait un film contre la guerre, mais un film qui dépeint la guerre d’Indépendance dans toute sa grandeur tragique.

Capra : un cinéma de guerre engagé
 

Dans un passage clé du film, le jeune cinéaste égyptien fait l’éloge du film de Capra, Pourquoi nous nous battons, tourné en 1943 pour expliquer l’engagement américain dans la guerre. En réalité, ce n’est pas Hassanin qui s’inspire de Capra, en filmant des volontaires égyptiens dont l’engagement n’a rien d’héroïque, mais c’est Nesher lui-même, renouant ainsi avec la tradition d’un cinéma de guerre patriote et humaniste, qui décrit avec humanité les soldats des deux côtés, sans tomber dans le pacifisme et le défaitisme.

 

En ramenant sous le feu des projecteurs la période glorieuse de l’Indépendance, Nesher tord aussi le coup aux adeptes du narratif mensonger de la “Naqba”, aujourd’hui adopté par de larges secteurs de l’establishment culturel et politique israélien. Son film n’est pas seulement un chef d’œuvre sur le plan cinématographique, mais aussi une œuvre de justice et de vérité sur le plan historique. Un film qui mérite d’entrer au Panthéon du septième art israélien. 

Pierre Lurçat

1. Personnage inspiré du journaliste égyptien Mohamed Hassanein Heikal.

2. Voir https://www.jpost.com/israel-news/culture/avi-neshers-image-of-victory-is-a-triumph-of-cinema-review-680175 


 

 

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Joy Rieger dans un précédent film d’Avi Nesher, Past Life


 

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Angela Merkel, l’Allemagne et Israël : une amitié parfaite?

October 12 2021, 11:40am

Posted by Pierre Lurçat

 

“L’amitie entre Israël et l’Allemagne” célébrée par les médias ces jours-ci, alors que la chancelière Angela Merkel effectue une “visite’d’adieu” en Israël, est un sujet complexe, qui mérite sans doute mieux que les slogans et expressions hâtivement employées pour caractériser la relation entre les deux pays. A de nombreux égards, les relations entre Israël et l’Allemagne - qui n’ont pas toujours été aussi amicales en apparence qu’aujourd’hui - en disent long sur les motivations cachées de chacun des protagonistes, tant du côté juif que du côté allemand. 

 

Elles sont marquées par le souvenir de la Shoah qui demeure omniprésent, de manière parfois visible et souvent superficielle, et parfois souterraine et plus profonde. En 1953, lorsque David Ben Gourion a signé l’accord de réparation avec Adenauer, Israël était plongé dans un débat public et politique dont on a oublié aujourd’hui la virulence. Avec le recul, il est probable que la position du Vieux Lion - fondée sur le pragmatisme absolu et sur la nécessité de recevoir l’argent des réparations - était la bonne, et non celle du chef de l’opposition, Menahem Begin, reposant sur des arguments purement moraux (aussi fondés qu’ils aient été). Ce débat entre Realpolitik et morale se poursuit jusqu’à nos jours (1).

 

M. Begin lors des manifestations contre l’accord de réparation, Tel-Aviv 1952

 

Pendant ses 16 années au pouvoir, Angela Merkel a fait du droit d'Israël à se défendre face à ses ennemis l'une des priorités de la politique étrangère de l'Allemagne, dont le pays, sous le nazisme, est responsable de la Shoah, le génocide juif”. Cette affirmation tirée d’une dépêche de l’AFP est évidemment simplificatrice et trompeuse. Aucun pays au monde, sauf peut-être l’Amérique de Donald Trump, n’a jamais fait du droit d’Israël à se défendre une priorité de sa politique étrangère.

 

Le journaliste israélien Eldad Beck, longtemps correspondant en Allemagne du journal Yediot Aharonot, puis d’Israël Hayom, est un des meilleurs connaisseurs des relations bilatérales actuelles entre les deux pays. Comme il l’expliquait récemment (2), il “faut comprendre que l’Allemagne n’est pas Merkel”. Pendant les 16 années de ses mandats de chancelière, elle a en effet le plus souvent été alliée au parti social-démocrate, qui défend des conceptions largement anti-israéliennes.

 

C’est le parti social-démocrate qui était à la tête du ministère des Affaires étrangères et de celui de la Coopération internationale, tous deux bastions d’une politique pro-palestinienne affirmée. C’est ainsi que l’Allemagne, sous la présidence de Merkel, a pu financer des ONG anti-israéliennes, qui sont le fer de lance du combat contre l’Etat juif sur la scène politique et médiatique internationale, notamment au moyen du fameux “Lawfare”, devenu une des armes les plus efficaces des ennemis d’Israël.



 

“L’Allemagne n’est pas Merkel”

 

La confusion dénoncée par Eldad Beck entre l’amitié personnelle d’Angela Merkel et la politique de l’Allemagne tient à des raisons multiples. L’une d’entre elles est le fait que l’Etat juif n’a pas encore su élaborer une politique étrangère digne de ce nom, oscillant entre une politique mue par la seule raison d’Etat (sur la question arménienne par exemple) et une politique dictée uniquement par les sentiments, et notamment par le vieux complexe d’infériorité juif, hérité des longs siècles de l’exil.

 

Pendant l’exil en effet, la politique des communautés juives était motivée par le souci d’entretenir de bon rapports avec les souverains, pour qu’ils deviennent les “protecteurs des Juifs”, parfois contre leurs propres sujets animés d’intentions hostiles (3). C’est cette politique de la survie en exil qui perdure parfois jusqu’à nos jours, à travers la politique étrangère de l’Etat juif, qui se comporte à certains égards comme le “Juif des Etats”, en cherchant à tout prix la protection et l’amitié des chefs d’États puissants (Etats-Unis, Allemagne, etc.), parfois au détriment de ses intérêts bien compris, confondant ainsi les relations inter-personnelles entre dirigeants et les relations étatiques.

 

Merkel à Yad Vashem: une légitimité fondée sur la Shoah?



 

Sur ce sujet crucial, comme sur d’autres, la révolution sioniste n’est pas terminée car, comme le disait un dirigeant israélien, il est “plus difficile de faire sortir le ghetto du Juif que de faire sortir les Juifs du ghetto”... La politique étrangère d’Israël comporte encore un reste de la mentalité exilique, toujours présente dans l’éthos politique israélien. On en donnera pour exemple le fait que le passage obligé de chaque dirigeant étranger en visite en Israël (pas seulement allemand) soit à Yad Vashem, comme si la légitimité de la présence juive en terre d’Israël était fondée sur les crimes de la Shoah...

 

Israël n’a pas encore suffisamment assis sa présence sur la scène internationale en tant que puissance régionale, et se comporte encore trop souvent comme un pays peu sûr de lui et très peu dominateur, pour utiliser les qualificatifs d’un dirigeant français. L’Etat juif, “siège de la Royauté divine dans le monde” selon l’expression du Rav Kook, n’a pas encore achevé la transformation du Juif de l’exil en Hébreu et la transformation de l’Etat juif en Etat fort, pleinement souverain, porteur de la Parole divine et Lumière des Nations.

Pierre Lurçat

 

1. L’ancien ambassadeur ouest-allemand en Israël Niels Hansen parlait quant à lui d’une “Realpolitik morale”. Voir l’article intéressant de Dominique Trimbur, “« Des relations normales au caractère particulier » : La RFA, Israël et le Moyen-Orient dans les années 1980”, Allemagne Aujourd’hui, 2016/1.

https://www.cairn.info/revue-allemagne-d-aujourd-hui-2016-1-page-205.htm#re18no18

2. https://hamodia.com/prime/israeli-journalist-confronts-truth-germany/

3. comme le relate l’historien Yossef Haim Yerushalmi dans son beau livre Serviteurs des rois et non des serviteurs

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Mon dernier livre, Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain, a été récemment publié aux éditions L’éléphant. Il est disponible sur Amazon et dans les bonnes librairies françaises d’Israël.



 



 

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Sadate à Jérusalem – le « faux Messie » de la paix

October 7 2021, 12:20pm

Posted by Pierre Lurçat

40 ans après l'assassinat de Sadate, le narratif du "soldat de la paix" s'est imposé. Dans l'extrait suivant de mon livre La trahison des clercs d'Israël, je présente une vision iconoclaste du dirigeant arabe qui avait compris, bien avant les autres, quel était le talon d'Achille d'Israël. P.L.

 
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Sadate (à droite)

Le premier à avoir compris, dans le camp arabe, la transformation qu’avait subie l’État d’Israël au lendemain de la « guerre d’octobre » fut Anouar Al-Sadate. Un certain discours le présente aujourd’hui, à l’instar de Rabin, comme un « faucon devenu colombe ».

Mais ce raccourci journalistique est faux et trompeur, pour l’un comme pour l’autre. Il faut relire le dernier discours de Rabin à la Knesset [1] pour comprendre qu’il n’a jamais renié son passé ; et il faut relire le discours de Sadate à Jérusalem, pour comprendre qu’il est lui aussi resté fidèle à ses engagements et à sa vision, conforme à la doctrine politique de l’Égypte établie depuis la Révolution des officiers libres en 1952.

Le plus farouche ennemi d’Israël, admirateur d’Hitler dans sa jeunesse[2], ne s’est pas transformé du jour au lendemain en ami des Juifs : il a tout simplement compris que la meilleure façon de vaincre Israël était de se servir de la paix comme d’un cheval de Troie pour affaiblir et diviser l’opinion israélienne, et pour obtenir par la négociation ce que les armées arabes n’avaient pu remporter sur les champs de bataille. 

 

D’une société idéaliste à une société individualiste

Un des ouvrages qui a le mieux décrit cette transformation en Israël est celui d’un sociologue de l’université de Haïfa, Oz Almog [3], qui a montré le passage d’une société idéaliste et collectiviste (celle de la génération de 1948 ou « génération de l’État ») à une société plus matérialiste et individualiste, celle de l’après-guerre de Kippour.

Cette transformation a pris des formes multiples, touchant tous les domaines de la société et de la vie publique et privée (les médias, les arts, les rapports hommes-femmes, etc.). Mais c’est dans le domaine politique que ses conséquences ont été les plus marquantes.

Le soldat des guerres d’Indépendance et des Six jours, animé par l’énergie du désespoir (celle des combattants de 1948, dont beaucoup sont tombés les armes à la main face à un ennemi supérieur en nombre mais beaucoup moins motivé ; et celle des soldats de 1967, conscients de protéger leur pays contre la menace d’extermination proférée par Nasser) s’est transformé en un soldat fatigué de se battre, qui doutait de la justesse de sa cause.

Ces doutes sont apparus au grand jour dès le lendemain de la guerre de Kippour et ont culminé lors de la Première Guerre du Liban, en 1982. Sadate avait bien compris ce sentiment de lassitude animant la société israélienne lorsqu’il est venu à Jérusalem, non pas pour offrir une « paix des braves », selon l’image d’Epinal, mais pour exiger d’Israël qu’il accepte toutes ses conditions.

Ce faisant, il a fixé le dangereux précédent de la « paix contre les territoires », paradigme trompeur accepté par Israël qui subsiste jusqu’à ce jour.

Le faux Messie de la paix, hier et aujourd’hui

Dans son beau livre Être Israël, publié en France quelques mois après les accords de Camp David [4], le journaliste Paul Giniewski raconte trente années de reportages et de voyages en Israël, de 1948 à 1978.

Avec talent et justesse, il décrit l’euphorie qui a gagné la société israélienne lors de la visite de Sadate à Jérusalem. Dans un chapitre intitulé « 1977 : brève rencontre avec le Messie », il relate ses sentiments mitigés à l’écoute du discours de Sadate devant la Knesset :

« J’écoute. Ma déception augmente. Le mot paix revient de plus en plus souvent : [Sadate :] « Je prononce le mot paix, et que la miséricorde de Dieu tout-puissant soit sur vous, et que la paix vienne pour nous tous. Paix sur toutes les terres arabes, et paix sur Israël ! ».

Mais en même temps, l’accusation devient de plus en plus précise. Sadate est venu à la Knesset pour dénoncer Israël ! (…) Je viens d’entendre ce qui, chez les Arabes, fait l’unanimité des modérés et de ceux du camp du refus. Les uns réclament la destruction d’Israël. Les autres acceptent son existence, au prix de concessions qui conduiront à sa destruction : la restitution des territoires, un État palestinien. La différence est dans les mots, dans le style, mais pas dans le but final. .. »

Et Giniewski rapporte aussi les mots de Golda Meir, la dame de fer d’Israël, interrogée sur les accords de Camp David par un journaliste, qui lui déclare : « Sadate et Begin méritent le prix Nobel de la paix ». Elle sourit : – « Peut-être aussi l’oscar du cinéma ? ». A la buvette du Parlement, où les députés se congratulaient avant le discours [de Sadate], je l’entends dire de sa voix désabusée : – Vous attendez le Messie ? Quand nous sommes allés au kilomètre 101 [5], [le général] Aharon Yariv négociait avec un officier égyptien. Nous avons aussi cru que c’était le Messie. Mes enfants, quand le Messie viendra, il ne s’arrêtera pas au kilomètre 101 ».

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts du Jourdain depuis lors, après l’assassinat de Sadate et celui de Rabin. L’euphorie née de la visite de Sadate à Jérusalem s’est depuis longtemps dissipée, et même la gauche israélienne, qui avait voulu faire d’Arafat un partenaire de paix, a dû déchanter.

Le Messie n’est pas venu à Camp David, ni à Oslo, et il n’a même pas appelé au téléphone, comme l’a chanté Chalom Hanoch. Mais le messianisme de la paix, lui, est bien vivant. Et toujours aussi dangereux, comme tous les faux Messies.

(Extrait de mon livre La trahison des clercs d’Israël, La Maison d’édition 2016)

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[1] Le 5 octobre 1995, Rabin prononça un discours politique qui devait être son dernier devant le Parlement israélien (Knesset), dans lequel il exposa sa vision des futures frontières de l’État d’Israël après les accords d’Oslo.

Il y mentionna notamment son refus d’un retour aux « frontières de 1967 », l’importance de conserver des « blocs d’implantations » en Judée-Samarie et de maintenir le Jourdain comme frontière de sécurité et son refus de voir Jérusalem redivisée. Voir Dore Gold, « Rabin’s lats Knesset speech », Israel Hayom 2/11/2012.

[2] Voir à ce sujet la lettre adressée par Sadate à Hitler dans le journal cairote El-Moussaouar, le 18 septembre 1953 : « Mon cher Hitler, Je vous félicite du fond du cœur. Même s’il vous semble que vous avez été battu, en réalité vous êtes le vainqueur. Vous avez réussi en créant des dissensions entre le vieux Churchill et ses alliés, les fils de Satan. L’Allemagne vaincra car son existence est nécessaire à l’équilibre mondial. Elle renaîtra en dépit des puissances de l’Ouest et de l’Est. Il n’y aura pas de paix sans que l’Allemagne redevienne ce qu’elle a été…

Pour le passé, je pense que vous avez commis quelques fautes, comme d’ouvrir trop de fronts et [de ne pas avoir su parer à] l’imprévoyance de Ribbentrop face à l’experte diplomatie britannique. Mais ayez confiance en votre pays, et votre peuple réparera ces faux pas.

Vous pouvez être fier d’être devenu immortel en Allemagne. Nous ne serions pas surpris si vous y apparaissiez de nouveau ou si un nouvel Hitler se levait dans votre sillage. » (Lettre reproduite par Jean-Pierre Péroncel-Hugoz dans Le radeau de Mahomet, Lieu Commun, 1983, réédité chez Flammarion en 1984).

[3] Farewell to Srulik – Changing Values Among the Israeli Elite, Zmora Bitan and Haifa University Press, 2004 [hébreu].

[4] Paul Giniewski, Être Israël, Stock 1978.

[5] Lieu où se déroulèrent les pourparlers de cessez-le-feu entre le général israélien Aharon Yariv et le général égyptien Gamassi qui mirent officiellement fin à la guerre de Kippour.

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La négation du Temple de Jérusalem dans le discours politique arabo-palestinien

October 6 2021, 08:23am

Posted by Pierre Lurçat

La négation du Temple de Jérusalem dans le discours politique arabo-palestinien
 

Comment les musulmans désignent-ils aujourd’hui Jérusalem ? Le nom le plus courant est celui de Al-Quds qui signifie la Sainte. Mais de quelle sainteté s’agit-il et d’où tire-t-elle sa source ? La réponse à cette question nous est donnée par l’autre nom de Jérusalem, Bayit al-Maqdis. On le traduit souvent par “Maison du Sanctuaire”, “Noble Sanctuaire” ou par d’autres expressions équivalentes, traductions qui sont en réalité impropres, car elles n’expriment pas la signification authentique de cette expression. Au sens premier et littéral, en effet, Bayit al-Maqdis désigne le Temple, l’expression arabe étant tout simplement le calque de l’hébreu Beit ha-Mikdash (le Temple).

Le Coran lui-même relate dans plusieurs Sourates la construction du Temple par Salomon et la prière musulmane fut, au tout début de l’islam, tournée vers Jérusalem, lieu du Temple, avant que n’intervienne le changement de la Qibla (direction de la prière) et son orientation vers La Mecque. Le fait que Jérusalem est le site du Temple de Salomon est ainsi acté et ancré dans le Coran, dans la langue arabe et dans l’histoire de l’islam, de manière irréfutable. Cette vérité indéniable apparaît parfois de manière explicite dans le discours de certains dirigeants arabes contemporains, comme Sari Nuseibeh, intellectuel palestinien qui a déclaré en 1995 que “la mosquée (de Jérusalem) est la revivification de l’ancien Temple juif[1].

 

Le discours dominant de l’islam contemporain prétend toutefois que le Bayit al-Maqdis n’a jamais désigné le temple de Salomon, mais uniquement la mosquée d’Omar. Mahmoud Abbas, suivant l’exemple de son prédécesseur Yasser Arafat, va encore plus loin dans cette attitude négationniste et affirme que le Temple n’a jamais existé. Dans le même registre, un cheik musulman a pu déclarer très doctement à la télévision : « Il est impossible que Salomon ait construit le Temple avant la Mosquée d’El Aqsa, puisque celle-ci existait avant le Temple de Jérusalem”[2]. Nous sommes bien ici dans la négation de l’antériorité, caractéristique du rapport qu’entretient l’islam avec l’histoire.

 

Or cette négation actuelle de l’existence même du Temple de Salomon, dans la bouche des dirigeants palestiniens ou des représentants de mouvements islamistes, s’inscrit en faux contre l’histoire de l’islam. Car la réécriture de l’histoire, caractéristique de la réappropriation par l’Islam des symboles religieux appartenant à la période pré-islamique, ne peut cacher l’évidence : Jérusalem est bien la ville du Temple de Salomon et la capitale du roi David. Le Coran lui-même atteste du fait que la terre d’Israël a été donnée par Dieu aux enfants d’Israël : “Lorsque Moïse dit à son peuple : “Ô mon peuple! Souvenez-vous de la grâce de Dieu à votre égard, quand il a suscité parmi vous des prophètes ; quand il a suscité pour vous des rois ! Il vous a accordé ce qu’il n’avait donné à nul autre parmi les mondes ! Ô mon peuple! Entrez dans la Terre sainte que Dieu vous a destinée…” (Coran, 5:20-25).

 

Tantôt le Coran parle ainsi des Juifs comme le “peuple de l’alliance”, que Dieu a placé “au-dessus des mondes” (Sourate II, 116) et à qui il a donné “des rois et des prophètes” et la Terre d’Israël, tantôt ils sont décrits comme ceux qui ont été maudits par Dieu et qu’il faut combattre jusqu’à la mort (Sourate II, 64 à 69 et 95). Cette ambivalence correspond aux relations ambiguës que le prophète a lui-même entretenues avec les “Banu Israïl” (enfants d’Israël) : dans un premier temps, relations de confiance et de proximité, puis dans une seconde période, d’hostilité et de rivalité.

Eliézer Cherki

Eliezer Cherki

Comme l’explique l’islamologue Eliezer Cherki, une fois que Mahomet s’est retourné contre les Juifs, il a opéré une véritable “confiscation d’héritage”, qui fait suite à l’accusation de “falsification des écritures” qu’il profère contre eux. “Vous êtes des menteurs, l’islam que vous refusez n’est pas une nouvelle religion, mais la première religion de l’Humanité”. C’est alors que Mahomet affirme qu’Adam est le premier musulman et qu’il récupère au sein d’un islam fantasmagorique tous les grands personnages de la Bible, pour faire de la troisième religion monothéiste la “seule et première religion de l’humanité”, poursuit E. Cherki[3].

 

Ainsi, l’usurpation d’identité et la captation de l’héritage biblique de l’islam envers le judaïsme sont à la source de sa relation très délicate avec ses propres origines, avec l’antériorité des Juifs et avec l’histoire en général. Le retour des Juifs sur leur terre et l’édification d’un État portant le nom d’Israël signifie pour les musulmans le “retour du spectre”[4]. Cet événement représente pour la doctrine musulmane traditionnelle un traumatisme au moins aussi fort qu’il a pu l’être pour le christianisme pré-conciliaire, d’avant Vatican II. En effet si les Juifs reviennent sur la terre d’Israël, c’est qu’ils ne sont plus le “peuple maudit” pour avoir trahi leur alliance et leurs prophètes… Ce retour dans l’histoire du “peuple fantôme” porte un coup terrible à la théologie chrétienne du “peuple témoin” déchu de son alliance, tout comme à la théologie musulmane.

 

[1] Cité par Martin Kramer, “The Temples of Jerusalem in Islam”, http://martinkramer.org/sandbox/reader/archives/the-temples-of-jerusalem-in-islam/

[2] Cité par Eliezer Cherki, “Jérusalem dans l’islam”, conférence donnée au centre Yaïr de Jérusalem, janvier 2001, transcrite et résumée par Pierre Cain. Voir aussi E. Cherki, « Jérusalem dans l’Islam », in Si c’était Jérusalem, sous la direction de Michel Gad Wolkowicz et Michel Bar Zvi, éditions In Press, 2018, pp. 437-447.

[3] E. Cherki, “Les territoires contre la paix du point de vue de l’islam”, Forum Israël No. 1 2006.

[4] L’expression, due à Daniel Sibony, est citée par Eliezer Cherki, “Les territoires contre la paix” du point de vue de l’islam, Forum-Israël no.1, mars 2006, Jérusalem.

(Texte publié sur Menora.info le 5/10/2021, extrait de mon livre Les Mythes fondateurs de l'antisionisme contemporain, disponible sur Amazon).

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ILS ONT LU “LES MYTHES DE L’ANTISIONISME”



 

“Magistral, il a le mérite d'être clair et de permettre de repondre à tous les arguments de nos détracteurs”

Dorah Husselstein

 

“Un livre excellent par sa qualité argumentative et sa qualité de raisonnement et de savoir historique”.

Yana Grinshpun

 

“Ce livre est un véritable pense-bête et une Bible de poche du militant pro-israélien. L’auteur se focalise sur deux formes contemporaines d’antisionisme, qui en sont comme les père et mère fondateurs et alliés dès l’origine : l’idéologie soviétique et la lutte arabo-musulmane contre l’existence d’Israël… Avec Bat Ye Or, Pierre Lurçat dément une thèse en vogue : le monde musulman ne serait que comme une « page blanche » sur laquelle on aurait transposé, à l’identique, l’antisémitisme européen”.

 

Marc Brzustowsky, Terre-des-Juifs

 

Un ouvrage d'une grande érudition historique, rigoureux, documenté et sourcé. Toutes les sources sont vérifiables dans les ouvrages cités en anglais, en français, en hébreu et en arabe. Ce livre est un document précieux pour discerner la réalité derrière les discours tendancieux de la presse européenne”.

Cléo, Amazon.fr

 

 

 

 

 

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David Shahar, le conteur qui nous parle de l’âme humaine

October 3 2021, 06:41am

Posted by Pierre Lurçat

 

Dans la bibliothèque de mon père (II) : 

David Shahar, le conteur qui nous parle de l’âme humaine

A ta mémoire, mon père

Niftar le 27 Tichri 5773

François Lurçat z.l. (1927-2012)

La bibliothèque de mon père - qui recouvrait presque tous les murs de la maison - comportait un purgatoire, destiné aux livres dont il n’avait plus d’usage ou pour lesquels il avait perdu toute affection, qui étaient relégués dans la cave, où de vieux rayonnages en bois croulaient sous les livres ainsi exilés. Y figuraient, outre les œuvres complètes de Marx, de nombreux ouvrages d’économie, discipline à laquelle il s’était intéressé de près à une certaine époque. Il avait ensuite renoncé à comprendre les rouages de l’économie pour se consacrer à la lecture de livres de philosophie et de poésie, qui étaient comme je l’ai déjà relaté ses domaines de prédilection. 

 

Le “Saint des Saints” de la bibliothèque de mon père abritait aussi quelques romans, moins nombreux il est vrai. Parmi ceux-ci, l’œuvre de David Shahar occupait une place particulière. L’écrivain israélien avait été traduit en français dès 1978 et c’est Jacqueline Piatier qui, dans le Monde des Livres, le qualifiait en 1983 de “Proust oriental”. Mon père avait ainsi découvert et lu avec passion le Palais des vases brisés, fresque monumentale dans laquelle Shahar décrit la Jérusalem des années 1930 et 1940. Je revois encore, par les yeux de l’esprit, mon père lisant Shahar lors de vacances estivales, assis dans le fond du jardin, près d’un bouquet de roses trémières,  entièrement plongé dans le monde shaharien.



Le Palais des Vases Brisées - Littérature | Rakuten

 

 

L’écrivain israélien était-il un conteur oriental, ou bien “un écrivain de l'envergure d'un Proust ou d'un Faulkner”, selon les termes de Jacqueline Piatier? En réalité, il était les deux à la fois : conteur et romancier. Né d’une famille vivant en Eretz-Israël depuis plusieurs générations, il n’avait découvert que tardivement la littérature européenne. Tout comme Jérusalem - où se déroulent la plupart de ses livres - il vivait à l’intersection de plusieurs mondes, aux confins de l’Orient et de l’Occident. Si son écriture a pu être comparée à celle de Proust, qu’il n’a sans doute pas lu avant un âge avancé, c’est que Shahar mêle de manière inextricable passé et présent, narration et souvenir, récit et réminiscence.

 

Notre époque, qui porte aux nues la figure de l’écrivain, a paradoxalement oublié celle du lecteur, qui n’est plus considéré aujourd’hui que comme un consommateur. Quant à l’écriture, elle n’est plus vécue comme un travail et comme un sacerdoce - ce qu’elle a toujours été pour les plus grands écrivains - mais comme une catharsis et comme une façon d’exprimer les aspects les plus dérisoires du moi et de ses souffrances. Écrire, pour de nombreux auteurs contemporains, semble souvent répondre uniquement à un besoin personnel, celui d’exprimer des sensations et de partager des émotions, ou une “expérience” intime. 

David Shahar (Photo Yehoshua Glotman)

Contre cette conception égocentrique de l’écriture, qui est largement le produit de notre époque obnubilée par le “moi”, Shahar a défendu et illustré une idée plus généreuse de la littérature. Son œuvre romanesque - aux côtés de livres pour enfants et de quelques recueils de nouvelles - plonge le lecteur dans un univers à part entière, qui n’est pas le monde intérieur de l’écrivain, mais celui d’une époque et d’un lieu qu’il fait revivre par la magie de sa plume et auxquels il confère profondeur et acuité : celui de la Jérusalem mandataire. 
 

Sans doute mon père était-il d’autant plus friand de la lecture de Shahar qu’elle le faisait pénétrer dans la ville natale de ma mère. Lorsque, plusieurs années après leur découverte de Shahar, mon père et ma mère se rendirent à Jérusalem, où je m’étais entretemps installé à demeure, ils prenaient plaisir à déambuler dans les quartiers décrits par l’écrivain - ceux de Méa Shearim et de Boukharim, celui de la Colonie allemande, et surtout le petit périmètre qui s’étend entre la rue d’Éthiopie, la rue du rav Kook et la rue des Prophètes. C’est là qu’était née ma mère, en 1928, dans l’hôpital français devenu depuis lors un collège universitaire. 

Jérusalem, porte de Jaffa dans les années 1930

Chaque fois qu’ils venaient me rendre visite à Jérusalem, les pas de mes parents étaient comme attirés vers ce quartier, qui constitue le cœur de l’univers shaharien. C’est en effet rue du rav Kook que se situe la clinique du docteur Rabban (1), évoquée dans le Palais des vases brisés, et c’est rue d’Éthiopie que se trouvait la bibliothèque du Bnai-Brith où travaillait la jeune Nin-Gal (2). Quant à la rue des Prophètes, elle abritait la fameuse maison où habitait Gabriel, personnage central de la grande fresque shaharienne. On pouvait encore voir cette maison, il y a quelques années, avant qu’elle ne fut détruite pour laisser la place à un projet immobilier de luxe…

 

La maison de la rue des Prophètes est aussi celle où le narrateur de L’agent de sa Majesté a passé son enfance. Ce grand roman d’amour et de guerre, dont l’intrigue se déploie entre la Deuxième Guerre mondiale et la guerre de Kippour, ne fait pas partie du cycle romanesque du Palais des vases brisés, même si certains personnages apparaissent dans les deux. Mon père lut ce livre pour la première fois en juin 1983, après la publication de l’article de Jacqueline Piatier qui lui fit découvrir Shahar. L’exemplaire du livre aux pages jaunies porte encore les remarques au crayon faites par lui, au fil de ses lectures successives du roman (car il lisait et relisait les livres qu’il appréciait particulièrement).

 

Un grand roman t’oblige à t’expliquer avec toi-même ; il pose les vieilles questions dans un langage nouveau. Le romancier (du moins quand il a la noblesse d’un Shahar) est un ami qui te parle, mais en parlant, il est prêt à s’interrompre pour t’écouter”, notait ainsi mon père sur la dernière page de L’agent de sa Majesté. Quelles étaient ces “vieilles questions” que Shahar lui avait posées? Je l’ignore... Sans doute tournaient-elles autour des figures féminines, élément central du roman, et notamment celles de la mère de Reinhold et celle de Tamara Koren, l’inoubliable maîtresse du héros, Heinrich Reinhold, qui fut aussi la cause de sa trahison.

 

…………………...

Amoureux des livres de Shahar, mon père y avait aussi trouvé la confirmation de sa conception de la spécificité irréductible de l’être humain, au nom de laquelle il mena des joutes idéologiques contre certains de ses collègues scientifiques (3), qui étaient aussi obtus à cet égard que le “savant allemand ampoulé”, personnage de La Nuit des Idoles qui soutient l'inexistence de l'âme. « La science prouvait qu'il n'existait rien qui put s'appeler une "âme". L'âme n'existait pas ; elle n'était qu'une création des poètes, des fondateurs de religions, ou d'un certain genre de philosophes ». Cette conception païenne est rejetée avec force par David Shahar, qui récuse tout autant l'idée d'une âme totalement coupée du corps et de la matérialité du monde. 

 

Matérialisme obtus et spiritualisme désincarné : c'est entre ces deux conceptions également réductrices de la nature humaine que Shahar déploie sa vision d'un monde empli de poésie et de mystère, monde plein de formes, de couleurs, de lignes, de sens, d'odeurs, de sensations… On comprend mieux dès lors l'intérêt de Shahar pour la kabbale lurianique, inspirant le thème de la « brisure des vases » qui donne le titre à son œuvre maîtresse, Le Palais des Vases brisés. Dans l’univers de Shahar, outre le plaisir incommensurable de découvrir un très grand écrivain - que peu d’auteurs israéliens contemporains égalent - mon père avait ainsi trouvé un conteur de l’âme humaine, dans toute sa complexité et une réponse à certaines de ses préoccupations les plus vitales.

 Pierre Lurçat

 

Notes

1. Le personnage du Dr Rabban semble inspiré par la figure du Dr Albert Ticho, médecin bien connu de la Jérusalem à l’époque mandataire et époux de l’artiste Anna Ticho.

2. Voir Nin-Gal, Le Palais des vase brisés 4, Gallimard.

3. Voir notamment son article ”De l’homme neuronal aux neurosciences”, 

 1985. https://www.cairn.info/revue-commentaire-1985-3-page-880.htm

 

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