Overblog
Follow this blog Administration + Create my blog
VudeJerusalem.over-blog.com

litterature israelienne

Amos Oz, côté jardin, Pierre Lurçat

July 3 2022, 07:12am

Amos Oz, côté jardin, Pierre Lurçat

(Article paru dans Causeur.fr)

 

A l'ère de #MeToo et de la confusion des genres qui caractérise notre époque, il n'est pas rare que les écrivains fassent parler d'eux après leur mort et pas toujours à leur avantage. C'est ce qui est arrivé à l'écrivain israélien Amos Oz, décédé en 2019. Sa fille Galia a publié il y a un an un livre qui s'apparentait à un règlement de comptes, intitulé Quelque chose déguisé en amour. Son fils et sa fille aînée Fania ont tenté depuis de restaurer l'image de leur père.

 

C'est aujourd'hui au tour de Nili Oz de publier en Israël son témoignage, au sujet de l'homme dont elle a partagé la vie pendant plus de soixante ans. Intitulé « Mon Amos », ce petit livre dévoile un visage de l'écrivain mal connu du grand public, intime et émouvant. On y découvre un jeune homme à la fois sensible et sûr de lui, qui a connu le succès dès son premier livre et qui a apostrophé publiquement tous les dirigeants israéliens, depuis David Ben Gourion jusqu'à Benyamin Netanyahou.

 

Oz – né Klausner – est issu d’une famille bien connue de l'aristocratie sioniste de droite (son oncle était l'historien renommé Yossef Klausner). Très tôt, il a cependant abandonné l’ethos sioniste de la droite israélienne pour devenir le chantre de « La Paix maintenant ». Cette métamorphose a sans doute des causes multiples, que Nili Oz ne détaille pas. Mais la raison principale est le conflit avec son père, intimement lié au décès tragique de sa mère Fania, qui a mis fin à ses jours quand Amos était âgé de douze ans.

 

Cet événement traumatique a pour ainsi dire déterminé toute sa vie, car il ne s'est jamais remis de la perte de sa mère, comme le montre bien le livre. C'est sans doute la privation d'amour maternel qui l'a conduit à rechercher plus ou moins activement les honneurs et l'attention du public, en Israël comme à l'étranger. Paradoxalement, le succès et la publicité dont son œuvre a été gratifiée, dès le début de sa carrière littéraire, n'ont jamais pu combler ce manque initial.

 

Amos Oz est resté toute sa vie l'adolescent orphelin en quête de l'affection d'une mère disparue. Ce manque s'accompagnait d'un reproche non exprimé envers la mère absente. La description faite par Oz lui-même dans Une histoire d'amour et de ténèbres, sans doute son plus beau livre, est ainsi corroborée par le récit de la femme qui l'a aimé et accompagné toute sa vie adulte. Mais ce n'est qu'un aspect du livre, qui raconte aussi la vie au kibboutz et les relations entre l’écrivain et la femme de sa vie. Le portrait dressé par Nili Oz est plein de retenue et d'humour.

 

Ce livre, qui mériterait d’être traduit en français, permet de mesurer l’écart entre l’homme privé et la figure publique, bien connue à travers ses interventions dans les médias internationaux, du Monde au New York Times. Une anecdote illustre la distance qui séparait l’écrivain et l’homme public de l’homme privé. Pendant la première guerre du Liban, dont Israël marque ces jours-ci le quarantième anniversaire, Menahem Begin justifia l'opération « Paix en Galilée » en invoquant la Shoah. En réaction, Amos Oz publia un article intitulé, « M. Begin, Hitler est mort ! », signifiant par-là que le souvenir de la Shoah ne devait pas être utilisé à des fins politiques.

 

En apparence, tout séparait l’écrivain Sabra du kibboutz Houlda du Premier ministre d’origine lituanienne, dont les opposants moquaient le style « exilique ». Mais en vérité, la Shoah était bien présente dans la vie privée d’Amos Oz, car la famille de sa mère avait été exterminée, et le deuil de ses parents n’était pas étranger à sa fin tragique. Ainsi, c’est bien la destruction des Juifs d’Europe qui avait en large partie déterminé la vie privée de l’écrivain. Son jardin secret était hanté par le souvenir de cette mère rescapée de l’horreur et trop tôt disparue.

Pierre Lurçat

Nili Oz, My Amos, Keter 2022.

____________________________________________________

NB Je serai présent cet après-midi au Salon du livre francophone organisé à Jérusalem dans les locaux de Qualita

Amos Oz, côté jardin, Pierre Lurçat

See comments

A.B. Yehoshua, Amos Oz et le mensonge du “camp de la paix”, Pierre Lurçat

June 19 2022, 07:14am

Posted by Pierre Lurçat

A.B. Yehoshua, Amos Oz et le mensonge du “camp de la paix”, Pierre Lurçat

 

L’écrivain israélien A.B. Yehoshua est décédé alors que s’ouvrait en Israël la “semaine du livre”, la manifestation littéraire qui est aussi une grande “fête du livre”, qui vient clore le cycle des fêtes du printemps israélien. Il est aussi mort avant le shabbat où nous lisons la parachat Chela-Lekha, qui relate la faute des explorateurs. A certains égards, Yehoshua faisait partie, avec ses collègues Amos Oz et David Grossman, des « modernes explorateurs » que sont ces intellectuels israéliens qui n’ont eu cesse, depuis cinquante-cinq ans, de mettre en garde leur pays et ses dirigeants contre les dangers d’une « corruption morale » et de multiples catastrophes dont l’unique cause serait, selon eux, « l’occupation des territoires »

 

Disons d’emblée qu’A. B. Yehoshua fut le seul des trois (à ce jour) à accepter de remettre en cause la rhétorique apocalyptique et moralisante de « La Paix Maintenant », dont ils étaient devenus tous trois, à des degrés différents, les porte-parole patentés. En acceptant de se remettre en question pour rejeter la logique des « deux États » et de la création d’un « État palestinien » en Judée-Samarie, Yehoshua a fait preuve à la fois d’une tardive lucidité et d’une forme de courage, inhabituelle dans les sphères de la gauche israélienne. Il était en effet bien plus facile de répéter comme un mantra les slogans éculés de La Paix Maintenant et de gagner ainsi la sympathie des médias – en Israël comme à l’étranger – et le statut confortable et lucratif d’écrivains du « camp de la paix ».

 

« Camp de la paix » ? L’expression ferait sourire, si elle ne rappelait de sinistres souvenirs. Elle remonte – rappel historique pour les nouvelles générations nées après l’effondrement du Mur de Berlin – à l’Union soviétique et à ses satellites. Le « Mouvement de la paix » était dans l’après-guerre (pendant la guerre froide dont on a oublié aujourd’hui la signification) la courroie de transmission du PCUS et du communisme stalinien au sein des pays occidentaux et de leur intelligentsia, qui était déjà à l’époque le ‘ventre mou’ de l’Occident. L’expression est donc un héritage empoisonné du communisme stalinien et elle est tout aussi mensongère à l’égard d’Israël aujourd’hui, qu’elle l’était concernant l’Occident alors.

2.

 

Le livre que vient de publier Nili Oz (1), veuve de l’écrivain Amos Oz, sur son mari, intitulé Amos sheli, est d’une lecture agréable et instructive à la fois. On y découvre un jeune homme sensible et sûr de lui, qui a connu le succès dès son premier livre et a apostrophé publiquement tous les dirigeants israéliens, depuis David Ben Gourion jusqu'à Benyamin Netanyahou. Oz – né Klausner – est issu d’une famille bien connue de l'aristocratie sioniste de droite (son oncle était l'historien Yossef Klausner). Son départ au kibboutz Houlda, après le décès tragique de sa mère, fut l’occasion pour lui de “réévaluer” toutes les valeurs dans lesquelles il avait élevé.

 

En rejetant le monde intellectuel de la famille Klausner, il ne s’éloigna pas seulement de son père (dont il avait rejeté jusqu’au nom de famille). Il fit surtout cause commune avec ses professeurs de l’université hébraïque, Hugo Shmuel Bergman, fondateur avec Martin Buber de « l’Alliance pour la paix », qui prônait « une fraternité sentimentale entre Juifs et Arabes et le renoncement au rêve d’un Etat hébreu afin que les Arabes nous permettent de vivre ici, à leur botte… » (2), rêve utopique que ses parents considéraient comme totalement coupé du réel et défaitiste.

 

Dans son livre, Nili Oz qui fut la fidèle compagne d’Amos pendant soixante ans, se flatte que son mari ait été le premier à dénoncer “l’occupation” des territoires libérés en 1967, « avant Yeshayahou Leibowitz ». Effectivement, avec la ‘houtspa qui le caractérisait, le jeune Amos – âgé de moins de 30 ans – publia dans le quotidien Davar une tribune adressée au ministre de la Défense Moshé Dayan, pleine de verve et de fiel, affirmant que « nous n’avons pas libéré Hébron et Ramallah… nous les avons conquis ». Et il poursuivait : « l’occupation corrompt » (expression devenue un slogan de la gauche israélienne après 1967), « même l’occupation éclairée et humaine est une occupation ».

 

A.B. Yehoshua, Amos Oz et le mensonge du “camp de la paix”, Pierre Lurçat

3.

 

Ad repetita… Aujourd’hui comme jadis, lors des débuts de notre histoire nationale et de la première conquête d’Eretz-Israël au temps de Josué (livre de la Bible qu’une ministre de la Culture prétendit bannir à l’époque des accords d’Oslo), une poignée de membres de l’élite de notre peuple se sont érigés en donneurs de leçons, en « nouveaux égarés du désert », comme l’écrivait le regretté André Neher en 1969. Avoir donné au terme biblique de « Kibboush » une connotation péjorative n’est pas le moindre péché de ces modernes explorateurs, qui ont instillé la peur dans l’esprit des Israéliens et les ont fait douter de la justesse de notre présence sur cette terre.

 

Ironie de l’histoire : l’Israël d’avant 1967 était lui aussi le fruit d’une (re)conquête et d’une victoire militaire – celle de 1948 – et la plupart des kibboutzim de l’extrême-gauche, de l’Hashomer Hatzair et du Mapam, étaient bâtis sur les ruines de villages arabes, comme Amos Oz le rappelle sans sourciller, en évoquant le kibboutz Houlda de sa jeunesse. Les pionniers de Judée-Samarie après 1967, eux, n’ont détruit aucun village arabe pour construire leurs maisons. Si « l’occupation corrompt », alors pourquoi s’arrêter à celle de 1967 et ne pas remonter jusqu’à 1948 ?

 

Les plus conséquents parmi les chantres du pacifisme israélien, comme Martin Buber, ont poussé leur funeste logique jusqu’à l’absurde, en affirmant que l’idée même d’un État national juif en Eretz-Israël était immorale. En réalité, comme le rappelait Jabotinsky il y a cent ans, en répondant aux pacifistes de son temps, « La paix avec les Arabes est certes nécessaire, et il est vain de mener une campagne de propagande à cet effet parmi les Juifs. Nous aspirons tous, sans aucune exception, à la paix ». Toutefois, comme il l’écrivait dans son fameux article « Le mur de fer », la question d’un règlement pacifique du conflit dépend exclusivement de l’attitude arabe. Propos qui demeurent d’une brûlante actualité jusqu’à ce jour.

P. Lurçat

A.B. Yehoshua, Amos Oz et le mensonge du “camp de la paix”, Pierre Lurçat

1. Nili Oz, Amos Sheli, Keter 2022.

2.  Amos Oz, Une histoire d’amour et de ténèbres, traduction de Sylvie Cohen, Gallimard 2004, p. 21.

 

Le quatrième volume de la Bibliothèque sioniste, consacré aux textes de Jabotinsky sur la question arabe en Israël et intitulé Le mur de fer. Les Arabes et nous, paraîtra dans les prochaines semaines.

____________________________________________________________

 

See comments

David Shahar, le conteur qui nous parle de l’âme humaine

October 3 2021, 06:41am

Posted by Pierre Lurçat

 

Dans la bibliothèque de mon père (II) : 

David Shahar, le conteur qui nous parle de l’âme humaine

A ta mémoire, mon père

Niftar le 27 Tichri 5773

François Lurçat z.l. (1927-2012)

La bibliothèque de mon père - qui recouvrait presque tous les murs de la maison - comportait un purgatoire, destiné aux livres dont il n’avait plus d’usage ou pour lesquels il avait perdu toute affection, qui étaient relégués dans la cave, où de vieux rayonnages en bois croulaient sous les livres ainsi exilés. Y figuraient, outre les œuvres complètes de Marx, de nombreux ouvrages d’économie, discipline à laquelle il s’était intéressé de près à une certaine époque. Il avait ensuite renoncé à comprendre les rouages de l’économie pour se consacrer à la lecture de livres de philosophie et de poésie, qui étaient comme je l’ai déjà relaté ses domaines de prédilection. 

 

Le “Saint des Saints” de la bibliothèque de mon père abritait aussi quelques romans, moins nombreux il est vrai. Parmi ceux-ci, l’œuvre de David Shahar occupait une place particulière. L’écrivain israélien avait été traduit en français dès 1978 et c’est Jacqueline Piatier qui, dans le Monde des Livres, le qualifiait en 1983 de “Proust oriental”. Mon père avait ainsi découvert et lu avec passion le Palais des vases brisés, fresque monumentale dans laquelle Shahar décrit la Jérusalem des années 1930 et 1940. Je revois encore, par les yeux de l’esprit, mon père lisant Shahar lors de vacances estivales, assis dans le fond du jardin, près d’un bouquet de roses trémières,  entièrement plongé dans le monde shaharien.



Le Palais des Vases Brisées - Littérature | Rakuten

 

 

L’écrivain israélien était-il un conteur oriental, ou bien “un écrivain de l'envergure d'un Proust ou d'un Faulkner”, selon les termes de Jacqueline Piatier? En réalité, il était les deux à la fois : conteur et romancier. Né d’une famille vivant en Eretz-Israël depuis plusieurs générations, il n’avait découvert que tardivement la littérature européenne. Tout comme Jérusalem - où se déroulent la plupart de ses livres - il vivait à l’intersection de plusieurs mondes, aux confins de l’Orient et de l’Occident. Si son écriture a pu être comparée à celle de Proust, qu’il n’a sans doute pas lu avant un âge avancé, c’est que Shahar mêle de manière inextricable passé et présent, narration et souvenir, récit et réminiscence.

 

Notre époque, qui porte aux nues la figure de l’écrivain, a paradoxalement oublié celle du lecteur, qui n’est plus considéré aujourd’hui que comme un consommateur. Quant à l’écriture, elle n’est plus vécue comme un travail et comme un sacerdoce - ce qu’elle a toujours été pour les plus grands écrivains - mais comme une catharsis et comme une façon d’exprimer les aspects les plus dérisoires du moi et de ses souffrances. Écrire, pour de nombreux auteurs contemporains, semble souvent répondre uniquement à un besoin personnel, celui d’exprimer des sensations et de partager des émotions, ou une “expérience” intime. 

David Shahar (Photo Yehoshua Glotman)

Contre cette conception égocentrique de l’écriture, qui est largement le produit de notre époque obnubilée par le “moi”, Shahar a défendu et illustré une idée plus généreuse de la littérature. Son œuvre romanesque - aux côtés de livres pour enfants et de quelques recueils de nouvelles - plonge le lecteur dans un univers à part entière, qui n’est pas le monde intérieur de l’écrivain, mais celui d’une époque et d’un lieu qu’il fait revivre par la magie de sa plume et auxquels il confère profondeur et acuité : celui de la Jérusalem mandataire. 
 

Sans doute mon père était-il d’autant plus friand de la lecture de Shahar qu’elle le faisait pénétrer dans la ville natale de ma mère. Lorsque, plusieurs années après leur découverte de Shahar, mon père et ma mère se rendirent à Jérusalem, où je m’étais entretemps installé à demeure, ils prenaient plaisir à déambuler dans les quartiers décrits par l’écrivain - ceux de Méa Shearim et de Boukharim, celui de la Colonie allemande, et surtout le petit périmètre qui s’étend entre la rue d’Éthiopie, la rue du rav Kook et la rue des Prophètes. C’est là qu’était née ma mère, en 1928, dans l’hôpital français devenu depuis lors un collège universitaire. 

Jérusalem, porte de Jaffa dans les années 1930

Chaque fois qu’ils venaient me rendre visite à Jérusalem, les pas de mes parents étaient comme attirés vers ce quartier, qui constitue le cœur de l’univers shaharien. C’est en effet rue du rav Kook que se situe la clinique du docteur Rabban (1), évoquée dans le Palais des vases brisés, et c’est rue d’Éthiopie que se trouvait la bibliothèque du Bnai-Brith où travaillait la jeune Nin-Gal (2). Quant à la rue des Prophètes, elle abritait la fameuse maison où habitait Gabriel, personnage central de la grande fresque shaharienne. On pouvait encore voir cette maison, il y a quelques années, avant qu’elle ne fut détruite pour laisser la place à un projet immobilier de luxe…

 

La maison de la rue des Prophètes est aussi celle où le narrateur de L’agent de sa Majesté a passé son enfance. Ce grand roman d’amour et de guerre, dont l’intrigue se déploie entre la Deuxième Guerre mondiale et la guerre de Kippour, ne fait pas partie du cycle romanesque du Palais des vases brisés, même si certains personnages apparaissent dans les deux. Mon père lut ce livre pour la première fois en juin 1983, après la publication de l’article de Jacqueline Piatier qui lui fit découvrir Shahar. L’exemplaire du livre aux pages jaunies porte encore les remarques au crayon faites par lui, au fil de ses lectures successives du roman (car il lisait et relisait les livres qu’il appréciait particulièrement).

 

Un grand roman t’oblige à t’expliquer avec toi-même ; il pose les vieilles questions dans un langage nouveau. Le romancier (du moins quand il a la noblesse d’un Shahar) est un ami qui te parle, mais en parlant, il est prêt à s’interrompre pour t’écouter”, notait ainsi mon père sur la dernière page de L’agent de sa Majesté. Quelles étaient ces “vieilles questions” que Shahar lui avait posées? Je l’ignore... Sans doute tournaient-elles autour des figures féminines, élément central du roman, et notamment celles de la mère de Reinhold et celle de Tamara Koren, l’inoubliable maîtresse du héros, Heinrich Reinhold, qui fut aussi la cause de sa trahison.

 

…………………...

Amoureux des livres de Shahar, mon père y avait aussi trouvé la confirmation de sa conception de la spécificité irréductible de l’être humain, au nom de laquelle il mena des joutes idéologiques contre certains de ses collègues scientifiques (3), qui étaient aussi obtus à cet égard que le “savant allemand ampoulé”, personnage de La Nuit des Idoles qui soutient l'inexistence de l'âme. « La science prouvait qu'il n'existait rien qui put s'appeler une "âme". L'âme n'existait pas ; elle n'était qu'une création des poètes, des fondateurs de religions, ou d'un certain genre de philosophes ». Cette conception païenne est rejetée avec force par David Shahar, qui récuse tout autant l'idée d'une âme totalement coupée du corps et de la matérialité du monde. 

 

Matérialisme obtus et spiritualisme désincarné : c'est entre ces deux conceptions également réductrices de la nature humaine que Shahar déploie sa vision d'un monde empli de poésie et de mystère, monde plein de formes, de couleurs, de lignes, de sens, d'odeurs, de sensations… On comprend mieux dès lors l'intérêt de Shahar pour la kabbale lurianique, inspirant le thème de la « brisure des vases » qui donne le titre à son œuvre maîtresse, Le Palais des Vases brisés. Dans l’univers de Shahar, outre le plaisir incommensurable de découvrir un très grand écrivain - que peu d’auteurs israéliens contemporains égalent - mon père avait ainsi trouvé un conteur de l’âme humaine, dans toute sa complexité et une réponse à certaines de ses préoccupations les plus vitales.

 Pierre Lurçat

 

Notes

1. Le personnage du Dr Rabban semble inspiré par la figure du Dr Albert Ticho, médecin bien connu de la Jérusalem à l’époque mandataire et époux de l’artiste Anna Ticho.

2. Voir Nin-Gal, Le Palais des vase brisés 4, Gallimard.

3. Voir notamment son article ”De l’homme neuronal aux neurosciences”, 

 1985. https://www.cairn.info/revue-commentaire-1985-3-page-880.htm

 

See comments

Le “fil invisible”: de la posture morale d’Amos Oz à l’imposture de la Cour pénale internationale, Pierre Lurçat

March 10 2021, 11:07am

Posted by Pierre Lurçat

 

Il y aurait beaucoup à dire sur la polémique née du livre publié par Galia Oz, fille de l’écrivain Amos Oz. Au-delà de l’aspect personnel et familial, qui ne m’intéresse guère et qui aurait mérité de demeurer dans l’ombre, c’est à un autre aspect, bien plus important à mes yeux, que je voudrais m’attacher ici. J’ai écrit dans ces colonnes ce que je pensais de l’autobiographie d’Oz, Une histoire d’amour et de ténèbres, son plus beau livre, qui est en réalité une “histoire d’amour trahi, de désamour et de ténèbres” (1) : ces qualificatifs pourraient tout aussi bien s’appliquer au livre de Galia Oz qu’à celui de son père. A cet égard, le “règlement de comptes” posthume de la fille envers son père n’est que le prolongement du règlement de comptes entre le père et ses propres parents.

 

 

Mais ce n’est pas de la famille Oz - ni même de l’illustre famille Klausner, dont Oz est le rejeton - qu’il est question ici, mais d’une question bien plus importante pour Israël; celle de la posture, et de l’imposture morale que cette affaire révèle au grand jour. Ce qui a en effet dû être insupportable pour Galia Oz, au point de lui faire porter sur la place publique ce qui aurait dû rester caché, c’est l’abîme incommensurable entre la figure intime du père qu’elle a connu, et celle de l’homme public que le monde entier pensait connaître.

 

Comme me le confiait récemment une amie appartenant à la génération de l’écrivain, celui-ci aimait “prendre la pose”. Il s’était entièrement pris au jeu du “grand écrivain” et avait troqué son indépendance d’esprit et sa rectitude morale contre les attraits (ir)résistibles de la “posture morale”, que les médias étrangers affectionnent particulièrement : celle des “intellectuels-israéliens-qui-critiquent-leur-gouvernement-et-leur-pays”. Du fameux triumvirat des écrivains porte-parole de La Paix Maintenant, David Grossmann, A.B. Yehoshua et Amos Oz, ce dernier était sans doute le plus visible. Il était omniprésent, depuis des décennies, dans les pages du Monde, du New York Times et des autres “grands” quotidiens de l’intelligentsia “progressiste” en Occident (2).

 

Un écrivain-poseur : Amoz Oz jeune



 

Ses attaques répétées contre la “colonisation”, les prétendus méfaits des “colons” en Judée-Samarie et des gouvernements israéliens (de droite comme de gauche) ne relevaient pas du débat intérieur à lsraël, tout à fait légitime. Car Oz et ses collègues avaient accepté depuis longtemps de porter ce débat sur la scène internationale, où leurs propos bénéficiaient d’une aura bien plus large qu’à l’intérieur des frontières de notre petit-grand pays. A cet égard, leur responsabilité est immense, car ils sont largement responsables de la délégitimation d’Israël dont nous voyons aujourd’hui l’aboutissement avec l’acte d’accusation porté contre l’Etat juif - devenu le “Juif des Etats” - devant la Cour pénale internationale… Un fil invisible relie en effet la dénonciation permanente des “colons” israéliens par Oz et l’acte d'accusation devant la Cour pénale internationale (3).

 

Amos Oz avait accepté de prendre la pose non seulement devant les micros et les caméras occidentaux, friands de critiques féroces contre le gouvernement d’Israël, mais aussi devant l’opinion publique internationale, aux yeux de laquelle il incarnait une prétendue “voix morale” israélienne.  Dans un petit livre paru il y a quelques années, intitulé La trahison des clercs d’Israël (4), j’ai voulu décrypter l’imposture que représente cette posture morale, par laquelle une poignée d’écrivains utilisent leur renommée littéraire pour diffuser leur discours politique critique, auquel ils doivent en fait une large partie de leur succès international. Cette imposture rejoint en fait celle de ces Juifs-renégats qui ont prétendu, durant notre longue histoire, tirer leur épingle du jeu, en se retournant contre leurs propres frères. De manière révélatrice, interrogé par le journal communiste L’Humanité lors de la parution de son livre Judas, Amos Oz répondait avec fanfaronnerie : “J’ai souvent été traité de traître dans ma vie. C’est un honneur” (5).

 

L’im-posture morale : Amos Oz participant à une cueillette d’olives 

 

C’est précisément contre cette im-posture que s’est élevée la fille de l’écrivain. Sa révolte - indépendamment même de son histoire personnelle - rejoint en fait celle des nombreux Israéliens contre lesquels Oz a adressé sa soi-disant critique “morale” durant des décennies. Alors que le rêve infantile de La Paix Maintenant s’est depuis longtemps effondré dans le fracas des attentats palestiniens et que la paix véritable s’instaure aujourd’hui, grâce à la politique clairvoyante du dirigeant auquel Oz avait réservé certaines de ses flèches les plus acérées, il est temps d’enterrer aussi le mensonge de la posture morale d’une certaine gauche israélienne et juive. Le soi-disant “camp de la paix” dont Amos Oz était une des icônes n’a apporté que le terrorisme et la guerre, et c’est le camp national qui nous apporte aujourd’hui une paix authentique, fondée sur le respect et la reconnaissance mutuelle, et non sur le mensonge et le renoncement (6).

Pierre Lurçat

 

Notes

(1) Voir “Comment Amos Klausner est devenu Amos Oz”, où j’écrivais notamment : “Le pacifisme politique d’un Amos Oz n’est pas seulement l’expression d’une aspiration à une paix utopique, mais aussi celle de l’attitude des membres d’une génération qui, croyant sacrifier les idoles de leurs parents, ont été emportés trop loin dans leur rejet, renvoyant pêle-mêle Ben Gourion et Jabotinsky, le Second Temple et la rédemption nationale, le kibboutz et les implantations, l’héroïsme des soldats et la juste cause du retour du peuple Juif sur sa terre. Histoire d’amour trahi, de désamour et de ténèbres”.

(2) On aura une petite idée de cet engouement médiatique en consultant le nombre d’émissions le concernant sur le site de France Culture.

(3) Tout comme un fil invisible relie les critiques de Grossmann contre la politique israélienne sur le dossier iranien et celles de l’écrivain allemand Gunther Grass, Cf, http://vudejerusalem.over-blog.com/2018/02/le-fil-invisible-entre-gunter-grass-et-david-grossman-pierre-itshak-lurcat.html

(4) La trahison des clercs d’Israël, La Maison d’édition 2016. J’emploie ici le terme de trahison au sens intellectuel, et non au sens du droit pénal.

(5) https://www.humanite.fr/amos-oz-disparition-dun-ecrivain-apotre-de-la-paix-665666

(6) Cf “Donald Trump, l’Amérique et l’identité d’Israël : une explication” http://vudejerusalem.over-blog.com/2020/11/donald-trump-l-amerique-et-l-identite-d-israel-une-explication-pierre-lurcat.html

Le livre La rédemption sociale, recueil de textes inédits en français de Vladimir Z. Jabotinsky qui vient de paraître, offre un aperçu des conceptions sociales originales du grand dirigeant sioniste, inspirées de la Bible, et méconnues du lecteur francophone. Outre leur intérêt historique, ces textes - qui présentent un visage très différent du fondateur de l’aile droite du mouvement sioniste - ont aussi un intérêt très actuel, les conceptions de Jabotinsky montrant la voie pour que la "Start-Up Nation" devienne aussi un pays où règneront la prospérité et la justice sociale pour tous.

La rédemption sociale: Éléments de philosophie sociale de la Bible hébraïque par [Vladimir Zeev Jabotinsky, Pierre Lurcat] 

Les textes ici publiés en français pour la première fois exposent les conceptions originales de Jabotinsky en matière sociale et économique, inspirées par la Bible hébraïque. La pensée économique et sociale de Jabotinsky n’est exposée de manière exhaustive et systématique dans aucun livre, ni même dans un recueil. On la trouve éparse dans quelques discours et articles, et notamment dans les Éléments de philosophie sociale de la Bible et dans L’idée du Yovel, qu’on lira ci-après. C’est dans la Bible hébraïque que Jabotinsky trouve le fondement de toute sa philosophie économique et sociale, qu’il résume dans la notion de Tikkoun Olam (réparation du monde).

Comme il l’explique, “Dieu a certes créé le monde tel qu’il est, mais que l’homme se garde bien de se satisfaire que le monde reste toujours “tel qu’il est” - car il est tenu de s’efforcer à tout moment de le perfectionner… car si Dieu y a laissé de si nombreuses lacunes - c’est précisément pour que l’homme lutte et aspire à la “réparation du monde”. L’idée de Tikkoun Olam trouve son application dans l’impératif de combattre la pauvreté, qui est à ses yeux non pas tant un mal inévitable qu’un mal inutile, qu’il incombe de faire disparaître en “réparant” le monde.

Le livre est disponible sur Amazon. Pour recevoir un service de presse, merci de m’écrire à pierre.lurcat@gmail.com



 

See comments

Le testament politique de Nathan Alterman (1910-1970) - l’écrivain-prophète d’Eretz-Israël

March 17 2020, 09:00am

Posted by Pierre Lurçat

 

1

Il n’existe aucune traduction en français de Nathan Alterman, le grand écrivain israélien mort à Tel-Aviv, il y a tout juste cinquante ans (1). Alterman avait pourtant un lien particulier avec la France, pays où il avait passé trois ans au début des années 1930, âgé d’une vingtaine d’années, tout d’abord à Paris, pour s’isoler et écrire loin du bruit et de la fureur des événements en Eretz-Israël, puis à Nancy, où il étudia l’agronomie. Comme d’autres villes universitaires françaises, Nancy attirait en effet alors de nombreux étudiants “palestiniens” (c’est-à-dire des Juifs venus d’Eretz-Israël), qui voulaient acquérir un métier d’avenir. Et l’avenir, à cette époque, c’était le travail de la terre.

 

Nathan Alterman (1910-1970)

 

Parmi les étudiants qui firent le même choix que Nathan Alterman, citons les noms d’Anya Jabotinsky, femme du grand dirigeant sioniste, qui étudia elle aussi à Nancy, et celui de la poétesse Rahel Blaustein, qui étudia l’agronomie à Toulouse. L’histoire de ces étudiants eretz-israéliens séjournant en France reste à écrire, tout comme celle de l’influence culturelle que la France a exercée sur plusieurs écrivains israéliens, parmi lesquels figurent notamment Yehoshua Kenaz, Amos Kenan ou encore David Shahar, le seul écrivain israélien dont une rue porte le nom en France (2). Comme d’autres écrivains israéliens francophiles, Alterman traduisit en hébreu plusieurs oeuvres importantes de la littérature française, comme L’Avare et Le Malade imaginaire de Molière, l’Antigone d’Anouilh et le Phèdre de Racine.

 

2

Le cinquantenaire de la disparition d’Alterman est l’occasion pour les journaux israéliens d’évoquer cette grande figure des lettres israéliennes, qui joua aussi un rôle significatif dans la vie politique et le débat idéologique, notamment après 1967, en s’engageant dans le “Mouvement pour l’intégrité de la Terre d’Israël”, fondé juste après la Guerre des Six Jours. Alterman fut une des chevilles ouvrières de ce mouvement auquel participèrent des écrivains aussi importants que Joseph Samuel Agnon (futur prix Nobel de littérature), Haïm Gouri, Haïm Azaz, Itshak Shalev, mais aussi Rachel Ben Tsvi-Yanaït (épouse du président de l’Etat Itshak Ben-Tsvi). Selon certaines sources, c’est lui qui rédigea le manifeste “pour l’intégrité de la terre d’Israël”, signé par 60 personnalités, qui fut publié à la veille de Rosh Hashana 1968, quelques mois après la fin de la guerre (3).


 

Alterman aux côtés de Moshé Dayan, 1948

 

On a peine à imaginer aujourd’hui que ce mouvement intellectuel en faveur du maintien de la présence juive en Judée-Samarie, sur le Golan et dans le Sinaï, qui réunissait la “crème” du monde des lettres israélien de l’époque, était constitué majoritairement par des hommes de la gauche sioniste, et non par des proches du Herout. Il comptait ainsi, outre les noms déjà mentionnés, ceux de Tsivia Lubetkin, combattante du ghetto de Varsovie et fondatrice du kibboutz Lohamei Hagettaot, de Moshé Tabenkin, membre du kibbutz Ein Harod dont le père, Itshak Tabenkin, était un fondateur et un des principaux idéologues du parti travailliste, et de nombreux autres représentants de la gauche sioniste et du mouvement kibboutzique. A leurs côtés se trouvaient aussi une poignée de membres de la droite sioniste, dont les écrivains Uri Zvi Greenberg, Moshé Shamir (membre de l’Hashomer Hatzaïr dans sa jeunesse, qui avait rejoint le Likoud) et l’idéologue du Lehi, Israël Eldad.


 

3

Comment et pourquoi Alterman, considéré comme la “voix intellectuelle” par excellence du sionisme travailliste, fut-il amené à s’engager en faveur “d’Eretz-Israël ha-shelema” (l’intégrité d’Eretz-Israël)? Les avis sur cette question divergent. Dan Laor, le biographe d’Alterman, observe à ce sujet que la guerre des Six Jours fut pour Alterman une véritable illumination. “Il vécut une véritable révolution intérieure, du jour au lendemain”, explique Laor. “Ce fut comme une illumination. La guerre ébranla les fondements de la terre, et en tant que poète et que sismographe, ressentant les courants souterrains traversant la société israélienne, il aboutit à une conclusion opposée à tout ce qu’il avait cru auparavant”.(4)  L’écrivain Moshé Shamir, lui aussi signataire du Manifeste, estime au contraire que l’engagement d’Alterman en faveur du “Grand Israël” s’inscrivait dans le droit fil de son engagement sioniste d’avant 1967. 


 

Au café Kankan de Tel-Aviv, années 1940. Alterman est le troisième en partant de la gauche


 

Plus importante est la question de savoir, cinquante ans après la naissance du Mouvement pour l’intégrité d’Eretz Israël, quelle a été sa postérité. A de nombreux égards, l’appel lancé par Alterman, Agnon et les autres signataires du manifeste s’est soldé par un échec apparent. Non seulement l’Etat d’Israël n’a pas écouté leur appel, en annexant la Judée, la Samarie et le Sinaï, mais il a au contraire adopté le paradigme trompeur des “territoires contre la paix”, en rejetant l’identification entre Eretz-Israël et “Medinat Israël” qu’Alterman avait célébrée. Si l’on examine, avec le recul du temps, les causes de cet échec apparent, il semble que certains des principaux responsables aient été les écrivains des générations suivantes,  comme Amos Oz, A.B. Yehoshua et David Grossman. Ce sont eux, les porte-parole de La Paix Maintenant, qui ont fait du renoncement au coeur de l’Israël biblique (au nom de la “paix”) leur principal cheval de bataille, avec le succès que l’on sait.

 

4

La comparaison entre Amos Oz et Alterman est révélatrice. Le premier, né Amos Klausner, a changé de nom de famille, comme pour effacer toute trace de l’éthos sioniste révisionniste de la famille de son père, et a poussé à son paroxysme l’attitude du rejet des racines, familiales et nationales. Son pacifisme politique n’exprimait pas seulement l’aspiration à une paix utopique - fondée sur un mensonge (celui du peuple palestinien) - mais aussi l’attitude d’une génération tout entière qui, croyant briser les idoles de ses parents, a sacrifié pêle-mêle Ben Gourion et Jabotinsky, le Second Temple et la rédemption nationale, le kibboutz et les implantations, l’héroïsme des soldats et la juste cause du retour du peuple juif sur sa terre. Histoire d’amour trahi, de désamour et de ténèbres (5).

 

Amos Oz, avec A.B. Yehoshua et David Grossman

 

Alterman, de son côté, a bâti toute son oeuvre sur la fidélité et l’attachement aux valeurs dans lesquelles il avait été élevé. Né à Varsovie en 1910, de parents issus de familles de hassidim de Habad, qui s’étaient s’éloignés de la pratique religieuse pour s’engager dans le mouvement sioniste, Nathan Alterman grandit et vécut avec ses parents et sa grand-mère, la rabbanit Sterna Leibovitz, jusqu’au décès de celle-ci. Du fait de sa présence, le foyer resta casher. “Sa grand-mère était pour Alterman le vestige d’un monde entier et d’une tradition que ses parents avaient quittée”, explique Laor, qui attache une grande importance à la présence de cette grand-mère maternelle dans le foyer familial de l’écrivain. De même, le critique Mordehaï Shalev, dans sa vaste étude consacrée au recueil La joie du pauvre d’Alterman et à la thématique essentielle du conflit entre sionisme et judaïsme, analyse la conviction ancrée chez celui-ci que le judaïsme l’emportera toujours en fin de compte (6).

 

L’attitude d’Alterman après 1967 est ainsi celle d’un homme qui a grandi dans le respect pour la tradition et dans l’éthos sioniste de la gauche, et qui y est resté attaché de manière indéfectible, même lorsque la gauche sioniste fut atteinte de la maladie du renoncement et du doute (maladie qu’il avait lui-même annoncée dans un poème fameux). “La renonciation volontaire [à la Judée-Samarie] est une chose cruelle et insensée, qu’aucune nation saine d’esprit n’aurait imaginée”, écrit-il en juin 1969. Et dans son article séminal, publié le 16 juin 1967 dans Ma’ariv, sous le titre “Face à une réalité sans précédent”, il écrit : “La victoire a supprimé toute différence entre l’Etat d’Israël et la Terre d’Israël. C’est la première fois, depuis la destruction du second Temple, que la terre d’Israël se trouve dans nos mains. L’Etat et la Terre font désormais un, et il ne manque plus que le peuple d’Israël, pour tisser le triple lien indissociable”.

 

La prophétie d’Alterman s’est réalisée depuis. Tout d’abord, avec l’alyah massive des Juifs d’URSS, qu’il avait annoncée et souhaitée. Puis, avec le peuplement de la Judée-Samarie, dont il avait été un des premiers à proclamer la nécessité. Il ne reste plus aujourd’hui, pour transformer l’échec apparent d’après 1967 en réussite et parachever la victoire miraculeuse des Six Jours de juin, qu’à annexer enfin les territoires libérés et à donner corps à l’identité entre l’Etat d’Israël et Eretz-Israël qu’Alterman avait prophétisée. Saurons-nous être à la hauteur du testament politique de l’écrivain? L’histoire reste encore à écrire.

Pierre Lurçat

 

Funérailles de Nathan Alterman. Au premier rang, Golda Meir, le rabbin Shlomo Goren et le président Zalman Shazar

 

(1) A l’exception de quelques poèmes dans des anthologies, que je n’ai pas recensés.

(2) A Dinard, ville où séjournait sa traductrice Madeleine Neige. J’aborde les liens entre les écrivains israéliens et la France ici, et dans mon livre Israël, le rêve inachevé, éditions de Paris/ Max Chaleil 2018.

(3) Selon Makor Rishon, dans le numéro spécial du supplément Dyokan consacré à N. Alterman, 13/3/2020. Je remercie M. Ben-Hayoun qui m’a transmis le manifeste.

(4) Roi Aharoni, “Les trois dernières années occultées d’Alterman”, Olam Katan 12/3/2020.

(5) La famille Klausner appartenait au “gratin” de l’aristocratie sioniste révisionniste. L’oncle d’Amos Oz, Yossef Klausner, était un historien réputé, spécialiste de l’histoire du Second Temple, rédacteur de l’Encyclopedia Hebraica et candidat à la présidence de l’Etat d’Israël en 1948. Voir notre article, “Comment Amos Klausner est devenu Amos Oz”. http://vudejerusalem.over-blog.com/2018/12/quand-amos-oz-s-appelait-encore-amos-klausner-une-histoire-de-des-amour-et-de-tenebres-pierre-lurcat.html

(6) Mordehai Shalev, Gonvim et ha-bessora, Kinneret, Zamora-Bitan, Dvir 2018.

See comments