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Conférence : Quelle démocratie pour Israël?

April 28 2023, 08:16am

Posted by Pierre Lurçat

Conférence : Quelle démocratie pour Israël?

J'aurai le plaisir de présenter mon nouveau livre, "Quelle démocratie pour Israël?", dimanche 30 avril à 19h30 (heure d'Israël) en Zoom (lien ci-dessous).

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Merci de vous connecter un peu avant pour être certain de pouvoir y assister (places limitées)

 

La violente polémique et les manifestations publiques incessantes suscitées depuis quelques mois en Israël par le projet de réforme judiciaire posent une question essentielle. Comment expliquer que des dizaines de milliers d’Israéliens manifestent en scandant « Démocratie ! », alors même que l’objectif affiché de la réforme judiciaire est précisément de renforcer la démocratie et l’équilibre des pouvoirs ? Il y a là, de toute évidence, deux conceptions opposées de la nature du régime démocratique.

Pour comprendre les enjeux de ce débat fondamental, il est nécessaire de revenir en arrière, aux débuts de la « Révolution constitutionnelle » menée par le juge Aharon Barak dans les années 1980 et 1990. C’est depuis lors que la Cour suprême s’est octroyée la compétence de dire le droit à la place du législateur, d’annuler les décisions du gouvernement et de l’administration, les nominations de fonctionnaires et de ministres et les décisions des commandants de l’armée, etc. Aucun domaine n’échappe plus à son contrôle omniprésent.

Dans son nouveau livre, Pierre Lurçat retrace l’histoire de cette Révolution passée inaperçue du grand public et explique les enjeux du projet de réforme actuel, en la replaçant dans son contexte historique. Il rappelle ainsi pourquoi Israël ne possède pas de Constitution et montre comment l’extension du domaine de la compétence de la Cour suprême a affaibli les pouvoirs exécutif et législatif, en la transformant de facto en premier pouvoir.

Replaçant la problématique israélienne dans un contexte plus vaste – celui de la montée en puissance d’un « gouvernement des juges » dans la plupart des pays occidentaux, il s’interroge également sur les causes profondes de l’engouement pour la notion d’un pouvoir des juges et du rejet concomitant de la démocratie représentative et du pouvoir politique en général.

Quelle démocratie pour Israël : Gouvernement du peuple ou gouvernement des juges? Editions L'éléphant 2023. Disponible sur Amazon, B.o.D et dans les bonnes librairies (sur commande).

Conférence : Quelle démocratie pour Israël?

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Yom Ha’Atsmaout 5783 : Retrouver le sens de la Mamlakhtiyout, Pierre Lurçat

April 23 2023, 09:14am

Posted by Pierre Lurcat

Yom Ha’Atsmaout 5783 : Retrouver le sens de la Mamlakhtiyout, Pierre Lurçat

 

Comme l’a écrit le professeur Israël Auman, qui fait partie de la « famille du deuil »[1], dans les colonnes de Makor Rishon, quelques jours avant le 5 Iyar 5783 – Jour de l’Indépendance – depuis les débuts de l’histoire de l’Etat d’Israël, « les dirigeants et les ministres de toutes tendances politiques ont pris part aux cérémonies du Yom Hazikaron (Jour du Souvenir) » et « les règles de la cérémonie ont été observées avec une constance officielle ». Ce dernier mot employé par Israël Auman est difficilement traduisible en français : « mamlakhti ». Le dictionnaire Larousse le traduit par « officiel » ou « étatique », mais aussi par « majestueux ».

 

Or c’est précisément ce concept difficilement traduisible qui est aujourd’hui menacé par le conflit intérieur qui divise Israël depuis quelques mois. Ainsi, quand le chef de l’opposition Yaïr Lapid annonce publiquement qu’il ne prendra pas part aux cérémonies du Jour de l’Indépendance, ou quand un groupe de familles endeuillées (qui ne représentent qu’une infime partie de la grande « famille du deuil », comme le rappelle le professeur Aumann) demandent aux hommes politiques (de la coalition) de s’abstenir de venir dans les cimetières le Jour du Souvenir, c’est la Mamlahktiyout qu’ils contestent et qu’ils foulent aux pieds.

 

Pour comprendre ce qui est en jeu dans cette dernière manche du conflit intérieur israélien, dont j’ai décrit depuis quelques semaines plusieurs aspects[2], je voudrais proposer plusieurs manières de traduire et d’expliquer le mot hébreu difficilement traduisible de « Mamlakhtiyout ». La première traduction, conforme à l’esprit de David Ben Gourion, qui parlait souvent de l’impératif de la Mamlakhtiyout – dont il avait fait un pilier de sa politique – est celle du « sens de l’Etat »[3]. Si le premier Premier ministre d’Israël l’utilisait souvent, c’est parce que cette notion était étrangère à l’éthos du peuple Juif en exil, habitué à vivre sous la souveraineté de peuples étrangers.

 

La deuxième traduction, moins littérale, est celle de « sens du bien commun ». La Mamlakhtiyout désigne en effet ce qui transcende tous les clivages politiques ou sociaux, et qui appartient à l’ensemble de la nation israélienne. Si les jours solennels du Yom Hazikaron et du Yom Ha’atsmaout sont emplis de cérémonie et de faste, c’est précisément parce qu’ils expriment ce qui dépasse tous les clivages – et ils sont nombreux – qui divisent la société israélienne. Devant les tombes de nos soldats et de nos civils tombés pour défendre notre pays ou victimes du terrorisme arabe, tous sont égaux, Juifs laïcs et religieux, druzes et bédouins, etc.

 

La troisième traduction, plus éloignée encore, pourrait être celle de « sens de la démocratie ». Paradoxalement, ceux qui manifestent depuis des mois en scandant « Démocratie ! » ont en effet oublié un des éléments fondateurs du régime démocratique, celui de la représentativité politique. En prétendant exclure des cérémonies du Yom Hazikaron les élus du peuple, qualifiés de manière péjorative de « politiciens » (comme si la fonction même d’homme politique était à leurs yeux entachée d’infamie !), ils contestent fait le fondement du régime démocratique, à savoir l’idée de représentation politique.

 

En effet, lorsqu’un ministre se rend au Mont Herzl le Jour du Souvenir ou le Jour de l’Indépendance, il ne le fait pas en tant que membre d’un parti politique, ni même en tant que représentant du gouvernement dont il fait partie stricto sensu. Il vient incarner, au nom du gouvernement, la volonté populaire (la fameuse Vox Populi), qui s’est exprimée lors des élections et qui a porté au pouvoir une certaine coalition. Celle-ci gouverne le pays en tant que représentante et que mandataire de l’ensemble du peuple et de la nation israélienne. C’est précisément cette notion – pourtant familière à tout Juif à travers le concept ancien de « shalia’h tsibbour ») – qui est aujourd’hui remise en cause par les opposants au gouvernement, lorsqu’ils prétendent interdire aux ministres de participer aux cérémonies des jours sacrés que nous allons vivre cette semaine.

 

Comme je le montre dans mon livre Quelle démocratie pour Israël ? qui paraît ces jours-ci, l’enjeu du débat actuel en Israël – débat qu’on retrouve ailleurs dans le monde démocratique – dépasse de loin la seule question de la réforme judiciaire, car il porte en fait sur la nature même du régime démocratique. Paradoxalement, les partisans d’un « gouvernement des juges », en Israël comme ailleurs, contestent en fait l’idée classique de la démocratie représentative et du pouvoir politique. Voilà, en quelques mots, l’enjeu fondamental de l’idée de Mamlakhtiyout qu’il s’agit de retrouver cette semaine, pendant les jours sacrés du Yom Hazikaron et du Yom Ha’Atsmaout.

Pierre Lurçat

 

N.B. Je donnerai une conférence en Zoom dimanche 30 avril à 19h30 sur le thème « Quelle démocratie pour Israël ».

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Mon livre Quelle démocratie pour Israël ? vient de paraître aux éditions L’éléphant. Il est disponible sur Amazon, B.o.D. et dans toutes les bonnes librairies.


Un livre politique qui se lit comme un roman policier”.

Liliane Messika, écrivain, Mabatim

 Dans ce petit livre très dense et très pédagogique, Pierre Lurçat nous éclaire sur la crise actuelle que traverse Israël”.

Evelyne Tschirhart, écrivain, Dreuz

On ne peut imaginer ouvrage plus clair et plus adéquat pour comprendre quel est l’enjeu de ce qui s’est passé dans le pays”.

Rav Kahn, Kountrass

 

 

 

[1] Son fils Shlomo est mort lors de l’opération « Paix en Galilée » en 1982.

[2] Voir ma série d’articles sur « Le conflit identitaire israélien ».

[3] Selon Danny Trom, c’est Ben Gourion qui aurait créé l’expression de Mamlakhtiyout, qu’il traduit par étatisme ou par sens civique.

Yom Ha’Atsmaout 5783 : Retrouver le sens de la Mamlakhtiyout, Pierre Lurçat

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Pourquoi Israël n’a-t-il pas de Constitution ? Pierre Lurçat

April 20 2023, 09:57am

Posted by Pierre Lurçat

Pourquoi Israël n’a-t-il pas de Constitution ? Pierre Lurçat

(Extrait de mon livre Quelle démocratie pour Israël? Gouvernement du peuple ou gouvernement des juges? Editions l’éléphant 2023).

            Afin de répondre à la question de savoir pourquoi Israël ne possède pas de Constitution, examinons tout d’abord ce qu’est une Constitution. Selon une définition répandue, elle est un ensemble de règles juridiques, qui ont pour objet de définir les institutions d’un État et leurs relations mutuelles. La Constitution est par ailleurs la règle suprême, en ce qu’elle se situe au sommet de la pyramide des normes juridiques de l’État. Cette définition ne suffit pas cependant à caractériser ce qui fait la spécificité de la Constitution.

            Celle-ci n’est en effet pas seulement un ensemble de règles et un échafaudage juridique. Elle exprime également un consensus sociétal minimal sur des questions fondamentales, qui reflète les valeurs communes d’une société et d’une nation, dont elle constitue ainsi la « carte d’identité ». Ce deuxième aspect de la définition d’une Constitution est crucial pour comprendre la situation particulière du droit constitutionnel en Israël.

            Israël possède en effet un ensemble de lois dites « fondamentales », dont il est habituel de considérer qu’elles ont une valeur supra-législative et – selon certains commentateurs – quasi-constitutionnelle. Mais Israël ne possède pas de véritable Constitution en bonne et due forme, telle que nous la connaissons en France. Les raisons de cette absence sont à la fois historiques et circonstancielles, comme nous allons le voir, mais aussi plus profondes[1]. Elles tiennent en effet à l’absence d‘un consensus minimal sur les valeurs communes et sur l’identité profonde de l’État d’Israël. Avant d’examiner ce dernier point, qui est essentiel, rappelons au préalable quelques étapes clés dans l’histoire constitutionnelle d’Israël.

La Déclaration d’Indépendance du 14 mai 1948 avait expressément prévu l’élection d’une Assemblée constituante. A cette époque, comme l’explique le professeur de droit israélien Claude Klein, l’idée d’une constitution formelle pour le nouvel État paraissait évidente aux yeux de certains[2]. Pourtant, de nombreux pays n’ont pas de constitution formelle écrite, et notamment l’Angleterre – premier pays d’Europe dans lequel les libertés publiques ont été protégées contre le despotisme du souverain – dont l’influence sur le système juridique israélien a été considérable.

L’éphémère Assemblée constituante israélienne

            Mais l’influence britannique était contrebalancée par celle d’autres pays. En effet, pour de nombreux dirigeants et penseurs sionistes, au premier rang desquels figure Theodor Herzl lui-même, les références principales en matière juridique et politique n’étaient pas celles des pays anglo-saxons, mais bien celle des pays de tradition juridique continentale, et principalement la France et l’Allemagne. L’expérience constitutionnelle de la IIIe République française était ainsi bien connue de plusieurs législateurs israéliens, et elle avait fortement influencé le fondateur du sionisme politique, qui avait assisté en tant que correspondant étranger aux débats parlementaires français entre 1892 et 1895[3].

            Aux termes de la Déclaration d’Indépendance de 1948, l’Assemblée constituante devait donc être élue dans les quatre mois, c’est-à-dire le 1er octobre 1948 au plus tard, et entamer sans tarder l’élaboration d’une Constitution pour l’État d’Israël. Mais les circonstances historiques – l’offensive conjointe de cinq armées arabes contre le jeune État juif – perturbèrent ce programme. L’Assemblée constituante ne fut élue que le 25 janvier 1949, à l’issue de la Guerre d’Indépendance. Elle commença à siéger le 16 février et adopta la dénomination de « première Knesset ». De fait, elle n’allait jamais achever sa tâche constitutionnelle.

Ce n’est qu’en 2003 que la dix-septième Knesset reprit le travail entamé par l’Assemblée constituante en lançant le projet d’une « Constitution adoptée par consensus»[4]. Les raisons de cet ajournement de plus d’un demi-siècle sont multiples. Selon une explication communément admise, qui ne reflète qu’un aspect de la réalité, Ben Gourion aurait renoncé au projet de Constitution sous la pression des partis religieux, hostiles par principe à toute Constitution laïque. Comme le déclara le député du parti juif orthodoxe Agoudath Israël, M. Loewenstein, « nous considérons l’adoption d’une Constitution laïque comme une tentative de divorcer d’avec notre Sainte Torah[5] ».

            Outre ce conflit évident entre la conception laïque de la Constitution et la vision du monde juive orthodoxe, d’autres aspects tout aussi importants étaient également sujets à controverse : ainsi, fallait-il que la future Constitution sanctifie le droit à la propriété privée, à l’instar de la Constitution américaine, ou au contraire qu’elle privilégie les valeurs de la propriété collective ? Sur ce point essentiel, la société et l’échiquier politique israélien étaient tout aussi divisés à l’époque entre une gauche sioniste socialiste et une droite d’inspiration libérale.

L’esprit de compromis de Ben Gourion et la résolution Harari

            En réalité, David Ben Gourion a adopté en la matière une politique de temporisation, qu’il a ainsi justifiée dans son livre La vision et le chemin: « Sauver la nation et préserver son indépendance et sa sécurité prime sur tout idéal religieux ou antireligieux. Il est nécessaire, dans cette période où nous posons les fondations de l'État, que des hommes obéissant à des préoccupations et à des principes différents travaillent ensemble... en s'efforçant de rassembler le peuple sur sa terre... et, lorsque l'heure viendra, la nation rassemblée décidera de ces grandes questions. D'ici là, nous devons tous faire montre d'un sage esprit de compromis sur tous les problèmes économiques, religieux, politiques et constitutionnels qui peuvent supporter d'être différés [6] ».

 

            Nous verrons comment cet esprit de compromis a laissé la place à un esprit partisan, avec la « Révolution constitutionnelle » du juge Aharon Barak. Il convient de remarquer à ce sujet que, selon certains analystes de la vie politique israélienne, la véritable raison du revirement de Ben Gourion était précisément sa crainte – prémonitoire – de voir le pouvoir politique trop soumis au contrôle des juges...[7] Ben Gourion avait ainsi déclaré en 1950 devant la Knesset : « Le juge ne fait pas de lois, il ne les invalide pas, parce que le juge, comme tout autre citoyen du pays, est soumis à la loi [8]». Quoi qu'il en soit, c'est dans ce contexte politique de temporisation que la première Knesset fut dissoute en 1951, sans avoir adopté de Constitution.


[1] Sujet abordé par Danny Trom dans son livre L’État de l’exil - Israël, les Juifs, l’Europe, PUF 2023.

[2] Claude Klein, Le droit israélien, PUF 1990.

[3] Comme en témoigne son livre Palais Bourbon, tableau de la vie parlementaire française, éd. de l’Aube 1998.

[4] “Projet de Constitution par large consensus” de la Commission des Lois de la Knesset, voir http://www.knesset.gov.il/huka/

[5] Actes de la Knesset, 7.2.1950, cité par A. Avi-Hai, Ben Gourion bâtisseur d’État, Albin Michel 1988, p. 120.

[6] Hazon ve-Derekh, vol. 3 p.57, cité par A. Avi-Hai, op. cit. Cet esprit de compromis de Ben Gourion en matière religieuse et constitutionnelle est d'autant plus remarquable qu'il avait manifesté auparavant un esprit totalement opposé, notamment lors de l'affaire de l'Altalena, en livrant aux Anglais des membres de l'Irgoun et du Lehi (organisations clandestines dissidentes) et en faisant tirer sur le bateau d’armes affrété par Menahem Begin.

[7] Claude Klein, Le droit israélien, op. cit. p. 38.

[8] David Ben Gourion, 20.2.1950, 17e session de la Première Knesset.

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Un livre politique qui se lit comme un roman policier”.

Liliane Messika, écrivain Mabatim

 

Dans ce petit livre très dense et très pédagogique, Pierre Lurçat nous éclaire sur la crise actuelle que traverse Israël”.

Evelyne Tschirhart, écrivain

 

On ne peut imaginer ouvrage plus clair et plus adéquat pour comprendre quel est l’enjeu de ce qui s’est passé dans le pays”.

Rav Kahn, Kountrass

 

Un ouvrage court et très agréable à lire”.

Bernard Abouaf, journaliste, Radio Shalom

 

Le livre à lire impérativement pour comprendre le projet de réforme judiciaire en Israël”.

Albert Lévy, chef d’entreprise Amazon

Pourquoi Israël n’a-t-il pas de Constitution ? Pierre Lurçat

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Meir Shalev contre le stéréotype de « l’écrivain engagé »

April 16 2023, 10:26am

Posted by Pierre Lurçat

Meir Shalev contre le stéréotype de « l’écrivain engagé »

En hommage à l'écrivain disparu à la veille du dernier jour de Pessah, je republie ici ces lignes extraites de mon livre La trahison des clercs d'Israël. P.L

 

Dans une interview donnée il y a quelques semaines au journal Olam Katan, publié à Jérusalem, l’écrivain Meir Shalev déclarait : « La littérature n’a plus aujourd’hui d’influence sur la politique en Israël ». Avec franchise, il reconnaît ainsi que son activité de publiciste et les articles qu’il publie dans Yediot Aharonot depuis plus de 25 ans ne convainquent que les convaincus, et qu’il n’exerce aucun « magistère moral », brisant ainsi le stéréotype de l’écrivain israélien engagé, que les médias ont bâti depuis plusieurs décennies autour de certains auteurs, parmi lesquels Amos Oz, A.B. Yehoshua et David Grossman.

 

Meir Shalev est né en 1948 à Nahalal, fameux moshav de la vallée de Jezréel où habita Moshé Dayan et où étudia la poétesse Hanna Senesh, tragiquement disparue pendant la Deuxième Guerre mondiale. Shalev appartient à une famille d’écrivains : son père, Itshak Shalev, était un poète et sa cousine est l’écrivain Zeruya Shalev, qui m’avait déclaré dans une interview il y a quelques années ne pas vouloir mêler la politique et la littérature et dont l’œuvre explore surtout les territoires de l’âme humaine*.

Shalev est un écrivain engagé qui s’exprime régulièrement sur les sujets brûlants de la politique israélienne, revendiquant des opinions de gauche très marquées sur la question des territoires et de la question palestinienne. A cet égard, il est très éloigné des idéaux de son père, qui faisait partie du Mouvement pour l’Intégrité de la Terre d’Israël, aux côtés des écrivains Nathan Alterman et Moshé Shamir (lequel n’a pratiquement pas été traduit en français).


A l’instar d’Amos Oz, qui appartenait à une famille sioniste révisionniste (son oncle était l’historien Joseph Klauzner, comme il l’évoque dans son beau livre autobiographique, Une histoire d’amour et de ténèbres), Shalev a effectué un virage à 180 degrés par rapport à la génération de ses parents. Paradoxalement, les écrivains de la génération des pères (Shalev père, Alterman) exerçaient, eux, une véritable influence politique en Israël.

Comme le reconnaît Shalev, « Lorsqu’Alterman publiait un poème politique, tant Ben Gourion que Moshé Dayan étaient influencés par ce qu’il écrivait… Lorsqu’il a publié des propos critiques contre des soldats qui avaient attaqué des civils, les coupables ont été punis… » Cet exemple est révélateur, parce qu’il contient sans doute une raison de la perte d’influence des écrivains israéliens sur la politique intérieure du pays.


Quand Alterman s’élève contre un acte de violence à l’encontre de civils commis par des soldats, il exerce son autorité morale, sans remettre en cause les prérogatives de l’armée, au nom du principe de « pureté des armes » inhérent à l’éthos sioniste de son époque. Tout autre est l’attitude d’Amos Oz ou de D. Grossman, lorsqu’ils se servent de leur notoriété politique pour exprimer des opinions critiques contre « l’occupation des territoires » ou la « colonisation » ; loin de renforcer la moralité de Tsahal en dénonçant d’éventuels dérapages (qui existent dans toutes les armées du monde), ils partent du postulat que toute action militaire israélienne est suspecte a priori et que « l’occupation » corrompt l’armée et la société dans son ensemble depuis 1967.

La position assumée aujourd’hui par plusieurs écrivains israéliens, parmi les plus réputés en dehors d’Israël ressemble, de l’avis de Shalev, à celle des prophètes face au pouvoir politique dans la Bible. Or, « même à l’époque du Tanakh », écrit-il, « rares étaient les prophètes qui avaient une influence véritable… En général, le prophète occupe, à l’instar de l’écrivain, le rôle de l’opposant systématique… ». Le propos de Shalev infirme l’idée – trop souvent entendue – selon laquelle l’écrivain aurait quelque chose à dire sur les questions politiques, en tant qu’autorité morale incontestable. Aux yeux de Shalev, l’écrivain israélien n’assume aujourd’hui aucun magistère ; il a le droit de s’exprimer mais il prend le risque de ne pas être entendu et de parler dans le désert…


En vérité, si l’on poursuit la comparaison judicieuse faite par Shalev, les écrivains israéliens les plus adulés par les médias étrangers, en raison de leurs opinions politiques tout autant que pour leur œuvre littéraire, sont considérés comme des « prophètes » en dehors d’Israël, mais pas dans leur pays natal, où leurs opinions n’étonnent – et n’intéressent – presque plus personne… Comme dit le proverbe, Nul n’est prophète en son pays…


Au-delà des opinions politiques qu’il défend dans cette interview, Shalev exprime aussi son amour pour la langue hébraïque et pour le Tanakh. Extraits : « Je considère [la Bible hébraïque] comme le fondement de la culture à laquelle j’appartiens et de la langue dans laquelle j’écris. En outre, une des caractéristiques littéraires marquantes de la Bible est qu’elle ne s’aventure pas dans des descriptions psychologiques, comme celle dont la littérature moderne est friande. Elle ne décrit presque que des actes et des paroles… »

(Extrait de mon livre La trahison des clercs d'Israël, La Maison d'édition 2016)

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J'ai le plaisir d'annoncer la parution de mon nouveau livre, Quelle démocratie pour Israël : gouvernement du peuple ou gouvernement des juges? Editions L’éléphant 2023.

 

Un ouvrage de droit qui se lit comme un roman policier

Liliane Messika

 

Le livre à lire impérativement pour comprendre le projet de réforme judiciaire en Israël

Albert Lévy

 
Meir Shalev contre le stéréotype de « l’écrivain engagé »

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Le conflit identitaire israélien (VI) : Fondamentalisme juridique contre démocratie juive?

April 10 2023, 16:48pm

Posted by Pierre Lurçat

Le conflit identitaire israélien (VI) :  Fondamentalisme juridique contre démocratie juive?

Les visuels utilisés dans les manifestations contre la réforme judiciaire, tout comme la distribution de “Haggadot” alternatives (comme la “Haggada de la protestation”) indiquent que l’opposition au gouvernement n’est pas seulement politique, mais qu’elle prend des apparences quasi-religieuses. Comme souvent dans l’histoire du peuple Juif, l’opposition au judaïsme revêt ainsi la forme d’une nouvelle religion, ou tout au moins d’une nouvelle forme de judaïsme. Dans les pages qui suivent, extraites de mon nouveau livre, je montre comment le juge Aharon Barak a fondé sa “Révolution constitutionnelle” sur une conception quasi-religieuse du droit. P.L.

 

                    Cette vision totalitaire d’un droit omniprésent procède en fait, comme l’ont fait remarquer plusieurs observateurs, d’un esprit révolutionnaire et quasiment religieux. Ainsi, pour le juge Menahem Elon, spécialiste du droit hébraïque qui a longtemps été l’adversaire le plus résolu d’Aharon Barak au sein de la Cour suprême : « Il n’existe pas aux yeux de A. Barak de vide juridique, et toute action que nous menons comporte selon lui un aspect juridique. Cette conception correspond à une vision du monde religieuse, et non à une conception juridique. L’expression employée par Barak, “Le monde entier est empli de droit”, est calquée sur l’expression de la prière juive, “Le monde entier est empli de Sa gloire”. Selon Barak, le système judiciaire présente un caractère religieux, qui intègre toute l’expérience humaine [1]».

                    L’appréciation de Menahem Elon est confirmée par Aharon Barak lui-même, qui a confié à l’avocat Yaakov Weinroth qu’il se considérait comme un homme possédant un « sentiment intérieur religieux très profond ». Et de fait, commente Weinroth, « le droit occupe chez lui un statut tellement central, que cela fait penser au comportement d’un homme très religieux[2] ». Aryeh Edrei, professeur de droit à l’université de Tel-Aviv, aboutit lui aussi à la même conclusion que Weinroth, en établissant une comparaison saisissante entre la conception du droit omniprésent du juge Aharon Barak et celle de la halakha (loi juive) développée par le parti juif orthodoxe Agoudath Israël au début du vingtième siècle, à travers la notion de « Daat Torah[3] », littéralement l’avis de la Torah.

 

                    Ce dernier, explique Edrei, a ainsi étendu le champ d’application de la halakha, en considérant que les Sages de la Torah avaient leur mot à dire sur toutes sortes de questions qui ne relèvent pas à première vue du domaine de la loi juive, comme l’économie ou la politique. La loi juive se préoccupe en effet traditionnellement de dire ce qui est obligatoire (commandements positifs) et ce qui est interdit (commandements négatifs). Mais il subsiste entre les deux un immense domaine dans lequel la loi juive n’a rien à dire et qui relève entièrement de la liberté individuelle.

C’est cette conception traditionnelle que la notion de « Daat Torah » a remis en question, en élargissant considérablement le « domaine de compétence » de la loi juive au sein du public représenté par l’Agoudath Israël. Or, poursuit Edrei, c’est la même démarche qui a guidé le juge Barak, dans le domaine du droit israélien. Ainsi, conclut-il, « on peut décrire le conflit actuel en Israël comme opposant deux organes qui s’affrontent au nom de doctrines étonnamment similaires. D’un côté, le “Daat Torah” du “Conseil des Sages de la Torah”, et de l’autre, la Cour suprême et sa doctrine de tout est justiciable ». Cette notion d’un droit « religieux », aussi étonnante qu’elle puisse paraître à première vue, est en fait assez courante dans le monde contemporain, comme l’explique Menahem Mautner, ancien doyen de la faculté de droit de Tel-Aviv.

Un « fondamentalisme juridique »

Dans son livre Le déclin du formalisme et l’essor des valeurs dans le droit israélien, Mautner établit ainsi une comparaison entre le droit aujourd’hui et l’église dans la société catholique autrefois. « Le droit dans les sociétés laïcisées, écrit-il, remplit la même fonction que remplissait l’église dans les sociétés religieuses ». Selon Mautner, le conflit culturel interne à Israël n’est plus ainsi, comme on le décrit souvent, un conflit entre les tenants du « fondamentalisme religieux » et les partisans d’une démocratie laïque et éclairée. Il est devenu ces dernières décennies un conflit entre deux fondamentalismes : un « fondamentalisme religieux » et un « fondamentalisme juridique » laïc.

C’est bien une telle vision fondamentaliste et quasi-religieuse du droit qui a permis au juge Barak de remodeler le système démocratique israélien, en plaçant le juge au-dessus des lois, de la Knesset et du gouvernement. Dans sa vision, en effet, le juge ne fait pas partie du commun des mortels (auquel il a fait référence dans une maxime célèbre, en utilisant le nom de famille Bouzaglou). Il est de par sa fonction le seul habilité à lire, à interpréter et même à modifier la loi. Dans une telle conception, le peuple lui-même perd toute légitimité. Seule la loi est légitime.

Mais, à la différence de la Loi du Sinaï – qui a été donnée au peuple tout entier et que celui-ci est capable de comprendre et d’appliquer – aux yeux d’Aharon Barak, le juge est seul compétent pour comprendre la loi et la “dire” au peuple ignorant. Le juge est véritablement créateur de droit et il a le dernier mot en matière d’interprétation, d’application de la loi et même en matière de législation. En effet, la Cour suprême israélienne s’est arrogée lors de la Révolution constitutionnelle le pouvoir exorbitant (qui ne lui a jamais été conféré légalement) d’annuler toute loi de la Knesset, y compris des Lois fondamentales.

                    Dans la conception classique de la démocratie, la loi exprime la volonté populaire (Vox populi) et la souveraineté du peuple. Aux yeux d’Aharon Barak, au contraire, la loi reste l’apanage d’une minorité « éclairée », seule habilitée à la comprendre et à l’interpréter. C’est au moyen du concept de « public éclairé » qu’il a forgé que Barak interprète la loi dans ses jugements, et qu’il revendique pour la Cour suprême et pour lui-même un statut totalement inédit dans une démocratie, celui de « juge éclairé » créateur de droit. (Dans une interview récente à la chaîne de télévision israélienne Kan 11, Aharon Barak a déclaré regretter avoir employé l’expression de « public éclairé » et celle de « Révolution constitutionnelle »)[4].

                    Pour décrire la conception bien particulière du juge et de la démocratie d’Aharon Barak, telle qu’elle est exposée notamment dans son livre Le rôle du juge en démocratie[5], le juge américain Richard Posner a employé l’expression de « despote éclairé[6] ». C’est en effet un juge « éclairé » aux pouvoirs quasi-despotiques que décrit Barak dans ses écrits théoriques et qu’il appelle de ses vœux. Et c’est bien en « despote éclairé » qu’il s’est comporté, en mettant en application la Révolution constitutionnelle qu’il avait patiemment théorisée bien des années avant 1992. Cette révolution qui a bouleversé l’équilibre des pouvoirs en Israël est ainsi, dans une très large mesure, l’œuvre d’un seul homme.

Pierre Lurçat

Extrait de mon nouveau livre, Quelle démocratie pour Israël : gouvernement du peuple ou gouvernement des juges? Editions L’éléphant 2023.

 

Un ouvrage de droit qui se lit comme un roman policier

Liliane Messika

 

Le livre à lire impérativement pour comprendre le projet de réforme judiciaire en Israël

Albert Lévy


1. Menahem Elon, cité par A. Bendor et Z. Segal, The Hat Maker [hébreu], Kinneret Zmora-Bitan 2009.

2. Cité par Naomi Levitsky, Kevodo (Your Honor), Keter 2001, p. 233.

3. Aryeh Edrei, « Le conseil des Grands de la justice », Makor Rishon 10.3.23, supplément Shabbat.

4. "Rencontre avec Roni Koban », 13.2.23, אהרן ברק | כאן (kan.org.il)

5. The Judge in a Democracy, Princeton University Press 2006.

6. R. Posner, « Enlightened Despot », The New Republic 23.4.2007.

 

Le conflit identitaire israélien (VI) :  Fondamentalisme juridique contre démocratie juive?

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COMMUNIQUÉ - Parution du livre “Quelle Démocratie pour Israël ?”

April 4 2023, 13:24pm

Posted by Pierre Lurçat

COMMUNIQUÉ - Parution du livre “Quelle Démocratie pour Israël ?”

J'ai présenté mon livre dans le cadre d'une conférence donnée par Raison Garder

La violente polémique et les manifestations publiques incessantes suscitées depuis quelques mois en Israël par le projet de réforme judiciaire posent une question essentielle. Comment expliquer que des dizaines de milliers d’Israéliens manifestent en scandant « Démocratie ! », alors même que l’objectif affiché de la réforme judiciaire est précisément de renforcer la démocratie et l’équilibre des pouvoirs ? Il y a là, de toute évidence, deux conceptions opposées de la nature du régime démocratique.

Pour comprendre les enjeux de ce débat fondamental, il est nécessaire de revenir en arrière, aux débuts de la « Révolution constitutionnelle » menée par le juge Aharon Barak dans les années 1980 et 1990. C’est depuis lors que la Cour suprême s’est octroyée la compétence de dire le droit à la place du législateur, d’annuler les décisions du gouvernement et de l’administration, les nominations de fonctionnaires et de ministres et les décisions des commandants de l’armée, etc. Aucun domaine n’échappe plus à son contrôle omniprésent.

Dans son nouveau livre, Pierre Lurçat retrace l’histoire de cette Révolution passée inaperçue du grand public et explique les enjeux du projet de réforme actuel, en la replaçant dans son contexte historique. Il rappelle ainsi pourquoi Israël ne possède pas de Constitution et montre comment l’extension du domaine de la compétence de la Cour suprême a affaibli les pouvoirs exécutif et législatif, en la transformant de facto en premier pouvoir.

Replaçant la problématique israélienne dans un contexte plus vaste – celui de la montée en puissance d’un « gouvernement des juges » dans la plupart des pays occidentaux, il s’interroge également sur les causes profondes de l’engouement pour la notion d’un pouvoir des juges et du rejet concomitant de la démocratie représentative et du pouvoir politique en général.

Quelle démocratie pour Israël : Gouvernement du peuple ou gouvernement des juges? Editions L'éléphant 2023. Disponible sur Amazon et bientôt dans les librairies françaises d'Israël.

L’auteur

Né à Princeton, Pierre Lurçat a grandi à Paris et vit à Jérusalem. Il a publié plusieurs essais, parmi lesquels des Préceptes tirés de la sagesse juive (Presses du Chatelet), Israël, le rêve inachevé (éditions de Paris), et Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain (éditions L’éléphant). Il a fondé en 2021 la Bibliothèque sioniste, qui vise à mettre à la portée du lectorat francophone les grands textes des fondateurs du mouvement sioniste et dirigeants de l’Etat d’Israël.

 

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