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Oublier Amalek ? Israël et la question du mal après le 7 octobre (II) : De l’indignation à l’indifférence

April 2 2024, 07:38am

Posted by Pierre Lurçat

Funérailles de victimes du pogrom de Hébron, 1929

Funérailles de victimes du pogrom de Hébron, 1929

 

“Il y a pire qu’une âme perverse, c’est une âme habituée”.

Charles Péguy

 

« Terriblement désespérée, moralement abattue, je me sentais absolument incapable d’accepter l’idée que je venais de vivre un pogrome en terre d’Israël… J’en avais vu de nombreux dans ma ville natale de Bialystok, et à Varsovie et à Siedlce ; mais un pogrome qui se déroulait ici, en Eretz-Israël ? Comment était-ce possible ? Il ne pouvait rien arriver de pire ! C’était le massacre de nos rêves et de nos espoirs, le massacre de nos années d’efforts et du mouvement sioniste dans son intégralité que ce pogrome… »

 

Puah Rakovski

Lire la première partie : Oublier Amalek? Israël et la question du mal après le 7 octobre, Pierre Lurçat - VudeJerusalem.over-blog.com

Dans son beau livre autobiographique, la militante sioniste et féministe Puah Rakovski raconte le sentiment d'effroi et de désespoir qu'elle a éprouvé lors des pogroms antijuifs des années 1920 en Eretz Israël. A ses yeux, il était impensable de revivre dans son pays d'adoption ce qu'elle avait vécu dans sa Russie natale. Le plus terrible à ses yeux était l'idée que le destin juif puisse se répéter dans le nouveau pays où s'édifiait un « Nouveau Juif », capable de se défendre et de contre-attaquer.

 

L'histoire des cent dernières années n'a fait que confirmer le regard désabusé porté par Rakovski sur les pogroms de 1921, auxquels l'historiographie sioniste a donné le nom très significatif d'« événements de 1921 »… Incapable de transformer radicalement le destin juif, le Yishouv a cru dissimuler cet échec, en inventant un euphémisme pour désigner les pogroms commis par les Arabes en Eretz Israël. L'indignation ressentie par la militante sioniste fraîchement débarquée dans le pays « ancien nouveau » a malheureusement fait place depuis lors à un sentiment tout autre, qu'on peut difficilement qualifier autrement qu'une forme d'habitude et même d'indifférence.

 

Pour avoir vécu en Israël depuis l'époque des funestes accords d'Oslo, il y a trente ans, je peux témoigner que les attentats horribles qui n'ont jamais vraiment cessé depuis lors ont été de plus en plus accueillis avec un sentiment de lassitude et de fatalisme, comme si la majorité du peuple d'Israël n'était plus capable de comprendre la signification du slogan resté depuis lors toujours actuel, hélas : « dam yehudi eyno hefker » (le sang juif ne coulera pas en vain). Il aura donc fallu le choc incommensurable du 7 octobre pour que la société israélienne dans son ensemble se réveille de sa torpeur et comprenne qu'il n'est pas possible de vivre derrière une barrière, avec des ennemis assoiffés de sang juif de l'autre côté !

 

De ce point de vue, le réveil de l'après 7 octobre aura été douloureux, mais salutaire. L'accoutumance au terrorisme à laquelle avaient conduit des décennies d'attentats meurtriers était en effet devenue une situation intenable et un piège mortel… A force de croire que le mal de la terreur arabe était inévitable, qu'il n'était pas plus grave que la neige en hiver ou que les accidents de la route, nous avions fini par ne plus comprendre ce qu'il signifiait et quelles pouvaient être ses conséquences.

 

Pour illustrer l'erreur conceptuelle dans laquelle l'État d'Israël et ses élites s'étaient largement enfermés avant le 7 octobre, je citerai un rabbin israélien connu, qui expliquait au micro de la radio de l'armée, il y a tout juste un an, à l'occasion de la fête de Pourim, que la notion d'Amalek était purement spirituelle et n'avait rien à voir avec l'actualité et qui mettait en garde les auditeurs – avec l'approbation enthousiaste du présentateur de l'émission – contre le soi-disant « danger » de confondre Amalek avec les Palestiniens..

 

De tels propos étaient répandus avant le 7 octobre, et on pouvait penser en écoutant ce genre de discours convenu que le rôle des rabbins était d'enseigner à leurs ouailles comment oublier Amalek, tout comme des générations de rabbins en galout avaient enseigné que Jérusalem était une notion spirituelle et qu'on devait faire de tout lieu sur la terre une petite Jérusalem… en oubliant la Jérusalem authentique. (A suivre...)

P. Lurçat

 

NB. Mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain vient d’être réédité aux éditions B.O.D. et peut désormais être commandé dans toutes les librairies.

 

 

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