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Face aux ONG – cheval de Troie de pays étrangers :Pourquoi la réforme judiciaire est-elle essentielle pour rétablir la souveraineté israélienne ?

May 31 2023, 07:14am

Posted by Pierre Lurçat

Face aux ONG – cheval de Troie de pays étrangers :Pourquoi la réforme judiciaire est-elle essentielle pour rétablir la souveraineté israélienne ?

 

La reculade du gouvernement israélien sur la loi pour lutter contre les ONG étrangères antisionistes met sur le devant de la scène la question cruciale de la souveraineté de l’Etat d’Israël, face aux menées subversives de l’Union européenne, des Etats-Unis et d’autres acteurs menant une politique hostile à Israël, par le biais d’un bataillon d’ONG qu’ils financent. Or cette question est étroitement liée à celle de la réforme judiciaire et de la Cour suprême.

 

C’est en effet cette dernière qui, en ouvrant ses portes aux ONG antisionistes dans les années 1990, a permis à celles-ci de devenir un véritable Cheval de Troie et un acteur hostile au sein même de la société et de la vie publique israéliennes. Dans les lignes suivantes, extraites de mon livre Quelle démocratie pour Israël ?, j’explique comment est apparu le “contentieux anti-israélien” devant la Cour suprême, de manière concomitante à l’extension de son domaine de compétence :

 

« Nous allons illustrer par quelques exemples cette extension du domaine de compétence de la Cour suprême théorisée et mise en œuvre par le juge Barak. Dès lors que la distinction entre domaine justiciable et domaine non justiciable et que la séparation entre droit et politique ont été abolies, la Cour suprême est intervenue de manière grandissante dans quasiment tous les domaines de la vie publique : État et religion, éducation, politique étrangère et sécurité, nominations de haut-fonctionnaires et de ministres, etc. On aurait peine à trouver un seul domaine dans lequel elle n’intervient pas aujourd’hui.

En ouvrant largement ses portes à des acteurs hostiles à Israël et à des ONG souvent financées par des pays étrangers – promouvant un agenda « progressiste » et antisioniste plus ou moins radical – la Cour suprême a permis l’émergence d’un « contentieux anti-israélien », qui représente aujourd’hui une part importante de son activité.

A titre d’exemples de ce contentieux, citons notamment les recours formés régulièrement contre les décisions de l’échelon sécuritaire et militaire en matière de lutte contre le terrorisme, telles que les destructions des maisons des terroristes (mesure qui remonte en fait à la période de Mandat britannique), les « assassinats ciblés » de chefs terroristes, les procédures militaires telles que la « procédure du voisin » et d’autres décisions prises par Tsahal, y compris en temps de guerre[1].

Des ONG telles que B’Tselem, Adalah ou le « Comité contre la destruction de maisons » se sont ainsi spécialisées dans le dépôt de recours récurrents devant la Cour suprême pour contester les décisions de l’armée israélienne. De ce fait, l’armée a dû parfois modifier celles-ci sur des sujets aussi cruciaux que le choix des cibles militaires pendant les opérations contre le Hamas à Gaza, ou le tracé de la barrière de sécurité protégeant le territoire israélien contre les intrusions de terroristes.

Un autre arrêt très remarqué a été l’arrêt Qa’adan de 1995[2]. Dans cette affaire emblématique, un requérant arabe de Galilée, soutenu par l’Association des droits civiques, a contesté devant la Cour suprême le refus de l’Agence juive de laisser sa famille s’installer dans le village de Qatzir, construit par l’Agence juive. Dans sa décision, le juge Barak a expliqué que « l’État n’est pas en droit d’allouer des terres publiques à l’Agence juive en vue d’y construire un village sur une base discriminatoire entre Juifs et Arabes ».

Ce faisant, la Cour suprême déclarait « illégale » la politique d’implantation juive qui a permis le peuplement de régions entières et qui constitue un des piliers du projet sioniste. Au lendemain de cette décision très polémique, le ministre de la Justice d’alors, Yossi Beilin, en tirait la conclusion logique en réclamant le démantèlement pur et simple de l’Agence juive ». (à suivre...)

P. Lurçat


[1] Voir concernant la « procédure du voisin », Human Shields | B'Tselem (btselem.org)

[2] Bagatz 6698/95, Qa’adan v. Administration of Israel Lands et al.

(Extrait de mon livre Quelle démocratie pour Israël ? Gouvernement du peuple ou gouvernement des juges ? Editions l’éléphant 2023. Disponible sur Amazon, Fnac, B.O.D et à la librairie du Foyer à Tel-Aviv)

 

Je donnerai une conférence sur ce sujet lundi 5 juin à 19h00 à l’espace francophone d’Ashdod

 

J’ai présenté mon livre au micro de Cathy Choukroun sur Studio Qualita, ici.

Face aux ONG – cheval de Troie de pays étrangers :Pourquoi la réforme judiciaire est-elle essentielle pour rétablir la souveraineté israélienne ?

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Le conflit identitaire israélien (VII) : Loi du Sinaï ou loi des juges? Pierre Lurçat

May 25 2023, 09:12am

Posted by Pierre Lurçat

Le conflit identitaire israélien (VII) : Loi du Sinaï ou loi des juges? Pierre Lurçat

 

A la veille de Shavouot, où le peuple Juif célèbre le don de la Torah, il n’est pas inutile de revenir sur le conflit identitaire profond qui divise actuellement la société israélienne, dont j’ai retracé ces dernières semaines différents aspects. Je voudrais l’aborder ici sous un angle différent, celui de la conception de la loi. Comme je l’explique dans mon dernier livre Quelle démocratie pour Israël ? la “Révolution constitutionnelle” menée dans les années 1990 par le juge Aharon Barak repose sur sa philosophie bien particulière du droit, que j’ai caractérisée comme une conception totalitaire et quasi-religieuse du droit.

 

Les manifestants qui défilent depuis des mois dans les rues des villes israéliennes se présentent comme les défenseurs de la « démocratie » et des libertés, face à une coalition qui défendrait selon eux des conceptions rétrogrades et liberticides. En réalité, la loi du Sinaï, la loi juive (halakha) et toute la culture juridique qui en découle est, à de nombreux égards, plus juste, plus démocratique et plus propice à la liberté que le droit laïc occidental.

 

Parmi les réactions suscitées par le projet de réforme judiciaire au sein du judaïsme de la diaspora, celle de Robert Badinter était particulièrement éloquente. L’ancien président du Conseil constitutionnel - devenu une “icône” du camp progressiste depuis l’abolition de la peine de mort - a en effet déclaré que la réforme allait “détruire” la Cour suprême et que celle-ci était le “sanctuaire” d’Israël. Au-delà de l’outrance du propos, qui trahit une ignorance manifeste des réalités israéliennes, cette comparaison est révélatrice. Ce que nous dit Badinter, en effet, c’est que la Cour suprême incarne à ses yeux – comme à ceux de dizaines de milliers d’autres Juifs en Israël et ailleurs – la dimension du sacré.

 

« La loi est abstraite. Aujourd’hui le sanctuaire d’Israël, c’est la Cour suprême. Le peuple de la loi doit la préserver et il est interdit de toucher aux gardiens de la loi », explique encore Badinter. Cette conception est d’autant plus intéressante qu’elle exprime une vision très éloignée de la notion juive de la loi. Pour Badinter, comme pour son collègue Aharon Barak, la loi est une abstraction et le juge est le « gardien de la loi » (Badinter) ou le « gardien des valeurs » et de la démocratie (Barak). Une telle conception est en réalité radicalement opposée à la vision juive du droit. Dans la tradition hébraïque, en effet, la loi n’est pas une abstraction, mais une réalité bien concrète. Son origine transcendante n’en fait pas une pure abstraction, comme dans la philosophie kantienne, car « elle n’est pas dans les cieux » (לא בשמיים היא).

 

Commentant les premiers mots de la parashat Mishpatim, Rachi explique que le droit civil, tout comme les Dix Commandements lus précédemment, a été proclamé au Sinaï. « Et pourquoi les lois civiles font-elles immédiatement suite à celles relatives à l'autel ? Pour te dire que tu devras installer le Sanhédrin près du Sanctuaire... » Ce qui veut dire, en d'autres termes, que le droit positif est d'origine transcendante, tout comme la morale, et que la Cour suprême d'Israël devrait siéger près du Temple reconstruit. Ainsi, la loi du Sinaï est certes d’origine transcendante, mais les juges ne sont pas les « prêtres » et le Sanhedrin siège à côté du Temple mais pas en son sein. L’idée d’une Cour suprême (Sanhedrin) qui serait elle-même le Sanctuaire est contraire à la fois à l’idée juive d’une loi révélée et à la notion de séparation des pouvoirs intrinsèque au judaïsme.

 

En réalité, la loi du Sinaï et la totalité de l’édifice juridique construit par le peuple Juif au cours de sa longue histoire incarnent une notion du droit qui est non seulement plus juste (celle du Tsedek, c’est-à-dire un droit non séparé de la notion du juste et de la morale), mais aussi plus démocratique que la conception élitiste du droit d’Aharon Barak. Dans sa vision, en effet, le juge ne fait pas partie du commun des mortels. Il est de par sa fonction le seul habilité à lire, à interpréter et même à modifier la loi. Dans une telle conception, le peuple lui-même perd toute légitimité. Seule la loi est légitime.

Mais, à la différence de la Loi du Sinaï – qui a été donnée au peuple tout entier et que celui-ci est capable de comprendre et d’appliquer – aux yeux d’Aharon Barak, le juge est seul compétent pour comprendre la loi et la « dire » au peuple ignorant. Le juge est véritablement créateur de droit et il a le dernier mot en matière d’interprétation, d’application de la loi et même en matière de législation.

Dans la conception classique de la démocratie, qui est conforme à la tradition juive, la loi exprime la volonté populaire (Vox populi) et la souveraineté du peuple. Aux yeux d’Aharon Barak, au contraire, la loi reste l’apanage d’une minorité « éclairée », seule habilitée à la comprendre et à l’interpréter. La Loi révélée au Sinaï, au contraire, est accessible à tous, et chaque Juif est capable de la lire et de l’interpréter. Hag Chavouot Saméah !

P. Lurçat

 

ILS ONT LU “QUELLE DEMOCRATIE POUR ISRAEL?”

 

Un livre politique qui se lit comme un roman policier”.

 

Liliane Messika, Mabatim

 

Dans ce petit livre très dense et très pédagogique, Pierre Lurçat nous éclaire sur la crise actuelle que traverse Israël”.

Evelyne Tschirhart

 

On ne peut imaginer ouvrage plus clair et plus adéquat pour comprendre quel est l’enjeu de ce qui s’est passé dans le pays”.

Rav Kahn, Kountrass

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Rencontres israéliennes : Ido Rechnitz, Pour un État démocratique fondé sur la Torah

May 21 2023, 09:12am

Posted by Pierre Lurçat

Le rav Ido Rechnitz

Le rav Ido Rechnitz

(Article paru dans Israël Magazine)

NB J'invité mes lecteurs à écouter la conférence donnée par G.E. Sarfati sur le thème "Israël et le fantasme de la théocratie", disponible ici

Ma rencontre avec le rabbin Ido Rechnitz se déroule quelques semaines après les élections, alors que le nouveau gouvernement n’est toujours pas constitué et que les médias israéliens sont remplis d’éditoriaux dramatiques annonçant la prochaine constitution d’un gouvernement « d’extrême-droite », qui va transformer Israël en État théocratique digne de l’Iran des ayatollahs… Je viens justement de lire le dernier livre publié par Ido Rechnitz, au titre mystérieux de L’État de la Torah démocratique, paru récemment aux éditions du centre « Mishpaté Eretz » à Jérusalem. Pour comprendre de manière plus approfondie le débat qui agite la société israélienne sur le sujet crucial des rapports entre État et religion, j’ai décidé de rencontrer son auteur.

 

Ido Rechnitz me reçoit dans les bureaux du centre Mishpaté Eretz, à Katamon, où il travaille en tant que chercheur. Après une maîtrise en sciences politiques à l’université Bar Ilan, il a achevé un doctorat en pensée juive à l’université d’Ariel. Son dernier livre, tiré de son doctorat, aborde la question de « l’État toranique démocratique » à travers trois figures essentielles : le grand-rabbin Itshak Herzog, le rabbin Eliezer Waldenberg et le rabbin Shlomo Goren. Le choix de ces trois rabbins s’explique par le fait qu’ils ont tous les trois élaboré une doctrine politique fondée sur la Torah et qu’ils abordent notamment la question de la théocratie juive.

 

Je lui demande d’emblée si l’État de la Torah envisagé par ces trois rabbins constitue une théocratie. « C’est un type de théocratie » me répond-il sans hésiter. Le mot théocratie fait évidemment peur aujourd’hui, mais la notion de « théocratie juive » n’a en fait peu de chose en commun avec les régimes théocratiques qui existent aujourd’hui à travers le monde, surtout dans le monde musulman. Ainsi, précise Ido Rechnitz, l’Iran est une théocratie « démocratique » en apparence, où se déroulent des élections, mais qui est en fait un régime totalitaire, comme cela est aujourd’hui évident. L’Arabie saoudite, de son côté, est une théocratie de type monarchique. Mais que signifie une théocratie juive ?

 

Qu’est-ce qu’une théocratie juive ?

 

Pour le comprendre, il faut tenter d’oublier tout ce qui nous vient à l’esprit en entendant le mot théocratie, tellement connoté négativement depuis des siècles, pour revenir aux sources. Le premier contresens à cet égard consiste à croire – comme le laissent penser les hommes politiques qui agitent aujourd’hui le spectre de l’Iran – qu’une théocratie juive serait nécessairement l’équivalent du régime de Téhéran. Le second contresens, tout aussi erroné, consiste à confondre théocratie juive et État dirigé par la halakha (loi juive).

 

Le premier à avoir utilisé l’expression d’« État halakhique » (Medinat Halakha), aujourd’hui devenue polémique, était en fait David Ben Gourion, lors du fameux débat autour de la question « Qui est juif ? » dans les années 1950. Dans l’esprit du grand public en Israël et ailleurs, l’État halakhique est entièrement régi par la loi religieuse, c’est donc un État où il ne reste guère de place pour la liberté de conscience et pour la liberté en général… C’est précisément cet épouvantail de l’État théocratique dirigé par des rabbins qu’on agite aujourd’hui dans le débat politique israélien.

 

Or, dans une théocratie juive, explique le rabbin Rechnitz, les lois de la Torah sont les lois de l’État, mais les rabbins ne sont pas les dirigeants. Les lois de la Torah autorisent en effet une législation humaine, c’est-à-dire une législation par la Knesset telle qu’elle existe aujourd’hui. L’instauration d’un État de la Torah ne modifierait donc pas fondamentalement le régime politique, mais uniquement le système juridique et législatif. D’autre part, la promulgation de lois inspirées par la Torah ne concernerait qu’une partie des lois en vigueur actuellement, car de nombreux domaines échappent à la halakha. Pour illustrer cette réalité méconnue, Ido Rechnitz explique que la plupart des décisions quotidiennes échappent à la loi juive.

 

Dans le domaine juridique, l’ensemble du droit pénal et de la politique publique sont ainsi en dehors du champ d’application de la loi juive, mais relèvent seulement de l’esprit de la Torah. Dès le treizième siècle, le Rashba (Rabbi Shmuel ben Avraham) avait ainsi expliqué que le système de justice pénal de la Torah (reposant sur deux témoins en matière de preuve) n’était pas effectif, et qu’il fallait donc se fier à la justice civile, c’est-à-dire non juive. Concrètement, cela veut dire que l’État de droit de la Torah conserverait les lois actuelles en matière de procédure et de droit pénal.

 

Contre la coercition religieuse

 

A ma question de savoir quels domaines du droit seraient les plus affectés par une telle révolution, Ido Rechnitz me répond qu’il s’agit de domaines techniques et très peu polémiques, comme le droit des contrats ou de la responsabilité civile, c’est-à-dire le droit civil. D’autre part, l’instauration d’un État fondé sur la Torah sur le plan du droit n’a rien à voir avec la question du respect des commandements religieux (mitsvot), qui continuerait de relever de la liberté de chacun. L’État de Torah démocratique ne serait en fait, contrairement à l’idée reçue à cet égard, pas concerné par le respect du shabbat dans l’espace public !

 

Pour comprendre ce paradoxe, mon interlocuteur me renvoie à une responsa du Hazon Ish, célèbre rabbin et décisionnaire du siècle passé, qui explique que la coercition religieuse a pour objectif d’amener les Juifs à respecter les mitsvot. Toutefois, dans le monde actuel, elle est interdite, car elle entraînerait des réactions négatives, de rejet de la Torah. C’est pourquoi il s’oppose à toute initiative de coercition religieuse. A cet égard, souligne Ido Rechnitz, c’est le camp « progressiste » qui est le moins démocratique, car il tente d’imposer au public ses conceptions (à travers la Cour suprême ou les médias qui partagent ses conceptions). Le seul domaine où il existerait (et où il existe déjà) une « coercition religieuse » est celui du statut familial, à savoir le droit du divorce et de la filiation qui repose sur la halakha depuis 1948, en vertu du statu quo établi à l’époque par David Ben Gourion.

 

Vers la Deuxième République d’Israël ?

 

Comment peut-on instaurer un État de Torah démocratique ? A cette question essentielle, le rav Rechnitz répond sans hésiter : « Il faut convaincre le peuple d’Israël qu’il souhaite ce changement ». Cela ne peut pas se faire par des moyens détournés ou en abusant de l’opinion publique… Il se dit favorable à un vote de la Knesset à une majorité qualifiée, de 70 ou 80 députés sur 120 et compare cela aux changements de régime intervenus en France entre la Première et la Troisième République. « C’est un changement de régime, qui conduira à la Deuxième République d’Israël ». C’est précisément pour cette raison que le rabbin Rechnitz préfère employer l’expression « État de la Torah » que celle de théocratie, aux connotations très négatives. Le plus important à ses yeux est d’œuvrer en vue de persuader du bien fondé d’un État de Torah, par des moyens démocratiques.

 

En conclusion, je lui demande à quoi ressemblera l’État de Torah, et en quoi il diffèrera de l’État d’Israël actuel. « Commençons par ce qui ne changera pas. Le régime parlementaire, la Knesset qui continuera de légiférer et d’édicter des lois, à condition de ne pas contredire la Torah… Nous passerons en revue la législation israélienne, dont une grande partie restera inchangée. Le changement le plus important sera de remplacer la Cour suprême par un Beth Din Gadol (tribunal toranique suprême), ce qui suppose de former des juges compétents ». Au terme de notre entretien, je quitte mon interlocuteur avec le sentiment que l’État de Torah démocratique est un idéal tout à fait accessible, même s’il reste beaucoup à faire pour convaincre le public israélien qu’il est souhaitable et réalisable. Mais comme le disait Herzl, « Si vous le voulez, ce ne sera pas un rêve… »

(c) Pierre Lurçat et Israël Magazine  -Reproduction soumise à autorisation expresse par écrit

Rencontres israéliennes : Ido Rechnitz, Pour un État démocratique fondé sur la Torah

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Les trois erreurs d'Israël face au Hamas et au Djihad islamique à Gaza, Pierre Lurçat

May 17 2023, 08:06am

Posted by Pierre Lurçat

Les trois erreurs d'Israël face au Hamas et au Djihad islamique à Gaza, Pierre Lurçat

J'étais hier au micro de Richard Darmon sur Studio Qualita pour évoquer les "trois erreurs d'Israël face à Gaza". Réécouter ici :

https://youtu.be/5SuHoFqXTqA

 

 

 

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Conférence exceptionnelle à Barkan (Samarie) : "gouvernement du peuple ou gouvernement des juges?"

May 14 2023, 08:07am

Conférence exceptionnelle à Barkan (Samarie) : "gouvernement du peuple ou gouvernement des juges?"

Entrée libre, inscription auprès de Sarah Nisani 052-6584027

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L’État de l’exil - Israël, les Juifs, l’Europe de Danny Trom, par Pierre Lurçat

May 11 2023, 15:53pm

Posted by Pierre Lurçat

L’État de l’exil - Israël, les Juifs, l’Europe de Danny Trom, par Pierre Lurçat

L’État de l’exil - Israël, les Juifs, l’Europe de Danny Trom

 

Alors que l’État juif célèbre son soixante-quinzième anniversaire, l’essai que Danny Trom consacre à Israël et au sionisme paraît à point nommé.

(Article paru initialement sur le site de la Revue des Deux Mondes)

Sous le titre L’État de l’exil – Israël, les Juifs, l’Europe, le directeur de recherche au CNRS livre une réflexion passionnante sur la question de l’identité de l’État hébreu, qui depuis 1948 et bien avant encore alimente le débat à l’intérieur d’Israël et au sein du peuple Juif.

« Qu’est-ce que l’État d’Israël ? » En mai 1950, la question a été posée lors d'une séance de la Knesset – le parlement israélien. La réponse fût lapidaire et stupéfiante : « On ne sait pas... » Israël est en effet un des rares pays au monde qui, soixante-quinze ans après sa fondation, continue de s'interroger sur son identité. Les raisons de ce questionnement permanent sont multiples. Danny Trom l’aborde sous l'angle politique et constitutionnel, en le reliant au projet du fondateur du sionisme politique, Theodor Herzl. Relisant les écrits de celui qui est surnommé le « Visionnaire de l'État », Trom fait une analyse minutieuse et très fouillée du projet herzlien. Il montre que celui-ci ne repose pas tant sur l'idée du Contrat social rousseauiste, que sur celle du negotiorum gestor, concept du droit romain utilisé par Herzl pour justifier sa mission.

 

Comme ce dernier l’explique dans son ouvrage programmatique, L’État des Juifs, « lorsque le bien d’une personne incapable d’agir est en danger, chacun est en droit d’intervenir pour le sauvegarder. C’est là le gestor, le gérant de l’affaire d’autrui… Son mandat lui est délivré par une nécessité supérieure »[1]. Cet exposé succinct du concept du droit romain permet de comprendre comment Herzl conçoit son rôle : il est le gestor du peuple Juif, dont l’existence même est en danger. Herzl, comme d’autres dirigeants sionistes, était en effet très soucieux de la souffrance juive et avait eu la prescience de la Shoah.

Une des questions principales que soulève Danny Trom est celle de savoir si « avec la naissance du Judenstaat (l'État des Juifs), le gestor s'éteint ? » Ou en d'autres termes, si la fondation de l'État d'Israël met fin au droit de regard des Juifs de la diaspora sur le destin de l'État qui prétend les représenter ? Cette question prend un visage très actuel et parfois polémique, alors que de nombreux intellectuels juifs se disent aujourd'hui inquiets pour l'avenir d'Israël, y compris l’auteur du livre.

 

Le débat constitutionnel israélien

 

Danny Trom apporte un regard neuf sur le sionisme politique et sur les idées de son fondateur. Les chapitres deux à six, intitulés respectivement « L'État de toute urgence », « L'État dispensable », « L’État de détresse », « L'État du droit international » et « L'État-abri pour tous », inscrivent le projet sioniste dans un contexte politique européen, qui demeure toujours pertinent à ses yeux, cent-vingt ans après la parution du manifeste de Théodore Herzl. Mais c'est sans doute le premier chapitre du livre, « La procrastination constitutionnelle », qui est le plus éclairant pour comprendre l'actualité brûlante.

Le sociologue rappelle l'anecdote fameuse racontée par Jacob Taubes, jeune philosophe berlinois séjournant à l'université hébraïque de Jérusalem, qui se rend en pleine guerre d'Indépendance à la bibliothèque, pour emprunter La Théorie de la constitution de Carl Schmitt. Le bibliothécaire lui apprend à son grand étonnement que le livre a déjà été emprunté par le ministre de la Justice, Pinchas Rosen, qui en avait besoin pour tenter de rédiger un projet de Constitution… Trois quarts de siècle plus tard, Israël n'en a toujours pas et cette absence génère des problèmes que le projet de réforme de la justice de Benyamin Netanyahou, pour le moment reporté, tente de résoudre.

 

Danny Trom revient sur les principales raisons qui ont également conduit à l’ajournement du projet constitutionnel entamé en 1948 et remis aux calendes grecques par David Ben Gourion. Celui-ci pensait que le plus urgent était de consolider l'État nouvellement créé et non que « les Juifs à travers le monde se querellent sur une constitution… » Cet avertissement s'est depuis avéré prémonitoire, alors que les Israéliens et les Juifs de la diaspora se querellent aujourd’hui sur la question toujours brûlante de l’identité d’Israël.

 

Une des lacunes du livre est cependant de s'en tenir à la vision classique d'un Herzl juif assimilé, découvrant la solution sioniste à l'occasion de l'affaire Dreyfus. En réalité, le journaliste avait hérité de son grand-père l'idée que les Juifs reviendraient un jour dans leur patrie ancestrale, comme l'a bien montré Georges Weisz dans Herzl, nouvelle lecture[2]. Herzl avait ainsi expliqué que « le sionisme est le Retour à la judéité, avant même d’être le retour au pays des Juifs ».

Mais cette réserve ne retire rien à l'intérêt de l’ouvrage de Danny Trom, dont l’écriture académique s’illumine parfois d’heureuses métaphores, comme dans le passage suivant : « Apparu sous le signe de l’état d’urgence, l’État pour les Juifs fut nommé dans la précipitation “État d’Israël”, à la manière dont se décide dans la panique le nom de l’enfant d’une mère qui aurait dénié sa grossesse jusqu’au jour de l’accouchement… L’État porte congénitalement la marque de cette surprise : on ne le vit pas arriver et lorsqu’il apparut, on le célébra tel un miracle… » Près de cent-trente ans après la rédaction de L’État des Juifs par Herzl, ce miracle ne cesse pas d’étonner, de diviser ou de réjouir.

 

Pierre Lurçat

 

Danny Trom, L’État de l’exil - Israël, les Juifs, l’Europe, PUF 2023, 280 pages.

 

[1] Herzl, L’État des Juifs, trad. Claude Klein, La Découverte/ Poche 2003, p. 86.

[2] G. Weisz, Theodor Herzl, Une nouvelle lecture. L’Harmattan 2006.

L’État de l’exil - Israël, les Juifs, l’Europe de Danny Trom, par Pierre Lurçat

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Aharon Barak et les juges marocains : Qui représente la Cour suprême?

May 8 2023, 16:21pm

Posted by Pierre Lurçat

Manifestation devant le domicile d’Aharon Barak

Manifestation devant le domicile d’Aharon Barak

 

           Du point de vue sociologique, les juges de la Cour suprême représentent, à de rares exceptions près, un groupe aujourd’hui minoritaire au sein de la population israélienne, celui des Juifs d’origine ashkénaze, laïcs et de gauche. De manière significative, la tentative récurrente d’introduire un semblant de diversité dans les groupes sociaux et les opinions représentés à la Cour suprême n’a pas remis en cause l’hégémonie de cette minorité socio-politique. On a ainsi vu la nomination d’un juge arabe, d’un juge portant la kippa habitant en Judée-Samarie, qui sont souvent présentés dans les médias comme illustrant la « diversité » des juges. En réalité, ils sont les exceptions qui confirment la règle.

 

           Aharon Barak a ainsi créé l’expression de « test Bouzaglou », dans laquelle Bouzaglou désigne l’homo qualunque israélien, le « citoyen lambda ». Il s’est par la suite défendu d’avoir ce faisant voulu stigmatiser les Juifs orientaux, mais il n’en demeure pas moins que le nom de Bouzaglou n’a pas été choisi au hasard. Dans la vision du monde d’Aharon Barak (tout comme dans celle d’Hannah Arendt à l’époque du procès Eichmann), il existe une hiérarchie bien définie dans la société juive israélienne : l’élite est toujours celle des Juifs ashkénazes.

 

           Dans une interview récente à la chaîne de télévision israélienne Kan 11, Aharon Barak a d’ailleurs déclaré regretter de n’avoir pas fait suffisamment d’efforts pour trouver de plus nombreux juges sépharades susceptibles de siéger à la Cour suprême. Il cite trois noms de juges d’origine sépharade, le juge Mani, le juge Yehuda Cohen et le juge Mazouz. Quand le journaliste insiste et lui demande s’il aurait eu la même carrière s’il s’était appelé « Aharon Bouzaglou », Barak répond : « Nous avons cherché des juges arabes, des juges orientaux, des juges religieux, des juges ultra-orthodoxes… » Et il reconnaît du bout des lèvres avoir commis une erreur, en ne trouvant pas suffisamment de juges d’origine sépharade[1].

 

 

 

 

           Mais l’aveu tardif du juge Barak ne remet pas fondamentalement en cause sa vision du monde et le fait que la Cour suprême représente aujourd’hui, sur le plan sociologique et politique, une minorité (la « cellule du parti Meretz qui siège à Jérusalem », selon l’expression d’un commentateur israélien, qui l’avait employée à une époque où le parti Meretz disposait encore de quelques députés à la Knesset, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui). C’est précisément pour mettre un terme à cet état de fait et pour instaurer un semblant d’égalité et de représentativité au sein de la Cour suprême que la réforme judiciaire, comme nous allons le voir, s’est donné comme objectif essentiel de modifier le mode de nomination des juges, afin d’abolir l’hégémonie de la minorité ashkénaze laïque de gauche.

 

De manière éloquente, dans la même interview, le juge Barak explique que le changement le plus dangereux que la réforme risque d’introduire est de changer le système de nomination des juges… De toute évidence, le mode de nomination des juges, de l’aveu même du juge Barak, est un des piliers de sa Révolution constitutionnelle, car c’est – nous y reviendrons – grâce au système de nomination dénué de toute transparence et de pluralisme qu’il a pu mener celle-ci et préserver une majorité activiste, totalement acquise à ses idées au sein de la Cour suprême.

 Pierre Lurçat

(Extrait de mon livre Quelle démocratie pour Israël? Gouvernement du peuple ou gouvernement des juges?)

 


[1] Voir פגישה עם רוני קובן - פרקים מלאים לצפייה ישירה | כאן (kan.org.il)

ILS ONT LU “QUELLE DEMOCRATIE POUR

ISRAEL?”

 

Un livre politique qui se lit comme un roman policier”.

Liliane Messika, écrivain Mabatim

 

On ne peut imaginer ouvrage plus clair et plus adéquat pour comprendre quel est l’enjeu de ce qui s’est passé dans le pays”.

Rav Kahn, Kountrass
 

Le livre à lire impérativement pour comprendre le projet de réforme judiciaire en Israël”.

Albert Lévy, chef d’entreprise, Amazon

 

“Pierre Lurçat balaye en quelques pages les slogans de la gauche israélienne qui manifeste aujourd’hui massivement au nom de la « défense de la démocratie » contre le « coup d’Etat ». “ 

 

Yves Mamou, Revue politique et parlementaire

 

Aharon Barak et les juges marocains : Qui représente la Cour suprême?

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Israël : la gauche contre le peuple, par Yves Mamou

May 3 2023, 15:17pm

Posted by Yves Mamou

Israël : la gauche contre le peuple, par Yves Mamou

Je reproduis la recension par Yves Mamou de mon livre Quelle démocratie pour Israël?, publiée dans la Revue politique et parlementaire. P.L.

Israël : la gauche contre le peuple - Revue Politique et Parlementaire

Les déchirures politique, sociale et culturelle qui ont surgi en Israël à propos de la réforme de la Cour Suprême sont généralement interprétées en Europe selon les termes imposés par la gauche, à savoir une tentative de coup d’Etat juridique mené par l’extrême droite. Le petit livre intitulé « Quelle Démocratie pour Israël » (Editions l’Eléphant) que vient de publier Pierre Lurçat, essayiste et traducteur, éclaire de manière simple et savante le double aspect de cette crise politique.

 

Le premier aspect, spécifiquement israélien, démontre clairement que la gauche tente aujourd’hui, par une occupation massive des rues, de protéger le pouvoir politique qu’elle a conquis il y a trente ans, par un usage abusif du droit.

Le second aspect de cette crise à priori spécifiquement israélienne illustre et recoupe les contradictions qui tordent les sociétés occidentales comme le divorce entre les élites et le peuple, l’irruption du judiciaire dans le politique, le conflit entre les « valeurs morales universalistes » et les droits du peuple ou de la nation.

Concernant l’aspect proprement israélien de la crise judiciaire, Pierre Lurçat balaye en quelques pages les slogans de la gauche israélienne qui manifeste aujourd’hui massivement au nom de la « défense la démocratie » contre le « coup d’Etat ».

En réalité explique-t-il, le coup d’Etat a bien eu lieu, mais il est vieux de trente ans et c’est la gauche qui l’a mené. La réforme judiciaire que promeut la droite a pour but d’en corriger les effets.

Au début des années 1990, un homme seul, charismatique, le juge Aharon Barak, président de la Cour Suprême, a embarqué l’appareil judiciaire israélien dans une « révolution constitutionnelle » (le terme est de lui) qui a progressivement rogné le pouvoir des élus et a transformé les magistrats non élus de la Cour Suprême en acteurs politiques de premier plan. En catimini, progressivement, sur la base de deux lois votées la nuit par des députés qui n’y ont pas vu malice, la Cour Suprême a progressivement institué l’idée qu’elle était en droit d’intervenir dans tous les champs de la vie politique. Ces deux lois fondamentales portaient l’une sur « la dignité humaine » et l’autre sur la « liberté professionnelle ». Aujourd’hui résume Lurçat, « ceux-ci (les juges de la Cour Suprême) se sont octroyé des pouvoirs exorbitants que nulle loi ne leur a jamais confié, et une compétence sans limite qui leur permet désormais d’annuler des lois, de donner aux contrats un sens que leurs signataires n’avaient jamais prévu, d’intervenir dans les décisions du chef d’état-major et d’annuler toute nomination à un poste public ».

Empêcher ces juges inamovibles de brider la volonté du peuple qui vote est l’enjeu proprement israélien de la réforme judiciaire du gouvernement Netanyahou. Mais, par bien des aspects, cette bagarre politique illustre aussi un conflit entre l’universel et le national propre aux sociétés occidentales.

En Israël, la gauche et la droite conviennent (en aparté pour la gauche) qu’il faut réduire le champ d’intervention de la Cour Suprême. Mais la gauche israélienne, au nom de ses « valeurs » interdit à la droite de mener la réforme et l’accuse de complot contre la « démocratie ». En fait, deux définitions de la démocratie s’affrontent aujourd’hui.

Depuis trente ans, en Israël comme en Occident, la gauche tente d’imposer l’idée que la démocratie ne peut se réduire au jeu mécanique de la majorité qui a le droit d’imposer sa loi à la minorité.

Partout, la gauche a cherché à imposer l’idée que la démocratie est d’abord et avant tout un système de « valeurs ». « Une démocratie de la majorité seule qui ne s’accompagne pas d’une démocratie des valeurs n’est qu’une démocratie formelle et statistique. La vraie démocratie limite le pouvoir de la majorité afin de protéger les valeurs de la société » écrivait lui-même le juge Baarak. Quand la droite est majoritaire en voix, la gauche lui rétorque que son pouvoir est illégitime parce qu’elle n’est pas représentative de la « démocratie des valeurs ».

C’est cet aspect du conflit judiciaire israélien, celui des « valeurs », qui devrait attirer l’attention du lecteur français sur le court essai de Pierre Lurçat.

En Israël comme en Europe et aux Etats Unis, les « valeurs universelles » sont entrées en conflit avec la démocratie formelle.

Les femmes, les noirs, les musulmans, les migrants, les LGBT… ne se contentent pas d’être des citoyens comme les autres qui votent, travaillent et prient librement comme ils le souhaitent. Ils se posent en victimes et réclament des droits spécifiques qui apparaissent aujourd’hui comme « la quintessence de la démocratie, bien plus que les élections libres et démocratiques et leur résultat… (surtout quand ce résultat est contraire à leurs opinions politiques) » pointe avec justesse Pierre Lurçat.

C’est ce sentiment d’incarner des « valeurs universelles » qui fait descendre dans la rue des centaines de milliers de citoyens de gauche en Israel au nom de la « demokratia ».

C’est cet universalisme qui pousse des militaires à refuser de servir, des hommes d’affaires à exporter leurs capitaux hors d’Israël, et des citoyens lambda à penser qu’ils seront beaucoup plus heureux au Portugal ou aux Etats Unis qu’en Israël.

La gauche israélienne utilise l’universalisme des « valeurs » pour se rapprocher de la gauche européenne et américaine et pour prolonger en Israël, l’assaut que la gauche occidentale mène depuis plusieurs décennies, contre son héritage culturel, contre ses traditions, son héritage religieux chrétien, ses lois, sa morale pour les remplacer par des principes soi-disant universels destinés à réaliser la fraternité humaine. Les laïcs de gauche israéliens sont prêts à mettre Israël à genoux pour ressembler le plus possible à cet Occident qui n’en finit plus de s’effondrer sous les coups de tous les types de particularismes.

Yves Mamou

Pierre Lurçat, « Quelle démocratie pour Israel ; Gouvernement du peuple ou gouvernement des juges ? », Editions L’éléphant, 126 pages. 

 

Israël : la gauche contre le peuple, par Yves Mamou

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Lire ou relire La manipulation des enfants, de Liliane Lurçat : Un essai captivant sur la manipulation des esprits contemporains

May 1 2023, 09:24am

Posted by Pierre Lurçat

Lire ou relire La manipulation des enfants, de Liliane Lurçat :  Un essai captivant sur la manipulation des esprits contemporains

 

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נפטרה בי' באייר תשע''ט

 

La première édition de La manipulation des enfants est parue il y a vingt ans, en 2002, dans la collection “Esprits libres” que dirigeait alors Chantal Chawaf aux éditions du Rocher. Une nouvelle édition a été publiée six ans plus tard par l’éditeur François-Xavier de Guibert. Cette dernière est le dernier livre publié par l’auteur, directrice de recherche au CNRS et spécialiste de psychologie de l’enfant, décédée en 2019, il y a tout juste trois ans. Comme elle l’explique dans la dédicace du livre, dédié à Henri Wallon, ce dernier l’avait “initiée à une psychologie aujourd’hui disparue, héritière d’une grande tradition de psychologie pathologique et de psychologie sociale”.

 

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Henri Wallon (1879-1962)

 

La disparition de cette école de psychologie française était un sujet de préoccupation pour Liliane Lurçat. Cette tradition oubliée, qui se tenait à égale distance de la psychanalyse et de la psychologie cognitiviste américaine dont elle se différenciait tout autant, était caractérisée par une approche très large de la discipline, bien éloignée des conceptions actuelles. Dans l’esprit de Wallon, en effet, la psychologie ne se séparait pas de la philosophie (qu’il avait brièvement enseignée avant de bifurquer vers la psychologie). Elève et disciple de Wallon, Liliane Lurçat est restée fidèle sa vie durant à cette idée de la psychologie, comme en atteste son refus de “singer” les sciences dures (et la physique notamment) dans l’étude des phénomènes psychologiques et dans l’étude de l’être humain, sujet de recherche irréductible à aucun autre.

 

Le titre de son livre, La manipulation des enfants par la télévision et par l’ordinateur, est trompeur, car l’objet du livre dépasse de loin le seul sujet des influences télévisuelles sur l’enfant, qui a constitué un de ses derniers grands thèmes de recherche et d’écriture, à partir du début des années 1980[1]. En réalité, le livre aurait pu s’intituler “La manipulation ; s’imprégner, imiter, oublier”, trois des thèmes traités dans cet essai, “où il est question de télévision et d’école dans le monde actuel”, comme elle l’explique dans le préambule. C’est en effet le thème de la manipulation qui est le fil conducteur de cet essai, dans lequel L. Lurçat prend de la hauteur pour envisager dans une perspective plus large le thème de la télévision et de l’enfant, auquel elle a consacré quatre ouvrages entre 1981 et 1995[2].

 

De la psychologie de l’enfant à la psychologie des médias

 

Retraçant son parcours professionnel et l’évolution de son domaine de recherche, elle écrit : “J’ai voulu comprendre la démarche du jeune enfant confronté aux apparences télévisuelles… Puis, élargissant le problème, je suis passée de la psychologie de l’enfant téléspectateur à la psychologie des médias”. La recherche sur l’enfant face à la télévision qu’elle a menée pendant une décennie est ainsi le point de départ d’une réflexion passionnante et très actuelle sur la manipulation des esprits en général, dans laquelle elle aborde des sujets aussi divers que la perte du sens commun, la persuasion politique, l’imprégnation télévisuelle ou la “suggestion négative”. Ce dernier concept en particulier, qu’elle emprunte à Pierre Janet en lui donnant un sens nouveau, lui permet de décrire les phénomènes de contagion émotionnelle et de déculturation, tant à l’école (qui a été son premier champ de recherches, depuis les années 1970) que dans la société en général.

 

La description des phénomènes vécus par les enfants permet ainsi de comprendre l’évolution de la société tout entière, car l’école est devenue un véritable laboratoire social, et ce d’autant plus que la télévision (et les autres médias) ont entraîné une véritable “fusion des âges” et fait ainsi disparaître “‘l’enfance, en tant que période protégée de la vie[3]. Cette “disparition de l’enfance” décrite par plusieurs penseurs américains (J. Meyrowitz, Neil Postman) est au cœur de la réflexion de l’auteur, qui montre comment les médias électroniques privent l’enfant d’étapes essentielles de son développement. Parmi celles-ci, on peut mentionner non seulement l’acquisition des apprentissages fondamentaux (lire, écrire), auxquels L. Lurçat a consacré une vaste partie de ses recherches et plusieurs ouvrages[4], mais aussi la socialisation (remplacée par une “forme artificielle de socialisation par la télévision”) ou encore la perte du sens commun, conséquence de la limitation sensorielle inhérente à la situation télévisuelle.

 

 

La lecture de La manipulation des enfants, paru en 2002, permet de constater combien les analyses de l’auteur demeurent pertinentes aujourd’hui. En réalité, on s’aperçoit non seulement que les constats faits il y a 20 ans et plus, en étudiant les effets de la télévision sur les enfants et sur l’ensemble de la société restent tout aussi valables aujourd’hui qu’alors, mais on découvre également que l’analyse offerte dans ce livre est en réalité encore plus vraie aujourd’hui, à l’ère des nouveaux médias (Internet, réseaux sociaux). La lecture de ce livre - tout comme celle des ouvrages de Neil Postman et d’autres observateurs datant des années 1970 ou plus anciens - montre que les bouleversements que nous vivons actuellement ne sont que l’ultime phase de la transformation sociétale et humaine qu’ils avaient déjà décrite à leurs époques respectives.

 

Une rupture anthropologique

 

Citons à ce sujet Marshall Mac Luhan, qui écrivait en 1977 : “A l’inverse des changements antérieurs, les médias électriques constituent une transformation totale et presque immédiate de la culture, des valeurs et des comportements ; Ce bouleversement engendre de grandes souffrances et une perte d’identité auxquelles on ne pourrait remédier qu’en prenant conscience de sa dynamique[5]. Que dirait-il aujourd’hui de la transformation de la culture et des valeurs ? Il est frappant de voir combien les analystes les plus lucides de la télévision dans les années 1970 et 1980 avaient largement anticipé les évolutions plus récentes de nos sociétés.

 

Ces évolutions sont décrites par Liliane Lurçat dans deux parties éclairantes de son livre, consacrées respectivement aux “Mutations du mode de vie et des personnes”, et à la “Déréalisation” et à la “Perméabilité à la suggestion dès l’enfance”. Les phénomènes décrits par Lurçat - à une époque antérieure à Internet - comme la “substitution de la télévision au milieu humain”, “la perte de l’initiative et des choix personnels”, la “perte du réel” et la “fuite devant la réalité”, le “rapport onirique au réel”, les “bombardements émotionnels”, etc. restent valables, avec une force décuplée, dans le monde de la “réalité virtuelle” et des réseaux.

 

A travers son analyse percutante de la transformation de l’être humain engendrée par les médias électroniques, Liliane Lurçat tord le cou à deux idées reçues devenus de véritables “articles de foi” de notre civilisation technologique. La première est l’idée que les techniques sont “neutres” et ne modifient pas l’être humain dans sa nature profonde. La seconde est la croyance au progrès inéluctable de l’humanité, et la confusion entre progrès moral et progrès technologique. Comme l’écrivent Yves Marry et Florent Souillot dans un livre récent au titre éloquent, La guerre de l’attention, Comment ne pas la perdre[6], la modernité technologique provoque une véritable “rupture anthropologique”. Ce sont les prémisses de cette rupture anthropologique que décrit Liliane Lurçat dans ce livre passionnant, qui éclaire et permet de comprendre notre monde actuel.

 

Pierre Lurçat

 

[1] Son premier livre sur le sujet, A cinq ans seul avec Goldorak, Le jeune enfant et la télévision, est paru en 1981 chez Syros.

[2] Outre le premier déjà cité, Le jeune enfant devant les apparences télévisuelles, Paris ESF 1984, Violence à la télé, l’enfant fasciné, Paris, Syros 1989, et Le temps prisonnier, des enfances volées par la télévision, Paris, Desclée de Brouwer 1995.

[3] Joshua Meyrowitz, “L’enfant adulte et l’adulte enfant. La fusion des âges à l’ère de la télévision”, in Le temps de la réflexion, Essais sur la tradition et l’enseignement, Gallimard 1985.

[4] Depuis sa thèse, Etudes de l’acte graphique, Paris, La Haye, Mouton 1974 et jusqu’à L’écriture et le langage écrit de l’enfant, Paris, ESF 1985.

[5] M. Mac Luhan, “D’œil à oreille”, La nouvelle galaxie, Denoël-Gonthier, 1977, cité par L. Lurçat, La manipulation des enfants, op. cit. p.11.

Liliane Lurçat (1928-2019)

Liliane Lurçat (1928-2019)

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