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En marge de l’affaire Foxtrot : les deux visages du cinéma israélien, Pierre Lurçat

March 12 2018, 14:50pm

Posted by Pierre Lurçat

L’ouverture du festival du cinéma israélien à Paris est l’occasion de revenir sur le scandale déclenché en Israël par le film Foxtrot. La décision première de l’ambassadrice d’Israël en France, obéissant aux injonctions de sa ministre de la Culture Miri Regev, de boycotter le festival en raison du choix très contestable de l’ouvrir avec Foxtrot, était pleinement justifiée. Et la réaction de l’organisatrice du festival, prétendant ne pas comprendre les raisons de ce boycott, est un exemple criant d’hypocrisie. Il est trop facile d’invoquer la “liberté d’expression” et de crier à la censure, au lieu de regarder la vérité en face. Dans la France actuelle, où on réédite les écrits antijuifs de Céline et où les enfants juifs sont molestés et agressés chaque jour, un film montrant des soldats israéliens tuant des civils palestiniens est une aubaine pour tous les antisémites. Les cinéphiles parisiens seront bien inspirés de boycotter eux aussi la soirée d’ouverture du festival, et d’aller plutôt voir les films les jours suivants (je recommande tout particulièrement les films Le Testament, Sauver Neta et Norman, tous trois excellents). P.L.

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Le Testament d'Amihai Grinberg, un des meilleurs films israéliens des 10 dernières années

 

Du cinéma israélien, on peut dire qu’il est la “pire et la meilleure des choses”, comme la langue selon Esope. Le film Foxtrot de Shmuel Maoz en est la parfaite illustration. Du point de vue purement cinématographique, il n’est pas totalement exempt de qualités, en particulier dans l’interprétation, notamment celle de Lior Ashkenazi (dont le rôle dans le film Norman constitue un nouveau sommet dans sa carrière déjà riche et variée).  Mais on ne peut évidemment s’arrêter là, en faisant abstraction de tout ce qui est dérangeant, négatif et antipathique dans ce film. Foxtrot s’inscrit en effet dans une tendance autodestructrice, présente depuis longtemps dans le cinéma - et la culture israélienne en général.

 

La tendance autodestructrice de la culture israélienne

 

Cette tendance se caractérise par l’auto-flagellation et par la remise en cause de tout ce qui est considéré comme sacré dans notre pays. A cet égard, Foxtrot est très différent du premier film de Maoz, Lebanon, ou d’autres films israéliens sur l’armée, comme Infiltration, adaptation du beau roman de Yehoshua Kenaz par Dover Kosashvili. C’est en effet une chose de dénoncer les travers de la vie militaire, ou de montrer l’horreur de la guerre, thèmes universels et omniprésents dans le septième art. Mais c’est tout autre chose de présenter une vision largement caricaturale et mensongère de Tsahal, comme s’y emploie le dernier film de Shmuel Maoz.

 

 

Le thème essentiel de Foxtrot n’est pas tant l’armée ou la guerre, que celui des parents endeuillés et du “She’hol” - terme hébraïque qui n’a pas d’équivalent en français et désigne la situation des parents perdant un enfant, à la guerre ou ailleurs. Le film s’ouvre par l’annonce faite aux parents d’un soldat que leur fils est “tombé dans l’exercice de ses fonctions”, situation terrible et hélas bien connue des Israéliens. Mais derrière la caméra de Maoz, cette situation tourne à l’absurde, lorsqu’on s’aperçoit qu’il y a eu une erreur sur l’identité du soldat mort. Le film s’emploie alors à dépeindre de manière caricaturale l’armée dans son ensemble, et la rabbanout tsvayit (rabbinat militaire) en particulier.


Dans la deuxième partie du film, on voit ainsi quatre soldats ayant pour tâche ubuesque de contrôler un barrage situé au milieu de nulle part, et de tuer le temps par toutes sortes de jeux plus ou moins futiles, qui humilient les rares passagers de véhicules arabes passant par là et finissent par tuer - par erreur - quatre jeunes Arabes palestiniens dans une voiture. La fin du film, malgré un rebondissement et un tour plus optimiste, ne dément pas l’impression générale et le sentiment d’inutilité et de dérisoire qui empreint l’ensemble du film. Dans une scène révélatrice, un des jeunes soldats demande à son camarade “Quel est le sens de notre combat?” et cette question - cruciale - demeure sans réponse. Ce message politique est au coeur du film et en constitue la quintessence.

 

Quel est le sens de notre combat?

 

Contrairement à ce que prétend Shmuel Maoz, le but de Tsahal n’est pas de garder des barrage inutiles et d’humilier des civils palestiniens, voire de les tuer. Notre armée se bat pour défendre son pays, contre des ennemis voués à sa destruction. Le quotidien de Tsahal n’est pas le “Désert des tartares”, ni “Apocalypse Now”, comme le fait croire le film de Maoz. On comprend la réaction de la ministre de la Culture, Miri Regev, ancienne porte-parole de Tsahal, qui a dénoncé avec raison la manière dont Foxtrot calomnie l’armée israélienne. Il n’est pas étonnant que ce film ait été primé à la Mostra de Venise, pour des raisons qui ne tiennent que très partiellement aux qualités artistiques de ce film.  On comprend aussi pourquoi Foxtrot a été coproduit par la France, l’Allemagne et la Suisse.

 

Miri Regev

 

L’intervention des pays européens dans le financement, ou dans l’encouragement (par des prix souvent généreusement dotés) de la culture israélienne se fait toujours dans un seul sens : dénoncer tout ce qui fait la force d’Israël (son armée, son identité nationale…) et renforcer les tendances à l’autocritique et à l’auto-dénonciation *. De ce point de vue, le film de Maoz ne fait que confirmer cette règle. J’ajoute que si le public israélien était plus friand du cinéma local - dont Foxtrot ne reflète qu’un visage très spécial et peu représentatif - les réalisateurs comme Shmuel Maoz ne seraient sans doute moins tentés d’aller chercher leurs financements, et leur inspiration, en Europe ou ailleurs.

 

Un cinéma de guerre engagé

 

En 1942, les meilleurs cinéastes américains de l’époque (John Ford, Frank Capra, John Sturges et John Huston, entre autres) s’engagèrent dans le combat contre le nazisme en mettant leur talent au service de la guerre des Etats-Unis contre les puissances de l’Axe. Certains des films réalisés dans ce cadre ont été récemment réédités en France. Il ne s’agissait pas, comme une certaine doxa européenne anti-américaine voudrait le faire croire aujourd’hui, de films de “propagande”, mais de l’expression artistique de la participation de ces grands cinéastes à l’effort de guerre contre le nazisme.

 


 

La comparaison avec le cinéma israélien est instructive. Au lieu de chercher leur inspiration dans les films américains sur la guerre du Vietnam, qui dépeignent une guerre cruelle et inutile, les réalisateurs israéliens pourraient revoir les films américains des années 1940. Car la guerre d’Israël contre ses ennemis arabes est, contrairement à ce que voudraient faire croire Foxtrot et d’autres films du même acabit, une guerre juste. Le cinéma israélien - dont la qualité est bien supérieure à ce qu’en reflète les oeuvres partisanes de Shmuel Maoz ou d’Amos Gitaï, attend toujours son Capra et son Ford.

 

Pierre Lurçat

 

* J’aborde ce thème dans mon livre La trahison des clercs d’Israël, à propos des écrivains israéliens pacifistes.

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Eclairer le monde ou l’obscurcir? Réponse aux idéologues de gauche qui ferment les yeux face à la réalité d’Eurabia, par Pierre Lurçat

March 6 2018, 12:48pm

Posted by Pierre Lurçat

Bat Ye'or (photo P. Lurçat ©)

Bat Ye'or (photo P. Lurçat ©)

 

Les deux pleines pages consacrées par le Monde des Livres à l’historienne et essayiste Bat Ye’or, à l’occasion de la parution de son autobiographie, auront au moins eu le mérite de faire connaître au lectorat du Monde, pain quotidien des élites françaises, l’existence des travaux de celle qui, depuis plusieurs décennies, a porté à la connaissance des lecteurs du monde entier des sujets aussi importants que le dhimmi (sujet de son deuxième livre, Le Dhimmi, paru aux éditions Anthropos en 1980), la condition des minorités juive et chrétienne en terre d’islam et les notions essentielles de djihad et de dhimmitude. A ce titre, Bat Ye’or mérite la reconnaissance de tous ceux qui, sur plusieurs continents, ont découvert dans ses livres et ses écrits des notions indispensables à la compréhension du monde contemporain.

 

Le dhimmi, “ouvrage essentiel” (Le Monde en 1980)

 

Hélas, les lecteurs du Monde des Livres (et les auditeurs de France Culture, sur les ondes de laquelle sévit aussi le rédacteur en chef du supplément littéraire) n’en sauront pas beaucoup plus sur Bat Ye’or et sur son oeuvre. Son article relève plus en effet d’une entreprise de dénigrement et d’amalgame que d’une authentique enquête journalistique digne de ce nom, comme en attestent les lignes suivantes.  “Les obsessions pugnaces et les angoisses virulentes qui structurent son parcours s’enracinent dans le déracinement. Elevée au Caire dans une famille juive bourgeoise et cultivée, d’ascendance italienne côté paternel et franco-britannique côté maternel, Bat Ye’or, de son vrai nom Gisèle Orebi, a vu son monde vaciller puis s’effondrer De livre en livre, finalement, Bat Ye’or aura théorisé cette expérience d’inquiétude et de vulnérabilité, la radicalisant peu à peu jusqu’à l’universaliser dans un grand récit aux prétentions scientifiques douteuses, mais aux effets politiques explosifs”.

 

Ce portrait succinct contient plusieurs mensonges. Le premier est mineur, mais pas anodin. Bat Ye’or s’appelle certes Gisèle Orebi, de son nom de jeune fille, mais son vrai nom est Gisèle Littman, nom de son époux, David Littman, lui aussi historien et défenseur des droits de l’homme, disparu en 2012 (1). Ce dernier a non seulement partagé la vie de Bat Ye’or, mais il a aussi participé à ses combats et était lui aussi l’auteur d’une oeuvre importante et reconnue, touchant à des sujets très voisins de ceux abordés par son épouse, dont il a été le plus proche collaborateur, comme on le découvre en lisant son autobiographie (que J. Birnbaum n’a apparemment pas lue).

 

Gisèle et David Littman z.l.

 

L’absence de toute référence à Littman dans l’article du Monde des Livres n’est pas seulement une faute de goût ; elle participe en réalité d’une tentative pour discréditer les écrits et la personne de Gisèle Littman, présentée par Jean Birnbaum comme “l’hégérie des nouveaux croisés” et comme la coqueluche des sites et mouvements d’extrême-droite, surtout depuis la parution de son livre Eurabia.

 

Quand des intellectuels français reprennent à leur compte la terminologie islamiste

 

Le deuxième mensonge, plus significatif, consiste à faire croire que les écrits et travaux de Bat Ye’or participeraient d’une sorte de catharsis personnelle, tentative pour transformer une “expérience d’inquiétude et de vulnérabilité” en “grand récit” dont l’objectivité serait ainsi mise à mal par le vécu de son auteur… L’argument est familier aux lecteurs des auteurs post-modernes. Car comme on le sait aujourd’hui, il n’y a pas de vérité objective, mais seulement des “narratifs” concurrents… En vérité, derrière tout le fatras idéologique post-moderne auquel semble adhérer Birnbaum, se cache un autre “grand récit”, comme l’a bien vu Bat Ye’or elle-même, grand récit qui reprend à son compte la terminologie islamiste en parlant de “croisés” :

 

Il est curieux de voir ce vocabulaire qui est celui des organes et des penseurs de l’Organisation islamique mondiale parfaitement intégré par les intellectuels français – surtout lorsqu’on connaît les contextes et le sens auxquels il est associé. Le mot croisé, par exemple, est pris dans le sens médiéval du chrétien ennemi total et absolu de l’islam. Je ne suis pas certaine de la pertinence de ce terme aujourd’hui au vu des milliards prélevés sur les impôts payés par les Occidentaux pour le développement économique, l’aide aux réfugiés et aux migrants du monde musulman”.

 

Une historienne à l’écoute des courants souterrains de l’histoire

 

Jean Birnbaum, comme Ivan Jablonka dont il reprend presque mot à mot l’analyse très orientée (dans son article paru il y a une dizaine d’années dans la Vie des idées), opère une distinction entre l’historienne auteur du Dhimmi, que le Monde des livres lui-même avait salué comme un “livre de référence” lors de sa parution en 1980, et la polémiste auteur d’Eurabia, devenue “l’hégérie des croisés” et “l’inspiratrice” du tueur Breivik (accusation délirante et indigne, que Birnbaum reprend à son compte). Comme si rien ne s’était passé entre 1980 et 2005 (dates de parution respectives du Dhimmi et d’Eurabia), comme si Bat Ye’or seule, et pas le monde dans lequel nous vivons, avait changé…On reconnaît ici l’attitude dogmatique et la cécité au monde qui nous entoure propres aux idéologues de gauche, dont fait partie Birnbaum (2).

 

 

Si Bat Ye’or l’historienne est descendue de sa tour d’ivoire dans l’arène politique, en écrivant Eurabia et en forgeant ce néologisme entré, n’en déplaise aux gardiens de la pensée dominante, dans le vocabulaire politique contemporain, c’est parce que les nécessités de l’heure l’exigeaient. Après le 11 septembre, on ne pouvait plus se contenter d’analyser l’histoire de l’islam et de ses rapports conflictuels avec le monde environnant, comme s’il s’agissait uniquement du passé.

 

A l’opposé de cette exigence de lucidité et de courage, de nombreux universitaires français et occidentaux ont préféré fermer les yeux sur la réalité nouvelle de l’islam conquérant. Citons le cas de Gilles Kepel, ponte de l’islamologie en France, dont le grand livre Djihad, paru en l’an 2000, était sous-titré “Expansion et déclin de l’islamisme”... Quand sa thèse a volé en éclats dans le fracas des attentats du 11 septembre, nous n’avons pas entendu l’auteur se remettre en question. Au contraire, il a depuis lors publié plusieurs ouvrages médiocres et idéologiquement marqués, renvoyant dos-à-dos les militants de l’islam radical et les néo-conservateurs américains !

 

Dans une interview qu’elle m’avait accordée en 2005 pour le Jerusalem Post, Bat Ye’or expliquait ainsi la notion d’Eurabia, que ses détracteurs s’obstinent à décrire comme une “théorie du complot : “Eurabia est un nouveau continent qui est en train d'émerger, un continent de culture hybride, arabo-européenne. La culture européenne, dans ses fondements judéo-chrétiens, est en train de s'affaiblir progressivement, et de disparaître pour être remplacée par une nouvelle symbiose, islamo-chrétienne. J'ai reconnu ce processus, que j'avais déjà étudié dans mon livre sur les chrétientés d'Orient, où j'analysais les causes historiques du déclin des civilisations chrétiennes sous l'Islam... Ce qui m'a intéressée, c'est de tenter de découvrir les indices qui dessinent une évolution future, les courants souterrains de l'histoire qui mènent à des développements prévisibles, mais souvent imperceptibles”.

 

Le lecteur jugera qui a raison, entre le politologue français qui prédisait le “déclin de l’islamisme” en 2000, et l’historienne juive égyptienne qui tente depuis quatre décennies d’alerter le monde et d’éclairer les esprits sur les réalités de l’islam et de sa volonté de conquête.

 

Pierre Lurçat

 

(1) Voir la page Wikipédia très exhaustive qui lui est consacrée : https://en.wikipedia.org/wiki/David_Littman_(activist)

 

(2) Birnbaum est pourtant lui aussi auteur d’un livre consacré à l’aveuglement de la gauche face à l’islam.

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