L’ouverture d’une exposition consacrée à « l’histoire des Juifs d’Orient », en pleine campagne électorale présidentielle, est évidemment un acte politique majeur, comme le démontre la déclaration du président Emmanuel Macron, qui a affirmé en inaugurant l’exposition « la part maudite n’est jamais la part de l’autre » et a fait l’éloge de la « France plurielle ». On peut regretter que les institutions juives de France soient tombées dans le panneau et aient pleinement participé à l’entreprise de récupération politique et de réécriture de l’histoire juive… Une fois de plus, le symbole juif est manipulé à des fins politiques (2), avec le consentement (plus ou moins éclairé) de certains responsables communautaires juifs de France. P.L.
L’exposition qui ouvre ses portes le 24 novembre 2021 à l’Institut du monde arabe n’a pas seulement pour vocation, comme l’affirme son titre, d’exposer « l’histoire plurimillénaire des Juifs d’Orient ». En effet, comme le rappelle Jean-Pierre Faye,
« l’histoire est une narration qui se donne pour la réalité même »1
En l’occurrence, il s’agit d’imposer, à grand renfort de soutiens médiatiques et de sponsors divers et variés, un narratif bien précis :
celui de la « coexistence judéo-arabe », ou comme l’explique le compte-rendu laudateur publié par le journalLe Monde, du « bien-vivre partagé par les deux communautés juive et arabe… »
C’est donc un projet éminemment politique qui est visé par l’IMA : celui de narrer, ou plutôt deréécrireune histoire plurimillénaire en adoptant le récit bien connu d’une histoire heureuse qui aurait mal fini… Comme l’explique ainsi le commissaire de cette exposition, l’historien Benjamin Stora,
« On ne peut pas réduire cette histoire au conflit israélo-palestinien. Juifs et Arabes n’étaient pas des étrangers mais du même monde. De l’Afrique à l’Asie s’est tissée une culture du texte sacré, une calligraphie magnifique, de l’hébreu à l’arabe. Les juifs du Maghreb et du Machrek[l’Orient arabe]se vivent comme des Orientaux. Les prières des mosquées avaient la même sonorité que celles des synagogues »
Dans uneinterview à France Info, Stora explicite encore plus précisément la visée idéologique de cette exposition :
« Malheureusement, on a une tendance à percevoir la présence de cette communauté essentiellement par sa fin, c’est-à-dire l’exil et le conflit israélo-palestinien qui a contribué à la séparation entre ces deux communautés, c’est certain… »
En d’autres termes, tout le malheur des Juifs du monde arabo-musulman aurait débuté en 1948, avec la création de l’État d’Israël et le « conflit israélo-palestinien ».
Selon ce narratif répandu et souvent décliné par les médias et institutions en France, le départ des Juifs du monde arabe provoqué par la création d’un État juif en Palestine aurait mis fin à des siècles de « coexistence » et à une histoire harmonieuse (adjectif que l’on retrouve dans la bouche de Stora). Pour décrire cette « harmonie » et cette idylle judéo-arabe en terre d’islam, Stora emprunte à l’islamologue Abdelwahab Meddeb le néologisme de « convivence » : « C’est un mariage d’harmonie et de convivialité partagée entre plusieurs mondes monothéistes » explique encore Storadans les colonnes duMonde.
Que le commissaire (ou plutôt le « commissaire politique ») de cette exposition hyper-idéologique soit Benjamin Stora en dit long sur sa visée politique dans la France d’aujourd’hui. L’historien spécialiste de la guerre d’Algérie assume de nombreuses fonctions politiques, et est devenu en quelque sorte la voix autorisée de la doxa historique sur les sujets les plus politisés de l’histoire de France, ceux qui touchent à l’immigration, à la colonisation et aux rapports entre la France et le monde musulman. Il assure ainsi la présidence du conseil d’orientation de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration depuis août 2014, et fait partie du conseil d’administration de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Il a également codirigé un ouvrage collectif qui vient de paraître, intitulé « Juifs et musulmans – Échanges et différences entre deux cultures ».
L’ouverture de cette exposition en pleine campagne électorale présidentielle est évidemment un acte politique majeur, comme le montre la déclaration du président et candidat Emmanuel Macron, qui a affirmé en inaugurant l’exposition
« la part maudite n’est jamais la part de l’autre »
et a fait l’éloge de la « France plurielle ».
On peut regretter que les institutions juives de France soient (une fois de plus) tombées dans le panneau et aient pleinement participé à l’entreprise de récupération politique et de réécriture de l’histoire juive que représente cette exposition. Une fois de plus, le symbole juif est manipulé à des fins politiques2, avec le consentement (plus ou moins éclairé) de certains responsables communautaires juifs de France.
Ajoutons que la dimension idéologique de cette exposition permet de comprendre la vigueur de l’entreprise de démonisation à l’égard du candidat Eric Zemmour, dont le discours s’inscrit en faux contre le narratif mensonger du « vivre ensemble » et de la « convivence » judéo-arabe en terre d’islam. Face à la sombre réalité du djihad qui vise l’ensemble des Français, Juifs et non-juifs, l’establishment politique et l’establishment communautaire juif ont choisi, une fois de plus, la politique de la dhimmitude.PL♦
2Sur l’utilisation – et la manipulation – du symbole juif par des hommes politiques français, notamment depuis François Mitterrand, je renvoie aux nombreux ouvrages de Shmuel Trigano abordant cette question, et en particulier à ses livresLa nouvelle Question juive(1982),La République et les Juifs(1982),Les frontières d’Auschwitz(2005) etL’avenir des Juifs de France(2006).
Pierre Lurçat a fait un bien triste constat : le silence de la communauté juive française et de ses nombreux amis non-juifs lors de l’attaque génocidaire du Hamas sur l’ensemble de la population d’Israël en mai 2021. Génocidaire parce que le Hamas, comme l’OLP, ont inscrit dans leur Charte l’éradication de l’Etat et du peuple hébreu, but central du nazisme également. Cette communion idéologique ne devrait pas étonner quand on connait la stratégie fusionnelle du djihadisme et du nazisme dès les années 1930s et dont Amin al-Husseini, le chef palestinien, fut le ténor le plus représentatif sur la scène internationale et notamment dans l’oumma. Cette collaboration nazie-djihadiste sur les fronts de guerre et de la propagande continua dans la guerre de 1948-49 contre Israël quand dès 1947 les mercenaires des pays arabes frontaliers renforcés par ceux d’une Wehrmacht en déroute envahirent la Palestine encore sous mandat britannique pour harceler le Yichouv.
Al-Husseini et Hitler
On peut comprendre pourquoi en 1948 la victoire de l’Etat hébreu fut accueillie avec une morne et funèbre hésitation dans une Europe où, trois ans plus tôt sous les régimes de la collaboration avec le IIIe Reich, le nazi-djihadisme fleurissait en toute impunité dans les camps de déportation et d’extermination sur tous les territoires des pays occupés. Si bien que de nombreux nazis des deux côtés de la Méditerranée s’islamisèrent et que Hitler et Himmler rêvaient d’une Europe musulmane, débarrassée de son christianisme contaminé par ses racines juives. Ainsi débutèrent les refus répétés euro-djihadistes en 1949, 1967, 1973 etc. des victoires israéliennes, les subventions faramineuses aux populations arabes de Palestine privilégiées dès 1949 par un statut unique générationnel de réfugiées héréditaires, et les plans de paix euro-arabes qui n’étaient qu’un suicide déguisé imposé à Israël.
Mais cette situation de dhimmitude que déplore Lurçat, n’est pas seulement celle des juifs de France, elle est celle du judaïsme européen laminé par la Shoah. Prévisible dès novembre 1973 par la reddition de la Communauté européenne au terrorisme djihadiste de l’OLP soutenu par le boycott du pétrole de la Ligue arabe, la dhimmitude se développa en Europe dans les années 1980s-1990s par les menaces contre les synagogues et les lieux culturels juifs et israéliens. Cependant cette dhimmitude qui censure la parole, exonère l’agresseur et accuse la victime, qui maintient les populations dans la peur n’est pas réservée aux seuls Juifs français. Elle pèse sur les Européens quelles que soient les religions et dont les villes parcourues de foules haineuses évoquent les manifestations djihadistes d’Irak, de Syrie, d’Egypte, du Maghreb. Cette dhimmitude que vivent tant de populations européennes qui ignorent même ce mot ne concerne pas d’ailleurs que les juifs. Qui donc a vu dans les rues d’Europe de grands rassemblements favorables aux Arméniens protestant contre les attaques unifiées des Azéris et des Turcs dans la province arménienne du Karabakh ?
Cette dhimmitude, n’en sommes-nous pas en partie responsables ? Comment peut-on lutter contre quelque chose que l’on ne voit pas, ne comprends pas ni ne nomme ? Et si l’on est si aveugle, si démuni n’est-ce pas parce que les "Hautes Autorités Suprêmes" qui détiennent les clés du Savoir et leurs réseaux de gauleiters ont interdit ce champ particulier de la connaissance, qui pour l’observateur et analyste des mutations de sociétés sur le temps long, n’est autre que la transformation de civilisations dont l’Histoire nous offre tant d’exemples. Trahisons pour les perdants ? Heureuses opportunités pour d’autres ? Pour ne pas dire collaborateurs.
Dans un petit opuscule écrit en pleine guerre *, alors qu’il se trouve à Londres pour le compte de l’Agence juive, Albert Cohen parle avec empathie de ces Anglais silencieux “qui chérissaient la liberté et la justice parce qu’ils avaient lu le Livre…”. Relisant ces lignes au lendemain du vote du Brexit, on ne peut s’empêcher d’établir un parallèle entre l’Angleterre d’alors - celle de 1940, du Blitz sur Londres et de la résistance acharnée contre le nazisme - et celle d’aujourd’hui qui vient de dire un non retentissant à l’Union européenne.
La plupart des commentateurs français déplorent le vote anglais et y voient une réaction populiste, lourde de conséquences pour la stabilité et l’avenir du Vieux continent, navire en perdition dont l’Angleterre vient de se séparer, en larguant les amarres qui la rattachaient - de manière sans doute artificielle et contraire à son histoire et à sa volonté profonde - à l’Europe continentale.
Mais en tant que Juif, on ne peut qu’être frappé de la concomitance de ce vote avec l’accueil triomphal réservé par l’Union européenne à Bruxelles au dirigeant corrompu de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, reçu comme un chef d’Etat pour prononcer devant un auditoire conquis d’avance un discours de haine contre Israël et le peuple Juif, accusé - comme au Moyen-Age - d’empoisonner les puits, sans qu’aucun député européen n’élève la moindre protestation.
Il est évidemment peu probable que les Anglais qui ont rejeté, dans leur grande majorité, l’Union européenne, aient eu à l’esprit l’attitude hostile de l’UE envers Israël lorsqu’ils ont voté, tout comme l’Angleterre de Churchill s’est battue contre Hitler pour ses raisons propres et non par amour des Juifs (même si Churchill lui-même était favorable au mouvement sioniste). Les Anglais qui ont voté le Brexit n’ont pas seulement rejeté une Europe devenue synonyme de bureaucratie et de réglementations abusives. Ils ont aussi voulu renouer avec leur histoire millénaire, étrangère au rêve européen, essentiellement franco-allemand.
L’Union européenne actuelle, qui est devenue un acteur hostile à Israël sur la scène internationale, a peu à voir avec le projet né au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Elle ressemble plus à l’Eurabia - entité politique décrite par Bat Ye’or, gagnée par l’idéologie palestiniste et par le rejet de ses racines judéo-chrétiennes - qu’à l’Europe pacifiée promise par Jean Monnet. Dans ces circonstances, on peut légitimement considérer que le vote anglais est une bonne nouvelle pour Israël.
Tout d’abord, comme le rappelle le député israélien Motti Yogev, parce qu’une Union européenne amoindrie et rendue plus modeste sera moins dangereuse pour Israël (« Cette Union européenne qui applaudit les discours d’Abou Mazen lorsqu’il calomnie Israël va devoir désormais s’occuper d’elle même et de ses nombreux problèmes au lieu de passer son temps à faire pression sur Israël”).
La réalité est que l’UE ne se contente pas d’applaudir les discours haineux de Mahmoud Abbas-Abou Mazen : c’est dans une large mesure elle qui les écrit et les finance! Comme l’a en effet révélé le site Palwatch, la calomnie moyen-âgeuse selon laquelle Israël empoisonnerait l’eau des Palestiniens n’est pas une invention d’Abbas : elle a été diffusée par une ONG israélienne anti-sioniste, “Breaking The Silence”, financée par l’UE dans le but avoué de calomnier l’armée israélienne et ses soldats**.
C’est donc l’argent de l’UE qui finance les calomnies antisémites répandues par cette ONG et repris à son compte par Mahmoud Abbas, selon un mécanisme bien huilé qui fonctionne depuis de nombreuses années. Même si le pronostic optimiste de Yogev s’avérait erroné et que l’Union européenne sans les Anglais poursuivait dans sa politique anti-israélienne, le Brexit aura néanmoins pour conséquence positive que l’Angleterre, délivrée des contraintes imposées par Bruxelles, pourra incarner une voix politique indépendante, qui sera probablement plus favorable à Israël que celle de l’UE propalestinienne.
Demain, d’autres pays européens, inspirés par l’exemple anglais, se libèreront à leur tour des chaînes de l’UE et deviendront peut-être des alliés d’Israël. Car l’Europe des nations, contrairement à ce que veulent faire croire les idéologues de la gauche européenne, n’est pas l’ennemie d’Israël. Elle a vocation, bien au contraire, à devenir la meilleure alliée du mouvement national juif, qui s’est inspiré à ses débuts des mouvements de libération nationale européens (ainsi, le dirigeant sioniste Jabotinsky était un admirateur de Mazzini et de Garibaldi).
L’Europe, libérée d’Eurabia, pourrait ainsi donner raison à Albert Cohen, qui écrivait en pleine Deuxième Guerre mondiale : “Enchaînés d’Europe, dites Hosannah avec nous. Demain, vos liens tomberont et le jour de bonté luira. Et vous, cloches, voix gentilles, voix lourdes, voix pieuses, portez vers le futur le nom de Churchill d’Angleterre”.
* Albert Cohen, Churchill d’Angleterre, éditions Lieu commun.
Deux ouvrages récents mettent en perspective la situation de la France aujourd’hui, et analysent les raisons d’une crise multiforme, à la fois politique, économique et culturelle, qui ébranle les fondements de la société française. Le plus récent, celui d’Yves Mamou, est intitulé de manière éloquente “Le grand abandon. Les élites françaises et l’islamisme”. L’auteur, journaliste spécialiste des questions économiques, a collaboré au Monde et à L’Expansion. D’après son éditeur, son livre traite de la “fracture politique qui s’est creusée entre le haut (« les élites ») et le reste de la population en France”.
Ce livre a pour but de montrer, sources à l’appui, comment la caste au pouvoir a aussi fait alliance avec des groupes ennemis de l’intérêt national, pour consolider son pouvoir. En France, la bourgeoisie française mondialisée, « qui prône l’égalité des territoires mais promotionne la métropolisation, qui fait la promotion du vivre ensemble mais participe à l’ethnicisation des territoires », cette bourgeoisie-là, favorise, voire pactise objectivement avec des groupes et une idéologie islamistes qui noyautent progressivement la société démocratique.
Le multiculturalisme, cheval de Troie de l’islamisme
Soulignons que ce livre n’est pas, comme la présentation de l’éditeur pourrait le faire penser, un essai à thèse. Il s’agit d’une analyse documentée, qui montre de manière convaincante, preuves à l’appui, comme les grands corps et institutions de l’Etat (Conseil d’Etat, Conseil constitutionnel, Conseil supérieur de l’audiovisuel, etc. (la liste est longue) se sont engagés au service d’une idéologie (le soi-disant “vivre-ensemble”) qui a favorisé le délitement du tissu social français, en soutenant les revendications de groupes islamistes et de leurs alliés. Ou pour dire les choses autrement, en reprenant l’expression que j’avais forgée il y a plus de dix ans et qui a été souvent reprise depuis, comment “le multiculturalisme a été le cheval de Troie de l’islamisme”. Le livre de Mamou est une étude fouillée, convaincante, qui illustre les transformations subies par la France en proie à l’assaut conjugué de l’islam politique et de l’idéologie post-moderniste mondialiste.
L’originalité de son analyse consiste à montrer que l’islamisation de la France n’est pas seulement un phénomène imposé d’en bas, par les réalités sociologiques et démographiques (le fameux “Grand remplacement”), mais aussi et surtout le fruit d’une volonté politique, qu’il n’attribue pas à un parti ou un camp politique déterminés, mais aux élites en général, mues par des motivations idéologiques ou économiques. J’ajoute que son analyse rejoint et confirme, si besoin était, celle que Bat Ye’or a développé il y a plus de dix ans dans son ouvrage fameux, Eurabia. (Curieusement, le terme d’Eurabia est absent du livre de Mamou, alors même qu’il est entré dans le vocabulaire politique contemporain, et que certains des détracteurs de Bat Ye’or ont fini par reconnaître, avec retard, qu’elle avait raison.)
Le second livre est aussi celui d’un économiste, Olivier Piacentini. Son objet est plus restreint, mais tout aussi intéressant. Il retrace l’ascension au pouvoir d’Emmanuel Macron et la manière dont celle-ci a été pensée, planifiée et exécutée avec succès par ces mêmes élites dont Yves Mamou a décrit l’alliance avec l’islam politique.
“Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, des affaires judiciaires et leur traitement médiatique allaient faire basculer le destin du pays, écartant les uns d’une victoire promise, élevant les autres jusqu’aux marches de l’Élysée. À y regarder de plus près, la victoire-surprise d’un jeune banquier ambitieux, sans expérience électorale et sans parti, ne doit rien au hasard : le soutien sans faille que le monde de la finance et des médias lui apporta est le nœud de ce qui s’apparente à un coup d’État... Un an après, c’est avec ce présupposé à l’esprit qu’il faut observer et juger de la politique conduite aujourd’hui. Le programme du candidat Macron a toujours semblé flou, et les décisions de son gouvernement sont souvent remises en cause suivant l'actualité du jour par des ministres ou des députés « En Marche » eux-mêmes. Mais il est des promesses sur lesquelles le président Macron ne transigera jamais : celles qu’il a faites il y a plus d’un an à ses puissants bailleurs de fonds qui l’ont soutenu sans jamais faillir et qui investissent rarement sans espoir de retour !”
Piacentini montre notamment comment les médias français se sont mobilisés dans leur immense majorité au service de Macron, en privant de parole ses opposants ou en les diabolisant, et comment le candidat de cercles économiques et financiers puissants a été quasiment imposé d’en haut à un système politique impuissant, après avoir été adoubé par Jacques Attali qui en a fait son protégé. La chute de la popularité d’Emmanuel Macron et les événements actuels montrent cependant que la tentative pour “imposer” un Président aux Français a peut-être réussi à le porter jusqu’à l’Elysée, mais qu’elle n’a pas fait long feu.
Le sursaut d’un peuple en quête de liberté
Le mouvement de protestation populaire des “Gilets jaunes”, auquel on assiste ces derniers jours, n’incarne sans doute pas seulement la révolte des Français contre le poids des impôts (dans la pure tradition historique française), mais aussi, et surtout, le sursaut d’un peuple en quête de liberté. A cet égard, la situation actuelle, dont les deux livres évoqués ci-dessus permettent de comprendre les racines, illustre la réflexion de l’amiral Michel Darmon, ancien président de France-Israël, qui se plaisait à dire que “‘l’histoire des peuples n’est pas l’histoire des Etats”. De l’Etat français, traditionnellement anti-israélien (voir les récentes révélations sur les livraisons d’armes aux terroristes palestiniens pendant la Deuxième Intifada), il n’y a rien à attendre pour Israël et les juifs. Mais il est encore trop tôt pour dire Kaddish pour la France et le peuple français.
Pierre Lurçat
Yves Mamou, Le grand abandon. Les élites françaises et l’islamisme. Editions l’Artilleur 2018.
Olivier Piacentini, OPA sur l’Elysée. Un an après, le vrai bilan du macronisme. Editions de Paris / Max Chaleil 2018.
N.B. Mon livre, Israël, le rêve inachevé, paraît ce jeudi aux éditions de Paris/Max Chaleil.
Dans un livre paru en France en 1981 consacré à l’historiographie de la Shoah (1), l’historien américain Walter Laqueur, disparu la semaine dernière à l’âge de 97 ans, abordait, parmi d’autres sujets essentiels, celui de savoir à quel moment et comment a été connue l’existence de la “Solution finale”, tant par les alliés et les pays neutres que par les Juifs eux-mêmes. Une des questions troublantes qu’il posait est celle de comprendre pourquoi la Shoah était un “terrifiant secret” : beaucoup savaient qu’elle était en train de se dérouler mais refusaient, chacun pour ses raisons spécifiques, à la fois psychologiques et politiques, d’assumer ce savoir.La même question peut être posée aujourd’hui face à la guerre que l’islam radical (2) a déclarée à l’Occident en général et à la France en particulier.
Walter Laqueur (1921-2018)
Pourquoi cette guerre déclarée par l’islam radical est-elle demeurée dans une large mesure un secret terrifiant, que beaucoup préfèrent taire ou ne pas voir? Cette question se pose, en premier lieu, concernant les responsables politiques français, qui étaient informés que des attentats (3) se préparaient mais n’ont pas voulu alerter l’opinion publique. Elle se pose également à l’égard des services de renseignement et de lutte antiterroriste français, qui savaient pertinemment que des attentats massifs risquaient de se produire, mais dont les mises en garde n’ont souvent pas été écoutées, ou n’ont pas été suivies d’effet.Elle se pose enfin concernant les médias français, dont plusieurs avaient titré, au lendemain des attentats du 13 novembre 2015 : “Maintenant c’est la guerre”, comme si cette guerre avait commencé la veille et pas depuis de nombreuses années…
A de nombreux égards, les médias ont joué un rôle inverse de celui qu’ils doivent remplir : ils ont anesthésié le public au lieu de l’informer, ont voulu l’endormir au lieu de le réveiller, pour des raisons idéologiques. On donnera un seul exemple, caricatural : celui de cet article paru quelques semaines avant les attentats de 2015 dans Libération, expliquant doctement qu’Allahou Akbar n’était pas un cri de guerre (4), mais ce que “les musulmans murmurent à l’oreille des nouveaux-nés”. Ce dernier exemple illustre le double refus des politiques, des médias et d’une partie de la population française face à la guerre déclarée à la France par l’islam radical : refus d’écouter et refus de comprendre.
Le refus d’écouter le discours de l’islam radical
Le refus d’écouter est la première cause de la “surprise” affichée par certains médias français au lendemain du 13 novembre 2015, alors que “l’inscription était sur le mur”, pour reprendre l’expression parlante de la prophétie de Daniel. Depuis des années, de nombreux auteurs, y compris l’auteur de ces lignes, ont publié des dizaines de livres sur le sujet de l’islam radical, de son expansion et de la guerre qu’il mène contre l’Occident. Trop souvent, ils ont été empêchés de parler sur les grands médias, passés sous silence, quand ils n’ont pas été calomniés ou accusés “d’islamophobie”.
Le fameux tableau de Rembrandt, Le festin de Balthazar, avec l'inscription sur le mur
tirée du livre de Daniel
Le discours de l’islam radical est aujourd’hui facilement accessible et décryptable en Occident et en France, notamment grâce au travail de l’institut MEMRI, qui traduit quotidiennement les médias du Moyen-Orient et “comble ainsi le fossé linguistique” entre l’Orient et l’Occident (5). MEMRI a traduit des dizaines d’articles et de communiqués de l’Etat islamique, contenant des menaces explicites contre la France, qui ont été mis gracieusement à la disposition des médias français (6). Malgré cela, le discours de l’islam radical demeure dans une large mesure minimisé, passé sous silence, voire totalement occulté par les médias français, y compris depuis janvier 2015.
Ce refus d’écouter a des causes multiples, dont certaines peuvent être comparées à celles du refus d’écouter les discours d’Hitler dans les années 1930. Face au mal radical, les individus et les démocraties préfèrent souvent adopter la politique de l’autruche, mettre la tête dans le sable et ne pas entendre les menaces de guerre, comme si le refus d’écouter pouvait retarder la guerre, ou l’empêcher d’avoir lieu… Le refus d’écouter est aussi un refus de savoir, car on peut écouter sans comprendre, et on peut “savoir sans savoir”, comme les Alliés “savaient” que la Solution finale était en cours dès 1942, mais ont refusé de tenir compte de ce savoir et d’agir en conséquence, comme l’a expliqué magistralement Walter Laqueur dans son ouvrage mentionné ci-dessus.
Le refus de comprendre l’islam radical
Face à l’islam radical, le refus d’écouter traduit souvent une incapacité de comprendre, dont il est à la fois une des causes et le symptôme : on ne peut pas comprendre ce qu’on refuse d’écouter, mais on ne peut pas non plus écouter ce qu’on refuse de comprendre. Dans mon livre Pour Allah jusqu’à la mort (7), paru en France en 2008, j’ai décrit la conversion à l’islam radical de dizaines de jeunes occidentaux, à une époque où ce phénomène encore minoritaire intéressait encore très peu les spécialistes. De rares monographies avaient été consacrées à quelques convertis fameux, comme le “Taliban américain” John Walker Lindh, mais la plupart n’étaient traités que comme des faits divers. Depuis lors, le phénomène des conversions à l’islam radical a pris une telle ampleur qu’il est mentionné presque quotidiennement par les médias, notamment avec l’enrôlement de jeunes Occidentaux, en particulier Français, dans le djihad en Syrie et dans les rangs de l’Etat islamique.
Beaucoup d’auteurs ayant travaillé sur le thème de l’islam radical ont eu comme moi, le sentiment de ne pas être écoutés ou compris (8). Ils ont été des “lanceurs d’alerte”, que le grand public n’a pas toujours pu entendre, parce que leurs voix se sont fondues dans la masse, quand elles n’ont pas été délibérément tues ou disqualifiées. Le refus de comprendre est aussi celui d’interpréter une information qui existe, parfois même de manière pléthorique : on ne compte plus aujourd’hui le nombre de livres, d’articles, de sites Internet sur le thème de l’islam radical, en français et dans d’autres langues. Toute personne qui veut s’informer peut le faire, à condition de trouver des sources fiables. Mais beaucoup de grands médias occidentaux préfèrent adopter sur le sujet un discours politiquement correct, qui obscurcit les choses au lieu de les rendre plus claires.
Comme l'écrit Jacques Tarnero, "Le déni idéologique du réel reste la principale cause de notre incapacité à combattre le terrorisme qu’on n’ose pas nommer islamiste" (9). Le refus de désigner l'ennemi est ainsi le premier symptôme du refus de voir la guerre qui fait rage depuis longtemps. Au lieu de parler de l’islam radical, on préfère les termes plus vagues de salafisme ou de djihadisme, ou encore celui, très entendu ces derniers mois, de “radicalisation”. Ce concept trop général ne permet pas de cerner l’ennemi, ni de comprendre ses motivations (10). Après le choc des attentats en France et le dur réveil à la réalité de la guerre contre l’islam radical, la priorité devrait aussi être d’accepter d’écouter ce que disent nos ennemis et de prendre au sérieux leurs menaces.
Pierre Lurçat
Notes
(1) Le terrifiant secret, la “Solution finale” et l’information étouffée, Gallimard 1981.
(2) J’emploie ici l’expression d’islam radical, traduite de l’américain (radical islam), plus claire que celles d’islamisme ou de djihadisme.
(3) La version initiale de cet article est parue après les attentats du 13 novembre 2015.
(10) Pour décrire la transformation de jeunes occidentaux en islamistes radicaux et en soldats du djihad, j’ai employé le concept de “double conversion”, la première étant celle à l’islam, et la seconde à l’islam radical.
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Alors que l'existence de tensions communautaires a été reconnue par Gérard Collomb lui-même, le journaliste Yves Mamou accuse les élites françaises de s'être coupablement désintéressées de l'immigration, et d'avoir fermé les yeux sur l'islamisation du pays.
Yves Mamou est un ancien journaliste du Monde. Il a également collaboré au Canard Enchaîné, à Libération et à La Tribune. Collaborateur régulier du site américain The Gatestone Insitute, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Hezbollah, dernier acte (éd. Plein jour, 2013) etLe Grand abandon. Les élites françaises et l'islamisme(éd. L'Artilleur), paru le 25 septembre 2018.
FIGAROVOX.- Selon vous, l'immigration et l'islamisation auraient pour conséquence d'empêcher les Français de «faire nation»? Quel lien faites-vous entre la supposée émergence perturbatrice de l'islam et la supposée désagrégation de la nation française?
Yves MAMOU.-Le Grand Abandonest une tentative de reconstitution. J'ai essayé de savoir pourquoi et comment, à côté de la nation française, une nation islamique avait pu progressivement se constituer. Les déclarations fracassantes de Gérard Collomb, ex-ministre de l'Intérieur, au matin de sa passation de pouvoir à Edouard Philippe, Premier ministre, montrent que la juxtaposition de ces deux nations aujourd'hui en France engendre un risque d'affrontement. Nous sommes aujourd'hui «côte à côte» (sous-entendu musulmans et non-musulmans) a dit Gérard Collomb, mais rien ne garantit que demain nous ne serons pas «face à face». Cet avis de guerre civile en bonne et due forme a été proféré par l'homme qui, pendant un an et demi, Place Beauvau, a eu sous les yeux, au quotidien, tous les rapports de police et de gendarmerie.
Gérard Collomb est partie prenante de l'élite politique française. Il abandonne son poste en informant que la guerre civile est à nos portes. Une fuite qui à elle seule justifie mon titre «Le Grand Abandon». L'avertissement aurait eu plus de force s'il avait été proféré par un ministre en exercice. L'avoir prononcé sur le pas de la porte a fait que certains médias ne l'ont même pas repris.
La guerre civile se définit comme le déchirement d'une nation. Je ne sais pas si cette guerre aura lieu, mais il m'a semblé utile de m'interroger sur la présence de deux nations sur le même territoire national. Parfois, ce sont des frontières mal tracées qui créent les conditions d'un affrontement entre deux nations. Mais en France, la nation islamique a été fabriquée de toutes pièces. Elle est le résultat d'une politique. Les élites françaises, c'est-à-dire les grands corps de l'État, les partis politiques, les experts, les magistrats, les médias, les élites culturelles… ont, pour de multiples raisons, plusieurs décennies durant - et encore aujourd'hui - encouragé et légitimé l'immigration musulmane.
Cette préférence des élites pour l'islam a produit un fossé abyssal entre la France d'en haut et la France d'en bas. Le Baromètre de la Confiance que le Cevipof, le centre de recherches de Sciences Po, publie année après année, illustre parfaitement le phénomène: la majorité de la population française témoigne à l'égard de sa classe politique d'une gamme de sentiments qui va de l'écœurement au dégoût, en passant par le rejet et l'indifférence. Et sur quoi se cristallise cette rupture entre le haut et le bas de la société? Sur l'islam jugé trop invasif et l'immigration jugée excessive.
Curieusement, ce baromètre du Cevipof sauve la mise de deux institutions, l'armée et la police qui jouissent d'un taux de confiance de près de 80 %.
Peut-être, mais est-ce suffisant pour affirmer comme vous le faites que l'islamisme et l'immigrationnisme ont été voulus, théorisés, écrits et préparés à l'avance?
L'immigration a été voulue et organisée, mais l'islamisation de cette immigration n'était sans doute pas inscrite au menu. Si l'immigration se poursuit malgré l'islamisation, c'est sans doute que nos élites la jugent insignifiante. Ou bien qu'elle leur est indifférente. Et c'est cette indifférence au risque de guerre civile que j'ai voulu souligner.
La constance avec laquelle le Conseil d'État a aidé à la constitution d'une nation islamique en France est sidérante. Je liste dans mon livre tous les arrêts du Conseil d'État favorables à l'immigration musulmane, favorables au voile, favorables au burkini, favorables à la burqa, favorables aux familles polygames et j'en passe. Idem pour le Conseil constitutionnel qui trouve conforme à l'intérêt général de laisser les écoles salafistes proliférer ou de supprimer, au nom de la «solidarité», les peines qui frappaient autrefois les délinquants qui facilitaient l'immigration clandestine. Mon livre passe également au crible l'étrange aveuglement de l'Observatoire de la laïcité quand il est question d'islam et l'étrange sensibilité du Conseil supérieur de l'audiovisuel aux récriminations des téléspectateurs musulmans.
Tout ce que j'avance dans mon livre est sourcé.Le Grand Abandonest riche de plus de 700 notes et références. L'ordonnancement et la mise en relation de ces faits étayés et vérifiés entre eux mettent en lumière une évidence: il existe bel et bien une préférence des élites françaises pour l'islam.
Ce qui nous ramène à votre première question. Ce n'est pas seulement l'islam qui empêche aujourd'hui de faire nation. Les élites aussi ne veulent plus faire nation.
«L'antiracisme politique qui sévit aujourd'hui n'a jamais eu pour but de combattre le racisme.» Que voulez-vous dire?
Je n'ai pas remarqué de mobilisation des organisations antiracistes contre le rappeur Nick Conrad qui a chanté le meurtre des Blancs et des enfants blancs dans les crèches. Ni contre les Indigènes de la République ou le syndicat SUD Éducation qui ont organisé des séminaires «racisés» fermés aux «Blancs», ni contre Médine qui rêve de crucifier les laïcards au Golgotha, ni contre Mmes Ernotte (France Télévisions) et Nyssen (ministère de la culture) qui souhaitaient voir moins de «Blancs» à la télévision.
En revanche, quand Éric Zemmour a affirmé que les immigrés étaient surreprésentés dans les prisons, ou quand Georges Bensoussan a tenté d'expliquer que l'antisémitisme sévissait dans une large frange de la population musulmane en France, les associations antiracistes se sont unies pour les traîner devant un tribunal. Au nom de la lutte antiraciste!
Ces quelques exemples permettent de situer la zone d'action de l'antiracisme: faire taire tout critique de la «diversité». La «diversité» n'est pas un slogan antiraciste un peu creux. Je démontre dans mon livre que la «diversité» est en réalité une politique. Et cette politique passe par les organisations antiracistes subventionnées par l'État, par l'école où l'apprentissage de l'arabe est proposé aujourd'hui dès le primaire, par une politique du ministère de la Culture qui subventionne la «diversité» au cinéma et au théâtre, par l'Afnor qui labellise les entreprises pour plus de «diversité», par le Conseil supérieur de l'audiovisuel qui, avec son Baromètre de la «diversité» rêve d'imposer des quasi quotas ethniques sur le petit écran, et par divers lobbys comme le Club XXI d'Hakim el Karoui ou l'association Coexister...
Le Grand Abandondémontre que l'antiracisme politique et le discours diversitaire n'ont pas pour but de combattre le racisme. Ce sont des outils au service d'une réinitialisation des consciences. Ils servent à marteler
que les immigrés de couleur sont par essence des victimes. Les services du Premier ministre diffusent actuellement des clips contre les violences sexistes. L'un de ces clips montre un «Blanc» qui agresse sexuellement une jeune fille d'origine maghrébine laquelle est défendue par une «Blanche» en couple avec un homme noir. Ce clip d'État d'une grande pureté idéologique assigne la violence sexuelle aux hommes Blancs et refuse d'évoquer celle qui peut aussi exister chez les «victimes» de couleur. J'affirme que cette victimisation forcenée des Français de couleur participe à la fabrication de la violence d'aujourd'hui.
Quand vous parlez des «élites», qui désignez-vous exactement? Peut-on mettre tous les responsables politiques, économiques, culturels, médiatiques… dans le même panier?
Mon livre passe en revue les partis politiques, le ministère de la justice, les associations antiracistes, l'université, l'école, les experts, les intellectuels, le monde du cinéma et du théâtre et de quelques autres encore… Chacun de ces groupes ou institutions œuvre, dans le champ qui est le sien, à la promotion de la «diversité» et de son corollaire le «vivre-ensemble». J'ai déjà évoqué le cas du Conseil d'État, du Conseil constitutionnel et du Conseil supérieur de l'audiovisuel. Mais je liste également le cas des intellectuels qui pétitionnent et lynchent médiatiquement toute personnalité publique qui émet des opinions non conformes aux leurs. L'écrivain algérien Kamel Daoud en a ainsi fait les frais quand il a expliqué que les viols de masse de Cologne en 2015 étaient dus à l'importation en Allemagne d'une culture patriarcale des relations entre les sexes. Les experts justifient et encouragent l'immigration au nom de supposés bienfaits économiques. Le ministère de la justice met à mal la liberté d'expression des Zemmour et Bensoussan… etc. J'ai 600 pages d'exemples et de logiques qui s'emboîtent les unes dans les autres et qui tous ensemble concourent à une révolution, «par le haut».
En trente ans, la société française a quitté un modèle laïque républicain pour être projetée dans un modèle multiculturaliste, communautariste et anti-laïque. Il s'agit d'une authentique révolution qui se poursuit encore aujourd'hui sous nos yeux. Les élites politiques, économiques et institutionnelles ont balayé le vieux modèle laïque et républicain sans demander l'avis du reste de la population. Les élites françaises ont été à l'origine du plus grand casse du siècle, lequel s'avère être aussi un casse de la démocratie et de la laïcité. Pour quel profit? Je crains que seul l'islamisme soit à même de tirer les marrons du feu.
Les politiques ont selon vous une responsabilité toute particulière dans la diffusion de l'islamisme. Tous, y compris le Front national, pourquoi?
Le Front national a joué les repoussoirs. Par sa seule présence, le Front national a empêché l'émergence de tout débat sérieux sur l'islam et l'immigration. Les éructations de Jean-Marie Le Pen toujours à la limite du racisme et de l'antisémitisme ont contribué au caractère hégémonique du discours antiraciste. Marine Le Pen a bien tenté de redresser l'image de son parti, mais le mal était fait. Et il dure encore.
Quant aux gouvernements de gauche, ils portent une responsabilité historique que j'expose dansLeGrand Abandon.
Vous reprochez aux politiques, notamment de gauche («islamo-gauchistes») leur clientélisme, mais vous le reconnaissez vous-même en introduction, les musulmans deviennent une composante à part entière de la population: il faut bien que des politiques leur parlent à eux aussi?
La gauche clientéliste flatte le communautarisme islamique: baux emphytéotiques pour la construction de mosquées, heures de piscine réservées aux femmes, etc., cela dans le but de recueillir les voix des musulmans. L'islamo-gauchisme accompagne la violence islamiste pour conquérir le pouvoir. Ce sont deux démarches différentes, mais les deux instrumentalisent les musulmans comme outil de conquête du pouvoir.
Cette instrumentalisation de l'islam par la gauche a creusé la tombe de la laïcité. La laïcité non plus n'est pas un mot creux. C'est l'espace de la citoyenneté. Et la citoyenneté c'est l'espace du politique parce qu'il est débarrassé de tous les sujets qui ne prêtent pas à la discussion et à la négociation. Si la laïcité a cantonné la religion au domicile et aux lieux de culte, c'est précisément pour les sortir de l'espace politique. En réintroduisant la religion - et surtout la religion musulmane - dans l'espace de la politique, la gauche (mais aussi la droite) a disséminé les germes de la guerre civile.
Une République laïque ne doit reconnaître que des citoyens et non des communautés, et moins encore des communautés religieuses. Penser comme le font nos élus de droite et de gauche que la République doit des mosquées aux musulmans est une erreur et une trahison. Une erreur parce qu'elle conforte le communautarisme et le sécessionnisme musulman. Et une trahison parce que ce que la République doit aux Français, quelle que soit leur confession ou leur couleur de peau, ce sont des écoles, la liberté de pensée et d'expression.
Vous critiques beaucoup aussi l'Église. Mais n'est-elle pas dans son rôle lorsqu'elle exprime une compassion à l'égard des migrants? Faut-il toujours tout ramener à une vision politique?
Le rôle des journalistes n'est pas de prendre les apparences pour le réel. Quand Macron va au Collèges des Bernardins et déclare aux plus hautes personnalités du catholicisme français qu'il faut «réparer» le lien abîmé entre l'Église et l'État, que croyez-vous qu'il fasse? Une bonne action? Non, il fait de la politique. Il s'adresse à une Église catholique blessée par cent ans de laïcité et qui souffre d'une hémorragie de fidèles. Il lui dit: oublions la laïcité, revenez dans le jeu politique. Pourquoi Macron fait-il cela? Pour se constituer des alliés dans son grand projet de bâtir ce qu'il appelle l' «Islam de France». Macron a besoin d'alliés pour se débarrasser de la laïcité. Quel meilleur allié que l'Église?
Quant à la compassion de l'Église pour les migrants musulmans, il est bon de rappeler que cette compassion est sélective. L'Église ne défend pas les Coptes quand ils sont massacrés en Égypte, elle proteste à peine contre l'authentique épuration ethnique qui frappe les chrétiens d'Orient, et elle n'a guère eu de mot charitable pour les Yazidis massacrés par l'État islamique. C'est cette sélectivité compassionnelle qui interroge. J'essaye de montrer dans mon livre que la charité affichée de l'Église envers les musulmans est aussi une politique.
Quant aux médias, pour finir, vous y voyez des «falsificateurs de la vérité»?
Il y a quelques jours, le Journal télévisé de France 2 a diffusé un reportage sur l'épidémie d'attaques au couteau qui sévit à Londres. Mais la même épidémie sévit en France et aucun média ne dresse un tableau de la situation. Il faut feuilleter la presse de province, journal par journal, pour se rendre compte de l'ampleur des violences gratuites, souvent mortelles, commises au quotidien. Quand un journal évoque une attaque au couteau, on ignore le nom de l'agresseur et ses motivations. Comme s'il y avait une volonté d'anonymiser le «déséquilibré»! Les médias, dans leur grande majorité, participent au casse du siècle. Ils n'informent plus sur les problèmes, ils prêchent la «diversité» et le «vivre ensemble».
Rencontre avec Bat Ye’or : Un combat pour la vérité, par Pierre Lurçat
Je connais Bat Ye’or depuis près de 30 ans. Notre première rencontre date de la fin des années 1980, à l’occasion d’une conférence organisée par l’Association France-Israël et son président d’alors, Michel Darmon. Elle était alors au milieu de sa carrière d’historienne et n’avait pas encore atteint la notoriété internationale que lui valu son livre le plus fameux, dont le nom est désormais entré dans le vocabulaire politique contemporain: Eurabia. Je l’ai interviewée à plusieurs reprises sur ses travaux et sur ses différents ouvrages (1). Mais l’entretien qu’elle m’a accordé à l’occasion de la parution de son autobiographie politique, est différent. Bat Ye’or a en effet accepté de parler non seulement des sujets de ses livres, tous passionnants, mais aussi de son parcours intellectuel et personnel et de sa vie aux côtés de David Littman, son mari décédé il y a six ans.
Bat Ye’or nous reçoit dans sa maison sur les rives du lac de Genève, en Suisse, où elle vit depuis plusieurs décennies. Notre entretien porte tout d’abord sur la personnalité et l’action de celui qui a partagé sa vie et ses combats, David Littman. Un récent article de Jean Birnbaum dans le Monde des livres présentait Bat Ye’or de manière caricaturale, en omettant entièrement le nom de son mari. Or, celui-ci a joué un rôle important dans l’oeuvre de Bat Ye’or, comme me le confirme celle-ci.
“David a été très généreux avec moi. Il disposait de techniques acquises à l’université. J’étais plus impulsive dans mon écriture. Il contrôlait mes sources. Il ne me laissait pas écrire et publier sans son contrôle… Nous n’avions pas toujours les mêmes opinions. Il lisait mon travail et me procurait des livres, des articles qui m'intéresseraient et que je n'avais pas le temps d'aller chercher”.
David Littman (1933-2012)
David Littman, intellectuel et aventurier
La collaboration entre David et son épouse n’était pas seulement intellectuelle. Leur histoire d’amour, relatée avec pudeur dans l’autobiographie de Bat Ye’or, est aussi une histoire de courage et d’aventure, car Littman n’était pas un historien enfermé dans les bibliothèques et les salles d’archives, c’était un véritable globe-trotter.
“Nous avons passé trois mois en Asie. David voulait poursuivre des Indes jusqu'en Afghanistan, mais j'étais trop malade et il y a renoncé. Au fil des ans et avec une famille, David a renoncé à son côté aventureux pour vivre avec moi”.
P.L. Il a remplacé le goût de l’aventure physique par celui de l’aventure intellectuelle?
B.Y. “C’était un homme d’action, plus encore qu’un intellectuel. J’ai toujours eu le remords de ne pas avoir écrit un livre sur l’opération Mural”. Après cette opération - au cours de laquelle David et Bat Ye'or ont organisé le départ clandestin de cinq cent trente enfants juifs du Maroc vers Israël (1), Israël lui a proposé une nouvelle mission à Djerba, mais David, après mûre réflexion, a dû refuser. Nous nous étions engagés bénévolement pour aider les enfants juifs du Maroc, voulant accomplir une mitsva, mais de retour, nous voulions achever nos études.
Controverse avec Bernard Lewis
Nous abordons à présent les rapports entre les Littman et Bernard Lewis, le célèbre orientaliste américain, récemment décédé à l’âge de 102 ans. Bat Ye’or porte un regard critique sur l’oeuvre de Lewis, notamment en raison de son attitude à l’égard du génocide arménien (Lewis ayant contesté le génocide arménien, en adoptant peu ou prou la version turque de l’histoire du génocide).
"Quand je lisais les livres de Lewis, j’y trouvais dans certains domaines des erreurs et des généralisations, malgré son immense savoir et son érudition”.
Bat Ye’or souligne le refus de Lewis du concept générique (dont elle est l’inventrice) de la dhimmitude - c’est-à-dire d’une condition commune à l’ensemble des peuples soumis par le djihad et gouvernés par la chariah. Il avait une opinion très favorable de cette condition.
Je lui demande comment elle explique une telle attitude de la part d’un savant mondialement connu.
“Il peut y avoir plusieurs raisons. L’amour que l’on porte à la civilisation que l’on étudie. Les intérêts professionnels, la prudence politique. Et surtout le parallèle avec la Shoah, monstruosité sans pareille. Lewis ne s’est intéressé aux minorités religieuses que tardivement, après moi. Il était plutôt un spécialiste de la civilisation ottomane, un turcologue. C’est un autre domaine. Quant à moi, j’avais la chance d’être indépendante. Je comprends les scrupules de ceux qui craignent de perdre leur poste. »
Le propos est incisif, et l’indulgence apparente masque à peine un reproche très dur envers Lewis et beaucoup d’autres chercheurs, qui n’ont pas eu l’audace intellectuelle de Bat Ye’or.
Nous parlons maintenant le sujet le plus controversé de ses travaux, celui d’Eurabia, thème de son livre le plus fameux et toujours très actuel.
Dans une interview réalisée en 2009, elle définissait ainsi Eurabia : “C'est un nouveau continent qui est en train d'émerger, un continent de culture hybride, arabo-européenne. La culture européenne, dans ses fondements judéo-chrétiens, est en train de s'affaiblir progressivement, et de disparaître pour être remplacée par une nouvelle symbiose, islamo-chrétienne”.
Je lui demande si elle voit une évolution à cet égard depuis 2009. “Les gouvernements craignent (aujourd’hui) la rébellion de leurs peuples. Car maintenant, ces populations constatent les résultats de leurs décisions.…Et elles s’opposent à la politique d’Eurabia. Mais on ne peut changer facilement une idéologie et ses structures gouvernementales implantées depuis quatre décennies.
Nous évoquons aussi l’actualité d’Eurabia, au sujet du récent procès contre l’historien Georges Bensoussan, victime du “djihad judiciaire” (il vient d’être relaxé par la Cour d’appel de Paris). B.Y. : “Bensoussan était la cible idéale. C’est l’homme et son oeuvre qui furent visés à travers ce procès”.
Les sources de la dhimmitude
Bat Ye’or en vient à parler de la dhimmitude, thème central de ses travaux qui a fait l’objet de son premier livre, Le dhimmi, paru initialement en 1980 (et récemment réédité en France). Dans une précédente interview, elle m’avait expliqué ainsi sa découverte du thème fondamentale de la dhimmitude :
Mon projet initial fut d'écrire sur la condition des Juifs des pays arabes. J’en avais rencontré un grand nombre qui avaient été expulsés de leur pays d'origine et je les avais interviewés... On me demanda d’être l’un des membres fondateurs du WOJAC, l'association internationale des Juifs des pays arabes.
Nous avions tous vécu la même histoire, de persécutions, de spoliations et d'expulsions... C'est au cours de mes recherches que j'ai découvert la condition du dhimmi, qui a fait l'objet de mon livre Le Dhimmi, paru en 1980. Après sa parution, des chrétiens me contactèrent, et je commençai à m'intéresser à l'islamisation des pays chrétiens, thème auquel j'ai consacré un autre livre.
- Vous avez en fait découvert un pan inexploré de l'histoire mondiale. - Non… On a beaucoup écrit sur ce sujet jusque dans les années 1960s. Il existait de très bonnes monographies abordant le thème des conquêtes islamiques. Le sujet était traité au niveau historique donnant le récit des faits, des dates intégrés dans les relations internationales et le conflit des intérêts et des ambitions des Puissances. Je me suis placée du point de vue des populations conquises, c'est-à-dire des dhimmis. J’ai été attaquée pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’on considérait que je n’avais aucune légitimité pour en parler. Ensuite parce que j'englobais Juifs et chrétiens dans le même concept alors que l’on voulait absolument les séparer afin d’attribuer à Israël la cause des persécutions des chrétiens perpétrées par les musulmans. A partir des années 1970-80s peu osaient parler du Djihad. C'était un terme presque tabou, parce qu'il contredisait le mythe de la coexistence pacifique en terre d'Islam, que j'ai désigné comme le "mythe andalou".
“La source de la plupart des discriminations de la dhimmitude se trouve dans les lois du statut des juifs et des chrétiens schismatiques selon le droit canon de l’Eglise et du droit byzantin. L’orientaliste Louis Gardet avait noté cette similitude. Cependant même si certaines restrictions sont identiques, leurs justifications théologiques diffèrent dans l’islam et le christianisme et à certains égards le statut du dhimmi est plus sévère que celui du juif dans certains pays chrétiens. Ainsi il ne fut jamais interdit aux juifs européens de sortir chaussés ou de monter à cheval. Le Concile de Latran (1215) a repris la Rouelle de l’islam, qui imposait depuis des siècles déjà des signes distinctifs infamants vestimentaires et autres aux juifs et aux chrétiens. Dans l’islam, les juifs et les chrétiens ont un statut identique.
On retrouve aujourd’hui cette communauté de destin dans Eurabia, où le terrorisme (dont les Juifs ont été les premières victimes) se retourne contre les chrétiens, et contre l’Occident en général, tout comme la dhimmitude infligée par l’Eglise s’est retournée contre les chrétiens.
Réformer l’islam?
Pour conclure notre entretien, je lui demande si elle pense qu’un espoir de réformer l’islam existe. “Ce n’est pas à nous d’en décider. Il nous appartient de dire tout cela, de choisir des politiques qui tiennent compte de tout cela… (comme le fait Viktor Orban en Hongrie).
Cela encouragera les musulmans qui sont nombreux à vouloir moderniser l’islam, à agir dans leur pays et au sein de leur peuple.
Après le lâcher de colombes et le discours de l’imam Mohamed Tataï exaltant le rôle de rempart « contre l’extrémisme » de la nouvelle mosquée de Toulouse, inaugurée le 23 juin dernier, la vidéo mise en ligne par l’institut MEMRI a fait l’effet d’un trouble-fête. On y voit ce même imam Tataï citer in extenso un hadith contenant des propos virulents contre les juifs, et notamment la phrase suivante : « Le Prophète, que la prière et la paix soient sur Lui, a dit : le Temps ne viendra pas avant que les Musulmans ne combattent les Juifs et les tuent ; jusqu’à ce que les Juifs se cachent derrière des rochers et des arbres, et ceux-ci appelleront : Ô Musulman, il y a un Juif qui se cache derrière moi, viens et tue-le ! »
Ce hadith - propos du prophète rapporté par la tradition - est très souvent mentionné dans le discours islamiste contemporain. On le retrouve notamment dans la charte du Hamas, à l’article 7. Il illustre la dimension apocalyptique de l’islam, et la vision d’un affrontement avec les juifs qui n’est pas seulement politique, mais eschatologique : il est la condition préalable à la venue de la fin des temps. Cette dimension de l’islam rappelle à certains égards les conceptions hitlériennes de l’affrontement quasi-métaphysique entre l’Allemagne et les juifs.
Face à de tels propos dénués de toute ambiguïté, la réaction de l’imam Tataï, et plus encore celle du recteur de la mosquée de Paris, le soutenant et accusant les médias d’avoir« déformé ses propos », réveillent les soupçons de double discours de certains représentants de l’islam de France. Quand Dalil Boubakeur prend la défense de l’imam de Toulouse et soutient que ses propos ont été« décontextualisés », il sous-estime l’intelligence du public français. L’imam Tataï n’en était d’ailleurs pas à son coup d’essai, comme cela a été rappelé dans ces colonnes.
Les propos de l’imam Tataï constituent de toute évidence une incitation à la haine contre les juifs. Ils sont totalement contraires à la « charte des imams » et à la volonté affichée l’an dernier par le CFCMde lutter contre les discours radicaux tenus dans certaines mosquées, en proclamant« l’attachement des imams de France à l’islam du juste milieu et au pacte républicain ».Dans ce contexte, le discours du président Macron, selon lequel« il y a une lecture radicale, agressive de l'islam qui se fixe pour but de mettre en cause nos règles et nos lois de pays libre, de société libre dont les principes n'obéissent pas à des mots d'ordre religieux », est très en-deçà de la réalité.
L’affaire de l’imam Tataï constitue un test de la volonté présidentielle de« donner à l'islam un cadre et des règles garantissant qu'il s'exercera partout de manière conforme aux lois de la République ». Pour que le projet, maintes fois réaffirmé depuis plusieurs décennies, de créer un « islam de France » expurgé des discours radicaux, il faut que l’affaire de l’imam Tataï donne lieu à une triple réaction. Sur le plan judiciaire tout d’abord : la justice doit aller à son terme et condamner l’auteur des propos antijuifs. Il ne serait pas acceptable qu’un dirigeant religieux puisse prononcer des propos incitatifs à la haine, qui plus est dans une ville devenue un triste symbole du « nouvel antisémitisme » d’origine musulmane, sans être sanctionné.
Sur le plan politique ensuite : l’imam Tataï doit être démis de ses fonctions. Il n’est pas concevable que la nouvelle mosquée de Toulouse, qui vient d’être inaugurée, et la communauté musulmane de cette ville emblématique, soient abandonnées entre les mains d’un imam intégriste appelant à la guerre contre les juifs.
Sur le plan religieux enfin : cette affaire devrait donner l’impulsion nécessaire à une réflexion au sein de l’islam en France, pour que les hadiths comme celui des « rochers et des arbres », constitutifs d’un antijudaïsme virulent, apocalyptique et guerrier, soient abrogés ou tout simplement passés aux oubliettes. Cela est d’autant plus envisageable qu’il n’est pas question du Coran, mais simplement des propos attribués au prophète. Face à un discours islamiste radical et potentiellement meurtrier, le silence n’est plus de mise.
Les deux pleines pages consacrées par le Monde des Livres à l’historienne et essayiste Bat Ye’or, à l’occasion de la parution de son autobiographie, auront au moins eu le mérite de faire connaître au lectorat du Monde, pain quotidien des élites françaises, l’existence des travaux de celle qui, depuis plusieurs décennies, a porté à la connaissance des lecteurs du monde entier des sujets aussi importants que le dhimmi (sujet de son deuxième livre, Le Dhimmi, paru aux éditions Anthropos en 1980), la condition des minorités juive et chrétienne en terre d’islam et les notions essentielles de djihad et de dhimmitude. A ce titre, Bat Ye’or mérite la reconnaissance de tous ceux qui, sur plusieurs continents, ont découvert dans ses livres et ses écrits des notions indispensables à la compréhension du monde contemporain.
Le dhimmi, “ouvrage essentiel” (Le Monde en 1980)
Hélas, les lecteurs du Monde des Livres (et les auditeurs de France Culture, sur les ondes de laquelle sévit aussi le rédacteur en chef du supplément littéraire) n’en sauront pas beaucoup plus sur Bat Ye’or et sur son oeuvre. Son article relève plus en effet d’une entreprise de dénigrement et d’amalgame que d’une authentique enquête journalistique digne de ce nom, comme en attestent les lignes suivantes. “Les obsessions pugnaces et les angoisses virulentes qui structurent son parcours s’enracinent dans le déracinement. Elevée au Caire dans une famille juive bourgeoise et cultivée, d’ascendance italienne côté paternel et franco-britannique côté maternel, Bat Ye’or, de son vrai nom Gisèle Orebi, a vu son monde vaciller puis s’effondrer… De livre en livre, finalement, Bat Ye’or aura théorisé cette expérience d’inquiétude et de vulnérabilité, la radicalisant peu à peu jusqu’à l’universaliser dans un grand récit aux prétentions scientifiques douteuses, mais aux effets politiques explosifs”.
Ce portrait succinct contient plusieurs mensonges. Le premier est mineur, mais pas anodin. Bat Ye’or s’appelle certes Gisèle Orebi, de son nom de jeune fille, mais son vrai nom est Gisèle Littman, nom de son époux, David Littman, lui aussi historien et défenseur des droits de l’homme, disparu en 2012 (1). Ce dernier a non seulement partagé la vie de Bat Ye’or, mais il a aussi participé à ses combats et était lui aussi l’auteur d’une oeuvre importante et reconnue, touchant à des sujets très voisins de ceux abordés par son épouse, dont il a été le plus proche collaborateur, comme on le découvre en lisant son autobiographie (que J. Birnbaum n’a apparemment pas lue).
Gisèle et David Littman z.l.
L’absence de toute référence à Littman dans l’article du Monde des Livres n’est pas seulement une faute de goût ; elle participe en réalité d’une tentative pour discréditer les écrits et la personne de Gisèle Littman, présentée par Jean Birnbaum comme “l’hégérie des nouveaux croisés” et comme la coqueluche des sites et mouvements d’extrême-droite, surtout depuis la parution de son livre Eurabia.
Quand des intellectuels français reprennent à leur compte la terminologie islamiste
Le deuxième mensonge, plus significatif, consiste à faire croire que les écrits et travaux de Bat Ye’or participeraient d’une sorte de catharsis personnelle, tentative pour transformer une “expérience d’inquiétude et de vulnérabilité” en “grand récit” dont l’objectivité serait ainsi mise à mal par le vécu de son auteur… L’argument est familier aux lecteurs des auteurs post-modernes. Car comme on le sait aujourd’hui, il n’y a pas de vérité objective, mais seulement des “narratifs” concurrents… En vérité, derrière tout le fatras idéologique post-moderne auquel semble adhérer Birnbaum, se cache un autre “grand récit”, comme l’a bien vu Bat Ye’or elle-même, grand récit qui reprend à son compte la terminologie islamiste en parlant de “croisés” :
“Il est curieux de voir ce vocabulaire qui est celui des organes et des penseurs de l’Organisation islamique mondiale parfaitement intégré par les intellectuels français – surtout lorsqu’on connaît les contextes et le sens auxquels il est associé. Le mot croisé, par exemple, est pris dans le sens médiéval du chrétien ennemi total et absolu de l’islam. Je ne suis pas certaine de la pertinence de ce terme aujourd’hui au vu des milliards prélevés sur les impôts payés par les Occidentaux pour le développement économique, l’aide aux réfugiés et aux migrants du monde musulman”.
Une historienne à l’écoute des courants souterrains de l’histoire
Jean Birnbaum, comme Ivan Jablonka dont il reprend presque mot à mot l’analyse très orientée (dans son article paru il y a une dizaine d’années dans la Vie des idées), opère une distinction entre l’historienne auteur du Dhimmi, que le Monde des livres lui-même avait salué comme un “livre de référence” lors de sa parution en 1980, et la polémiste auteur d’Eurabia, devenue “l’hégérie des croisés” et “l’inspiratrice” du tueur Breivik (accusation délirante et indigne, que Birnbaum reprend à son compte). Comme si rien ne s’était passé entre 1980 et 2005 (dates de parution respectives du Dhimmi et d’Eurabia), comme si Bat Ye’or seule, et pas le monde dans lequel nous vivons, avait changé…On reconnaît ici l’attitude dogmatique et la cécité au monde qui nous entoure propres aux idéologues de gauche, dont fait partie Birnbaum (2).
Si Bat Ye’or l’historienne est descendue de sa tour d’ivoire dans l’arène politique, en écrivant Eurabia et en forgeant ce néologisme entré, n’en déplaise aux gardiens de la pensée dominante, dans le vocabulaire politique contemporain, c’est parce que les nécessités de l’heure l’exigeaient. Après le 11 septembre, on ne pouvait plus se contenter d’analyser l’histoire de l’islam et de ses rapports conflictuels avec le monde environnant, comme s’il s’agissait uniquement du passé.
A l’opposé de cette exigence de lucidité et de courage, de nombreux universitaires français et occidentaux ont préféré fermer les yeux sur la réalité nouvelle de l’islam conquérant. Citons le cas de Gilles Kepel, ponte de l’islamologie en France, dont le grand livre Djihad, paru en l’an 2000, était sous-titré “Expansion et déclin de l’islamisme”... Quand sa thèse a volé en éclats dans le fracas des attentats du 11 septembre, nous n’avons pas entendu l’auteur se remettre en question. Au contraire, il a depuis lors publié plusieurs ouvrages médiocres et idéologiquement marqués, renvoyant dos-à-dos les militants de l’islam radical et les néo-conservateurs américains !
Dans une interview qu’elle m’avait accordée en 2005 pour le Jerusalem Post, Bat Ye’or expliquait ainsi la notion d’Eurabia, que ses détracteurs s’obstinent à décrire comme une “théorie du complot” : “Eurabia est un nouveau continent qui est en train d'émerger, un continent de culture hybride, arabo-européenne. La culture européenne, dans ses fondements judéo-chrétiens, est en train de s'affaiblir progressivement, et de disparaître pour être remplacée par une nouvelle symbiose, islamo-chrétienne. J'ai reconnu ce processus, que j'avais déjà étudié dans mon livre sur les chrétientés d'Orient, où j'analysais les causes historiques du déclin des civilisations chrétiennes sous l'Islam... Ce qui m'a intéressée, c'est de tenter de découvrir les indices qui dessinent une évolution future, les courants souterrains de l'histoire qui mènent à des développements prévisibles, mais souvent imperceptibles”.
Le lecteur jugera qui a raison, entre le politologue français qui prédisait le “déclin de l’islamisme” en 2000, et l’historienne juive égyptienne qui tente depuis quatre décennies d’alerter le monde et d’éclairer les esprits sur les réalités de l’islam et de sa volonté de conquête.