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politique israelienne

Le fantasme de la sécession et de la guerre civile au cœur de la culture israélienne

June 23 2024, 11:56am

Posted by Pierre Lurçat

Le fantasme de la sécession et de la guerre civile au cœur de la culture israélienne

 

Pour comprendre la poursuite des appels à la guerre civile et au renversement du gouvernement par tous les moyens – au milieu d’une guerre existentielle dont l’enjeu est la survie de notre Etat – il faut se pencher sur le fantasme de la « sécession », qui habite la culture et la politique israélienne depuis 1948. Article paru dans Israël Magazine, avant la guerre du 7 octobre. P.L.

 

« Chaque religion parle de ce qui lui fait défaut », faisait remarquer le rabbin Léon Ashkénazi, à propos du désir d’unité au sein du peuple Juif. En réalité, tout autant que le souhait de rester un peuple uni, c’est souvent la volonté contraire qui est exprimée aujourd’hui dans le débat public israélien : celle d’une séparation entre deux États, un État juif laïc autour de Tel-Aviv et un État juif religieux autour de Jérusalem. Mais cette idée fantasmatique n’a pas été inventée par les cerveaux des publicitaires et des généraux en retraite qui dirigent l’actuel mouvement de protestation. Elle court en réalité comme un fil rouge à travers la culture israélienne depuis 1948 et même avant. Un des premiers qui a exprimé l’idée de la séparation fut Amos Kenan, dans son livre La route d’Ein Harod, paru en 1984, qui décrivait un Israël en proie à la guerre civile.

 

Dans ce roman dystopique, un coup d’État amenait au pouvoir une junte militaire, qui expulsait du pays la minorité arabe, tandis qu’une poignée de rebelles résistait au nouveau pouvoir dans le nord du pays. Le roman relatait le périple d’un habitant de Tel-Aviv soumise au pouvoir militaire, pour rejoindre Ein Harod en Galilée. Trois décennies plus tard, le thème de la sécession et de la guerre civile est au cœur de la série Autonomies, écrite par Yonathan Indurski et Ori Elon (auteurs de Shtisel) et diffusée en 2019. Cette fois-ci, la guerre civile a triomphé et donné lieu à une véritable scission entre un État séculier autour de Tel-Aviv et un autre religieux autour de Jérusalem.

 

Plus récemment, Yishaï Sarid a publié un roman intitulé Troisième Temple, qui décrit un Israël en guerre, dans lequel un officier juif lève une armée pour reconquérir le pays dévasté par les Amalécites, après la reconstruction du Temple de Jérusalem. Dans le roman de Sarid, paru en 2015, la Cour suprême est supprimée par décret royal et remplacée par le Sanhédrin. Ce dernier a notamment pour tâche de juger les dirigeants rebelles de Tel-Aviv, condamnés pour avoir préconisé la suppression du shabbat et de la circoncision. Il n’est pas anodin que l’auteur soit le fils de l’ancien député et ministre Yossi Sarid, ancien dirigeant du parti Meretz.

 

Ces trois exemples montrent que l'idée d'une séparation entre deux Israël est présente depuis longtemps dans l'imaginaire et dans l'ethos collectif de l'État juif. Plus encore que le fantasme d'un nouveau schisme – qui rejouerait l'épisode historique traumatique de la séparation entre le royaume d'Israël et celui de Juda – cette thématique illustre la tentation, omniprésente au cœur même du mouvement de renaissance nationale juive, d'une séparation entre le destin israélien et le destin juif, vécu comme une malédiction.


La contradiction inhérente au sionisme politique

 

Citons encore une fois le rabbin Ashkénazi, observant que certains Israéliens étaient venus ici pour ne plus être Juifs, tandis que d'autres souhaitaient au contraire y devenir plus Juifs... Cette contradiction inhérente au projet sioniste rejaillit aujourd'hui avec une violente décuplée, au sein du mouvement d’opposition au gouvernement, accusé d'être le « plus à droite de l'histoire d'Israël ». Dans cette opposition se fait jour un autre reproche, beaucoup plus profond : celui de vouloir réinscrire l'histoire d'Israël-État dans celle d'Israël-peuple et de confondre le destin israélien avec la vocation juive.

 

C'est ce reproche fondamental qui permet de comprendre le fantasme récurrent d'une séparation et d'un nouveau schisme. Faire sécession d'un État juif englobant les provinces historiques de Judée et de Samarie en se repliant sur « l'État de Tel Aviv » – synonyme de liberté et de modernisme – pour échapper à Jérusalem, à ses vieilles pierres (le fameux « Vatican » auquel Moshe Dayan était impatient de renoncer, après la victoire miraculeuse de juin 1967) et à sa tradition millénaire. C'est dans ce contexte que prend tout son sens le slogan des manifestants « Hofshi beArtsenou » (« libre sur notre terre »), qui oblitère délibérément la fin de la citation de notre hymne national : « la terre de Sion et de Jérusalem ».

 

Mais ce fantasme récurrent de la sécession est voué à l'échec, car jamais le peuple juif n'est parvenu à échapper à sa vocation. Son seul choix est de l'assumer librement et fièrement, ou au contraire de la supporter comme un destin non choisi et malheureux. Dans cette perspective, les événements des derniers mois s’apparentent à une nouvelle crise d’identité, ou plus précisément à une nouvelle phase de la « mutation d’identité » que vit le peuple Juif, en passe de redevenir Hébreu sur sa terre retrouvée.

P. Lurçat

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La “cancel-culture” est-elle une invention juive ? La gauche israélienne et la politique du ressentiment (I)

April 25 2024, 08:15am

Posted by Pierre Lurçat

Manifestation anti-Nétanyahou

Manifestation anti-Nétanyahou

 

Après l’attaque sans précédent de l’Iran contre le territoire israélien et alors que le front Nord se réchauffe, comment comprendre que la “gauche” israélienne (qui n’a évidemment peu à voir aujourd’hui avec les idéaux de la gauche authentique, ses chefs appartenant tous – d’Ehoud Barak à Yaïr Lapid – à ce qu’on appelait jadis en France la “gauche caviar”) ne trouve rien de mieux à faire que de mettre les rues du pays à feu et à sang pour réclamer, comme elle ne cesse de le faire depuis plusieurs années, le départ de “Bibi”? Comment expliquer que cette même gauche, aux moments les plus dramatiques de notre histoire – et jusque dans le ghetto de Varsovie – ait préféré ses intérêts partisans à l’intérêt supérieur de la nation juive ?

 

En réalité, comme l’avait déjà observé Shmuel Trigano il y a plus de vingt ans, l’identité profonde de la gauche israélienne et juive est une identité du ressentiment. En effet, expliquait-il, “Le camp de la paix a toujours un “mauvais Israël” contre lequel s’affirmer, une exclusion d’autrui à travers laquelle il s’identifie lui-même. Son identité est fondamentalement une identité du ressentiment”[1]. Ce ressentiment, nous l’avons vu à l’œuvre depuis plus d’un siècle dans l’histoire d’Israël. Quand les portes de l’émigration ont été fermées par l’Angleterre devant les Juifs fuyant le nazisme dans les années 1930, le Yishouv dirigé par la gauche sioniste a interdit aux membres du Betar de recevoir les précieux “certificats”, les condamnant ainsi à une mort certaine.

 

Avant cela, elle leur avait fermé le marché du travail, la Histadrout exigeant de chaque travailleur juif qu’il détienne le “carnet rouge” (pinkas adom) attestant de son appartenance au “camp des travailleurs”... A la même époque, David Ben Gourion maniait l’insulte envers son principal rival, Zeev Jabotinsky, qu’il qualifiait de “Vladimir Hitler”. Plus tard, Ben Gourion ne désignait jamais Menahem Begin par son nom, s’adressant à lui à la Knesset uniquement comme “le voisin du député Bader”... Ce dernier exemple est particulièrement significatif. Il montre en effet que la “cancel culture” actuelle n’a rien inventé.

 

Depuis l’assassinat d’Arlosoroff (le 16 juin 1933) et jusqu’à nos jours, la gauche sioniste s’est servie de la violence et des accusations de violence à des fins politiques – pour asseoir et maintenir son hégémonie (l’affaire Arlosoroff est survenue alors que le mouvement sioniste révisionniste était à son apogée) – et elle a constamment accusé ses adversaires, en recourant à la “reductio ad hitlerum[2], c'est-à-dire en accusant ses adversaires politiques d'être des “nazis”

 

La reductio a hitlerum, dont sont aujourd’hui victimes Israël et ses défenseurs sur la scène publique internationale, est ainsi dans une large mesure une invention de cette gauche juive – sioniste et non sioniste – qui n’a reculé devant aucun procédé, recourant au mensonge et à la calomnie pour “annuler” ses adversaires. Ils ont “annulé” Jabotinsky et Begin, réécrit l'histoire du mouvement sioniste pour effacer la part de ceux qui ne pensaient pas comme eux – sionistes révisionnistes, sionistes religieux, mizrahim ou ‘haredim – et aujourd'hui ils voudraient annuler Netanyahou et la volonté de la majorité des Israéliens…

 

Ironie de l’histoire, ceux-là même qui ont trouvé des boucs émissaires dans leur propre camp, en accusant de tous les maux leurs adversaires politiques, se trouvent aujourd’hui trahis par leurs anciens “camarades” progressistes, devenus les ennemis jurés d’Israël, et qui sont en train de rendre judenrein les grandes universités, aux Etats-Unis et ailleurs… (à suivre)

P. Lurçat

 

NB. Mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain vient d’être réédité aux éditions B.O.D. et peut désormais être commandé dans toutes les librairies.

 

 

 

 

 

[1] S. Trigano, L’ébranlement d’Israël, Seuil 2002.

[2] Bien avant que l’expression ne soit forgée par Leo Strauss au début des années 1950.

 

 

[1] S. Trigano, L’ébranlement d’Israël, Seuil 2002.

"Le voisin du député Bader" : Menahem Begin

"Le voisin du député Bader" : Menahem Begin

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Pourquoi le 7 octobre ? (II) Ces “Gatekeepers” qui ont oublié qui était l’ennemi, Pierre Lurçat

February 1 2024, 09:25am

Posted by Pierre Lurçat

Ami Ayalon avec Itshak Rabin

Ami Ayalon avec Itshak Rabin

 

Comment les « Gatekeepers » ont-il pu méconnaître à ce point les intentions et le mode de pensée de nos ennemis ? Et pourquoi sont-ils tellement ignorants et méprisants à l’égard de la tradition d’Israël, ou plus précisément, pourquoi la considèrent-ils comme un danger et comme une menace sécuritaire, voire existentielle pour Israël ? Ce sont en fait les deux facettes d’une seule et même question. Deuxième volet de notre analyse consacrée aux « Gatekeepers », ces responsables des services de sécurité et de l'armée qui portent la responsabilité de l'échec colossal du 7 octobre. P.L. (Premier volet : Pourquoi le 7 octobre ? Ces “Gatekeepers” qui ont ouvert la porte à l’ennemi)

 

Si Israël, comme le pensent Ami Ayalon et tous ceux qui lui ressemblent, n’a vocation à être qu’un Etat occidental et une « démocratie libérale », alors effectivement, la question des droits de l’Homme est essentielle et c’est à l’aune du respect par Israël des « droits » de ses ennemis que peut se mesurer la réussite du projet sioniste. Cette hypothèse implicite n’est quasiment jamais remise en question, sinon sur le mode de la peur apocalyptique que suscite chez eux toute éventualité qu’Israël se transforme en autre chose[1]. Cette peur est explicitée par Ayalon sur la page de présentation de son livre au titre éloquent, Friendly Fire, How Israel became its own worst enemy, sur le site de l’université de Tel-Aviv.

 

 « Si Israël devient une dystopie orwellienne », écrit Ayalon, « ce ne sera pas grâce à une poignée de théologiens qui nous entraînent dans un sombre passé. La majorité laïque nous y conduira, motivée par la peur et propulsée par le silence ». Dans cette affirmation capitale, on trouve les deux credos fondamentaux de la gauche laïque pacifiste qu’il incarne : toute affirmation d’une identité juive israélienne dans le domaine public équivaut à un « retour à un sombre passé », et seule la « majorité laïque » peut empêcher ce scénario cauchemardesque.

 

Cette peur fantasmatique de la dimension collective du judaïsme est celle qui a animé les manifestations de l’avant 7 octobre, qu’Ayalon espère voir bientôt reprendre, avec la participation des 300 000 soldats qui se battent à Gaza. Aux yeux d’Ami Ayalon, le combat contre le Hamas est secondaire ; il ne doit pas effacer le combat prioritaire, celui pour l’identité d’Israël. C’est dans ce contexte qu’il appelle, aujourd’hui comme hier, à la création d’un Etat palestinien, sans se poser la question du danger que celui-ci représenterait pour Israël : « ll faut se battre pour un Etat palestinien, non parce que nous aimons les Palestiniens, mais pour notre sécurité et pour sauver notre identité ».

 

On comprend dès lors pourquoi Ami Ayalon, comme d’autres membres de l’establishment militaire israélien qui n’ont pas vu venir le 7 octobre, n’a pas changé d’un iota son discours depuis cet événement. A ses yeux, le 7 octobre et la guerre contre le Hamas ne sont qu’une parenthèse, qu’il faut s’empresser de refermer pour reprendre le combat intérieur, pour « sauver notre identité » (à savoir, celle d’un Etat laïque occidental dans lequel le judaïsme serait relégué à la sphère privée). Cette priorité du « combat intérieur » est la clé qui permet de comprendre la cécité d’Ayalon et des autres « Gatekeepers » partageant sa vision du monde face à la menace existentielle du Hamas et des autres ennemis radicaux du peuple Juif. Elle procède de la confusion – très répandue au sein de la gauche israélienne – entre l’adversaire et l’ennemi.

 

“Repenser l’ennemi” ?

 

C’est ainsi qu’il faut comprendre l’affirmation d'Ayalon – étonnante en apparence – selon laquelle il convient de « repenser l’ennemi », ou la phrase sibylline sur sa page du site de l’université de Tel-Aviv (où il est professeur émérite du département d’histoire du Moyen Orient et d’Afrique) selon laquelle « En tant que chef de l’agence de sécurité du Shin Bet, il a acquis de l’empathie pour ‘’l’ennemi’’ ». Si le mot ennemi est placé entre guillemets, cela signifie que, dans l’univers conceptuel où évoluent Ayalon et les autres membres de l’establishment qui partagent ses idées, le concept même d’ennemi a disparu

 

Le Hamas n’est donc pas à leurs yeux un ennemi irréductible d’Israël et des Juifs, comme l’ont cru des millions d’Israéliens au lendemain du 7 octobre (et bien avant, pour les plus lucides d’entre eux). Non, explique Ayalon (après le 7 octobre !) : « Nous ne faisons pas la guerre aux Palestiniens. Il y a des Palestiniens qui soutiennent le Hamas. Ils ne le font pas parce qu’ils adhèrent à l’idéologie religieuse du mouvement, mais parce qu’ils voient le Hamas comme la seule organisation qui se bat pour leur liberté et la fin de l’occupation israélienne… »

 

Citation éloquente et presque sidérante, dans la cécité qu'elle exprime envers la situation actuelle à Gaza, telle que la décrivent des dizaines de témoignages concordants de soldats et d'officiers qui y combattent. Non, le soutien au Hamas n'est pas comme le décrit Ayalon, celui à une organisation qui « se bat pour leur liberté », selon la vision occidentale totalement mensongère du « combat pour la libération nationale » du « peuple palestinien » (discours inventé de toutes pièces lors de la création de l’OLP, avec le soutien actif de l’URSS). Comme l’ont rapporté les soldats depuis Gaza, le soutien au Hamas procède d’une adhésion totale à son discours apocalyptique et radicalement antijuif, discours profondément enraciné dans la culture de l’islam.

 

Ainsi, il s’avère que la cécité des « Gatekeepers » face à la menace existentielle du Hamas n’est qu’un élément de leur cécité plus générale envers toute notion d’un ennemi musulman irréductible. Dans leur vision du monde idéologisée, le seul « ennemi » qui mérite d’être combattu est l’ennemi intérieur, à savoir les Juifs nationalistes/religieux/messianistes, comme en atteste la récente campagne de Fake News sur la soi-disant « violence des colons », ou encore les déclarations de l’écrivain Haïm Beer sur ce sujet. Obnubilés par leur idéologie et par leur obsession de la guerre fratricide, les « Gatekeepers » d’Israël ont laissé l’ennemi véritable bâtir sa force militaire et pénétrer le territoire souverain de l’Etat juif. (à suivre…)

 

P. Lurçat

 

 

[1] Alors que le mouvement sioniste, pour ne parler que de l’histoire récente, a toujours été traversé par un débat intérieur sur la nature du projet sioniste et sur l’identité de l’Etat qu’il voulait fonder.

Pierre Lurçat  050-2865143 - Century21  5 rehov Marcus, Talbieh, Jérusalem  About us - Century 21 Jerusalem

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Manipulation politique et mensonges médiatiques : le débat intérieur israélien sous influences étrangères

September 13 2023, 06:18am

Posted by Pierre Lurçat

Le photomontage d'origine iranienne

Le photomontage d'origine iranienne

 

Alors que les médias israéliens diffusaient le discours offensif du chef du Mossad contre l’Iran, dans lequel ce dernier affirmait qu’Israël n’hésiterait pas à frapper au cœur du territoire iranien, une information passée bien plus inaperçue montre à quel point l’Iran a réussi, sans tambour ni trompettes, à pénétrer au cœur de la société civile et de la politique israélienne. Un photomontage du commandant de la région centre, Yehuda Fuchs, arborant un brassard nazi et une moustache à la Hitler, a été diffusé sur un compte Twitter israélien. Après vérification, il s’avère que ce compte Twitter était celui d’un « Bot » – un robot activé par les services secrets iraniens.

 

Mais cette révélation faite par le Shin-Beth – les services de sécurité intérieure israéliens – est arrivée trop tard: le chef de l’opposition Yair Lapid avait déjà relayé le photomontage, en accusant le gouvernement d’incitation à la haine, accusation reprise par la 12e chaîne de télévision en « Une » de son journal télévisé… Cette affaire emblématique montre au moins deux choses. La première est l’imprudence et la négligence coupable avec laquelle Yair Lapid – qui est devenu pour l’occasion un pion de puissances étrangères – et la 12e chaîne ont relayé la manipulation iranienne, sans attendre que l’identité du propriétaire du compte Twitter soit vérifiée. Le second aspect, bien plus inquiétant, est celui des manipulations politiques étrangères en Israël.

 

Dans le cas de l’Iran, la manipulation a été dévoilée au grand jour au bout de 24 heures, grâce à l’efficacité du Shin-Beth. Le mal était certes fait, mais il a été circonscrit. Toutefois, l’Iran n’est pas le seul à tenter – avec succès – de manipuler le débat politique intérieur israélien. D’autres pays s’y emploient depuis longtemps, avec un succès encore plus grand. Les manifestations incessantes auxquelles on assiste depuis l’intronisation du gouvernement israélien sont en partie financées par des fonds étrangers, tout comme le sont les innombrables ONG qui déterminent l’ordre du jour du débat public, à travers leurs recours incessants devant la Cour suprême, contre des décisions de l’armée, de la Knesset ou du gouvernement.

 

En réalité, c’est l’ensemble de la vie politique israélienne qui est aujourd’hui placée sous influences étrangères, celle de l’Iran n’étant pas la plus néfaste. Si les grands médias israéliens n’étaient pas eux-mêmes sous influence, ils devraient enquêter d’urgence sur le « soft-power » – de moins en moins « soft » et de plus en plus brutal – qui tente de contrecarrer la politique de l’Etat israélien et de renverser son gouvernement, qu’il s’agisse de l’administration Biden, de l’Union européenne, ou d’autres acteurs hostiles à Israël et à son gouvernement. C’est aussi cette guerre d’influence qui est au cœur de l’actuel débat juridique et politique. L'enjeu de ce débat dépasse de loin les seuls aspects techniques et légaux évoqués hier devant la Cour suprême. L'enjeu essentiel est de faire d'Israël, 75 ans après la Déclaration d'indépendance, un pays véritablement indépendant. A la veille de l’année 5784, souhaitons que la nouvelle année apporte de bonnes nouvelles pour le peuple d’Israël !

P. Lurçat

CHANA TOVA! Très bonne année 5784 à mes lecteurs!

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Crise constitutionnelle ou conflit de pouvoirs ? (I) La seconde phase de la “Révolution constitutionnelle” a commencé

September 1 2023, 09:33am

Posted by Pierre Lurçat

Crise constitutionnelle ou conflit de pouvoirs ? (I) La seconde phase de la “Révolution constitutionnelle” a commencé

Depuis plusieurs semaines, l’expression de « crise constitutionnelle » ne cesse d’être employée et brandie comme un épouvantail, ou parfois comme une menace. A l’approche de l’audience de la Cour suprême sur la Loi supprimant le critère de raisonnabilité, il importe de définir ce que signifie cette expression et de se demander en quoi elle est ou non pertinente pour décrire le débat politique et juridique actuel en Israël.

 

Traditionnellement, l’expression de « crise constitutionnelle » désigne une situation dans laquelle la Constitution ne prévoit aucune solution pour résoudre une crise politique. Parmi les exemples classiques de crise constitutionnelle, on peut citer les cas de sécession d’États de l’Union aux États-Unis (avant la guerre de Sécession), ou le mariage du roi Edouard VIII avec Wallis Simpson en Angleterre, en 1936. Ces deux exemples mettent en évidence la différence fondamentale avec le cas d’Israël aujourd’hui : contrairement aux États-Unis et à l’Angleterre, Israël ne possède en effet pas de Constitution, au sens précis du terme. On ne peut donc employer le terme de « crise constitutionnelle » à proprement parler, mais plutôt celui de « crise politique », ou de conflit institutionnel.

 

Il s’agit en effet avant tout d’un conflit de pouvoir, qui connaît actuellement un nouveau climax, avec la possible annulation par la Cour suprême de l’amendement à la Loi fondamentale sur le critère de raisonnabilité. En apparence, la décision de la Cour suprême de juger recevables les multiples recours formés contre l’amendement à la Loi sur le pouvoir judiciaire adopté le mois dernier n’avait rien d’exceptionnel. A peine la loi était-elle votée que – quelques minutes plus tard seulement – les premiers recours affluaient au secrétariat de la Cour suprême. Les acteurs habituels – Mouvement pour la qualité du gouvernement, etc. – avaient préparé leurs recours bien avant le vote de la Knesset…

 

Mais derrière cette apparence de « normalité », quelque chose d’inhabituel – et même d’extraordinaire – est en train de se jouer. Car la loi votée le mois dernier n’est pas une loi ordinaire, mais un amendement à une Loi fondamentale. Rappelons qu’une Loi fondamentale (Hok Yessod) a une valeur supra-législative, ou quasi-constitutionnelle. Comme je l’explique dans mon livre sur le sujet*, les Lois fondamentales sont les chapitres d’une future Constitution, dont l’adoption formelle a été empêchée jusqu’à ce jour pour de multiples raisons. Profitant de ce vide constitutionnel, le président de la Cour suprême Aharon Barak a depuis les années 1990 initié une « Révolution constitutionnelle », par laquelle il a prétendu faire de la Cour suprême un véritable « Conseil constitutionnel », c.-à-d. un juge de la constitutionnalité des lois et des actes du gouvernement et de l’administration.

 

Le raisonnement du juge Aharon Barak, devenu depuis une théorie admise par une majorité des membres de l’establishment judiciaire, est que les deux lois fondamentales de 1992 (Loi sur la dignité de l’homme et sur la liberté professionnelle) sont la « Déclaration des droits de l’homme » d’Israël et qu’à ce titre, elles doivent être respectées par tous, sous le contrôle de la Cour suprême. Le « hic » de cette théorie est qu’elle a été élaborée de manière unilatérale par le juge Barak et par ses partisans, sans avoir été jamais validée par la Knesset ou par le peuple, et ce en l’absence de Constitution véritable.

 

Si la Cour suprême devait – comme cela est de plus en plus probable – annuler une Loi fondamentale, il y aurait là une deuxième étape de la « Révolution constitutionnelle », ou même une « deuxième Révolution constitutionnelle », encore plus dramatique que la première de l’avis de certains commentateurs. Dans la première “Révolution constitutionnelle » de 1992, en effet, la Cour suprême s’était placée au-dessus de la Knesset en tant que pouvoir législatif, en s’autorisant de manière unilatérale à annuler des lois. Si elle annulait une Loi fondamentale, cela voudrait dire qu’elle est aussi désormais au-dessus de la Knesset en tant que pouvoir constituant (ou quasi-constituant), puisqu’elle s’arrogerait le droit d’annuler une loi à valeur quasi-constitutionnelle (ou constitutionnelle de l’avis de ceux qui considèrent que les Lois fondamentales ont une valeur constitutionnelle).

 

C’est donc une décision dramatique qui risque d’être prise dans les prochaines semaines, dont l’enjeu concerne le fragile équilibre des pouvoirs – déjà menacé par la première Révolution constitutionnelle – et le bon fonctionnement de la jeune démocratie israélienne. Dans la suite de cet article, nous verrons pourquoi il est problématique pour la Cour suprême de se prononcer sur la Loi fondamentale restreignant le critère de raisonnabilité. (à suivre…)

P. Lurçat

 

Mon livre Quelle démocratie pour Israël ? publié aux éditions l’éléphant, est disponible sur B.o.D, Amazon, à la librairie du Temple à Paris, à la librairie française de Tel-Aviv et auprès de l’éditeur à Jérusalem (editionslelephant@gmail.com)

 

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La religion progressiste contre la Torah d’Israël (III) Qui sont les “grands-prêtres” de la nouvelle religion progressiste israélienne? Pierre Lurçat

August 9 2023, 13:56pm

Posted by Pierre Lurçat

"Crime Minister" : exemple de slogan de la propagande actuelle

"Crime Minister" : exemple de slogan de la propagande actuelle

 

            Dans le premier volet de cette série d’articles, nous faisions le constat que, dans l’esprit des adeptes de la religion progressiste, il n’y a de place pour le moindre doute. Leur religion leur enjoint de combattre le gouvernement démocratiquement élu d’Israël par tous les moyens, y compris violents… Et nous posions in fine la question de savoir qui sont les nouveaux prêtres de la “religion progressiste” israélienne ? C’est à cette question que nous allons tenter de répondre.

 

Première hypothèse : les écrivains et les intellectuels

 

            Durant les sept premières décennies de l’existence de l’Etat d’Israël (et auparavant déjà), les intellectuels, et les écrivains en particulier, ont rempli un rôle de premier plan dans le débat public. Ils ont incarné, pour le meilleur et parfois pour le pire, le visage de “nouveaux prêtres” de la culture laïque israélienne en devenir et ont marqué de leur empreinte les débats autour des questions cruciales de l’identité, de la politique et de l’avenir d’Israël. Citons, parmi tant d’autres, les noms de Nathan Alterman, d’Amos Oz ou de David Grossman.

 

            Or, de manière flagrante, ces mêmes écrivains sont aujourd’hui largement absents du débat public et ne participent plus aux événements qu’en tant que spectateurs. Le “mythe de l’écrivain engagé”, déjà largement écorné depuis la période des accords d’Oslo, est aujourd’hui remisé aux oubliettes. On en donnera pour illustration le fait que, dans les Haggadot rédigées par les adeptes de la religion progressiste, les écrivains n’occupent qu’une place mineure, aux côtés d’autres figures de proue des mouvements d’opposition.

 

Deuxième hypothèse : les dirigeants politiques et militaires

 

            La présence massive, au sein des manifestations quasi hebdomadaires qui se déroulent depuis huit mois en Israël, des dirigeants de l’opposition et celle de plusieurs anciens chefs d’état-major, pourrait faire croire que ce sont eux qui “tirent les ficelles” et qui animent le débat public. A certains égards, on peut effectivement dire que le “quarteron de généraux” omniprésent dans les manifestations de l’opposition dirige celles-ci. Mais sont-ils pour autant les “prêtres” de la religion progressiste ? On peut en douter.

 

            Leur fonction semble plutôt être celle d’une direction tactique et d’un contrôle idéologique que celle d’une véritable direction spirituelle… A écouter les propos incendiaires d’un Ehoud Barak ou d’un Ehoud Olmert, on a plutôt l’impression que leur rôle est de jeter de l'huile sur le feu, chaque fois que celui-ci semble s’éteindre.

 

Troisième hypothèse : les publicitaires

 

            L'hypothèse que nous formulons ici est que les véritables “prêtres” de la religion progressiste israélienne sont ceux qui élaborent les slogans des manifestations et les innombrables instruments visuels, graphiques ou autres, qui tiennent lieu de discours et de “rituels”, pour les manifestants adeptes de la religion progressiste. Ce sont eux en effet qui parviennent à “nourrir” les grandes messes hebdomadaires qui se déroulent rue Kaplan à Tel-Aviv, devant la résidence du Président à Jérusalem et ailleurs dans le pays…

 

            Le rôle crucial rempli par des agences de publicité dans la campagne de propagande anti-gouvernementale actuelle s’explique par un constat qui a été fait depuis plusieurs décennies, aux Etats-Unis et ailleurs : celui du lien étroit entre publicité, propagande et politique. Comme l’observe la psychologue Liliane Lurçat dans son étude de la manipulation, il n’y a “pas de différence entre les démarches utilisées en persuasion politique et en persuasion publicitaire, elles sont sensiblement les mêmes[1]. C’est précisément ces méthodes de persuasion politico-publicitaire auxquelles nous assistons en Israël et qui permettent de comprendre l’engouement d’un vaste public pour des slogans simplistes, véhiculant des opinions tranchées et souvent extrémistes.

 

Ce que montre le mouvement de protestation anti-gouvernemental, dirigé par un petit groupe d’hommes politiques et d’anciens chefs militaires aux ressources financières considérables et nourri de slogans simplistes et mensongers, c’est que les techniques de la persuasion politique, utilisées à mauvais escient, mettent en danger la pérennité d’un gouvernement démocratiquement élu. Dans cette lutte d’influence pour convaincre l’opinion, les publicitaires sont bien devenus les “grands-prêtres” de cette grande messe progressiste qui se déroule semaine après semaine dans les rues et sur les places d’Israël.

Pierre Lurçat

Mon livre Quelle démocratie pour Israël ? est publié aux éditions l’éléphant, disponible sur B.o.D, Amazon, à la librairie du Temple à Paris, à la librairie française de Tel-Aviv et auprès de l’éditeur (editionslelephant@gmail.com)

 

[1] L. Lurçat, La manipulation des enfants par la télévision et l’ordinateur, F.X de Guibert 2008.

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Démocratie ou oligarchie ? Pourquoi la réforme judiciaire doit se poursuivre, Pierre Lurçat

July 31 2023, 08:41am

Posted by Pierre Lurçat

Manifestation contre l’expulsion du Goush Katif

Manifestation contre l’expulsion du Goush Katif

« Les différends publics doivent être réglés dans le cadre des institutions existantes… Aucun Etat démocratique ne peut accepter ceux qui utilisent la rhétorique de la démocratie et des droits de l’homme, tout en agissant pour semer l’anarchie ».

 

A. Barak, Bagatz S. Malka et A. Vangrover c. Etat d’Israël, 2005)[1]

 

 

Dans un éditorial surprenant, publié vendredi dans Makor Rishon, Haggai Segal dresse un réquisitoire cinglant contre la politique du gouvernement concernant la réforme judiciaire, qu’il conclut par un appel à licencier le ministre de la Justice Yariv Levin. L’argument principal de Segal est que la tentative de faire passer la réforme coûte que coûte équivaut à rentrer dans le mur et que le prix à payer ne justifie pas de poursuivre dans cette voie. Il faut donc reléguer au placard la réforme pour se consacrer à d’autres sujets plus importants… Cet avis est partagé par d’autres commentateurs, au sein du monde sioniste religieux et également au sein du Likoud.

 

Or, en réalité, la réforme judiciaire n’est pas seulement un dossier parmi d’autres. Elle conditionne l’exercice du pouvoir par le gouvernement actuel et par la coalition élue en novembre dernier. L’expérience amère des huit derniers mois montre en effet que le vote d’une majorité d’Israéliens – la plus stable depuis cinq élections – est vide de sens, s’il ne s’accompagne pas d’un retour du pouvoir au peuple et à la Knesset, qui en ont été dépossédés depuis plusieurs décennies par un gouvernement des juges, soutenu par les médias et par l’establishment, comme je l’ai montré dans un livre récent*.

 

Plus encore, la crise actuelle démontre – si besoin était – que la justice fonctionne actuellement en Israël selon le modèle de l’ex-URSS ou de l’Ancien Régime français d’avant 1789. Elle a un double visage et utilise des normes différentes, selon que les justiciables font partie des anciennes élites (celles qui manifestent chaque semaine à Kaplan et ailleurs), ou du « petit peuple » de droite, qui a porté Nétanyahou au pouvoir. Ce « deux poids deux mesures » est particulièrement flagrant dans la manière dont la justice israélienne considère les manifestations, le blocage de route et les appels à la sédition et au refus de servir dans Tsahal. La citation en exergue du juge Barak montre comment la justice israélienne considère les manifestants appartenant au « mauvais camp » idéologique…

 

Dix-huit ans après le désastreux retrait du Goush Katif et l‘expulsion de ses habitants, les témoignages de ceux qui se sont alors opposés à cette décision fatidique affluent ces dernières semaines. Des centaines de manifestants arrêtés et incarcérés pour avoir seulement « projeté » de bloquer des routes ou pour avoir effectivement bloqué la circulation d‘axes routiers secondaires… Des jeunes filles et garçons mineurs de 14 et 15 ans emprisonnés pendant plusieurs semaines, avec l’aval de la Cour suprême (qui sait par ailleurs faire preuve de clémence envers les terroristes arabes et leurs familles… vérifiant l’adage du Talmud, « celui qui a pitié du méchant est inique envers le Juste ») Des officiers de Tsahal démis de leurs fonctions pour avoir simplement exprimé des doutes sur la justesse de l’expulsion des habitants Juifs du Goush Katif et avoir refusé de participer à cette mission pour laquelle l’armée n’était pas qualifiée….

 

Cette injustice et ce « deux poids deux mesures » flagrants montrent que le système judiciaire – et au-delà de lui, l’ensemble des pouvoirs non élus et de l’establishment israélien – fonctionnent largement selon le modèle de la justice de Sodome, ou selon celui de l’Ancien régime en France : « Selon que vous serez puissant ou misérable… » C’est cette injustice flagrante et cette inégalité intolérable, lovées au cœur des institutions israéliennes (justice, armée, université, etc.) qu’il appartient aujourd’hui au gouvernement de réparer, pour faire d’Israël une démocratie authentique, et non une oligarchie judiciaire. Il est frappant de constater que tous les groupements qui prétendent aujourd’hui imposer leur point de vue à la Knesset et au gouvernement (médecins, pilotes, universitaires, etc.) le font au nom de leur statut de privilégiés, tout en scandant le mot « démocratie », qui a été vidé de son sens authentique.

 

Le chantage intolérable (et souvent illégal, dans le cas des médecins par exemple) qu’ils prétendent exercer est une raison supplémentaire pour refuser tout compromis avec eux. En définitive, Haggai Segal se trompe. De même qu’on ne négocie pas avec des terroristes,  on ne cède pas au chantage de castes privilégiées anti-démocratiques, prêtes à mettre le pays à feu et à sang pour imposer leur point de vue. La réforme doit se poursuivre, pour mettre fin aux privilèges des castes oligarchiques et rétablir les droits de la majorité et ceux du peuple d’Israël, afin que notre pays devienne enfin une démocratie authentique et octroie des droits égaux à tous.

P. Lurçat

 

* Mon livre Quelle démocratie pour Israël ? est publié aux éditions l’éléphant, disponible sur B.o.D, Amazon, à la librairie française de Tel-Aviv et auprès de l’éditeur (editionslelephant@gmail.com)

 

[1] Ces propos du juge Barak concernaient des manifestants opposés au retrait du Goush Katif…

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Shmuel Trigano. La crise israélienne. Essai d’analyse

July 28 2023, 07:36am

Posted by Shmuel Trigano

Shmuel Trigano. La crise israélienne. Essai d’analyse

Je reproduis ici l'analyse lumineuse de la crise israélienne par Shmuel Trigano. P.L.

Comment définirait-on objectivement sous tous les cieux le fait qu’un nombre important de pilotes réservistes de l’armée de l’air déclarent qu’ils opteraient pour un statut d’objecteurs de conscience si le gouvernement légal et légitime franchissait une certaine ligne rouge, par eux définie?

Formellement, cette mise en demeure serait tenue pour l’ultimatum politique à l’adresse de l’Etat d’un corps de de l’armée de l’air. Cela s’appelle, un putsch comme on en voit toujours en Afrique noire ou en Amérique latine. L’armée ou l’une de ses composantes prend le pouvoir et dicte sa politique au gouvernement. C’est toujours le prologue d’un régime dictatorial à venir.

Une junte putschiste ?

Dans notre cas, quelle figure politique donne un visage à cette dictature potentielle car il y a toujours une incarnation du pouvoir dans une dictature? Dans le cas d’Israël, plusieurs généraux, chefs du renseignement, deux chefs d’États, tous à la retraite et n’ayant rencontré que l’échec en politique électorale, appellent explicitement depuis des semaines à renverser un pouvoir issu des élections et du parlement, mais qu’ils tiennent pour illégitime, jusqu’à envisager de « verser le sang », Même si ces personnalités n’apparaissent pas sur la scène systématiquement, même si elles ne sont pas les leaders officiels du mouvement qui secoue la société israélienne, il y a donc objectivement, formellement, une junte potentielle qui demain pourrait haranguer la foule en dictateurs. Parmi ces généraux, au bout de plusieurs mois d’agitation, émerge avec clarté la figure d’Ehud Barak, ancien chef d’Etat major et ex premier ministre.

L’objectif de ces « ex » est motivé avant tout, dans leurs dires mêmes, par une haine personnelle de Natanyahou dans laquelle ils ont entrainé le pays depuis plusieurs années. Cependant, leurs anciennes fonctions confèrent une crédibilité au jugement qu’ils portent sur la situation, soit le danger d’une dictature de la droite et de Natanyahou.

Ce qui est troublant, c’est de constater que ces personnalités appelant à la désobéissance civile n’ont encouru aucune mise en garde des autorités judiciaires et policières, avouant ainsi par les faits leur connivence avec les fauteurs de trouble. La comparaison est souvent faite avec le traitement violent d’autres manifestations du passé, comme celle qui a accompagné le retrait de Gaza, la manifestation contre la discrimination des Juifs éthiopiens, des ultra-orthodoxes… Police, justice, médias (armée ?) ont donné à entendre dans ces jours de chaos qu’ils représentaient plus la « Protestation » que l’Etat… Le seul aéroport d’Israël a pu ainsi être bloqué deux fois, les voies rapides autour de Tel Aviv plusieurs fois, etc…

Un « Quartier général » ?

Sur le plan du pouvoir intrinsèque du mouvement qui porte « La Protestation », il est apparu au fil du temps que ce qui se présentait comme le mouvement spontané de citoyens inquiets était en fait mis en œuvre par un « quartier général», composé d’associations dites de la « société civile », de personnalités,  souvent riches et influentes (dont Ehud Barak), de publicitaires, d’agents de relations publiques dont les produits (achetés par la protestation) couvrent les routes et les rues de tout Israël, sans compter les soutiens financiers considérables provenant d’ONG et de forces  politiques étrangères. Ces activistes ont fait preuve d’une grande performance dans l’organisation et la prise en mains idéologique d’une grande masse de population.

L’intervention étrangère (dans le financement de la Protestation) pose déjà question sur ses finalités : quels pouvoirs sert-elle ? Sans doute (sans rire) la « démocratie » ! Ce dernier point n’est pas risible si l’on pense à la politique commencée par Georges Bush dont le projet était d’intervenir en faveur de l’extension de la « démocratie » dans le monde[1]. Si tel était le cas (la manipulation étrangère) on aurait du mal à voir dans la « protestation » un phénomène « démocratique » authentique. Par ailleurs l’intervention de l’Etat américain dans le débat sur la Réforme judiciaire est évidente à tout le monde. Biden veut-il « occuper » Natanyahou pour qu’il ne dérange pas terme son pacte avec l’Iran nucléaire ?

Je remarque qu’il y a dans le groupe qui gère et dirige « la protestation » une tentation au passage à l’acte sur le plan de l’action, j’entends la « rébellion », la « guerre civile », sans cesse agitées comme une menace. Le groupement dénommé « Frères d’armes », parmi les leaders, porte dans son nom même tout un programme, de même la « Force Kaplan » (Koakh Kaplan) du nom de l’esplanade de Tel Aviv où la Protestation se réunit chaque semaine se donne l’aspect d’une force d’intervention au service du Q.G.

Dans cette description, il est capital de rappeler le rôle des grands médias : ils ont accrédité la « Protestation », prenant parti à son avantage, excluant du débat les représentants de la coalition au pouvoir, fait circuler les mots d’ordre des organisateurs…. L’étude du discours médiatique sera sans doute faite dans l’avenir. Ce sont ces médias qui ont dressé l’ordre du jour, la terminologie du débat (ou de son absence), et se sont posés comme le barème du jugement moral. Le fait qu’au lendemain du vote de la Loi au parlement tous les journaux aient vendu leur première page aux barons du High Tech (à quel prix !) pour publier une page entièrement noire, en signe de « deuil », est le signe éclatant que la presse écrite a renoncé à son rôle journalistique dans le débat démocratique contre espèces sonnantes et trébuchantes.

Les formes idéologiques : la Réforme comme leurre

A l’examen, ce n’est pas la réforme juridique qui est en jeu. Si elle est la cause déclarée du soulèvement, le débat à son propos est quasiment inexistant et on peut être sûr que le citoyen lambda qui manifeste contre elle ne l’a pas lue et ne sait pas pourquoi il manifeste si ce n’est pour ce qu’on lui a dit (les médias) être en jeu. Il manifeste avec la dernière énergie contre la « dictature » en puissance. Les slogans de chaque semaine montrent aussi clairement que ce n’est pas la réforme qui est en jeu. Chaque semaine un autre sujet est avancé : le High Tech, la médecine, les orthodoxes, l’éducation, la place du judaïsme…

En un mot la Réforme cache la réalité de cette opération politique, soit l’empêchement du fonctionnement du gouvernement de NatanyahouElle est un leurre qui détourne le regard de ce qui est à l’œuvre : une prise de pouvoir non démocratique, au nom de la démocratie. Le projet de réforme en plusieurs étapes fournit aussi un critère de mesure de l’intensité de l’action à programmer au fil de chaque étape. Autant d’occasions d’une montée en puissance de la protestation, de lignes rouges à ne pas franchir…

 
Au fur et à mesure des semaines les organisateurs de la protestation donnent un aperçu du démantèlement de l’Etat qu’ils sont capables de réaliser (économie, High Tech, médecine, etc).  C’est un dispositif très machiavélique qui a pour finalité d’abattre le pouvoir de l’Etat en le ficelant dans les dispositifs de la réforme, déclinée dans tous les domaines (jusqu’aux médecins !!) tout en menaçant le public d’un danger invraisemblable et pas du tout crédible pour qui vit en Israël, soit la « dictature ». L’énormité de la menace ne repose sur aucun fondement rationnel de sorte que l’observateur ne peut que rester sans voix devant cette disproportion. La manipulation plonge le public dans un état psychique de sidération.

L’idéologie de la protestation est donc marquée – propre de tout fait idéologique- par un décalage abyssal entre ses affirmations et la réalité objective, tant en ce qui concerne la portée de la réforme que le danger supposé encouru. J’ai une scène en mémoire : le tonnerre d’applaudissements qui a suivi la présentation par les pilotes de leur pétition dans un auditorium: ils applaudissent à la défaite militaire  programmée de leur pays à laquelle leurs familles et eux-mêmes n’échapperont pas! 

La panique et la masse

La vraie question sociologique qui est posée est donc moins celle de la manipulation idéologique, dont les structures et processus nous sont clairs, que celle de la panique qu’elle a déclenchée et de la foule qu’elle a réunie, une foule où l’on vient en famille, où se mêlent des enfants, une foule angoissée par le « récit » (le story telling fabriqué par le QG) radical qu’on lui a servi. Qu’est-ce qui, dans la société israélienne, a fait qu’un terrain soit favorable à cette manipulation ? Il y a des traits de la psychologie des masses qui entrent en compte mais plus vraisemblablement le rapport à soi des individus de « l’Etat de Tel Aviv », comme peuple et cadre de socialité.  On opposait, autrefois dans le débat sur le postsionisme, deux versions d’Israël : l’Etat de Tel Aviv et l’Etat de Jérusalem. Ce sont les fondements l’Etat qui sont en jeu. On a pu voir ainsi se manifester dans les parages de la manifestation des formes stupéfiantes de haine des Juifs, de ceux qui portent les signes de leur mode de vie, stupéfiante, sous la mer de drapeaux d’Israël massivement agités.

Je n’écarte pas de cet état de faits l’impact de 5 ans de crises gouvernementales scandés par les procès de Natanyahou, qui ont constitué au niveau de toute une société un véritable rituel quotidien du bouc émissaire. Aujourd’hui ces procès pour corruption, mis en scène chaque soir par les télévisions, s’effondrent un par un, révélant la responsabilité écrasante des autorités judiciaires et policières qui ont instruit le dossier. Les promoteurs de la Protestation ont su sans doute les provoquer de longue date et les entretenir au fil de plusieurs années en préparation du moment présent comme le donne à entendre Ehud Barak dans une récente révélation (où un général lui prédisait qu’après son échec électoral on viendrait un jour le chercher (pour sauver Israël), quand le Yarkon charrierait des corps de Juifs » !

Nous connaissons cette stratégie en France que je nommerais le « coup Le Pen », une stratégie inventée par Mitterrand pour garder le pouvoir à une gauche déclinante. Elle consiste à écarter un vote prévisible à droite en enfermant l’électorat dans un choix forcé : « ou vous votez pour moi, ou vous aurez le fascisme ». Cette stratégie a pulvérisé le système politique français, entrainant un véritable chaos partisan. Le président français actuel n’est au pouvoir que parce qu’il a réitéré ce bluff : au pouvoir, sans majorité avec, au parlement, une extrême gauche postmoderniste, elle-même issue de la décomposition du socialisme. Le « coup Le Pen « en Israël s’est donné plus qu’un « Le Pen » : à Natanyahou il a rajouté deux autres épouvantails, les députés Ben Gvir et Smotrich, agitant leur spectre jusqu’aux États Unis, une opération qui permet d’annuler les résultats des élections et la « respectabilité » de la coalition dont ces députés sont membres, et donc d’entraver l’action du gouvernement. Il n’y aura ainsi peut-être pas de garde nationale que promouvait Ben Gvir pour rétablir l’autorité de l’Etat dans le territoire israélien, que ce soit dans le Negev avec le « far west » de la population bédouine, en Galilée avec la criminalité inter-arabe et l’expansion de la mafia et du système de la « protection », à Jérusalem et en Judée Samarie avec les attentats islamistes. La police et l’armée s’avèrent jusqu’à ce jour incapables de contenir et corriger cette décomposition. J’oubliais la menace d’un « Front intérieur », c’est à dire d’une révolte arabe en temps de guerre avec Gaza ou avec le Hezbollah. C’est de cette situation qu’a hérité la coalition de droite au pouvoir et que « la protestation » veut entretenir objectivement.  Il faudrait d’ailleurs impliquer dans cette analyse le rôle qu’a joué la Cour suprême dans les limites qu’elle a imposé au pouvoir exécutif dans sa capacité de pouvoir s’affronter comme il faut à une situation de désagrégation de l’Etat et de la sécurité collective. Quelle compétence a la Cour suprême pour intervenir dans le domaine régalien et la stratégie du gouvernement élu ?

La base sociale

Il est évident que la base sociale de la Protestation rassemble une bonne partie des élites socio-économiques et politiques. C’est la manifestation des « gens bien ».  Leurs représentants viennent faire leur tour de piste successivement : les milliardaires du High Tech qui menacent de retirer leur capital des banques israéliennes, les médecins qui annulent les rendez-vous médicaux des quidam mais pas leurs heures de réception prohibitives dans le « privé », les dirigeants de grands réseaux de distribution qui décident de fermer les grands centres commerciaux (comme le réseau Big, obligeant leurs employés au chômage), les directeurs de banque, sans oublier les Universités, les Officiers de l’armée de l’air… L’underdog israélien est absent dans cette foule obnubilée par un danger qu’elle croit imminent. Lui, il va au travail, à l’École et il comprend que son vote (64 députés sur 120) ne sert à rien s’il n’est pas mis en tutelle par ceux qui se recommandent de la gauche ( ?!). Son accession au pouvoir est présentée comme le triomphe de l’obscurantisme, de l’oppression, de l’archaïsme: le contraire de la « démocratie ». Ses journalistes, ses députés, ses citoyens sont malmenés quoiqu’ils fassent. Mais, pour l’instant, pas de rébellion, ils assistent stupéfaits à ce délire collectif que rien de rationnel ne justifie et dans la majeure partie témoignent de beaucoup de circonspection. La droite n’a organisé à ce jour que deux grandes manifestations. Sans doute a joué la conscience du peuple juif dans lequel ils comptent naturellement ceux qui aujourd’hui les stigmatisent et cherchent à annuler leur vote en les délégitimant dans leur condition même. Il y aurait encore beaucoup à dire sur une autre ligne de conflits sociaux dans la société israélienne, notamment en rapport avec la branche sépharade du peuple juif, un conflit non pas ethnique mais opposant deux visions civilisationnelles de ce que doit promettre l’accès à la condition souveraine du peuple juif. 

Avant et après

Quelle que soit la suite des événements, rien ne sera plus comme avant : le statut du pouvoir exécutif et donc du Parlement d’où il est issu a été ébranlé. Demain, n’importe quel groupe ou formation sociale voudra poser ses conditions à l’Etat en le menaçant. Le système mafieux de la « protection » qui fait actuellement des ravages en Israël notamment en Galilée et dans le Néguev gagnerait le système politique. Le verdict des urnes aura perdu toute respectabilité. C’est aussi l’armée dans son institution qui a été ébranlée avec la fronde des objecteurs. Deviendra-t-elle un pôle qui échappera à la volonté de l’Etat et deviendra un acteur politique?  L’Israël des colonels ?… C’est toute une partie des citoyens, les électeurs de la droite, qui risquent aussi de penser qu’ils ne sont pas égaux et ne sont pas des citoyens respectables. C’est leur vote majoritaire que la Protestation a voulu effacer et mettre en résidence surveillée. Le principe de majorité cèderait la place à des gouvernements d’« union nationale » obligeant la droite élue au partage de pouvoirs avec une gauche minoritaire qui ne serait ainsi jamais en minorité.

Le premier choc de la post-démocratie postmoderniste

Une autre dimension est à l’œuvre dans la crise israélienne: on y sent l’influence de la nouvelle idéologie dominante[2] qui décide aujourd’hui de l’ordre du jour dans tous les régimes démocratiques de l’Occident. Cette idéologie, le post modernisme, est née dans les milieux intellectuels français du marxisme finissant dans les années 1950-1970,  puis elle s’est développée dans les campus américains pour revenir ensuite inonder tous les pays démocratiques. Elle porte une nouvelle utopie de grande envergure, inquiétante quant à ses conséquences (voire toutes les idéologies secondaires et non « démocratiques » qu’elle a suscitées : Woke, décolonialisme, islamo-gauchisme…).

Cette idéologie, outre ses nombreuses répercussions, promeut un régime politique qu’on peut définir comme la post-démocratie.  Le « post » de la démocratie est significatif : ça ressemble à la démocratie mais ce n’est pas de la démocratie… A l’énumération de ses caractéristiques on mesurera à quel point l’emprise de cette idéologie explique la crise israélienne. Quels sont ses traits principaux ?

Son projet général est le démantèlement de la modernité dans tous ses aspects : la « déconstruction » de toutes ses instances (d’où le « post »), et avant tout de la nation qui fut le cadre même du régime démocratique. En l’occurrence, les appels à l’étranger (Etats-Unis comme Europe) contre le gouvernement national, dans le domaine politique comme économique, le démantèlement de l’armée avec la déclaration des pilotes alors qu’Israël est en temps de guerre larvée, la déclaration symptomatique d’un des chefs du mouvement (« le problème du Hezbollah n’est pas le mien mais celui de Natanyahou ») comme celle  du général (!) Yair Golan déclarant que le Hezbollah et le Hamas n’étaient pas les vrais ennemis d’Israël, soit le déni du destin national commun : autant de discours on ne peut plus explicites.

La post-démocratie oppose les minorités à la majorité, les droits de l’Homme aux droits du citoyen, la « différence » à l’égalité. C’est bien ce qui se passe dans notre cas : la Protestation  dénie la légitimité de la majorité qui a porté au pouvoir la coalition. Elle revendique de rester au pouvoir avec cette dernière qui aurait ainsi besoin du consentement de la minorité pour gouverner. C’est au nom de sa « différence » et pas de l’égalité démocratique qu’elle exige cela malgré son « échec aux élections. En essentialisant la démocratie elle se dit incarner celle-ci bien que minoritaire. Il n’y a ainsi plus de citoyens, mais des minorités qui doivent trouver un accord entre elles, certaines ayant plus de droits que d’autres. La démocratie n’est donc plus « représentative » mais participative. Son essence est censée l’emporter sur la procédure et les règles. Ainsi une force politique pourrait incarner « La démocratie » tout en se dispensant du processus démocratique. On voit alors apparaitre de nouveaux acteurs que qui contestent la souveraineté de l’Etat démocratique : les ONG, libres d’intervenir contre l’Etat par le biais du pouvoir judiciaire (la Cour suprême), fussent-elles manipulées par les États étrangers ou des groupes d’intérêt. Cette nouvelle donne s’accompagne du court-circuitage du pouvoir de l’Etat et du parlement. Dans l’ère de la globalisation, le cadre national étatique s’efface dans une supposée « communauté internationale ». Le parlement et l’exécutif s’efface devant le pouvoir judiciaire appelé à forger les nouvelles normes dans  la condition humaine elle-même (cf. le « transhumanisme »). Dans la démocratie, la loi vient du peuple et le pouvoir judiciaire l’applique, dans la post-démocratie le pouvoir judiciaire décide en dernier recours de la Loi. Une sorte de « théocratie judiciaire » se crée, dans laquelle les décisions des juges comme la loi semblent descendre du ciel et s’imposer au parlement ; Dans le cas israélien le « principe de raisonnabilité qui vient d’être annulé autorisait le juge à décider en fonction de ce qu’il estime « raisonnable » et non d’une loi ou du droit.

La dimension juive

C’est la seule dimension que je ne traiterai pas dans ce cadre. Je dirais que, sur un plan global, nous assistons à une régression à l’ethos du 19 ème siècle, d’avant le sionisme, une condition juive engloutie dans la Shoah et à laquelle le sionisme politique avait ouvert une voie de salut (qui s’avère aujourd’hui limitée dans le temps). Un nouveau projet existentiel pour le peuple juif dans son pays et son Etat s’impose qui clarifiera la nature et la finalité de la communauté politique étatique et nationale israélienne, et notamment le statut du judaïsme.

Demain se verront sans doute mis en question par la protestation deux autres secteurs de population : le secteur religieux et ultra-orthodoxe (à propos de la conscription de cette population) puis plus tard les Israéliens de Judée Samarie (à travers la question de la prise en charge de leur défense par Tsahal).

Mais le chaos constitutionnel n’est pas clos. Dès le lendemain du vote de la loi sur la raisonnabilité, par le Parlement sept associations de la supposée « société civile », en fait les organisateurs de la protestation, ont présenté devant la Cour suprême des pétitions demandant l’annulation de la loi votée par le Parlement pour in-constitutionalité. La conseillère juridique du gouvernement vient aussi relancer la question de l’empêchement de Natanyahou à exercer pleinement ses fonctions du fait des procès en cours qui le concernent… Le clash du pouvoir exécutif et judiciaire est déjà programmé.

© Shmuel Trigano

Shmuel Trigano est Professeur émérite des Universités


Notes

[1] Les « printemps arabes » en furent la marque (notamment la chute de Moubarack en Egypte, pourtant allié des Américains «; voir sue ces questions l’article de Lee Smith dans la revue Tablet (https://www.tabletmag.com/contributors/lee-smith)

[2] Cf. Shmuel Trigano, La nouvelle idéologie dominante, le post modernisme (Hermann Philosophie, 2012).  Prix 2013 des Impertinents du Figaro. Traduction hébraïque (ed. Carmel).

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Après l’adoption de la loi restreignant le critère de raisonnabilité : Une première victoire sur le chemin du second Ma’apah

July 25 2023, 09:58am

Posted by Pierre Lurçat

Herzl Makov devant le portrait de Jabotinsky (photo P.Lurçat/Israël Magazine)

Herzl Makov devant le portrait de Jabotinsky (photo P.Lurçat/Israël Magazine)

Dans une interview passionnante qui paraîtra dans la prochaine livraison d’Israël Magazine, Herzl Makov, qui dirige le centre Begin à Jérusalem et connaît de près tous les dirigeants actuels et passés de la droite israélienne – de Menahem Begin à Binyamin Nétanyahou – m’a raconté comment il menait depuis toujours le même combat, en tant que lycéen membre du Betar, puis en tant que pilote de l’armée de l’air, et aujourd’hui au centre Begin : le combat pour la « toda’a », c’est-à-dire pour la conscience et le récit des événements, ce qu’on appelle aujourd’hui le « narratif ».

 

Depuis 1948 et avant même, en effet, c’est la gauche qui a imposé son propre narratif, que ce soit concernant l’histoire d’Israël et du mouvement sioniste (« Le narratif sioniste dominant a mis en avant la Deuxième Alyah, en effaçant tout ce qui avait précédé… », explique Makov), ou concernant l’histoire politique du pays. Le centre Begin a ainsi exhumé récemment une photo de Pawel Frankel, dirigeant mythique de l’insurrection juive dans le ghetto de Varsovie[1]. Un article retraçant cette découverte historique a été refusé par toutes les revues d’histoire spécialisées en Israël ! Et jusqu’à récemment encore, Yad Vashem pratiquait également une vision sélective de l’histoire, en minimisant le rôle du mouvement sioniste révisionniste dans la résistance juive. Et les exemples sont légion…

 

*

 

 

Paradoxalement, malgré le « Ma’apah » – l’arrivée au pouvoir de Menahem Begin en 1977 – les choses n’ont pas fondamentalement changé. Il suffit d’écouter les médias israéliens « mainstream » (Galei Tsahal ou les chaînes de TV 11, 12 et 13) pour s’en rendre compte. Depuis l’arrivée au pouvoir du dernier gouvernement Nétanyahou, ils imposent leur narratif et leur vocabulaire, en parlant de « changement de régime » ou de « révolution judiciaire » pour désigner l’actuelle réforme, dont certains éléments essentiels (comme la restriction du critère de raisonnabilité) ont pourtant été soutenus par des membres de l’actuelle opposition (qui s’en cachent bien aujourd’hui).

 

C’est pourquoi le vote hier, à une majorité écrasante, de l’amendement à la Loi fondamentale sur le système judiciaire, est une victoire importante. En restreignant l’usage abusif du critère de raisonnabilité, qui permettait aux juges et à la Cour suprême en particulier d’annuler n’importe quelle décision publique, aux motifs qu’elle ne serait pas « raisonnable », de manière arbitraire et sans aucun fondement légal, la Knesset va rendre au pouvoir élu un peu du pouvoir qui lui a été confisqué par la Cour suprême, depuis la Révolution constitutionnelle du juge Aharon Barak en 1992.

 

L’enjeu de cette décision dépasse de loin le cadre strictement légal et judiciaire. Il s’agit en fait, comme je l’ai décrit dans mon livre Quelle démocratie pour Israël ?*, de permettre au gouvernement et aux élus du peuple d’appliquer la politique pour laquelle ils ont reçu mandat du peuple. Cet enjeu est d’autant plus crucial que le « gouvernement des juges », tel qu’il existe aujourd’hui en Israël s’exerce toujours dans un sens hostile au pouvoir de la droite, majoritaire dans l’opinion et dans les urnes, mais minoritaire au sein des élites non élues. Ces dernières, qui représentent grosso modo la minorité ashkénaze laïque de gauche[2], n’en finissent pas de s’accrocher à un pouvoir qu’elles ont perdu depuis longtemps dans les urnes.

 

Il s’agit ainsi en fait, aujourd’hui comme hier, de parachever le premier Ma’apah survenu en 1977, par lequel la droite est arrivée au pouvoir, pouvoir qui lui a été très vite confisqué par les vieilles élites de gauche (et ce n’est évidemment pas un hasard si la montée en puissance du « gouvernement des juges » a suivi de près l’accession au pouvoir de la droite israélienne, après 30 ans d’hégémonie du Mapaï). C’est ce second Ma’apah qui commence aujourd’hui. C’est une première victoire, mais la bataille ne fait que commencer.

 

P. Lurçat

 

* Mon livre Quelle démocratie pour Israël ? Gouvernement du peuple ou gouvernement des juges ? éditions l’éléphant 2023, est en vente sur Amazon, B.o.D et à la librairie du Foyer à Tel-Aviv.

 

 

 

[2] Ceux que le sociologue Baruch Kimmerling avait qualifiés d’Ahousalim (אשכנזי, חילוני, ותיק, סוציאליסט, לאומי- ציוני), dans son livre The End of Ashkenazi Hegemony, paru en 2001.

 

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Lectures de Jean-Pierre Allali : Quelle démocratie pour Israël? par Pierre Lurçat

July 19 2023, 06:46am

Posted by Jean-Pierre Allali, Crif.org

Lectures de Jean-Pierre Allali : Quelle démocratie pour Israël? par Pierre Lurçat

NB Je reproduis la belle recension qu'a consacrée J.P. Allali à mon dernier livre. P.L.

Quelle démocratie pour Israël ? - Gouvernement du peuple ou gouvernement des juges ?, par Pierre Lurçat  (*)

 

Depuis plusieurs mois, à l’appel d’organisations de gauche et d’opposants à Benyamin Netanyahu, des milliers de personnes manifestent en Israël aux cris de « Demokratia, demokratia ! ». Le Premier ministre, malgré certains succès politiques, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, est voué aux gémonies. On murmure qu’Israël, jusqu’ici montré en exemple comme pays de libertés, est en passe de devenir une dictature. Un éclairage objectif et argumenté devenait nécessaire. C’est pourquoi on sera infiniment reconnaissant au juriste, essayiste et traducteur israélien, Pierre Lurçat, de nous éclairer sur ce sujet sensible et controversé.

Comme le dit le titre de l’ouvrage, la question centrale est simple : qui détient le pouvoir ? Les élus du peuple, issus d’élections ou les juges ? Et, comme on va le voir, en Israël, ce n’est pas si simple ! Les choses ont commencé à se compliquer en 1990 avec la « Révolution constitutionnelle » initiée par le juge Aharon Barak, un véritable « putsch judiciaire ». C’est en effet à cette occasion qu’a été instauré un système judiciaire et politique sans équivalent dans le monde démocratique. Dès lors, la Cour suprême la plus activiste du monde s’est arrogé un droit de regard sur la quasi-totalité des décisions et des actes du gouvernement, de l’armée ou encore de l’administration. Il faut dire que l’absence de constitution a facilité grandement cette situation. Eh oui, Israël n’a toujours pas, soixante-quinze ans après sa renaissance, de constitution et se contente de lois dites « fondamentales ». En 1948, David Ben Gourion avait préféré temporiser et, entre 1958 et 1992, neuf lois fondamentales ont été adoptées ; la loi fondamentale sur la Knesset, celle sur les terres de l’État, celle sur le gouvernement, celle sur le budget, celle sur l’armée, celle sur Jérusalem, capitale d’Israël, celle sur le pouvoir judiciaire et celle sur le contrôleur de l’État. Plus tard, viendront s’ajouter la loi fondamentale sur la dignité et la liberté humaine et sur la liberté professionnelle.

 

Pierre Lurçat nous explique comment le juge Aharon Barak, lui-même d’origine lituanienne a réussi, petit à petit au fil des ans, à rogner sur les pouvoirs des élus au profit des juges. Et c’est ainsi qu’un groupe minoritaire de « Juifs d’origine ashkénaze, laïcs et de gauche » a littéralement pris le pouvoir. Lurçat ne mâche pas ses mots parlant de « conception totalitaire et quasi-religieuse du droit » ou encore de « fondamentalisme juridique ».

 

Dès lors, le projet de réforme judiciaire proposé par Benyamin Netanyahu, n’a comme objectif que de redonner à la Knesset plus de pouvoir et à limiter celui des juges devenus envahissant. Une réforme du système de nomination des juges fait partie des pistes de réflexion. Comme aussi, l’idée de réformer les pouvoirs du conseiller juridique du gouvernement.

Une étude magistrale et édifiante !

Jean-Pierre Allali

 

(*) Éditions L’Éléphant, avril 2023, 132 pages

Lectures de Jean-Pierre Allali - Quelle démocratie pour Israël ?, par Pierre Lurçat | Crif - Conseil Représentatif des Institutions Juives de France

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