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Pourquoi le 7 octobre ? (II) Ces “Gatekeepers” qui ont oublié qui était l’ennemi, Pierre Lurçat

February 1 2024, 09:25am

Posted by Pierre Lurçat

Ami Ayalon avec Itshak Rabin

Ami Ayalon avec Itshak Rabin

 

Comment les « Gatekeepers » ont-il pu méconnaître à ce point les intentions et le mode de pensée de nos ennemis ? Et pourquoi sont-ils tellement ignorants et méprisants à l’égard de la tradition d’Israël, ou plus précisément, pourquoi la considèrent-ils comme un danger et comme une menace sécuritaire, voire existentielle pour Israël ? Ce sont en fait les deux facettes d’une seule et même question. Deuxième volet de notre analyse consacrée aux « Gatekeepers », ces responsables des services de sécurité et de l'armée qui portent la responsabilité de l'échec colossal du 7 octobre. P.L. (Premier volet : Pourquoi le 7 octobre ? Ces “Gatekeepers” qui ont ouvert la porte à l’ennemi)

 

Si Israël, comme le pensent Ami Ayalon et tous ceux qui lui ressemblent, n’a vocation à être qu’un Etat occidental et une « démocratie libérale », alors effectivement, la question des droits de l’Homme est essentielle et c’est à l’aune du respect par Israël des « droits » de ses ennemis que peut se mesurer la réussite du projet sioniste. Cette hypothèse implicite n’est quasiment jamais remise en question, sinon sur le mode de la peur apocalyptique que suscite chez eux toute éventualité qu’Israël se transforme en autre chose[1]. Cette peur est explicitée par Ayalon sur la page de présentation de son livre au titre éloquent, Friendly Fire, How Israel became its own worst enemy, sur le site de l’université de Tel-Aviv.

 

 « Si Israël devient une dystopie orwellienne », écrit Ayalon, « ce ne sera pas grâce à une poignée de théologiens qui nous entraînent dans un sombre passé. La majorité laïque nous y conduira, motivée par la peur et propulsée par le silence ». Dans cette affirmation capitale, on trouve les deux credos fondamentaux de la gauche laïque pacifiste qu’il incarne : toute affirmation d’une identité juive israélienne dans le domaine public équivaut à un « retour à un sombre passé », et seule la « majorité laïque » peut empêcher ce scénario cauchemardesque.

 

Cette peur fantasmatique de la dimension collective du judaïsme est celle qui a animé les manifestations de l’avant 7 octobre, qu’Ayalon espère voir bientôt reprendre, avec la participation des 300 000 soldats qui se battent à Gaza. Aux yeux d’Ami Ayalon, le combat contre le Hamas est secondaire ; il ne doit pas effacer le combat prioritaire, celui pour l’identité d’Israël. C’est dans ce contexte qu’il appelle, aujourd’hui comme hier, à la création d’un Etat palestinien, sans se poser la question du danger que celui-ci représenterait pour Israël : « ll faut se battre pour un Etat palestinien, non parce que nous aimons les Palestiniens, mais pour notre sécurité et pour sauver notre identité ».

 

On comprend dès lors pourquoi Ami Ayalon, comme d’autres membres de l’establishment militaire israélien qui n’ont pas vu venir le 7 octobre, n’a pas changé d’un iota son discours depuis cet événement. A ses yeux, le 7 octobre et la guerre contre le Hamas ne sont qu’une parenthèse, qu’il faut s’empresser de refermer pour reprendre le combat intérieur, pour « sauver notre identité » (à savoir, celle d’un Etat laïque occidental dans lequel le judaïsme serait relégué à la sphère privée). Cette priorité du « combat intérieur » est la clé qui permet de comprendre la cécité d’Ayalon et des autres « Gatekeepers » partageant sa vision du monde face à la menace existentielle du Hamas et des autres ennemis radicaux du peuple Juif. Elle procède de la confusion – très répandue au sein de la gauche israélienne – entre l’adversaire et l’ennemi.

 

“Repenser l’ennemi” ?

 

C’est ainsi qu’il faut comprendre l’affirmation d'Ayalon – étonnante en apparence – selon laquelle il convient de « repenser l’ennemi », ou la phrase sibylline sur sa page du site de l’université de Tel-Aviv (où il est professeur émérite du département d’histoire du Moyen Orient et d’Afrique) selon laquelle « En tant que chef de l’agence de sécurité du Shin Bet, il a acquis de l’empathie pour ‘’l’ennemi’’ ». Si le mot ennemi est placé entre guillemets, cela signifie que, dans l’univers conceptuel où évoluent Ayalon et les autres membres de l’establishment qui partagent ses idées, le concept même d’ennemi a disparu

 

Le Hamas n’est donc pas à leurs yeux un ennemi irréductible d’Israël et des Juifs, comme l’ont cru des millions d’Israéliens au lendemain du 7 octobre (et bien avant, pour les plus lucides d’entre eux). Non, explique Ayalon (après le 7 octobre !) : « Nous ne faisons pas la guerre aux Palestiniens. Il y a des Palestiniens qui soutiennent le Hamas. Ils ne le font pas parce qu’ils adhèrent à l’idéologie religieuse du mouvement, mais parce qu’ils voient le Hamas comme la seule organisation qui se bat pour leur liberté et la fin de l’occupation israélienne… »

 

Citation éloquente et presque sidérante, dans la cécité qu'elle exprime envers la situation actuelle à Gaza, telle que la décrivent des dizaines de témoignages concordants de soldats et d'officiers qui y combattent. Non, le soutien au Hamas n'est pas comme le décrit Ayalon, celui à une organisation qui « se bat pour leur liberté », selon la vision occidentale totalement mensongère du « combat pour la libération nationale » du « peuple palestinien » (discours inventé de toutes pièces lors de la création de l’OLP, avec le soutien actif de l’URSS). Comme l’ont rapporté les soldats depuis Gaza, le soutien au Hamas procède d’une adhésion totale à son discours apocalyptique et radicalement antijuif, discours profondément enraciné dans la culture de l’islam.

 

Ainsi, il s’avère que la cécité des « Gatekeepers » face à la menace existentielle du Hamas n’est qu’un élément de leur cécité plus générale envers toute notion d’un ennemi musulman irréductible. Dans leur vision du monde idéologisée, le seul « ennemi » qui mérite d’être combattu est l’ennemi intérieur, à savoir les Juifs nationalistes/religieux/messianistes, comme en atteste la récente campagne de Fake News sur la soi-disant « violence des colons », ou encore les déclarations de l’écrivain Haïm Beer sur ce sujet. Obnubilés par leur idéologie et par leur obsession de la guerre fratricide, les « Gatekeepers » d’Israël ont laissé l’ennemi véritable bâtir sa force militaire et pénétrer le territoire souverain de l’Etat juif. (à suivre…)

 

P. Lurçat

 

 

[1] Alors que le mouvement sioniste, pour ne parler que de l’histoire récente, a toujours été traversé par un débat intérieur sur la nature du projet sioniste et sur l’identité de l’Etat qu’il voulait fonder.

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Pourquoi le 7 octobre ? Ces “Gatekeepers” qui ont ouvert la porte à l’ennemi (I), Pierre Lurçat

January 26 2024, 07:06am

Posted by Pierre Lurçat

Ami Ayalon (au centre)

Ami Ayalon (au centre)

 

Comment les “Gatekeepers”, ces gardiens de la sécurité d’Israël et ces grands soldats, se sont-ils mués en promoteurs de slogans pacifistes aussi simplistes, et presque puérils, que “c’est avec ses ennemis qu’on fait la paix” ? Et quelle est leur responsabilité dans l’échec colossal du 7 octobre ? Premier volet.

 

Le 24 janvier, alors qu’Israël pleurait et enterrait les morts du terrible accident militaire de la veille, deux Israéliens publiaient chacun une tribune dans le quotidien Le Monde, connu pour son hostilité endémique envers l’Etat juif. Le premier, Elie Barnavi, expliquait pourquoi, après s’être opposé pendant les 100 premiers jours de la guerre à un “cessez-le-feu immédiat”, il avait fini par rejoindre le camp des défaitistes, qui affirment que “la guerre s’enlise” et qu’Israël ne peut pas gagner face au Hamas. Le second, Ami Ayalon, va encore plus loin dans le défaitisme : il explique tout simplement que la victoire est impossible et qu’Israël doit “repenser le concept d’ennemi”.

 

Ami Ayalon n’est pas simplement un intellectuel comme Barnavi. Ancien commandant de la Marine, il a été le patron du Shin-Beth (service de sécurité intérieure) entre 1996 et 2000. En 2012, il a participé activement au documentaire de Dror Moreh, The Gatekeepers (“Les gardiens”), dans lequel plusieurs anciens dirigeants du Shin-Beth évoquaient leurs problèmes de conscience et donnaient leur point de vue sur le conflit israélo-arabe. Ce film, tout comme la récente interview d’Ayalon dans Le Monde, permettent de comprendre l’univers conceptuel d’une large partie de l’establishment sécuritaire israélien depuis au moins trois décennies. On y découvre ce que pensent ceux qui – plus que tout autre secteur de la vie publique en Israël – portent la responsabilité de l’échec colossal du 7 octobre.

 

A ce titre, il faut écouter et lire ce que dit Ayalon. Il incarne un visage de l’Israël laïc, de gauche et pacifiste, dont l’influence sur les décisions essentielles pour le pays est inversement proportionnelle à son poids électoral (Ami Ayalon a été membre du Parti travailliste, aujourd’hui moribond). On y découvre surtout les valeurs et le mode de pensée de ces anciennes élites qui continuent, en grande partie, à modeler la politique d’Israël. Ayalon, soldat d’élite qui a pris part à toutes les guerres d’Israël entre 1967 et la première Intifada, a commandé la prestigieuse “Shayetet”, unité d’élite de la marine. A cet égard, on peut le comparer à Ehoud Barak, Ariel Sharon, Yitshak Rabin, ou bien d’autres grands soldats qui ont “tourné casaque”, pour devenir des promoteurs de “plans de paix” tous aussi foireux les uns que les autres, des accords d’Oslo aux retraits de Gaza et du Sud-Liban qui ont installé le Hamas et le Hezbollah aux portes d’Israël.

 

Des grands soldats devenus pacifistes

 

Comment ces “Gatekeepers”, ces gardiens de la sécurité d’Israël et ces grands soldats se sont-ils mués en promoteurs de slogans pacifistes – aussi simplistes et presque puérils – que “C’est avec ses ennemis qu’on fait la paix” ? Ayalon apporte des éléments de réponse à cette question cruciale, qui interroge l’histoire récente d’Israël mais aussi son avenir. Quand le journaliste lui demande si le retrait d’une partie des troupes israéliennes de Gaza signifie un tournant dans la guerre, il lui répond : “Je crois que cette question va bien au-delà des détails de cette campagne militaire. Au fond, quelle est la situation ? Notre problème réside dans la tension entre la terreur et les droits de l’homme. Toutes les démocraties libérales sont confrontées à un conflit entre violence terroriste et droits fondamentaux”.

 

Cette réponse qui peut sembler anodine met en évidence un aspect crucial du débat intérieur israélien et de la vision du monde de cet establishment sécuritaire et militaire, dont Ayalon est la parfaite incarnation : leur incapacité de penser Israël autrement que dans le cadre conceptuel de l’Occident et de la démocratie libérale, qu’ils voudraient que l’Etat juif incarne. Ce point essentiel permet à la fois de comprendre leur attitude envers les ennemis d’Israël (“Nous renonçons donc aux droits d’une minorité dans l’idée que nous allons combattre le terrorisme. Et nous ne comprenons pas qu’un jour, sans doute, nous allons nous féliciter d’avoir tué des bad guys, mais que nous aurons perdu notre identité”) et leur vision de ce qu’est et de ce que doit être Israël.

 

En décrivant le conflit entre Israël et ses ennemis selon le modèle réducteur de l’affrontement entre les démocraties et le terrorisme, l’ancien patron du Shin-Beth montre qu’il n’a pas compris une dimension importante du conflit, qui est apparue le 7 octobre dans sa criante évidence. Le Hamas, contrairement à Al-Qaïda, n’a pas seulement voulu tuer des Juifs et porter un coup symbolique à Israël (comme les terroristes du 11 septembre). Il a voulu (et réussi de manière partielle et momentanée) envahir le territoire israélien pour le conquérir.

 

Cette dimension territoriale propre à l’islam est, paradoxalement, un aspect crucial de ce qui échappe aux “Gatekeepers” devenus pacifistes, comme à l’ensemble du “camp de la paix” israélien. Ceux qui prétendaient échanger “les territoires contre la paix” s’avèrent ainsi les promoteurs d’une vision totalement inadéquate du conflit, dont leur “impensé” occulte bien des aspects essentiels. Dans la suite de cet article, nous verrons comment cet impensé concerne également l’identité juive de l’Etat d’Israël. (à suivre…)

Pierre Lurçat

 

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