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histoire d'israel

LES ENJEUX DE LA RÉFORME JUDICIAIRE EN ISRAËL 

March 12 2023, 13:44pm

Posted by Pierre Lurçat

LES ENJEUX DE LA RÉFORME JUDICIAIRE EN ISRAËL 

APRES LE GRAND SUCCES DE LA CONFERENCE QUE J'AI DONNEE LE 28 FEVRIER A TEL AVIV, J'AI LE PLAISIR D'ANNONCER QU'ELLE EST DISPONIBLE EN REPLAY ICI

(7) 28 02 23 Pierre Lurçat Les Enjeux De La Réforme Judiciaire En Israël Tlv - YouTube

Pour connaître les enjeux de la réforme judiciaire actuelle, il est indispensable de connaître son contexte historique et notamment celui de la « révolution constitutionnelle » menée par le Président de la Cour Suprême Aharon Barak dans les années 1990.

Pierre Lurçat, juriste, écrivain et essayiste, explique  situation actuelle au regard de l’histoire du droit israélien et de celle de la Cour Suprême

 

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En marge de la réforme judiciaire : La Cour suprême et l’identité d’Israël

February 2 2023, 17:22pm

Posted by Pierre Lurçat

Synagogue de Neve Dekalim détruite après le retrait du Goush Katif

Synagogue de Neve Dekalim détruite après le retrait du Goush Katif

NB Je serai demain matin (vendredi) l'invité d'Ilana Ferhadian sur Radio J à 8h30 pour évoquer l'actualité israélienne.

 

Deux éléments sont essentiels à la compréhension du débat juridico-politique actuel autour de la réforme judiciaire en Israël. Le premier est le fait que le système tel qu’il existe aujourd’hui repose sur une “monstruosité” juridique (au sens d’une réalité contre-nature), à savoir une Cour suprême exerçant le contrôle constitutionnel le plus activiste et le plus poussé du monde occidental, en l’absence de Constitution véritable. Sous la houlette du juge Barak, la Cour suprême a en effet accaparé les pouvoirs de la Cour de cassation, du Conseil d'Etat, de la Cour des Comptes et du Conseil constitutionnel… alors qu’Israël ne dispose d’aucune Constitution et d’aucune loi lui conférant de tels pouvoirs.

 

Le second élément est le fait que la “Révolution constitutionnelle” menée par le juge Barak dans les années 1990 a rompu le fragile statu quo instauré par David Ben Gourion en 1948, en abolissant la frontière entre droit et politique, entre décisions judiciaires et politiques et entre les normes juridiques acceptés de tous et les valeurs sociétales, sur lesquelles il n’existe pas de consensus en Israël. C’est ce fragile statu quo ante que la réforme Levin s’efforce de rétablir aujourd’hui. Dans les lignes qui suivent[1], je relate comment la Cour suprême a pris parti dans le Kulturkampf israélien et est devenue un acteur politique, avec le soutien des élites post-sionistes et de la frange gauche de l’échiquier politique, à partir des années 1990.

 

 
Ben Gourion: un esprit de compromis

Ben Gourion: un esprit de compromis

Pendant les quatre premières décennies de l’État d’Israël, la question de l’identité du droit israélien - juif ou occidental - s’est pour l’essentiel résumée à celle, de la place occupée par le droit hébraïque dans le système judiciaire. Celle-ci était pour l’essentiel une question technique, qui intéressait principalement les juristes et les hommes politiques, et beaucoup moins le grand public. Cette situation a été radicalement modifiée dans les années 1990, avec l’émergence de la doctrine de l’activisme judiciaire : à savoir, l’idée que la Cour suprême, et les tribunaux en général, n’ont pas seulement pour vocation de dire le droit et de trancher des litiges juridiques, mais qu’ils sont également habilités à se prononcer sur des questions de valeurs, en prenant ouvertement position dans le débat public, y compris sur des questions autrefois considérées comme échappant aux tribunaux.

 

Cette politisation de la Cour suprême a largement été l’œuvre d’un seul homme, le juge Aharon Barak, qui a mené à bien, à partir de la fin des années 1980, une véritable “révolution constitutionnelle”. Celle-ci s’est traduite par l’émergence d’un pouvoir judiciaire, faisant concurrence au pouvoir législatif de la Knesset et au gouvernement, en intervenant régulièrement dans des questions politiques ou sécuritaires. C’est ainsi que la Cour suprême israélienne, sous la présidence du juge Barak et jusqu’à aujourd’hui, s’est érigée en véritable “pouvoir des juges”. Ce faisant, elle a porté atteinte au fragile équilibre des pouvoirs sur lequel repose le système démocratique et à la confiance du public en l’impartialité des juges.

 

 

Cette évolution a été concomitante au phénomène de judiciarisation de la vie publique, commun à plusieurs démocraties occidentales à partir des années 1990. Mais elle revêt en Israël une dimension particulière, du fait de la situation spécifique à ce pays, qui tient notamment à l’absence de constitution formelle[2]. A partir de la “révolution constitutionnelle” menée à bien par le juge Barak, la Cour suprême a non seulement bouleversé l’équilibre des institutions, en accélérant dramatiquement le processus d’élaboration d’une constitution ; mais elle a aussi pesé de tout son poids dans le débat politique, en affaiblissant la notion d’un État juif inscrite dans la Déclaration d’Indépendance de 1948, au profit de celle “d’État de tous ses citoyens”[3]. C’est sans doute l’aspect le plus significatif de cette Révolution constitutionnelle, largement passée inaperçue du grand public à ses débuts, et qui suscite aujourd’hui une vive opposition et donne lieu à des débats virulents à la Knesset, dans les médias et dans la sphère publique en général.

 

 

Ainsi, la polémique déclenchée par le vote à la Knesset de la Loi fondamentale définissant Israël comme “l’État-nation du peuple Juif” est une conséquence directe de l’affaiblissement de la notion d’État juif par la Cour suprême. Cette notion était en effet inscrite dans la Déclaration d’indépendance de l’État d’Israël de 1948, qui mentionnait explicitement le droit naturel du peuple juif d’être une nation comme les autres nations et de devenir maître de son destin dans son propre État souverain”. L’idée que le nouvel État d’Israël était l’État-nation du peuple Juif était considérée comme une évidence incontestable par ses fondateurs, et elle a été acceptée par la communauté des nations, lors du vote de l’Assemblée générale des Nations unies du 29 novembre 1947.

 

 

Comment cette évidence a-t-elle été progressivement remise en question, au point que l’adoption par le parlement israélien de la Loi fondamentale sur l’État juif est aujourd’hui largement dénoncée comme “polémique” ou anti-démocratique ? La réponse à cette question est étroitement liée à l’interventionnisme judiciaire de la Cour suprême. C’est en effet cette dernière qui a ébranlé le large consensus qui existait en Israël en 1948, lors de la proclamation d’Indépendance, signée par des représentants de tous les partis, d’un bord à l’autre de l’échiquier politique. En faisant du caractère juif de l’État un sujet polémique et en opposant “État juif” et “État démocratique” - deux réalités qui avaient coexisté sans problème majeur pendant quatre décennies - la Cour suprême a ouvert la boîte de Pandore.

 

 

Dans l’esprit des pères fondateurs du sionisme politique et des premiers dirigeants de l’État d’Israël - au premier rang desquels David Ben Gourion - le caractère juif de l’État n’était en effet nullement contradictoire avec son caractère démocratique. C’est dans cet esprit qu’il a élaboré le fragile équilibre sur lequel ont reposé l’État et ses institutions après 1948. Ben Gourion a fait preuve à cet égard d’une volonté de compromis inhabituelle, qu’il justifie ainsi dans ses écrits : “Sauver la nation et préserver son indépendance et sa sécurité prime sur tout idéal religieux ou antireligieux. Il est nécessaire, dans cette période où nous posons les fondations de l’État, que des hommes obéissant à des préoccupations et à des principes différents travaillent ensemble… Nous devons tous faire montre d’un sage esprit de compromis sur tous les problèmes économiques, religieux, politiques et constitutionnels qui peuvent supporter d’être différés[4].

 

 

 

 

 

[1] Extraites de mon livre Israël, le rêve inachevé, Editions de Paris / Max Chaleil 2019.

[2] Pour des raisons historiques et politiques, l’Assemblée constituante élue en 1949 ne put accomplir sa tâche constitutionnelle, comme le prévoyait la Déclaration d’Indépendance. Au lieu de cela, elle adopta le principe d’une “Constitution par étapes”, c’est-à-dire de l’élaboration successive de Lois fondamentales, qui furent effectivement adoptées à partir de 1958.

[3] Je renvoie à ce sujet à mon livre La trahison des clercs d’Israël, chapitre 13. La Maison d’Edition 2016.

[4] David Ben Gourion, in Hazon ve-Derekh, cité par Avraham Avi-Hai, Ben Gourion bâtisseur d’État, p. 120.

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Vers le sionisme suprême : De la religion dans l’État d’Israël, Pierre Lurçat

January 19 2023, 09:07am

Posted by Pierre Lurçat

Jabotinsky passant en revue une troupe du Betar/ Camp d’ Hunter/État de New York/ 3 août 1940/Jabotinsky Institute

Jabotinsky passant en revue une troupe du Betar/ Camp d’ Hunter/État de New York/ 3 août 1940/Jabotinsky Institute

Je dédie cet article à la mémoire de Jacques Kupfer, dont la Hazkara aura lieu ce soir (jeudi)

La cause sioniste a rallié de brillantes personnalités, des « caractères » … Dans la grande galerie de ces personnages souvent étonnants, Vladimir Jabotinsky occupe une place éminente, mais aussi singulière. Cet orateur incisif, ce propagandiste zélé fut un homme d’action infatigable : fondateur du Parti révisionniste hostile à la puissance mandataire britannique et initiateur de la Légion juive, il a milité ardemment pour préserver son peuple et bâtir un État affranchi de toute tutelle étrangère. Mais, parallèlement à toutes ses actions, éclatantes sinon toujours couronnées de succès, il n’a cessé de mener, au cours de son existence mouvementée, une réflexion soutenue sur la mission d’un futur État d’Israël, sur la spécificité de la nation juive, sur le rôle qu’elle est appelée à jouer dans l’histoire. On découvre ainsi, dans ses écrits nombreux, une pensée politique originale et fort consistante. Dans le recueil de textes réunis sous le titre : Questions autour de la tradition juive, il réfléchit sur le rôle que doit prendre la religion dans l’État hébreu qu’il appelle de ses vœux.

Un éloignement mêlé de respect

Moshé Bella, auteur d’un livre de référence sur Jabotinsky, relate l’anecdote suivante : quand Eri Jabotinsky, le fils du Roch Betar, qui se trouvait alors à Addis-Abeba, lui donna son accord pour publier un recueil d’articles de son père, il lui fit cette demande : « S’il vous plaît, ne transformez pas mon père en Juif religieux ». Et il ajouta : « Mon père n’était pas religieux. Si vous publiez des articles exprimant une attitude positive envers la religion, publiez également des articles hérétiques (“אפיקורסים/apikorsim”) ». Cette anecdote permet de saisir la complexité de l’attitude de Jabotinsky envers la religion juive (et envers la religion en général). On peut résumer ainsi son attitude : un éloignement mêlé de respect. Cette double attitude a évolué au fil du temps, et Jabotinsky s’est “rapproché” du judaïsme, non certes en devenant un Juif pratiquant, mais en approfondissant son respect pour la tradition juive. Certains éléments biographiques apportent un éclairage intéressant sur cette position idéologique et permettent parfois de mieux la comprendre.

Rappelons quelques moments marquants de sa vie

Jabotinsky a perdu, très jeune, son père et c’est sa mère qui s’est chargée de son éducation. Elle lui a transmis entièrement son judaïsme, tenant à lui faire donner des leçons d’hébreu, dès l’âge de huit ans. Dans son autobiographie, le leader de la droite sioniste écrit cependant : « hormis ces leçons d’hébreu, je n’avais alors aucun contact intérieur avec le judaïsme », p. 18. Il relate aussi qu’après la mort de son père, il s’est rendu matin et soir dans une petite synagogue ; « mais je ne m’y suis pas acclimaté et je ne prenais pas part aux prières, sinon à la récitation du kaddish », p. 18. Cet épisode est significatif, et pour ainsi dire fondateur, dans la vie et dans l’attitude de Jabotinsky envers la tradition : respect pour la mitsva du kaddish, accompagné d’un sentiment de distance à l’égard des rites et de la synagogue. Comme il l’explique encore : « Chez nous, il régnait une cacheroute stricte, maman allumait les bougies la veille du shabbat et priait matin et soir, et elle nous enseigna le ‘modé ani’/prière du lever et la lecture du Chema, mais toutes ces coutumes me laissaient indifférent », p.18. Cette description du foyer dans lequel il a grandi permet de mesurer combien celui-ci était différent de celui de Theodor Herzl, lui aussi souvent considéré, tout comme Jabotinsky (et à tort) comme un Juif parfaitement assimilé. Non seulement il n’était pas un Juif assimilé, mais il a reçu une certaine éducation juive – même s’il n’a fréquenté ni le ‘hédère/école juive pour enfants, ni la yeshiva/école juive pour adultes – ; il a été élevé par une mère observant les rites. Cela n’est pas négligeable.

Un esprit européen 

Bien entendu, cette formation élémentaire ne suffit pas à faire de lui ce qu’on appellerait un “Juif religieux”. Car à côté de la culture juive dans laquelle il a baigné enfant, c’est surtout la culture générale, russe et profane qui a prévalu dans son adolescence, pendant sa période de formation, à Odessa puis à Rome. De ce point de vue, le jeune homme s’est très tôt imprégné de culture européenne, comme il le reconnaît dans son autobiographie, où il qualifie l’Italie de « patrie spirituelle », dans laquelle il s’est assimilé et a forgé « ses conceptions relatives aux problèmes nationaux, de l’État et de la société ». C’est là, explique-t-il, qu’il a appris à aimer « l’architecture, la sculpture et la peinture », mais aussi « le chant latin ; la poésie de Leopardi, les livres de Tchékhov et de Gorki », p. 29. C’est là aussi, à l’Université, qu’il s’initie à la pensée politique.

 

Ce tableau ne doit pourtant pas laisser croire que le jeune Jabotinsky soit devenu un Juif parfaitement assimilé, un Européen épris exclusivement de culture non-juive à l’instar d’ un Stefan Zweig, par exemple. En réalité, ce n’était qu’un passage, une phase dans l’élaboration de sa pensée et de sa personnalité riche, aux facettes multiples. À la même époque, il lisait Bialik avec enthousiasme, et lorsqu’il fit ses débuts littéraires en tant que traducteur, il choisit de traduire en russe le Cantique des Cantiques (pas moins que cela!) et un poème de Yehouda Leib Gordon,  ce qui donne une idée de ses talents littéraires et de ses prédilections.

La religion dans ses rapports avec l’État

L’attitude que le penseur adopte envers le judaïsme considéré comme religion ne peut bien être comprise qu’en fonction de sa pensée politique, notamment de sa doctrine de la nation (dont le sionisme n’est qu’un élément particulier).

Il a en effet consacré de vastes recherches théoriques, passant une année entière à Vienne (1907-1908), enfermé dans des salles de bibliothèques, apprenant spécialement à lire le tchèque et le croate comme il le relate dans son autobiographie : « Je dévorai des livres. L’Autriche, à cette époque, était une école idéale pour étudier la « question des nationalités » : je passais matin et soir à la bibliothèque de l’université ou à celle du ‘Reichsrat’. (…) ; j’étudiais l’histoire des Ruthènes et des Slovaques – et jusqu’à celle des quarante mille Romanches des Grisons… en passant par l’histoire des tsiganes de Hongrie et de Roumanie », Histoire de ma vie, p. 90.

C’est ainsi que s’est formée sa conception générale de l’État. C’est en effet celle-ci qui commande sa vision des rapports avec religion, et non ses idées religieuses. Beaucoup de contre-sens ont été faits à ce sujet :  le fondateur du Betar est parfois présenté comme un partisan d’un État fort, d’un régime autoritaire, militariste, voire fasciste ! Or c’est exactement le contraire qui est vrai : non seulement il n’a jamais eu la moindre sympathie pour les régimes autoritaires et s’est opposé à ceux-ci dès le début des années 1930, avec une lucidité exceptionnelle (y compris au sein du monde juif et du mouvement sioniste), mais il a toujours été partisan d’une intervention minimale de l’État.

Lisons plutôt un extrait de son article Bné Melakhim /Fils de Roi publié, à titre posthume, en 1940 à New York. Cet article constitue à de nombreux égards une sorte de testament politique, ne serait-ce que parce qu’il est un des derniers qu’il ait écrits, peu de temps avant sa mort subite, après avoir passé en revue une revue d’armes du Betar : « (Quelle) est la véritable tendance fondamentale de notre antique tradition, concernant le pouvoir de l’État. Cette tradition déteste de toute évidence l’idée même du pouvoir de l’État, et ne le tolère que dans la mesure où il est indispensable et inévitable. Dans la vie et l’activité de chaque homme – dans son “royaume’ individuel – qui doit autant que possible être laissé hors de portée de l’interférence de l’État ; la meilleure règle consisterait à ce qu’on le laisse tranquille ».

On ne peut être plus aux antipodes d’un interventionnisme étatique.

Mais, poursuit-il : « Si cela s’avère vraiment impossible, car il existe malheureusement des dangers extérieurs et des besoins intérieurs, qui rendent nécessaire un effort collectif, que celui-ci soit strictement limité au minimum véritablement inévitable. Il s’agit, en résumé, d’une mentalité pour laquelle un État “totalitaire” serait un anathème. Son idéal authentique, au contraire, serait une sorte de sage anarchie, mais comme cela est impossible, qu’il s’agisse au moins d’un “État minimalitaire ».

Ainsi s’exprime son idéal politique et sa conception du rôle de l’État, précisément fondé sur l’interprétation qu’il donne de la tradition d’Israël. Le royaume individueldoit échapper à toute intrusion de l’État ! Cette idée est essentielle dans la pensée politique de Jabotinsky. C’est précisément au nom de cette notion qu’il considère que l’État doit respecter dans la mesure la plus étendue la liberté de pensée, d’opinion et de croyance et la liberté de culte. Il en découle que toute notion de “coercition religieuse” est totalement étrangère à sa pensée. Comme il l’exprime déjà en 1935 : « La religion est l’affaire privée de l’individu… Ici doit régner la liberté la plus totale », cité par Shmuel Katz, Lone Wolf, p. 942.

Une pensée en mouvement

      Une erreur courante, lorsqu’on envisage les conceptions d’un penseur politique est de les considérer de manière figée, hors du temps, comme s’il les avait élaborées d’emblée sous une forme définitive et achevée. Toute pensée est dynamique et se déploie dans le temps et sur la durée. Cela est d’autant plus vrai concernant Jabotinsky, qui n’a guère eu le temps d’élaborer de doctrine politique achevée et qui a abordé les thèmes essentiels de sa pensée politique au fil de ses incessantes pérégrinations autour du monde.

Dans Le sionisme et Eretz-Israël (1905), un article que Jabotinsky écrit alors qu’il est âgé de vingt-cinq ans, expose sa conception du rôle de la religion dans l’histoire juive pendant la période de l’exil. Il écrit : « C’est ainsi qu’est mort le judaïsme : car toute chose qui cesse de se développer est considérée comme morte, même si elle renferme un éclair de vie profondément enfoui… Il est mort dès l’instant où Israël est devenu un peuple sans terre et a entamé sa longue marche héroïque de deux mille ans de souffrances pour préserver son trésor sacré », Cité dans Rafaella Bilski Ben Hur, p.163.

Il exprime ainsi la conviction – largement partagée par les autres théoriciens du sionisme politique – que la religion juive a servi à conserver vivante l’identité nationale juive pendant les longs siècles de l’exil. Mais, filant la métaphore, il explique que le “trésor sacré” que le peuple Juif a su conserver pendant l’exil n’est pas la religion elle-même ; celle-ci n’en est que l’enveloppe : « Si ce trésor sacré était le judaïsme, le peuple l’aurait abreuvé d’eaux vives et aurait bénéficié de sa croissance et de son développement, tout comme avant la dispersion. Mais si le peuple a enfermé de son plein gré sa conscience religieuse dans un cadre de fer, l’a desséché au point qu’il se fossilise et a transformé une religion vivante en un cadavre de religion embaumée – alors il est clair, que ce n’est pas dans la religion que réside le trésor sacré, mais dans une autre chose, dans une chose à laquelle le cadavre embaumé devait servir uniquement d’enveloppe et de protection », cité dans Rafaella Bilski Ben Hur, p. 163.

Cette vision du “cadavre embaumé” de la religion, servant d’enveloppe et d’isolant à l’identité nationale du peuple Juif en exil, est un topos classique dans la pensée sioniste laïque. Elle dénote une attitude négative très courante envers la religion qu’on peut qualifier d’utilitariste.

Quel est donc ce “trésor sacré” pour lequel le peuple Juif a enduré deux mille ans de souffrances et d’exil ?

La réponse se trouve dans un article ultérieur (1933), intitulé Exposé sur l’histoire d’Israël : c’est ce qu’il appelle le “mécanisme spirituel”, – concept qui désigne selon lui l’élément occulté par Marx dans sa conception des “moyens de production” comme facteur déterminant de l’histoire. En effet, explique-t-il : « À partir du moment où l“isolant” naturel – à savoir le territoire national – est perdu, chaque chose se transforme en succédané du territoire, et en particulier ce moyen considérable de séparation qui a pour nom la tradition religieuse : mais pour cela il est nécessaire que cette tradition soit absolument immobile », p.46.

 

La religion, au fondement de la tradition

Dans cet article important, Jabotinsky analyse avec sincérité son attitude envers la religion, qu’il considère comme le fruit de son époque, celle de “l’assimilation russe”. Il affirme que la religion joue un rôle important dans l’histoire des peuples et dans l’histoire mondiale. Cette affirmation se trouvait déjà dans son Exposé sur l’histoire d’Israël, publié deux ans plus tôt à Varsovie. Mais son article, Religion (1935), va plus loin et dépasse la doctrine marxiste en général, et le “matérialisme historique” en particulier, en ajoutant aux fameux “moyens de production” l’élément spirituel qui en est totalement absent.

Il analyse et réfléchit aux raisons pour lesquelles la religion était absente chez les membres de sa génération et pourquoi elle jouera un rôle important à l’avenir. Jabotinsky décrit son indifférence à la religion comme une lacune, une sorte de cécité spirituelle et artistique, qu’il compare à l’incapacité d’apprécier la poésie et la musique, concluant par ces lignes révélatrices : « Chez l’homme qui est pleinement évolué, il n’est pas possible qu’une émotion aussi considérable fasse défaut. L’homme de l’avenir, l’homme entier, auquel aucun sens ne manquera, sera “religieux”. Je ne sais pas quel sera le contenu de sa religion ; cependant il sera porteur du lien vivant entre son âme et l’infini qui l’accompagnera partout où il ira », p. 73.

Le pronostic formulé par Jabotinsky, selon lequel « l’homme entier sera religieux », marque de toute évidence une évolution marquante de sa pensée, depuis celle exprimée trente ans plus tôt dans Le sionisme et Eretz Israël. Que s’est-il passé entre-temps ? Comment le jeune dirigeant sioniste russe, convaincu que la religion n’est plus  qu’un “cadavre embaumé”, en est-il venu à y voir une dimension importante de la personnalité, aux côtés de la musique et de l’art?

Les raisons de cette évolution radicale sont multiples.

Mentionnons tout d’abord le cheminement personnel d’un homme qui a mûri et a eu le temps d’approfondir sa réflexion sur de multiples domaines. Le leader sioniste endurci qui s’exprime en 1935 n’est évidemment plus le jeune homme fougueux de 1905.

Le second facteur est celui des rencontres qu’il a faites et de personnes qui l’ont marqué, parmi lesquelles on peut mentionner le rabbin Falk, qui servit comme aumônier militaire dans les rangs des Muletiers de Sion, qui ont combattu avec bravoure à Gallipoli, le rabbin Nathan Milikovsky, qui n’est autre que le grand-père de Binyamin Nétanyahou, mais aussi et surtout le grand-rabbin Avraham Kook, qui exerça une influence importante sur l’idée que l’agnostique se faisait du judaïsme et de la religion.

LIRE LA SUITE...

JABOTINSKY Vladimir, Questions autour de la tradition d’Israël | Sifriaténou/Notre Bibliothèque (sifriatenou.com)

Vladimir JABOTINSKY, Questions autour de la tradition d’Israël, Traduit de l’hébreu, présenté et annoté par P. Lurçat, Jérusalem, Recueil rassemblant : Exposé sur l’histoire d’Israël (1933) ; Questions autour de la tradition juive (1934) ; De la religion (1935) ; Lettre à Eri Jabotinsky : Naharayim (14 septembre 1935), s.l., Éditions l’Éléphant, 2021, Collection « La Bibliothèque sioniste ».

Jabotinsky, jeune homme, Varsovie, s.d.

Jabotinsky, jeune homme, Varsovie, s.d.

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Le secret de la longévité politique de Binyamin Nétanyahou, par Pierre Lurçat

November 7 2022, 12:46pm

Posted by Pierre Lurçat

Le secret de la longévité politique de Binyamin Nétanyahou, par Pierre Lurçat

 

Au-delà des qualificatifs – souvent erronés ou excessifs – que les médias utilisent à son endroit, Binyamin Nétanyahou demeure à de nombreux égards une énigme. L’ancien et nouveau Premier ministre israélien, qui vient de remporter une victoire politique éclatante et qui a ravi à David Ben Gourion le record de longévité à ce poste, est tantôt décrit comme un modèle de pragmatisme – voire d’opportunisme politique – tantôt comme un idéologue de droite. Qui est-il vraiment ?

 

La biographie que lui a consacré le journaliste Anshel Pfeffer (1) apporte des éléments de réponse à cette question, qui continue de tarauder les meilleurs observateurs de la scène politique israélienne depuis plus de deux décennies. En tant que contributeur du quotidien Ha’aretz – qui n’épargne pas le Premier ministre et sa famille – Pfeffer a réussi à écrire une biographie équilibrée, en évitant de tomber dans l’excès ou dans la caricature. Il décrit ainsi, dans les premiers chapitres de son livre, l’environnement dans lequel a grandi Benjamin, ses deux frères Ido et Yoni (qui trouvera la mort lors de l’opération héroïque de sauvetage des otages à Entebbé), et leurs parents, le professeur Bentsion Nétanyahou et sa femme.

 

L’auteur relate avec talent l’ascension politique de Nétanyahou, d’abord au sein de l’ambassade d’Israël aux Etats-Unis, où il devient le protégé de Moshe Arens, puis en tant qu’ambassadeur aux Nations-Unis, en 1984, où il se fait remarquer pour ses talents de diplomate et d’orateur hors-pair. Dès cette époque, le jeune Benjamin Nétanyahou fait en effet preuve de dons exceptionnels pour la « hasbara » (terme difficile à traduire qui désigne la capacité de défendre une politique), à la tribune et dans les coulisses des Nations unies. Pfeffer rapporte ainsi la manière dont « Bibi » utilise des éléments visuels pour appuyer son argumentation, n’hésitant pas à projeter un film montrant un diplomate tentant vainement de téléphoner au Liban pour illustrer l’état d’anarchie régnant dans le pays. Trente ans plus tard, il utilisera des moyens similaires pour démontrer au monde entier la duplicité de l’Iran.

 

La qualité majeure de Benjamin Nétanyahou, tel qu’il ressort du livre d’Anshel Pfeffer, est incontestablement celle d’animal politique. Doté d’un charisme exceptionnel, il sait manœuvrer à travers les écueils de la politique intérieure israélienne, et fait montre d’une capacité d’analyse et de compréhension rarement égalées par ses pairs. Issu d’une famille jabotinskienne réputée, mais relativement à l’écart de la vie politique du fait de son exil aux Etats-Unis, Nétanyahou parvient à doubler plusieurs concurrents parmi les “Princes du Likoud” – et notamment David Lévy, qui deviendra un rival féroce.

 

Dans des pages intéressantes de son ouvrage, Pfeffer montre les rapports ambivalents entre Bibi et Itshak Shamir, qui le considère comme superficiel et incapable de résister aux pressions. Un des chapitres les plus instructifs est celui qui retrace le premier mandat de Nétanyahou, arrivé au pouvoir contre toute attente, en 1996, au lendemain de l’assassinat d’Itshak Rabin (au sujet duquel Pfeffer dissipe la calomnie voulant que Bibi ait participé à des manifestations “incitant” au meurtre…(2) A l’âge de 46 ans, il devient le plus jeune Premier ministre israélien depuis 1948.

 

Quelle a été l’influence de sa famille sur Bibi ? Sur ce point crucial – que j’aborde dans un de mes livres, dans un chapitre consacré à Bentsion Nétanyahou (3) – l’auteur apporte des éléments de réponse intéressants. Ainsi, on découvre comment “Bibi” a souffert du sentiment d’insatisfaction que son père éprouvait à son égard. « Il aurait sans doute fait un meilleur ministre des Affaires étrangères que Premier ministre », dira un jour Bentsion de son fils, pour la plus grande joie de ses adversaires. Le dernier chapitre du livre s’intitule, de manière éloquente, « Stuck on top », « coincé au sommet ».

 

 

A l’heure où ces lignes sont écrites, « Bibi » donne toujours l’impression d’être irremplaçable, y compris aux yeux de ses plus farouches adversaires. Au-delà de ses succès indéniables – en diplomatie notamment et en économie – les « années Bibi » auront aussi été celles d’une lente et irrésistible érosion de la force de dissuasion de Tsahal, après les retraits de Gaza et du Sud-Liban aux conséquences désastreuses, orchestrés par deux de ses prédécesseurs, Ariel Sharon et Ehoud Barak.

 

Nétanyahou deviendra un des plus grands dirigeants de l’Etat d’Israël moderne, s’il parvient à résoudre un des problèmes les plus brûlants de la société israélienne, que les grands partis politiques ont largement négligé depuis longtemps : celui de la situation économique et sociale. L’Etat d’Israël, au cours de ses 70 années d'existence, est en effet passé presque sans transition d'un régime économique socialiste à un régime ultra-libéral ou, pour reprendre les termes de Jabotinsky, de « l'esclavage socialiste » au « capitalisme sauvage ». Il reste aujourd'hui à accomplir le programme de Jabotinsky, en édifiant une société plus égalitaire, réalisant ainsi l'idéal de justice sociale de la Bible hébraïque. (3)

 

Pierre Lurçat

 

Notes

(1) Anshel Pfeffer, Bibi: The Turbulent Life and Times of Benjamin Netanyahu: Basic Books 2018.

(2) Rappelons que le fameux poster représentant Itshak Rabin z.l en uniforme S.S. était la création de l’agent du Shabak, Avishaï Raviv.

(3) Je renvoie sur ce sujet le lecteur au premier tome de la Bibliothèque sioniste que j’ai fondée, Vladimir Jabotinsky, La rédemption sociale, éléments de philosophie sociale de la Bible hébraïque, éditions L’éléphant 2021.

(Une version initiale de cet article est parue en novembre 2018)

 

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Le Mur de Fer

Le public français ne connaît pas, ou à peine, Vladimir Jabotinsky. Pierre Lurçat remédie à cette méconnaissance avec brio en publiant une traduction des textes fondateurs de ce visionnaire, publiés entre 1916 et 1929 en les éclairant d’une introduction historique et philosophique pointue.

Liliane Messika, Causeur.fr

« Les arabes et nous, le Mur de fer », Jabotinsky raconté par Pierre Lurçat au micro d’Ilana Ferhadian

 

Il faut remercier Pierre Lurçat pour son travail de traduction et de présentation de cet ouvrage. Il permet au lecteur, peu familier de l’action et de l’œuvre de Vladimir Jabotinsky, de découvrir un penseur du politique à travers son engagement pour le sionisme… Ses écrits sont là, nourrissent notre réflexion, et attestent d’une lucidité peu commune

 

Evelyne Tschihrart, Dreuz.info

 

 

 

Le secret de la longévité politique de Binyamin Nétanyahou, par Pierre Lurçat

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Aux origines de la "Startup nation": Une saga juive qui raconte l’autre histoire d’Israël

October 9 2022, 10:15am

Posted by Pierre Lurçat

Aux origines de la "Startup nation": Une saga juive qui raconte l’autre histoire d’Israël

 

« Ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire » : ce dicton est tout aussi vrai s’agissant de l’histoire mondiale, que de l’histoire intérieure des États. Dans le cas d’Israël, l’histoire a ainsi été le plus souvent écrite par le courant majoritaire, celui du parti travailliste d’obédience sioniste-socialiste, qui a exercé son hégémonie pendant les trente premières années de l’État (1948-1977). C’est ainsi que l’histoire de l’épopée sioniste connue de tous relate comment des pionniers juifs, venus de Russie et de Pologne, ont défriché la terre et fondé des kibboutz, construisant en même temps la nouvelle patrie juive et le « Nouveau Juif », conforme à leur idéologie d’inspiration marxiste. Mais on ignore généralement qu’aux côtés du sionisme socialiste, il y eut aussi des sionistes révisionnistes, des sionistes religieux et aussi des sionistes… capitalistes !

 

C’est à ce dernier pan méconnu de la préhistoire d’Israël qu’est largement consacré le dernier livre de Hamutal Bar-Yosef, paru en hébreu en 2017 et qui vient d’être traduit en anglais, sous le titre The Wealthy (Les fortunés). L’auteur, poète, traductrice et spécialiste de littérature hébraïque, a adopté la forme du roman pour relater cette histoire. Son livre est une véritable saga qui s’étend sur plusieurs générations et raconte l’histoire d’une famille juive en Allemagne, en Angleterre et en Palestine mandataire. A travers le destin de cette famille de pauvres colporteurs qui va s’élever socialement – jusqu’à atteindre les rangs de la noblesse britannique – c'est un aspect souvent ignoré de l'histoire moderne du peuple Juif qui est dévoilé au lecteur.

 

La saga de la famille Heimstatt – inspirée d’une histoire réelle – illustre ainsi le phénomène souvent décrit dans la littérature et le cinéma de l’ascension sociale, génération après génération, dont les moteurs principaux sont l’ambition personnelle et l’aspiration à contribuer au bien de l’humanité. Meyer, fondateur de la « dynastie », est un simple marchand ambulant. Son fils Albert devient un commerçant aisé, et le petit-fils Gotthold étudie la chimie à l’université de Heidelberg. Plus tard, il s’installe en Angleterre, où se déroule la deuxième partie du roman. La découverte de plusieurs procédés industriels assure la fortune de la famille, et son fils Richard se lance dans la politique, et parvient à être élu au Parlement au sein du parti libéral.

 

La troisième et dernière partie de la saga des Heimstatt commence lorsque le jeune Ralph, fils de Richard, est envoyé en Palestine mandataire (« Eretz-Israël ») pour y combattre dans les rangs de l’armée britannique, après avoir participé à la campagne désastreuse de Gallipoli, dans le cadre du bataillon juif mis sur pied par Jabotinsky et Trumpeldor. A travers le destin du dernier rejeton de la famille d’origine allemande, c’est tout un pan de l’histoire du sionisme politique qui est ainsi relaté : la participation des « bataillons juifs » – premiers soldats se battant sous un drapeau juif à l’époque moderne – dans la Première Guerre mondiale, puis la Déclaration Balfour et le mandat britannique sur la Palestine, et le développement de l’implantation et de la colonisation juive en terre d’Israël.

 

Le grand talent de Hamutal Bar-Yosef est précisément de parvenir à mêler la grande et la petite histoire, en évoquant des événements importants de l’histoire, sans jamais perdre le fil de l’épopée familiale. On y croise ainsi, outre les membres de la famille Heimstatt sur cinq générations, des figures illustres comme celles de Haïm Weizmann, Lloyd George ou encore Amin al-Husseini. Les commerçants et industriels qui – à l'instar de la famille Mond dont s'inspire le roman de Hamutal Bar-Yosef – ont pris part à l'aventure sioniste, ont joué un rôle crucial dans l'édification d'un pays moderne, devenu aujourd'hui une puissance économique de premier plan. Son livre se lit avec un intérêt qui ne diminue pas, au fil des quelque quatre cents pages, et on imagine facilement comment il pourrait être adapté à l’écran. Il mériterait certainement d’être traduit en français.

Pierre Lurçat

 

Hamutal Bar-Yosef, The Wealthy, Chronicle of a Jewish Family (1763-1948), Gefen Publishing House 2022.

 

"The Wealthy" de Hamutal Bar-Yosef, Une saga juive qui raconte l’autre histoire d’Israël

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Un événement éditorial : Parution d’un recueil de textes inédits en français de Vladimir Jabotinsky, Le Mur de Fer

September 4 2022, 10:33am

Posted by Pierre Lurçat

Un événement éditorial : Parution d’un recueil de textes inédits en français de Vladimir Jabotinsky, Le Mur de Fer

NB J'ai évoqué le Mur de fer de Jabotinsky ce matin au micro d'Ilana Ferhadian sur Radio J.

En 1923, Jabotinsky publiait un article au titre devenu célèbre : le « Mur de Fer ». Il y exposait sa conception du conflit israélo-arabe, élaborée au lendemain des émeutes de 1921 à Jérusalem, auxquelles il avait pris part en tant que témoin actif, ayant organisé l’autodéfense juive au sein de la Haganah. Cent ans plus tard, ses idées sur le sujet demeurent d’une étonnante actualité. Les articles réunis ici exposent une vision du conflit qui reste en effet très pertinente, tant à propos des racines du conflit israélo-arabe que des solutions que préconise Jabotinsky.

 

Celui-ci a en effet été un des premiers à reconnaître que le conflit entre Israël et les Arabes était de nature nationale et que la nation arabe n’allait pas renoncer à ses droits sur la terre d’Israël en échange des « avantages économiques » apportés par l’implantation sioniste. Mais ce constat lucide ne l’a pas conduit à préconiser un partage de la terre ou un Etat binational, contrairement aux pacifistes de son temps. L’originalité de l’analyse de Jabotinsky réside ainsi tant dans le respect qu’il porte à la nation arabe, que dans son refus de transiger sur les droits du peuple Juif.

 

Né à Odessa en 1880 et mort dans l’État de New-York en 1940, Vladimir Zeev Jabotinsky est une des figures les plus marquantes du sionisme russe. Écrivain, journaliste et militant infatigable, créateur du mouvement sioniste révisionniste et du Bétar, il a conquis sa place parmi les fondateurs de l’État d’Israël, entre la génération de Théodor Herzl et celle de David Ben Gourion. Théoricien politique extrêmement lucide, il avait compris la vertu cardinale pour les Juifs de se défendre eux-mêmes, et dès la Première Guerre mondiale, il obtint leur participation militaire sous un drapeau juif à l’effort de guerre des Alliés.

 

V. Jabotinsky Le Mur de Fer, Les Arabes et nous, traduction et présentation de P. Lurçat

 

Éditions L’éléphant / B.o.D.

Paris-Jérusalem

Le Mur de Fer (bod.fr)

Éditions L’éléphant – Livres consacrés à Israël, son histoire, son peuple, son pays et sa culture

 

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Yom Yeroushalayim : Comment notre peur de l’islam et des musulmans encourage leur violence

May 26 2022, 15:18pm

Posted by Pierre Lurçat

 

Les lignes qui suivent ont été écrites à la veille et au lendemain de Yom Yeroushalayim, en pleine vague de violence musulmanes du Ramadan à Jérusalem, à la frontière de Gaza et ailleurs, et juste avant le début du nouvel affrontement militaire qui a eu lieu il y a un an.

 

“Il n’y a rien de nouveau sous le soleil”, disait l’Ecclésiaste, “le plus sage de tous les hommes”. En 1921, au lendemain des terribles violences qui firent des dizaines de morts à Tel-Aviv, parmi lesquels l’écrivain Yossef Haim Brenner, de nombreuses voix au sein du Yishouv pleurèrent la terrible réalité des pogromes, auxquels ils avaient cru échapper en venant s’installer en Palestine pour “construire le pays et se construire”, selon le slogan sioniste. Plus encore que les morts de Tel-Aviv (et ceux de Hébron en 1929), c’est sur leurs propres illusions que ces pionniers sionistes versaient des larmes amères.

 

Sur la fosse commune des victimes des pogromes de Hébron, 1929

 

J’ai retrouvé la même désillusion, sous une forme différente, dans le récit que j’ai entendu récemment de la bouche d’un nouvel immigrant, venu s’installer à Jérusalem après avoir vécu longtemps à Paris. A travers son récit lucide se fait jour une vérité que beaucoup d’Israéliens de longue date ont tendance à oublier, ou à occulter. Voici son témoignage : “A l’oulpan, à Jérusalem, j’ai constaté que les élèves arabes, en surnombre dans la classe, jouissaient d’une position privilégiée. Le professeur leur donnait plus souvent la parole, et ils ne se privaient pas de faire “bande à part”, se comportant avec arrogance et mépris, avec son approbation tacite, alors que nous étions encouragés à faire profil bas”. Plus tard, j’ai retrouvé la même attitude lors de mes études, et plus tard encore, dans l'institution où j’effectue mon stage. Lors des réunions du personnel, chaque intervention d’un employé arabe est accueillie avec déférence et avec un excès de respect, comme si tout ce qu’il disait était parole sacrée… Je ne comprends pas cette attitude d’auto-effacement des Israéliens juifs face à leurs collègues arabes…”’

Pour répondre à la question de ce nouvel immigrant, j’ai cherché à comprendre les raisons de ce phénomène, qui sont multiples, parmi lesquelles on peut citer : la politique de “discrimination positive” menée par Israël pour encourager “l’intégration” des Arabes israéliens ; l'idéologie pacifiste juive, du Brith Shalom jusqu'à Shalom Archav (1), la méconnaissance de la culture arabe - surtout chez les Israéliens d’origine européenne - et en particulier de l’attitude de l’islam envers les minorités juives et chrétiennes (dhimmis) ; et enfin - et surtout - la peur de l’islam et des musulmans.

 

 La peur de l'islam, un sujet occulté

 

Ce sujet capital affecte non seulement la vie de tous les jours, dans les nombreux endroits où cohabitent Juifs et Arabes en Israël, comme ceux évoqués dans le témoignage ci-dessus, mais aussi la réalité de l’affrontement entre Israël et ses ennemis, à l’intérieur et aux frontières du pays. Quand Israël prétend “ramener le calme” à Jérusalem, en envisageant d’interdire des manifestations juives, quand il interdit toute prière sur le Mont du Temple, lieu le plus sacré du judaïsme, quand il s’abstient de riposter aux tirs de roquettes incessants venus de Gaza pendant des années, c’est cette même attitude de prudence timorée, mêlée d’ignorance et de peur, qui est à l’oeuvre.

 

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Batterie Kippat Barzel en action : puissance militaire et faiblesse politique

 

On me rétorquera bien entendu que dans le conflit face au Hamas, ou face aux émeutiers de Jérusalem, Israël est dans une situation de supériorité militaire ou policière, qui l’autorise à faire preuve de “prudence”, de “retenue”, ou d’autres qualités qui sont celles du fort envers le plus faible. Mais cette réponse tient d’une erreur de perspective, et aussi d’une tentative de nous mentir à nous-mêmes. Nous nous comportons comme si nous étions confrontés à un simple problème de police, ou à des “événements sécuritaires” (2), alors qu’il s’agit d’une guerre véritable, qui oppose une minorité juive à des ennemis faisant partie du vaste ensemble arabo-musulman.

 

 L'illusion de la puissance technologique

 

De fait, quand des Juifs sont caillassés ou agressés à Jérusalem ou ailleurs par des foules arabes, dans des circonstances qui rappellent les périodes les plus sombres de notre histoire, il s’agit d’une tentative de pogrome et pas d’un fait divers. Qui est le plus fort : le Juif orthodoxe qui tente d’échapper à ses agresseurs et de sauver sa vie, ou ceux-ci? Il en est de même à la frontière de Gaza: nous sommes persuadés d’être les plus forts, à l’abri derrière la barrière technologique du “Kippat Barzel”, qui détruit en vol (pas toujours) les roquettes lancées par l’ennemi, nous permettant de vivre dans une illusoire tranquillité (sauf pour les habitants des localités frontalières, dont la vie est transformée en enfer, dans l’indifférence générale). Mais cette force illusoire parvient mal à masquer une faiblesse morale et psychologique, qui éclate au grand jour quand le Hamas tire sur Jérusalem en plein Yom Yeroushalayim (3) 

 

C’est en effet à Jérusalem et notamment sur le Mont du Temple que cette faiblesse est le plus manifeste. A cet égard, l’attitude d’Israël sur le Mont du Temple constitue une double erreur, psychologique et politique. Psychologiquement, elle renforce les musulmans dans leur complexe de supériorité, en les confortant dans l’idée que l’islam est destiné à dominer les autres religions et que ces dernières ne peuvent exercer leur culte qu’avec l’autorisation et sous le contrôle des musulmans, c’est-à-dire en étant des « dhimmis ». 

 

Politiquement, elle confirme le sentiment paranoïaque de menace existentielle, que l’islam croit déceler dans toute manifestation d’indépendance et de liberté de ces mêmes dhimmis à l’intérieur du monde musulman. Paradoxalement, la souveraineté juive à Jérusalem est perçue comme une menace pour l’islam, précisément de par son caractère incomplet et partiel : les Juifs sont d’autant plus considérés comme des intrus sur le Mont du Temple, qu’ils n’y sont pas présents à demeure et qu’ils y viennent toujours sous bonne escorte, comme des étrangers et des envahisseurs potentiels.

 

Comment Israël a perdu la guerre psychologique

 

En apparence, Israël n’a pas peur du terrorisme, qu’il combat efficacement, et dont il a largement triomphé sur presque tous les fronts. Sauf sur un point essentiel : la guerre psychologique. Israël (et l’Occident tout entier) a perdu la guerre psychologique contre le Hamas et contre l’islam en général, parce qu’il a intégré dans sa propre psyché la peur de l’ennemi, arme psychologique la plus redoutable de tous les terrorismes, et dont l’islam a fait sa spécialité, en jouant constamment sur le double dispositif mental et militaire de la peur et de la soumission, de l’apitoiement et de la terreur.

 

La meilleure preuve de cette réalité paradoxale est l’attitude des responsables de services de sécurité israéliens à Jérusalem (Shin Beth, police, etc.), qui mettent constamment en garde le public israélien contre le risque “d’embrasement”’ du Mont du Temple, ce “baril de poudre” qui pourrait selon eux déclencher une “guerre mondiale”, si l’on autorisait une pognée de Juifs à venir y exercer librement leur culte, comme le proclament pourtant la Déclaration d’indépendance d’Israël et toutes les déclarations universelles des Droits de l’homme. Ces prétendus “gatekeepers”, censés assurer la responsabilité suprême de la sécurité d’Israël, sont devenus depuis longtemps les pourvoyeurs d’une idéologie défaitiste, par un curieux mécanisme psychologique qui reste à explorer.



 

La synagogue de Névé Dekalim, détruite après le retrait de Gaza

 

En définitive, cette attitude de peur se retourne également contre nos ennemis, en les poussant à la surenchère et en les empêchant de grandir, de se développer et de renoncer à leurs rêves funestes et infantiles. N’oublions pas que c’est le retrait de Gaza orchestré par Ariel Sharon qui a mis au pouvoir le Hamas, sous le joug duquel souffrent des millions de musulmans, et que ce sont les accords d’Oslo qui ont amené Arafat au pouvoir. La peur (et la corruption, intellectuelle et matérielle) a toujours été mauvaise conseillère. “Il est “plus difficile d’extirper la Galout du Juif que de faire sortir  les Juifs de la Galout”, disait Manitou. Le jour où  nous cesserons d’avoir peur de l’islam, nous pourrons enfin devenir ce “Nouveau Juif” que Jabotinsky appelait de ses voeux et gagner le respect de nos ennemis, et le nôtre.

Pierre Lurçat

 

1. Sur l’idéologie pacifiste, je renvoie à mon livre La trahison des clercs d’Israël, La Maison d’édition 2016.

2.  Le vocabulaire employé en Israël pour décrire les pogromes arabes a toujours été marqué par l’understatement, depuis l’euphémisme des “événements de 1929”

3. Sur l’illusion technologique que représente Kippat Barzel, voir http://vudejerusalem.over-blog.com/2019/11/israel-face-a-gaza-sortir-de-l-illusion-technologique-et-retrouver-les-valeurs-de-tsahal-pierre-lurcat.html.

 

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Samuel Willenberg, le révolté de Treblinka, par Pierre Lurçat

April 27 2022, 09:45am

Posted by Pierre Lurçat

 

(Extrait de mon livre Victor Soskice, Qui sauve un homme sauve l'humanité, qui vient de paraître aux éditions L’éléphant)

 

Entre Acco et Nahariya, sur la côte de la Méditerranée, à quelques kilomètres de la frontière nord d’Israël, se trouve le kibboutz Lohamei Hagetaot (“Les combattants des ghettos”). Fondé en 1949, le kibboutz abrite aussi le Musée des Combattants des ghettos, qui a pour particularité d’être le premier musée de la Shoah fondé en Israël, la même année que le kibboutz, et d’avoir été créé par des survivants de la Shoah, parmi lesquels plusieurs anciens combattants du ghetto de Varsovie. Quand on arrive par la route venant de Haïfa, on remarque tout d’abord l’aqueduc romain qui longe le kibboutz sur son côté Ouest. Le musée, dont la structure impressionnante est due à l’architecte Samuel Bickels, est presque vide, en ce début d’après-midi.

 

Nous parcourons les salles consacrées aux Justes des Nations et à la Résistance juive, avant de tomber en arrêt devant les sculptures réalisées par Samuel Willenberg. Ce sont des scènes terribles, tirées de la vie quotidienne dans le camp de Treblinka et reconstituées de mémoire, et qui semblent tirées de l’Enfer de Dante. J’ai bien connu Willenberg, car il était le “méhoutan” (mot intraduisible en français) de mon oncle Menahem – la fille du premier ayant épousé le fils du second – et je l’ai souvent croisé, étant adolescent, mais je n’ai compris que très tard le secret qui l’habitait. Dans la famille, on l’appelait familièrement “Igo”, de son nom de guerre. À l’époque, il m’intimidait, avec sa voix rauque et la manière qu’il avait de vous scruter de son regard bleu profond et intense. J’avais l’impression qu’il me dévisageait avec insistance, comme pour lire au fond de moi, et son regard me mettait mal à l’aise. J’étais trop jeune alors pour comprendre que ce n’était pas dû à un quelconque sentiment d’hostilité, mais au fait qu’il n’était pas entièrement ici, dans le monde que nous partageons avec nos contemporains.

 Detail

Son parcours, qu’il a relaté dans un livre de souvenirs traduit en français[1], est celui d’un survivant de Treblinka et d’un héros dont le courage n’avait d’égal que la modestie. Son père, Peretz, enseignant et peintre à Czestochowa, avait épousé une Russe orthodoxe qui avait fui la Révolution. Elle se convertit pour l’épouser. En 1941, après la création du ghetto de Czestochowa, Samuel et ses parents parviennent à échapper aux rafles, tandis que ses deux sœurs, Tamara et Ita, sont déportées. Arrêté lors de la liquidation du ghetto d’Opatów, Samuel est déporté à Treblinka à l’âge de dix-neuf ans. Suivant le conseil donné sur la rampe menant au camp, il se fait passer pour maçon, ce qui lui sauve la vie, alors que la plupart des membres du convoi sont immédiatement emmenés dans les chambres à gaz.

 

Le révolté de Treblinka

 

Samuel réussit à survivre entre octobre 1942 et août 1943, date de la révolte du camp, à laquelle il participe avec plusieurs centaines de prisonniers. Blessé à la jambe, il parvient à regagner Varsovie, où il retrouve son père, qui s’est caché du côté “aryen” de la ville. Il prend part au soulèvement de Varsovie dans les rangs de l’Armiya Krajova (l’armée de l’intérieur polonaise). Après la guerre, Samuel demeure plusieurs années en Pologne et se porte volontaire dans l’armée polonaise, où il devient officier, avant de partir en Israël en 1950. Il y travaille comme ingénieur au ministère du Logement jusqu’à sa retraite. Par la suite, il prend des cours de sculpture et guide des jeunes Israéliens venus visiter les camps en Pologne. Je me suis souvent demandé ce qui le poussait à revenir, chaque année pendant plusieurs décennies, dans ce pays qui avait été celui de son calvaire et celui de sa famille. Le désir de transmission ? Il aurait pu se contenter de donner des conférences dans les lycées en Israël. Ce n’est qu’en avril 2016, devant les sculptures exposées au musée du kibboutz, que j’ai trouvé la réponse à cette question.

 

 

Willenberg était le dernier survivant de la révolte de Treblinka, et à de nombreux égards, il était resté là-bas. Son corps avait certes survécu, et il donnait le sentiment d’une force incroyable, comme si le fait d’avoir enduré les privations et l’horreur des camps l’avait rendu à jamais invincible. Mais son âme, elle, était restée dans cet autre monde, ce monde de l’horreur et de l’indicible, que la nation la plus raffinée d’Europe avait créé pour y exterminer le peuple Juif. Un petit film émouvant, au musée du kibboutz, le montre évoquant, la voix tremblante, la révolte de Treblinka et ses compagnons d’infortune, dont les images n’ont cessé de le hanter jusqu’à son dernier jour, comme il l’explique, 70 ans plus tard : “Treblinka zeh Ani!” (Treblinka, c’est moi!) Cette déclaration n’était pas une fanfaronnade ou une affirmation saugrenue ; elle exprimait la quintessence de son être, la réalité de sa vie depuis les années terribles dont il n’était jamais sorti.

 

 

“Igo”, le lieutenant de l’armée polonaise, le révolté de Treblinka, n’avait en réalité jamais été entièrement libéré de là-bas. Les Allemands, dans leur volonté criminelle d’extermination, avaient réussi à tuer non seulement les morts, mais aussi, dans une certaine mesure, les survivants. En voyant le visage de Willenberg, au musée du kibboutz des combattants des ghettos, je me dis qu’il fallait le rencontrer, l’entendre encore une fois raconter sa vie et son destin incroyable. Hélas, il était trop tard… Samuel était décédé deux mois auparavant, à quelques jours de son quatre-vingt-dixième anniversaire. Une fois de plus, le temps m’avait pris de court, comme avec les rares survivants qui avaient connu Victor. Ainsi, pensai-je en sortant du musée des combattants des ghettos, j’avais cru échapper à Victor, en venant me reposer quelques jours en Israël, et je le retrouvai immanquablement, à travers Willenberg et les autres témoins de la période tourmentée dans laquelle il avait vécu et qui avait déterminé son cruel destin.

 

 

Mais cette découverte, loin de susciter en moi un nouvel accès de tristesse ou de découragement, me confirma que j’étais sur la bonne voie. J’avais mis plusieurs décennies à comprendre le secret de Samuel Willenberg, qui m’était apparu dans son éclatante vérité, lors de la visite au kibboutz Lohamei Hagetaot. A présent, je savais pourquoi je me devais d’écrire sur Victor, quoi qu’il m’en coûte, même s’il fallait y consacrer encore des nuits blanches et des mois entiers. Ce n’était pas seulement par fidélité au héros de mon adolescence et au sauveur de mon père. C’était aussi par fidélité à moi-même, à la promesse que je m’étais faite un jour en rencontrant, dans les circonstances extraordinaires que j’ai relatées, l’ami de Victor, André Simon. Mais aussi pour tous les autres témoins de sa brève existence, ceux que j’avais interviewés ou croisés – Jacqueline et son frère – et ceux que je n’avais pas eu le temps de rencontrer, comme Jac Remise, son camarade de classe. Il fallait que j’écrive la vie de Victor, que je lègue ce récit aux générations suivantes et que je lui offre, à mon tour, le tombeau de papier qui devait remplacer celui qu’il n’avait pas eu.

 

 


[1] Révolte à Treblinka, Ramsay 2004.

 

NB extrait de mon livre Victor Soskice, éditions l’éléphant. En vente sur Amazon, B.o.D. et dans toutes les bonnes librairies!

Amazon.fr : Irène Lurçat : Livres

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Face à la terreur arabe: construire des barrières ou ériger une “Muraille d’acier”? Pierre Lurçat

April 10 2022, 10:05am

Posted by Pierre Lurçat

 

La nouvelle vague de terrorisme arabe renvoie une fois de plus Israël au dilemme ancien de sa conception sécuritaire, qui traverse le débat stratégique et existentiel depuis les débuts de l’épopée sioniste. Dilemme qu’on peut résumer par l’opposition entre deux visions opposées : celle de la “barrière de sécurité” et du Kippat Barzel d’une part, et celle du “Kir ha-Barzel’ d’autre part, la “Muraille d’acier” préconisée par Jabotinsky et toujours d’actualité.

 

Aucun mur, aucune barrière n’ont jamais arrêté un ennemi déterminé. De la tristement célèbre “Ligne Maginot” construite par la France au tournant des années 1930, jusqu’à la “ligne Bar Lev” érigée par Israël le long du canal de Suez, aucun édifice militaire protecteur n’a pu mettre en échec cette loi d’airain de la guerre. La “barrière de sécurité” édifiée par Israël depuis 2002 pour séparer le petit Israël des frontières de 1967 de la Judée Samarie et de Gaza ne fait pas exception.

 

Le fortin “Budapest” sur la ligne Bar Lev

 

Les djihadistes meurtriers venus de Djénine pour semer la terreur au cœur de Tel-Aviv ont une fois de plus rappelé à Israël que la sécurité ne s’achetait pas en construisant des barrières, aussi perfectionnées soient-elles. Celle qui suit la “ligne verte” souffre de beaucoup de défauts, et ressemble à certains égards à un fromage de gruyère plein de trous. Mais même la barrière ultra-sophistiquée érigée autour de la bande de Gaza repose en définitive sur la même vision illusoire, celle d’un ennemi repoussé à l’extérieur d’un Israël vivant en sécurité derrière des murs.

 

L’erreur de cette conception est double : politiquement, elle repose sur l’axiome mensonger “eux là-bas, nous aussi”, slogan qui exprime le fantasme d’un Israël sans Arabes. Ce fantasme, on ne le rappellera jamais assez, est celui de la gauche israélienne, ou plutôt d’une certaine gauche, celle qui a adopté la funeste logique des accords d’Oslo et de l’évacuation du Goush Katif. 

 

Mais cette conception est également démentie sur le plan strictement militaire par toute l’histoire du sionisme et de l’implantation juive en Eretz Israël. Des premières alyot modernes jusqu’à nos jours, toute l’histoire de l’Israël moderne est traversée par un double ethos militaire. L’éthos purement défensif de “Homa ou Migdal”, de la Haganah et de la “Havlaga” –  la fameuse “retenue” juive face aux agressions arabes –   et celui, plus offensif, des opérations menées sur le territoire de l’ennemi, au-delà des frontières, pour anéantir les nids de la terreur arabe et “terroriser les terroristes”.

 

Kippat Barzel en action 

 

Les deux dernières décennies illustrent à cet égard une régression de la doctrine militaire, notamment durant la période des mandats de Binyamin Nétanyahou. L’audace des opérations menées en Iran s’est en effet accompagnée d’une timidité grandissante face au Hamas et aux autres bras armés de l’Iran à Gaza et ailleurs. La fameuse “Kippat Barzel” illustre mieux que toute autre réalisation militaire le paradoxe d’une armée toujours plus intelligente, mais de moins en moins audacieuse.

 

Pour que Tsahal et pour qu’Israël retrouvent la grandeur qui a fait l’admiration du monde entier, il faut comprendre une fois pour toute que les barrières ne suffisent pas, et qu’elles sont souvent contre-productives, en nous privant de la nécessaire offensive à l’intérieur du territoire ennemi. Israël doit abandonner l’illusion d’une sécurité reposant sur des barrières technologiques, aussi perfectionnées soient-elles, et retrouver l’esprit offensif et guerrier du Tsahal d’antan. C’est seulement ainsi qu’une véritable “Muraille d’acier” (Kir ha-Barzel”) - non pas au sens propre, mais au sens figuré où l’entendait Jabotinsky - pourra être érigée autour des frontières de notre pays et dissuader véritablement nos ennemis.

 

P. Lurçat

 

J'ai le plaisir d'annoncer la parution de mon nouveau livre, Victor Soskice, Qui sauve un homme sauve l'humanité, éditions l'éléphant 2022. En vente sur Amazon et B.o.D et dans toutes les bonnes librairies.

VIctor Soskice

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Juifs et Ukrainiens (IV) : Golda Meir, Zelensky et le “bon côté de l’histoire”, Pierre Lurçat

March 21 2022, 09:01am

Posted by Pierre Lurçat

 

La référence à Golda Meir dans le discours dramatique de Volodymir Zelensky devant la Knesset est la dernière manifestation de l’engouement que suscite la “Dame de fer d’Israël” au sein de la population ukrainienne, assiégée par les armées de Poutine. Ce retournement dans les relations anciennes et douloureuses entre les peuples Juif et ukrainien inaugure peut-être d’une nouvelle page dans leur histoire. Quatrième volet de notre série d’articles consacrés aux relations entre Juifs et Ukrainiens (1).

 

La photo a fait le tour du Web : on y voit un soldat ukrainien en uniforme, qui porte fièrement un livre à la couverture rouge, arborant la photo de Golda Meir. « Mon surnom est Zion, je ne suis pas juif, je suis ukrainien, patriote ukrainien, nationaliste ukrainien et sioniste, le livre de Golda Meir ne me quitte pas même au combat » a déclaré Alexis, commandant d’une unité au Nord de Kiev. Cette photo a été prise par le journaliste israélien Ron Ben Yishai, et elle illustre un phénomène inattendu, qu’on pourrait décrire comme l’inspiration juive et israélienne de la résistance armée ukrainienne.

 

 

« Si la Russie dépose les armes, il n’y a plus de guerre. Si l’Ukraine dépose les armes, il n’y a plus d’Ukraine ». Ces propos qui ont été largement repris sur les réseaux sociaux sont adaptés d’une citation fameuse de Golda Meir, qui parlait à l’époque d’Israël et des pays arabes. Pour comprendre comment Golda Meir est devenue en quelques jours un symbole vivant dans l’Ukraine en guerre, rien de mieux que de lire son récit autobiographique de jeunesse, que j’ai récemment traduit en français*. On y découvre au moins deux éléments qui éclairent l’engouement qu’elle suscite aujourd’hui.

 

Le premier est le fait qu’elle est née à Kiev, ce qui en fait une “compatriote” pour les Ukrainiens, même si sa famille a quitté la ville quand elle était enfant, pour s’installer en Amérique, d’où elle a émigré en Eretz-Israël au début des années 1920. Le second élément est le fait qu’elle avait été, de son vivant, célébrée comme une figure significative par les Juifs d’URSS, notamment lors de sa fameuse visite à Moscou, en 1948, et une source d’inspiration face à la répression de toute manifestation de judaïsme dans l’URSS. 

 

Une image contenant extérieur, mouton, troupeau, cheptel

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Golda Meir devant la grande synagogue de Moscou, en 1948

 

Mais comment une figure juive et israélienne a-t-elle pu devenir en l’espace de 15 jours un symbole pour l’Ukraine envahie? La réponse est double. En tant que symbole de la résilience juive en URSS, Golda Meir peut inspirer les Ukrainiens, face au rouleau compresseur russe des chars de Poutine. En tant qu’Israélienne, elle est également le symbole de la victoire d’un petit pays, face à des armées plus nombreuses et mieux armées. Ironie de l'histoire : l'Ukraine, pays qui reste associé dans la mémoire juive au souvenir tragique des pogroms et persécutions commis il y a plus d'un siècle, trouve aujourd'hui une raison d'espérer et un modèle dans le destin de l'État juif.

 

Ce que signifie ce retournement de l’histoire, c’est qu’on ne peut pas juger les événements actuels à l’aune de la seule boussole du passé historique. Notre époque, qui est encline aux jugements hâtifs et définitifs, ne souffre ni la nuance ni la réflexion mesurée. Prompts à s’enflammer, les internautes veulent être du “bon côté de l’histoire”. Or, en ce qui concerne les Juifs, il n’y a souvent pas de “bon côté”... Le souvenir des pogromes en Russie ne peut pas guider notre réflexion sur la guerre actuelle, parce que leurs auteurs étaient tant le pouvoir russe tsariste que les populaces russe ou ukrainienne. Nul ne sort innocent à l’aune du passé juif en Ukraine. Il faut donc trouver une autre boussole.

 

En réalité, le courage des Ukrainiens face à l’invasion russe et les exemples qu’ils trouvent dans l’histoire récente d’Israël montrent que le passé ne détermine pas le présent et encore moins l’avenir. Dans le fracas des armes et au milieu des drames de la guerre, il est permis d’espérer que ces faits infimes augurent d’une nouvelle ère, non seulement dans les relations entre Israël et le peuple ukrainien, mais aussi entre Israël et l’ensemble des nations. (A suivre…)

Pierre Lurçat

NB Cet article est paru initialement - dans une version abrégée - sur le site Causeur.fr.

* La maison de mon père, éditions l'éléphant/Books on demand 2022.

“La biographie la plus précoce de la « grand-mère d’Israël »

Liliane Messika, Causeur

 

“Un personnage fascinant”

Sandrine Szwarc

Radio Shalom

 

“Une des plus grandes dames de la scène politique israélienne…”

Ilana Ferhadian, Radio J

 

Pierre Lurçat présente le livre au micro de Cathy Choukroun sur 

Radio QUALITA

 

 

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