Lettre ouverte à Alain Finkielkraut qui prétend que “Le problème d’Israël c’est Nétanyahou et non le Hamas”
Cher Alain Finkielkraut,
En lisant votre récente interview au Figarovox, j’ai eu la même réaction que celle de ma grand-mère (qui parlait la même langue que la vôtre), lorsqu’elle apprenait une nouvelle attristante: “Oï a Broch!”. Hélas, nos grands-mères respectives ne sont plus de ce monde, pas plus que nos parents, et je me plais à penser que vos propos concernant Israël seraient mieux informés et plus sages, si vous aviez écouté les conseils de vos parents, étant enfant. Car nous savons bien que les mauvaises fréquentations mènent inéluctablement aux mauvaises idées et aux mauvaises actions.
Or, à force d’inviter dans votre émission « Répliques » des personnages aussi peu fréquentables que Jean-Pierre Filiu (dont le blog hébergé par Le Monde déverse chaque semaine son venin contre Israël) ou Alain Gresh (qui fut jadis journaliste au Monde diplomatique et ami personnel de Tariq Ramadan, célèbre prédateur sexuel et prédicateur proche des Frères musulmans), vous finissez par penser (presque) comme eux… (Ce qui ne veut évidemment pas dire que vous êtes comme eux).
Ainsi, lorsque vous écrivez que “Nétanyahou est le problème parce qu’il bloque toutes les issues, ferme toutes les portes, sabote consciencieusement toutes les solutions. Alors même que Tsahal plaide pour le retour de l’autorité palestinienne à Gaza, le premier ministre israélien s’y refuse obstinément. Pourquoi ? Parce qu’il perdrait aussitôt le soutien des extrémistes de son gouvernement”, vous n’énoncez pas seulement un truisme du prêt-à-penser occidental actuel concernant Israël, mais vous confortez aussi les lecteurs du FigaroVox dans les opinions les plus détestables concernant notre pays.
Et lorsque, poursuivant sur votre lancée, vous affirmez : “Un dirigeant, comme son nom l’indique, donne une direction, or Nétanyahou ne dirige Israël vers rien de discernable. L’homme qui, le soir de l’attaque iranienne, s’est courageusement réfugié dans la maison ultrasécurisée d’un ami milliardaire, ne gouverne plus pour ce qu’il croit être le bien d’Israël, mais pour la survie de sa majorité...” vous ajoutez l’insulte à la calomnie. Car voyez-vous, cher Alain Finkielkraut, en matière de courage physique, Benjamin Nétanyahou n’a de leçon à recevoir de personne, y compris de vous. (Vous n’avez même pas eu celui de venir nous rendre visite au lendemain du 7 octobre, contrairement à votre camarade de l’ENS, Bernard-Henri Lévy, qui est venu immédiatement pour affirmer sa solidarité, sans attendre comme vous d’être invité par l’Institut français).
Notre Premier ministre, auquel vous faites reproche de s’être réfugié dans une “maison ultrasécurisée”, a maintes fois fait preuve de son courage dans sa vie, depuis l’époque de la Sayeret Matkal où il a servi comme ses deux frères, et jusqu’à ces dernières années, lui et sa famille subissant des attaques quotidiennes de la part de ces manifestants de Kaplan dont vous semblez partager la détestation totalement irrationnelle à son encontre. Si vous lisiez moins l’édition anglaise du Ha’aretz ou Le Monde, vous sauriez qu’il est très malvenu de lui faire ce reproche. Votre fascination pour la gauche israélienne et pour ce que vous vous obstinez à appeler le “camp de la paix” (comme s’il y avait en Israël un “camp de la guerre”...) a quelque chose de presque religieux, à l’instar de la fascination que vous avez récemment avoué ressentir pour la “proposition chrétienne”.
Vos propos sont d’autant moins excusables que vous revenez d’un séjour en Israël, où vous n’avez pas seulement rencontré ceux qui pensent comme vous (ce qui est toujours agréable). Comme ce collègue de l’université de Tel Aviv qui vous a confié cette “perle” (puisque vous êtes devenu sur le tard pêcheur de perles) : “Le problème d’Israël ce n’est pas le Hamas, c’est Nétanyahou”, ou comme ces manifestants de Kaplan, qui ont pu vous expliquer tout le mal qu’ils pensent de notre Premier ministre. Non, vous avez aussi rencontré, comme me l’a confié un participant à ce déjeuner, un petit groupe d’Israéliens francophones de droite, qui auraient pu vous faire changer d’avis, si votre esprit n’était pas aussi fermé que la coquille d’une huître perlière…
Lors de cette rencontre privée à Raanana, vous avez même déclaré à un des participants que vous regrettiez de ne pas être venu à Jérusalem (l’Institut français vous ayant invité à Tel-Aviv et à Haïfa). Hélas, trois fois hélas ! Si vous aviez fait montre d’un peu plus de curiosité, au lieu de vous en tenir au programme fixé par les contraintes géopolitiques (et pétrolières, comme disait Golda Meir) du quai d’Orsay - qui ne reconnaît pas la souveraineté israélienne sur notre capitale, comme chacun sait - vous auriez pu venir visiter notre capitale et rencontrer, là encore, des gens qui pensent autrement.
Vous auriez même pu venir au Mur occidental, pour y verser quelques larmes sur l’état de la société française et sur le délitement de la langue de Molière que vous déplorez à juste titre. Sans abuser de la patience de mes lecteurs, je ne résiste pas au plaisir masochiste de citer une dernière “perle” de votre interview au Figaro : “En s’alliant avec les partis fanatiques d’Itamar Ben-Gvir et de Bezalel Smotrich, Benyamin Nétanyahou a commis une faute impardonnable. Il est, à ce titre et à quelques autres, le pire premier ministre de l’histoire d’Israël”. C’est votre cuistrerie et votre prétention qui sont, cher Alain Finkielkraut, impardonnables, pour quelqu’un qui fait profession d’être intellectuel.
Le titre de “pire Premier ministre” de l’Etat d’Israël est certes disputé par plusieurs candidats, dont celui qu’apprécient vos amis de Kaplan, Yaïr Lapid, auquel il appartient sans doute, ou peut-être à un des deux Ehoud, Olmert ou Barak, mais certainement pas à Benjamin Nétanyahou. Et si ce titre devait être décerné un jour, ce n’est certainement pas à vous, qui ne connaissez presque rien de notre pays, qu’il appartiendra de le faire. Retournez donc à vos moutons et à vos perles, cher Alain, et laissez à ceux qui vivent en Israël et qui courent le risque de cette “noble aventure” dont parlait Lévinas, le soin de choisir leurs dirigeants et leur avenir.
Pierre Lurçat
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