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L'affaire Pollard au regard de l'histoire et de l'actualité israélienne, Pierre Lurçat

March 29 2022, 07:13am

Posted by Pierre Lurçat

Jonathan et Esther Pollard z.l. à Jérusalem

Jonathan et Esther Pollard z.l. à Jérusalem

(Article paru sur Mabatim)

Le hasard a voulu que la série israélienne consacrée à l'affaire Pollard soit diffusée en Israël la semaine où est décédée Esther Pollard. Ce triste concours de circonstances a permis de mesurer l'écart considérable entre la manière dont Jonathan et sa femme sont perçus par le peuple d'Israël et celle dont il est décrit dans la série

 

Pour résumer en une phrase cet écart de perception, nous pourrions dire que Jonathan, considéré à juste titre comme un héros par une grande partie de la société israélienne (il avait été accueilli à l'aéroport de Tel Aviv par le Premier ministre Binyamin Netanyahou en personne, qui lui avait remis sa carte d'identité, le 30 décembre 2021) est dépeint dans la série comme un être bizarre, psychologiquement perturbé, aux motivations difficilement compréhensibles.

 

Cette série est pourtant intéressante à plusieurs titres. Elle retrace l'itinéraire du jeune Juif américain, fils d'un professeur renommé dont une partie de la famille a été déportée et exterminée dans la Shoah, devenu analyste au sein de la Marine américaine, avant de décider de transmettre des informations vitales a l'État d'Israël, puis d'être arrêté et emprisonné pendant trente-cinq ans.

 

L'incompréhension manifeste de plusieurs personnalités interviewées et la tentative de décrire Pollard comme souffrant de troubles psychiques en disent long sur le regard porté par une partie des élites israéliennes sur notre histoire et sur ses héros. Au-delà même des implications politiques de l'affaire Pollard, et des raisons pour lesquelles elle a tellement embarrassé l'establishment politique et militaire israélien, celle-ci nous renseigne en effet sur la perception de l'histoire juive et sioniste par une partie des élites et de la société israélienne en général.

 

Cette perception pourrait être résumée par le mot fameux prêté au philosophe juif allemand Hermann Cohen, à propos des militants sionistes de son époque : “Ils veulent être heureux…”’ Selon cette conception, le sionisme aurait normalisé le peuple Juif et l’existence juive en Israël. On comprend dès lors la course effrénée à la consommation et l’hédonisme qui règnent sans partage dans une partie de la société israélienne. Dans cette perspective, tout ce qui vient troubler cette course à la normalité et au matérialisme est perçu comme un rappel insupportable de la dure condition juive (le “dur bonheur d’être Juif”, comme disait André Neher) et comme une atteinte au droit de vivre “normalement”.

 

C’est ainsi qu’il faut interpréter le mépris que vouent ces mêmes élites politiques ou culturelles aux Juifs de Judée-Samarie, de Hébron ou du Goush Katif, considérés comme des fous (dans le meilleur cas)  ou comme des criminels dans le pire, comme vient nous le rappeler récemment le ministre Bar Lev, obsédé par la soi-disant “violence des Juifs de Judée-Samarie”. Le même mécanisme explique leur attitude envers le Mont du Temple, ce soi-disant “baril de poudre” qui risque de faire exploser leurs rêves de tranquillité et de normalité, bien plus que de faire “exploser le Moyen-Orient”.

 

 

Pollard lors de son arrestation en 1985

Pollard lors de son arrestation en 1985

Solitude d’Israël

 

Dans ce contexte, l’affaire Pollard est un rappel insupportable de la condition juive et de la solitude d’Israël. Solitude, car même le “meilleur ami” de l’État juif, les États-Unis, ont refusé obstinément de transmettre à leur allié indéfectible des informations vitales concernant les pays arabes. Quand un patriote Juif américain s’est opposé à ce refus de partager des informations vitales, il a été envoyé en prison plus longtemps que tous les espions prosoviétiques et prochinois de l’histoire américaine au vingtième siècle. Ce verdict n’était pas seulement une injustice flagrante, mais aussi et surtout, un rappel difficile à entendre du paradoxe de la relation entre Israël et les États-Unis.

 

Ce paradoxe apparaît bien dans le second épisode de la série, lorsque l’auteur énonce le principe fondamental de la politique israélienne envers le “grand frère américain”: “Israël ne mène pas d’activité d’espionnage sur le sol américain”. Ce principe d’airain est officiellement justifié par le fait que les États-Unis sont un allié - le plus important au monde - de l’État juif. Mais cette loi d’airain a été enfreinte dans l’affaire Pollard (et sans doute à d’autres occasions). Pourquoi?

 

La réponse, qui n’est pas clairement énoncée dans la série, est très simple. Israël a dû se procurer des informations vitales pour sa sécurité sur le sol américain, parce que les États-Unis se sont délibérément abstenus de lui transmettre ces informations vitales. “Pourquoi voler ce qu’on vous donne officiellement?” demande l’ancien attaché militaire aux États-Unis Rafi Simhoni. Cette question est un sommet d’hypocrisie, car Simhoni sait parfaitement que les informations transmises par Pollard ne l’avaient pas été par les États-Unis…

 

Le quatrième et dernier épisode de la série s’intitule “Le prix de la trahison”. De quelle trahison s’agit-il? De celle de Jonathan Pollard envers son pays natal, les États-Unis. De l’autre trahison - celle des élites israéliennes envers Pollard - il n’est quasiment pas question. Elle apparaît pourtant à plusieurs moments clés de la série, notamment lorsque le conseiller juridique américain Abe Sofer explique que les États-Unis étaient disposés à accorder l’immunité à tous les Israéliens impliqués dans l’affaire Pollard (dont certains ont réussi à conserver l'anonymat jusqu’à ce jour) en échange de leur entière collaboration pour juger et condamner Pollard. Cette trahison des élites demeure jusqu’à ce jour une tache indélébile dans l’histoire d’Israël. Mais le peuple d’Israël, lui, a fait un autre choix, comme en attestait la foule des anonymes venus accompagner Esther Pollard à sa dernière demeure.

 

Pierre Lurçat

 

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Juifs et Ukrainiens (IV) : Golda Meir, Zelensky et le “bon côté de l’histoire”, Pierre Lurçat

March 21 2022, 09:01am

Posted by Pierre Lurçat

 

La référence à Golda Meir dans le discours dramatique de Volodymir Zelensky devant la Knesset est la dernière manifestation de l’engouement que suscite la “Dame de fer d’Israël” au sein de la population ukrainienne, assiégée par les armées de Poutine. Ce retournement dans les relations anciennes et douloureuses entre les peuples Juif et ukrainien inaugure peut-être d’une nouvelle page dans leur histoire. Quatrième volet de notre série d’articles consacrés aux relations entre Juifs et Ukrainiens (1).

 

La photo a fait le tour du Web : on y voit un soldat ukrainien en uniforme, qui porte fièrement un livre à la couverture rouge, arborant la photo de Golda Meir. « Mon surnom est Zion, je ne suis pas juif, je suis ukrainien, patriote ukrainien, nationaliste ukrainien et sioniste, le livre de Golda Meir ne me quitte pas même au combat » a déclaré Alexis, commandant d’une unité au Nord de Kiev. Cette photo a été prise par le journaliste israélien Ron Ben Yishai, et elle illustre un phénomène inattendu, qu’on pourrait décrire comme l’inspiration juive et israélienne de la résistance armée ukrainienne.

 

 

« Si la Russie dépose les armes, il n’y a plus de guerre. Si l’Ukraine dépose les armes, il n’y a plus d’Ukraine ». Ces propos qui ont été largement repris sur les réseaux sociaux sont adaptés d’une citation fameuse de Golda Meir, qui parlait à l’époque d’Israël et des pays arabes. Pour comprendre comment Golda Meir est devenue en quelques jours un symbole vivant dans l’Ukraine en guerre, rien de mieux que de lire son récit autobiographique de jeunesse, que j’ai récemment traduit en français*. On y découvre au moins deux éléments qui éclairent l’engouement qu’elle suscite aujourd’hui.

 

Le premier est le fait qu’elle est née à Kiev, ce qui en fait une “compatriote” pour les Ukrainiens, même si sa famille a quitté la ville quand elle était enfant, pour s’installer en Amérique, d’où elle a émigré en Eretz-Israël au début des années 1920. Le second élément est le fait qu’elle avait été, de son vivant, célébrée comme une figure significative par les Juifs d’URSS, notamment lors de sa fameuse visite à Moscou, en 1948, et une source d’inspiration face à la répression de toute manifestation de judaïsme dans l’URSS. 

 

Une image contenant extérieur, mouton, troupeau, cheptel

Description générée automatiquement

Golda Meir devant la grande synagogue de Moscou, en 1948

 

Mais comment une figure juive et israélienne a-t-elle pu devenir en l’espace de 15 jours un symbole pour l’Ukraine envahie? La réponse est double. En tant que symbole de la résilience juive en URSS, Golda Meir peut inspirer les Ukrainiens, face au rouleau compresseur russe des chars de Poutine. En tant qu’Israélienne, elle est également le symbole de la victoire d’un petit pays, face à des armées plus nombreuses et mieux armées. Ironie de l'histoire : l'Ukraine, pays qui reste associé dans la mémoire juive au souvenir tragique des pogroms et persécutions commis il y a plus d'un siècle, trouve aujourd'hui une raison d'espérer et un modèle dans le destin de l'État juif.

 

Ce que signifie ce retournement de l’histoire, c’est qu’on ne peut pas juger les événements actuels à l’aune de la seule boussole du passé historique. Notre époque, qui est encline aux jugements hâtifs et définitifs, ne souffre ni la nuance ni la réflexion mesurée. Prompts à s’enflammer, les internautes veulent être du “bon côté de l’histoire”. Or, en ce qui concerne les Juifs, il n’y a souvent pas de “bon côté”... Le souvenir des pogromes en Russie ne peut pas guider notre réflexion sur la guerre actuelle, parce que leurs auteurs étaient tant le pouvoir russe tsariste que les populaces russe ou ukrainienne. Nul ne sort innocent à l’aune du passé juif en Ukraine. Il faut donc trouver une autre boussole.

 

En réalité, le courage des Ukrainiens face à l’invasion russe et les exemples qu’ils trouvent dans l’histoire récente d’Israël montrent que le passé ne détermine pas le présent et encore moins l’avenir. Dans le fracas des armes et au milieu des drames de la guerre, il est permis d’espérer que ces faits infimes augurent d’une nouvelle ère, non seulement dans les relations entre Israël et le peuple ukrainien, mais aussi entre Israël et l’ensemble des nations. (A suivre…)

Pierre Lurçat

NB Cet article est paru initialement - dans une version abrégée - sur le site Causeur.fr.

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Juifs et Ukrainiens (III) : un pogrom à Kiev raconté par Golda Meir

March 16 2022, 07:45am

Posted by Pierre Lurçat

Dans les pages suivantes, extraites de ses Souvenirs de jeunesse récemment traduits en français, Golda Meir relate les jours d’angoisse dans l’attente d’un pogrome, dans sa ville natale de Kiev. Troisième volet de notre série d’articles consacrés aux relations entre Juifs et Ukrainiens. P. Lurçat

 

Je suis née à Kiev. Mon père était menuisier, et la situation économique de la famille était plutôt mauvaise. Il décida de déménager à Kiev afin d’améliorer leur situation. Kiev était située en dehors de la Zone de résidence , mais mon père, en tant qu’artisan qualifié, avait reçu l’autorisation d’y habiter. Il obtint même un travail pour le gouvernement. Il avait alors été décidé de construire des bibliothèques pour les écoles et mon père fut chargé de fabriquer le mobilier. Il savait fabriquer des meubles de belle apparence et décorés. Pour pouvoir accomplir son travail, il ouvrit un atelier et embaucha des salariés. Il avait bien entendu reçu pour cela un acompte et avait même investi des fonds qu’il avait empruntés. Mais en fin de compte – mon père disait que c’était par antisémitisme – ils ne voulurent pas accepter ses meubles, et nous fûmes plongés dans les dettes, sans rien pour subsister, et il partit travailler loin de la maison.

 

Je n’ai pratiquement aucun souvenir de la ville de Kiev, pas même celui de la cour de la maison. Mes trois souvenirs datant de cette époque sont: tout d’abord, la mort de ma grand-mère du côté paternel – le même jour où naquit ma sœur cadette, qui réside jusqu’à ce jour en Amérique. Deuxièmement, la rumeur d’un pogrom qui devait frapper Kiev. Et l’attitude caractéristique de mon père, qui ne fit aucun préparatif pour emmener sa famille et se cacher quelque part. Nous habitions au premier étage. Je me souviens de m’être tenue à l’entrée – sur les escaliers menant au deuxième étage, vers l’appartement du voisin – avec sa fille, qui devait avoir mon âge, et d'avoir regardé comment mon père et ma mère tentaient de barricader l’entrée de la maison, en disposant des planches conte la porte. Pour notre chance, il n’y eut pas de pogrom, mais je n’ai pas oublié l’atmosphère régnant dans l’attente de celui-ci.

 

Victimes d’un pogrom à Kiev, 1919

 

La troisième chose que je me rappelle de notre séjour à Kiev est la gêne et la faim. Ma sœur aînée, qui a neuf ans de plus que moi, peut en dire bien plus que moi, mais une image est restée gravée dans ma mémoire : notre sœur cadette, plus jeune que moi de quatre ans et demi, qui était alors un bébé âgé de six mois ou moins, et ma mère préparant sa bouillie. C’était de toute évidence un aliment de luxe à cette période. Elle donna un peu de bouillie à ma sœur et un peu à moi. Celle-ci finit sa part avant moi, et ma mère lui donna encore un peu de ma bouillie. Je me souviens de l’émotion que j’ai ressentie – voilà qu’on me privait de ce met que je ne recevais que si rarement…

 

Je ne revis jamais, hélas, les lieux où j’avais passé mon enfance en Russie, Kiev et Pinsk. J’eus pourtant à deux reprises l’occasion de me rendre à Pinsk, mais cela ne se réalisa pas. La première occasion se déroula en 1939, lors de ma première visite en Pologne pour le compte du parti. J’entamai mon voyage et j’arrivai jusqu’à Lodz, mais je tombai malade. Je restai alitée pendant deux semaines, et entretemps mon visa devint périmé et les Polonais n’acceptèrent pas de le renouveler. Aussi je ne pus me rendre à Pinsk. 

Cependant, même si j’avais pu me rendre à Pinsk lors de ma mission en Russie, je n’y aurais plus trouvé aucun des membres de ma famille – sauf peut-être une personne – le petit-fils du frère de ma grand-mère. Tous les autres avaient été exterminés pendant la Shoah. Malgré cela, je voulais m’y rendre et je regrettai que la chose ne fut pas possible. 

Extrait de Golda Meir, La maison de mon père, éditions l’éléphant/Books on Demand 2022.

 

 

 

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Juifs et Ukrainiens (II) Odessa vue par… Jabotinsky

March 9 2022, 07:17am

Posted by Pierre Lurçat

Dans le texte ci-dessous, le grand dirigeant sioniste décrit la ville où il est né et a passé son enfance. Dans ces lignes, on lit non seulement la tendresse qu’il a conservée toute sa vie pour sa ville natale (1), mais aussi le portrait fidèle d’un lieu bien particulier - et très différent des autres endroits où vivaient alors les Juifs au sein de l’empire russe, dans la fameuse “Zone de résidence” où ils étaient beaucoup moins intégrés au reste de la population. Cette différence explique en grande partie l’attitude très ouverte de Jabotinsky envers les autres nationalités, et notamment envers les Ukrainiens, sujet d’un prochain article. 

Pierre  Lurçat

 

Le troisième facteur qui laissa son empreinte sur mon enfance est Odessa. Je ne connais aucune ville au climat aussi agréable et je ne dis pas cela comme un vieillard qui croit que le soleil s’est éteint, parce qu’il ne le réchauffe plus comme autrefois… J’ai passé les plus beaux jours de ma jeunesse à Rome, j’ai aussi habité, étant jeune, à Vienne et j’ai pu comparer leur « climat » spirituel à la même aune : il n’y a aucune ville comparable à Odessa – je parle d’Odessa à cette génération – pour la douceur joyeuse et l’exaltation qui flottent dans l’air, sans la moindre trace de complication de l’âme ou de tragique moral. Je ne dirai pas, à Dieu ne plaise, que j’ai trouvé dans cette atmosphère une grande profondeur ou de la noblesse – car sa légèreté caressante provient de l’absence de tradition. Cette ville a été créée de toutes pièces cent ans avant ma naissance, ses habitants bavardaient en treize langues différentes sans en connaître une seule parfaitement, et parmi mes nombreuses connaissances, il n’y en avait qu’une seule dont le père était lui aussi né à Odessa : or il ne peut y avoir de noblesse sans tradition et sans tragique. 

 

 

Cette ville – le ricin du prophète Jonas, et toutes les plantes qu’elle renferme – matériellement, moralement et socialement – est elle aussi un ricin, quelque chose d’éphémère, une plaisanterie, une aventure. Il faut évidemment respecter la vérité ; mais le mensonge n’est pas un crime, car votre interlocuteur possède lui aussi une imagination débordante et capricieuse… Et à côté de tout cela, une curiosité avide pour tout ce qu’apporte chaque jour qui commence : la moindre nouvelle est un événement considérable, qui émeut les foules, les mains s’élancent dans les airs, les tables du café tremblent dans le tumulte des cris. Les baisers aussi y sont bon marché : voire même gratuits (et pourtant

ces jeunes filles, pour autant que je m’en souvienne, se sont toutes mariées par la suite, et chacune d’entre elles devint une bonne épouse). 

 



 

L’enfant qui grandit dans un tel environnement peut être influencé pour le bien et pour le mal : cela ne dépend pas tant de son entourage, que de ses propres qualités. L’un s’imprégnera de la médiocrité (Polonski, poète russe, a écrit un roman décrivant la vie à Odessa, qu’il a surnommée la « ville médiocre ») ; tandis que l’autre s’imprégnera au contraire du tumulte, de la curiosité, de l’audace, de la fraîcheur éternelle qui est chaque matin un sujet d’émerveillement, et du sourire absolu et méprisant envers le malheur comme envers le bonheur. Bizarrement, c’est précisément dans les livres d’un poète anglais, élevé dans la tradition la plus fantastique du monde qu’il a défendue toute sa vie, que j’ai trouvé l’écho de cette psychologie. Kipling a écrit (les mots exacts m’échappent) : « Victoire ou catastrophe – sois capable de les mépriser toutes deux, car toutes deux sont trompeuses ». Et dans sa vieillesse il résuma l’expérience de sa vie en s’adressant ainsi au Créateur : « Mon Dieu, j’ai parcouru toute la terre que Tu as créée et je n’y ai rien vu de banal ; tout ce que j’ai vu est une merveille ». Je suis peut-être de la deuxième espèce.

Jabotinsky adolescent

 

Extrait d’Histoire de ma vie, traduit de l’hébreu par P. Lurçat

Sur Odessa, voir également le beau roman de Jabotinsky, Les cinq, publié aux éditions Les Syrtes.

 

 

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La guerre en Ukraine et la souffrance des poissons, Pierre Lurçat

March 2 2022, 08:18am

Posted by Pierre Lurçat

Des militaires ukrainiens se préparent à la riposte dans la région de Lougansk

Des militaires ukrainiens se préparent à la riposte dans la région de Lougansk

1.

Après plusieurs décennies de calme à l’intérieur des frontières de l’Europe, l’invasion russe en Ukraine a fait l’effet d’un coup de canon dans un ciel serein. Ce qui a volé en éclats avec l’offensive militaire russe est avant tout le rêve utopique d’une “paix perpétuelle”, sur lequel repose largement l’idée européenne née après 1945… Pour comprendre comment l’Europe a pu se laisser endormir ainsi, il suffisait de lire la “Une” du quotidien Le Monde daté du 25 février, consacrée à l’invasion russe de l’Ukraine, juste en dessous de laquelle se trouvait un article portant ce titre presque surréaliste : “Briser le silence sur la souffrance des poissons”.

 

 

Ce que signifie cette juxtaposition digne de Prévert, c’est que l’Europe est aujourd’hui largement coupée des réalités du monde, après avoir longtemps vécu dans une sorte d’utopie, où les sujets véritables (guerre, immigration, islam…) étaient le plus souvent escamotés, au bénéfice de débats idéologiques (Wokisme, féminisme radical, etc.) ou d’innocentes utopies, comme la question de la souffrance animale. De ce point de vue, les événements dramatiques actuels sont l’occasion de redescendre sur terre et de revenir à la dure réalité.

 

 

2.

“Est-ce bon pour les Juifs?” A la vieille question qui accompagne chaque événement de l’histoire mondiale, les réponses ne sont aujourd’hui pas unanimes. Un argument que l’on entend souvent ces derniers jours consiste à attribuer aux Ukrainiens actuels les crimes de leurs grands-parents. Vladimir Poutine ne s’est pas privé d’utiliser ce vieux poncif de la politique communiste, hérité de l’Union soviétique (n’oublions pas qu’il fut agent du KGB pendant de longues années, celles de sa formation idéologique), en interpellant sans vergogne  les Occidentaux : “Vous soutenez les nazis?”

 

Poutine, une petite personne qui se prend pour un grand empereur" - rts.ch  - Monde

Poutine officier du KGB

 

La question de l’attitude du peuple ukrainien pendant la Shoah est un sujet important, mais qui n’a aucun rapport avec le conflit actuel (de même que la question de Vichy ne devrait pas jouer un quelconque rôle dans le débat électoral français). Les régimes qui transforment l’histoire en enjeu idéologique et politique ne sont en général pas des régimes démocratiques, ou bien ce sont des démocraties gangrenées par l’idéologie dominante, ou par d’autres maladies actuellement très répandues.

 

En 1914, alors que le souvenir des pogromes d’Ukraine et de Russie était encore très vivace, Jabotinsky eut l’intuition que le mouvement sioniste devait s’allier avec l’Angleterre et la Russie contre les empires centraux, pour faire avancer la cause sioniste. Cette intuition s’avéra entièrement fondée, mais il eut beaucoup de mal à la faire accepter par les autres dirigeants juifs, foncièrement hostiles à toute alliance avec la Russie honnie. Ce que démontre cet exemple – parmi de nombreux autres – c’est que le souvenir des malheurs passés du peuple Juif ne doit pas servir de boussole exclusive pour déterminer sa politique au jour le jour.

 

3.

Ce qui nous amène à la position d’Israël dans le conflit en Ukraine. La valse-hésitation des dirigeants israéliens en dit long – au-delà de l’amateurisme démontré par le gouvernement Lapid-Bennet sur beaucoup de sujets – sur  la difficulté pour l’Etat juif de faire la part de ses intérêts géostratégiques et de ses choix politiques dans la guerre actuelle… J’avoue ne pas être entièrement convaincu, ni par les tenants d’un soutien inconditionnel d’Israël à l’Ukraine, ni par ceux d’une politique exclusivement guidée par les seuls intérêts géostratégiques et militaires d’Israël.

 

A cet égard, toute l’intelligence d’une politique étrangère digne de ce nom consiste à trouver l’équilibre entre ces différents intérêts et à ne pas adopter une ligne de conduite qui ferait totalement fi des arguments moraux, ou qui négligerait entièrement la Realpolitik. Comme je l’expliquais lors d’un colloque à Jérusalem consacré à la “politique extérieure juive d’Israël” (1), la politique étrangère d'Israël doit trouver la voie étroite et le juste milieu entre la morale pure et une politique qui “aurait les mains propres parce qu’elle n’aurait pas de mains” d’un côté, et la Realpolitik totalement froide et dénuée de considérations morales de l’autre (2).

Pierre Lurçat

 

1. Colloque en ligne sur le site Akadem,

https://akadem.org/sommaire/colloques/israel-un-etat-juif-dans-l-arene-internationale/la-politique-exterieure-juive-d-israel-20-06-2019-112402_4842.php

2. Comme l’écrivait Emmanuel Lévinas dans un texte intitulé “Politique après!”, publié dans le numéro spécial de la revue Les Temps modernes consacré au colloque israélo-palestinien de mars 1979 : “N’y aurait-il donc rien à chercher entre le recours aux méthodes dédaigneuses de scrupules dont la Realpolitik fournit le modèle et la rhétorique irritante d’un imprudent idéalisme, perdu dans des rêves utopiques, mais tombant en poussière au contact du réel…?”

Raïssa et Emmanuel Levinas avec leur fils Michaël au début des années 60

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