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1942-2024 : Yaïr Stern, le poète combattant du Léhi, par Pierre Lurçat

February 4 2024, 09:41am

Posted by Pierre Lurçat

 

Il y a tout juste 82 ans, Avraham Stern – plus connu sous le nom de guerre de « Yaïr » - mourrait à Tel-Aviv, abattu par la police britannique dans l’appartement du quartier de Florentine où il se cachait. Le chef du Léhi n’était pas seulement un combattant et un dirigeant de l’ombre : c’était avant tout un poète, qui avait étudié les lettres classiques à l’université hébraïque et auquel un brillant avenir était promis… Mais Yaïr ne voulait pas devenir professeur. Il avait fait vœu de donner sa vie à la lutte pour l’indépendance d’Israël : « Tu m’es consacrée, ô ma patrie », écrivait-il dans un poème fameux. Il refusa pendant de longues années de convoler en justes noces avec sa compagne, Roni, sachant qu’elle n’aurait pas la chance d’être son épouse pour très longtemps… Le 12 février 1942, Stern tombait sous les balles anglaises, et « Yaïr » entrait dans la légende. Retour sur une figure héroïque et méconnue.

Né le 23 décembre 1907 à Souwalki, en Pologne, Avraham est le fils de Mordehaï Stern, dentiste et de Léa, sage-femme. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, son père reste en Pologne, prisonnier des Allemands, tandis que sa mère s’enfuit avec ses enfants en Russie, où ils passeront plusieurs années. Le jeune Avraham va ainsi s’imprégner de l’atmosphère particulière de la « patrie du socialisme », en pleine Révolution, et il sera membre d’un groupe de pionniers communistes. Lorsqu’il rentre en Pologne, en 1921, il maîtrise la langue russe, en plus de l’hébreu et du polonais, dans lequel il lit les poètes de la littérature romantique polonaise. Mais l’adolescent juif épris de lettres est déjà habité par une autre passion, dévorante, qui va l’emmener loin des paysages d’Europe orientale dans lesquels il a grandi : le sionisme. C’est ainsi qu’à dix-huit ans, il émigre en Eretz-Israël et s’installe à Jérusalem.

A cette époque, en 1925, l’université hébraïque est encore une institution modeste, qui vient tout juste d’ouvrir ses portes sur le mont Scopus. C’est là qu’Avraham entame ses études de lettres classiques (grecques et latines). Très vite, il est remarqué par ses professeurs, excellant en toutes les matières. Dénué de moyens, il vit d’une modeste bourse et de cours privés qu’il donne à des lycéens. Mais, loin de s’enfermer dans la tour d’ivoire des études, Stern rejoint une association étudiante sioniste, « Houlda ». En 1929, alors que les émeutes arabes viennent d’éclater, il s’enrôle dans la Haganah et prend part à la défense de Jérusalem. Lors de la scission au sein de la Haganah, en 1931, il s’engage dans les rangs de l’Irgoun, aux côtés de David Raziel. Yaïr dirige l’organe du mouvement clandestin, Hametsouda, où il publie ses premiers poèmes et notamment le fameux « Soldats anonymes » qui deviendra après sa mort l’hymne du Léhi.

 

Yair et sa femme Roni

Devenir professeur, ou mourir en combattant ?

En 1932, Stern achève ses études à Jérusalem et part à Florence pour y faire un doctorat sur « Eros dans la poésie grecque ». Comme Jabotinsky, son aîné, il subit l’influence des dirigeants italiens du Risorgimento. Mais la beauté de l’Italie ne lui fait pas oublier Sion ! Ainsi, lorsque sa compagne, Roni, lui fait part de l’offre alléchante de l’université hébraïque, qui lui propose de devenir professeur à Jérusalem, il refuse sans hésiter, déclarant qu’il préfère « mourir comme soldat anonyme que devenir un professeur fameux pendant cinquante ans… » Prémonition ou prophétie ? Dès cette époque, les poèmes de « Yaïr » sont marqués par une vision saisissante de la catastrophe qui approche, mais aussi de son destin personnel. « Aujourd’hui j’écris avec le stylo, demain avec l’épée - Aujourd’hui avec l’encre, demain avec mon sang  - Aujourd’hui sur le papier, demain – sur le dos de l’homme ». Comme Jabotinsky et d’autres, il pressent la Shoah. A la demande de David Raziel, commandant de l’Irgoun, il se rend à Varsovie pour acheter des armes.

 

Lorsqu’il rentre en Eretz-Israël, en 1934, il renonce définitivement à sa carrière littéraire pour se vouer corps et âme au combat pour l’indépendance d’Israël. Pourtant, il continue d’écrire des poèmes, se considérant comme un poète-combattant, comme il l’écrit dans ces lignes : « Les Cieux nous ont donné le Livre et l’épée – Le destin a tranché : Soldat et poète ». En 1938, il retourne en Pologne pour organiser des cellules secrètes de l’Irgoun, embryon d’une future armée juive qui devra libérer la Palestine mandataire du joug anglais, conformément au projet du mouvement sioniste révisionniste, dont l’Irgoun est la branche militaire. Mais la guerre va bouleverser tous ces plans… La publication du « Livre blanc » de mai 1939, par lequel l’Angleterre interdit toute émigration juive en Eretz-Israël, convainc une grande partie des militants de l’Irgoun que l’alliance avec la Grande-Bretagne a définitivement pris fin. Aussi après la mort de « Jabo » (août 1940), alors que le Betar et l’Irgoun se trouvent orphelins, Yaïr publie les « Onze Principes de la Renaissance », document constitutif d’une nouvelle organisation, les Combattants pour la Liberté d’Israël, plus connue sous son acronyme, Léhi. Le dernier des 18 principes est la reconstitution du Temple de Jérusalem. 

 

Contrairement à l’Irgoun et à la Haganah, qui ont conclu une trêve avec l’Angleterre au nom de la lutte contre l’Allemagne nazie, le Léhi considère que la libération de la patrie passe avant le combat contre le nazisme. Cette attitude jusqu’au-boutiste vaudra aux hommes du Léhi la haine féroce des autres mouvements clandestins, qui iront jusqu’à dénoncer les soldats de Yaïr aux autorités anglaises. Lorsque le Léhi abat trois membres de la police britannique, en janvier 1942, les Anglais lancent une chasse à l’homme contre Yaïr, dont la tête a été mise à prix. Le 12 février, l’ennemi public numéro 1 est cerné, dans l’appartement de la rue Mizrahi à Tel-Aviv, et un inspecteur de police anglais l’abat à bout portant en prétendant qu’il aurait tenté de s’enfuir… Avraham Stern est mort, le mouvement qu’il a créé est décapité et ses hommes sont pourchassés et dénoncés aux Anglais. Mais la légende de « Yaïr » est bien vivante ! 

 

  Le fils de Yair, qui porte son nom, entouré d’I. Shamir et de N. Yellin Mor, lors de la première  hazkara publique de son pèreen 1949

 

Un musée perpétue aujourd’hui la figure de Yaïr, à Tel-Aviv, dans la maison même où il a trouvé la mort (rebaptisée rue Stern), en plein quartier de Florentine. Par une curieuse ironie de l’histoire, le poète qui avait renoncé à ses études gréco-latines dans la ville de Florence est tombé en combattant à Tel-Aviv, dans un quartier portant le nom de David Florentine, Juif grec qui avait acheté le terrain…  Deux ans après la mort de Yaïr, le Léhi est reconstitué sous la direction d’un triumvirat (Nathan Yelin-Mor, Israël Eldad et Itshak Shamir, futur Premier ministre d’Israël), et le combat reprend contre l’occupant anglais, sans répit et sans pitié… L’assassinat de Lord Moyne au Caire en 1944 et les autres actions d’éclat menées par le Léhi jusqu’en 1948 joueront un rôle essentiel dans la fin du mandat britannique. Le reste appartient à l’histoire d’Israël.

Pierre Lurçat
 

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DEJA PARUS

JABOTINSKY, La rédemption sociale. Eléments de philosophie sociale de la Bible hébraïque.

JABOTINSKY, Questions autour de la tradition juive. Etat et religion dans la pensée du Rosh Betar.

GOLDA MEIR, La maison de mon père, fragments autobiographiques.

 

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Le secret de la longévité politique de Binyamin Nétanyahou, par Pierre Lurçat

November 7 2022, 12:46pm

Posted by Pierre Lurçat

Le secret de la longévité politique de Binyamin Nétanyahou, par Pierre Lurçat

 

Au-delà des qualificatifs – souvent erronés ou excessifs – que les médias utilisent à son endroit, Binyamin Nétanyahou demeure à de nombreux égards une énigme. L’ancien et nouveau Premier ministre israélien, qui vient de remporter une victoire politique éclatante et qui a ravi à David Ben Gourion le record de longévité à ce poste, est tantôt décrit comme un modèle de pragmatisme – voire d’opportunisme politique – tantôt comme un idéologue de droite. Qui est-il vraiment ?

 

La biographie que lui a consacré le journaliste Anshel Pfeffer (1) apporte des éléments de réponse à cette question, qui continue de tarauder les meilleurs observateurs de la scène politique israélienne depuis plus de deux décennies. En tant que contributeur du quotidien Ha’aretz – qui n’épargne pas le Premier ministre et sa famille – Pfeffer a réussi à écrire une biographie équilibrée, en évitant de tomber dans l’excès ou dans la caricature. Il décrit ainsi, dans les premiers chapitres de son livre, l’environnement dans lequel a grandi Benjamin, ses deux frères Ido et Yoni (qui trouvera la mort lors de l’opération héroïque de sauvetage des otages à Entebbé), et leurs parents, le professeur Bentsion Nétanyahou et sa femme.

 

L’auteur relate avec talent l’ascension politique de Nétanyahou, d’abord au sein de l’ambassade d’Israël aux Etats-Unis, où il devient le protégé de Moshe Arens, puis en tant qu’ambassadeur aux Nations-Unis, en 1984, où il se fait remarquer pour ses talents de diplomate et d’orateur hors-pair. Dès cette époque, le jeune Benjamin Nétanyahou fait en effet preuve de dons exceptionnels pour la « hasbara » (terme difficile à traduire qui désigne la capacité de défendre une politique), à la tribune et dans les coulisses des Nations unies. Pfeffer rapporte ainsi la manière dont « Bibi » utilise des éléments visuels pour appuyer son argumentation, n’hésitant pas à projeter un film montrant un diplomate tentant vainement de téléphoner au Liban pour illustrer l’état d’anarchie régnant dans le pays. Trente ans plus tard, il utilisera des moyens similaires pour démontrer au monde entier la duplicité de l’Iran.

 

La qualité majeure de Benjamin Nétanyahou, tel qu’il ressort du livre d’Anshel Pfeffer, est incontestablement celle d’animal politique. Doté d’un charisme exceptionnel, il sait manœuvrer à travers les écueils de la politique intérieure israélienne, et fait montre d’une capacité d’analyse et de compréhension rarement égalées par ses pairs. Issu d’une famille jabotinskienne réputée, mais relativement à l’écart de la vie politique du fait de son exil aux Etats-Unis, Nétanyahou parvient à doubler plusieurs concurrents parmi les “Princes du Likoud” – et notamment David Lévy, qui deviendra un rival féroce.

 

Dans des pages intéressantes de son ouvrage, Pfeffer montre les rapports ambivalents entre Bibi et Itshak Shamir, qui le considère comme superficiel et incapable de résister aux pressions. Un des chapitres les plus instructifs est celui qui retrace le premier mandat de Nétanyahou, arrivé au pouvoir contre toute attente, en 1996, au lendemain de l’assassinat d’Itshak Rabin (au sujet duquel Pfeffer dissipe la calomnie voulant que Bibi ait participé à des manifestations “incitant” au meurtre…(2) A l’âge de 46 ans, il devient le plus jeune Premier ministre israélien depuis 1948.

 

Quelle a été l’influence de sa famille sur Bibi ? Sur ce point crucial – que j’aborde dans un de mes livres, dans un chapitre consacré à Bentsion Nétanyahou (3) – l’auteur apporte des éléments de réponse intéressants. Ainsi, on découvre comment “Bibi” a souffert du sentiment d’insatisfaction que son père éprouvait à son égard. « Il aurait sans doute fait un meilleur ministre des Affaires étrangères que Premier ministre », dira un jour Bentsion de son fils, pour la plus grande joie de ses adversaires. Le dernier chapitre du livre s’intitule, de manière éloquente, « Stuck on top », « coincé au sommet ».

 

 

A l’heure où ces lignes sont écrites, « Bibi » donne toujours l’impression d’être irremplaçable, y compris aux yeux de ses plus farouches adversaires. Au-delà de ses succès indéniables – en diplomatie notamment et en économie – les « années Bibi » auront aussi été celles d’une lente et irrésistible érosion de la force de dissuasion de Tsahal, après les retraits de Gaza et du Sud-Liban aux conséquences désastreuses, orchestrés par deux de ses prédécesseurs, Ariel Sharon et Ehoud Barak.

 

Nétanyahou deviendra un des plus grands dirigeants de l’Etat d’Israël moderne, s’il parvient à résoudre un des problèmes les plus brûlants de la société israélienne, que les grands partis politiques ont largement négligé depuis longtemps : celui de la situation économique et sociale. L’Etat d’Israël, au cours de ses 70 années d'existence, est en effet passé presque sans transition d'un régime économique socialiste à un régime ultra-libéral ou, pour reprendre les termes de Jabotinsky, de « l'esclavage socialiste » au « capitalisme sauvage ». Il reste aujourd'hui à accomplir le programme de Jabotinsky, en édifiant une société plus égalitaire, réalisant ainsi l'idéal de justice sociale de la Bible hébraïque. (3)

 

Pierre Lurçat

 

Notes

(1) Anshel Pfeffer, Bibi: The Turbulent Life and Times of Benjamin Netanyahu: Basic Books 2018.

(2) Rappelons que le fameux poster représentant Itshak Rabin z.l en uniforme S.S. était la création de l’agent du Shabak, Avishaï Raviv.

(3) Je renvoie sur ce sujet le lecteur au premier tome de la Bibliothèque sioniste que j’ai fondée, Vladimir Jabotinsky, La rédemption sociale, éléments de philosophie sociale de la Bible hébraïque, éditions L’éléphant 2021.

(Une version initiale de cet article est parue en novembre 2018)

 

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Le Mur de Fer

Le public français ne connaît pas, ou à peine, Vladimir Jabotinsky. Pierre Lurçat remédie à cette méconnaissance avec brio en publiant une traduction des textes fondateurs de ce visionnaire, publiés entre 1916 et 1929 en les éclairant d’une introduction historique et philosophique pointue.

Liliane Messika, Causeur.fr

« Les arabes et nous, le Mur de fer », Jabotinsky raconté par Pierre Lurçat au micro d’Ilana Ferhadian

 

Il faut remercier Pierre Lurçat pour son travail de traduction et de présentation de cet ouvrage. Il permet au lecteur, peu familier de l’action et de l’œuvre de Vladimir Jabotinsky, de découvrir un penseur du politique à travers son engagement pour le sionisme… Ses écrits sont là, nourrissent notre réflexion, et attestent d’une lucidité peu commune

 

Evelyne Tschihrart, Dreuz.info

 

 

 

Le secret de la longévité politique de Binyamin Nétanyahou, par Pierre Lurçat

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Actualité de Jabotinsky : Le « Mur de fer » et la postérité

September 11 2022, 11:50am

Posted by Pierre Lurçat

Actualité de Jabotinsky : Le « Mur de fer » et la postérité

Je publie ici un extrait du préambule au livre Le mur de fer - Les Arabes et nous de Vladimir Jabotinsky, dans la traduction vient de paraître en français aux éditions L’éléphant. J’évoque le livre au micro d’Ilana Ferhadian sur Radio J. P. Lurçat

Aucune expression née de la plume féconde de Jabotinsky n’est aussi connue que celle du « Mur de fer », et aucune n’a sans doute donné lieu à autant de contresens. Avant d’examiner l’actualité de ses conceptions, arrêtons-nous sur certains des usages récents qui ont été faits du concept de « Mur de fer ». Parmi les nombreux exemples offerts par le discours politique israélien contemporain, nous en avons choisi deux, qui sont tous deux ceux de représentants de l’école des « Nouveaux historiens ». Le premier, Avi Shlaïm, a publié en 2001 un livre intitulé Le mur de fer, Israël et le monde arabe dans lequel il fait de la doctrine du « Mur de fer » le symbole de l’intransigeance israélienne, qui aurait été la cause principale de la perpétuation du conflit israélo-arabe. Shlaïm fait remonter cette prétendue intransigeance à 1948, David Ben Gourion ayant selon lui renoncé à chercher un accord de paix avec les pays arabes, convaincu que le temps jouait en faveur d’Israël. 

L’avis du second, Benny Morris, est très différent. Dans une interview au quotidien Ha’aretz datant de janvier 2004, il reprend ainsi à son compte la notion du « Mur de fer » dans l’acception que lui donne Jabotinsky, expliquant notamment qu'un « mur de fer est la politique la plus raisonnable pour la génération à venir », car « ce qui décidera de la volonté [des Arabes] à nous accepter sera seulement la force et la reconnaissance qu’ils ne sont pas capables de nous vaincre ». Malgré la divergence d’opinion entre Shlaïm et Morris, tous deux s’accordent pour dire que la doctrine du « Mur de fer » a été adoptée par l’ensemble des dirigeants israéliens, depuis Ben Gourion jusqu’à nos jours. Le premier y voit la cause de l’intransigeance israélienne, tandis que le second la considère comme la seule réponse possible à l’intransigeance arabe. La comparaison entre les deux est instructive, car elle montre que le « Mur de fer » est devenu depuis un siècle un concept fondamental du lexique politique israélien.

         Peut-on dire pour autant que ce concept a été adopté dans les faits, c’est-à-dire dans la politique et dans la stratégie israélienne ? A cet égard, la réalité est plus contrastée. Si la doctrine de la dissuasion de Tsahal peut être globalement considérée comme l’application du « Mur de fer », la politique de défense israélienne n’est pas toujours conforme aux idées développées il y a cent ans par Jabotinsky. Ainsi, pour prendre un exemple récent, le système de défense « Kippat barzel » (« dôme d’acier ») mis en place par Tsahal autour de la bande de Gaza peut difficilement être considéré comme l’application du « Kir ha-Barzel » (« Mur de fer »), en dépit de la similarité des deux expressions.

         Le « dôme d’acier », malgré toute sa perfection technologique, ne vise en effet pas à assurer une quelconque dissuasion pour Israël, face aux tirs de roquette incessants venant de Gaza, mais plutôt à protéger les civils israéliens, sans aucunement empêcher les groupes terroristes palestiniens de poursuivre leurs attaques. De ce fait, il illustre le paradoxe d’une armée toujours plus intelligente, mais de moins en moins audacieuse. Comme le savent bien les dirigeants de l’armée israélienne, seule une offensive terrestre au cœur de la bande de Gaza permettrait de démanteler les lanceurs de missiles, voire de mettre fin au pouvoir du Hamas, installé depuis le retrait de l’armée israélienne en 2006. Or, la protection toute relative offerte par le dispositif du « dôme d’acier » empêche en fait Tsahal de mener une telle offensive, en la dissuadant d’adopter une logique militaire plus coûteuse en vies humaines. La dissuasion s’exerce donc envers Israël et non envers ses ennemis.

         Le « dôme d’acier » n’est donc aucunement l’application de la doctrine du « Mur de fer » élaborée par Jabotinsky il y a près de cent ans : il en est la négation. Cet exemple ne signifie toutefois pas que le « Mur de fer » aurait été totalement oublié, mais que cette notion est appliquée de manière variable, selon les circonstances et les différents fronts. Israël fait ainsi preuve depuis plusieurs années d’une audace impressionnante face à l’Iran, multipliant les opérations et les éliminations ciblées en territoire ennemi, tandis que sur le front de Gaza, Tsahal se montre beaucoup plus timorée, restant sur la défensive la plupart du temps. Cette disparité montre que l’éthos défensif – qui remonte aux débuts de Tsahal et avant encore, à l’époque du Yishouv – s’avère insuffisant, face à des ennemis farouchement déterminés.

Toute l’histoire de la stratégie de défense d’Israël, depuis la Haganah et les premiers efforts d’auto-défense à l’époque de Jabotinsky et jusqu’à nos jours, est marquée par une oscillation permanente entre deux pôles opposés : celui de l’éthos purement défensif, largement prédominant d’une part, et celui d’un éthos offensif, celui de l’unité 101 dans les années 1950 et de la « Sayeret Matkal » (unité d’élite de l’état-major), d’autre part. De toute évidence, c’est cet esprit offensif qui a permis à Tsahal de connaître ses victoires les plus éclatantes, celle de juin 1967 ou celle de l’opération Entebbe, pour ne citer que deux exemples. Malgré cela, l’armée israélienne demeure attachée à l’éthos purement défensif, pour des raisons complexes liées à son histoire et à ses valeurs fondatrices. La doctrine du « Mur de fer » demeure ainsi d’actualité, un siècle après avoir été formulée par Jabotinsky. 

Les récents événements violents survenus en mai 2021 dans les villes mixtes d’Israël, et la persistance d’une opposition radicale à l’existence de l’Etat hébreu dans la région – malgré les avancées remarquables des accords Abraham – montrent que la dissuasion demeure une nécessité impérieuse, tant sur le front intérieur que sur les différents fronts extérieurs. L’aspiration à la paix qui caractérise le peuple Juif et l’Etat d’Israël ne doit pas éluder cette nécessité. Le pacifisme aveugle, il y cent ans comme aujourd’hui, menace la pérennité de l’existence d’un Etat juif souverain, au milieu d’un environnement encore largement hostile. Aujourd’hui comme hier, la paix repose sur la préparation à d’éventuels conflits, selon l’adage latin toujours actuel (« Si vis pacem, para bellum »), ou selon les mots de Jabotinsky : « le seul moyen de parvenir à un accord [de paix] est d’ériger un mur de fer ».

 

Pierre Lurçat

Le livre est disponible sur Amazon et B.o.D.


 

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Un événement éditorial : Parution d’un recueil de textes inédits en français de Vladimir Jabotinsky, Le Mur de Fer

September 4 2022, 10:33am

Posted by Pierre Lurçat

Un événement éditorial : Parution d’un recueil de textes inédits en français de Vladimir Jabotinsky, Le Mur de Fer

NB J'ai évoqué le Mur de fer de Jabotinsky ce matin au micro d'Ilana Ferhadian sur Radio J.

En 1923, Jabotinsky publiait un article au titre devenu célèbre : le « Mur de Fer ». Il y exposait sa conception du conflit israélo-arabe, élaborée au lendemain des émeutes de 1921 à Jérusalem, auxquelles il avait pris part en tant que témoin actif, ayant organisé l’autodéfense juive au sein de la Haganah. Cent ans plus tard, ses idées sur le sujet demeurent d’une étonnante actualité. Les articles réunis ici exposent une vision du conflit qui reste en effet très pertinente, tant à propos des racines du conflit israélo-arabe que des solutions que préconise Jabotinsky.

 

Celui-ci a en effet été un des premiers à reconnaître que le conflit entre Israël et les Arabes était de nature nationale et que la nation arabe n’allait pas renoncer à ses droits sur la terre d’Israël en échange des « avantages économiques » apportés par l’implantation sioniste. Mais ce constat lucide ne l’a pas conduit à préconiser un partage de la terre ou un Etat binational, contrairement aux pacifistes de son temps. L’originalité de l’analyse de Jabotinsky réside ainsi tant dans le respect qu’il porte à la nation arabe, que dans son refus de transiger sur les droits du peuple Juif.

 

Né à Odessa en 1880 et mort dans l’État de New-York en 1940, Vladimir Zeev Jabotinsky est une des figures les plus marquantes du sionisme russe. Écrivain, journaliste et militant infatigable, créateur du mouvement sioniste révisionniste et du Bétar, il a conquis sa place parmi les fondateurs de l’État d’Israël, entre la génération de Théodor Herzl et celle de David Ben Gourion. Théoricien politique extrêmement lucide, il avait compris la vertu cardinale pour les Juifs de se défendre eux-mêmes, et dès la Première Guerre mondiale, il obtint leur participation militaire sous un drapeau juif à l’effort de guerre des Alliés.

 

V. Jabotinsky Le Mur de Fer, Les Arabes et nous, traduction et présentation de P. Lurçat

 

Éditions L’éléphant / B.o.D.

Paris-Jérusalem

Le Mur de Fer (bod.fr)

Éditions L’éléphant – Livres consacrés à Israël, son histoire, son peuple, son pays et sa culture

 

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Juifs et Ukrainiens (V) : Herzl et le nationalisme ukrainien

August 24 2022, 16:11pm

Posted by Pierre Lurçat

Ivan Franko

Ivan Franko

 

Dans les précédents épisodes de cette série d’articles consacrés aux Juifs face à la question ukrainienne, nous avons abordé notamment l’implication de Jabotinsky dans la question nationale ukrainienne. Un livre consacré à ce sujet, dont nous reparlerons, mentionne l’implication d’un autre grand dirigeant sioniste, Theodor Herzl lui-même. Comme l’écrit Israel Kleiner dans son livre From Nationalism to Universalism, Vladimir (Ze’ev) Jabotinsky and the Ukrainian Question, relatant la rencontre entre Herzl et lvan Franko, poète et activiste politique ukrainien :

 

“La personnalité de Herzl et son idée de créer un Etat juif fit une grande impression sur Franko. En 1896, il publia un compte-rendu particulièrement favorable de L’Etat juif de Herzl. Shchurat note également dans ses mémoires que c’est sous l’influence de sa discussion avec Herzl que Franko écrivit plus tard son poème monumental Moïse en 1905, qui est un des chefs d’œuvre de la littérature ukrainienne”.

 

Voici comment Shchurat relate la rencontre entre Herzl et Franko, qui eut lieu probablement en 1904 :

 

“J’ai trouvé votre idée de recréer un Etat juif très intéressante”, déclara Franko. “Cela m’intéresse beaucoup parce que cette idée est comme une sœur de notre idée ukrainienne de refonder l’Etat ukrainien. Ces deux idées sont-elles réalisables aujourd’hui ?

 

“Pourquoi pas ?” répondit Herzl. “Tout ce qui surgit d’un cerveau humain est possible”.

 

“D’un cerveau intelligent”, ajouta Franko.

 

“Oui, précisément, un esprit intelligent, car c’est le seul dont il vaut la peine de parler à des gens qui se considèrent comme intelligents”, reprit Herzl. “Même l’idée la plus bizarre née dans un esprit intelligent ou sensible devient réalisable, une fois qu’elle enflamme l’enthousiasme des masses populaires, qui feront naître dans leurs rangs des représentants prêts à subir le martyre. Si à l’époque de Moïse, nous avons réussi à ébranler le joug des Egyptiens et à regagner la Palestine, alors pourquoi cela ne serait pas possible aujourd’hui ?”

 

Franko rétorqua : “Vous aviez un Moïse à cette époque et seulement un joug unique, celui des Egyptiens, à ébranler. Nous autres Ukrainiens avons aujourd’hui trois, mais vous en avez encore dix fois plus, car vous êtes dispersés dans le monde entier”.

 

“Il est vrai qu’un Moïse ne naît pas tous les jours. Il apparaît sous l’influence de l’oppression extérieure”, répondit Herzl. “Cette oppression est dix fois plus forte pour nous que pour vous. Si vous faisiez la même expérience, alors vous commenceriez à chercher votre Moïse et vous le trouverez certainement, même si vous risqueriez aujourd’hui de le lapider. En fin de compte, seul le temps aidera”.

 

“Je crois que vous avez entièrement raison”, répondit Franko après une brève réflexion, et il serra chaleureusement la main de Herzl.

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Éditions L’éléphant 

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Le Mur de Fer - Les Arabes et nous

 

En 1923, Jabotinsky publiait un article au titre devenu célèbre : le « Mur de Fer ». Il y exposait sa conception du conflit israélo-arabe, élaborée au lendemain des émeutes de 1921 à Jérusalem, auxquelles il avait pris part en tant que témoin actif, ayant organisé l’autodéfense juive au sein de la Haganah. Cent ans plus tard, ses idées sur le sujet demeurent d’une étonnante actualité. Les articles réunis ici exposent une vision du conflit qui reste en effet très pertinente, tant à propos des racines du conflit israélo-arabe que des solutions que préconise Jabotinsky.

 

Celui-ci a en effet été un des premiers à reconnaître que le conflit entre Israël et les Arabes était de nature nationale et que la nation arabe n’allait pas renoncer à ses droits sur la terre d’Israël en échange des « avantages économiques » apportés par l’implantation sioniste. Mais ce constat lucide ne l’a pas conduit à préconiser un partage de la terre ou un Etat binational, contrairement aux pacifistes de son temps. L’originalité de l’analyse de Jabotinsky réside ainsi tant dans le respect qu’il porte à la nation arabe, que dans son refus de transiger sur les droits du peuple Juif.

 

Né à Odessa en 1880 et mort dans l’État de New-York en 1940, Vladimir Zeev Jabotinsky est une des figures les plus marquantes du sionisme russe. Écrivain, journaliste et militant infatigable, créateur du mouvement sioniste révisionniste et du Bétar, il a conquis sa place parmi les fondateurs de l’État d’Israël, entre la génération de Théodor Herzl et celle de David Ben Gourion. Théoricien politique extrêmement lucide, il avait compris la vertu cardinale pour les Juifs de se défendre eux-mêmes, et dès la Première Guerre mondiale, il obtint leur participation militaire sous un drapeau juif à l’effort de guerre des Alliés.

 

V. Jabotinsky Le Mur de Fer, Les Arabes et nous, traduction et présentation de P. Lurçat



 

Les demandes de service de presse (papier ou numérique) doivent être adressées à

 

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Éditions L’éléphant

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Tél 06 80 83 26 44 / 050 286 51 43

Éditions L’éléphant – Livres consacrés à Israël, son histoire, son peuple, son pays et sa culture 

 

 

Juifs et Ukrainiens (V) : Herzl et le nationalisme ukrainien

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À l’occasion de la Semaine du livre en Israël, découvrez LA BIBLIOTHEQUE SIONISTE !

June 12 2022, 09:22am

 

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Dernier titre paru : JABOTINSKY, Questions autour de la tradition juive

Il faut être infiniment reconnaissant à Pierre Lurçat de nous permettre, par le biais de ce petit livre, de mieux connaître celui qui fut le créateur du mouvement sioniste révisionniste, celui qu’on désignait comme le « Roch Betar ». On découvre ainsi l’attachement de ce grand leader à la religion juive.

Impressionnant. À découvrir !

Jean-Pierre Allali, CRIF.ORG

 

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“L’homme de l’avenir sera religieux” : Jabotinsky, visionnaire du réveil spirituel de l’humanité

May 19 2022, 13:39pm

 

On a toujours tort d’avoir raison avant son époque… Jabotinsky, l’enfant terrible du sionisme russe, a eu raison avant sur ses contemporains sur de multiples sujets : sionisme, enseignement de l’hébreu, importance de l’auto-défense, etc. Sur la plupart de ces sujets, ses opposants ont fini par lui donner raison, parfois à titre posthume.

Mais il est un sujet peu connu  sur lequel il s’est également montré visionnaire : celui des rapports entre l’Etat et la religion et sur la place que la tradition juive devait occuper dans le futur Etat juif à l’édification duquel il a consacré sa vie, et dont il n’a pas vu le jour, étant comme Moïse, resté sur l’autre rive… Extrait du recueil “Etat et religion, Questions autour de la tradition juive” que j’ai récemment publié aux éditions de l’éléphant.

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 Ce petit livre permet de mieux connaître celui qui fut le créateur du mouvement sioniste révisionniste... On découvre ainsi l’attachement de ce grand leader à la religion juive. Impressionnant !

Jean-Pierre Allali (Crif.org)

 

“La génération à laquelle j’appartiens – fruit de l’assimilation russe dans le sud du pays, région où il n’existait aucune localité juive ancienne possédant une tradition bien établie – cette génération n’était pas, en réalité, “athée”. L’athéisme consiste en effet à professer une opinion, à soutenir une conception, même négative : “J‘affirme qu’il n’existe pas de Dieu”. Ma génération ne soutenait plus aucune conception en la matière. “Il se peut que Dieu existe, et il se peut que non, en quoi cela me concerne-t-il ?” Indifférence totale, dénuée de toute amertume, de toute colère ; sentiment comme celui qu’on éprouve pour la neige de l’an passé.

            Personne ne pourra dire qu’une telle génération est nécessairement une génération de voleurs et de criminels. Il se peut que ma génération ait donné au peuple Juif un pourcentage d’honnêtes gens qui n’est pas inférieur à celui des générations précédentes. Il existe des personnes, pour lesquelles la musique ou la poésie “n’existent pas”. Elles peuvent être des personnes tout à fait intelligentes, pourtant la question est de savoir, si le développement de telles personnes est achevé ? Est-ce que leur esprit est achevé, mûr et parfait à tous égards – du fait qu’il est incapable de saisir la magie des notes de musique, ou du fait qu’à leurs yeux, le plus beau poème n’est qu’une suite de mots rimés ?

     

“L’homme de l’avenir sera religieux” : Jabotinsky, visionnaire du réveil spirituel de l’humanité

       La musique et la poésie sont deux émotions considérables ; l’homme auquel une des deux fait défaut, ou même les deux, est un homme pauvre et défavorisé. Et pourtant, que sont la musique et la poésie, en comparaison de cette émotion dont la musique et la poésie sont peut-être la conséquence ? Elles expriment la nostalgie de l’âme humaine, qui nous a contraints, depuis l’époque du premier homme, à peupler les cieux et la terre, le fleuve, la mer et la forêt des secrets de la vie. Nostalgie, qui nous a contraints à plier le genou devant une force que nous n’avons jamais vue ; qui a engendré des guerres, qui a formé des bourreaux et des héros, a donné naissance à l’architecture et à la peinture, la sculpture et la philosophie. De tous les éléments spirituels de l’histoire mondiale, la religion a toujours été le plus puissant. Au Moyen-Âge – elle était sans doute l’élément le plus puissant de tous, spirituels ou “matériels”. Et voici qu’au terme de tout cela, apparaît une génération pour laquelle “il n’existe aucun problème”, et aux yeux de laquelle la question de la religion tout entière est en fait un malentendu. Comme la neige de l’an passé… Cela est quelque peu étonnant. C’est comme si l’on venait nier l’existence de l’océan, ou de l’Amérique et de l’Australie, ou de la stratosphère, du système des constellations – on ne les voit pas et on n’a aucune envie de la voir.

            Chez l’homme qui est pleinement évolué, il n’est pas possible qu’une émotion aussi considérable fasse défaut. L’homme de l’avenir, l’homme entier, auquel aucun sens ne manquera, sera “religieux”. Je ne sais pas quel sera le contenu de sa religion ; cependant il sera porteur du lien vivant entre son âme et l’infini, qui l’accompagnera partout où il ira… »

Etat et religion – Éditions L’éléphant (editions-elephant.com)

“L’homme de l’avenir sera religieux” : Jabotinsky, visionnaire du réveil spirituel de l’humanité

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Juifs et Ukrainiens (III) : un pogrom à Kiev raconté par Golda Meir

March 16 2022, 07:45am

Posted by Pierre Lurçat

Dans les pages suivantes, extraites de ses Souvenirs de jeunesse récemment traduits en français, Golda Meir relate les jours d’angoisse dans l’attente d’un pogrome, dans sa ville natale de Kiev. Troisième volet de notre série d’articles consacrés aux relations entre Juifs et Ukrainiens. P. Lurçat

 

Je suis née à Kiev. Mon père était menuisier, et la situation économique de la famille était plutôt mauvaise. Il décida de déménager à Kiev afin d’améliorer leur situation. Kiev était située en dehors de la Zone de résidence , mais mon père, en tant qu’artisan qualifié, avait reçu l’autorisation d’y habiter. Il obtint même un travail pour le gouvernement. Il avait alors été décidé de construire des bibliothèques pour les écoles et mon père fut chargé de fabriquer le mobilier. Il savait fabriquer des meubles de belle apparence et décorés. Pour pouvoir accomplir son travail, il ouvrit un atelier et embaucha des salariés. Il avait bien entendu reçu pour cela un acompte et avait même investi des fonds qu’il avait empruntés. Mais en fin de compte – mon père disait que c’était par antisémitisme – ils ne voulurent pas accepter ses meubles, et nous fûmes plongés dans les dettes, sans rien pour subsister, et il partit travailler loin de la maison.

 

Je n’ai pratiquement aucun souvenir de la ville de Kiev, pas même celui de la cour de la maison. Mes trois souvenirs datant de cette époque sont: tout d’abord, la mort de ma grand-mère du côté paternel – le même jour où naquit ma sœur cadette, qui réside jusqu’à ce jour en Amérique. Deuxièmement, la rumeur d’un pogrom qui devait frapper Kiev. Et l’attitude caractéristique de mon père, qui ne fit aucun préparatif pour emmener sa famille et se cacher quelque part. Nous habitions au premier étage. Je me souviens de m’être tenue à l’entrée – sur les escaliers menant au deuxième étage, vers l’appartement du voisin – avec sa fille, qui devait avoir mon âge, et d'avoir regardé comment mon père et ma mère tentaient de barricader l’entrée de la maison, en disposant des planches conte la porte. Pour notre chance, il n’y eut pas de pogrom, mais je n’ai pas oublié l’atmosphère régnant dans l’attente de celui-ci.

 

Victimes d’un pogrom à Kiev, 1919

 

La troisième chose que je me rappelle de notre séjour à Kiev est la gêne et la faim. Ma sœur aînée, qui a neuf ans de plus que moi, peut en dire bien plus que moi, mais une image est restée gravée dans ma mémoire : notre sœur cadette, plus jeune que moi de quatre ans et demi, qui était alors un bébé âgé de six mois ou moins, et ma mère préparant sa bouillie. C’était de toute évidence un aliment de luxe à cette période. Elle donna un peu de bouillie à ma sœur et un peu à moi. Celle-ci finit sa part avant moi, et ma mère lui donna encore un peu de ma bouillie. Je me souviens de l’émotion que j’ai ressentie – voilà qu’on me privait de ce met que je ne recevais que si rarement…

 

Je ne revis jamais, hélas, les lieux où j’avais passé mon enfance en Russie, Kiev et Pinsk. J’eus pourtant à deux reprises l’occasion de me rendre à Pinsk, mais cela ne se réalisa pas. La première occasion se déroula en 1939, lors de ma première visite en Pologne pour le compte du parti. J’entamai mon voyage et j’arrivai jusqu’à Lodz, mais je tombai malade. Je restai alitée pendant deux semaines, et entretemps mon visa devint périmé et les Polonais n’acceptèrent pas de le renouveler. Aussi je ne pus me rendre à Pinsk. 

Cependant, même si j’avais pu me rendre à Pinsk lors de ma mission en Russie, je n’y aurais plus trouvé aucun des membres de ma famille – sauf peut-être une personne – le petit-fils du frère de ma grand-mère. Tous les autres avaient été exterminés pendant la Shoah. Malgré cela, je voulais m’y rendre et je regrettai que la chose ne fut pas possible. 

Extrait de Golda Meir, La maison de mon père, éditions l’éléphant/Books on Demand 2022.

 

 

 

“La biographie la plus précoce de la « grand-mère d’Israël »

Liliane Messika, Causeur

 

“Un personnage fascinant”

Sandrine Szwarc

Radio Shalom

 

“Une des plus grandes dames de la scène politique israélienne…”

Ilana Ferhadian, Radio J

 

Pierre Lurçat présente le livre au micro de Cathy Choukroun sur 

Radio QUALITA



 

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Conférence sous l'égide de l'OSM : Golda Meir, la femme et la légende - Dimanche 23 janvier à 19h00

January 20 2022, 18:56pm

Posted by Pierre Lurçat

J'aurai le plaisir d'évoquer la figure de Golda Meir, dans le cadre des conférences organisées par l'Organisation sioniste mondiale - département de la promotion de l'alyah - et de présenter le livre nouvellement traduit en français, La maison de mon père, troisième volume de la Bibliothèque sioniste.

La conférence  a lieu sur Zoom à 19h00 heure de Paris / 20h00 heure de Jérusalem.

Inscriptions en ligne ici

https://bit.ly/Golda_femme_et_legende

Conférence sous l'égide de l'OSM : Golda Meir, la femme et la légende - Dimanche 23 janvier à 19h00

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Parution d’un livre autobiographique inédit de Golda Meir

January 11 2022, 09:36am

Posted by Pierre Lurçat

 Parution d’un livre autobiographique inédit de Golda Meir

Éditions L’éléphant - La Bibliothèque sioniste

Paris-Jérusalem

Le 11 janvier 2022

 

 

COMMUNIQUÉ - Parution d’un livre autobiographique inédit de Golda Meir

 

En 1972 paraissait en Israël le premier livre autobiographique rédigé par Golda Meir, qui était alors Premier ministre depuis plusieurs années. Ce texte, publié en français pour la première fois, couvre la partie de la vie de l’auteur qui s’étend de son enfance en Russie et de sa jeunesse en Amérique, à son séjour au kibboutz Merhavia, dans les années 1920. On y découvre, outre l’autoportrait de celle qui allait devenir la première femme Premier ministre de l’État d’Israël, la description fidèle et sans fioritures d’une génération tout entière, celle des pionniers de la Troisième Alyah (1921-1924). 

 

La maison de mon père, traduction et présentation de Pierre Lurçat

 

Les demandes de service de presse (papier ou numérique) doivent être adressées à 

editionslelephant@gmail.com

 

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