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Aux origines de la "Startup nation": Une saga juive qui raconte l’autre histoire d’Israël

October 9 2022, 10:15am

Posted by Pierre Lurçat

Aux origines de la "Startup nation": Une saga juive qui raconte l’autre histoire d’Israël

 

« Ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire » : ce dicton est tout aussi vrai s’agissant de l’histoire mondiale, que de l’histoire intérieure des États. Dans le cas d’Israël, l’histoire a ainsi été le plus souvent écrite par le courant majoritaire, celui du parti travailliste d’obédience sioniste-socialiste, qui a exercé son hégémonie pendant les trente premières années de l’État (1948-1977). C’est ainsi que l’histoire de l’épopée sioniste connue de tous relate comment des pionniers juifs, venus de Russie et de Pologne, ont défriché la terre et fondé des kibboutz, construisant en même temps la nouvelle patrie juive et le « Nouveau Juif », conforme à leur idéologie d’inspiration marxiste. Mais on ignore généralement qu’aux côtés du sionisme socialiste, il y eut aussi des sionistes révisionnistes, des sionistes religieux et aussi des sionistes… capitalistes !

 

C’est à ce dernier pan méconnu de la préhistoire d’Israël qu’est largement consacré le dernier livre de Hamutal Bar-Yosef, paru en hébreu en 2017 et qui vient d’être traduit en anglais, sous le titre The Wealthy (Les fortunés). L’auteur, poète, traductrice et spécialiste de littérature hébraïque, a adopté la forme du roman pour relater cette histoire. Son livre est une véritable saga qui s’étend sur plusieurs générations et raconte l’histoire d’une famille juive en Allemagne, en Angleterre et en Palestine mandataire. A travers le destin de cette famille de pauvres colporteurs qui va s’élever socialement – jusqu’à atteindre les rangs de la noblesse britannique – c'est un aspect souvent ignoré de l'histoire moderne du peuple Juif qui est dévoilé au lecteur.

 

La saga de la famille Heimstatt – inspirée d’une histoire réelle – illustre ainsi le phénomène souvent décrit dans la littérature et le cinéma de l’ascension sociale, génération après génération, dont les moteurs principaux sont l’ambition personnelle et l’aspiration à contribuer au bien de l’humanité. Meyer, fondateur de la « dynastie », est un simple marchand ambulant. Son fils Albert devient un commerçant aisé, et le petit-fils Gotthold étudie la chimie à l’université de Heidelberg. Plus tard, il s’installe en Angleterre, où se déroule la deuxième partie du roman. La découverte de plusieurs procédés industriels assure la fortune de la famille, et son fils Richard se lance dans la politique, et parvient à être élu au Parlement au sein du parti libéral.

 

La troisième et dernière partie de la saga des Heimstatt commence lorsque le jeune Ralph, fils de Richard, est envoyé en Palestine mandataire (« Eretz-Israël ») pour y combattre dans les rangs de l’armée britannique, après avoir participé à la campagne désastreuse de Gallipoli, dans le cadre du bataillon juif mis sur pied par Jabotinsky et Trumpeldor. A travers le destin du dernier rejeton de la famille d’origine allemande, c’est tout un pan de l’histoire du sionisme politique qui est ainsi relaté : la participation des « bataillons juifs » – premiers soldats se battant sous un drapeau juif à l’époque moderne – dans la Première Guerre mondiale, puis la Déclaration Balfour et le mandat britannique sur la Palestine, et le développement de l’implantation et de la colonisation juive en terre d’Israël.

 

Le grand talent de Hamutal Bar-Yosef est précisément de parvenir à mêler la grande et la petite histoire, en évoquant des événements importants de l’histoire, sans jamais perdre le fil de l’épopée familiale. On y croise ainsi, outre les membres de la famille Heimstatt sur cinq générations, des figures illustres comme celles de Haïm Weizmann, Lloyd George ou encore Amin al-Husseini. Les commerçants et industriels qui – à l'instar de la famille Mond dont s'inspire le roman de Hamutal Bar-Yosef – ont pris part à l'aventure sioniste, ont joué un rôle crucial dans l'édification d'un pays moderne, devenu aujourd'hui une puissance économique de premier plan. Son livre se lit avec un intérêt qui ne diminue pas, au fil des quelque quatre cents pages, et on imagine facilement comment il pourrait être adapté à l’écran. Il mériterait certainement d’être traduit en français.

Pierre Lurçat

 

Hamutal Bar-Yosef, The Wealthy, Chronicle of a Jewish Family (1763-1948), Gefen Publishing House 2022.

 

"The Wealthy" de Hamutal Bar-Yosef, Une saga juive qui raconte l’autre histoire d’Israël

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"Victor Soskice - Qui sauve un homme sauve l'humanité", Pierre Lurçat

April 5 2022, 08:56am

Posted by Pierre Lurçat

"Victor Soskice - Qui sauve un homme sauve l'humanité", Pierre Lurçat

J’ai le grand plaisir d‘annoncer la parution de mon nouveau livre, “Victor Soskice, Qui sauve un homme sauve l’humanité” (éditions L’éléphant). Fils adoptif de mon grand-oncle, l’artiste Jean Lurçat, Victor Soskice s’est engagé à l’âge de vingt ans dans le S.O.E. (Special Operations Executive), le fameux service secret militaire britannique qui joua un rôle crucial dans l’organisation de la Résistance en France pendant la Deuxième Guerre mondiale. 

Parachuté en France occupée en août 1943 pour y mener une opération de sabotage d’une usine stratégique, il fut capturé par les Allemands et emprisonné. Son sort véritable resta ignoré jusqu’à la fin de la guerre. Je reproduis ici l’interview accordée au journal des anciens élèves du Lycée français de New York, dans laquelle j’expliquais pourquoi j’avais entrepris d’écrire ce livre.
 

Victor Soskice en uniforme militaire en 1943.

Qui était Victor Soskice ? 

Victor Soskice était élève au LFNY, durant l’année scolaire 1940-1941. Il se destinait à une carrière diplomatique et était allé étudier à Georgetown University, mais il a renoncé à ses études pour s’engager dans l’armée américaine. Parachuté en France pour une mission de sabotage d’une usine produisant du pétrole synthétique pour l’armée allemande, il a été arrêté, torturé, incarcéré au camp de Flossenburg et finalement exécuté, quelques mois avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Pourquoi avez-vous décidé d’écrire un livre sur lui ?

Victor était le fils adoptif de mon grand-oncle, l’artiste Jean Lurçat, qui avait épousé en secondes noces sa mère, Rossane. Mon père l’a connu dans son enfance et il l’admirait beaucoup, d’autant que Victor l’avait sauvé de la noyade pendant un séjour de vacances familiales. C’était donc à la fois un héros de la guerre et un personnage presque mythique dans ma famille, dont mon père m’a souvent parlé.

Qu’est ce qui vous a le plus marqué lors de vos recherches ?

Le fait que toutes les personnes qui ont connu Victor ont gardé un souvenir très fort de lui, de sa personnalité et de leur rencontre avec lui, qui remonte à si longtemps… Plusieurs personnes que j’ai interviewées – toutes âgées de plus de 90 ans – m’ont confié qu’elles pensaient toujours à lui, plus de soixante-dix ans après sa mort dans des circonstances tragiques.

Que souhaitez-vous accomplir à travers votre ouvrage? 

Je souhaite faire connaître aux lecteurs la personnalité attachant de ce jeune homme, engagé volontaire dans l’armée américaine pour combattre le nazisme, qui a fait le sacrifice de sa vie pour défendre la liberté. Comme il l’écrivait dans une lettre à sa fiancée, Ginette, elle aussi ancienne élève du lycée, “j’ai réalisé l’affreuse torpeur et souffrance morale qui peut être imposée par le manque de liberté d’expression“.

Il est frappant de constater, 70 ans plus tard, que la liberté reste menacée par d’autres ennemis dans le monde actuel et qu’il demeure tout aussi vital de s’engager pour la défendre.

(Interview réalisée en 2016 par Florence Reynier, LFNY)


En vente sur Amazon, B.o.D. et dans toutes les bonnes librairies!

https://www.editions-elephant.com/about-us/

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Quand Isaac Bashevis Singer visitait Israël

February 14 2022, 18:20pm

Posted by Pierre Lurçat

N.B. Article publié dans Causeur

Les grands écrivains continuent de publier après leur mort… C’est la réflexion en forme de boutade que je me suis faite en lisant le dernier livre d’Isaac Bashevis-Singer, qui vient d’être publié en hébreu, traduit du yiddish (1). Il s’agit d’un carnet de voyages en Israël, rédigé en 1955 sous forme d’articles pour le journal Forverts, et qui offre une vision étonnante, non seulement de l’Etat d’Israël des premières années, mais aussi (et surtout) de la manière dont le grand écrivain yiddish a perçu l’Etat juif renaissant. 

Parti de Marseille avec sa femme sur le Artsa, Bahevis-Singer débarque à Haïfa en septembre 1955. D’emblée, il est sous le charme et ne cache pas son émotion. “Combien limpide la ville apparaît depuis notre bateau ! Tellement ensoleillée et lumineuse. C’est sans doute à cela que ressemblera un jour la Résurrection des morts. La terre s’ouvrira et en sortiront des jeunes hommes et des jeunes femmes aux joues roses, un sourire dans les yeux”. Il se rend ensuite à Tel-Aviv, accompagné de l’écrivain Itshak Perlov. 

« Pour qui vais-je voter ? », affiches de campagne électorale sur un mur de Tel-Aviv, Tel Aviv, 1955. Moshe Pridan – Courtesy of the GPO (Government Press Office)

Ce qui le frappe dès les premiers instants (comme beaucoup de visiteurs juifs découvrant Israël), c’est l’omniprésence de la culture et de l’histoire juive, jusque dans les noms des rues, comme il le rapporte avec sa malice habituelle : “Le Juif allemand qui habite ici est sans doute un peu snob, mais son adresse est rue Chalom Aleichem. Et il est ainsi obligé, plusieurs fois par jour, de répéter ce nom…” Ainsi, l’identité juive devient en Israël une réalité à laquelle nul ne peut échapper, y compris chez les Juifs les plus assimilés. Et, de manière moins anecdotique, il observe encore : “Comme ce fut le cas au Mont Sinaï, la culture juive – au sens le plus profond – s’est imposée aux Juifs en Israël et les interpelle : Vous devez m’adopter, vous ne pouvez plus m’ignorer, vous ne pouvez plus me dissimuler”. 

Le périple israélien de Singer le mène aux quatre coins du pays (qui est alors très petit, dans les frontières d’avant 1967) : à Jérusalem et à Beer-Sheva, à Safed et dans le Néguev. Il rencontre des personnalités et des gens de la rue, des écrivains et des hommes politiques. Sur le bateau déjà, il a été frappé par la piété des Juifs tunisiens, et en Israël aussi, il découvre le peuple Juif dans sa diversité ethnique et culturelle. Visitant des ma’abarot (camps de transit où sont installés les Juifs venus d’Afrique du Nord dans des conditions très difficiles), il ne se départit pas de son regard plein d’humanité et d’optimisme : “Les Juifs ici ont l’air à la fois en colère et plein d’espoir. Ils ont beaucoup de récriminations à l’encontre des dirigeants israéliens. Mais ils doivent s’occuper de leurs propre vies. Leurs enfants iront dans des écoles juives. Ils font d’ores et déjà partie du peuple. Bientôt on les retrouvera dans des ministères et à la Knesset”. 

 

Singer devant l’immeuble du Forwerts à New York, années 1950. Crédit David Attie

Singer est particulièrement séduit par Tel-Aviv, dont il sait apprécier – contrairement à d’autres voyageurs – la beauté et le style architectural. “Elle est à mes yeux une ville très belle, construite avec beaucoup de soin et de goût. Les maisons y sont claires et les balcons adaptés au climat subtropical et enchanteur. Oui, c’est enchanteur comme une pluie d’été”. On comprend que l’écrivain né en Pologne et installé à New-York apprécie le charme de la première ville juive construite sur les dunes… “Tout exprime ici l’ouverture, la bénédiction et la paix. Il n’y a pas une once de snobisme dans cette ville. Elle est tout entière comme une grande auberge juive”. A Safed, il rencontre des combattants de la guerre d’Indépendance.

Sa visite à Jérusalem ne lui laisse pas, par contre, une impression très forte. Mais c’est du kibboutz Beit Alfa qu’il rapporte les sensations les plus marquantes. Il s’y rend avec sa seconde femme, Alma, pour rendre visite à son fils Israël Zamir, qui vit en Israël depuis 1938 (2). C’est là, au pied du mont Gilboa, dans ce kibboutz fondé par l’Hachomer Hatzaïr (dont son fils est membre), que Singer partage un repas shabbatique dans le réfectoire commun et qu’il fait sans doute l’expérience la plus forte de son séjour. “Si c’était un kibboutz religieux, la femme allumerait les bougies et le mari se rendrait à la synagogue pour accueillir le shabbat. Mais ici, c’est le soleil qui allume les bougies. Il colore les monts alentour d’une rougeur merveilleuse, l’éclat de bougies de shabbat célestes… La transition entre le jour et la nuit est rapide. 

Il y a un instant encore, le soleil était rouge flamboyant, et voici que les étoiles apparaissent dans l’obscurité. Nuit de shabbat. J’ai un sentiment étrange – ici, on ne peut pas profaner le shabbat. Il est là, empreint de sa sainteté intrinsèque. Ici, le shabbat se sent chez lui, et ces jeunes gens et jeunes filles professant l’athéisme ne parviennent pas à le chasser”. L’écrivain est également frappé par le courage des habitants du kibboutz: “L’ennemi peut attaquer de toutes parts, du Nord, du Sud, de l’Est… Mais le visiteur en Israël est gagné par la bravoure partagée par tous les Juifs du pays, une sorte de courage qu’il est difficile d’expliquer”. 

Quelle aurait pu être la carrière littéraire de Bashevis-Singer, s’il avait décidé de rejoindre le jeune Etat juif et d’en devenir citoyen ? Quelle aurait pu être sa contribution aux lettres israéliennes, et comment sa carrière littéraire en aurait-elle été modifiée ? Autant de questions auxquelles seule l’imagination permet de répondre. Souhaitons que ce beau livre soit également traduit en français. 

Pierre Lurçat

1. Les voyages de Bashevis en Eretz Israël, éditions Blima, Berlin-Jérusalem 2021.

2. Israël Zamir, abandonné par son père alors qu’il était enfant, a raconté son expérience dans un livre autobiographique, Mon père inconnu, Isaac Bashevis Singer.



 

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Dix livres essentiels pour comprendre le monde actuel : Eric Sadin, Critique de la raison numérique

February 10 2022, 13:11pm

Posted by Pierre Lurçat

 

Vingt ans avant la parution du livre de Soshana Zuboff, L’âge du capitalisme de surveillance, un jeune philosophe français avait déjà publié un livre au titre étonnamment similaire : Surveillance globale, sous-titré Enquête sur les nouvelles formes de contrôle. Eric Sadin a depuis lors poursuivi et développé sa réflexion sur les bouleversements apportés par l’ère du numérique, notamment à travers une trilogie: La Vie algorithmique, La Silicolonisation du monde et L’intelligence artificielle ou l’enjeu du siècle, tous trois récemment réédités en poche.

 

Les trois livres ont été publiés aux éditions L’échappée,  éditeur parisien créé en 2005, qui s’est donné pour mission de “promouvoir une pensée critique à l'égard des discours aveuglément technophiles qui dominent l'idéologie contemporaine”. Ce petit éditeur qui accomplit un travail remarquable, loin du brouhaha médiatique, a notamment, outre les ouvrages de Sadin, publié le grand livre de Neil Postman, Technopoly, aux côtés de ceux de Jacques Ellul (L’empire du sens, l’art et la société technicienne) ou encore de Bernard Charbonneau.

 

 

Eric Sadin, comme Zuboff et bien d’autres critiques contemporains de la révolution numérique et des bouleversements sociétaux qu’elle entraîne, envisage l’ère numérique comme la dernière mutation du capitalisme et comme sa dérive monstrueuse. Mais loin de se contenter d’une critique politique, somme toute assez répandue aujourd’hui, il l’accompagne d’une authentique réflexion philosophique. Un des aspects originaux de sa critique consiste ainsi à montrer comment la technique s’est - à l’époque du numérique - affranchie du pouvoir politique, parce que, explique-t-il, “le techno-pouvoir méprise le pouvoir politique, et plus encore le droit, il considère tout encadrement ou restriction de son champ d’initiative comme un abus“ (p. 201).

 

 

Ce mépris du politique est au cœur de plusieurs phénomènes que connaissent aujourd’hui la plupart des pays démocratiques, en proie à la désaffection pour la politique en tant que recherche du bien commun (1). Sadin analyse celle-ci comme “l’agonie ou la fin de la société” liée au “repliement de chacun sur sa sphère propre” (p. 160), thème qu’il a développé dans son livre plus récent, L’ère de l’individu tyran. Sa critique de la raison numérique part du constat que celle-ci repose entièrement sur un “rapport quantitatif au réel”, qui aboutit à vouloir “transformer en information chaque fragment du réel”, notamment “par l’implantation massive de capteurs” (p. 50). 

 

Sadin montre comment cette ambition technologique repose sur un “rapport totalisant aux phénomènes”. Celui-ci aboutit, explique-t-il, à “l’exclusion du sensible”, dont il esquisse la généalogie, la faisant remonter à une longue tradition datant de “la Grèce antique, en passant par la Renaissance - de Galilée à Bacon - les Lumières, le positivisme du XIXe siècle jusqu’à la Science moderne”. Le rejet du sensible concomitant à la mathématisation du réel - auquel remonte en définitive tout le projet du “Big Data” et de la raison numérique triomphante - avait déjà été critiqué par Husserl dès 1936, dans son fameux article la Krisis, que cite Sadin sans toutefois s’y arrêter suffisamment…Cet aspect crucial de la critique de la raison numérique aurait mérité d’être développé et approfondi, tant il est essentiel à la compréhension du sujet.



 

Sans doute manque-t-il, plus généralement, au livre d’Eric Sadin une réflexion sur la dimension morale, qui permettrait d’exposer le ressort caché de notre civilisation actuelle, marquée par le double mouvement contradictoire (dont Sadin a bien saisi le caractère paradoxal) de l’exaltation permanente du moi, de la flatterie constante de ses désirs d’un côté, et d’abolition de la liberté de l’autre côté, abolition inhérente à l’ethos fondateur de la Raison numérique. En effet, le fantasme sur lequel repose en définitive toute cette entreprise gigantesque est bien celui d’abolir non seulement le droit (comme l’a bien vu Sadin) mais aussi et surtout d’abolir la Loi morale, pour y substituer le désir individuel érigé en seul maître.

 

 

La lucidité remarquable de l’auteur dans la description des effets de cette entreprise totalisante va de pair avec une relative timidité philosophique dans sa critique de la Raison numérique. Celle-ci mériterait ainsi d’être poussée plus avant, dans au moins deux directions fondamentales. La première consisterait à compléter la critique de la technique (située dans le sillage de Jacques Ellul) et de la technologie numérique par une critique plus radicale encore de la Science moderne et de son projet philosophique (2).

 

La seconde consisterait à déceler dans le rêve illusoire et effrayant d’un “‘homme augmenté” et d’un “Quantified World” l’ultime conséquence du rejet de toute norme transcendante, inhérent à l’idéologie post-moderne (3). Ce qui manque, en somme, pour parachever la critique essentielle d’Eric Sadin, c’est la notion hébraïque du Tselem dont le rejet actuel par toutes les idéologies proclamant la fin de l’homme ou du libre-arbitre, permet de comprendre comment l’Occident en est arrivé là où il se trouve aujourd’hui.

 

Pierre Lurçat

 

1. J’aborde ce sujet dans mon livre Seuls dans l’Arche, Israël laboratoire du monde, éditions l’éléphant 2021.

2. Sur ce point, je renvoie aux ouvrages de François Lurçat, et notamment La science suicidaire, Athènes sans Jérusalem, éd. François-Xavier de Guibert 1999.

3. L’idéologie post-moderne est analysée par Shmuel Trigano, dans son livre La nouvelle idéologie dominante, le post-modernisme, Hermann 2012.

 

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Parution d’un livre autobiographique inédit de Golda Meir

January 11 2022, 09:36am

Posted by Pierre Lurçat

 Parution d’un livre autobiographique inédit de Golda Meir

Éditions L’éléphant - La Bibliothèque sioniste

Paris-Jérusalem

Le 11 janvier 2022

 

 

COMMUNIQUÉ - Parution d’un livre autobiographique inédit de Golda Meir

 

En 1972 paraissait en Israël le premier livre autobiographique rédigé par Golda Meir, qui était alors Premier ministre depuis plusieurs années. Ce texte, publié en français pour la première fois, couvre la partie de la vie de l’auteur qui s’étend de son enfance en Russie et de sa jeunesse en Amérique, à son séjour au kibboutz Merhavia, dans les années 1920. On y découvre, outre l’autoportrait de celle qui allait devenir la première femme Premier ministre de l’État d’Israël, la description fidèle et sans fioritures d’une génération tout entière, celle des pionniers de la Troisième Alyah (1921-1924). 

 

La maison de mon père, traduction et présentation de Pierre Lurçat

 

Les demandes de service de presse (papier ou numérique) doivent être adressées à 

editionslelephant@gmail.com

 

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Chroniques citoyennes d’un suicide programmé, d’Evelyne Tschirhart

July 11 2021, 14:25pm

Posted by Pierre Lurçat

J’avais beaucoup aimé Le Tranchant de la lumière, d’Evelyne Tschirhart. Professeur honoraire d’art plastique, peintre et photographe, elle a publié plusieurs ouvrages sur l’état de l’école en France. Son dernier livre, Chroniques citoyennes d’un suicide programmé, élargit la cible en abordant les différents domaines de la décadence française. Son diagnostic est clair, son style plein de verve et d’humour.

 

Depuis une trentaine d’années, voire plus, notre pays s’enlise dans l’abandon de son identité : celle de la famille, de la religion, de la culture, pour laisser la place à une société multiculturelle vouée à la décadence politique, au profit d’un totalitarisme encore feutré, mais où la violence fait force de loi”.

 

Pour illustrer ce constat, que de nombreux observateurs ont fait depuis plusieurs décennies, l’auteur aborde des sujets aussi divers que l’enseignement (qu’elle connaît bien pour avoir été institutrice puis professeur), les moeurs, l’islam ou l’art contemporain. Ce livre réunit des chroniques parues depuis une dizaine d’années dans différents médias et revues français.



 

 

Le livre s’ouvre sur cette anecdote rapportée par Allan Bloom en 1985, qui n’a rien perdu de sa pertinence : “Quand j’ai commencé à prendre conscience du déclin de la lecture, c’est-à-dire vers la fin des années soixante, j’ai pris l’habitude de demander aux élèves... quels étaient les livres qui comptaient vraiment pour eux. La plupart d’entre eux demeuraient muets… La notion de livres considérés comme des compagnons de route leur est étrangère” (in L’âme désarmée, essai sur le déclin de la culture générale).

 

Comme souvent, les observateurs américains les plus lucides (parmi lesquels on peut citer, outre Allan Bloom, le nom de Neil Postman) ont décrit une réalité qui a depuis gagné les autres continents. L’originalité du livre d’Evelyne Tschirhart est de relier le déclin de l’enseignement et de la culture générale à d’autres sujets, apparemment différents, en montrant comment ils participent du même phénomène.
 

Evelyne Tschirhart

 

Ainsi de l’art contemporain (AC), cet “art du vide” dont elle montre les présupposés idéologiques en critiquant avec humour ses thuriféraires. La partie du livre consacrée à l’islam contient des réflexions importantes, de même que celle sur l’enseignement. L’auteur rapporte des anecdotes tirées de son expérience, comme cet échange ubuesque entre une jeune prof s’adressant ainsi à ses élèves : “Taisez-vous, vous me faites ch…”, pour se voir répondre : ”M’dame, ça se fait pas, et le respect alors!”.

 

Pour un lecteur israélien, la lecture du livre d’Evelyne Tschirhart procure un double sentiment. Celui que notre pays partage beaucoup des travers analysés en France, tout d’abord. Mais aussi celui que notre sort est malgré tout plus enviable, car - pour reprendre une métaphore du rav Kook - les maux et les épreuves que nous subissons en Israël sont les “douleurs de l’enfantement”, tandis que celles de la France sont visiblement les “douleurs de l’agonie”. Un livre salutaire.

Pierre Lurçat

 

E. Tschirhart, Chroniques citoyennes d’un suicide programmé, éditions de Paris/Max Chaleil 2021.

 

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La rédemption sociale : Éléments de philosophie sociale de la Bible hébraïque, par Vladimir Zeev Jabotinsky

June 13 2021, 12:44pm

Posted by Jean Pierre Allali

La rédemption sociale : Éléments de philosophie sociale de la Bible hébraïque, par Vladimir Zeev Jabotinsky

NB le livre La rédemption sociale de Jabotinsky est en vente à la librairie du Foyer de Tel-Aviv et chez Vice-Versa à Jérusalem. Ainsi que sur Amazon.

Pour le commun des mortels, le nom de Jabotinsky renvoie à la droite israélienne la plus dure. Et pourtant ! En lisant ce petit livre plein d’enseignements, on ne peut pas éviter de se dire : « Mais, finalement, Jabo, c’était un socialo ! ».

Né à Odessa en 1880, celui qui sera le fondateur du Bétar et de la Légion Juive, est mort à New York en 1940. Tel Moïse, il n’aura pas foulé la terre de l’État juif indépendant qu’il appelait de ses vœux.

On découvre que c’est lors de ses années de jeunesse passées à Rome que Jabotinsky va être exposé aux conceptions socialistes par le biais de son professeur, Antonio Labriola et du criminologue  Enrico Ferri. Il continuera de côtoyer les idées socialistes alors que, journaliste, il était chargé de couvrir les séances parlementaires de la Chambre des Députés au Palais Montecitorio de Rome. Dans son « Histoire de ma vie », il raconte : « À la tête de la gauche se trouvait le groupe parlementaire socialiste auquel je me joignis en pensée même si je n’y suis jamais entré de manière officielle… ».

Dans la pratique, Jabotinsky, est finalement déçu par « le contenu égoïste du concept de classe » et c’est dans la Torah qu’il trouvera le fondement de toute sa philosophie économique et sociale. Pour lui, la rédemption sociale de l’humanité qu’il espère avec, notamment la disparition de la pauvreté, repose sur le « Tikoun Olam », (Réparation du Monde). Un programme basé sur les « Cinq Mem ». Sans oublier le principe du « Yovel », le jubilé, « une tentative visant à instaurer un principe contraignant de révolutions sociales périodiques ». Les « Cinq Mem », ce sont « Mazon », « Maon », « Malbouch », « Moreh » er « Marpeh », c’est-à-dire : la nourriture, le logement, l’habillement, la possibilité d’éduquer ses enfants et celle de se soigner en cas de maladie..

Autre principe biblique rappelé par Jabotinsky, celui du « Péa ». « Quand vous moissonnerez la récolte de votre pays, tu laisseras la moisson inachevée au bout de ton champ » (Lévitique, 19-9).

Sans oublier l’essentiel : le principe juif du shabbat qui, tout compte fait, est à l’origine de la législation sociale moderne.

Très en avance sur son époque et véritablement prémonitoire, Jabotinsky envisage une ère où le robot remplacera l’homme pour une grande partie des tâches quotidiennes, entraînant une baisse drastique des heures de travail hebdomadaires.

Dès lors, « La crise de notre époque n’est pas tant, en réalité, une crise du « capitalisme », qu’elle n’est avant tout une crise du prolétariat. La machine rend l’ouvrier de plus en plus inutile… ».

Bref, se demande Jabotinsky : « Qu’est-ce qui est préférable ? Prévenir la misère ou bien la réparer ? »

Un petit livre. Mais quel souffle ! Remarquable !

Jean-Pierre Allali

(*) Éditions de la Bibliothèque Sioniste. Présentation, traduction et notes de Pierre Lurçat. 64 pages.

http://www.crif.org/fr/content/lectures-de-jean-pierre-allali-la-r%C3%A9demption-sociale-%C3%A9l%C3%A9ments-de-philosophie-sociale-de-la

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L’intention d’amour, de Shmuel Trigano : Esquisse d’une anthropologie hébraïque

April 27 2021, 11:14am

Posted by Pierre Lurçat

Les éditions de L’éclat ont récemment réédité le livre de Shmuel Trigano, L’intention d’amour, sous-titré “Désir et sexualité dans le Livre des Maîtres de l’âme de R. Abraham ben David de Posquières”. Ce dernier est un rabbin et kabbaliste connu sous son acronyme, le “Rabad”. Comme l’explique l’auteur en introduction, le Livre des maîtres de l’âme (Sefer Baalé-Hanefech) est “un des rares textes que la tradition a consacrés spécifiquement à la sexualité”. Le Rabad l’envisage du point de vue de la halakha, la loi juive, mais Trigano s’intéresse de son côté à la philosophie qui en est le soubassement. Il ne s’agit pourtant pas ici de la “sexualité”, au sens où nous l’entendons en Occident. En effet, écrit Trigano, “la notion de “corps” est quasiment absente de tout ce texte sur la sexualité”. Non pas en raison d’un rejet du corps et de ses contraintes, mais au contraire, parce que l’anthropologie juive qui se déploie dans ce texte n’envisage jamais le corps autrement que comme réceptacle de l’âme, la nefech, “qui est au coeur de l’analyse”. 

 

 

Pour comprendre la vision juive de la sexualité, il faut donc au préalable oublier la dichotomie occidentale (chrétienne et post-chrétienne) du corps et de l’âme. Car même le concept d’âme, dans son acception occidentale, est impropre pour traduire la nefech hébraïque. Celle-ci, explique Trigano, citant le théologien protestant Daniel Lys, “concerne l’être humain, qui vit dans l’histoire, et cet être humain fait partie du peuple d’Israël, qui a conscience que son histoire se déroule devant Dieu”. On comprend, à la lecture de cette définition, tout ce qui sépare l’anthropologie juive des conceptions auxquelles nous a habituées la vision occidentale de l’homme. A travers l’étude de “l’intention d’amour”, c’est en effet toute la conception hébraïque de l’homme, créé “Betselem Elohim”, à l’image de Dieu, qui transparaît.

 

C’est précisément cet aspect du Livre des maîtres de l’âme qui lui donne son caractère étonnamment actuel. Tout d’abord, parce que le judaïsme a reconnu l’importance (voire la prééminence) du désir et du plaisir féminin, bien avant Simone de Beauvoir et le féminisme occidental (lequel est bien pauvre et ambivalent, en comparaison de la vision hébraïque du féminin). Ensuite, parce que le judaïsme rejette la notion de “devoir conjugal” (c’est à l’homme qu’incombe le seul devoir qui existe en la matière) et qu’il a reconnu la notion de “viol conjugal” plusieurs siècles avant que celle-ci ne soit sanctionnée par la jurisprudence des tribunaux en France (à la fin des années 1990 seulement !) (1) Mais l’aspect le plus actuel du livre est encore ailleurs : il est dans la définition même du masculin, du féminin et dans celle de l’homme qui en ressort. Ce thème est d’ailleurs celui d’un autre ouvrage collectif récemment publié par Shmuel Trigano, Parent 1 Parent 2? L’enjeu anthropologique.



 

 

 

L’intention d’amour est la réédition d’un texte publié par S. Trigano en 1985 dans la revue Pardès, puis sous forme de livre aux éditions L’éclat, en 2007. Dans son introduction à la présente édition, l’auteur fait l’observation suivante : “C’est souvent après coup qu’on prend la mesure de l’importance d’une recherche dans un cheminement intellectuel… En redécouvrant ce texte passé, je me suis rendu compte que j’entamais le début d’une réflexion qui devait me conduire à concevoir la problématique de la “part gardée”, source génératrice d’autres ouvrages depuis, Philosophie de la Loi, l’origine de la politique dans la Tora, en 1991, La séparation d’amour, une éthique d’alliance en 1996”.

 

Quelle est donc cette “part gardée” dans le domaine de la sexualité? Elle est, explique Trigano, l’auto-limitation de l’homme, “qui ouvre le champ à l’apparition de la partenaire et rend donc possible l’intention (qui donne son titre au livre, L’intention d’amour P.L) et le consentement”. Il faut donc, poursuit-il, “qu’il y ait un reste inconsommé, laissé intact, potentiel, qui sauve l’intention et préserve son authenticité”. Ce “reste” désigne “la part de vide et d’inaccompli qui subsiste dans la relation”.

 

 

S. Trigano rapproche ce concept du “reste” dans la relation d’amour des “notions classiques définissant Israël comme la part de Dieu”, et des concepts de prémices, de la ‘Hala, “de la dîme sur les récoltes, c’est-à-dire ce qui n’est pas consommé dans la jouissance du monde”. On touche ici à une catégorie originale de la pensée hébraïque qui permet de comprendre la sexualité non pas, comme le fait l’Occident moderne et post-moderne, comme une dimension à part - érigée aujourd’hui en fondement d’une “identité sexuelle”, notion totalement impensable dans la tradition d’Israël -, mais comme un élément indissociable de la personne humaine, des relations homme-femme et de l’établissement de la famille. C’est précisément parce que la pensée hébraïque refuse l’autonomie de la sexualité - pour ne l’envisager que dans sa conception anthropologique globale - qu’elle permet de répondre aux dérives actuelles du “genre” et à la dilution des notions fondatrices du masculin et du féminin. Ici, comme ailleurs, la pensée hébraïque ouvre un horizon salvateur à un Occident en perdition.

Pierre Lurçat

1. Voir à ce sujet https://www.franceculture.fr/droit-justice/devoir-conjugal-contre-viol-conjugal-histoire-dune-reconnaissance-laborieuse

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Parution de Seuls dans l’Arche, Israël laboratoire du monde

J’ai le plaisir d’annoncer la parution de mon livre Seuls dans l’Arche, Israël laboratoire du monde. Réflexion menée entre mars 2020 et mars 2021, ce livre aborde la crise mondiale provoquée par la pandémie du Covid-19 sous l’angle inédit de la double tradition juive et occidentale, nourri de la lecture de rabbins et de philosophes, de sociologues et de poètes.

 

Pour “sortir de l’Arche” et retrouver nos libertés, mises à mal par les politiques anti-Covid, il faut au préalable retrouver l’idée même de la liberté humaine, qui n’est pas seulement la liberté individuelle ou la protection de la confidentialité des données, auxquelles elle se réduit trop souvent aujourd’hui.

 

Il s’agit, bien plus fondamentalement, du libre-arbitre, mis à mal par des décennies d’assauts répétés venant des tenants d’une définition mécaniste de l’homme, considéré tantôt comme un système neuronal, tantôt comme un animal un peu plus évolué (thèse de Yuval Harari dans Homo Sapiens). Pour que la “sortie de l’Arche” ait un sens, il faut repenser l’homme, afin de refonder le monde sur de nouvelles bases plus solides. 

 

Il s’agit en effet de la définition même de l’homme et de sa spécificité, qu’il est urgent de réaffirmer aujourd’hui. Si Israël est aujourd’hui devenu le phare d’une humanité malade, pionnier de la vaccination et de la sortie de crise, ce n’est pas un hasard. Le monde attend en effet d’Israël - au-delà d’un modèle sanitaire - qu’il réaffirme la vieille parole venue du Sinaï.

 

Confinés depuis un an dans l’Arche, nous espérons entrevoir la colombe porteuse de la branche d’olivier qui annoncera la décrue puis la fin du Déluge et le retour sur la terre ferme et chaleureuse, augurant d’un nouveau départ pour une humanité plus juste et plus confiante.

Pierre Lurçat

Le livre est disponible uniquement sur Amazon.

Les demandes de service de presse sont les bienvenues : pierre.lurcat@gmail.com

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Ils ont lu "Un parapluie pour monter jusqu'au ciel", de Liliane Lurçat

March 2 2021, 13:49pm

 

“Ce livre vous donne un coup dans l’estomac. C’est un document extraordinaire, avec une grande force littéraire”.

Michel Gurfinkiel

 

“Un très beau livre”.

 

Monique Naccache, Times of Israel

 

“Il y a dans ce livre de Liliane Lurçat une acuité du regard qui le rapproche des caricaturistes… et les portraits qu’elle fait défiler en quelques coups de crayon alertes sont hauts en couleurs. Les portraits de ses parents sont des petits chefs-d’œuvre qui intègrent le physique, le psychologique et le sociologique, un peu comme Honoré Daumier”.

 

Olivier Ypsilantis, Zakhor Online

 

“Les souvenirs de Liliane Lurçat sont écrits au présent, ce qui leur donne un rythme rapide et presque haletant…”

 

Liliane Messika, Mabatim.info

 

“Très beau récit auto-biographique, d'une époque où de nombreux quartiers de Paris étaient encore populaires. Petite histoire qui s'inscrit dans la grande, on rit volontiers à des situations décrites avec simplicité. Même dans une époque très compliquée, il reste toujours de l'espoir. A lire absolument…"

Dominique Pulejo, Amazon 

 

Ce récit, sobre et dénué de sentimentalisme, d’une jeune Juive née en Palestine, mais dont la famille a dû s’installer à Paris, faute de travail à Jérusalem, est un témoignage, à la fois réaliste et émouvant. un très beau texte à l’écriture incisive et enlevée”. 

 

Evelyne Tschirhart, Lettres d’Israël


EN  VENTE SUR AMAZON EXCLUSIVEMENT!

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Un récit de la perte et du don : Le tranchant de la lumière, d’Evelyne Tschirhart

August 13 2020, 18:49pm

Posted by Pierre Lurçat

Et soudain, au détour du sentier, la clairière s’était logée tout entière dans son regard ébloui avec, au-dessus d’elle, une large tache d’un bleu séraphin.

Alors une partie de son enfance avait surgi ; autrefois, dans la détresse de l’exil, elle avait dû trouver une forme de consolation dans ce contact nouveau avec la nature… Et, à cet instant, la nostalgie poignante de ce qui avait été une perte, en même temps qu’un don, avait fait surgir les images oubliées de Souzy, les avait révélées dans la lumière de la clairière où toutes les nuances de vert s’étageaient jusqu’au bleu”.


 

Comme tous les grands livres, on peut aborder Le tranchant de la lumière de différentes manières. A travers la quête d’une enfance perdue et retrouvée, c’est d’abord le récit poignant d’une enfant cachée pendant la Shoah, qui tente de reconstituer par les mots ce dont elle a été largement privée - une enfance marquée par la blessure de l’absence d’une mère internée à Drancy, disparue sans qu’elle sache si elle reviendrait un jour (“Faut-il donc toujours craindre de voir disparaître ceux qu’on aime?”). Mais le drame de la séparation et de la disparition (provisoire) de la mère n’est qu’un aspect du livre. 

 

En même temps que la perte, comme l’écrit l’auteur, il y a le don, que l’enfant saura faire vivre et fructifier. Ce don concomitant à la perte, il est tout d’abord celui d’un regard acéré sur le monde environnant. Très jeune, l’enfant recueillie par une tante et confiée à une nourrice en Essonne apprend ainsi à poser un regard étonné et curieux sur la nature qui l’entoure. Dans ce regard attentif, souvent émerveillé, on voit naître la vocation future de l’artiste, qui saura un jour faire revivre, sur sa pellicule ou sur la toile, les premières impressions de l’enfant qu’elle a été.

 

Si elle avait eu besoin de ce retour, ce n’était pas seulement pour revoir des lieux décisifs de son enfance qu’elle avait en partie enfouis. C’était aussi pour ressaisir dans son corps le sens si particulier de leur éclat. C’était bien cet éclat qu’elle avait recherché ou simplement reconnu par la suite, au cours de ses déambulations, à travers la photographie ou la peinture, sans toujours pouvoir en désigner l’origine. Il lui avait permis de voir les choses avec une intensité et une vérité qui l’apaisaient”.

 

 

Le “tranchant de la lumière”,  c’est aussi  cette omniprésence de la lumière et de son caractère insaisissable que la narratrice du livre tente de saisir, avec ses mots, avec son appareil photo, et de fixer sur le papier, par l’écriture et par la photographie. Car le photographe, tout comme l’écrivain, s’efforce d’immobiliser ce qui est par définition mouvant et instable : la réalité du monde qui nous entoure, tout comme celle du souvenir et du vécu intérieur. Les pages évoquant le village, les descriptions de la nature paisible et de la vie à la campagne sont parmi les plus belles du livre. La troisième dimension du livre (mais il y en a d’autres encore), c’est celle de la redécouverte de l’identité juive. 

 

Le livre s’ouvre ainsi sur la vision de l’église du village, qui surgit majestueuse, au-dessus du champ de maïs. Quand la narratrice retrouve la maison de sa tante, où elle a passé une partie de la guerre après l’internement de sa mère, le nom de la  rue des Fèves lui fait penser à la galette des Rois, ce “gâteau d’Epiphanie”. “La maison de tante Suzanne, c’était cette graine d’Epiphanie longtemps enfouie et qui germait en cet instant dans la douce chaleur de l’émotion”... Les références chrétiennes sont toujours présentes, de manière plus ou moins visible, dans cette terre de France qui demeure imbibée de son passé et de son histoire.

 

Les platanes, photo Evelyne Tschihart


 

Dans les dernières pages, le narrateur se trouve à Jérusalem, et elle se laisse guider par la foule jusqu’au “Mur des Lamentations”. “Ida ignorait à peu près tout de la religion de ses ancêtres, mais elle se sentait pourtant profondément imprégnée de cette ferveur qui s’exprimait là… Les mots de la prière lui manquaient mais sa fidélité à ce peuple était intacte et sereine, pour les suppliciés, pour sa mère, pour la transmission qui avait tant manqué et pour ce peuple qui vivait, ici et maintenant, dans sa fierté retrouvée”. Ainsi, le périple de la narratrice sur les traces de son séjour d’enfant caché en Essonne se double d’un autre voyage, à la fois extérieur et intime, en quête de son identité juive. C’est à Jérusalem qu’elle trouve une réparation au manque de la famille maternelle, dans ce voyage qui est “à la fois un retour aux sources et un moment d’apaisement”. Un très beau livre.

Pierre Lurçat

 

Evelyne Tschirhart, Le tranchant de la lumière, éditions Terra Cota 2013.

Site de l’auteur : http://www.tschirh-art.com/

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