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bibliotheque sioniste

"Tout le contraire d'un fasciste" : (re)découvrir Jabotinsky, Pierre Lurçat

December 26 2021, 09:05am

Posted by Pierre Lurçat

A l'occasion de la "Conférence Jabotinsky sur le sionisme" qui aura lieu cet après-midi à Jérusalem, en présence du Président de l'Etat Itshak Herzog, je publie l'interview que j'ai accordée à BokerTov Yeroushalayim.

 

Aujourd’hui je poste une interview de Pierre Lurçat qui nous fait découvrir dans son dernier ouvrage la pensée de Jabotinsky sur le rapport entre le Judaïsme et l’Etat. Pour ce faire Pierre Lurçat a traduit ses textes : Questions autour de la tradition juive, et  Etat et religion. Pierre Lurçat a fait précéder sa traduction d’une importante préface Etat et religion dans la pensée du Rosh Betar*, préface bien nécessaire pour aborder la pensée complexe de Vladimir Zeev Jabotinsky, qui fut une figure des plus marquantes du sionisme et que très peu connaissent réellement.

 

Hanna :
Pierre Lurçat, pourriez-vous tout d’abord vous présenter et nous dire comment en êtes-vous venu à vous intéresser à la pensée de Jabotinsky ?

Pierre Lurçat :
Je vis depuis 1994 à Jérusalem, où ma mère était née en 1928. Mes grands-parents venaient de Cracovie et de Bialystok, et mon grand-père a fait partie du Gdoud ha-Avoda et des Chomrim. Mon histoire familiale me prédisposait donc à monter en Israël. De plus, j’ai milité au Tagar, mouvement sioniste étudiant jabotinskien, pendant plusieurs années avant mon alyah. Mais je n’ai vraiment découvert la pensée de Jabotinsky que bien plus tard, à l’occasion d’une conférence donnée par son petit-fils à Jérusalem.
C’est alors que j’ai entamé la traduction de son autobiographie. Plus tard, j’ai découvert ses écrits et entrepris leur traduction, dans le cadre de la Bibliothèque sioniste que j’ai fondée l’an dernier, dans le but de mettre à la disposition du public francophone les grands textes des principaux théoriciens et dirigeants sionistes. J’ai déjà publié deux recueils de textes de Jabotinsky, consacrés à sa pensée sociale et à ses conceptions en matière de religion.

Hanna :
Pourriez-vous nous décrire les principales étapes de la vie de Jabotinsky?

Pierre Lurçat :
Enfant terrible du sionisme russe, il a – un peu comme Theodor Herzl – renoncé à une carrière littéraire pour se consacrer entièrement à la cause juive découverte à l’occasion des pogromes de Kichinev. Plus tard, à l’orée de la Première Guerre mondiale, il a eu l’intuition géniale qu’il fallait que le mouvement sioniste – et à travers lui, le peuple Juif – prenne une part active à la guerre, et qu’il devait s’allier aux Puissances alliées (Grande-Bretagne et Russie) et non pas aux Empires centraux.
C’est ainsi qu’il a été amené à créer la Légion juive, première force armée se battant sous un drapeau juif depuis l’époque des Makabim. Le corps des Muletiers de Sion puis les bataillons juifs (Gdoudim ha-Ivriim) qui se sont battus à Gallipoli et en Eretz Israël (campagne à laquelle Jabotinsky a lui-même participé en tant que lieutenant) ont joué un rôle important dans l’obtention de la Déclaration Balfour.
Plus tard, Jabotinsky a fondé le Betar, mouvement de jeunesse et incarnation de son idéal du “Nouveau Juif”, puis le mouvement sioniste révisionniste, qui entendait revenir aux principes fondamentaux du sionisme, qui avaient été selon lui délaissés par l’exécutif sioniste depuis la mort de Herzl. Dans la dernière période de sa vie, “Jabo” a parcouru inlassablement les bourgades juives de Pologne, en exhortant les Juifs à partir avant qu’il ne soit trop tard… Lui-même est décédé à New York, en 1940, à l’âge de 60 ans.

 

Jabotinsky's Lost Moment: June, 1940 - The Tower - The Tower

Jabotinsky passant en revue un Misdar du Betar, NY 1940

Hanna :
Jabotinsky est né à Odessa, ville ouverte, et non pas dans un shtetl de la zone de résidence où étaient assignés les Juifs. Pensez-vous que le caractère cosmopolite de cette ville a joué dans son approche du sionisme mais aussi peut-être dans sa conception des relations entre le peuple juif et les autres peuples? 

Pierre Lurçat :
Effectivement, il a été marqué de manière très durable par l’atmosphère très particulière d’Odessa, comme il le raconte dans son autobiographie et aussi dans son roman Les cinq. Odessa était une ville portuaire, ouverte à toutes sortes d’influences étrangères, et une ville cosmopolite. Jabotinsky a conservé toute sa vie l’amour de sa ville natale, dans laquelle il n’est pas revenu à l’âge adulte, tout comme il a été influencé par sa période italienne, qualifiant l’Italie de “patrie spirituelle”.
A la différence des dirigeants sionistes issus de la “Zone de résidence” et du shtetl, Jabotinsky avait une conception beaucoup plus simple des rapports entre le peuple Juif et les autres nations. C’est ainsi qu’il a pu se lier d’amitié avec des dirigeants anglais, français ou ukrainiens, entretenant des relations d’égal à égal, sans aucun “complexe juif galoutique”…

 

Ryanair to hit the tarmac in Odessa

Odessa

Hanna :
Dans sa jeunesse, Jabotinsky est influencé par les idées socialistes. Il prône lui aussi une nécessité de la réparation du monde, le tikoun olam. A-t-il été en contact avec Théodore Herzl, lui aussi mû par l’impératif de mettre fin au malheur des Juifs? Bien que ce ne soit pas le sujet de ce livre, pourriez-vous nous dire quelques mots sur ce qu’il appelait la rédemption sociale?

Pierre Lurçat :
Sa brève rencontre avec Herzl, lors du 6e Congrès sioniste, a plutôt été une rencontre manquée, même s’il reconnaît être tombé en admiration devant le fondateur du mouvement sioniste. Effectivement, il partage avec Herzl l’idée qu’il faut normaliser la condition juive pour mettre fin au “Judennot”, le malheur juif ancestral.
Ses idées sociales et économiques, auxquelles j’ai consacré le premier volume de la Bibliothèque sioniste (La rédemption sociale), sont inspirées de la Bible hébraïque, dont il était un lecteur assidu et qu’il considérait comme le trésor national du peuple Juif et pas seulement comme un texte “religieux”. A l’instar de Herzl ou de Moïse, il avait été frappé par la misère du peuple Juif et son programme sioniste visait non seulement à régénérer le peuple Juif sur le plan national, mais aussi sur le plan économique et social. Dans ses “éléments de philosophie sociale de la Bible hébraïque”, il soutient ainsi l’idée qu’il faut remettre en vigueur le concept biblique du Yovel (Jubilé) afin de réduire les inégalités et de mettre fin à la pauvreté.

Hanna :
Pourriez-vous nous parler de sa rupture avec les idées de Marx et de cet élément spirituel primordial qu’il ajoute aux fameux moyens de production de Marx?

Pierre Lurçat :
A Rome, où il avait étudié le droit dans sa jeunesse, Jabotinsky avait été un temps inspiré par les théories marxistes, dont certains de ses professeurs étaient partisans. Plus tard, il a compris que la doctrine du matérialisme historique comportait une lacune énorme, du fait qu’elle négligeait totalement l’élément spirituel. Comme il l’explique dans son Exposé sur l’histoire d’Israël, “de tous les moyens de production, le premier et le plus important est le mécanisme spirituel”.
Jabotinsky entend par cette expression ce qui donne à chaque peuple sa spécificité, sa “ségoula” pour employer la notion de la Bible. A cet égard, et de manière très caractéristique de sa pensée, “Jabo” ne considère pas le peuple Juif comme étant “supérieur”, puisqu’il affirme que chaque peuple possède sa propre “ségoula”, son propre mécanisme spirituel qui lui donne son caractère unique et qui lui permet de contribuer à la richesse de l’humanité, constituée de peuples multiples et divers. Nous sommes ici très éloignés des utopies actuelles concernant une humanité délivrée des nations…

Hanna :
 Pour beaucoup Jabotinsky est assimilé à un fasciste. Sachant qu’un état fasciste est un état dictatorial qui ne laisse aucune place à la liberté humaine, comment Jabotinsky voit-il l’état idéal?

Pierre Lurçat :
Jabotinsky est tout le contraire d’un fasciste ! En effet, comme je l’explique dans le recueil État et religion, son idéal est un “État minimaliste”, qui se contenterait d’offrir à ses citoyens les services et les protections sociales indispensables, tout en laissant à l’individu la liberté maximale. Comme l’explique Jabotinsky : “Au commencement, Dieu a créé l’individu…. La société a été créée pour le bien des individus et non le contraire…” Ceux qui le qualifient de “fasciste” ou de partisan d’un État autoritaire n’ont rien compris à sa pensée, ou ne l’ont tout simplement pas lu.

Hanna :
Dans sa jeunesse, sa compréhension du judaïsme est très claire. Il écrit à l’âge de 25 ans que : l’exil a fait mourir le judaïsme…Le judaïsme a permis de conserver en vie l’identité nationale mais ce trésor caché n’est pas la religion elle-même. Mais dans les années 30, il a complètement changé. Il veut introduire la tradition juive dans la sphère publique. Parlez-nous de ses rapports avec le rav Kook…

Pierre Lurçat :
Effectivement, le changement d’attitude de Jabotinsky envers la religion est étroitement lié à ses rencontres et notamment à l’influence du rabbin Kook, qu’il n’a pas rencontré en personne mais par lequel il a été marqué au moment de l’affaire Stavsky. Quand le rabbin Kook a pris publiquement la défense des trois jeunes militants du Betar – injustement accusés du meurtre de Hayim Arlosoroff – Jabotinsky a compris que le judaïsme était une “force vive”, comme il l’a écrit, et non pas une “momie”. Son admiration pour le rav Kook (qu’il qualifie de “Cohen Gadol”) s’est accompagnée d’une évolution considérable de ses conceptions concernant la religion, que je décris en détail dans le livre État et religion.

Rav Kook Archives – Tradition Online

Le rav Kook

Hanna :
Bien que ce ne soit pas le sujet de ce livre, vous écrivez que Jabotinsky s’est montré très lucide sur le sujet crucial des relations avec les Arabes. Il a compris très tôt qu’on ne pourrait parvenir à un règlement qu’en nous montrant inflexibles, mais en prenant aussi au sérieux les revendications et l’identité arabe. Donc, pour ceux qui rêvent encore aux accords d’Oslo, pourriez-vous expliquer en quoi ils furent une erreur tragique ? Et en quoi les accords d’Abraham sont différents ?

Pierre Lurçat :
L’idée fondamentale développée par Jabotinsky, notamment dans son fameux article sur le “Mur de fer”, est que la paix ne pourra venir tant que nos ennemis caresseront l’idée de nous expulser ou de nous anéantir militairement (ou conjointement par des moyens politiques et militaires, comme le souhaitait Arafat à l’époque des accords d’Oslo). Ainsi, le rêve de la paix est conditionné par la capacité d’endurance et de dissuasion d’Israël…
Ce réalisme pessimiste s’accompagne d’un profond respect de Jabotinsky pour l’identité nationale arabe, conforme à sa conception de la nation que nous avons évoquée plus haut. A cet égard, toute notion d’un compromis territorial est illusoire, parce qu’elle méconnaît l’idée essentielle que le peuple Juif est revenu sur sa terre et qu’il n’est pas un intrus en Eretz Israël. J’ajoute que, si la doctrine du “Mur de fer” est souvent considérée comme l’inspiratrice de la doctrine stratégique de Tsahal, les développements actuels et la construction d’un mur autour de Gaza, tout comme le “Dôme d’acier” me semblent éloignés des idées de Jabotinsky, en ce qu’ils sont des mécanismes purement défensifs, qui empêchent Tsahal de reprendre l’offensive. Comme l’avait écrit Jabotinsky, le peuple Juif n’a pas encore atteint le stade du militarisme… Nous sommes encore empreints de la mentalité galoutique et du désir de vivre en paix à tout prix.

Hanna :
Dans son article du 25/6/1937, Jabotinsky écrit que la question essentielle est : de distinguer qu’est ce qui est sacré et qu’est ce qui n’est que l’enveloppe du sacré ?
Pensez-vous que nos sages d’aujourd’hui se préoccupent assez de séparer le sacré de son enveloppe sans craindre le libre exercice de la pensée du chercheur ?

Pierre Lurçat :

C’est une question complexe… Effectivement, Jabotinsky a développé une conception des rapports entre État et religion dans laquelle l’affirmation du caractère juif de l’État dans la sphère publique s’accompagne de la plus grande liberté individuelle dans la sphère privée. La citation à laquelle vous faites référence, qui clôt son article “La tradition religieuse juive” et que j’ai placée en conclusion du recueil État et religion, exprime en quelque sorte le “testament spirituel” de Jabotinsky sur ce sujet.
Il est évidemment demeuré loin de toute orthodoxie religieuse, fidèle à l’esprit libéral “odessite” dans lequel il a grandi, mais cela ne l’empêche nullement d’écrire, dans le même article, que le futur “État idéal, lumière pour les nations” aura trois piliers, sur lesquels seront gravés respectivement la Bible hébraïque, la Michna et le Rambam*… Ceux qui présentent Jabotinsky comme un Juif assimilé, voire comme un ennemi de la religion, n’ont décidément rien compris !
Pour en revenir à votre question, je dirai que le débat public en Israël demeure encore trop focalisé sur de vaines oppositions et simplifications, et que les partisans d’un “État de tous ses citoyens” coupé de ses racines nous empêchent parfois de nous occuper de la tâche essentielle, celle de faire revivre et de développer la Tradition d’Israël, en l’adaptant à la vie nationale.

J’ai lu le livre de Pierre Lurçat d’une traite et puis je l’ai repris doucement car chaque phrase me parlait

Je vous souhaite une bonne lecture!

EN VENTE SUR AMAZON ET DANS LES LIBRAIRIES FRANCAISES D'ISRAEL

A bientôt,

*Le Rambam: Maimonide

https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2021/12/25/vladimir-zeev-jabotinsky/

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Jabotinsky et le rav Kook : la “rencontre” de deux géants, Pierre Lurçat

August 22 2021, 11:51am

Posted by Pierre Lurçat

 

A l’occasion du Yahrzeit du rabbin Avraham Itshak Hacohen Kook, qui a été célébré le 3 Eloul, je publie ici un extrait inédit du nouveau livre de Jabotinsky, Questions autour de la tradition juive, qui paraît ces jours-ci. J’y évoque l’influence décisive qu’a eue sur Jabotinsky la prise de position courageuse du rav Kook dans l’affaire Arlosoroff. P. Lurçat

 

 

L’homme de l’avenir, l’homme entier, auquel aucun sens ne manquera, sera “religieux”. Je ne sais pas quel sera le contenu de sa religion ; cependant il sera porteur du lien vivant entre son âme et l’infini qui l’accompagnera partout où il ira”. (Jabotinsky, De la religion)

 

Le pronostic formulé par Jabotinsky selon lequel “l’homme entier sera religieux”, marque une évolution marquante de sa pensée, depuis celle exprimée trente ans plus tôt dans son article Le sionisme et Eretz Israël. Que s’est-il passé entretemps ? Comment le jeune dirigeant sioniste russe, convaincu que la religion n’est plus aujourd’hui qu’un “cadavre embaumé”, en est-il venu à y voir une dimension importante de la personnalité humaine, aux côtés de la musique et de l’art ? Les raisons de cette évolution radicale sont multiples. Mentionnons tout d’abord le cheminement personnel de Jabotinsky, qui a mûri et a eu le temps d’approfondir sa réflexion sur de multiples domaines. Le leader sioniste endurci qui s’exprime en 1935 n’est évidemment pas le jeune homme fougueux de 25 ans.

 

Le second facteur est celui des rencontres qu’il a faites et des personnes qui l’ont marqué, parmi lesquelles on peut mentionner le rabbin Falk, qui servit comme aumônier militaire dans les rangs des Muletiers de Sion, mais aussi et surtout le grand-rabbin Avraham, qui exerça une influence importante sur l’idée que Jabotinsky se faisait du judaïsme et de la religion. Dans une lettre adressée en juin 1934 à Nathan Milikovsky, qui n’est autre que le grand-père de Benjamin Nétanyahou, Jabotinsky parle en ces termes du rabbin Kook : “Le nom du rabbin K. est devenu en l’espace d’une nuit un symbole sublime dans le cœur des foules. Et moi-même, en toute humilité, si je n’étais pas totalement ignorant des choses de la Tradition, craignant de m’exprimer sur les sujets religieux, je choisirais précisément cet instant pour lancer publiquement un appel dont je rêve depuis l’époque de ma jeunesse : renouveler, de nos jours, le titre de « Cohen Gadol » (Grand-Prêtre)”.



 

 

Le rav Kook : le “Cohen Gadol”

Jabotinsky : un “ange descendu du ciel”



 

De son côté, le rabbin Kook, selon certains témoignages, aurait qualifié Jabotinsky “d’ange de Dieu” . Les deux qualificatifs sont assez forts et inhabituels, tant dans la bouche de Jabotinsky que dans celle du rabbin Kook, pour mériter qu’on y prête attention. Comment ces deux hommes, que tout séparait en apparence et qui ne se sont selon toute évidence jamais rencontrés, en sont-ils venus à se porter une telle estime réciproque ? La réponse à cette question est liée à un événement qui a joué un rôle important non seulement dans l’histoire politique du Yishouv, l’affaire Arlosoroff, mais aussi dans l’évolution des conceptions de Jabotinsky  concernant la place de la religion juive dans le futur État juif, et des rapports entre État et religion en général. 

 

Lorsque le dirigeant sioniste travailliste Haïm Arlosoroff est assassiné sur une plage de Tel-Aviv le 16 juin 1933, la presse et les dirigeants du Yishouv accusent immédiatement – et sans la moindre preuve – le Betar. Trois militants sont arrêtés, sur la base d’un témoignage obscur de la veuve d'Arlosoroff et l’un d’eux, Avraham Stavsky, est condamné à mort. Jabotinsky  est d’emblée convaincu qu’il s’agit d’une fausse accusation et il œuvre sans relâche pour obtenir l’acquittement de Stavsky, qu’il compare dans des articles à Mendel Beilis (Juif ukrainien accusé de crime rituel en 1911). Dans ce combat, Jabotinsky  reçoit le soutien décisif du grand-rabbin de Palestine mandataire, Avraham I. Hacohen Kook. Ce dernier prend courageusement la défense des accusés, s’exposant à la vindicte des journaux et partis de gauche, qui l’insultent et dont certains (comme l’Hashomer Hatzaïr) n'hésitent pas à couvrir le pays d’affiches proclamant “Honte au pays dont les rabbins soutiennent des assassins”!  

 

 

Très impressionné par l’intervention du rabbin Kook, Jabotinsky  écrira plus tard, dans une lettre adressée au rabbin Milikowski, organisateur du comité de défense des accusés, “Vous ne pouvez pas estimer la valeur de cette action… Outre son rôle décisif pour faire triompher la justice dans l’affaire Stavsky, elle aura des conséquences profondes et essentielles sur l’orientation politique et spirituelle du public hébreu en Eretz-Israël et en diaspora. Un exemple : j’ai déjà reçu plusieurs lettres demandant que je propose, lors de notre prochain Congrès mondial, une motion spéciale concernant les rapports entre l’Hatsohar (Organisation sioniste révisionniste) et la tradition religieuse”.

 

Ainsi, de l’aveu même de Jabotinsky, c’est l’intervention du rabbin Milikovsky qui suscita le changement d’orientation de son mouvement, attaché à une laïcité militante, et son évolution vers une attitude plus favorable à la tradition juive. Un an plus tard, en 1935, lors du Congrès fondateur de la Nouvelle Organisation sioniste, Jabotinsky accueille avec sympathie “l’Alliance de Yéchouroun”, courant sioniste-religieux qui vient de s’intégrer au sein du parti révisionniste, malgré la vive opposition de plusieurs membres de la Vieille Garde du parti, au rang desquels figurent Adia Gourevitz (fondateur du mouvement cananéen) et son propre fils, Eri Jabotinsky. 

 

Dans son discours prononcé devant le Congrès de la N.O.S., Jabotinsky  déclare : “Bien entendu, la religion est l’affaire privée de chacun… Dans ce domaine doit régner la liberté absolue, héritée de l’ancien libéralisme sacré… Mais ce n’est pas une question privée de savoir si le Mont Sinaï, les prophètes sont des fondements spirituels ou une momie dans une vitrine de musée, comme le corps embaumé de Pharaon…” Et il poursuit : “C’est une question essentielle et supérieure pour un État et pour notre nation, de veiller à ce que le feu sacré perpétuel ne s’éteigne pas… pour que soit préservée, au milieu du tumulte des innombrables influences qui entraînent la jeunesse de nos jours, et qui la trompent parfois et l’empoisonnent, cette influence qui est une des plus pures – l’esprit de Dieu ; pour qu’un espace subsiste pour ses partisans et une tribune pour ses promoteurs”...

 

Pierre Lurçat

 

Jabotinsky, Questions autour de la tradition juive, précédé de “État et religion dans la pensée du Roch Betar”. La Bibliothèque sioniste 2021. En vente sur Amazon.

 

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La Haggada de Jabotinsky : Les quatre fils

March 25 2021, 09:55am

Posted by Jabotinsky

 

Il existe une coutume juive ancestrale, lorsque l’on raconte la Sortie d’Egypte pendant la “nuit du Seder”, de considérer quatre fils, tous différents : le sage, le méchant, le naïf et celui qui ne sait pas interroger. Et il convient de répondre à chacun dans cet ordre, selon son caractère et sa faculté de compréhension.

 

Le fils sage fronce avec curiosité son front saillant, interroge de ses grands yeux et s’efforce de comprendre. Pourquoi les Egyptiens aimaient-ils tout d’abord nos ancêtres, les accueillaient à bras ouverts, puis se sont mis à les opprimer et à les maltraiter?...

 

Le second fils, le méchant, est assis avec nonchalance, croisant les jambes, montrant les dents d’un air moqueur et demande : “Quels sont ces coutumes et ces souvenirs bizarres que vous évoquez? Il aurait mieux valu oublier ces bêtises!”

 



 

Le troisième fils est innocent. Ses yeux expriment la droiture. Il ne fait pas partie de ceux qui aiment interroger, cherchant des contradictions. Le monde est simple à ses yeux ; il aime croire avec une foi primitive. A cet égard, Samson aussi était un homme innocent… “Père ! demande-t-il, Père! Quand notre situation s’améliorera-t-elle?”

 

Parle lui de la jeunesse juive dans les collèges de Berlin et de Vienne, de ces fils de commerçants juifs assimilés, qui portent avec fierté sur la poitrine les couleurs nationales : blanc, comme la neige dans notre “vallée des pleurs” ; bleu, comme vous, horizons enchanteurs ! Jaune, comme notre disgrâce.

 

Raconte lui comment le dramaturge parisien à succès et l’aubergiste pauvre de Galicie, habitué à trembler de peur face au “Pan” polonais, proclament à la face du monde: “Je suis Juif !”. Parle lui de ces poètes extraordinaires qui écrivent désormais dans notre langue, et combien celle-ci est belle et riche, et combien est heureux le peuple qui possède une telle langue…

 

Jabotinsky avec sa femme et leur fils Eri.

 

Le quatrième fils ne sait pas interroger. Il assiste au “seder” avec politesse et fait ce qu’on attend de lui, et il ne lui vient pas à l’idée de demander pourquoi ni comment… Sur ce point, je suis en désaccord avec la Haggada. La curiosité est une chose précieuse, mais il existe parfois une sagesse encore plus grande, un sens suprême, par laquelle l’homme accepte les choses transmises du passé comme allant de soi, sans demander quelles en sont les raisons et les conséquences. Cette sagesse doit être préservée.

 

Cette sagesse est avant tout celle de l’homme des foules juives. Le Juif plein d’amertume, pauvre d’apparence, cordonnier, tailleur, marchand ambulant, drapier, scribe, petit épicier… Celui qui gémit et qui lutte pour sa subsistance, mais le soir du shabbat, ce sont lui et ses semblables qui remplissent les synagogues… Il agonise mais ne meurt pas, va à sa perte mais n’est pas perdu, et s’attache aux mitsvot comme l’ont fait ses ancêtres, presque sans y penser, avec indifférence, avec cette foi inconsciente qui est sans doute plus chère à Dieu que l’extase.

 

Selon la tradition, tu dois raconter à ce fils tout ce qu’il ne sait pas demander. Mais à mon avis, il vaut mieux que le père aussi se taise, se contente d’embrasser le front - sans dire un mot - de ce fils, qui fait partie des plus fidèles parmi les gardiens de notre foi sacrée.

 

Z. Jabotinsky

 

N.d.T. Publié en russe dans les Odeyskaïa Novosti, avril 1911. Les extraits traduits ci-dessus depuis l’hébreu, inédits en français, illustrent la relation riche et complexe que Jabotinsky entretenait à l’égard de la Tradition juive. Celle-ci, tout comme ses conceptions sociales et économiques originales exposées dans son livre La rédemption sociale, sont bien différentes de l'image qu'on présente généralement du père fondateur du sionisme de droite. Le prochain tome de la Bibliothèque sioniste abordera la question des rapports entre État et religion vus par Jabotinsky.

P.Lurçat

 

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Quand “Jabo” lisait la Bible : La pensée économique et sociale du fondateur du sionisme révisionniste

March 7 2021, 11:00am

Posted by Pierre Lurçat

Il y a de nombreuses manières de lire la Bible hébraïque, le Tanakh, mais on peut les regrouper toutes dans deux catégories. La première est celle des lecteurs qui la considèrent comme un livre décrivant des événements du passé. L’Ancien Testament des catholiques, la Bible des tenants de la “Science du judaïsme” où celle des rabbins réformés participent de cette tendance, mais également celle de certains Juifs orthodoxes qui s’abstiennent de toute joie en souvenir des victimes de l’épidémie à l’époque de Rabbi Aqiba (après la destruction du Second Temple), mais qui mettent leur vie et celle des autres en danger, en négligeant les mesures de protection contre la pandémie du Covid-19… La seconde manière de lire la Bible est celle de ceux qui y voient un Livre vivant (Torat Haïm), qui s’adresse au lecteur de chaque génération et dont les prescriptions sont toujours actuelles, plus de 3300 ans après le don de la Torah sur le Mont Sinaï. 

 

Jabotinsky - tout comme Herzl avant lui - appartient à cette seconde catégorie. Il lit la Bible hébraïque non comme un livre d’histoire ou comme un récit mythique, mais “comme le livre de l’Histoire nationale juive par excellence, et il en fait une source d’inspiration essentielle de ses idées politiques”. Je publie ici les premières pages du livre inédit de Jabotinsky, La rédemption sociale, que j’ai le plaisir et l’honneur de publier en français ces jours-ci. Ce livre, premier tome de la Bibliothèque sioniste, est dédié à la mémoire de Jacques Kupfer. Je l’ai connu à la fin des années 1980, au siège du Betar, boulevard de Strasbourg. C’est de lui que j’ai entendu pour la première fois le nom de Jabotinsky. J’étais déjà trop âgé pour appartenir au Betar et porter la Tilboshet, même si j’ai milité pendant plusieurs années au Tagar, branche étudiante du Betar. 

 

Je me souviens avec émotion des réunions avec Jacques, de la rédaction du journal Alerte auquel je participais comme lui sous différents nom de plume.. Comme tous ceux qui ont croisé son chemin, j’étais impressionné par ses multiples talents d’orateur, d’écrivain, de dirigeant et d’organisateur. Mais je me souviens en particulier qu’il nous donnait l’impression de vivre en compagnie des héros du sionisme, qui n’étaient pas pour nous des noms sur le papier, mais de véritables compagnons de lutte… Comme l’écrit Jabotinsky au sujet du colonel Patterson, qui “se sentait chez lui dans le monde de la Bible hébraïque”, Jacques se sentait chez lui dans le monde du Tanakh, dans le monde de Jabotinsky, des premiers Betari, des Olei hagardom, de Shlomo ben Yossef et des martyrs du Lehi et de l’Irgoun… 

 

Le secret du Betar que Jacques nous a transmis résidait à mes yeux dans cela: nous vivions avec ces héros. Mon militantisme sioniste a pris fin avec mon alyah en 1993, mais je revoyais Jacques régulièrement, au Yom Hébron ou ailleurs, sur le mont Herzl à l’occasion du Yahrzeit de Jabotinsky. Ce n’est que bien plus tard que je me suis intéressé plus sérieusement aux écrits de Jabotinsky, après avoir entendu son petit-fils à Jérusalem, et que j’ai entamé leur traduction en français. Mais je n’ai jamais oublié à qui je devais mon sionisme jabotinskien. Je dédie ce livre à Jacques Kupfer. Que sa mémoire soit bénie.

 

Jacques Kupfer z.l.

 

La pensée économique et sociale de Jabotinsky occupe une place particulière dans son œuvre, consacrée essentiellement aux questions politiques et à la situation du peuple Juif en Eretz-Israël et en exil. Elle n’est exposée de manière exhaustive et systématique dans aucun livre, ni même dans un recueil. On la trouve éparse dans quelques discours et articles, et notamment dans les Éléments de philosophie sociale de la Bible, dans La rédemption sociale et dans L’idée du Yovel, trois textes regroupés dans le livre que je viens de publier (1). Considéré dans sa prime jeunesse comme un écrivain prometteur (Maxime Gorki avait dit que sa conversion au sionisme fut une perte irréparable pour la littérature russe), Jabotinsky n’a guère eu le loisir de mettre à profit ses talents d’homme de lettres, sinon pour aborder les nécessités impérieuses de l’actualité, même s’il a publié - outre ses nombreux articles - deux romans et une autobiographie inachevée (2). 

 

Le “Saint des Saints” de l’univers de Jabotinsky

 

Le fondateur du Betar et de la Légion juive a littéralement donné sa vie au mouvement sioniste et à l’édification de l’État juif dont il n’a pas vu le jour, étant resté comme Moïse, sur l’autre rive…(3)  Et pourtant, les questions sociales et économiques n’ont cessé de le préoccuper. Son traducteur Moshé Bella pose la question de savoir ce qui motivait le plus Jabotinsky, du “pathos politique” ou du “pathos social”, et il observe que la question de la “réparation de la société” (Tikkoun ha-hévra) n’a jamais laissé de répit à l’âme sensible de Jabotinsky (4). Effectivement, dans le Panthéon intérieur du Roch Betar et dans son univers intime, la question de la justice sociale et de la réforme économique - à laquelle il n’a guère pu consacrer tout le temps qu’il aurait souhaité - occupait une place centrale. Elle était, selon ses propres termes, le “Saint des Saints” de son Temple intérieur. 


 

Avant d’aborder succinctement la pensée économique et sociale de Jabotinsky, il convient de faire une remarque préliminaire concernant la place qu’occupe la Bible dans la pensée sioniste moderne. Beaucoup a été dit sur le caractère utopique de la société juive décrite par Herzl, le “Visionnaire de l’État”, dans son ouvrage programmatique, L’État juif et dans son roman politique Altneuland. Homme du dix-neuvième siècle, Herzl croyait au progrès nécessaire de l’humanité, et son utopie est le fruit des conceptions de son époque (Paul Giniewski le compare judicieusement à Jules Verne, autre grand utopiste). Le rapprochement entre Herzl et Jabotinsky est instructif, à cet égard comme à beaucoup d’autres. Si le premier est un homme du siècle du Progrès et de la Science, le second (né en 1880) est bien un homme du vingtième siècle, celui des guerres meurtrières et des totalitarismes. (Il faut cependant nuancer l’idée d’un Herzl totalement optimiste, car lui aussi a eu la prescience d’une catastrophe à venir (5)). 

 

Partisan d’un retour à Herzl – dont il se considéra toute sa vie comme le continuateur – Jabotinsky a apporté à l’idée sioniste la dimension militaire qui faisait défaut à la pensée du “Visionnaire de l’État”. Mais les deux grands théoriciens du sionisme ont aussi lu la Bible, et tous deux l’ont prise au sérieux. Contrairement aux rabbins réformés (qui furent, avec beaucoup de rabbins orthodoxes, les pires adversaires du sionisme au sein du monde juif) et à beaucoup d’autres lecteurs de la Bible à leur époque, Jabotinsky, comme Herzl, lit la Torah non comme un récit mythique, mais comme le livre de l’Histoire nationale juive par excellence, et il en fait une source d’inspiration essentielle de ses idées politiques. Ces dernières s’expriment ainsi dans son roman Samson, où il fait une lecture audacieuse des événements de la période des Juges. Mais c’est surtout sa pensée économique et sociale qui est très largement fondée sur sa lecture de la Bible hébraïque, le Tanakh.

 

 

La pensée sociale biblique de Jabotinsky

 

Jabotinsky avait passé ses années de jeunesse à Rome, où il fut exposé aux conceptions socialistes, notamment par le biais de son professeur Antonio Labriola (6), comme il le relate dans son autobiographie : “Toutes mes conceptions relatives aux problèmes nationaux, de l'État et de la société se sont forgées au cours de ces années, sous l'influence italienne ; c'est là-bas que j'ai appris à aimer l'architecture, la sculpture et la peinture... À l'université, mes maîtres étaient Antonio Labriola et Enrico Feri (7). J'ai conservé la croyance en la justesse du régime socialiste, qu'ils ont semée dans mon cœur, comme quelque chose allant de soi, jusqu'à ce qu'elle soit détruite de fond en comble par l'expérience rouge en Russie”. 

 

L’influence socialiste exercée par ses professeurs de l’université de Rome s’est prolongée durant son activité de journaliste, alors qu’il couvrait l’actualité parlementaire en assistant aux séances de la Chambre des députés, au Palais Montecitorio (8). “A la tête de la gauche se trouvait le groupe parlementaire socialiste, auquel je me joignis en pensée, même si je n’y suis jamais entré de manière officielle, ni en Italie, ni en Russie. Son programme final, la nationalisation des moyens de production - me semblait alors comme une conclusion logique et souhaitable du développement de la société” (9). Comme d’autres dirigeants et intellectuels juifs russes à son époque (10), Jabotinsky avait été durablement marqué par le spectacle de la misère des Juifs en Russie, qu’il décrit dans son roman Les Cinq, en partie autobiographique. 

 

Ses articles concernant la question sociale été écrits dans les années 1930, au lendemain de la grande crise de 1929, qui avait conduit Jabotinsky à réfléchir aux questions économiques et sociales. Il avait lui-même connu de près, non certes la pauvreté, mais une vie de gêne, après le décès de son père - sa mère s’étant privée pour offrir à ses deux enfants des études supérieures - et bien plus tard, dans sa vie adulte, quand il donnait une partie conséquente de ses revenus de journaliste au mouvement sioniste révisionniste. C’est donc tout naturellement qu’il avait pu penser que la “classe ouvrière” serait le porte-drapeau des pauvres et qu’elle pourrait parler en leur nom et améliorer leur sort. 

 

Mais cet espoir fut déçu et Jabotinsky dut vite déchanter, sur ce sujet comme sur d’autres points clés de la doctrine marxiste, après la Révolution d’octobre en Russie, en découvrant ce qu’il a appelé le “contenu égoïste du concept de classe”. L’évolution qu’a connue Jabotinsky sur ce point - et son rejet définitif de toute conception socialiste - tiennent tout autant à sa réflexion sur les questions économiques et politiques qu’à sa conviction, profondément ancrée, que tous les hommes naissent et demeurent égaux. Brièvement séduit par les idées socialistes et pacifistes dans sa jeunesse, il en est très vite revenu pour élaborer sa doctrine sioniste, marquée par le concept de ‘Hadness (« un seul drapeau »), qu’il oppose au Sha’atnez (mélange de laine et de lin proscrit par la Bible) que représente à ses yeux le sionisme socialiste. 

 

 

C’est en effet dans la Bible hébraïque que Jabotinsky trouve le fondement de toute sa philosophie économique et sociale, qu’il résume dans la notion de Tikkoun Olam (réparation du monde) (11). Comme il l’explique, “Dieu a certes créé le monde tel qu’il est, mais que l’homme se garde bien de se satisfaire que le monde reste toujours “tel qu’il est” - car il est tenu de s’efforcer à tout moment de le perfectionner… car si Dieu y a laissé de si nombreuses lacunes – c’est précisément pour que l’homme lutte et aspire à la “réparation du monde” . L’idée de Tikkoun Olam vue par Jabotinsky trouve son application dans l’impératif de combattre la pauvreté, qui est à ses yeux non pas tant un mal inévitable qu’un mal inutile, qu’il incombe de faire disparaître en “réparant” le monde. 

 

L’extrême sensibilité du “Roch Betar” à la misère sociale l’amène à élaborer le programme des “Cinq Mem”, exposé dans son article La rédemption sociale et inspiré en partie d’un Juif viennois, Joseph Popper-Lynkeus (12), auteur d’un livre intitulé L’obligation alimentaire générale. D’après le programme de Popper-Lynkeus, l’État a l’obligation de libérer les citoyens, riches ou pauvres, de trois obligations essentielles : l’alimentation, l’habillement et l’habitation. Jabotinsky reprend ce programme à son compte, en y ajoutant l’éducation et la santé. C’est en cela qu’on a pu dire que Jabotinsky était le précurseur de l’État-providence moderne. (A suivre…)

Pierre Lurçat

 

(1) Extrait de ma préface au livre de Jabotinsky, La rédemption sociale, que je viens de publier en français. Disponible uniquement sur Amazon.

(2) Les Cinq, éditions des Syrtes 2006, Samson le Nazir, éd. des Syrtes 2008, Histoire de ma vie, Les provinciales 2011, traduction et présentation de Pierre Lurçat.

(3) Il est mort en 1940 à New-York.

(4) M. Bella,  Jabotinsky, ha-Ish oumishnato, Misrad Habitahon 1980 p. 253.

(5) Voir sur ce sujet, Y. Nedava “Les fondateurs du sionisme et la vision de la Shoah”, in Between the Visions, Rafael Hacohen éd. (hébreu).

(6) Philosophe et homme politique italien (1843-1904), contribua à diffuser le marxisme en Italie.

(7) Criminologue et homme politique italien (1856-1929).

(8) Il est intéressant de noter que Herzl avait lui aussi été correspondant parlementaire, au Palais Bourbon, comme il le relate dans son livre Le Palais Bourbon, tableaux de la vie parlementaire. Ainsi, les deux grands théoriciens du sionisme politique ont tous deux été marqués par la vie politique de deux grandes démocraties de l’époque.

(9) Histoire de ma vie, op. cit. page 32.

(10) Voir notamment la description faite par Zalman Shazar, Etoiles du matin, Albin Michel.

(11) Jabotinsky emploie ici la notion de Tikkoun Olam, qui a depuis lors été souvent utilisée à des fins politiques, notamment au sein de la gauche juive radicale aux Etats-Unis. Voir mon article “ Ruth Bader Ginsburg, Israël et le “Tikkun Olam” : la falsification d'un concept juif”.

(12) Ingénieur et écrivain autrichien (1838-1921).

 

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