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Ce que m'avait dit Yariv Levin: « rendre le pouvoir au peuple d’Israël » Pierre Lurçat

February 21 2023, 09:00am

Posted by Pierre Lurçat

Ce que m'avait dit Yariv Levin: « rendre le pouvoir au peuple d’Israël »  Pierre Lurçat

Contrairement à une "fake news" véhiculée par certains médias israéliens, l'actuelle réforme menée par le ministre de la Justice ne sort pas de nulle part, et n'a rien à voir avec le procès intenté à Benjamin Nétanyahou. Elle a été longtemps et soigneusement préparée par l'actuel ministre de la Justice, Yariv Levin, qui m'en avait parlé dans l'interview qu'il m'avait accordée en janvier 2012, il y a tout juste 11 ans. Je republie ici l'article paru dans Israël Magazine P.L.

Par une froide journée de janvier, je me suis rendu à la Knesset pour rencontrer Yariv Levin, représentant de la « jeune garde » du Likoud qui a fait parler de lui récemment en proposant plusieurs textes de lois sur des questions sensibles, comme l’élection des juges à la Cour suprême ou la lutte contre le boycott d’Israël. Malgré son image de député très combattif et activiste, c’est un homme affable, au discours posé et réfléchi. Il se présente comme le « législateur le plus actif » au sein du Likoud – ayant initié ou participé à la rédaction de nombreuses propositions de lois sur des sujets aussi importants que la protection du patrimoine foncier, les conditions de détention trop faciles faites aux terroristes ou la suppression des droits sociaux de l’ex-député félon Azmi Bishara. Rencontre avec un homme politique qui veut donner, enfin, le pouvoir réel – et pas seulement la majorité à la Knesset – à la droite israélienne.

Yariv Levin me reçoit dans son bureau de président de la « Commission de la Knesset ». C’est un député relativement jeune (il a 43 ans) issu d’une famille politiquement engagée : les parents de sa mère faisaient partie de l’Irgoun, et l’oncle de celle-ci, Eliahou Lenkin, était le commandant de l’Altalena, le fameux bateau affrété par l’Irgoun qui fut bombardé, avec sa précieuse cargaison d’armes destinées aux combattants de la guerre d’Indépendance et des dizaines de Juifs à bord – dont plusieurs survivants de la Shoah – sur l’ordre du commandant du Palma’h, un certain Itshak Rabin… Le « Sandak » lors de la circoncision de Yariv Levin n’était autre que Menahem Begin, à l’époque chef de l’opposition et futur Premier ministre.

Avec de tels antécédents, il n’est pas étonnant que Levin ait attrapé très jeune le virus de la politique ! Il a en effet débuté son activité publique alors qu’il était étudiant, après avoir servi dans les Renseignements militaires (où il a dirigé un cours de traduction de l’arabe au sein de l’armée). Après avoir exercé la profession d’avocat,  il a été élu vice-président du Barreau d’Israël, ce qui lui a permis de connaître de l’intérieur le monde judiciaire. C’est sans doute une des raisons qui l’ont amené à se pencher de près sur le dossier brûlant de l’élection des juges à la Cour suprême. Il y a quelques semaines encore, Levin déclarait ainsi que cette institution, souvent considérée comme le fleuron de la démocratie israélienne, avait été accaparée par « une minorité de groupuscules d’extrême-gauche qui voulaient imposer leurs valeurs à la société tout entière… »

Pour changer cette situation, il s’est attaqué à la racine du problème : le système d’élection des juges à la Cour suprême, qui explique que la majorité des juges représentent le courant laïc de gauche, alors qu’il n’y a presque aucun juge religieux ou habitant de Judée Samarie… La question de l’élection des juges n’est pas purement technique, car comme me l’explique Yariv Levin, sous la présidence du juge Aharon Barak, la Cour suprême s’est attribué des compétences exorbitantes, au mépris du principe de séparation des pouvoirs, essentiel au fonctionnement de la démocratie. A ses yeux, Barak incarne la « dictature juridique ». Sous sa présidence, la Cour suprême a ainsi voulu transformer Israël en « État de tous ses citoyens », en effaçant progressivement le caractère juif de l’État.

Un autre sujet qui l’occupe est celui du boycott et de la délégitimation d’Israël sur la scène internationale. A cet égard, il a initié une loi pour retirer tout financement public aux organismes qui soutiennent le boycott. Comme me l’explique Yariv Levin, « la majorité du peuple en Israël penche vers la droite, mais la gauche et l’extrême-gauche bénéficient du soutien de pays étrangers ». L’exemple le plus criant est celui du rapport Goldstone, dont toutes les accusations mensongères ont été formulées par des groupuscules israéliens financés par l’Union européenne ! Face à ces interventions intolérables dans la politique israélienne, Levin œuvre sans relâche pour rendre à Israël sa souveraineté et son indépendance.

Rendre à Israël sa souveraineté

Le point commun entre tous les combats qu’il mène est le constat qu’il faut rendre le pouvoir au peuple, qui en a été dépossédé par plusieurs facteurs, parmi lesquels il cite notamment la bureaucratie, les médias, la Cour suprême et l’intervention de pays étrangers dans la vie politique israélienne. « Il ne suffit pas d’être au pouvoir », résume Levin. « Il faut rendre à la Knesset les compétences qui lui ont été prises par le pouvoir judiciaire et par la bureaucratie ». Un exemple de cette situation est celui des conseillers juridiques, qui ont acquis au cours des dernières décennies un pouvoir grandissant, au point que « les conseillers juridiques des ministres sont devenus les véritables décideurs », ce qui est en totale contradiction avec le principe de séparation des pouvoirs et l’essence de la démocratie.

En conclusion de notre entretien, je demande à Yariv Levin si Jabotinsky, le père fondateur de la droite israélienne, et Menahem Begin ont encore une place dans la vie politique actuelle. Il me répond sans hésiter de manière affirmative : « Il est réjouissant de voir qu’après avoir été longtemps mis à l’écart et oublié, Jabotinsky est aujourd’hui très présent dans la vie politique ». Levin affirme trouver dans les écrits de « Jabo » une source constante d’inspiration pour son action. 

Jabotinsky, qui était un grand démocrate, avait évoqué jadis la possibilité qu’un citoyen arabe soit vice-président du futur État juif. « Mais il n’avait évidemment pas pensé à quelqu’un comme Hanin Zouabi », ironise Levin, faisant allusion à la députée arabe qui était montée sur le bateau  terroriste Marmara. Très actif dans la défense des citoyens druzes israéliens, Levin s’oppose farouchement à la reconnaissance de droits nationaux pour les Arabes palestiniens. Il a aussi promu la loi sur le référendum, pour que tout abandon de souveraineté sur une partie d’Israël soit soumis à un vote populaire. 

Yariv Levin: « rendre le pouvoir au peuple d’Israël » - Israel Magazine

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CONFERENCE EXCEPTIONNELLE!

LES ENJEUX DE LA RÉFORME JUDICIAIRE EN ISRAËL 

Pour connaître les enjeux de la réforme judiciaire actuelle, il est indispensable de connaître son contexte historique et notamment celui de la « révolution constitutionnelle » menée par le Président de la Cour Suprême Aharon Barak dans les années 1990.

Pierre Lurçat, juriste, écrivain et essayiste, expliquera au cours d’une conférence la situation actuelle au regard de l’histoire du droit israélien et de celle de la Cour Suprême, le mardi 28 février à 19:00 dans les locaux de la Wizo

35, rue King Georges

Tel Aviv

PAF : 30 shekels. 

(Sans réservation)

 Venez nombreux poser vos questions

Photo de Sarah Nisani (Lurçat)

Photo de Sarah Nisani (Lurçat)

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Les médias israéliens mentent sur la réforme Levin

February 19 2023, 11:45am

Posted by Pierre Lurçat

Les médias israéliens mentent sur la réforme Levin

J'étais ce matin l'invité de Daniel Haik sur Studio Qualita pour commenter l'actualité et la réforme judiciaire en cours en Israël.

(2) Les médias israéliens mentent sur la réforme Levin - L'invité De La Rédaction Du 19 Février 2023 - YouTube

 

CONFERENCE TEL AVIV 28.2.23

LES ENJEUX DE LA REFORME JUDICIAIRE EN ISRAEL

 

Pour comprendre les enjeux de la réforme judiciaire actuelle, il est indispensable de connaître son contexte historique, et notamment celui de la “Révolution constitutionnelle” menée par le président de la Cour suprême Aharon Barak dans les années 1990. 

Pierre Lurçat, juriste, écrivain et essayiste, expliquera la situation actuelle au regard de l’histoire du droit israélien et de la Cour suprême.

 

Mardi 28 février à 19h00, dans les locaux de la WIZO 

35 Rue King Georges, Tel Aviv

PAF : 30 shekels (sans réservation)

Venez nombreux poser vos questions

 

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« Sauver la démocratie » ou rétablir le pouvoir souverain du peuple ? Trois réflexions sur la réforme judiciaire, Pierre Lurçat

January 15 2023, 15:56pm

Posted by Pierre Lurçat

(photo credit: TOMER NEUBERG/FLASH90)

(photo credit: TOMER NEUBERG/FLASH90)

 

1.

Sujet politique brûlant, la réforme judiciaire est également un dossier complexe, qu’on ne peut comprendre sans avoir quelques notions essentielles sur l’histoire juridique d’Israël et plus précisément sur son « histoire constitutionnelle »[1]. Dans le débat politique actuel, c’est souvent, hélas, la démagogie qui triomphe, au détriment du débat véritable.  Le plus grand mensonge des adversaires de la réforme judiciaire en Israël consiste ainsi à prétendre que celle-ci va « supprimer la Cour suprême », « abolir l’Etat de droit » ou « instaurer une dictature du peuple », toutes sortes d’expressions (liste partielle) qui voudraient faire croire que la réforme (qualifiée de « révolution », de « coup d’Etat » ou de « changement de régime ») a des objectifs politicides et destructeurs.

 

En réalité, la réforme menée par Yariv Levin – lequel en a élaboré les principes il y a plus de dix ans (je renvoie à l’interview qu’il m’avait accordée en janvier 2012 pour Israël Magazine) – vise principalement à rééquilibrer le système judiciaire israélien et à rétablir la séparation des pouvoirs en Israël. Elle a également pour objectif de restaurer la confiance du public dans l’institution qui fut jadis considérée comme le fleuron de la démocratie israélienne, la Cour suprême, et qui est devenue aujourd’hui une institution ultra-politisée et a perdu la confiance d’une large partie du public, en raison de l’hybris du juge Aharon Barak.

 

2.

 

Ceux qui prétendent « sauver la démocratie » contre le peuple attestent de la dévaluation significative des notions de majorité, de « vox populi » et de l’idée même de démocratie parlementaire, à laquelle nous assistons depuis plusieurs décennies en Israël et ailleurs en Occident. Il y a là un phénomène inquiétant pour l’avenir de la démocratie, qui est en réalité mise en péril par ceux-là même qui prétendent la « sauver ».

 

Comme me l’expliquait récemment Pierre-André Taguieff, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, « l'antidémocratisme contemporain est un effet du consensus antipopuliste, qui lui-même est inséparable d'un antinationalisme amalgamant et diabolisant État-nation, sentiment national, identité nationale, etc., et racisme. C'est ce que j'ai appelé naguère (début des années 1990, l'antinationisme »[2].

 

3.

 

Un des arguments souvent entendus ces dernières semaines consiste à poser la question de savoir ce qui se passera, si le gouvernement israélien vote demain une loi qui porte atteinte aux droits élémentaires d’une catégorie de citoyens ? Le « subtexte » de cette question importante étant que toute réforme qui « rogne » les ailes de la Cour suprême risque de se retourner contre les droits fondamentaux des citoyens ou d’une partie d’entre eux… La question est importante et mérite réflexion. Mais la réponse nous a en fait déjà été donnée dans l’histoire récente d’Israël.

 

En effet, quand un gouvernement démocratiquement élu a voté une loi pour expulser de leurs maisons des citoyens innocents et les priver de leurs biens légalement acquis, qu’a fait la Cour suprême ? Elle a entériné l’injustice flagrante à la quasi-unanimité (à la seule exception du juge Edmond Levy, dont la voix minoritaire sauva l’honneur de l’institution dont il faisait partie). C’était en 2006. Les citoyens en question étaient les habitants du Goush Katif.

 

Cet exemple qui mérite d’être gravé dans les livres d’histoire judiciaire d’Israël montre que le « pouvoir des juges » ne permet en rien de protéger la démocratie et les droits fondamentaux contre l’excès du pouvoir. En réalité, la probabilité que 11 juges se trompent est bien plus élevée que celle qu’un peuple tout entier vote – par le biais de ses représentants – des lois iniques. Ce qui ne veut pas dire que le peuple est incapable de se tromper, mais plus simplement que la démocratie est « le pire des régimes, à l’exception de tous les autres ». La remplacer par un « gouvernement des juges » comme l’a fait Aharon Barak ne résout aucun problème. L’enjeu actuel, comme l’explique de manière convaincante Caroline Glick, n’est pas de « sauver la démocratie » contre la réforme judiciaire, mais bien de rétablir la démocratie contre le gouvernement des juges.

Pierre Lurçat

 

[1] Je renvoie à mon long article sur ce sujet, « Comment la Cour suprême est devenue le premier pouvoir en Israël », Pardès mars 2021.

[2] Communication personnelle de l’auteur, 14.1.2023.

La synagogue de Névé Dekalim, détruite après le retrait de Gaza

La synagogue de Névé Dekalim, détruite après le retrait de Gaza

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Le juge Aharon Barak contre la démocratie, Pierre Lurçat

January 8 2023, 10:12am

Posted by Pierre Lurçat

Le juge Aharon Barak contre la démocratie, Pierre Lurçat

 

Aharon Barak a une conception bien particulière de la démocratie, du rôle du juge et de la Cour suprême israélienne. Dans l’expression « Révolution constitutionnelle », qui a été forgée par A. Barak lui-même, on oublie souvent de commenter le premier terme. Ce n’est pas un hasard s’il a été choisi par Barak pour décrire cette réalité juridique et politique, dont il a été à la fois le théoricien et le principal maître d’œuvre.

Sa biographe Naomi Levitsky, qui ne tarit pas d’éloges sur lui, observe cependant que Barak « sans être révolutionnaire de caractère, possède un instinct révolutionnaire pour tout ce qui concerne son travail juridique, au point d’avoir transformé de fond en comble chaque poste qu’il a occupé ». On ne peut qu’abonder dans son sens. En tant que procureur de l’État, Barak a effectivement transformé cette fonction, autrefois assez anonyme, pour en faire un personnage redoutable, capable d’inculper un Premier ministre en exercice et de pousser au suicide un ministre soupçonné de corruption.

À l’instar de la juge américaine Ruth Bader-Ginsburg, devenue une icône de la gauche et des médias américains, le juge Barak est un partisan de l’activisme judiciaire au service de la transformation sociétale : à ses yeux, la Cour suprême israélienne est un laboratoire de transformation de la société et de la politique israélienne. C’est ainsi que la Cour suprême est devenue un véritable pouvoir politique (le « pouvoir judiciaire »), ce qui est une aberration dans la théorie classique de la séparation des pouvoirs. Selon Montesquieu, en effet, il importe que le judiciaire devienne un véritable pouvoir dans le régime monarchique, pour empêcher de tomber dans la tyrannie. Dans un régime démocratique au contraire, le judiciaire doit s’effacer, sous peine de tomber dans le gouvernement des juges…

Or c’est bien ce qui est arrivé avec la Révolution constitutionnelle. La Cour suprême israélienne est devenue non seulement un pouvoir judiciaire, mais elle exerce aussi ce pouvoir sans aucun contre-pouvoir, et donc sans aucune limite.

 

Le langage du droit au service d’une oligarchie

La grande supercherie des tenants de la Révolution constitutionnelle consiste à parler sans cesse le langage du droit. Ils n’ont que ce mot à la bouche : l’État de droit (Shilton ha-Hok). Que veut dire au juste cette expression ? Selon Naomi Levitsky, « aux yeux de Barak, les dirigeants n’ont pas de pouvoir en eux-mêmes, ils ne l’acquièrent que du peuple et de la loi. Les dirigeants sont au service du peuple dans les limites de la loi ». Mais comme toujours, il faut lire entre les lignes ce que Barak ne dit pas.

En réalité, le peuple n’a pas de légitimité dans la conception juridico-politique de Barak. Seule la loi est légitime. Mais encore faut-il qu’elle soit interprétée par le juge qui seul est capable de la comprendre et de la « dire » au peuple ignorant… Comme il l’explicite dans ses écrits sur le rôle du juge en démocratie, le juge ne doit pas seulement appliquer ou interpréter la loi. Il est créateur de droit… En vérité, dans la conception  du droit de Barak, le juge a le dernier mot en matière d’interprétation, d’application de la loi et même en matière de législation, puisque la Cour suprême israélienne s’est arrogé le pouvoir exorbitant (qui ne lui a jamais été conféré légalement) d’annuler toute loi de la Knesset, y compris des Lois fondamentales (affaire en cours concernant la Loi sur l’État nation).

 

La régression antidémocratique de la Révolution constitutionnelle

Dans une démocratie, la loi exprime la volonté populaire et la souveraineté du peuple. Dans la conception de Barak, au contraire, la loi reste l’apanage d’une minorité « éclairée », seule capable et méritoire de l’interpréter et de la comprendre. Il y a là une immense régression anti-démocratique, passée inaperçue en 1992 et dont nous voyons aujourd’hui les fruits. Ce n’est pas seulement que la loi soit devenue trop « technique », comme on l’entend souvent dire dans les pays occidentaux, c’est aussique le peuple est par nature incapable de comprendre et de faire la loi!

On mesure ici combien la Loi juive, révélée par Moïse au peuple tout entier, est infiniment plus démocratique que le droit israélien réinterprété par Aharon Barak lors de la Révolution constitutionnelle : la loi révélée au Sinaï était accessible au plus élevé des Prophètes comme à la dernière des servantes, comme l’enseigne la Tradition juive. Chez Barak et ses partisans, au contraire, seul le « juge éclairé » est capable de comprendre la Loi…

Aharon Barak est, on le voit, le contraire d’un démocrate. Il revendique ouvertement une conception élitiste et oligarchique, et presque monarchique de la politique. À ses yeux, un « souverain éclairé » vaut mieux qu’une majorité aveugle (En cela, il a été un précurseur… Que nous disent en effet aujourd’hui les manifestants anti-Nétanyahou, avec leur slogan « Tout sauf Bibi », sinon que la majorité se trompe et qu’elle n’a pas le droit d’imposer ses vues à une minorité éclairée ?).

 

(Extrait de mon article “Comment la Cour suprême est devenue le premier pouvoir en Israël, paru dans la revue Pardès, no. 67 2021).

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Israël et le Mont du Temple : une double erreur politique et psychologique

January 3 2023, 11:44am

Posted by Pierre Lurçat

 

A l’occasion de la montée “surprise” du ministre Ben Gvir sur le Mont du Temple ce matin que j'ai évoquée au micro de Daniel Haïk sur Studio Qualita, je publie ici un extrait de mon livre Israël, le rêve inachevé portant sur ce sujet crucial.

50 ans après la libération et la réunification de la ville par les parachutistes de Tsahal en juin 1967, le cri de Motta Gur, “Har habayit bé-yadénou” (le Mont est entre nos mains) reste encore lettre morte.

Au-delà des raisons historiques et politiques qui ont engendré la situation actuelle sur le lieu le plus sacré du judaïsme, celle-ci résulte aussi d’un présupposé psychologique, largement erroné, qui est emblématique de l’attitude d’Israël envers l’islam.

L’erreur de Moshé Dayan et de ses successeurs

En remettant les clés du Mont du Temple au Waqf jordanien, Moshé Dayan pensait éviter un conflit ouvert avec le monde musulman et désamorcer le “baril de poudre” que représentait à ses yeux ce lieu sacré.

Moshé Dayan sur le Mont du Temple, juin 1967

Moshé Dayan sur le Mont du Temple, juin 1967

Cette conception est demeurée inchangée jusqu’à ce jour, et elle est partagée grosso modo par tous les dirigeants israéliens qui se sont succédé depuis 50 ans.

Or cette conception des rapports entre Israël et le monde musulman est fausse, car elle repose sur un présupposé erroné, qu’on pourrait résumer ainsi : si nous renonçons à asseoir notre souveraineté pleine et entière sur le Mont du Temple, les musulmans comprendront que nos intentions sont pacifiques et nous laisseront tranquilles.

C’est un présupposé similaire qui est à la base de la (fausse) conception selon laquelle Israël pourrait parvenir à la paix avec les Arabes en leur “restituant” des territoires (“les territoires contre la paix”).

Or, l’expérience des 30 dernières années montre que c’est précisément le contraire qui s’est produit. Le monde arabe et musulman n’a pas exprimé sa reconnaissance à Israël pour sa générosité (retraits du Sinaï, du Sud-Liban, de larges parties de la Cisjordanie et de Gaza) et pour la liberté de culte dont jouissent les fidèles musulmans sur le Mont du Temple.

Bien au contraire, il a fait de la question de Jérusalem et des Lieux saints un point de discorde et un prétexte pour enflammer régulièrement la rue arabe, le slogan mensonger des Frères musulmans “Al-Aqsa est en danger” étant devenu un leitmotiv de la politique palestinienne* et un prétexte employé par de nombreux dirigeants arabes pour détourner la colère de leurs peuples des problèmes internes et la diriger contre Israël.

La haine que nourrissent de nombreux musulmans à l’encontre d’Israël et des Juifs n’est en effet pas nourrie, comme on l’entend souvent dire, par leur soi-disant humiliation, mais tout autant et plus encore par celle qu’ils infligent aux Juifs, qui alimente leur complexe de supériorité envers les “Infidèles”.

Le Coran est lui-même traversé par cette relation ambivalente de l’islam envers les non-musulmans**. D’un côté, ils sont les représentants des religions qui persistent dans l’erreur, en refusant le message de Mahomet, et qu’il convient donc de rabaisser, pour les punir de leur obstination ; de l’autre, ils sont ceux qui “complotent contre l’islam” depuis ses débuts, et dont il faut se méfier.

Ils sont à la fois méprisables et redoutables. Les musulmans sont certes “la meilleure communauté qu’on ait fait surgir pour les hommes” (Coran 3-110), mais ce sentiment de supériorité (qui n’a rien à voir avec l’idée juive d’élection, entendue comme un supplément de responsabilité), s’accompagne toujours d’une peur maladive des infidèles et des sombres desseins qu’ils sont supposés nourrir envers l’islam.

Dans ce contexte, l’attitude d’Israël sur le Mont du Temple est une double erreur, psychologique et politique.

Psychologiquement, elle renforce les musulmans dans leur complexe de supériorité, en les confortant dans l’idée que l’islam est destiné à dominer les autres religions et que ces dernières ne peuvent exercer leur culte qu’avec l’autorisation et sous le contrôle des musulmans, c’est-à-dire en étant des “dhimmis”.

Politiquement, elle confirme le sentiment paranoïaque de menace existentielle que l’islam croit déceler dans toute manifestation d’indépendance et de liberté de ces mêmes dhimmis à l’intérieur du monde musulman.

Paradoxalement, la souveraineté juive à Jérusalem est perçue comme une menace pour l’islam précisément de par son caractère incomplet et partiel : les Juifs sont d’autant plus considérés comme des intrus sur le Mont du Temple, qu’ils n’y sont pas présents à demeure et qu’ils y viennent toujours sous bonne escorte, comme des envahisseurs potentiels.

L’alternative à cette situation inextricable et mortifère consisterait, comme l’avait bien vu l’écrivain et poète Ouri Zvi Greenberg, à asseoir notre souveraineté entière et sans partage sur le Mont du Temple, car “celui qui contrôle le Mont contrôle le pays”.

Ce faisant, Israël signifierait au monde musulman que sa présence sur sa terre est permanente et non pas provisoire, et que les Juifs revenus sur leur terre ne sont pas des “croisés”, destinés à être chassés à plus ou moins longue échéance : ils sont les maîtres et les souverains à Jérusalem, comme à Hébron et ailleurs, et ils sont là pour y rester.

Une telle attitude pourrait libérer les musulmans de leur complexe d’infériorité-supériorité en leur signifiant que Jérusalem est hors de portée pour leurs aspirations de faire renaître un hypothétique Califat et que leur seul choix est d’accepter la coexistence pacifique avec un Israël fort et souverain.

Pierre Lurçat

* Voir « Al Aqsa en danger ! » : une calomnie nazie palestinienne, par Pierre Lurçat

** Sur cet aspect, essentiel, du conflit entre Israël et l’islam, je renvoie notamment au livre d’Anne-Marie Delcambre, La schizophrénie de l’islam (Desclée de Brouwer 2006).

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Déconstruire ou réparer le monde? La pensée d’Israël face aux dérives idéologiques actuelles

December 27 2022, 14:46pm

Déconstruire ou réparer le monde? La pensée d’Israël face aux dérives idéologiques actuelles

 

שלמות עבודתם של ישראל היא

 "לתקן עולם במלכות ה´

 

 

Dans un essai revigorant récemment paru[1], l’historien des idées Pierre-André Taguieff retrace la généalogie du concept de “déconstruction”, aujourd’hui tellement banal et utilisé si souvent qu’on a presque oublié son contenu radical. Remontant aux origines de la pensée “déconstructionniste”, Taguieff évoque notamment Nietzsche et Heidegger, Foucault et Derrida, Deleuze ou encore Lévi-Strauss. Nietzsche a-t-il été le grand “déconstructeur” ? Le philosophe de Sils Maria n’était sans doute pas aussi radical que ses lointains héritiers actuels, comme le montre Taguieff.

 

L’intérêt principal de son livre n’est toutefois pas seulement dans son aspect historique et généalogique, mais aussi dans ce qui lui donne sa brûlante actualité : la description du magma idéologique contemporain, où wokisme, théorie du genre et autres élaborations intellectuelles aussi folles que dangereuses font converger leurs efforts dans une entreprise de démolition généralisée.

 

Le monde est empli d’idées devenues folles”. Jamais l’observation de Chesterton n’a été aussi vraie qu’aujourd’hui. La “déconstruction” est en effet depuis longtemps sortie des universités pour faire de la société globalisée et de l’humanité tout entière son laboratoire. Elle ne se limite plus actuellement aux théories politiques (déconstruire l’Etat, la nation ou l’histoire) mais a pris pour cible les domaines encore plus essentiels et fondateurs de la civilisation que sont la famille, la différence sexuelle ou la filiation. Jadis exercice intellectuel, la déconstruction apparaît de plus en plus comme une tentative de saper les fondements mêmes de notre humanité commune.

 

Mais – c’est sans doute l’un des paradoxes de notre époque – l’élan destructeur de ces théories issues des campus américains et européens se heurte à des résistances de plus en plus fortes, attestant que l’homme du vingt-et-unième siècle n’est pas encore devenu le spécimen d’un “post-humanisme” ou d’une nouvelle forme d’humanité à laquelle certains aspirent. Il résiste, en s’arc-boutant sur les piliers encore bien solides du temple de la civilisation occidentale, qui tremble sur ses bases, fait parfois mine de s’effondrer, mais est encore bien debout. Si nous savons que les civilisations sont mortelles, nous savons aussi qu’elles peuvent parfois se ressaisir, sortir de leur torpeur et de leur état maladif pour retrouver une seconde jeunesse. C’est cet espoir ténu et fragile qui anime les pages qui suivent.

 

Le vingtième siècle a été celui des grandes destructions. Auschwitz a marqué le glas d’une époque de la civilisation occidentale, comme l’ont observé bien des écrivains et des penseurs, mais cela ne signifie pas nécessairement que l’Occident est mort et enterré. Ceux qui se hâtent de proclamer la fin d’un monde n’ont souvent aucun nouveau monde à proposer en remplacement… Peut-être le temps est-il venu, après celui du doute et du soupçon qui ont donné naissance à tant de théories destructrices, de reconstruire. Non pas, comme ce fut le cas de bien des promesses illusoires, en levant l’étendard d’une nouvelle révolution, qui prétendrait créer un monde nouveau sur les ruines de l’ancien monde, mais plus modestement, en semant les graines d’un espoir renouvelé dans l’homme et en plantant les arbres pour faire “refleurir le désert”. (à suivre…)

 

Pierre Lurçat

 

[1] P.A. Taguieff, Pourquoi déconstruire ? Origines philosophiques et avatars politiques de la French Theory, éd. H&O 2022.

”Un formidable parcours philosophique… Une méditation sur le sens de nos vies”.

Marc Brzustowski, Menorah.info

 

“Une réfexion profonde sur des questions essentielles, comme celle du rapport de l'homme au monde et la place de la parole d'Israël”.

Emmanuelle Adda, Radio RCJ

 

“Une analyse claire et percutante  de la définition de l’humain dans le monde actuel”

Maryline Médioni, Lemondejuif.info

 

Lurçat, dans son bel exposé, en appelle à bien des penseurs : Aristote, Maïmonide, Husserl, Bonnefoy, Proust, Arendt, Levinas, Henri Baruk, Fondane, Benamozegh, Nietzsche, Huxley… Remarquable!”

Jean-Pierre Allali, Crif.org


 

 

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Rencontres israéliennes : Robin Twite, un Anglais à Jérusalem

December 18 2022, 13:52pm

Posted by Pierre Lurçat

Robin Twitte (photo P Lurçat)

Robin Twitte (photo P Lurçat)

Robin Twite est un Anglais aussi « british » qu’on peut l’imaginer en regardant la série The Crown, qui parle avec l’accent d’Oxford et a des manières d’authentique gentleman, mais qui a pour particularité d’habiter à Jérusalem. C’est là que j’ai fait sa connaissance il y a quelques années et qu’il me reçoit, dans son appartement de la Colonie allemande. Les étagères de son salon sont remplies d’objets venant des différents pays qu’il a visités pendant sa carrière de diplomate – Sri Lanka, Inde, Ethiopie, etc. Pourtant rien ne le prédestinait à faire une carrière diplomatique, ni à venir s’installer en Israël. Le parcours de Robin Twite, qui porte bien ses 91 ans, droit comme un « I », est plein d’aventures et de « hachga’ha pratit » (Providence).

 

« Je suis né à Rugby, petite ville de 40 000 habitants. J’étais un bon élève, aussi j’ai reçu une bourse pour aller à l’université. J’étais le premier membre de ma famille à aller à l’université. Mon père était technicien et pendant la guerre, il travaillait dans une usine de radars. Nous habitions près de Coventry, la première ville anglaise qui a été bombardée par la Luftwaffe. Mon père avait construit un abri dans le jardin… J’allais à l’école avec un masque à gaz, et lorsque j’ai vécu la Première Guerre du Golfe en Israël, j’étais le seul à savoir immédiatement comment mettre un masque à gaz… »

 

Robin me parle de ses études à Oxford, où la plupart des élèves venaient de milieux bien plus fortunés que le sien. Sa première petite-amie avait un arbre généalogique remontant quatre cents ans en arrière, jusqu’au roi d’Écosse… et elle avait été présentée à la Reine (comme dans « Downton Abbey »). Il a étudié l’histoire moderne, en espérant être admis au Foreign Office, mais ses opinions de gauche l’ont fait écarter. Il a ensuite travaillé dans l’édition, avant d’être admis au British Council, grâce à une rencontre providentielle dans un train… Lors de son entretien d’embauche, on lui a demandé s’il préférait aller en Italie, en Irak ou en Israël. Robin a choisi Israël, sans hésiter, et sans savoir que c’était le début d’une longue histoire d’amour.

 

Rien ne le prédestinait pourtant à venir travailler en Israël. « Je n’avais rencontré aucun Juif avant mon service militaire, durant lequel je fis la connaissance de plusieurs Juifs habitant le quartier populaire d’East End. À Oxford, j’avais aussi rencontré le champion d’échecs israélien Rafi Persitz ». Le choix d’Israël n’avait rien d’évident pour un jeune diplomate anglais. « Les meilleurs étaient envoyés en Inde, au Soudan ou au Kenya. Israël était considéré comme un pays de second choix… »

 

Robin évoque maintenant Israël de la fin des années cinquante, tel qu’il l’a connu lors de son premier séjour, entre 1958 et 1962. « C’était un pays pauvre… Il venait d’intégrer quelque 600 000 nouveaux émigrants, doublant sa population. La période de “Tsena” (pénurie) venait juste de s’achever et on ne trouvait pas grand-chose dans les magasins. Heureusement, il y avait le magasin de l’ambassade, où on trouvait du vin, du dentifrice et… du jambon. La Histadrout était comme un État dans l’État. La plupart des ministres venaient du kibboutz ».

 

Il me raconte ses rencontres avec plusieurs personnalités de premier plan, dont l’ancien Premier ministre David Ben Gourion. « À cette époque, on ne trouvait pas de livres étrangers en Israël. Le British Council avait organisé une exposition avec 8000 livres en anglais à Bet Sokolov, à Tel Aviv. Elle avait été inaugurée par le ministre des Affaires étrangères. Le lendemain, je suis tombé nez-à-nez avec Ben Gourion, qui voulait voir les livres d’archéologie. Il les a regardés attentivement, a feuilleté un livre sur le Sinaï et s’est exclamé ‘’C’est faux !’’. Quelques années plus tard, alors qu’il venait d’être limogé, je l’ai croisé sur la route de Sdé Boker. C’était un jour de pluie, il marchait le long de la route, solitaire. Il venait de perdre sa femme Paula ». Plus tard, Robin s’est lié d’amitié avec Ygal Allon, et avec l’archéologue Ygal Yadin. « Un homme remarquable, plein d’énergie. Je l’ai accompagné à Massada. Il n’aurait jamais dû accepter d’entrer en politique ».

 

Je l’interroge sur les différences entre Israël d’alors et celui d’aujourd’hui. « La Shoah était encore omniprésente… Dans l’autobus, on voyait les numéros sur l’avant-bras des rescapés… Un jour, j’étais allé à Bershéva pour rencontrer le directeur de l’éducation local. Il m’avait reçu dans sa maison à Omer et m’avait fait visiter son “jardin”, qui comportait quelques buissons et deux ou trois plants de rosiers. Je l’ai félicité par politesse, et il m’a raconté que lorsqu’il était à Auschwitz, il s’était promis que s’il s’en sortait, il aurait un jour un jardin avec des fleurs… » En me racontant cette anecdote vieille de plus de 50 ans, Robin a les larmes aux yeux...

Pierre Lurçat

SUITE DANS LE DERNIER NUMERO D'ISRAEL MAGAZINE

Avec la Reine Elisabeth II (photo Collection privée)

Avec la Reine Elisabeth II (photo Collection privée)

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VICTOR SOSKICE - Le héros de mon adolescence, Pierre Lurçat

June 26 2022, 13:23pm

Posted by Pierre Lurçat

 

J’étais parti sur les traces de Victor, héros mort à l’âge de vingt-deux ans qui avait joué un rôle essentiel dans la vie de mon père, sans savoir ce que j’allais trouver en chemin. Tout avait commencé par une photo, mystérieuse et fascinante ; celle d’un jeune homme au beau visage d’un ovale parfait, les cheveux blonds tirés en arrière, le regard légèrement rêveur. J’avais longtemps vu cette photo exposée dans le bureau de mon père, sans vraiment la regarder. Elle faisait partie du paysage familier de mon adolescence, comme celles de mes grands-parents ou des cousines de ma mère, mortes en déportation.

Il y avait d’un côté la famille de ma mère : mon grand-père Joseph, que je n’avais pas connu, mais dont le portrait en ‘Halouts, vêtu de l’habit de bédouin comme les pionniers de son époque en Israël, avait hanté les rêves de mes dix-sept ans, au point que j’avais voulu mettre mes pas dans les siens. Ma grand-mère Chaya, que j’avais connue au crépuscule de sa vie, femme usée par le travail physique (elle vendait des ballots de vêtements sur les marchés de la région parisienne) et par le chagrin du décès de son mari, dont elle était restée à jamais inconsolable. Et les cousines Fanny et Florette, mortes à Auschwitz à la fleur de la jeunesse.

 

Du côté paternel, il y avait le cousin Victor, qui avait sauvé mon père de la noyade lorsqu’il était enfant. Mes grands-parents paternels, que je n’avais pratiquement pas connus – ils étaient morts l’un après l’autre à quelques mois d’intervalle, lorsque j’avais trois ou quatre ans – ne m’intéressaient guère. Pendant des années, presque des décennies, j’avais oblitéré la branche paternelle de ma famille, celle dont je portais le nom, pour me construire une identité dont mes ancêtres paternels étaient exclus. Sans doute était-ce la conséquence de ma double origine (mais n’est-ce pas le lot de tout un chacun ?) qui m’avait porté à préférer le côté maternel. A l’âge où l’on se construit une identité et une famille – en faisant le tri de ceux parmi ses ancêtres, réels ou imaginés, à qui l’on veut ressembler – j’avais opté délibérément et exclusivement pour le côté maternel, celui des sœurs Shatzky et de mon grand-père, Joseph Kurtz, en rejetant les Lurçat.

 

Seul Victor faisait exception (au point que j’avais longtemps pensé que, si j’avais un fils, il porterait son prénom). Pourquoi ? Parce qu’il avait sauvé mon père, et sans doute plus encore parce qu’il me rattachait lui aussi, par son destin tragique de soldat mort à vingt ans, à l’époque héroïque de la Deuxième Guerre mondiale, tellement plus passionnante à mes yeux d’adolescent que celle des années 1980 dans laquelle je vivais. Nous appartenions, ma sœur Irène et moi, à la génération née au cœur des années opulentes et tranquilles de la fin des années soixante – point d’orgue de ces Trente Glorieuses qui n’avaient rien de glorieux à mes yeux, car j’avais grandi dans le sentiment de confort et d’ennui inspiré par l’idée que l’Histoire, la vraie, avait pris fin dans les ruines de Berlin en 1945.

 

Aux yeux de l’enfant que j’étais, tout ce qui se rapportait à la guerre (la seule qui m’intéressait, car celle de 1914 était trop lointaine et beaucoup moins romantique) était teinté de couleurs riches et flamboyantes, comme les romans de Dumas que j’avais lus et relus ; je m’identifiais aux héros anonymes de la Résistance, aux soldats du débarquement sur les plages d’Utah et d’Omaha Beach, aux évadés des camps de prisonniers en Allemagne. Ils peuplaient mon panthéon personnel, bien avant que j’y fasse entrer les héros du ghetto de Varsovie et ceux de la renaissance de la nation juive.

 

Chaque mercredi, je feuilletais les pages de l’Officiel des spectacles, à la recherche d’un film de guerre qui me ferait palpiter le cœur, autant que La Grande évasion ou Le Jour le plus long – les deux films-culte de mon adolescence. Dans la librairie de la rue Racine où ma mère m’emmenait souvent, je n’avais d’yeux que pour le rayon consacré à la guerre et à la Résistance (c’était, je l’ignorais alors, une librairie proche du Parti communiste). Je rêvais de faire dérailler des trains allemands, de me battre dans les maquis de Provence et de m’évader aux côtés de Steve Mc Queen d’un camp de prisonniers, dans la scène inoubliable de La Grande évasion où il saute à moto par-dessus les barbelés.

Mais le héros véritable de mon adolescence était resté cette figure mythique et presque évanescente, que j’avais connue de manière très fragmentaire par les récits de mon père, et largement imaginé. Parti en Israël, sur les traces de mon grand-père maternel, j’avais fini par oublier Victor… Jusqu’au jour où, bien des années plus tard, le hasard (ou bien était-ce le destin?) me fit rencontrer un témoin de cette époque lointaine, qui l’avait bien connu.

(Extrait de Victor Soskice, Qui sauve un homme sauve l’humanité, Editions L’éléphant / Books on Demand 2022).

En vente sur Amazon, sur B.o.D. et dans toutes les bonnes libraires

 

ECOUTER L’émission que Cathy Choukroun a consacrée au livre sur Studio Qualita

Raconter un héros et renouer avec les siens - Actuculture#345 (studioqualita.com)

 

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Conférence sous l'égide de l'OSM : Golda Meir, la femme et la légende - Dimanche 23 janvier à 19h00

January 20 2022, 18:56pm

Posted by Pierre Lurçat

J'aurai le plaisir d'évoquer la figure de Golda Meir, dans le cadre des conférences organisées par l'Organisation sioniste mondiale - département de la promotion de l'alyah - et de présenter le livre nouvellement traduit en français, La maison de mon père, troisième volume de la Bibliothèque sioniste.

La conférence  a lieu sur Zoom à 19h00 heure de Paris / 20h00 heure de Jérusalem.

Inscriptions en ligne ici

https://bit.ly/Golda_femme_et_legende

Conférence sous l'égide de l'OSM : Golda Meir, la femme et la légende - Dimanche 23 janvier à 19h00

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Pourquoi les médias ‘mentent comme ils respirent’ à propos d’Israël : La construction de l’événement dans le discours anti-israélien et antisioniste

June 29 2021, 12:43pm

Posted by Pierre Lurçat

 

Dans l’extrait qui suit de mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain, qui vient de paraître, j’analyse la distinction faite par Éric Marty à propos du récit de Sabra et Chatila par Jean Genet,  entre le fait et l’événement. Cette distinction est essentielle pour notre compréhension du discours et des mythes antisionistes.

 

Grâce à Genet, nous avons compris… ce qu’était un événement, nous avons compris qu’un événement était tout le contraire d’un fait, nous avons compris que pour qu’un événement soit, il suppose de porter en lui une dimension métaphysique - il doit, comme phénomène, toucher à l’essence de ce qu’il représente

Eric Marty

 

Tout le contraire d’un fait” - cette définition de l’événement s’applique parfaitement au récit médiatique du conflit israélo-arabe, dans lequel les faits sont constamment déformés, mutilés, obscurcis ou escamotés. Mais il ne s’agit pas tant d’une volonté délibérée de tromper (qui existe parfois), que d’une conséquence presque inévitable de la posture médiatique. En effet, comme l’écrit Marty à un autre endroit, “la déformation, la désinformation sont pratiquement totales, aussi naturelles aux médias... que le fait de respirer”. 

 

Si les médias, selon Eric Marty, “mentent comme ils respirent” à propos d’Israël, ce n’est pas, bien entendu, parce que les journalistes seraient des menteurs invétérés, mais plus prosaïquement, parce qu’ils ne se préoccupent guère des faits. lls cherchent - ou plutôt ils créent - des événements, c’est-à-dire des faits qui rentrent dans leur grille de lecture. Tout fait qui n’entre pas dans leur grille de lecture, qui ne lui correspond pas, ou qui la contredit, est évacué, éliminé, ou encore transformé et travesti pour lui correspondre. 

 

Les médias “mentent comme ils respirent” : Photo InfoEquitable

 

Ainsi, dans l’exemple de l’assassinat délibéré de la petite Shalevet Pass - le fait de cet assassinat était éliminé, pour faire place à l’événement que constituait, aux yeux du journal Le Monde ou de l’Associated Press, les “obsèques de la haine” ou les “appels à la vengeance” des Juifs de Hébron. L’événement, comme dit Marty de manière saisissante, est “le contraire d’un fait”. Dans les faits, un sniper palestinien tue un bébé juif israélien. Mais ce fait, apparemment limpide dans sa cruauté et sa barbarie, donne lieu pour les médias à la création d’un événement contraire, qui est le prétendu appel à la haine des Israéliens. 

 

Bien entendu, on pourrait offrir une lecture moins radicale du travail médiatique, en expliquant que les médias choisissent et sélectionnent les “faits”. Selon cette autre lecture, l’événement serait simplement un fait choisi et privilégié par les médias, et non plus le contraire d’un fait. Ainsi, entre le fait de l’assassinat du bébé juif, et le fait des appels à la vengeance, ils donneraient la préférence au second, qui cadre mieux avec leur grille de lecture. Mais une telle description est bien en-deça de la réalité, comme le montre l’analyse d’Eric Marty à propos de Sabra et Chatila. 

 

Dans la relation médiatique de cet événement, il ne s’agit plus seulement de choisir et de sélectionner certains faits, mais aussi et surtout d’ériger certains faits en événements, ou plutôt de créer des événements qui n’ont qu’un rapport lointain - le plus souvent d’inversion et de négation - avec les faits. Ainsi, le fait de l’assassinat de Palestiniens par des phalangistes chrétiens devient l’événement mythique dans lequel Ariel Sharon, Tsahal, Israël, voire “les Juifs” sont les coupables de ces assassinats. L’événement Sabra et Chatila, selon cette analyse, est bien le contraire des faits qui s’y sont déroulés. Mais notre nouvelle définition de l’événement médiatique est incomplète : il comporte en effet également une dimension supplémentaire, métaphysique. 

 

Cette “dimension métaphysique” de l’événement est particulièrement saisissante dans le cas de Sabra et Chatila, où le massacre de centaines de Palestiniens par des phalangistes chrétiens est devenu un acte d’accusation contre les Juifs. En effet, poursuit Marty, “Sabra et Chatila dit peu de choses des souffrances et de l’horreur que vécurent ses victimes”, parce qu’il “est intégralement noué à la question juive, en tant qu’elle est le lieu auquel sont nouées l’angoisse du Bien et l’angoisse du Mal. Sabra et Chatila en ce sens est un événement métaphysique, auquel le scénario du bouc émissaire confère une sorte d’universalisme spectaculaire qui ne peut que fasciner la planète.

 

Pour comprendre plus précisément cette dimension métaphysique de “l’événement Sabra et Chatila”, Eric Marty nous invite à lire ce qu’il appelle la “phrase primordiale et majeure” de Jean Genet, tirée de son livre Un captif amoureux : “Si elle ne se fût battue contre le peuple qui me paraissait le plus ténébreux, celui dont l’origine se voulait à l’Origine, qui proclamait avoir été et vouloir demeurer l’Origine… la révolution palestinienne m’eût-elle, avec tant de force, attiré?” Cette phrase, effectivement, est capitale, parce qu’elle donne la clé de compréhension non seulement de l’engagement de Jean Genet, qui se livre avec sincérité et lucidité, mais aussi de celui de très nombreux autres militants antisionistes. En ce sens, on a pu dire que la “chance” des Palestiniens était d’avoir pour adversaires les Juifs.

 

Jean Genet en visite dans un camp palestinien à Amman

 

C’est à la lueur de cette affirmation capitale de Genet, qu’on comprend aussi la dimension métaphysique et mythique de Sabra et Chatila, et au-delà de cet événement, du conflit israélo-arabe dans sa totalité. L’événement Sabra et Chatila - comme la Nakba que nous avons abordée plus haut, comme l’événement Deir Yassin sur lequel nous allons revenir et comme tant d’autres événements du même acabit - ne sont en effet que les maillons d’une même chaîne ininterrompue, qui remonte à la nuit des temps (c’est précisément la définition du mythe, qui renvoie toujours aux origines). C’est toujours le même spectacle qui est rejoué indéfiniment, et chaque partie est toujours assignée au même rôle : le Juif est toujours assigné à son rôle d’assassin (assassin du Christ pour les chrétiens, assassin des prophètes pour les musulmans, assassin des Palestiniens pour le téléspectateur contemporain).

Pierre Lurçat

 

Extrait de mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain, qui vient de paraître (éditions de l’éléphant, Jérusalem, disponible sur Amazon).

 

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