Overblog
Follow this blog Administration + Create my blog
VudeJerusalem.over-blog.com

pierre lurcat

Pourquoi Israël n’a-t-il pas de Constitution ? Pierre Lurçat

April 20 2023, 09:57am

Posted by Pierre Lurçat

Pourquoi Israël n’a-t-il pas de Constitution ? Pierre Lurçat

(Extrait de mon livre Quelle démocratie pour Israël? Gouvernement du peuple ou gouvernement des juges? Editions l’éléphant 2023).

            Afin de répondre à la question de savoir pourquoi Israël ne possède pas de Constitution, examinons tout d’abord ce qu’est une Constitution. Selon une définition répandue, elle est un ensemble de règles juridiques, qui ont pour objet de définir les institutions d’un État et leurs relations mutuelles. La Constitution est par ailleurs la règle suprême, en ce qu’elle se situe au sommet de la pyramide des normes juridiques de l’État. Cette définition ne suffit pas cependant à caractériser ce qui fait la spécificité de la Constitution.

            Celle-ci n’est en effet pas seulement un ensemble de règles et un échafaudage juridique. Elle exprime également un consensus sociétal minimal sur des questions fondamentales, qui reflète les valeurs communes d’une société et d’une nation, dont elle constitue ainsi la « carte d’identité ». Ce deuxième aspect de la définition d’une Constitution est crucial pour comprendre la situation particulière du droit constitutionnel en Israël.

            Israël possède en effet un ensemble de lois dites « fondamentales », dont il est habituel de considérer qu’elles ont une valeur supra-législative et – selon certains commentateurs – quasi-constitutionnelle. Mais Israël ne possède pas de véritable Constitution en bonne et due forme, telle que nous la connaissons en France. Les raisons de cette absence sont à la fois historiques et circonstancielles, comme nous allons le voir, mais aussi plus profondes[1]. Elles tiennent en effet à l’absence d‘un consensus minimal sur les valeurs communes et sur l’identité profonde de l’État d’Israël. Avant d’examiner ce dernier point, qui est essentiel, rappelons au préalable quelques étapes clés dans l’histoire constitutionnelle d’Israël.

La Déclaration d’Indépendance du 14 mai 1948 avait expressément prévu l’élection d’une Assemblée constituante. A cette époque, comme l’explique le professeur de droit israélien Claude Klein, l’idée d’une constitution formelle pour le nouvel État paraissait évidente aux yeux de certains[2]. Pourtant, de nombreux pays n’ont pas de constitution formelle écrite, et notamment l’Angleterre – premier pays d’Europe dans lequel les libertés publiques ont été protégées contre le despotisme du souverain – dont l’influence sur le système juridique israélien a été considérable.

L’éphémère Assemblée constituante israélienne

            Mais l’influence britannique était contrebalancée par celle d’autres pays. En effet, pour de nombreux dirigeants et penseurs sionistes, au premier rang desquels figure Theodor Herzl lui-même, les références principales en matière juridique et politique n’étaient pas celles des pays anglo-saxons, mais bien celle des pays de tradition juridique continentale, et principalement la France et l’Allemagne. L’expérience constitutionnelle de la IIIe République française était ainsi bien connue de plusieurs législateurs israéliens, et elle avait fortement influencé le fondateur du sionisme politique, qui avait assisté en tant que correspondant étranger aux débats parlementaires français entre 1892 et 1895[3].

            Aux termes de la Déclaration d’Indépendance de 1948, l’Assemblée constituante devait donc être élue dans les quatre mois, c’est-à-dire le 1er octobre 1948 au plus tard, et entamer sans tarder l’élaboration d’une Constitution pour l’État d’Israël. Mais les circonstances historiques – l’offensive conjointe de cinq armées arabes contre le jeune État juif – perturbèrent ce programme. L’Assemblée constituante ne fut élue que le 25 janvier 1949, à l’issue de la Guerre d’Indépendance. Elle commença à siéger le 16 février et adopta la dénomination de « première Knesset ». De fait, elle n’allait jamais achever sa tâche constitutionnelle.

Ce n’est qu’en 2003 que la dix-septième Knesset reprit le travail entamé par l’Assemblée constituante en lançant le projet d’une « Constitution adoptée par consensus»[4]. Les raisons de cet ajournement de plus d’un demi-siècle sont multiples. Selon une explication communément admise, qui ne reflète qu’un aspect de la réalité, Ben Gourion aurait renoncé au projet de Constitution sous la pression des partis religieux, hostiles par principe à toute Constitution laïque. Comme le déclara le député du parti juif orthodoxe Agoudath Israël, M. Loewenstein, « nous considérons l’adoption d’une Constitution laïque comme une tentative de divorcer d’avec notre Sainte Torah[5] ».

            Outre ce conflit évident entre la conception laïque de la Constitution et la vision du monde juive orthodoxe, d’autres aspects tout aussi importants étaient également sujets à controverse : ainsi, fallait-il que la future Constitution sanctifie le droit à la propriété privée, à l’instar de la Constitution américaine, ou au contraire qu’elle privilégie les valeurs de la propriété collective ? Sur ce point essentiel, la société et l’échiquier politique israélien étaient tout aussi divisés à l’époque entre une gauche sioniste socialiste et une droite d’inspiration libérale.

L’esprit de compromis de Ben Gourion et la résolution Harari

            En réalité, David Ben Gourion a adopté en la matière une politique de temporisation, qu’il a ainsi justifiée dans son livre La vision et le chemin: « Sauver la nation et préserver son indépendance et sa sécurité prime sur tout idéal religieux ou antireligieux. Il est nécessaire, dans cette période où nous posons les fondations de l'État, que des hommes obéissant à des préoccupations et à des principes différents travaillent ensemble... en s'efforçant de rassembler le peuple sur sa terre... et, lorsque l'heure viendra, la nation rassemblée décidera de ces grandes questions. D'ici là, nous devons tous faire montre d'un sage esprit de compromis sur tous les problèmes économiques, religieux, politiques et constitutionnels qui peuvent supporter d'être différés [6] ».

 

            Nous verrons comment cet esprit de compromis a laissé la place à un esprit partisan, avec la « Révolution constitutionnelle » du juge Aharon Barak. Il convient de remarquer à ce sujet que, selon certains analystes de la vie politique israélienne, la véritable raison du revirement de Ben Gourion était précisément sa crainte – prémonitoire – de voir le pouvoir politique trop soumis au contrôle des juges...[7] Ben Gourion avait ainsi déclaré en 1950 devant la Knesset : « Le juge ne fait pas de lois, il ne les invalide pas, parce que le juge, comme tout autre citoyen du pays, est soumis à la loi [8]». Quoi qu'il en soit, c'est dans ce contexte politique de temporisation que la première Knesset fut dissoute en 1951, sans avoir adopté de Constitution.


[1] Sujet abordé par Danny Trom dans son livre L’État de l’exil - Israël, les Juifs, l’Europe, PUF 2023.

[2] Claude Klein, Le droit israélien, PUF 1990.

[3] Comme en témoigne son livre Palais Bourbon, tableau de la vie parlementaire française, éd. de l’Aube 1998.

[4] “Projet de Constitution par large consensus” de la Commission des Lois de la Knesset, voir http://www.knesset.gov.il/huka/

[5] Actes de la Knesset, 7.2.1950, cité par A. Avi-Hai, Ben Gourion bâtisseur d’État, Albin Michel 1988, p. 120.

[6] Hazon ve-Derekh, vol. 3 p.57, cité par A. Avi-Hai, op. cit. Cet esprit de compromis de Ben Gourion en matière religieuse et constitutionnelle est d'autant plus remarquable qu'il avait manifesté auparavant un esprit totalement opposé, notamment lors de l'affaire de l'Altalena, en livrant aux Anglais des membres de l'Irgoun et du Lehi (organisations clandestines dissidentes) et en faisant tirer sur le bateau d’armes affrété par Menahem Begin.

[7] Claude Klein, Le droit israélien, op. cit. p. 38.

[8] David Ben Gourion, 20.2.1950, 17e session de la Première Knesset.

_____________________________________

 

Un livre politique qui se lit comme un roman policier”.

Liliane Messika, écrivain Mabatim

 

Dans ce petit livre très dense et très pédagogique, Pierre Lurçat nous éclaire sur la crise actuelle que traverse Israël”.

Evelyne Tschirhart, écrivain

 

On ne peut imaginer ouvrage plus clair et plus adéquat pour comprendre quel est l’enjeu de ce qui s’est passé dans le pays”.

Rav Kahn, Kountrass

 

Un ouvrage court et très agréable à lire”.

Bernard Abouaf, journaliste, Radio Shalom

 

Le livre à lire impérativement pour comprendre le projet de réforme judiciaire en Israël”.

Albert Lévy, chef d’entreprise Amazon

Pourquoi Israël n’a-t-il pas de Constitution ? Pierre Lurçat

See comments

Le conflit identitaire israélien (VI) : Fondamentalisme juridique contre démocratie juive?

April 10 2023, 16:48pm

Posted by Pierre Lurçat

Le conflit identitaire israélien (VI) :  Fondamentalisme juridique contre démocratie juive?

Les visuels utilisés dans les manifestations contre la réforme judiciaire, tout comme la distribution de “Haggadot” alternatives (comme la “Haggada de la protestation”) indiquent que l’opposition au gouvernement n’est pas seulement politique, mais qu’elle prend des apparences quasi-religieuses. Comme souvent dans l’histoire du peuple Juif, l’opposition au judaïsme revêt ainsi la forme d’une nouvelle religion, ou tout au moins d’une nouvelle forme de judaïsme. Dans les pages qui suivent, extraites de mon nouveau livre, je montre comment le juge Aharon Barak a fondé sa “Révolution constitutionnelle” sur une conception quasi-religieuse du droit. P.L.

 

                    Cette vision totalitaire d’un droit omniprésent procède en fait, comme l’ont fait remarquer plusieurs observateurs, d’un esprit révolutionnaire et quasiment religieux. Ainsi, pour le juge Menahem Elon, spécialiste du droit hébraïque qui a longtemps été l’adversaire le plus résolu d’Aharon Barak au sein de la Cour suprême : « Il n’existe pas aux yeux de A. Barak de vide juridique, et toute action que nous menons comporte selon lui un aspect juridique. Cette conception correspond à une vision du monde religieuse, et non à une conception juridique. L’expression employée par Barak, “Le monde entier est empli de droit”, est calquée sur l’expression de la prière juive, “Le monde entier est empli de Sa gloire”. Selon Barak, le système judiciaire présente un caractère religieux, qui intègre toute l’expérience humaine [1]».

                    L’appréciation de Menahem Elon est confirmée par Aharon Barak lui-même, qui a confié à l’avocat Yaakov Weinroth qu’il se considérait comme un homme possédant un « sentiment intérieur religieux très profond ». Et de fait, commente Weinroth, « le droit occupe chez lui un statut tellement central, que cela fait penser au comportement d’un homme très religieux[2] ». Aryeh Edrei, professeur de droit à l’université de Tel-Aviv, aboutit lui aussi à la même conclusion que Weinroth, en établissant une comparaison saisissante entre la conception du droit omniprésent du juge Aharon Barak et celle de la halakha (loi juive) développée par le parti juif orthodoxe Agoudath Israël au début du vingtième siècle, à travers la notion de « Daat Torah[3] », littéralement l’avis de la Torah.

 

                    Ce dernier, explique Edrei, a ainsi étendu le champ d’application de la halakha, en considérant que les Sages de la Torah avaient leur mot à dire sur toutes sortes de questions qui ne relèvent pas à première vue du domaine de la loi juive, comme l’économie ou la politique. La loi juive se préoccupe en effet traditionnellement de dire ce qui est obligatoire (commandements positifs) et ce qui est interdit (commandements négatifs). Mais il subsiste entre les deux un immense domaine dans lequel la loi juive n’a rien à dire et qui relève entièrement de la liberté individuelle.

C’est cette conception traditionnelle que la notion de « Daat Torah » a remis en question, en élargissant considérablement le « domaine de compétence » de la loi juive au sein du public représenté par l’Agoudath Israël. Or, poursuit Edrei, c’est la même démarche qui a guidé le juge Barak, dans le domaine du droit israélien. Ainsi, conclut-il, « on peut décrire le conflit actuel en Israël comme opposant deux organes qui s’affrontent au nom de doctrines étonnamment similaires. D’un côté, le “Daat Torah” du “Conseil des Sages de la Torah”, et de l’autre, la Cour suprême et sa doctrine de tout est justiciable ». Cette notion d’un droit « religieux », aussi étonnante qu’elle puisse paraître à première vue, est en fait assez courante dans le monde contemporain, comme l’explique Menahem Mautner, ancien doyen de la faculté de droit de Tel-Aviv.

Un « fondamentalisme juridique »

Dans son livre Le déclin du formalisme et l’essor des valeurs dans le droit israélien, Mautner établit ainsi une comparaison entre le droit aujourd’hui et l’église dans la société catholique autrefois. « Le droit dans les sociétés laïcisées, écrit-il, remplit la même fonction que remplissait l’église dans les sociétés religieuses ». Selon Mautner, le conflit culturel interne à Israël n’est plus ainsi, comme on le décrit souvent, un conflit entre les tenants du « fondamentalisme religieux » et les partisans d’une démocratie laïque et éclairée. Il est devenu ces dernières décennies un conflit entre deux fondamentalismes : un « fondamentalisme religieux » et un « fondamentalisme juridique » laïc.

C’est bien une telle vision fondamentaliste et quasi-religieuse du droit qui a permis au juge Barak de remodeler le système démocratique israélien, en plaçant le juge au-dessus des lois, de la Knesset et du gouvernement. Dans sa vision, en effet, le juge ne fait pas partie du commun des mortels (auquel il a fait référence dans une maxime célèbre, en utilisant le nom de famille Bouzaglou). Il est de par sa fonction le seul habilité à lire, à interpréter et même à modifier la loi. Dans une telle conception, le peuple lui-même perd toute légitimité. Seule la loi est légitime.

Mais, à la différence de la Loi du Sinaï – qui a été donnée au peuple tout entier et que celui-ci est capable de comprendre et d’appliquer – aux yeux d’Aharon Barak, le juge est seul compétent pour comprendre la loi et la “dire” au peuple ignorant. Le juge est véritablement créateur de droit et il a le dernier mot en matière d’interprétation, d’application de la loi et même en matière de législation. En effet, la Cour suprême israélienne s’est arrogée lors de la Révolution constitutionnelle le pouvoir exorbitant (qui ne lui a jamais été conféré légalement) d’annuler toute loi de la Knesset, y compris des Lois fondamentales.

                    Dans la conception classique de la démocratie, la loi exprime la volonté populaire (Vox populi) et la souveraineté du peuple. Aux yeux d’Aharon Barak, au contraire, la loi reste l’apanage d’une minorité « éclairée », seule habilitée à la comprendre et à l’interpréter. C’est au moyen du concept de « public éclairé » qu’il a forgé que Barak interprète la loi dans ses jugements, et qu’il revendique pour la Cour suprême et pour lui-même un statut totalement inédit dans une démocratie, celui de « juge éclairé » créateur de droit. (Dans une interview récente à la chaîne de télévision israélienne Kan 11, Aharon Barak a déclaré regretter avoir employé l’expression de « public éclairé » et celle de « Révolution constitutionnelle »)[4].

                    Pour décrire la conception bien particulière du juge et de la démocratie d’Aharon Barak, telle qu’elle est exposée notamment dans son livre Le rôle du juge en démocratie[5], le juge américain Richard Posner a employé l’expression de « despote éclairé[6] ». C’est en effet un juge « éclairé » aux pouvoirs quasi-despotiques que décrit Barak dans ses écrits théoriques et qu’il appelle de ses vœux. Et c’est bien en « despote éclairé » qu’il s’est comporté, en mettant en application la Révolution constitutionnelle qu’il avait patiemment théorisée bien des années avant 1992. Cette révolution qui a bouleversé l’équilibre des pouvoirs en Israël est ainsi, dans une très large mesure, l’œuvre d’un seul homme.

Pierre Lurçat

Extrait de mon nouveau livre, Quelle démocratie pour Israël : gouvernement du peuple ou gouvernement des juges? Editions L’éléphant 2023.

 

Un ouvrage de droit qui se lit comme un roman policier

Liliane Messika

 

Le livre à lire impérativement pour comprendre le projet de réforme judiciaire en Israël

Albert Lévy


1. Menahem Elon, cité par A. Bendor et Z. Segal, The Hat Maker [hébreu], Kinneret Zmora-Bitan 2009.

2. Cité par Naomi Levitsky, Kevodo (Your Honor), Keter 2001, p. 233.

3. Aryeh Edrei, « Le conseil des Grands de la justice », Makor Rishon 10.3.23, supplément Shabbat.

4. "Rencontre avec Roni Koban », 13.2.23, אהרן ברק | כאן (kan.org.il)

5. The Judge in a Democracy, Princeton University Press 2006.

6. R. Posner, « Enlightened Despot », The New Republic 23.4.2007.

 

Le conflit identitaire israélien (VI) :  Fondamentalisme juridique contre démocratie juive?

See comments

COMMUNIQUÉ - Parution du livre “Quelle Démocratie pour Israël ?”

April 4 2023, 13:24pm

Posted by Pierre Lurçat

COMMUNIQUÉ - Parution du livre “Quelle Démocratie pour Israël ?”

J'ai présenté mon livre dans le cadre d'une conférence donnée par Raison Garder

La violente polémique et les manifestations publiques incessantes suscitées depuis quelques mois en Israël par le projet de réforme judiciaire posent une question essentielle. Comment expliquer que des dizaines de milliers d’Israéliens manifestent en scandant « Démocratie ! », alors même que l’objectif affiché de la réforme judiciaire est précisément de renforcer la démocratie et l’équilibre des pouvoirs ? Il y a là, de toute évidence, deux conceptions opposées de la nature du régime démocratique.

Pour comprendre les enjeux de ce débat fondamental, il est nécessaire de revenir en arrière, aux débuts de la « Révolution constitutionnelle » menée par le juge Aharon Barak dans les années 1980 et 1990. C’est depuis lors que la Cour suprême s’est octroyée la compétence de dire le droit à la place du législateur, d’annuler les décisions du gouvernement et de l’administration, les nominations de fonctionnaires et de ministres et les décisions des commandants de l’armée, etc. Aucun domaine n’échappe plus à son contrôle omniprésent.

Dans son nouveau livre, Pierre Lurçat retrace l’histoire de cette Révolution passée inaperçue du grand public et explique les enjeux du projet de réforme actuel, en la replaçant dans son contexte historique. Il rappelle ainsi pourquoi Israël ne possède pas de Constitution et montre comment l’extension du domaine de la compétence de la Cour suprême a affaibli les pouvoirs exécutif et législatif, en la transformant de facto en premier pouvoir.

Replaçant la problématique israélienne dans un contexte plus vaste – celui de la montée en puissance d’un « gouvernement des juges » dans la plupart des pays occidentaux, il s’interroge également sur les causes profondes de l’engouement pour la notion d’un pouvoir des juges et du rejet concomitant de la démocratie représentative et du pouvoir politique en général.

Quelle démocratie pour Israël : Gouvernement du peuple ou gouvernement des juges? Editions L'éléphant 2023. Disponible sur Amazon et bientôt dans les librairies françaises d'Israël.

L’auteur

Né à Princeton, Pierre Lurçat a grandi à Paris et vit à Jérusalem. Il a publié plusieurs essais, parmi lesquels des Préceptes tirés de la sagesse juive (Presses du Chatelet), Israël, le rêve inachevé (éditions de Paris), et Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain (éditions L’éléphant). Il a fondé en 2021 la Bibliothèque sioniste, qui vise à mettre à la portée du lectorat francophone les grands textes des fondateurs du mouvement sioniste et dirigeants de l’Etat d’Israël.

 

See comments

Ce que m'avait dit Yariv Levin: « rendre le pouvoir au peuple d’Israël » Pierre Lurçat

February 21 2023, 09:00am

Posted by Pierre Lurçat

Ce que m'avait dit Yariv Levin: « rendre le pouvoir au peuple d’Israël »  Pierre Lurçat

Contrairement à une "fake news" véhiculée par certains médias israéliens, l'actuelle réforme menée par le ministre de la Justice ne sort pas de nulle part, et n'a rien à voir avec le procès intenté à Benjamin Nétanyahou. Elle a été longtemps et soigneusement préparée par l'actuel ministre de la Justice, Yariv Levin, qui m'en avait parlé dans l'interview qu'il m'avait accordée en janvier 2012, il y a tout juste 11 ans. Je republie ici l'article paru dans Israël Magazine P.L.

Par une froide journée de janvier, je me suis rendu à la Knesset pour rencontrer Yariv Levin, représentant de la « jeune garde » du Likoud qui a fait parler de lui récemment en proposant plusieurs textes de lois sur des questions sensibles, comme l’élection des juges à la Cour suprême ou la lutte contre le boycott d’Israël. Malgré son image de député très combattif et activiste, c’est un homme affable, au discours posé et réfléchi. Il se présente comme le « législateur le plus actif » au sein du Likoud – ayant initié ou participé à la rédaction de nombreuses propositions de lois sur des sujets aussi importants que la protection du patrimoine foncier, les conditions de détention trop faciles faites aux terroristes ou la suppression des droits sociaux de l’ex-député félon Azmi Bishara. Rencontre avec un homme politique qui veut donner, enfin, le pouvoir réel – et pas seulement la majorité à la Knesset – à la droite israélienne.

Yariv Levin me reçoit dans son bureau de président de la « Commission de la Knesset ». C’est un député relativement jeune (il a 43 ans) issu d’une famille politiquement engagée : les parents de sa mère faisaient partie de l’Irgoun, et l’oncle de celle-ci, Eliahou Lenkin, était le commandant de l’Altalena, le fameux bateau affrété par l’Irgoun qui fut bombardé, avec sa précieuse cargaison d’armes destinées aux combattants de la guerre d’Indépendance et des dizaines de Juifs à bord – dont plusieurs survivants de la Shoah – sur l’ordre du commandant du Palma’h, un certain Itshak Rabin… Le « Sandak » lors de la circoncision de Yariv Levin n’était autre que Menahem Begin, à l’époque chef de l’opposition et futur Premier ministre.

Avec de tels antécédents, il n’est pas étonnant que Levin ait attrapé très jeune le virus de la politique ! Il a en effet débuté son activité publique alors qu’il était étudiant, après avoir servi dans les Renseignements militaires (où il a dirigé un cours de traduction de l’arabe au sein de l’armée). Après avoir exercé la profession d’avocat,  il a été élu vice-président du Barreau d’Israël, ce qui lui a permis de connaître de l’intérieur le monde judiciaire. C’est sans doute une des raisons qui l’ont amené à se pencher de près sur le dossier brûlant de l’élection des juges à la Cour suprême. Il y a quelques semaines encore, Levin déclarait ainsi que cette institution, souvent considérée comme le fleuron de la démocratie israélienne, avait été accaparée par « une minorité de groupuscules d’extrême-gauche qui voulaient imposer leurs valeurs à la société tout entière… »

Pour changer cette situation, il s’est attaqué à la racine du problème : le système d’élection des juges à la Cour suprême, qui explique que la majorité des juges représentent le courant laïc de gauche, alors qu’il n’y a presque aucun juge religieux ou habitant de Judée Samarie… La question de l’élection des juges n’est pas purement technique, car comme me l’explique Yariv Levin, sous la présidence du juge Aharon Barak, la Cour suprême s’est attribué des compétences exorbitantes, au mépris du principe de séparation des pouvoirs, essentiel au fonctionnement de la démocratie. A ses yeux, Barak incarne la « dictature juridique ». Sous sa présidence, la Cour suprême a ainsi voulu transformer Israël en « État de tous ses citoyens », en effaçant progressivement le caractère juif de l’État.

Un autre sujet qui l’occupe est celui du boycott et de la délégitimation d’Israël sur la scène internationale. A cet égard, il a initié une loi pour retirer tout financement public aux organismes qui soutiennent le boycott. Comme me l’explique Yariv Levin, « la majorité du peuple en Israël penche vers la droite, mais la gauche et l’extrême-gauche bénéficient du soutien de pays étrangers ». L’exemple le plus criant est celui du rapport Goldstone, dont toutes les accusations mensongères ont été formulées par des groupuscules israéliens financés par l’Union européenne ! Face à ces interventions intolérables dans la politique israélienne, Levin œuvre sans relâche pour rendre à Israël sa souveraineté et son indépendance.

Rendre à Israël sa souveraineté

Le point commun entre tous les combats qu’il mène est le constat qu’il faut rendre le pouvoir au peuple, qui en a été dépossédé par plusieurs facteurs, parmi lesquels il cite notamment la bureaucratie, les médias, la Cour suprême et l’intervention de pays étrangers dans la vie politique israélienne. « Il ne suffit pas d’être au pouvoir », résume Levin. « Il faut rendre à la Knesset les compétences qui lui ont été prises par le pouvoir judiciaire et par la bureaucratie ». Un exemple de cette situation est celui des conseillers juridiques, qui ont acquis au cours des dernières décennies un pouvoir grandissant, au point que « les conseillers juridiques des ministres sont devenus les véritables décideurs », ce qui est en totale contradiction avec le principe de séparation des pouvoirs et l’essence de la démocratie.

En conclusion de notre entretien, je demande à Yariv Levin si Jabotinsky, le père fondateur de la droite israélienne, et Menahem Begin ont encore une place dans la vie politique actuelle. Il me répond sans hésiter de manière affirmative : « Il est réjouissant de voir qu’après avoir été longtemps mis à l’écart et oublié, Jabotinsky est aujourd’hui très présent dans la vie politique ». Levin affirme trouver dans les écrits de « Jabo » une source constante d’inspiration pour son action. 

Jabotinsky, qui était un grand démocrate, avait évoqué jadis la possibilité qu’un citoyen arabe soit vice-président du futur État juif. « Mais il n’avait évidemment pas pensé à quelqu’un comme Hanin Zouabi », ironise Levin, faisant allusion à la députée arabe qui était montée sur le bateau  terroriste Marmara. Très actif dans la défense des citoyens druzes israéliens, Levin s’oppose farouchement à la reconnaissance de droits nationaux pour les Arabes palestiniens. Il a aussi promu la loi sur le référendum, pour que tout abandon de souveraineté sur une partie d’Israël soit soumis à un vote populaire. 

Yariv Levin: « rendre le pouvoir au peuple d’Israël » - Israel Magazine

_________________________________________________ 

CONFERENCE EXCEPTIONNELLE!

LES ENJEUX DE LA RÉFORME JUDICIAIRE EN ISRAËL 

Pour connaître les enjeux de la réforme judiciaire actuelle, il est indispensable de connaître son contexte historique et notamment celui de la « révolution constitutionnelle » menée par le Président de la Cour Suprême Aharon Barak dans les années 1990.

Pierre Lurçat, juriste, écrivain et essayiste, expliquera au cours d’une conférence la situation actuelle au regard de l’histoire du droit israélien et de celle de la Cour Suprême, le mardi 28 février à 19:00 dans les locaux de la Wizo

35, rue King Georges

Tel Aviv

PAF : 30 shekels. 

(Sans réservation)

 Venez nombreux poser vos questions

Photo de Sarah Nisani (Lurçat)

Photo de Sarah Nisani (Lurçat)

See comments

Les médias israéliens mentent sur la réforme Levin

February 19 2023, 11:45am

Posted by Pierre Lurçat

Les médias israéliens mentent sur la réforme Levin

J'étais ce matin l'invité de Daniel Haik sur Studio Qualita pour commenter l'actualité et la réforme judiciaire en cours en Israël.

(2) Les médias israéliens mentent sur la réforme Levin - L'invité De La Rédaction Du 19 Février 2023 - YouTube

 

CONFERENCE TEL AVIV 28.2.23

LES ENJEUX DE LA REFORME JUDICIAIRE EN ISRAEL

 

Pour comprendre les enjeux de la réforme judiciaire actuelle, il est indispensable de connaître son contexte historique, et notamment celui de la “Révolution constitutionnelle” menée par le président de la Cour suprême Aharon Barak dans les années 1990. 

Pierre Lurçat, juriste, écrivain et essayiste, expliquera la situation actuelle au regard de l’histoire du droit israélien et de la Cour suprême.

 

Mardi 28 février à 19h00, dans les locaux de la WIZO 

35 Rue King Georges, Tel Aviv

PAF : 30 shekels (sans réservation)

Venez nombreux poser vos questions

 

See comments

« Sauver la démocratie » ou rétablir le pouvoir souverain du peuple ? Trois réflexions sur la réforme judiciaire, Pierre Lurçat

January 15 2023, 15:56pm

Posted by Pierre Lurçat

(photo credit: TOMER NEUBERG/FLASH90)

(photo credit: TOMER NEUBERG/FLASH90)

 

1.

Sujet politique brûlant, la réforme judiciaire est également un dossier complexe, qu’on ne peut comprendre sans avoir quelques notions essentielles sur l’histoire juridique d’Israël et plus précisément sur son « histoire constitutionnelle »[1]. Dans le débat politique actuel, c’est souvent, hélas, la démagogie qui triomphe, au détriment du débat véritable.  Le plus grand mensonge des adversaires de la réforme judiciaire en Israël consiste ainsi à prétendre que celle-ci va « supprimer la Cour suprême », « abolir l’Etat de droit » ou « instaurer une dictature du peuple », toutes sortes d’expressions (liste partielle) qui voudraient faire croire que la réforme (qualifiée de « révolution », de « coup d’Etat » ou de « changement de régime ») a des objectifs politicides et destructeurs.

 

En réalité, la réforme menée par Yariv Levin – lequel en a élaboré les principes il y a plus de dix ans (je renvoie à l’interview qu’il m’avait accordée en janvier 2012 pour Israël Magazine) – vise principalement à rééquilibrer le système judiciaire israélien et à rétablir la séparation des pouvoirs en Israël. Elle a également pour objectif de restaurer la confiance du public dans l’institution qui fut jadis considérée comme le fleuron de la démocratie israélienne, la Cour suprême, et qui est devenue aujourd’hui une institution ultra-politisée et a perdu la confiance d’une large partie du public, en raison de l’hybris du juge Aharon Barak.

 

2.

 

Ceux qui prétendent « sauver la démocratie » contre le peuple attestent de la dévaluation significative des notions de majorité, de « vox populi » et de l’idée même de démocratie parlementaire, à laquelle nous assistons depuis plusieurs décennies en Israël et ailleurs en Occident. Il y a là un phénomène inquiétant pour l’avenir de la démocratie, qui est en réalité mise en péril par ceux-là même qui prétendent la « sauver ».

 

Comme me l’expliquait récemment Pierre-André Taguieff, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, « l'antidémocratisme contemporain est un effet du consensus antipopuliste, qui lui-même est inséparable d'un antinationalisme amalgamant et diabolisant État-nation, sentiment national, identité nationale, etc., et racisme. C'est ce que j'ai appelé naguère (début des années 1990, l'antinationisme »[2].

 

3.

 

Un des arguments souvent entendus ces dernières semaines consiste à poser la question de savoir ce qui se passera, si le gouvernement israélien vote demain une loi qui porte atteinte aux droits élémentaires d’une catégorie de citoyens ? Le « subtexte » de cette question importante étant que toute réforme qui « rogne » les ailes de la Cour suprême risque de se retourner contre les droits fondamentaux des citoyens ou d’une partie d’entre eux… La question est importante et mérite réflexion. Mais la réponse nous a en fait déjà été donnée dans l’histoire récente d’Israël.

 

En effet, quand un gouvernement démocratiquement élu a voté une loi pour expulser de leurs maisons des citoyens innocents et les priver de leurs biens légalement acquis, qu’a fait la Cour suprême ? Elle a entériné l’injustice flagrante à la quasi-unanimité (à la seule exception du juge Edmond Levy, dont la voix minoritaire sauva l’honneur de l’institution dont il faisait partie). C’était en 2006. Les citoyens en question étaient les habitants du Goush Katif.

 

Cet exemple qui mérite d’être gravé dans les livres d’histoire judiciaire d’Israël montre que le « pouvoir des juges » ne permet en rien de protéger la démocratie et les droits fondamentaux contre l’excès du pouvoir. En réalité, la probabilité que 11 juges se trompent est bien plus élevée que celle qu’un peuple tout entier vote – par le biais de ses représentants – des lois iniques. Ce qui ne veut pas dire que le peuple est incapable de se tromper, mais plus simplement que la démocratie est « le pire des régimes, à l’exception de tous les autres ». La remplacer par un « gouvernement des juges » comme l’a fait Aharon Barak ne résout aucun problème. L’enjeu actuel, comme l’explique de manière convaincante Caroline Glick, n’est pas de « sauver la démocratie » contre la réforme judiciaire, mais bien de rétablir la démocratie contre le gouvernement des juges.

Pierre Lurçat

 

[1] Je renvoie à mon long article sur ce sujet, « Comment la Cour suprême est devenue le premier pouvoir en Israël », Pardès mars 2021.

[2] Communication personnelle de l’auteur, 14.1.2023.

La synagogue de Névé Dekalim, détruite après le retrait de Gaza

La synagogue de Névé Dekalim, détruite après le retrait de Gaza

See comments

Le juge Aharon Barak contre la démocratie, Pierre Lurçat

January 8 2023, 10:12am

Posted by Pierre Lurçat

Le juge Aharon Barak contre la démocratie, Pierre Lurçat

 

Aharon Barak a une conception bien particulière de la démocratie, du rôle du juge et de la Cour suprême israélienne. Dans l’expression « Révolution constitutionnelle », qui a été forgée par A. Barak lui-même, on oublie souvent de commenter le premier terme. Ce n’est pas un hasard s’il a été choisi par Barak pour décrire cette réalité juridique et politique, dont il a été à la fois le théoricien et le principal maître d’œuvre.

Sa biographe Naomi Levitsky, qui ne tarit pas d’éloges sur lui, observe cependant que Barak « sans être révolutionnaire de caractère, possède un instinct révolutionnaire pour tout ce qui concerne son travail juridique, au point d’avoir transformé de fond en comble chaque poste qu’il a occupé ». On ne peut qu’abonder dans son sens. En tant que procureur de l’État, Barak a effectivement transformé cette fonction, autrefois assez anonyme, pour en faire un personnage redoutable, capable d’inculper un Premier ministre en exercice et de pousser au suicide un ministre soupçonné de corruption.

À l’instar de la juge américaine Ruth Bader-Ginsburg, devenue une icône de la gauche et des médias américains, le juge Barak est un partisan de l’activisme judiciaire au service de la transformation sociétale : à ses yeux, la Cour suprême israélienne est un laboratoire de transformation de la société et de la politique israélienne. C’est ainsi que la Cour suprême est devenue un véritable pouvoir politique (le « pouvoir judiciaire »), ce qui est une aberration dans la théorie classique de la séparation des pouvoirs. Selon Montesquieu, en effet, il importe que le judiciaire devienne un véritable pouvoir dans le régime monarchique, pour empêcher de tomber dans la tyrannie. Dans un régime démocratique au contraire, le judiciaire doit s’effacer, sous peine de tomber dans le gouvernement des juges…

Or c’est bien ce qui est arrivé avec la Révolution constitutionnelle. La Cour suprême israélienne est devenue non seulement un pouvoir judiciaire, mais elle exerce aussi ce pouvoir sans aucun contre-pouvoir, et donc sans aucune limite.

 

Le langage du droit au service d’une oligarchie

La grande supercherie des tenants de la Révolution constitutionnelle consiste à parler sans cesse le langage du droit. Ils n’ont que ce mot à la bouche : l’État de droit (Shilton ha-Hok). Que veut dire au juste cette expression ? Selon Naomi Levitsky, « aux yeux de Barak, les dirigeants n’ont pas de pouvoir en eux-mêmes, ils ne l’acquièrent que du peuple et de la loi. Les dirigeants sont au service du peuple dans les limites de la loi ». Mais comme toujours, il faut lire entre les lignes ce que Barak ne dit pas.

En réalité, le peuple n’a pas de légitimité dans la conception juridico-politique de Barak. Seule la loi est légitime. Mais encore faut-il qu’elle soit interprétée par le juge qui seul est capable de la comprendre et de la « dire » au peuple ignorant… Comme il l’explicite dans ses écrits sur le rôle du juge en démocratie, le juge ne doit pas seulement appliquer ou interpréter la loi. Il est créateur de droit… En vérité, dans la conception  du droit de Barak, le juge a le dernier mot en matière d’interprétation, d’application de la loi et même en matière de législation, puisque la Cour suprême israélienne s’est arrogé le pouvoir exorbitant (qui ne lui a jamais été conféré légalement) d’annuler toute loi de la Knesset, y compris des Lois fondamentales (affaire en cours concernant la Loi sur l’État nation).

 

La régression antidémocratique de la Révolution constitutionnelle

Dans une démocratie, la loi exprime la volonté populaire et la souveraineté du peuple. Dans la conception de Barak, au contraire, la loi reste l’apanage d’une minorité « éclairée », seule capable et méritoire de l’interpréter et de la comprendre. Il y a là une immense régression anti-démocratique, passée inaperçue en 1992 et dont nous voyons aujourd’hui les fruits. Ce n’est pas seulement que la loi soit devenue trop « technique », comme on l’entend souvent dire dans les pays occidentaux, c’est aussique le peuple est par nature incapable de comprendre et de faire la loi!

On mesure ici combien la Loi juive, révélée par Moïse au peuple tout entier, est infiniment plus démocratique que le droit israélien réinterprété par Aharon Barak lors de la Révolution constitutionnelle : la loi révélée au Sinaï était accessible au plus élevé des Prophètes comme à la dernière des servantes, comme l’enseigne la Tradition juive. Chez Barak et ses partisans, au contraire, seul le « juge éclairé » est capable de comprendre la Loi…

Aharon Barak est, on le voit, le contraire d’un démocrate. Il revendique ouvertement une conception élitiste et oligarchique, et presque monarchique de la politique. À ses yeux, un « souverain éclairé » vaut mieux qu’une majorité aveugle (En cela, il a été un précurseur… Que nous disent en effet aujourd’hui les manifestants anti-Nétanyahou, avec leur slogan « Tout sauf Bibi », sinon que la majorité se trompe et qu’elle n’a pas le droit d’imposer ses vues à une minorité éclairée ?).

 

(Extrait de mon article “Comment la Cour suprême est devenue le premier pouvoir en Israël, paru dans la revue Pardès, no. 67 2021).

______________________________

Après 15 ans d’expérience dans la formation en droit immobilier, je mets mes compétences au service de votre recherche de biens à Jérusalem!

Appelez-moi au 050 286 51 43
Pierre Lurçat

 

P.I.L IMMOBILIER

 

See comments

Israël et le Mont du Temple : une double erreur politique et psychologique

January 3 2023, 11:44am

Posted by Pierre Lurçat

 

A l’occasion de la montée “surprise” du ministre Ben Gvir sur le Mont du Temple ce matin que j'ai évoquée au micro de Daniel Haïk sur Studio Qualita, je publie ici un extrait de mon livre Israël, le rêve inachevé portant sur ce sujet crucial.

50 ans après la libération et la réunification de la ville par les parachutistes de Tsahal en juin 1967, le cri de Motta Gur, “Har habayit bé-yadénou” (le Mont est entre nos mains) reste encore lettre morte.

Au-delà des raisons historiques et politiques qui ont engendré la situation actuelle sur le lieu le plus sacré du judaïsme, celle-ci résulte aussi d’un présupposé psychologique, largement erroné, qui est emblématique de l’attitude d’Israël envers l’islam.

L’erreur de Moshé Dayan et de ses successeurs

En remettant les clés du Mont du Temple au Waqf jordanien, Moshé Dayan pensait éviter un conflit ouvert avec le monde musulman et désamorcer le “baril de poudre” que représentait à ses yeux ce lieu sacré.

Moshé Dayan sur le Mont du Temple, juin 1967

Moshé Dayan sur le Mont du Temple, juin 1967

Cette conception est demeurée inchangée jusqu’à ce jour, et elle est partagée grosso modo par tous les dirigeants israéliens qui se sont succédé depuis 50 ans.

Or cette conception des rapports entre Israël et le monde musulman est fausse, car elle repose sur un présupposé erroné, qu’on pourrait résumer ainsi : si nous renonçons à asseoir notre souveraineté pleine et entière sur le Mont du Temple, les musulmans comprendront que nos intentions sont pacifiques et nous laisseront tranquilles.

C’est un présupposé similaire qui est à la base de la (fausse) conception selon laquelle Israël pourrait parvenir à la paix avec les Arabes en leur “restituant” des territoires (“les territoires contre la paix”).

Or, l’expérience des 30 dernières années montre que c’est précisément le contraire qui s’est produit. Le monde arabe et musulman n’a pas exprimé sa reconnaissance à Israël pour sa générosité (retraits du Sinaï, du Sud-Liban, de larges parties de la Cisjordanie et de Gaza) et pour la liberté de culte dont jouissent les fidèles musulmans sur le Mont du Temple.

Bien au contraire, il a fait de la question de Jérusalem et des Lieux saints un point de discorde et un prétexte pour enflammer régulièrement la rue arabe, le slogan mensonger des Frères musulmans “Al-Aqsa est en danger” étant devenu un leitmotiv de la politique palestinienne* et un prétexte employé par de nombreux dirigeants arabes pour détourner la colère de leurs peuples des problèmes internes et la diriger contre Israël.

La haine que nourrissent de nombreux musulmans à l’encontre d’Israël et des Juifs n’est en effet pas nourrie, comme on l’entend souvent dire, par leur soi-disant humiliation, mais tout autant et plus encore par celle qu’ils infligent aux Juifs, qui alimente leur complexe de supériorité envers les “Infidèles”.

Le Coran est lui-même traversé par cette relation ambivalente de l’islam envers les non-musulmans**. D’un côté, ils sont les représentants des religions qui persistent dans l’erreur, en refusant le message de Mahomet, et qu’il convient donc de rabaisser, pour les punir de leur obstination ; de l’autre, ils sont ceux qui “complotent contre l’islam” depuis ses débuts, et dont il faut se méfier.

Ils sont à la fois méprisables et redoutables. Les musulmans sont certes “la meilleure communauté qu’on ait fait surgir pour les hommes” (Coran 3-110), mais ce sentiment de supériorité (qui n’a rien à voir avec l’idée juive d’élection, entendue comme un supplément de responsabilité), s’accompagne toujours d’une peur maladive des infidèles et des sombres desseins qu’ils sont supposés nourrir envers l’islam.

Dans ce contexte, l’attitude d’Israël sur le Mont du Temple est une double erreur, psychologique et politique.

Psychologiquement, elle renforce les musulmans dans leur complexe de supériorité, en les confortant dans l’idée que l’islam est destiné à dominer les autres religions et que ces dernières ne peuvent exercer leur culte qu’avec l’autorisation et sous le contrôle des musulmans, c’est-à-dire en étant des “dhimmis”.

Politiquement, elle confirme le sentiment paranoïaque de menace existentielle que l’islam croit déceler dans toute manifestation d’indépendance et de liberté de ces mêmes dhimmis à l’intérieur du monde musulman.

Paradoxalement, la souveraineté juive à Jérusalem est perçue comme une menace pour l’islam précisément de par son caractère incomplet et partiel : les Juifs sont d’autant plus considérés comme des intrus sur le Mont du Temple, qu’ils n’y sont pas présents à demeure et qu’ils y viennent toujours sous bonne escorte, comme des envahisseurs potentiels.

L’alternative à cette situation inextricable et mortifère consisterait, comme l’avait bien vu l’écrivain et poète Ouri Zvi Greenberg, à asseoir notre souveraineté entière et sans partage sur le Mont du Temple, car “celui qui contrôle le Mont contrôle le pays”.

Ce faisant, Israël signifierait au monde musulman que sa présence sur sa terre est permanente et non pas provisoire, et que les Juifs revenus sur leur terre ne sont pas des “croisés”, destinés à être chassés à plus ou moins longue échéance : ils sont les maîtres et les souverains à Jérusalem, comme à Hébron et ailleurs, et ils sont là pour y rester.

Une telle attitude pourrait libérer les musulmans de leur complexe d’infériorité-supériorité en leur signifiant que Jérusalem est hors de portée pour leurs aspirations de faire renaître un hypothétique Califat et que leur seul choix est d’accepter la coexistence pacifique avec un Israël fort et souverain.

Pierre Lurçat

* Voir « Al Aqsa en danger ! » : une calomnie nazie palestinienne, par Pierre Lurçat

** Sur cet aspect, essentiel, du conflit entre Israël et l’islam, je renvoie notamment au livre d’Anne-Marie Delcambre, La schizophrénie de l’islam (Desclée de Brouwer 2006).

___________________________________________________________

Après 20 ans d'expérience dans la formation en droit immobilier, j'ai le plaisir d'annoncer ma nouvelle activité d'agent immobilier à Jérusalem. Je serai heureux de vous assister dans votre recherche de bien!

050-286 5143

Pierre.lurcat@gmail.com

Afficher l’image source

See comments

Déconstruire ou réparer le monde? La pensée d’Israël face aux dérives idéologiques actuelles

December 27 2022, 14:46pm

Déconstruire ou réparer le monde? La pensée d’Israël face aux dérives idéologiques actuelles

 

שלמות עבודתם של ישראל היא

 "לתקן עולם במלכות ה´

 

 

Dans un essai revigorant récemment paru[1], l’historien des idées Pierre-André Taguieff retrace la généalogie du concept de “déconstruction”, aujourd’hui tellement banal et utilisé si souvent qu’on a presque oublié son contenu radical. Remontant aux origines de la pensée “déconstructionniste”, Taguieff évoque notamment Nietzsche et Heidegger, Foucault et Derrida, Deleuze ou encore Lévi-Strauss. Nietzsche a-t-il été le grand “déconstructeur” ? Le philosophe de Sils Maria n’était sans doute pas aussi radical que ses lointains héritiers actuels, comme le montre Taguieff.

 

L’intérêt principal de son livre n’est toutefois pas seulement dans son aspect historique et généalogique, mais aussi dans ce qui lui donne sa brûlante actualité : la description du magma idéologique contemporain, où wokisme, théorie du genre et autres élaborations intellectuelles aussi folles que dangereuses font converger leurs efforts dans une entreprise de démolition généralisée.

 

Le monde est empli d’idées devenues folles”. Jamais l’observation de Chesterton n’a été aussi vraie qu’aujourd’hui. La “déconstruction” est en effet depuis longtemps sortie des universités pour faire de la société globalisée et de l’humanité tout entière son laboratoire. Elle ne se limite plus actuellement aux théories politiques (déconstruire l’Etat, la nation ou l’histoire) mais a pris pour cible les domaines encore plus essentiels et fondateurs de la civilisation que sont la famille, la différence sexuelle ou la filiation. Jadis exercice intellectuel, la déconstruction apparaît de plus en plus comme une tentative de saper les fondements mêmes de notre humanité commune.

 

Mais – c’est sans doute l’un des paradoxes de notre époque – l’élan destructeur de ces théories issues des campus américains et européens se heurte à des résistances de plus en plus fortes, attestant que l’homme du vingt-et-unième siècle n’est pas encore devenu le spécimen d’un “post-humanisme” ou d’une nouvelle forme d’humanité à laquelle certains aspirent. Il résiste, en s’arc-boutant sur les piliers encore bien solides du temple de la civilisation occidentale, qui tremble sur ses bases, fait parfois mine de s’effondrer, mais est encore bien debout. Si nous savons que les civilisations sont mortelles, nous savons aussi qu’elles peuvent parfois se ressaisir, sortir de leur torpeur et de leur état maladif pour retrouver une seconde jeunesse. C’est cet espoir ténu et fragile qui anime les pages qui suivent.

 

Le vingtième siècle a été celui des grandes destructions. Auschwitz a marqué le glas d’une époque de la civilisation occidentale, comme l’ont observé bien des écrivains et des penseurs, mais cela ne signifie pas nécessairement que l’Occident est mort et enterré. Ceux qui se hâtent de proclamer la fin d’un monde n’ont souvent aucun nouveau monde à proposer en remplacement… Peut-être le temps est-il venu, après celui du doute et du soupçon qui ont donné naissance à tant de théories destructrices, de reconstruire. Non pas, comme ce fut le cas de bien des promesses illusoires, en levant l’étendard d’une nouvelle révolution, qui prétendrait créer un monde nouveau sur les ruines de l’ancien monde, mais plus modestement, en semant les graines d’un espoir renouvelé dans l’homme et en plantant les arbres pour faire “refleurir le désert”. (à suivre…)

 

Pierre Lurçat

 

[1] P.A. Taguieff, Pourquoi déconstruire ? Origines philosophiques et avatars politiques de la French Theory, éd. H&O 2022.

”Un formidable parcours philosophique… Une méditation sur le sens de nos vies”.

Marc Brzustowski, Menorah.info

 

“Une réfexion profonde sur des questions essentielles, comme celle du rapport de l'homme au monde et la place de la parole d'Israël”.

Emmanuelle Adda, Radio RCJ

 

“Une analyse claire et percutante  de la définition de l’humain dans le monde actuel”

Maryline Médioni, Lemondejuif.info

 

Lurçat, dans son bel exposé, en appelle à bien des penseurs : Aristote, Maïmonide, Husserl, Bonnefoy, Proust, Arendt, Levinas, Henri Baruk, Fondane, Benamozegh, Nietzsche, Huxley… Remarquable!”

Jean-Pierre Allali, Crif.org


 

 

See comments

Rencontres israéliennes : Robin Twite, un Anglais à Jérusalem

December 18 2022, 13:52pm

Posted by Pierre Lurçat

Robin Twitte (photo P Lurçat)

Robin Twitte (photo P Lurçat)

Robin Twite est un Anglais aussi « british » qu’on peut l’imaginer en regardant la série The Crown, qui parle avec l’accent d’Oxford et a des manières d’authentique gentleman, mais qui a pour particularité d’habiter à Jérusalem. C’est là que j’ai fait sa connaissance il y a quelques années et qu’il me reçoit, dans son appartement de la Colonie allemande. Les étagères de son salon sont remplies d’objets venant des différents pays qu’il a visités pendant sa carrière de diplomate – Sri Lanka, Inde, Ethiopie, etc. Pourtant rien ne le prédestinait à faire une carrière diplomatique, ni à venir s’installer en Israël. Le parcours de Robin Twite, qui porte bien ses 91 ans, droit comme un « I », est plein d’aventures et de « hachga’ha pratit » (Providence).

 

« Je suis né à Rugby, petite ville de 40 000 habitants. J’étais un bon élève, aussi j’ai reçu une bourse pour aller à l’université. J’étais le premier membre de ma famille à aller à l’université. Mon père était technicien et pendant la guerre, il travaillait dans une usine de radars. Nous habitions près de Coventry, la première ville anglaise qui a été bombardée par la Luftwaffe. Mon père avait construit un abri dans le jardin… J’allais à l’école avec un masque à gaz, et lorsque j’ai vécu la Première Guerre du Golfe en Israël, j’étais le seul à savoir immédiatement comment mettre un masque à gaz… »

 

Robin me parle de ses études à Oxford, où la plupart des élèves venaient de milieux bien plus fortunés que le sien. Sa première petite-amie avait un arbre généalogique remontant quatre cents ans en arrière, jusqu’au roi d’Écosse… et elle avait été présentée à la Reine (comme dans « Downton Abbey »). Il a étudié l’histoire moderne, en espérant être admis au Foreign Office, mais ses opinions de gauche l’ont fait écarter. Il a ensuite travaillé dans l’édition, avant d’être admis au British Council, grâce à une rencontre providentielle dans un train… Lors de son entretien d’embauche, on lui a demandé s’il préférait aller en Italie, en Irak ou en Israël. Robin a choisi Israël, sans hésiter, et sans savoir que c’était le début d’une longue histoire d’amour.

 

Rien ne le prédestinait pourtant à venir travailler en Israël. « Je n’avais rencontré aucun Juif avant mon service militaire, durant lequel je fis la connaissance de plusieurs Juifs habitant le quartier populaire d’East End. À Oxford, j’avais aussi rencontré le champion d’échecs israélien Rafi Persitz ». Le choix d’Israël n’avait rien d’évident pour un jeune diplomate anglais. « Les meilleurs étaient envoyés en Inde, au Soudan ou au Kenya. Israël était considéré comme un pays de second choix… »

 

Robin évoque maintenant Israël de la fin des années cinquante, tel qu’il l’a connu lors de son premier séjour, entre 1958 et 1962. « C’était un pays pauvre… Il venait d’intégrer quelque 600 000 nouveaux émigrants, doublant sa population. La période de “Tsena” (pénurie) venait juste de s’achever et on ne trouvait pas grand-chose dans les magasins. Heureusement, il y avait le magasin de l’ambassade, où on trouvait du vin, du dentifrice et… du jambon. La Histadrout était comme un État dans l’État. La plupart des ministres venaient du kibboutz ».

 

Il me raconte ses rencontres avec plusieurs personnalités de premier plan, dont l’ancien Premier ministre David Ben Gourion. « À cette époque, on ne trouvait pas de livres étrangers en Israël. Le British Council avait organisé une exposition avec 8000 livres en anglais à Bet Sokolov, à Tel Aviv. Elle avait été inaugurée par le ministre des Affaires étrangères. Le lendemain, je suis tombé nez-à-nez avec Ben Gourion, qui voulait voir les livres d’archéologie. Il les a regardés attentivement, a feuilleté un livre sur le Sinaï et s’est exclamé ‘’C’est faux !’’. Quelques années plus tard, alors qu’il venait d’être limogé, je l’ai croisé sur la route de Sdé Boker. C’était un jour de pluie, il marchait le long de la route, solitaire. Il venait de perdre sa femme Paula ». Plus tard, Robin s’est lié d’amitié avec Ygal Allon, et avec l’archéologue Ygal Yadin. « Un homme remarquable, plein d’énergie. Je l’ai accompagné à Massada. Il n’aurait jamais dû accepter d’entrer en politique ».

 

Je l’interroge sur les différences entre Israël d’alors et celui d’aujourd’hui. « La Shoah était encore omniprésente… Dans l’autobus, on voyait les numéros sur l’avant-bras des rescapés… Un jour, j’étais allé à Bershéva pour rencontrer le directeur de l’éducation local. Il m’avait reçu dans sa maison à Omer et m’avait fait visiter son “jardin”, qui comportait quelques buissons et deux ou trois plants de rosiers. Je l’ai félicité par politesse, et il m’a raconté que lorsqu’il était à Auschwitz, il s’était promis que s’il s’en sortait, il aurait un jour un jardin avec des fleurs… » En me racontant cette anecdote vieille de plus de 50 ans, Robin a les larmes aux yeux...

Pierre Lurçat

SUITE DANS LE DERNIER NUMERO D'ISRAEL MAGAZINE

Avec la Reine Elisabeth II (photo Collection privée)

Avec la Reine Elisabeth II (photo Collection privée)

See comments

1 2 3 > >>