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Matti Caspi, l'artiste aux mille chansons, Pierre Itshak Lurçat

November 29 2019, 10:13am

Posted by Pierre Lurçat

Matti Caspi, l'artiste aux mille chansons, Pierre Itshak Lurçat

Matti Caspi, musique israélienne

A Judith

Matti Caspi, qui fêtera ses 70 ans ce shabbat, fait partie du paysage musical israélien depuis plus de quarante ans. Ses premiers albums sont sortis dans les années 1970 et son dernier album date de 2017. De l'avis de la plupart des critiques, mais aussi du public, Matti Caspi est un des plus grands auteurs-compositeurs et interprètes de sa génération, et sa contribution à la chanson israélienne est immense. Portrait d'un artiste talentueux et exigeant.

 

Caspi est né en 1949 au kibboutz 'Hanita, en Galilée. Tout jeune, il apprend à jouer de la flûte, de la mandoline et de l'harmonica, puis étudie le piano au conservatoire de Nahariya, après que son père soit parvenu – au prix de nombreux efforts – à convaincre le kibboutz de faire l'acquisition d'un piano... Il effectue son service militaire dans la troupe "Lahakat Pikoud Darom". Pendant la guerre de Kippour, il chante aux côtés de Leonard Cohen devant les soldats de Tsahal, dans le Sinaï. Sa carrière musicale prend son envol au milieu des années 1970. Il sort son premier album en 1974, sur l'encouragement d'Arik Einstein. Son deuxième album, intitulé tout simplement "Matti Caspi" et sorti en 1976, a été élu en 2008 album le plus important des années 1970, et la plupart de ses titres sont devenus des classiques (Ir AtsouvaBrit Olam...).

 

Au cours de sa longue carrière musicale – qui n'est pas encore terminée – Matti Caspi a écrit près de 1000 chansons (!) et a composé, chanté et collaboré avec de nombreux autres artistes, comme par exemple Shlomo Gronich (avec qui il a sorti son premier disque en 1970), mais aussi Riki Gal, Yardena Arazi, Arik Sinaï, Gali Atari, Chava Alberstein ou Boaz Sharabi, pour lesquels il a composé de très nombreuses chansons. Son dernier album comprend une chanson interprétée en duo avec Yehudit Ravitz, avec qui il a collaboré il y a déjà longtemps. Mais l'artiste avec lequel Caspi a entretenu les liens les plus étroits est le célèbre chansonnier Ehoud Manor, disparu il y a quatre ans. Le titre du dernier album de Caspi est un hommage à Manor : c'est celui-ci, en effet, qui avait surnommé Caspi son "âme sœur"...

 

Un retour aux sources

 

matti caspi,musique israélienneCet album est ainsi – dans une large mesure – un "retour aux sources" pour Caspi, tant par son style musical, que par le fait que les paroles de toutes les chansons sont écrites par Ehoud Manor, qui avait déjà écrit celles des premiers albums de Caspi, il y a presque quarante ans. On y retrouve la variété des genres et des sources d'inspiration caractéristique de son style musical. Celles-ci englobent à la fois la chanson hébraïque traditionnelle, la musique brésilienne (qu'il affectionne particulièrement), le jazz, mais aussi la musique classique et la musique tzigane, avec laquelle il a un lien familial (son grand-père était originaire de Roumanie).

 

Comme beaucoup d'artistes, Caspi entretient des rapports ambivalents avec les médias. Récemment encore, il déclarait ne pas lire les journaux depuis plus de 20 ans, ce qui est un exploit pour quelqu'un qui vit en Israël ! En réalité, Caspi a beaucoup souffert des atteintes à sa vie privée dans les journaux, et il s'est souvent exprimé en termes très durs (et parfois justifiés) contre les médias. Il a vécu plusieurs années aux Etats-Unis et au Canada, et sa décision de quitter le pays était liée à des raisons personnelles et familiales, après son divorce mouvementé. Mais il est revenu en Israël en 1997 et a été accueilli chaleureusement par le public (sa première apparition publique après son retour a fait l'objet d'un album).

 

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En 2000, il a sorti son album "Duettim", composé comme son nom l'indique de duos avec des artistes aussi divers et fameux que Rami Klingstein, Shoshana Damari ou Ety Ankri. Un autre sujet sur lequel Matti Caspi ne mâche pas ses mots est celui de l'évolution de la musique en Israël, et en particulier du développement des programmes TV comme "Ko'hav Nolad". Il connaît bien le sujet, puisqu'il faisait partie du jury lors de la première saison de l'émission à succès, qu'il a ensuite quittée. Avec le recul, il ne la considère pas tant comme une "pépinière" de futurs chanteurs que comme un phénomène purement commercial.

 

Un chanteur à l'image d'Israël

 

Matti Caspi appartient à la génération des chanteurs nés avec l'Etat, et son œuvre musicale est à l'image de notre pays : variée, prolixe, talentueuse et sensible. Bien qu'il soit aimé du public, qui a toujours apprécié son talent, Caspi ne recherche pas la publicité et fuit les journalistes. Il n'est pas à proprement parler un "chanteur populaire", car il y a quelque chose en lui d'élitiste et d'exigeant, qui ne correspond pas aux normes actuelles du chanteur de variété. "Je n'ai jamais écrit de chansons pour qu'on les aime", explique-t-il sur son site officiel *.

 

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"Si je procédais ainsi, je ne serais pas ce que je suis. J'écris les chansons qui viennent du plus profond de moi, et si elles ne m'émeuvent pas, alors je prefère les oublier. S'il y a deux autres personnes que cela émeut, alors cela suffit pour faire un public. Je ne veux pas décevoir mon public. Je ne peux pas écrire subitement quelque chose que tout le monde aimera, en utilisant seulement mon talent et pas mon inspiration". 

La multiplication des "jeunes talents" (qui ne sont pas toujours si talentueux que ça...) et l'inflation qui caractérise le paysage musical actuel en Israël font parfois oublier les grands classiques, ceux qui ont écrit, composé et interprété les plus grands titres de la chanson israélienne. Mais en replaçant les choses dans la perspective de l'histoire musicale israélienne, on est obligé de constater que Matti Caspi, tout comme Arik Einstein, Ehoud Manor, Yehudit Ravitz et tant d'autres, restent inégalés et irremplaçables. Mazal tov Matti, et Ad Mea VeEssrim!

 

www.matticaspi.co.il.

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La puéricultrice, le professeur de droit et le “peuple stupide” : Une fable politique israélienne

November 27 2019, 12:47pm

Posted by Pierre Lurçat

Deux informations figuraient lundi dernier en pages intérieures des journaux israéliens. La première faisait état d’une “puéricultrice” - une auxiliaire puéricultrice plus exactement - qui avait décidé de décrocher la photo du Premier ministre, Binyamin Nétanyahou, du mur du jardin d’enfants, et avait filmé cet acte “militant” pour le poster sur les réseaux sociaux. La seconde information faisait état des déclarations d’un professeur de droit, Mordehaï Kremnitzer, souvent présenté comme un “constitutionnaliste de premier rang”, qui a dit : “Seul un peuple stupide peut encore croire que M. Netanyahou doit demeurer à son poste”. Ces deux informations sont en réalité les deux revers d’un même phénomène, qu’on pourrait désigner comme le rejet de la démocratie au nom du "droit". 


 

Le Premier ministre israélien B. Nétanyahou

 

Quand la puéricultrice prétend retirer la photo de Nétanyahou “jusqu’à ce qu’il établisse son innocence”, elle montre son ignorance de la présomption d’innocence, laquelle est - il est vrai - bafouée depuis des années par les médias, avec la complicité de la police ou du ministère public qui les abreuvent incessamment de "fuites", dans le cas de Nétanyahou et dans de nombreux autres. Le sentiment de la puéricultrice est largement compréhensible, au vu du “blitz” médiatique auquel ont été soumis les citoyens israéliens, depuis l’annonce dramatique de l’acte d’accusation contre leur Premier ministre, faite par le procureur de l’Etat il y a quelques jours. En réalité, ce “blitz” dure depuis bien plus longtemps : des mois, et même des années. Le plus étonnant, dans ce contexte, c’est qu’une large partie du peuple d’Israël continue d’exprimer sa confiance à Nétanyahou, en dépit de ce lavage de cerveau quotidien auquel il est soumis jour après jour de la part des grands médias. (Ceux-là mêmes dont Nétanyahou est accusé d’avoir voulu “acheter” la complaisance…)

 

L’attitude du Pr Kremnitzer est plus préoccupante que celle de la puéricultrice. Car son affirmation, “seul un peuple stupide peut encore croire que Nétanyahou doit rester en fonction”, ne relève pas de l’ignorance, mais bien d’un aplomb et d’une ‘houtzpa caractéristiques de l’attitude de nombreux membres des élites médiatiques et judiciaires israéliennes. Le problème de Kremnitzer, pour dire les choses autrement, n’est pas qu’il ignore le droit, mais bien plutôt qu’il le connaît très bien et qu’il est prêt à déformer sciemment le sens obvie des lois de l’Etat d’Israël, pour les adapter à ses opinions politiques. La loi est en effet claire et limpide : d’après l’article 18 de la Loi fondamentale sur le gouvernement, seule la Knesset est habilitée à destituer un Premier ministre, et seulement une fois qu'il a été condamné pour une infraction déshonorante. Aucune disposition de loi n’oblige un Premier ministre à démissionner, pour la seule raison qu’il est inculpé ou qu’il fait l’objet d’un acte d’accusation. 

 

Et c’est là que réside le coeur du problème : si la loi est aussi claire, comment le Pr Kremnitzer peut-il qualifier de “stupide” le peuple, dont les attentes sont conformes à la loi? La réponse à cette question se trouve dans un livre écrit il y a déjà plusieurs décennies par un autre juriste distingué, le juge Aharon Barak, The judge in a democracy. Celui-ci se considère en effet  comme « créateur du droit » et donc comme au-dessus des lois – même fondamentales – comme il l’affirme explicitement dans ses nombreux écrits (1). On comprend dès lors l’affirmation du Pr Kremnitzer : le peuple est “stupide”, parce qu’il croit encore que les lois sont votées par la Knesset et inscrites dans le Sefer Hahoukim - le livre des lois de l’Etat d’Israël. Car ce qui compte, en définitive, n’est pas le texte de loi voté par la Knesset, mais l’interprétation qu’en donnent les juges à la Cour suprême et le Procureur de l’Etat (lesquels n’ont été élus par personne) !
 

Aharon Barak

 

Le Pr Kremnitzer est ainsi tout à fait représentatif de ces élites judiciaires - qui ressemblent de plus en plus à un Etat dans l’Etat (Deep State en anglais) - et qui ont franchi récemment toutes les lignes rouges de la démocratie et de l’Etat de droit, aveuglées par leur volonté d’en finir avec le pouvoir de Nétanyahou. Au premier rang d’entre elles, se trouve le Procureur de l’Etat, dont le cabinet s'est transformé en officine politique. Derrière le Procureur, il y  a la Cour suprême, qui est devenue le premier pouvoir en Israël depuis plusieurs décennies, depuis le jour où le juge Aharon Barak a décrété que “tout était justiciable” et où il s’est arrogé le pouvoir anticonstitutionnel d'interpréter comme bon lui semble ou d’abroger purement et simplement toute loi de la Knesset (2).

 

Et derrière le Procureur et la Cour suprême, il y a les grands médias israéliens (avec des exceptions, heureusement) qui se sont largement rangés derrière cette offensive politico-judiciaire, au nom du slogan “Tout sauf Bibi!”, qu’ils répètent comme un mantra depuis de nombreuses années. Comment sortir de cette situation ? La réponse n'est pas simple. Mais l'objectif, lui, est clair. Il faut défendre l’Etat de droit, et rétablir la souveraineté du peuple et de la Knesset et les prérogatives du pouvoir exécutif et législatif, largement entamées ces dernières années par un “pouvoir judiciaire” arrogant,  qui n’a pas sa place dans un régime démocratique (3). 

Dernière remarque : le professeur de droit a en commun avec la puéricultrice de prendre les citoyens israéliens pour des enfants. Mais le “peuple stupide”, méprisé par ces élites arrogantes, saura faire la différence entre les lois votées par la Knesset et les diktats que celles-ci veulent lui imposer au nom du “droit”. Car le peuple, quoi qu’en pensent M. Kremnitzer et consorts, n’est pas stupide.

Pierre Lurçat

 

(1) A. Barak, The Judge in a Democracy, Princeton University Press 2001.

(2) Sur les conceptions de A. Barak, voir “Aharon Barak et la religion du droit, le fondamentalisme juridique au coeur du débat politique israélien’”.

http://vudejerusalem.over-blog.com/2019/03/aharon-barak-et-la-religion-du-droit-i-le-fondamentalisme-juridique-au-coeur-du-debat-politique-israelien-actuel-pierre-lurcat.html

(3) Voir notre article, “Mettre fin au gouvernement des juges et rendre le pouvoir au peuple d’Israël”.http://vudejerusalem.over-blog.com/2017/09/mettre-fin-au-gouvernement-des-juges-et-rendre-le-pouvoir-au-peuple-israelien-pierre-lurcat.html

 

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CulturaSion’ #12 - Hommage au chanteur et compositeur Uzi Hitman

November 23 2019, 17:20pm

Posted by Judith Assouly et Pierre Lurçat

 CulturaSion’ #12 - Hommage au chanteur et compositeur Uzi Hitman

REGARDER L'EMISSION ICI

Vous connaissez tous ses chansons, Noladti la shalom”“Ana’hnou nisharim ba’Aretz”. Pourtant son nom est largement inconnu du public francophone. Il y a 15 ans disparaissait à l’âge de 52 ans le chanteur et compositeur Uzi Hitman, un des piliers de la chanson israélienne des années 1980 et 1990. 

 

Uzi Hitman est né en 1952 à Givat Shmuel. Ses parents étaient tous les deux des rescapés de la Shoah. Son père était ‘hazan. Pendant son service militaire, il rejoint la Lahakat Pikoud Merkaz (la troupe militaire du commandement centre) et compose ses premières chansons, parmi lesquelles “Mi yada shé kah iyihé” qui sera interprétée par Boaz Sharabi. Cette chanson fait partie du répertoire associé à la guerre de Kippour (à laquelle Hitman participa comme réserviste) et elle fut à l’époque interdite de diffusion, car considérée comme exprimant des sentiments de lassitude et de désespoir.

 

Dans les années d’après la guerre de 1973, il collabore avec plusieurs chanteurs connus, comme Avi Toledano, mais aussi avec la nouvelle vague des chanteurs “orientaux” - à l’époque peu joués à la radio israélienne - comme le légendaire Zohar Argov, Haïm Moshe, Margalit Tsanani ou Shimi Tavori. Avec Shimi Tavori, il chante “Od sippour ehad shel ahava”.

 

Il écrit aussi une de ses chansons les plus célèbres, “Noladti la shalom”, à l’époque des négociations entre Israël et l’Egypte. Dans le même temps, il se fait aussi connaître par ses chansons pour enfants et ses émissions pour enfants, comme “Parpar Nehmad”.

 

Dans les années 1980, il participe à la troupe “Hopa Hey” qui interprète des chansons pour les enfants et pour le grand public, avec le chanteur Yigal Bashan. Une de leurs chansons les plus fameuses est “Anah’nou nisharim ba’aretz.

 

Le journal Olam Katan a récemment publié une interview réalisée avec Uzi Hitman peu de temps avant sa disparition. En voici quelques extraits :

 

Lorsque le “journaliste en herbe” lui demande si ses chansons expriment une conception du monde, Hitman répond que chaque artiste a une conception du monde. “J’ai écrit la chanson “Kan noladti” car je pense que le peuple Juif n’a pas d’autre endroit qu’Eretz Israël. Nous avons acquis une expérience historique et partout nous avons été des étrangers. Même les Israéliens aujourd’hui peuvent s’installer à NY ou à LA et y faire des affaires et réussir, mais ils éprouveront toujours un manque et la nostalgie de leur pays.. Car c’est notre endroit, où sont nos souvenirs, nos parfums et nos goûts… Je peux voyager à l’étranger, visiter des endroits et ressentir des sensations, mais toujours je reviendrai à la maison”. (Citation qui fait penser à une chanson d’un autre grand artiste israélien, Yehoram Gaon…)

 

Hitman parle ensuite de la musique israélienne et de sa spécificité

Nous sommes un peuple en voie de formation… Israël est le lieu du rassemblement des exilés, c’est pourquoi il abrite une telle diversité de goûts musicaux. Chacun apporte sa culture et sa tradition. On ne peut pas effacer la culture d’un enfant yéménite qui a entendu les chants de shabbat de la bouche de son père après le kiddoush, et l’enfant venu d’Europe orientale a entendu les mêmes chants, sur une mélodie différente. A présent, tous sont réunis dans la même maison. Quelle sera notre mélodie? Celui-ci apporte ses trilles, et celui-là sa mélodie, et c’est ainsi que naît une troisième musique".

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Le “Deep State” contre l’État de droit : Les racines de la crise politique en Israël

November 22 2019, 08:45am

Posted by Pierre Lurçat

 

Deep State, "l'État profond": l'expression évoque le titre d'une série d'espionnage. S'agit-il d'un véritable "État dans l'État", ou plus simplement du pouvoir de l'administration et des groupes de pression, qui s'oppose parfois à celui des élus du peuple ? Plus précisément, il pourrait s’agir de tous ceux qui - au sein de l’administration, de l'armée, de l’économie ou des médias - se donnent pour tâche non pas de servir l’Etat, le peuple et le gouvernement qu’il s’est donné, mais au contraire de renverser ce dernier par des moyens non démocratiques, pour servir leurs propres intérêts, matériels ou idéologiques. Quelle que soit l'acception précise qu'on lui donne, ce concept permet de comprendre les causes profondes de la situation politique sans précédent que traverse l'État d'Israël depuis plusieurs mois… Comme l’écrit la commentatrice israélienne Caroline Glick, “l’usurpation du pouvoir des élus par “l’État profond” au cours des trois dernières décennies est la question politique la plus brûlante en Israël aujourd’hui”. (1)


 


 

Crise politique et institutionnelle

 

La situation actuelle, que les médias israéliens décrivent par le terme hébraïque de "plonter" (sac de nœuds), n'est pas tant un blocage des institutions et des mécanismes électoraux, que l'aboutissement d'un long processus d'érosion du pouvoir politique, celui de la Knesset et de l'exécutif, face à la montée en puissance d'un véritable “pouvoir judiciaire”, plein de morgue et d'hybris. Si l'on voulait dater le début de ce processus de manière précise, on pourrait prendre comme point de départ la fameuse affaire du compte en dollars, en 1977, durant laquelle le Premier ministre avait été contraint de démissionner pour avoir détenu quelques centaines de dollars sur un compte aux États-Unis, ce qui s’expliquait tout naturellement par le fait qu’il y avait été ambassadeur (2). Cette infraction dérisoire permit au procureur de l’État de l’époque d’affirmer son pouvoir, en obtenant la démission du Premier ministre. C’est au cours de cette affaire que fut ainsi fixé le dangereux précédent, selon lequel un dirigeant élu "devait" démissionner, lorsqu'il était inculpé par le procureur de l'État. 

 

Ce que la plupart des commentateurs ont alors (et depuis lors) célébré comme une victoire de l'État de droit contre la "corruption", était en réalité une pure et simple invention juridique, qui marqua le début d'un processus d'effritement des  prérogatives de l'exécutif, rognées par un "pouvoir judiciaire" de plus en plus puissant, processus dont nous voyons aujourd'hui les conséquences dramatiques. Il n'est pas anodin que le Premier ministre d'alors s'appelait Itshak Rabin. Quant au procureur de l'État, il n'était autre qu'Aharon Barak, le théoricien et le maître d'œuvre de la "Révolution constitutionnelle", qui a permis à la Cour suprême de devenir la cour la plus activiste du monde et le premier pouvoir en Israël. Ce faisant, il a  ébranlé le fragile équilibre des trois branches de l'État, exécutif, législative et judiciaire, en créant un “pouvoir judiciaire” qui n’a pas sa place dans une démocratie authentique. (3)


 

Itshak et Léa Rabin


 

Ceux qui voudraient aujourd'hui que Benjamin Netanyahou démissionne, avant même d'être inculpé, ou dès lors qu'il le sera, ne font que tirer les conséquences logiques du précédent créé à l'époque par Aharon Barak. Mais ce précédent, quoiqu'on pense de son opportunité morale et politique, n'avait juridiquement aucun fondement solide. D'après la Loi fondamentale sur le Gouvernement, en effet, seule la Knesset est habilitée à destituer un Premier ministre en exercice, selon une procédure détaillée et précise. La théorie de la "démission forcée" du Premier ministre a été créée ex nihilo par le juge Aharon Barak, qui se considère lui même comme "créateur du droit" et donc comme au-dessus des lois - même fondamentales - comme il l'affirme explicitement dans ses nombreux écrits. (4)

 

Putch judiciaire et chantage politique

 

Si la "praklitout" (le cabinet du procureur de l'État) se comporte aujourd'hui avec une telle arrogance - au point que le ministre de la Justice lui-même a cru bon de dénoncer ses pratiques, lors d'une intervention sans précédent dans l'histoire d'Israël - c'est précisément au nom de cette conception erronée et dangereuse, qui voudrait que des employés de l'État puissent défaire ce que les électeurs ont décidé. Que ces employés parlent au nom du droit et de "l'État de droit" ne change rien à l'affaire. La comparaison avec la procédure d'impeachment américaine est instructive : aux États Unis, seul le Congrès peut décider de lancer une telle procédure, exceptionnelle.

 

Dans l'État d'Israël d'aujourd'hui, la compétence exorbitante que s'est arrogée, sans fondement légal véritable, le procureur de l'État lui permet ainsi de faire tomber n'importe quel Premier ministre, avec la complicité active de la police et de médias complaisants. Car c'est bien de cela qu'il s'agit dans les affaires Netanyahou, comme l'a reconnu Avishai Mandelblit dans un accès de sincérité. Si Netanyahou démissionne, les procédures seront annulées, avait-il expliqué l’été dernier, comme l’avait à l’époque révélé le Jerusalem Post ! Or de deux choses l'une : s'il a commis une infraction, il doit être poursuivi même après son éventuelle démission, ce qui montre bien que l'objectif poursuivi par Mandelblit est avant tout politique.

 

Nous sommes ici au coeur de la réalité paradoxale de la crise politique actuelle. Ceux qui n'ont que les mots d'État de droit a la bouche, ne cherchent en réalité qu'une seule chose, regagner par un artifice juridique le pouvoir qu'ils ont perdu par les urnes (5). Et c'est précisément parce qu'ils sont convaincus que l'ère Netanyahou touche à sa fin, que la formation d'une coalition devient impossible et presque superflue… A quoi bon négocier en effet, si Benny Gantz peut espérer obtenir le pouvoir sans effort, d'ici quelques mois ou quelques semaines, quand le procureur aura "démis" Netanyahou de ses fonctions ? Dans un régime où le Premier ministre est “démis” par un procureur, les élections deviennent un luxe inutile.


 

Des élections superflues : Nétanyahou et Gantz

 

Pourtant, il est important de le répéter, il ne s'agit pas seulement d'un affrontement entre partisans et adversaires de M. Netanyahou. Car le pouvoir démesuré du procureur de l'État et de ses alliés pourra demain s'exercer contre tout Premier ministre élu, fût-il de gauche, comme Itshak Rabin a l'époque du compte en dollars. Cette épée de Damoclès, qui plane désormais sur la tête de tout dirigeant élu n'est pas, comme voudraient le faire croire ses partisans, un "chien de garde" de la démocratie. Elle est bien plutôt, comme l'a expliqué l'avocat américain Alan Dershowitz, un "chien d'assaut" contre la démocratie et ses institutions. Et nous en revenons ici au problème de l'État dans l'État, - ou de la "praklitout dans la praklitout" - pour reprendre l'expression du ministre de la justice Amir Ohana. 

 

Le "Deep state" israélien ne menace pas seulement le pouvoir de Benjamin Netanyahou. Il menace et porte atteinte - et a déjà porté un coup dangereux - au fonctionnement de la démocratie israélienne. Le remède à cette situation préoccupante existe, et il ne réside pas dans la réforme du système électoral, comme on l'entend souvent dire. Le remède passe par l'annulation du pouvoir exorbitant de la Cour suprême et du procureur de l'État, en redonnant aux élus du peuple, à la Knesset et au gouvernement, les compétences qui leur reviennent selon les lois fondamentales de l'État d'Israël, expression de la volonté générale et de la souveraineté populaire. Il faut mettre fin au Deep State pour préserver la démocratie.

Pierre Lurçat

 

(1) https://carolineglick.com/israels-deep-state-takes-aim-at-netanyahu/ Parmi les autres auteurs ayant parlé du Deep State à propos d’Israël, le Dr Martin Sherman, ancien conseiller du Premier ministre Itshak Shamir. http://www.israelnationalnews.com/Articles/Article.aspx/23539

(2) Un règlement interne du ministère des Finances autorisait une telle détention, comme le rappela plus tard le ministre de la Justice Yaakov Neeman. Voir https://frblogs.timesofisrael.com/le-jour-ou-itshak-rabin-fut-contraint-a-demissionner-par-aharon-barak-2/

(3) Comme le rappelle Pierre Manent, spécialiste de philosophie politique, dans des pages très éclairantes d’un ouvrage paru il y a une quinzaine d’années, la notion d’État de droit et celle de séparation des pouvoirs qui en découle, donnent lieu à de fréquentes fausses interprétations. En particulier, écrit-il, “On se trompe souvent sur la thèse de Montesquieu, ou on s’en fait une idée confuse. Il n’y a pas pour lui le pouvoir judiciaire. La forme et la fonction de celui-ci dépendent du régime politique. Dans le régime monarchique, dans la France du temps de Montesquieu, il importe que le judiciaire soit véritablement un pouvoir distinct et consistant, faute de quoi le régime serait despotique… Dans le régime républicain moderne, la fonction et la nature du judiciaire sont toutes différentes. La liberté y est produite et garantie par le jeu des deux autres pouvoirs (législatif et exécutif, P.L.) et par les effets que ce jeu induit. Le judiciaire n’y est donc pas le gardien de la liberté, comme il l’était dans la monarchie. Et même, pour aider à la liberté, il doit en quelque sorte disparaître comme pouvoir”. Cf. P. Manent, Cours familier de philosophie politique, Gallimard 2004.

(4) Voir notamment A. Barak, The Judge in a Democracy, Princeton University Press 2001.

(5) Voir notre article “La faculté de l’inutile : la justice israélienne au service des ennemis de la démocratie”. http://vudejerusalem.over-blog.com/2018/02/la-faculte-de-l-inutile-la-justice-israelienne-au-service-des-ennemis-de-la-democratie-par-pierre-lurcat.html

 

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Le retour de l’affaire Dreyfus - autour du film J’accuse de Roman Polanski

November 15 2019, 14:52pm

Posted by Pierre Lurçat

 

Les spectateurs ne s’y sont pas trompés : ils ont plébiscité le film de Roman Polanski, J’accuse, sorti mercredi dernier sur les écrans, sur fond de polémique, et classé premier au box-office des nouveautés. Focalisé sur la personnage du colonel Picquart, dont il fait le héros véritable de l’affaire Dreyfus (1), le film est excellent. C’est un véritable “thriller” politico-judiciaire, dont on suit le déroulement avec une tension grandissante qui ne se relâche pas, durant plus de deux heures. Jean Dujardin, qui incarne Picquart, est époustouflant de vérité et c’est sans doute un de ses plus grands rôles à ce jour. Louis Garrel est lui aussi très bon dans le rôle de Dreyfus, et les autres acteurs également (Emmanuelle Seigner notamment, qui incarne la maîtresse de Picquart).


 

Du grand cinéma


 

La dimension juive minimisée

 

La dimension juive de l’Affaire est assez peu présente dans le film, pour plusieurs raisons. la première est que Dreyfus lui-même n’a jamais été un “héros juif”, mais bien plutôt une sorte de anti-héros, placé bien malgré lui au coeur d’une affaire qui le dépassait, et se battant pour défendre son innocence et faire valoir ses droits. A ce sujet, Hannah Arendt, une des nombreuses intellectuelles qui s’est intéressée à l’Affaire, note que “Dreyfus ne bénéficia jamais d’un acquittement dans les règles” et elle rappelle aussi qu’au moment du transfert du corps de Zola au Panthéon, voulu par Georges Clémenceau, Alfred Dreyfus fut agressé en pleine rue et que son agresseur fut acquitté par un tribunal parisien… (2) On aurait donc tort de croire que la victoire tardive (et partielle) des dreyfusards et du “J’accuse” de Zola marqua la fin d’un antisémitisme devenu endémique en France. Non seulement l’Affaire ne mit pas fin à l’antisémitisme, mais elle le fit plutôt redoubler de vigueur. 

 

Une autre raison de l’absence relative de la dimension juive dans J’accuse est que le film de Polanski, malgré toutes ses qualités, ne donne quasiment aucun contexte historique à l’Affaire (un film n’est pas un livre d’histoire...). Le film débute par la dégradation du capitaine, place du Champ-de-Mars, en supposant que chacun sait comment on en est arrivé là. Il n’évoque pas le contexte de l’antisémitisme grandissant, depuis l’affaire de Panama notamment, et l’essor prodigieux du journal La Libre Parole de Drumont, qui ont permis à l’antisémitisme de connaître l’ampleur que l’on sait, au tournant du siècle. La “haine la plus longue”, présente en France depuis des temps immémoriaux, connaît ainsi un pic sans précédent à la fin du 19e siècle, avant de culminer à nouveau au milieu du 20e siècle, sous le régime de Vichy. Pour les Juifs de France, la réhabilitation tardive du capitaine Dreyfus ne fut donc qu’une accalmie provisoire, en attendant la prochaine tempête...


 

Jean Dujardin : époustouflant de vérité


 

Dans sa préface à L’histoire de l’antisémitisme de Bernard Lazare, Jean-Denis Bredin observe que Lazare fut “le premier, sinon le seul, qui donna à l’Affaire sa dimension juive”. Quelle était-elle alors, et quelle est encore aujourd’hui cette dimension? Comme l’explique Renée Neher-Bernheim, l’Affaire Dreyfus fut “pour beaucoup de Juifs assimilés un rappel brutal de leur condition juive, et une prise de conscience salutaire… Nombre de jeunes universitaires se rapprochèrent du judaïsme ; certains d’entre eux (comme Bernard Lazare, Edmond Fleg, André Spire) se groupent autour de Péguy, qui fait de ses Cahiers de la quinzaine la revue des partisans de Dreyfus et de la justice” (3). Point de départ d’un retour aux racines juives, l’Affaire a aussi joué un rôle important dans l’histoire du sionisme politique.

 

L’affaire Dreyfus, Herzl et le sionisme

 

Dans l’imagerie d’Epinal de l’historiographie sioniste, une des images les plus tenaces est en effet celle du fondateur du sionisme politique, Theodor Herzl, assistant à la dégradation de Dreyfus au Champ-de-Mars (en tant que correspondant parisien de la Neue Freie Presse) et “découvrant” à cette occasion l’idée sioniste. La réalité, comme souvent, est plus complexe. Citons à cet égard deux auteurs aux vues opposés : Renée Neher-Bernheim et Georges Weisz. La première, dans son Histoire juive de la Renaissance à nos jours, présente la vision traditionnelle : “La dégradation eut lieu le 5 janvier 1895 à Paris… De nombreux reporters et journalistes assistèrent à la scène. Parmi eux, Théodore Herzl, pour qui cette vision fut la révélation fulgurante de l’antisémitisme, et le point de départ de son orientation ultérieure”. 

 

Une version cinématographique antérieure de l’Affaire

 

Georges Weisz, de son côté, remet en cause cette conception en écrivant que “l’examen attentif de la jeunesse de Herzl met en évidence d’une part, la conscience aiguë qu’il avait de sa judéité bien avant l’Affaire Dreyfus, et elle amène, d’autre part, à douter de la causalité  directe entre l’Affaire Dreyfus et la révolution intérieure qu’il va vivre en 1895”. (4) Quoi qu’il en soit, l’Affaire Dreyfus fut lourde de conséquences, tant dans l’histoire de la France au vingtième siècle que dans celle des Juifs de France et du peuple Juif.

Pierre Lurçat

 

(1) L’idée d’un Picquard héros sans faille est remise en question par l’historien Philippe Oriol, spécialiste de l’Affaire, dans un livre qui vient de paraître.

https://www.grasset.fr/livres/le-faux-ami-du-capitaine-dreyfus-9782246860044

(2) H. Arendt, Les origines du totalitarisme, Quarto Gallimard p. 381.

(3) R. Neher-Bernheim, Histoire juive de la Renaissance à nos jours. Tome 2 p. 295. Paris, éditions Klincksieck 1971.

(4) G. Weisz, Theodor Herzl. Une nouvelle lecture. L’Harmattan 2006. Page 41.

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Quelle solution pour rétablir le calme entre Israël et Gaza?  Pierre Lurçat

November 12 2019, 16:11pm

Posted by Pierre Lurçat

Quelle solution pour rétablir le calme entre Israël et Gaza?  Pierre Lurçat

 

 

"Le Juif n'apprend pas par des raisonnements rationnels : il apprend par les catastrophes. Il n'achètera pas un parapluie simplement parce que des nuages s'amoncellent à l'horizon : il attendra d'être trempé et d'être atteint de pneumonie..."

Max Nordau (1)

 

Comme l’écrivait Yoav Shorek il y a quelques semaines (2), “lorsqu’un idiot jette une pierre au fonds du puits, plusieurs sages ne suffisent pas à la retirer”. La métaphore est parlante : le puits, c’est Gaza et la pierre c’est le Hamas, arrivé au pouvoir à la suite du retrait israélien - la “Hitnatkout” - dont Israël ne finit pas de payer les conséquences désastreuses. Si l’histoire nous a pourtant appris une chose, depuis 1948, c’est qu’il n’est pas possible de laisser la souveraineté à une quelconque entité autre qu’Israël, entre la Mer et le Jourdain. Toutes les tentatives faites en ce sens - dans un cadre bilatéral (accords d’Oslo), multilatéral (résolution de l’ONU sur l’internationalisation de Jérusalem) ou unilatéral (retrait de la bande de Gaza) - se sont soldées par un cuisant échec.

 

La synagogue de Névé Dekalim, détruite après le retrait de Gaza

 

Je me souviens avoir assisté au spectacle terrible des cercueils des habitants morts au Goush Katif, sortis de leurs tombes et portés en procession dans les rues de Jérusalem – car même les morts avaient été expulsés ! – une des images les plus effroyables qu’il m’a été donné de voir en 25 ans de vie en Israël. Yoav Shorek évoque à ce sujet une autre image terrible, celle de l’incendie des synagogues du Goush Katif le 12 septembre 2005. “Cet événement symbolique”, écrit Shorek, “a conclu le processus de Hitnatkout (retrait) de Gaza et est resté gravé dans la mémoire collective. Treize ans plus tard, les localités voisines de la bande de Gaza vivent toujours dans l’incertitude sécuritaire quotidienne, et dans une guerre d’usure dont on ne voit pas l’issue”.

 

Ceux qui considéraient qu’il s’agit du prix à payer pour ne plus assumer la souveraineté (ou le simple contrôle militaire) à Gaza ont été lourdement démentis par les faits. Car non seulement le retrait de Gaza n’a pas amélioré, comme l’avait promis son génial architecte, la sécurité intérieure d’Israël et son image sur la scène internationale, mais les deux se sont dégradées depuis, au point que le Hamas est devenu - après l’Iran et le Hezbollah au Nord - la deuxième menace stratégique pour Israël. Le tir de missiles ce matin sur Beer-Sheva et le Goush Dan n’est qu’une douloureuse piqûre de rappel à  cet égard.

 

La maison de Beer-Sheva détruite par un missile tiré de Gaza (photo Eliyahu Hershkovitz)

 

“A l’heure des missiles, les territoires n’ont pas d’importance” (Shimon Pérès)

 

Comme je l’écrivais en 2011, l’affirmation saugrenue faite par Shimon Pérès, en pleine euphorie des accords d’Oslo, a montré depuis lors son caractère illusoire et trompeur. Les territoires sont devenus plus essentiels que jamais à l’heure des missiles, comme le savent bien les habitants de Sdérot, de Beer-Sheva et d’Ashdod (liste partielle...), placés sous le feu des missiles du Hamas par le retrait de la bande de Gaza…”(3). Non seulement le retrait de Gaza s’est avéré (comme l’avaient prédit de nombreux observateurs à l’époque) stratégiquement erroné, mais il a surtout constitué une erreur sur le plan psychologique. Les habitants de Gaza - et le Hamas en premier lieu - ont en effet interprété ce retrait (comme tous les autres retraits israéliens, du Sud-Liban et de Judée-Samarie) comme un signe de faiblesse.

 

La faiblesse, disait Charles Krauthammer, fin observateur politique, est toujours un facteur négatif sur la scène internationale. Cela est d’autant plus vrai dans notre région, face à des ennemis habités par un complexe d’infériorité-supériorité, qui interprètent toute marque de faiblesse comme la confirmation de leur volonté destructrice. Cela est vrai à Gaza, où le “généreux” retrait israélien a été récompensé par la destruction humiliante de nos synagogues, et par une pluie de missiles incessante depuis lors. Cela est vrai aussi en Judée-Samarie et à Jérusalem, où la faiblesse israélienne, notamment sur le Mont du Temple, est interprétée par le monde musulman comme une preuve supplémentaire que les juifs sont des intrus à Jérusalem et qu’ils n’y ont aucun droit(4).

 

“Quand les Juifs pourront de nouveau réciter le Hallel au Goush Katif…”

 

Ceux qui pensent pouvoir régler le problème de Gaza par des opérations militaires limitées à des bombardements aériens se bercent d’illusions. “Les solutions provisoires”, écrit encore Shorek, “ne modifieront pas l’équation à Gaza, équation créée par le retrait, qui ne sera modifiée que lorsqu’Israël osera changer les règles du jeu et reviendra à Gaza pour y neutraliser la bombe. Pour nettoyer la bande de Gaza des armes et des infrastructures militaires et pour en refaire un lieu de vie, en offrant à ses habitants des perspectives d’avenir… Le prix inévitable du retrait est celui-ci : Tsahal devra retourner à Gaza et la reconquérir”.

 

Je n’ai rien à ajouter à ces lignes, sinon que le retour au calme à Gaza ne se fera que le jour où la synagogue de Névé Dekalim sera reconstruite, et que les prières juives retentiront de nouveau entre ses murs. Ce jour-là, qui n’est sans doute pas aussi lointain qu’il n’y paraît aujourd’hui, ce ne sont plus les appels au djihad et à la guerre qu’on entendra à Gaza, mais les mots du Hallel et ceux du prophète Jérémie : “Tes enfants reviendront dans leur territoire”.

Pierre Lurçat

NB Article publié initialement en novembre 2018

Notes

(1) Cité dans Histoire de ma vie, Les Provinciales 2011.

(2) “Treize années de conflagration”, Hashiloach numéro 11, septembre 2018.

(3) Article repris dans mon livre La trahison des clercs d’Israël, La Maison d’édition 2016, page 156.

(4) Sur ce sujet essentiel, je renvoie à au dernier chapitre de mon nouveau livre, Israël le rêve inachevé, à paraître en novembre aux éditions de Paris.

 

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Conférence de Pierre Lurçat à Fontenay-sous-bois

November 4 2019, 19:07pm

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