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VICTOR SOSKICE - Le héros de mon adolescence, Pierre Lurçat

June 26 2022, 13:23pm

Posted by Pierre Lurçat

 

J’étais parti sur les traces de Victor, héros mort à l’âge de vingt-deux ans qui avait joué un rôle essentiel dans la vie de mon père, sans savoir ce que j’allais trouver en chemin. Tout avait commencé par une photo, mystérieuse et fascinante ; celle d’un jeune homme au beau visage d’un ovale parfait, les cheveux blonds tirés en arrière, le regard légèrement rêveur. J’avais longtemps vu cette photo exposée dans le bureau de mon père, sans vraiment la regarder. Elle faisait partie du paysage familier de mon adolescence, comme celles de mes grands-parents ou des cousines de ma mère, mortes en déportation.

Il y avait d’un côté la famille de ma mère : mon grand-père Joseph, que je n’avais pas connu, mais dont le portrait en ‘Halouts, vêtu de l’habit de bédouin comme les pionniers de son époque en Israël, avait hanté les rêves de mes dix-sept ans, au point que j’avais voulu mettre mes pas dans les siens. Ma grand-mère Chaya, que j’avais connue au crépuscule de sa vie, femme usée par le travail physique (elle vendait des ballots de vêtements sur les marchés de la région parisienne) et par le chagrin du décès de son mari, dont elle était restée à jamais inconsolable. Et les cousines Fanny et Florette, mortes à Auschwitz à la fleur de la jeunesse.

 

Du côté paternel, il y avait le cousin Victor, qui avait sauvé mon père de la noyade lorsqu’il était enfant. Mes grands-parents paternels, que je n’avais pratiquement pas connus – ils étaient morts l’un après l’autre à quelques mois d’intervalle, lorsque j’avais trois ou quatre ans – ne m’intéressaient guère. Pendant des années, presque des décennies, j’avais oblitéré la branche paternelle de ma famille, celle dont je portais le nom, pour me construire une identité dont mes ancêtres paternels étaient exclus. Sans doute était-ce la conséquence de ma double origine (mais n’est-ce pas le lot de tout un chacun ?) qui m’avait porté à préférer le côté maternel. A l’âge où l’on se construit une identité et une famille – en faisant le tri de ceux parmi ses ancêtres, réels ou imaginés, à qui l’on veut ressembler – j’avais opté délibérément et exclusivement pour le côté maternel, celui des sœurs Shatzky et de mon grand-père, Joseph Kurtz, en rejetant les Lurçat.

 

Seul Victor faisait exception (au point que j’avais longtemps pensé que, si j’avais un fils, il porterait son prénom). Pourquoi ? Parce qu’il avait sauvé mon père, et sans doute plus encore parce qu’il me rattachait lui aussi, par son destin tragique de soldat mort à vingt ans, à l’époque héroïque de la Deuxième Guerre mondiale, tellement plus passionnante à mes yeux d’adolescent que celle des années 1980 dans laquelle je vivais. Nous appartenions, ma sœur Irène et moi, à la génération née au cœur des années opulentes et tranquilles de la fin des années soixante – point d’orgue de ces Trente Glorieuses qui n’avaient rien de glorieux à mes yeux, car j’avais grandi dans le sentiment de confort et d’ennui inspiré par l’idée que l’Histoire, la vraie, avait pris fin dans les ruines de Berlin en 1945.

 

Aux yeux de l’enfant que j’étais, tout ce qui se rapportait à la guerre (la seule qui m’intéressait, car celle de 1914 était trop lointaine et beaucoup moins romantique) était teinté de couleurs riches et flamboyantes, comme les romans de Dumas que j’avais lus et relus ; je m’identifiais aux héros anonymes de la Résistance, aux soldats du débarquement sur les plages d’Utah et d’Omaha Beach, aux évadés des camps de prisonniers en Allemagne. Ils peuplaient mon panthéon personnel, bien avant que j’y fasse entrer les héros du ghetto de Varsovie et ceux de la renaissance de la nation juive.

 

Chaque mercredi, je feuilletais les pages de l’Officiel des spectacles, à la recherche d’un film de guerre qui me ferait palpiter le cœur, autant que La Grande évasion ou Le Jour le plus long – les deux films-culte de mon adolescence. Dans la librairie de la rue Racine où ma mère m’emmenait souvent, je n’avais d’yeux que pour le rayon consacré à la guerre et à la Résistance (c’était, je l’ignorais alors, une librairie proche du Parti communiste). Je rêvais de faire dérailler des trains allemands, de me battre dans les maquis de Provence et de m’évader aux côtés de Steve Mc Queen d’un camp de prisonniers, dans la scène inoubliable de La Grande évasion où il saute à moto par-dessus les barbelés.

Mais le héros véritable de mon adolescence était resté cette figure mythique et presque évanescente, que j’avais connue de manière très fragmentaire par les récits de mon père, et largement imaginé. Parti en Israël, sur les traces de mon grand-père maternel, j’avais fini par oublier Victor… Jusqu’au jour où, bien des années plus tard, le hasard (ou bien était-ce le destin?) me fit rencontrer un témoin de cette époque lointaine, qui l’avait bien connu.

(Extrait de Victor Soskice, Qui sauve un homme sauve l’humanité, Editions L’éléphant / Books on Demand 2022).

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ECOUTER L’émission que Cathy Choukroun a consacrée au livre sur Studio Qualita

Raconter un héros et renouer avec les siens - Actuculture#345 (studioqualita.com)

 

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Une audience à la Cour suprême : Sodome ou Jérusalem ? Pierre Lurçat

June 23 2022, 15:03pm

Posted by Pierre Lurçat

La scène de l’attentat d’Elad

La scène de l’attentat d’Elad

 

Depuis vingt-cinq ans que j’écris au sujet de la Cour suprême israélienne, de son idéologie et de ses dérives[1], je n’avais jamais eu l’occasion d’y assister à une audience. J’ai comblé cette lacune mercredi dernier, en assistant à l’audience sur le recours formé par la famille des deux terroristes auteurs de l’attentat meurtrier d’Elad, il y a un mois, contre la décision de l’armée de détruire la maison de la famille d’un des terroristes. Audience passionnante, attristante et parfois surréaliste. Compte-rendu. P.L.

 

Avant de décrire l’audience, il faut dire quelques mots du contexte juridique, mais surtout rappeler les faits (ce qui n’a pas été fait ce matin, j’y reviendrai). Le 5 mai dernier, en pleine journée de l’Indépendance, deux terroristes armés de haches se sont introduits illégalement en Israël, sont parvenus jusqu’à la localité d’Elad à 25 km de Tel-Aviv et ont tué trois personnes, avant d’être neutralisés. A titre de sanction et de mesure de dissuasion, l’armée israélienne a décidé, comme elle le fait depuis longtemps, de démolir la maison de la famille d’un des terroristes. L’ordre de démolition a été signé le 20 juin, et c’est contre cette décision qu’a été intenté un recours en urgence devant la Cour suprême. Précisons que les avocats des familles des terroristes sont entièrement financés par une association juive israélienne – elle-même largement subventionnée par des pays et organismes étrangers – détail qui a son importance, nous le verrons.

 

En entrant dans le bâtiment somptueux qui abrite la Cour suprême depuis 1992, je remarque un couple d’âge mûr, qui passe le contrôle de sécurité en même temps que moi. « Je suis un avocat américain », explique l’homme au gardien, exhibant fièrement son passeport. La salle d’audience se trouve au premier étage. L’audience débute à neuf heures précises. Derrière moi est assis Yonatan, militant de l’association étudiante Im Tirtsou qui accompagne les familles des victimes du terrorisme. Assis au deuxième rang, je reconnais devant moi le couple rencontré à l’entrée. Que font-ils là ? Je vais bientôt le savoir.

 

La parole est donnée d’emblée à l’avocate du « Centre de défense des particuliers » (Hamoked en hébreu). Derrière ce nom anodin se cache une association radicale, créée par Lotte Salzberger (une rescapée de la Shoah) dans le but proclamé de « soutenir les Palestiniens vivant sous occupation israélienne », mais qui a en réalité pour principale activité la défense juridique des terroristes palestiniens devant les tribunaux. Un de ses nombreux domaines d’action est celui de la lutte contre les démolitions de maisons de terroristes par Tsahal, car explique le site d’Hamoked, citant l’article 53 de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre de 1949 : « Toute destruction par la Puissance occupante de biens immobiliers ou personnels appartenant individuellement ou collectivement à des personnes privées [...] est interdite, sauf si une telle destruction est rendue absolument nécessaire par des opérations militaires ».

 

C’est précisément le premier argument avancé par l’avocate d’Hamoked : la démolition serait « illégale » et contraire au droit international. Pendant une vingtaine de minutes, elle expose ses arguments, sans être interrompue par les juges, invoquant tantôt le droit international, tantôt les principes du droit administratif israélien, insistant sur le fait que la mère du terroriste est atteinte d’un cancer, et observant que les médias israéliens ont fait état d’un report de la démolition de la maison d’autres terroristes de Djénine, jusqu'à « après la visite du président Biden ».

 

 

C’est ensuite au tour du ministère public de prendre la parole, pour défendre la décision de l’armée. L’avocate rappelle que la Cour suprême a depuis longtemps tranché la question de la compétence de l’armée pour détruire les maisons de terroristes, et qu’il ne s’agit pas seulement d’une mesure punitive, mais plutôt et surtout d’une mesure de dissuasion, dont l’effet dissuasif a été établi par de nombreuses études sur le sujet et ne fait aucun doute. (Devant moi, l’avocat américain envoie des SMS sur son portable, j’arrive à lire les mots « colonie ultra-orthodoxe d’Elad »).

 

L’avocate du ministère public insiste ensuite sur le fait que le terroriste a préparé son attentat dans la maison de ses parents et que ce fait est considéré comme significatif par la Cour suprême, y compris par le juge Mazouz, pourtant connu comme hostile aux démolitions de maisons de terroristes… Elle précise également que la méthode de démolition employée par Tsahal vise à circonscrire au maximum les dommages matériels, pour ne pas endommager les maisons voisines. En l’écoutant, je pense aux familles des victimes, aux enfants dont le père a été sauvagement assassiné sous leurs yeux, en pleines festivités du Yom Haatsmaout.

 

 
Le juge Kaboub

Le juge Kaboub

Des victimes, il ne sera presque pas question durant l’audience, et c’est précisément la raison de la présence d’Im Tirtsu, association qui assume (parmi ses nombreux autres combats) la mission sacrée de soutenir moralement les victimes du terrorisme arabe devant les tribunaux israéliens. A un seul moment, deux jeunes avocates, visiblement moins entraînées que leurs consœurs à s’exprimer devant la Cour suprême, viennent soumettre aux juges les demandes des veuves des victimes, qui réclament que la démolition soit autorisée et que « tout soit fait pour que les attentats ne se reproduisent pas ». Juste avant leur intervention, l’avocate d’Hamoked a eu le toupet déclarer, toute honte bue, qu’elle n’avait pas préparé de réponse aux familles des victimes et que celles-ci n’avaient pas de « statut juridique » dans cette audience…

 

Effectivement, et c’est bien le cœur du problème. Pendant une heure, on a débattu ici des familles des terroristes, de leurs maisons, de la maladie de la mère d’un des assassins, comme si tout cela était entièrement normal. Le comble du surréaliste a été atteint lorsque le juge Khaled Kaboub, premier juge musulman nommé à la Cour suprême, a demandé à la représentante du ministère public si l’armée avait envisagé une « démolition partielle » de la maison du terroriste… En l’écoutant, j’ai immédiatement pensé (sans savoir qui était ce juge) aux versets de la Torah évoquant la justice de Sodome. Le juge Kaboub est le seul qui a pris la peine de poser des questions lors de l’audience, et ses questions étaient toujours orientées dans le même sens. Je comprends à présent pourquoi.

 

Israël peut se flatter à juste titre d’être la seule démocratie du Moyen-Orient et de posséder un système judiciaire développé, dont la Cour suprême est prétendument le fleuron. Les juges qui siègent à Jérusalem sont souvent présentés comme les modèles de la démocratie israélienne. Depuis vingt-cinq ans, j’ai souvent critiqué l’activisme de la Cour suprême, devenue depuis le début des années 1990 et la « Révolution constitutionnelle » du juge Aharon Barak (qui a coïncidé avec son installation dans son nouveau et superbe bâtiment, qui siège en hauteur à l’entrée de Jérusalem – plus haut que la Knesset, tout un symbole…) le premier pouvoir en Israël.

 

Aujourd’hui, en assistant à l’audience, en écoutant les juges et les avocats, ce n’est pas à l’activisme judiciaire, et au fait que la Cour suprême d’Israël est une des plus activistes au monde, que je pense. Quand les deux jeunes avocates ont succinctement évoqué la souffrance des familles des victimes de l’horrible attentat d’Elad, l’avocat américain assis devant moi a envoyé un SMS, en demandant « qui paie ces avocats ? ». Lui qui est venu soutenir Hamoked – l’association de défense des Palestiniens qui reçoit des millions d’euros de pays européens… Quel salaud ! Je pense à la justice de Sodome et à l’adage bien connu du Talmud : « Celui qui a pitié du méchant finit par être cruel avec le Juste ». Jamais ces mots ne m’ont paru si évidents et si vrais que ce matin.

Pierre Lurçat

 

NB Lire le rapport de NGO Monitor sur Hamoked et son financement, ici.

HaMoked - Center for the Defense of the Individual » ngomonitor (ngo-monitor.org)

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Im Tirtzu - Building the Zionist Dream - Donations

 

[1] Mon article le plus récent sur le sujet a été publié dans la revue Pardès que dirige Shmuel Trigano, sous le titre “Comment la cour suprême est devenue le premier pouvoir en Israël”. Pardès no. 67, 2021.

La Cour suprême surplombant la Knesset

La Cour suprême surplombant la Knesset

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A.B. Yehoshua, Amos Oz et le mensonge du “camp de la paix”, Pierre Lurçat

June 19 2022, 07:14am

Posted by Pierre Lurçat

A.B. Yehoshua, Amos Oz et le mensonge du “camp de la paix”, Pierre Lurçat

 

L’écrivain israélien A.B. Yehoshua est décédé alors que s’ouvrait en Israël la “semaine du livre”, la manifestation littéraire qui est aussi une grande “fête du livre”, qui vient clore le cycle des fêtes du printemps israélien. Il est aussi mort avant le shabbat où nous lisons la parachat Chela-Lekha, qui relate la faute des explorateurs. A certains égards, Yehoshua faisait partie, avec ses collègues Amos Oz et David Grossman, des « modernes explorateurs » que sont ces intellectuels israéliens qui n’ont eu cesse, depuis cinquante-cinq ans, de mettre en garde leur pays et ses dirigeants contre les dangers d’une « corruption morale » et de multiples catastrophes dont l’unique cause serait, selon eux, « l’occupation des territoires »

 

Disons d’emblée qu’A. B. Yehoshua fut le seul des trois (à ce jour) à accepter de remettre en cause la rhétorique apocalyptique et moralisante de « La Paix Maintenant », dont ils étaient devenus tous trois, à des degrés différents, les porte-parole patentés. En acceptant de se remettre en question pour rejeter la logique des « deux États » et de la création d’un « État palestinien » en Judée-Samarie, Yehoshua a fait preuve à la fois d’une tardive lucidité et d’une forme de courage, inhabituelle dans les sphères de la gauche israélienne. Il était en effet bien plus facile de répéter comme un mantra les slogans éculés de La Paix Maintenant et de gagner ainsi la sympathie des médias – en Israël comme à l’étranger – et le statut confortable et lucratif d’écrivains du « camp de la paix ».

 

« Camp de la paix » ? L’expression ferait sourire, si elle ne rappelait de sinistres souvenirs. Elle remonte – rappel historique pour les nouvelles générations nées après l’effondrement du Mur de Berlin – à l’Union soviétique et à ses satellites. Le « Mouvement de la paix » était dans l’après-guerre (pendant la guerre froide dont on a oublié aujourd’hui la signification) la courroie de transmission du PCUS et du communisme stalinien au sein des pays occidentaux et de leur intelligentsia, qui était déjà à l’époque le ‘ventre mou’ de l’Occident. L’expression est donc un héritage empoisonné du communisme stalinien et elle est tout aussi mensongère à l’égard d’Israël aujourd’hui, qu’elle l’était concernant l’Occident alors.

2.

 

Le livre que vient de publier Nili Oz (1), veuve de l’écrivain Amos Oz, sur son mari, intitulé Amos sheli, est d’une lecture agréable et instructive à la fois. On y découvre un jeune homme sensible et sûr de lui, qui a connu le succès dès son premier livre et a apostrophé publiquement tous les dirigeants israéliens, depuis David Ben Gourion jusqu'à Benyamin Netanyahou. Oz – né Klausner – est issu d’une famille bien connue de l'aristocratie sioniste de droite (son oncle était l'historien Yossef Klausner). Son départ au kibboutz Houlda, après le décès tragique de sa mère, fut l’occasion pour lui de “réévaluer” toutes les valeurs dans lesquelles il avait élevé.

 

En rejetant le monde intellectuel de la famille Klausner, il ne s’éloigna pas seulement de son père (dont il avait rejeté jusqu’au nom de famille). Il fit surtout cause commune avec ses professeurs de l’université hébraïque, Hugo Shmuel Bergman, fondateur avec Martin Buber de « l’Alliance pour la paix », qui prônait « une fraternité sentimentale entre Juifs et Arabes et le renoncement au rêve d’un Etat hébreu afin que les Arabes nous permettent de vivre ici, à leur botte… » (2), rêve utopique que ses parents considéraient comme totalement coupé du réel et défaitiste.

 

Dans son livre, Nili Oz qui fut la fidèle compagne d’Amos pendant soixante ans, se flatte que son mari ait été le premier à dénoncer “l’occupation” des territoires libérés en 1967, « avant Yeshayahou Leibowitz ». Effectivement, avec la ‘houtspa qui le caractérisait, le jeune Amos – âgé de moins de 30 ans – publia dans le quotidien Davar une tribune adressée au ministre de la Défense Moshé Dayan, pleine de verve et de fiel, affirmant que « nous n’avons pas libéré Hébron et Ramallah… nous les avons conquis ». Et il poursuivait : « l’occupation corrompt » (expression devenue un slogan de la gauche israélienne après 1967), « même l’occupation éclairée et humaine est une occupation ».

 

A.B. Yehoshua, Amos Oz et le mensonge du “camp de la paix”, Pierre Lurçat

3.

 

Ad repetita… Aujourd’hui comme jadis, lors des débuts de notre histoire nationale et de la première conquête d’Eretz-Israël au temps de Josué (livre de la Bible qu’une ministre de la Culture prétendit bannir à l’époque des accords d’Oslo), une poignée de membres de l’élite de notre peuple se sont érigés en donneurs de leçons, en « nouveaux égarés du désert », comme l’écrivait le regretté André Neher en 1969. Avoir donné au terme biblique de « Kibboush » une connotation péjorative n’est pas le moindre péché de ces modernes explorateurs, qui ont instillé la peur dans l’esprit des Israéliens et les ont fait douter de la justesse de notre présence sur cette terre.

 

Ironie de l’histoire : l’Israël d’avant 1967 était lui aussi le fruit d’une (re)conquête et d’une victoire militaire – celle de 1948 – et la plupart des kibboutzim de l’extrême-gauche, de l’Hashomer Hatzair et du Mapam, étaient bâtis sur les ruines de villages arabes, comme Amos Oz le rappelle sans sourciller, en évoquant le kibboutz Houlda de sa jeunesse. Les pionniers de Judée-Samarie après 1967, eux, n’ont détruit aucun village arabe pour construire leurs maisons. Si « l’occupation corrompt », alors pourquoi s’arrêter à celle de 1967 et ne pas remonter jusqu’à 1948 ?

 

Les plus conséquents parmi les chantres du pacifisme israélien, comme Martin Buber, ont poussé leur funeste logique jusqu’à l’absurde, en affirmant que l’idée même d’un État national juif en Eretz-Israël était immorale. En réalité, comme le rappelait Jabotinsky il y a cent ans, en répondant aux pacifistes de son temps, « La paix avec les Arabes est certes nécessaire, et il est vain de mener une campagne de propagande à cet effet parmi les Juifs. Nous aspirons tous, sans aucune exception, à la paix ». Toutefois, comme il l’écrivait dans son fameux article « Le mur de fer », la question d’un règlement pacifique du conflit dépend exclusivement de l’attitude arabe. Propos qui demeurent d’une brûlante actualité jusqu’à ce jour.

P. Lurçat

A.B. Yehoshua, Amos Oz et le mensonge du “camp de la paix”, Pierre Lurçat

1. Nili Oz, Amos Sheli, Keter 2022.

2.  Amos Oz, Une histoire d’amour et de ténèbres, traduction de Sylvie Cohen, Gallimard 2004, p. 21.

 

Le quatrième volume de la Bibliothèque sioniste, consacré aux textes de Jabotinsky sur la question arabe en Israël et intitulé Le mur de fer. Les Arabes et nous, paraîtra dans les prochaines semaines.

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Les facteurs moraux dans la politique étrangère d’Israël

June 15 2022, 07:51am

Posted by Pierre Lurçat

 

La conférence organisée mardi 7 juin par le Jewish People Policy Institute, think tank basé à Jérusalem, abordait un sujet important : celui des facteurs moraux dans la politique étrangère de l’État d’Israël. L’intitulé exact de la conférence était “L’Ukraine comme fable: les facteurs moraux dans la politique étrangère d’Israël”, mais les exemples abordés par les différents intervenants dépassaient le seul cadre de la guerre en Ukraine. Parmi ceux-ci, la “guest star” était Tamir Pardo, ancien patron du Mossad entre 2011 et 2015.

 

Ce colloque passionnant permit ainsi au grand public, entre autres, de découvrir le visage et les opinions de l’ancien patron du Mossad. Dans son intervention, après avoir souligné la complexité du sujet, il n’hésita pas à porter un regard parfois très critique sur la politique étrangère israélienne, sur des dossiers aussi sensibles que le Hamas, les relations avec la Turquie ou le génocide arménien (imagine-t-on une attitude semblable de la part d’un ancien responsable des services secrets français?)

 

Tamir Pardo



 

Évoquant la décision dramatique de libérer 1000 terroristes - dont de nombreux assassins condamnés - contre le soldat israélien Gilad Shalit  (dont les conséquences furent catastrophiques), décision prise pendant son mandat et vraisemblablement contre son avis, Pardo s’est interrogé : pourquoi la suprématie accordée aux valeurs “morales” (d’ailleurs très discutables) dans l’affaire Shalit, par rapport aux intérêts politiques et stratégiques, ne se retrouve pas dans d’autres dossiers, comme celui du génocide arménien?

 

L’État d’Israël face au génocide arménien 

 

Sur ce sujet important, et rarement évoqué en Israël, Pardo a rappelé qu’Israël persiste jusqu'à ce jour dans son refus de reconnaître le genocide arménien, en arguant de la préséance donnée aux relations avec la Turquie, alors que celle-ci ne se prive pas de soutenir ouvertement les ennemis les plus radicaux de l’État juif et d’abriter sur son territoire le Hamas et ses mouvements affiliés, comme cela était apparu notamment lors de l’affaire du Marmara.

 

Abordant la guerre en Ukraine, Pardo a là aussi critiqué la politique “réaliste” de l’État hébreu, rappelant qu’Israël n’avait rejoint les condamnations internationales de l’agression russe qu’à la suite de pressions américaines, et que l’État juif s’abstenait néanmoins de participer aux sanctions internationales contre la Russie de Poutine, à l’exception des seules sanctions bancaires. En présentant le colloque, la directrice générale de l’Agence juive Amira Aharonowitz avait rappelé qu’Israël s’était posé la question de savoir si son aide humanitaire devait concerner uniquement les Juifs, ou l’ensemble des réfugiés. 

 

Dans son intervention, Tamir Pardo mentionna également ce dilemme (classique dans l’histoire juive) et conclut qu’une morale qui ne concernait que les Juifs n’était pas une morale authentique. En écoutant l’ex-patron du Mossad parler des “facteurs moraux de la politique étrangère israélienne”, je me suis fait la réflexion qu’Israël avait encore du chemin à faire pour trouver la voie étroite entre une “Realpolitik” qui ferait fi de toute considération morale, d’une part, et une politique motivée par de pures considérations morales angéliques qui ferait fi des réalités, d’autre part. L’expérience des 70 années d’existence étatique montre que l’État juif a souvent oscillé entre ces deux extrêmes, et qu’il a donné parfois dans un excès d’angélisme et de moralisme et parfois dans un excès de RealPolitik. La politique étrangère d’Israël, avec ses réussites et ses échecs, est encore un domaine en friche.


Pierre Lurçat

 

NB J’ai abordé le même thème lors d’un colloque organisé il y a deux ans par la Loge Robert Gamzon du Bnai-Brith à Jérusalem

 

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June 12 2022, 09:22am

 

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Dernier titre paru : JABOTINSKY, Questions autour de la tradition juive

Il faut être infiniment reconnaissant à Pierre Lurçat de nous permettre, par le biais de ce petit livre, de mieux connaître celui qui fut le créateur du mouvement sioniste révisionniste, celui qu’on désignait comme le « Roch Betar ». On découvre ainsi l’attachement de ce grand leader à la religion juive.

Impressionnant. À découvrir !

Jean-Pierre Allali, CRIF.ORG

 

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“L’homme le plus heureux du monde” : Uri Zohar et le secret de l’identité israélienne

June 7 2022, 16:31pm

Posted by Pierre Lurçat

“L’homme le plus heureux du monde” : Uri Zohar et le secret de l’identité israélienne

 

Je suis non seulement l’homme le plus heureux du monde, mais aussi l’homme le plus riche”, déclarait au micro de Sivan Rahav Meir le rav Uri Zohar, qui vient de décéder à l’âge de 87 ans à Jérusalem, dans le petit appartement d’une pièce où il a vécu ces quarante dernières années. Son décès, à la veille de Shavouot, la fête du don de la Torah, est symbolique pour celui qui avait renoncé à une carrière très réussie dans le monde du cinéma (le critique Jacques Mandelbaum l’avait surnommé le “Godard israélien”), du théâtre et du divertissement pour se consacrer tout entier à l’étude de la Torah.

Le parcours d’Uri Zohar demeure jusqu’à ce jour un mystère et un sujet d’étonnement pour de nombreux Israéliens. Son ami proche Arik Einstein – devenu son “méhoutan” lorsque les deux fils de Zohar ont épousé les deux filles d’Einstein – avait écrit à l’époque une chanson qui passe aujourd’hui en boucle à la radio en Israël, aux paroles évocatrices : “Hou hazar bi-tchouva, hou lomed archav Torah…” Si ce retour aux sources, cette “téchouva” qui attristait le chanteur Arik Einstein est tellement signifiante pour Israël, aujourd’hui comme à l’époque, c’est parce qu’elle interroge les fondements mêmes de l’identité individuelle de chaque Israélien, mais aussi de l’identité collective de l’Etat juif.

“L’homme le plus heureux du monde” : Uri Zohar et le secret de l’identité israélienne

Arik Einstein et Uri Zohar, les deux camarades devenus des figures iconiques de deux Israël si différents et quasiment étrangers l’un à l’autre - celui du monde du spectacle et des arts de Tel-Aviv d’un côté, et celui du monde de la Torah de Jérusalem de l’autre - étaient pourtant restés amis et plus encore, avaient uni leurs familles par le double mariage de leurs enfants respectifs. “Il n’y avait pas une semaine où nous ne parlions pas au téléphone”, racontant Zohar évoquant le souvenir d’Einstein.

Comme je l’ai écrit lors du décès d’Arik Einstein, citant Hemi Shalev du Ha’aretz, Arik Einstein était « la voix d’Israël », et il incarnait ce « nouvel Israël, libéral (au sens américain) et séculier que nous pensions autrefois devenir… ». On ne saurait mieux définir tout ce qu’il représentait et représente aux yeux d’une large fraction du public israélien. Cet homme discret et modeste, qui n’aimait pas monter sur scène et détestait l’aspect commercial du métier d’artiste, incarnait en effet un visage d’Israël que beaucoup regardent aujourd’hui avec nostalgie et évoquent avec un sentiment quasi-religieux.

Uri Zohar, de son côté, incarnait (dans la seconde moitié de sa vie) un tout autre visage d’Israël, radicalement opposé : l’Israël conservateur attaché à la Tradition la plus stricte et confiné dans les “quatre coudées de la Torah”, dans lesquelles Zohar a véritablement vécu quatre décennies, confiné dans son modeste appartement dans l’étude de chaque instant… L’ancien acteur et humoriste devenu réalisateur, conservait pieusement, entre les pages d’un livre de prières, une feuille pliée en quatre portant les noms de tous ses anciens amis du monde de la culture et de la “Branja” tel-avivienne, disparus de son vivant, pour lesquels il récitait chaque année le kaddish

Ce détail poignant, rapporté par Sivan Rahav Meir, en dit long sur l'affection que le rav Uri Zohar portait à ses anciens camarades. Cela ne l'empêchait pas de critiquer avec férocité le monde qu'il avait quitté. Quel était l'élément central de cette critique (qui était tout autant une autocritique) ? Pour le savoir, on peut citer un philosophe qui, bien que n'étant pas Juif, avait formulé bien avant Zohar un diagnostic auquel ce dernier aurait pu adhérer entièrement : “l’homme du type esthétique, dont la vie est entièrement consacrée à la satisfaction des appétits”[1], parvient rapidement au désespoir, car sa vie est rongée par l’ennui. C'est pour fuir cet ennui d'une vie dénuée de transcendance qu'Uri Zohar a quitté la bohème de tel Aviv pour s'enfermer dans l'étude de la Torah, "jour et nuit", avide de rattraper le temps perdu. Le mode de vie qu’il avait choisi - aussi étranger qu’il puisse paraître à la grande majorité des Israéliens - continue pourtant de fasciner. Ce double sentiment de répulsion-fascination est au cœur de l’identité israélienne.

Pierre Lurçat

 

[1] Sören Kierkegaard, Either/Or, trad. de Walter Lowrie, Princeton 1985.

“L’homme le plus heureux du monde” : Uri Zohar et le secret de l’identité israélienne

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