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victor soskice

VICTOR SOSKICE - Le héros de mon adolescence, Pierre Lurçat

June 26 2022, 13:23pm

Posted by Pierre Lurçat

 

J’étais parti sur les traces de Victor, héros mort à l’âge de vingt-deux ans qui avait joué un rôle essentiel dans la vie de mon père, sans savoir ce que j’allais trouver en chemin. Tout avait commencé par une photo, mystérieuse et fascinante ; celle d’un jeune homme au beau visage d’un ovale parfait, les cheveux blonds tirés en arrière, le regard légèrement rêveur. J’avais longtemps vu cette photo exposée dans le bureau de mon père, sans vraiment la regarder. Elle faisait partie du paysage familier de mon adolescence, comme celles de mes grands-parents ou des cousines de ma mère, mortes en déportation.

Il y avait d’un côté la famille de ma mère : mon grand-père Joseph, que je n’avais pas connu, mais dont le portrait en ‘Halouts, vêtu de l’habit de bédouin comme les pionniers de son époque en Israël, avait hanté les rêves de mes dix-sept ans, au point que j’avais voulu mettre mes pas dans les siens. Ma grand-mère Chaya, que j’avais connue au crépuscule de sa vie, femme usée par le travail physique (elle vendait des ballots de vêtements sur les marchés de la région parisienne) et par le chagrin du décès de son mari, dont elle était restée à jamais inconsolable. Et les cousines Fanny et Florette, mortes à Auschwitz à la fleur de la jeunesse.

 

Du côté paternel, il y avait le cousin Victor, qui avait sauvé mon père de la noyade lorsqu’il était enfant. Mes grands-parents paternels, que je n’avais pratiquement pas connus – ils étaient morts l’un après l’autre à quelques mois d’intervalle, lorsque j’avais trois ou quatre ans – ne m’intéressaient guère. Pendant des années, presque des décennies, j’avais oblitéré la branche paternelle de ma famille, celle dont je portais le nom, pour me construire une identité dont mes ancêtres paternels étaient exclus. Sans doute était-ce la conséquence de ma double origine (mais n’est-ce pas le lot de tout un chacun ?) qui m’avait porté à préférer le côté maternel. A l’âge où l’on se construit une identité et une famille – en faisant le tri de ceux parmi ses ancêtres, réels ou imaginés, à qui l’on veut ressembler – j’avais opté délibérément et exclusivement pour le côté maternel, celui des sœurs Shatzky et de mon grand-père, Joseph Kurtz, en rejetant les Lurçat.

 

Seul Victor faisait exception (au point que j’avais longtemps pensé que, si j’avais un fils, il porterait son prénom). Pourquoi ? Parce qu’il avait sauvé mon père, et sans doute plus encore parce qu’il me rattachait lui aussi, par son destin tragique de soldat mort à vingt ans, à l’époque héroïque de la Deuxième Guerre mondiale, tellement plus passionnante à mes yeux d’adolescent que celle des années 1980 dans laquelle je vivais. Nous appartenions, ma sœur Irène et moi, à la génération née au cœur des années opulentes et tranquilles de la fin des années soixante – point d’orgue de ces Trente Glorieuses qui n’avaient rien de glorieux à mes yeux, car j’avais grandi dans le sentiment de confort et d’ennui inspiré par l’idée que l’Histoire, la vraie, avait pris fin dans les ruines de Berlin en 1945.

 

Aux yeux de l’enfant que j’étais, tout ce qui se rapportait à la guerre (la seule qui m’intéressait, car celle de 1914 était trop lointaine et beaucoup moins romantique) était teinté de couleurs riches et flamboyantes, comme les romans de Dumas que j’avais lus et relus ; je m’identifiais aux héros anonymes de la Résistance, aux soldats du débarquement sur les plages d’Utah et d’Omaha Beach, aux évadés des camps de prisonniers en Allemagne. Ils peuplaient mon panthéon personnel, bien avant que j’y fasse entrer les héros du ghetto de Varsovie et ceux de la renaissance de la nation juive.

 

Chaque mercredi, je feuilletais les pages de l’Officiel des spectacles, à la recherche d’un film de guerre qui me ferait palpiter le cœur, autant que La Grande évasion ou Le Jour le plus long – les deux films-culte de mon adolescence. Dans la librairie de la rue Racine où ma mère m’emmenait souvent, je n’avais d’yeux que pour le rayon consacré à la guerre et à la Résistance (c’était, je l’ignorais alors, une librairie proche du Parti communiste). Je rêvais de faire dérailler des trains allemands, de me battre dans les maquis de Provence et de m’évader aux côtés de Steve Mc Queen d’un camp de prisonniers, dans la scène inoubliable de La Grande évasion où il saute à moto par-dessus les barbelés.

Mais le héros véritable de mon adolescence était resté cette figure mythique et presque évanescente, que j’avais connue de manière très fragmentaire par les récits de mon père, et largement imaginé. Parti en Israël, sur les traces de mon grand-père maternel, j’avais fini par oublier Victor… Jusqu’au jour où, bien des années plus tard, le hasard (ou bien était-ce le destin?) me fit rencontrer un témoin de cette époque lointaine, qui l’avait bien connu.

(Extrait de Victor Soskice, Qui sauve un homme sauve l’humanité, Editions L’éléphant / Books on Demand 2022).

En vente sur Amazon, sur B.o.D. et dans toutes les bonnes libraires

 

ECOUTER L’émission que Cathy Choukroun a consacrée au livre sur Studio Qualita

Raconter un héros et renouer avec les siens - Actuculture#345 (studioqualita.com)

 

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Samuel Willenberg, le révolté de Treblinka, par Pierre Lurçat

April 27 2022, 09:45am

Posted by Pierre Lurçat

 

(Extrait de mon livre Victor Soskice, Qui sauve un homme sauve l'humanité, qui vient de paraître aux éditions L’éléphant)

 

Entre Acco et Nahariya, sur la côte de la Méditerranée, à quelques kilomètres de la frontière nord d’Israël, se trouve le kibboutz Lohamei Hagetaot (“Les combattants des ghettos”). Fondé en 1949, le kibboutz abrite aussi le Musée des Combattants des ghettos, qui a pour particularité d’être le premier musée de la Shoah fondé en Israël, la même année que le kibboutz, et d’avoir été créé par des survivants de la Shoah, parmi lesquels plusieurs anciens combattants du ghetto de Varsovie. Quand on arrive par la route venant de Haïfa, on remarque tout d’abord l’aqueduc romain qui longe le kibboutz sur son côté Ouest. Le musée, dont la structure impressionnante est due à l’architecte Samuel Bickels, est presque vide, en ce début d’après-midi.

 

Nous parcourons les salles consacrées aux Justes des Nations et à la Résistance juive, avant de tomber en arrêt devant les sculptures réalisées par Samuel Willenberg. Ce sont des scènes terribles, tirées de la vie quotidienne dans le camp de Treblinka et reconstituées de mémoire, et qui semblent tirées de l’Enfer de Dante. J’ai bien connu Willenberg, car il était le “méhoutan” (mot intraduisible en français) de mon oncle Menahem – la fille du premier ayant épousé le fils du second – et je l’ai souvent croisé, étant adolescent, mais je n’ai compris que très tard le secret qui l’habitait. Dans la famille, on l’appelait familièrement “Igo”, de son nom de guerre. À l’époque, il m’intimidait, avec sa voix rauque et la manière qu’il avait de vous scruter de son regard bleu profond et intense. J’avais l’impression qu’il me dévisageait avec insistance, comme pour lire au fond de moi, et son regard me mettait mal à l’aise. J’étais trop jeune alors pour comprendre que ce n’était pas dû à un quelconque sentiment d’hostilité, mais au fait qu’il n’était pas entièrement ici, dans le monde que nous partageons avec nos contemporains.

 Detail

Son parcours, qu’il a relaté dans un livre de souvenirs traduit en français[1], est celui d’un survivant de Treblinka et d’un héros dont le courage n’avait d’égal que la modestie. Son père, Peretz, enseignant et peintre à Czestochowa, avait épousé une Russe orthodoxe qui avait fui la Révolution. Elle se convertit pour l’épouser. En 1941, après la création du ghetto de Czestochowa, Samuel et ses parents parviennent à échapper aux rafles, tandis que ses deux sœurs, Tamara et Ita, sont déportées. Arrêté lors de la liquidation du ghetto d’Opatów, Samuel est déporté à Treblinka à l’âge de dix-neuf ans. Suivant le conseil donné sur la rampe menant au camp, il se fait passer pour maçon, ce qui lui sauve la vie, alors que la plupart des membres du convoi sont immédiatement emmenés dans les chambres à gaz.

 

Le révolté de Treblinka

 

Samuel réussit à survivre entre octobre 1942 et août 1943, date de la révolte du camp, à laquelle il participe avec plusieurs centaines de prisonniers. Blessé à la jambe, il parvient à regagner Varsovie, où il retrouve son père, qui s’est caché du côté “aryen” de la ville. Il prend part au soulèvement de Varsovie dans les rangs de l’Armiya Krajova (l’armée de l’intérieur polonaise). Après la guerre, Samuel demeure plusieurs années en Pologne et se porte volontaire dans l’armée polonaise, où il devient officier, avant de partir en Israël en 1950. Il y travaille comme ingénieur au ministère du Logement jusqu’à sa retraite. Par la suite, il prend des cours de sculpture et guide des jeunes Israéliens venus visiter les camps en Pologne. Je me suis souvent demandé ce qui le poussait à revenir, chaque année pendant plusieurs décennies, dans ce pays qui avait été celui de son calvaire et celui de sa famille. Le désir de transmission ? Il aurait pu se contenter de donner des conférences dans les lycées en Israël. Ce n’est qu’en avril 2016, devant les sculptures exposées au musée du kibboutz, que j’ai trouvé la réponse à cette question.

 

 

Willenberg était le dernier survivant de la révolte de Treblinka, et à de nombreux égards, il était resté là-bas. Son corps avait certes survécu, et il donnait le sentiment d’une force incroyable, comme si le fait d’avoir enduré les privations et l’horreur des camps l’avait rendu à jamais invincible. Mais son âme, elle, était restée dans cet autre monde, ce monde de l’horreur et de l’indicible, que la nation la plus raffinée d’Europe avait créé pour y exterminer le peuple Juif. Un petit film émouvant, au musée du kibboutz, le montre évoquant, la voix tremblante, la révolte de Treblinka et ses compagnons d’infortune, dont les images n’ont cessé de le hanter jusqu’à son dernier jour, comme il l’explique, 70 ans plus tard : “Treblinka zeh Ani!” (Treblinka, c’est moi!) Cette déclaration n’était pas une fanfaronnade ou une affirmation saugrenue ; elle exprimait la quintessence de son être, la réalité de sa vie depuis les années terribles dont il n’était jamais sorti.

 

 

“Igo”, le lieutenant de l’armée polonaise, le révolté de Treblinka, n’avait en réalité jamais été entièrement libéré de là-bas. Les Allemands, dans leur volonté criminelle d’extermination, avaient réussi à tuer non seulement les morts, mais aussi, dans une certaine mesure, les survivants. En voyant le visage de Willenberg, au musée du kibboutz des combattants des ghettos, je me dis qu’il fallait le rencontrer, l’entendre encore une fois raconter sa vie et son destin incroyable. Hélas, il était trop tard… Samuel était décédé deux mois auparavant, à quelques jours de son quatre-vingt-dixième anniversaire. Une fois de plus, le temps m’avait pris de court, comme avec les rares survivants qui avaient connu Victor. Ainsi, pensai-je en sortant du musée des combattants des ghettos, j’avais cru échapper à Victor, en venant me reposer quelques jours en Israël, et je le retrouvai immanquablement, à travers Willenberg et les autres témoins de la période tourmentée dans laquelle il avait vécu et qui avait déterminé son cruel destin.

 

 

Mais cette découverte, loin de susciter en moi un nouvel accès de tristesse ou de découragement, me confirma que j’étais sur la bonne voie. J’avais mis plusieurs décennies à comprendre le secret de Samuel Willenberg, qui m’était apparu dans son éclatante vérité, lors de la visite au kibboutz Lohamei Hagetaot. A présent, je savais pourquoi je me devais d’écrire sur Victor, quoi qu’il m’en coûte, même s’il fallait y consacrer encore des nuits blanches et des mois entiers. Ce n’était pas seulement par fidélité au héros de mon adolescence et au sauveur de mon père. C’était aussi par fidélité à moi-même, à la promesse que je m’étais faite un jour en rencontrant, dans les circonstances extraordinaires que j’ai relatées, l’ami de Victor, André Simon. Mais aussi pour tous les autres témoins de sa brève existence, ceux que j’avais interviewés ou croisés – Jacqueline et son frère – et ceux que je n’avais pas eu le temps de rencontrer, comme Jac Remise, son camarade de classe. Il fallait que j’écrive la vie de Victor, que je lègue ce récit aux générations suivantes et que je lui offre, à mon tour, le tombeau de papier qui devait remplacer celui qu’il n’avait pas eu.

 

 


[1] Révolte à Treblinka, Ramsay 2004.

 

NB extrait de mon livre Victor Soskice, éditions l’éléphant. En vente sur Amazon, B.o.D. et dans toutes les bonnes librairies!

Amazon.fr : Irène Lurçat : Livres

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"Victor Soskice - Qui sauve un homme sauve l'humanité", Pierre Lurçat

April 5 2022, 08:56am

Posted by Pierre Lurçat

"Victor Soskice - Qui sauve un homme sauve l'humanité", Pierre Lurçat

J’ai le grand plaisir d‘annoncer la parution de mon nouveau livre, “Victor Soskice, Qui sauve un homme sauve l’humanité” (éditions L’éléphant). Fils adoptif de mon grand-oncle, l’artiste Jean Lurçat, Victor Soskice s’est engagé à l’âge de vingt ans dans le S.O.E. (Special Operations Executive), le fameux service secret militaire britannique qui joua un rôle crucial dans l’organisation de la Résistance en France pendant la Deuxième Guerre mondiale. 

Parachuté en France occupée en août 1943 pour y mener une opération de sabotage d’une usine stratégique, il fut capturé par les Allemands et emprisonné. Son sort véritable resta ignoré jusqu’à la fin de la guerre. Je reproduis ici l’interview accordée au journal des anciens élèves du Lycée français de New York, dans laquelle j’expliquais pourquoi j’avais entrepris d’écrire ce livre.
 

Victor Soskice en uniforme militaire en 1943.

Qui était Victor Soskice ? 

Victor Soskice était élève au LFNY, durant l’année scolaire 1940-1941. Il se destinait à une carrière diplomatique et était allé étudier à Georgetown University, mais il a renoncé à ses études pour s’engager dans l’armée américaine. Parachuté en France pour une mission de sabotage d’une usine produisant du pétrole synthétique pour l’armée allemande, il a été arrêté, torturé, incarcéré au camp de Flossenburg et finalement exécuté, quelques mois avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Pourquoi avez-vous décidé d’écrire un livre sur lui ?

Victor était le fils adoptif de mon grand-oncle, l’artiste Jean Lurçat, qui avait épousé en secondes noces sa mère, Rossane. Mon père l’a connu dans son enfance et il l’admirait beaucoup, d’autant que Victor l’avait sauvé de la noyade pendant un séjour de vacances familiales. C’était donc à la fois un héros de la guerre et un personnage presque mythique dans ma famille, dont mon père m’a souvent parlé.

Qu’est ce qui vous a le plus marqué lors de vos recherches ?

Le fait que toutes les personnes qui ont connu Victor ont gardé un souvenir très fort de lui, de sa personnalité et de leur rencontre avec lui, qui remonte à si longtemps… Plusieurs personnes que j’ai interviewées – toutes âgées de plus de 90 ans – m’ont confié qu’elles pensaient toujours à lui, plus de soixante-dix ans après sa mort dans des circonstances tragiques.

Que souhaitez-vous accomplir à travers votre ouvrage? 

Je souhaite faire connaître aux lecteurs la personnalité attachant de ce jeune homme, engagé volontaire dans l’armée américaine pour combattre le nazisme, qui a fait le sacrifice de sa vie pour défendre la liberté. Comme il l’écrivait dans une lettre à sa fiancée, Ginette, elle aussi ancienne élève du lycée, “j’ai réalisé l’affreuse torpeur et souffrance morale qui peut être imposée par le manque de liberté d’expression“.

Il est frappant de constater, 70 ans plus tard, que la liberté reste menacée par d’autres ennemis dans le monde actuel et qu’il demeure tout aussi vital de s’engager pour la défendre.

(Interview réalisée en 2016 par Florence Reynier, LFNY)


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https://www.editions-elephant.com/about-us/

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