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Après Rafah: comment défendre Israël à l’ère de la post-vérité?* Pierre Lurçat

May 30 2024, 13:01pm

Posted by Pierre Lurçat

La propagande du Hamas est d'ordre ontologique

La propagande du Hamas est d'ordre ontologique

 

Il faut regarder la minutieuse enquête consacrée par l’émission de David Pujadas sur LCI aux événements de Rafah et au soi-disant “massacre de civils” perpétré par Israël. Pujadas, journaliste chevronné, fait figure d’exception dans le paysage médiatique français. Pourquoi ? Parce qu’il croit encore aux faits… La plupart de ses confrères ne se soucient guère des “faits” (si tant est qu’ils y aient jamais cru), préférant “faire le buzz” en s’attachant aux “événements”. Rappelons la différence essentielle entre “fait” et “événement”, telle que l’expliquait Eric Marty[1] à propos de Sabra et Chatila : l’événement est le contraire d’un fait, car il comporte une dimension métaphysique.

 

Ainsi, à Sabra et Chatila, comme l’avait alors dit Arik Sharon, des chrétiens ont tué des musulmans (fait), mais le monde a accusé les Juifs (événement). (Notons au passage la pusillanimité d’un Denis Charbit qui, sur France Inter, n’a pas hésité à établir une comparaison entre Rafah et Sabra et Chatila! Avec de tels défenseurs, Israël n’a pas besoin d’ennemis…) De la même manière aujourd’hui, dans les faits, Israël s’efforce de protéger les civils. Mais l’événement créé par les médias, s’appuyant sur la propagande du Hamas, consiste à accuser Israël de tuer des civils.

 

A l’ère de l’information-spectacle instantanée sur les réseaux, alors que l’émotion règne sans partage et que le mot d’ordre universel est “indignez-vous!” (vous vous souvenez de ce vieillard indigne, précurseur de la haine anti-israélienne actuelle, qui avait acquis son heure de gloire en lançant ce slogan?), il est encore possible, démontre Pujadas, de faire du journalisme autrement. Pour comprendre les raisons de cet engouement universel et de ce triomphe de l’émotion, il faut laisser de côté un instant le conflit à Gaza et prendre un peu de recul.

 

2.

 

L’époque que nous vivons est celle de la post-vérité. Tout le monde le sait, chacun de nous a entendu parler de cette notion, mais que désigne-t-elle exactement ? Je citerai deux définitions de la post-vérité. La première, celle du dictionnaire d’Oxford en 2016, “Qui fait référence à des circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles

 

La seconde, celle donnée par nos sages dans une discussion citée par le rabbin Léon Ashkénazi : Rabbi Yéhouda a enseigné : dans la génération où viendra le fils de David, la vérité aura disparu (ne’ederet). On a enseigné au nom de l’école de Rav : cela signifie qu’elle sera divisée en “troupeaux” (adarim) et disparaîtra”. On constate que le Talmud avait ainsi annoncé, il y a deux mille ans, l’avènement de l’ère de la post-vérité.

 

Alors comment défendre Israël à l’ère de la post-vérité? Je n’ai pas de réponse miraculeuse à proposer. Ma suggestion est de tenter modestement de mener un combat simultané sur deux fronts, comme Israël le fait actuellement sur le terrain militaire ; celui de la Vérité et celui des émotions.

 

3

 

Contrairement à ce qu’on entend souvent dire, Israël n’est pas “nul en hasbara”. Au contraire! Le défaut d’Israël (comme de ceux qui répandent cette idée) est la tendance juive à s’auto-accuser, au lieu d’accuser systématiquement l’ennemi comme le fait le Hamas. Dans l’affaire de Rafah, on aurait pu dire d’emblée: “Nous ne sommes pas coupables”, c’est le Hamas qui est coupable, au lieu de déplorer l’incident, ce qui n’a nullement rendu service à Israël.

 

            Deuxième idée en matière de “hasbara”: ne pas s’en tenir aux faits (c’est-à-dire à la réalité), dans un monde qui sacralise l’événement (c’est-à-dire la vérité - et le mensonge - métaphysique). Face au mensonge palestinien, mensonge de nature ontologique, métaphysique ou religieuse, Israël doit assumer sa vérité métaphysique. Ou pour dire les choses autrement, le peuple qui sanctifie la vie et la morale, en lutte contre ceux qui sanctifient la mort et le mensonge, doit revendiquer son identité collective !

 

Comme l’écrit Richard Prasquier dans Causeur, à qui je laisserai le mot de la fin: N’oublions pas que cette guerre des mots ne vise pas seulement Benjamin Netanyahu, Israël ni même les Juifs. Elle met en cause l’aptitude à utiliser le langage pour exprimer la vérité du monde dans ses nuances et sa complexité. Il s’agit d’un vrai combat de civilisation et ce combat n’est pas gagné…

P. Lurçat

 

* Je renvoie également à la conférence sur le même sujet donnée dans le cadre de l’O.S.M. Comment défendre Israël à l’ère de la post vérité ? Pierre Lurçat (youtube.com)

 

[1] Voir Eric Marty, Bref séjour à Jérusalem, Gallimard 2003.

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Un déjeuner de shabbat dans la Vieille Ville de Jérusalem

May 27 2024, 06:52am

Posted by Pierre Lurçat

Un déjeuner de shabbat dans la Vieille Ville de Jérusalem

            Après avoir descendu la rue Agron, en longeant le parc de l’Indépendance, puis traversé l’artère commerçante de Mamilla – presque déserte en cette matinée de shabbat – ils se retrouvèrent dans la Vieille ville de Jérusalem et furent saisis comme chaque fois par la magie de cet endroit qui ne ressemblait à aucun autre. “Dix mesures de beauté sont descendues sur le monde, et neuf ont échu à Jérusalem”, disait l’adage talmudique. Mais encore fallait-il, pour apprécier la beauté de Jérusalem, savoir se montrer patient. La Ville sainte aux Juifs, dont le monde entier leur contestait la propriété, n’étalait pas ses secrets à tout venant… Elle ne se dévoilait qu’à ceux qui l’aiment, comme l’avait dit un de ses grands écrivains.

 

Depuis combien de temps n’était-il plus venu dans ce quartier et dans cette rue, se dit-il en quittant le shouk arabe pour pénétrer dans le “Rova”, le nouveau quartier juif construit après 1967? Il avait fait connaissance des amis qui les avaient invités pour déjeuner près de vingt-cinq ans auparavant, et à l’époque, il venait souvent partager leurs repas de shabbat ou de fête. Puis leurs relations s’étaient espacées, de manière insensible, au fur et à mesure que les enfants avaient grandi, les soucis des parents ayant laissé place à ceux des grands-parents…

 

Entrant dans la maison de ses amis, il retrouva presque instantanément l’impression qu'il y avait trouvée jadis. Mélange d’exotisme – c’était un appartement en longueur dont la partie la plus ancienne était une construction de l’époque pré-mandataire, aux plafonds en pierres à la forme ogivale caractéristique – et de familiarité, car ses hôtes savaient comment mettre à l’aise leurs invités. Autour de la table du déjeuner, la conversation portait tantôt sur des sujets quotidiens, en essayant d'éviter de parler de la guerre qui se prolongeait déjà depuis plus de sept mois interminables, tantôt sur des sujets liés à l'histoire juive et à la tradition.

 

Son ami, qui était érudit sans être pédant, se lança dans un long et passionnant exposé sur la synagogue du Ramban, qui avait été redécouverte après le retour des habitants juifs et remise en service, après avoir été longtemps transformée en magasin de céréales par l'occupant arabe. Il raconta l'arrivée de Moshe ben Nahman en terre sainte, au treizième siècle et, à travers son récit captivant, c'était comme si l'histoire juive devenait vivante et se déroulait sous leurs yeux. Plus tard, ils lurent chacun à son tour un passage des Pirké Avot – les maximes des Pères que les Juifs des communautés sépharades ont l'habitude de lire le samedi, entre Pessah et Chavouot. Lorsqu'il lut le passage faisant l'éloge de la modestie, il se dit que cela correspondait bien à son hôte, dont le savoir était aussi vaste qu'il était humble.

 

Mais le “clou” du déjeuner fut un piyout du poète Yehuda Halévy, que son ami chanta sur un air algérois plein de grâce. Ému par la mélodie, il tourna la tête vers Julia et vit qu'elle était tout aussi touchée que lui. “J'ai l'impression d'entendre chanter mon grand-père”, lui dit-elle. Ce dernier avait été rabbin dans plusieurs villes de France, après le départ de son Algérie natale. Son fils, le père de Julia, avait édité en son souvenir un disque de chants traditionnels algérois. Plus tard, lorsqu'ils allèrent se reposer dans la chambre d'amis, aux murs peints en rouge, une lumière douce perçait à travers les rideaux et le son des cloches de l’église voisine se mêlait à celui – entêtant et agressif – du muezzin, l’appel à la prière des fidèles de Mahomet. Julia lui dit combien elle aimait cet endroit, au cœur de la ville de Jérusalem pour laquelle ils éprouvaient tous deux la même passion.

 

Lorsqu'ils reprirent le chemin de leur domicile, vers le soir, le vent s'était levé et la fraîcheur vespérale tombait sur la ville. Le cœur gonflé de joie par ce déjeuner et par les retrouvailles aussi impromptues qu'inespérées avec son vieil ami, il prononça une muette prière de remerciement à Celui qui ne dort ni ne sommeille, le Gardien d'Israël. Dix ans plus tôt, il avait retrouvé l'amie de ses vingt ans, après en avoir été séparé pendant presque trois décennies, et elle était devenue la compagne du deuxième printemps de sa vie. Et voilà que la Providence lui faisait retrouver l'ami de ses premières années à Jérusalem… “Que tes œuvres sont nombreuses Eternel!

P. Lurçat

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Un 7 octobre judiciaire? Trois réflexions après la décision du procureur de la CPI

May 23 2024, 07:38am

Posted by Pierre Lurçat

Un "bouclier" illusoire. La Cour suprême d'Israël

Un "bouclier" illusoire. La Cour suprême d'Israël


Le bouclier judiciaire que devait constituer la Cour suprême, dans l'argumentation des opposants au projet de réforme judiciaire, pour protéger les dirigeants et les soldats israéliens contre la justice pénale internationale, s'est avéré aussi illusoire que la barrière autour de Gaza. Réflexions sur le “7 octobre judiciaire” d'Israël.
 

1.

En demandant à la Cour pénale internationale de délivrer un mandat d’arrêt contre le Premier ministre et contre le ministre de la Défense israéliens – placés pour l’occasion sur le même plan que les chefs du Hamas – le procureur de la CPI Karim Khan a montré aux yeux du monde entier l’absurdité d’une “justice internationale” qui n’a rien à voir avec la justice, et tout à voir avec la politique la plus éhontée. Il est révélateur de voir comment cette décision inique est commentée dans les différents pays et chancelleries du monde, notamment occidental, car cela constitue un excellent baromètre de la santé morale de chaque pays.

 

La réaction française – un communiqué du quai d’Orsay affirmant que la France “soutient la Cour pénale internationale, son indépendance et sa lutte contre l’impunité dans toutes les situations” – en dit long sur l’état de la France, de sa diplomatie et de sa dépendance plus étroite que jamais envers l’argent du Qatar. Mais il ne faut pas confondre, comme ne manquait jamais de le rappeler l’amiral Michel Darmon z.l, la France officielle et la France réelle. La première se vautre dans la collaboration avec les ennemis d’Israël, mais la seconde comprend, dans sa grande majorité, que la justice est du côté d’Israël.

 

2.

 

Deux pays ont réagi avec force et détermination contre l’iniquité de la CPI. Le premier, les Etats-Unis, ont montré qu’ils demeuraient envers et contre tout – y compris sous l’administration Biden si souvent décriée – le plus solide allié d’Israël. Le projet de loi-éclair pour contrer la décision du procureur de la CPI est sans doute la meilleure réponse à cette décision inique. Le second pays, Israël, a fait preuve d’un rejet unanime, transcendant pour une fois les clivages et les divisions. “Pourtant décrié, le Premier ministre israélien est aujourd’hui soutenu par la population”, reconnaît ainsi un reportage de France Info, mettant à mal le mythe médiatique d’un Premier ministre détesté par son propre peuple (mythe entretenu par des intellectuels juifs de gauche désinformés ou décorés par le quai d’Orsay)

 

3.

 

Un aspect occulté par les commentateurs revêt une importance non négligeable dans le débat intérieur israélien. Pendant les longs mois de manifestations contre le projet de réforme judiciaire, on a entendu répéter comme un mantra que la Cour suprême et le système judiciaire israélien étaient le “bouclier juridique” qui protégeait Israël, ses dirigeants et ses soldats contre la justice pénale internationale. La décision du procureur Karim Khan – tout comme la procédure intentée par l’Afrique du Sud il y a quelques semaines – montrent que ce “bouclier” n’est pas plus efficace que la barrière “intelligente” qui était censée protéger la frontière de Gaza.

 

A cet égard, c’est un véritable “7 octobre” judiciaire auquel on assiste aujourd’hui. L’offensive judiciaire contre Israël, dans la plus pure tradition du Lawfare mené depuis plusieurs décennies par les Palestiniens et leurs alliés – est l’autre versant de l’attaque meurtrière du 7 octobre menée par le Hamas. Comme le dit justement notre Premier ministre, il n’y a aucune différence entre le Hamas et l’AP de Mahmoud Abbas, que certains esprits égarés présentent comme l’alternative au Hamas. Face à cette offensive, ce n’est pas la Cour suprême – même la plus puissante du monde – qui est le bouclier d’Israël. Le seul bouclier sur lequel Israël peut compter est celui qui “ne dort ni ne sommeille”.

P. Lurçat

NB. Mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain vient d’être réédité aux éditions B.O.D. et peut désormais être commandé dans toutes les librairies.

Décoré par le quai d'Orsay: Frédéric Encel

Décoré par le quai d'Orsay: Frédéric Encel

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Une psychologue hors des sentiers battus : Liliane Lurçat (1928-2019)

May 17 2024, 12:49pm

Posted by Pierre Lurçat

Liliane Lurçat

Liliane Lurçat

 

En exergue au dernier livre qu’elle a publié de son vivant, La manipulation des enfants par la télévision et par l’ordinateur, Liliane Lurçat, ma mère, avait inscrit ces mots : “Je dédie ce livre à la mémoire d’Henri Wallon. Ma formation de psychologue a deux sources, l’école de la vie pendant l’Occupation allemande, et plus tard l’attention affectueuse d’un maître. J’avais 23 ans quand Henri Wallon m’a engagée comme collaboratrice technique, lui-même en avait 72. Je me sentais très proche de lui, en dépit du grand écart d’âge et de culture… Il s’entourait volontiers de psychologues juifs, à qui il reconnaissait volontiers une sensibilité particulière. Il m’a initiée à une psychologie aujourd’hui disparue, héritière d’une grande tradition de psychologie pathologique et de psychologie sociale, aujourd’hui disparue”.

 

Je voudrais tenter d’expliquer ici brièvement en quoi sa conception de la psychologie était différente des deux grandes écoles qui dominaient la discipline à son époque et qui continuent de la dominer aujourd’hui – le cognitivisme et la psychologie comportementaliste américaine d’une part, et la psychanalyse d’autre part. Concernant cette dernière, les lignes qui suivent, tirées du même livre, éclairent l’attitude de L. Lurçat envers le fondateur de la psychanalyse:

 

J’avais eu l’occasion de discuter des idées de Freud avec Henri Wallon, quand je travaillais avec lui. Il adhérait à certains aspects de la conception de Freud, notamment en ce qui concerne le rôle et l’importance des conflits dans la vie psychologique, mais il récusait l’existence d’une sexualité infantile. Il n’y a pas de sexualité infantile, disait-il, bien qu’il existe chez l’enfant une sensibilité diffuse au plaisir, qui n’est pas de nature sexuelle. Le plaisir de nature sexuelle apparaît lors de la puberté… Freud observe le même phénomène de sensibilité diffuse au plaisir. Dans sa conception, la libido sous-tend les pulsions sexuelles, c’est un principe indifférencié au départ, qui existe chez l’enfant et qui se manifeste par une sensibilité diffuse. Il en déduit l’existence d’une sexualité infantile”.

 

Ce débat théorique a des conséquences très concrètes, car c’est l’existence d’une sexualité infantile qui est parfois invoquée par certains pédophiles pour justifier leurs pratiques. Au contraire de Freud, Wallon ne considère pas l’enfant comme un adulte en réduction. Mais ce désaccord sur un aspect ponctuel – la sexualité infantile – n’est qu’un aspect d’un désaccord plus vaste et plus fondamental, qui porte sur l’être humain tout entier. A travers ce qu’elle appelle la “déshumanisation de la sexualité” et de l’amour, Liliane Lurçat voit ainsi l’émergence d’une dévalorisation de l’être humain tout entier, qui est commune à la psychanalyse et à la psychologie cognitiviste, laquelle considère l’être humain comme un objet d’étude scientifique dénué de toute particularité (idée tellement vulgarisée aujourd’hui qu’on a du mal à faire entendre une voix contraire…).

 

Dans un entretien publié dans la revue Enfance en 1968, Wallon expliquait encore : « La psychanalyse réduit tout à un même processus, à un même complexe : tout se ramène au passé de l’individu et aux préludes de la civilisation. Pour Freud, tout se fait par un retour à l’état primitif. La vie va vers la mort ». Cette citation permet de saisir un des aspects essentiels par lesquels la psychanalyse se sépare du judaïsme, auquel on prétend souvent la rattacher. Ce dernier sanctifie la vie et tente à chaque instant d’élever l’homme, au lieu de le rabaisser.

 

            En filigrane de ce débat d’idées au sein de la discipline psychologique se fait ainsi jour un débat plus vaste, dont l’enjeu n’est rien moins que la définition de l’être humain. Ainsi, en menant ses recherches sur l’enfant, sur l’acquisition des connaissances ou sur l’influence de la télévision (sujet demeuré très actuel, à travers le phénomène plus vaste des écrans devenus encore plus omniprésents depuis lors), c’est en effet toute une conception de l’homme que défend L. Lurçat. Dans le débat qui l’oppose à une conception mécaniste et réductrice de l’humain, elle redécouvre une notion essentielle de la pensée hébraïque, celle du Tselem, l’homme à l’image de Dieu.

 

            Outre Henri Wallon – son maître auquel elle voua toute sa vie une vive reconnaissance et dont elle me donna le prénom – sa conception de la psychologie subit d’autres influences, dont l’une fut celle du grand psychiatre Henri Baruk. Une autre influence marquante fut celle de mon père, avec lequel elle partagea bien des sujets de débat intellectuel, et dont je retrouve en la lisant certaines des références littéraires ou philosophiques dont sont nourris ses écrits. Leur dialogue intellectuel fécond transparaît ainsi dans de nombreuses pages de ses livres.

 

            Ma mère qui, au soir de sa vie, écrivait avoir “cessé progressivement d’être française”, avait aussi découvert, dans ses toutes dernières années, le plaisir de célébrer ensemble le shabbat. Il me plaît à penser que la notion du Tselem et de l’irréductibilité de la personne humaine, qui traverse son œuvre de chercheur et de psychologue, était un héritage reçu de ses ancêtres juifs d’Europe centrale. Née à Jérusalem, elle est décédée à Paris, quelques jours après le Yom Ha’atsmaout, le 10 Iyar 5779 (15 mai 2019). יהיה זכרה ברוך .

P. Lurçat

Une psychologue hors des sentiers battus : Liliane Lurçat (1928-2019)

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A la racine de la “Conceptsia” (II) : Ces orientalistes israéliens qui n'ont rien compris à l'islam

May 16 2024, 13:05pm

Posted by Pierre Lurçat

A la racine de la “Conceptsia” (II) :  Ces orientalistes israéliens qui n'ont rien compris à l'islam

Dans la première partie de cet article, nous nous interrogions sur ce spécialiste du Hamas qui prétendait – après le 7 octobre ! – que “les membres du Hamas sont des êtres humains comme nous”. Pour tenter de comprendre plus précisément encore son attitude et de savoir quelle a été l’erreur de ces orientalistes qui n’ont rien compris au Hamas, nous voudrions décrire leur erreur fondamentale, celle qui est à la base de tout l’édifice idéologique et intellectuel qui sous-tend la “Conceptsia”, la fameuse doctrine erronée qui a mené au 7 octobre.

 

Une enquête passionnante du journaliste Yaniv Kobovitz, récemment publiée dans Ha’aretz, cherche à comprendre comment les Renseignements militaires ont échoué à déchiffrer les intentions du Hamas avant le 7 octobre. Une des conclusions de cette longue enquête est que les dirigeants du département d’Aman (les Renseignements militaires) chargé du front Sud et de Gaza ne se préoccupaient plus, depuis 2021, de surveiller les faits et gestes des dirigeants du Hamas, étant entièrement obnubilés par les capacités strictement militaires du mouvement islamiste et par ses capacités de tirs de roquettes notamment.

 

Au-delà de cette explication très concrète, le fait est que les experts militaires ont – dans leur grande majorité – échoué à décrypter les intentions de l’ennemi à Gaza, en se focalisant sur des aspects purement techniques et opérationnels, au lieu de voir l’ensemble du tableau… Dans ce tableau général qu’ils ont négligé, un élément essentiel a particulièrement fait défaut : celui de l’idéologie et des croyances religieuses du Hamas. Paradoxalement ; c’est en effet la dimension religieuse du Hamas qui a largement échappé aux orientalistes experts du mouvement au sein de Tsahal.

 

Le soi-disant “pragmatisme” du Hamas : une illusion mortelle

 

Lorsqu’on relit aujourd’hui le livre consacré au Hamas par Avraham Sella, ancien analyste des Renseignements militaires, on est étonné (et accablé) de trouver à maintes reprises les adjectifs “pragmatique” ou “réaliste” pour décrire l’attitude des dirigeants du mouvement islamiste palestinien. Tout se passe comme si cet expert – qui n'est évidemment pas le seul dans ce cas – avait projeté sur les dirigeants du Hamas sa propre vision du monde et ses propres valeurs (rationalité, pragmatisme, poursuite d'intérêts économiques, etc.), au lieu de chercher à pénétrer dans la tête du Hamas.

 

Cette erreur capitale est très répandue. Elle repose sur une attitude commune à chacun de nous. Confrontés à d'autres hommes qui ne partagent pas notre culture, nous avons tendance à croire qu'ils ont néanmoins en commun avec nous certaines valeurs fondamentales, comme le respect de la vie ou l'amour de la paix. S'agissant du Hamas et de l'islam, cette croyance est totalement erronée. Ce n'est pas seulement que les terroristes de la Nou’hba et leurs chefs n'ont aucun respect pour la vie des civils israéliens, y compris les femmes et les enfants, mais ils n'en ont pas plus pour la vie de leurs propres concitoyens à Gaza…

 

C'est précisément cet écart culturel et moral incommensurable entre les valeurs de l'Occident et celles de l'islam qui rend difficile, voire quasiment impossible, toute négociation avec le Hamas sur les otages détenus à Gaza. Et c'est l'incapacité de ces experts à appréhender la culture de l'ennemi qui a rendu possible la surprise du 7 octobre, alors que “l'inscription était sur le mur”... Le refus d'aborder l'islam pour ce qu'il est, à savoir une culture mortifère et rétrograde, a empêché ces experts de faire leur travail et de donner à Israël les moyens d'anticiper l'attaque meurtrière du 7 octobre.

 

Comme l’explique le Dr. Michael Milstein, ancien des Renseignements militaires qui est un des voix discordantes dans la communauté des “orientalistes” israéliens, “celui qui se demande pourquoi le Hamas a déclenché l’attaque du 7 octobre et mis ainsi en péril son propre pouvoir démontre qu’il n’a rien compris au Hamas, qui est un mouvement religieux messianiste”. Dans la suite de cet article, nous tenterons de comprendre pourquoi c’est précisément cette dimension religieuse et messianiste du Hamas qui a échappé aux experts israéliens. (à suivre…)

Pierre Lurçat

 

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Yom Ha'atsmaout à Jérusalem : la prophétie de Theodor Herzl

May 14 2024, 07:57am

Posted by Pierre Lurçat

Yom Ha'atsmaout à Jérusalem : la prophétie de Theodor Herzl

 

Cent-vingt ans après la visite en Terre Sainte du fondateur du mouvement sioniste, la prophétie de Zeev Binyamin Herzl s’est accomplie. L’État juif est une réalité, et Jérusalem est effectivement devenue une ville moderne, qui s’étend bien au-delà de la Vieille Ville et des ruelles malodorantes qu’il a parcourues à l’automne 1898. Loin de s’abandonner au sentiment de désespoir que la vue de la ville sainte dans sa désolation avait suscité en lui, Herzl a su décrire et imaginer ce qu’elle pourrait devenir, dans le futur État juif à la construction duquel il a donné sa vie.

 

« Ce pourrait être une cité comme Rome et le Mont des Oliviers offrirait un panorama comparable à celui du Janicule. Je sertirais comme un écrin la Vieille Ville avec tous ses restes sacrés. Sur le flanc des collines, qui auraient verdi par notre labeur, s’étalerait la nouvelle et splendide Jérusalem. »

 

L’État d’Israël lui-même, ce « corps gigantesque » qui respire et qui vit, pour reprendre l’image de Herzl, ressemble beaucoup aujourd'hui au pays imaginé par celui-ci dans Altneuland et dans l’État juif, mélange de tradition et de modernité, au carrefour de l’Orient et de l’Occident. Jérusalem, ville où ma mère est née en 1928 et où j'habite depuis plus de vingt-cinq ans, est bien devenue une des plus belles villes du monde, comme l'avait prédit Herzl. Depuis le quartier où je vis, on peut apercevoir en même temps, en regardant vers le Sud, les  murailles de la Vieille Ville et l'emplacement du Temple et, en portant le regard vers l'Ouest, à l'horizon, le pont des cordes, gigantesque monument qui orne depuis dix ans l'entrée de la ville nouvelle, œuvre de l'architecte espagnol Santiago Calatrava. J'aime ce pont ultramoderne qui s'intègre pourtant parfaitement dans le paysage de Jérusalem, avec ses cordes évoquant la harpe du Roi David et sa pointe tendue vers le ciel. Il est, à l'image de notre capitale et de notre pays, à la fois futuriste et ancré dans la tradition, ouvert sur l'avenir sans renier le passé.

 

Le piéton qui emprunte le pont en venant du Palais de la Nation, à l'entrée de la ville, peut enjamber en quelques minutes plusieurs artères très fréquentées, et rejoindre le quartier de Kyriat Moshé, bastion du sionisme religieux. En levant les yeux au ciel, le regard est attiré par les immenses cordes métalliques qui s'élancent vers les hauteurs. Au crépuscule – qui n'est jamais un moment de tristesse, car il marque dans la tradition juive le début d'un jour nouveau – on peut voir scintiller les premières étoiles, au-dessus de l'armature immense du pont. Celui-ci ressemble alors, dans la nuit tombante, à un navire géant qui vient de jeter l'ancre à Jérusalem, ville de montagne bâtie en bordure du désert, « ville portuaire sur les rives de l'éternité » (Yehouda Amihaï). Les Juifs venus du monde entier descendent sur le quai de la Ville sainte, unis dans l'allégresse et dans l'espoir, chacun ajoutant sa voix à la partition encore inachevée du rêve d'Israël devenu réalité.

 

(Extrait de mon livre Israël, le rêve inachevé, éditions de Paris/Max Chaleil 2018).

 

The Jerusalem Chords Bridge - photograph by Ilan Shacham

The Jerusalem Chords Bridge - photograph by Ilan Shacham

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A la racine de la “Conceptsia” : Ces orientalistes israéliens qui n'ont rien compris au Hamas

May 7 2024, 08:55am

Posted by Pierre Lurçat

A la racine de la “Conceptsia” :  Ces orientalistes israéliens qui n'ont rien compris au Hamas

C'est sur eux que repose la tâche essentielle de comprendre la mentalité et de “se mettre dans la tête” de l'ennemi… Mais, en s’obstinant à minimiser la violence intrinsèque à l’islam et à considérer les membres du Hamas comme des “êtres humains comme nous”, les experts des renseignements militaires et sécuritaires se sont empêchés d’anticiper l’attaque du 7 octobre, en dépit de tous les signes annonciateurs. Premier volet d’une série d’articles consacrée aux orientalistes israéliens qui n’ont rien compris au Hamas. P.L.

 

J’ai récemment interviewé, avec André Darmon, le général (rés.) Israël Ziv, devenu un invité régulier des plateaux de télévision et des radios depuis le 7 octobre. Dans l’entretien qui paraît ces jours-ci dans Israël Magazine, il raconte comment il est descendu vers Gaza dès le matin de Simhat Torah et les combats qu’il a menés pendant les jours qui ont suivi. Ziv est un homme courageux et sympathique. Mais, lorsque je lui ai demandé si le retrait du nord de la Samarie était une erreur, il devenu très ironique et presqu’agressif, en entonnant le refrain bien connu sur “Ben Gvir et Smotrich”... Aux yeux de Ziv et de bien d'autres, il n'est pas question de changer d'un iota leur vision du monde après le 7 octobre.

 

Cette attitude de mépris intellectuel est sans doute un des éléments clés de la “Conceptsia” qui a mené au 7 octobre, laquelle est partagée par de nombreux membres de l’establishment militaire, politique et sécuritaire israélien. Dans les lignes qui suivent, nous voudrions nous attacher à une des facettes moins connues de cette Conceptsia, celle des “orientalistes” et des spécialistes de l’islam au sein de l’establishment sécuritaire et des renseignements. Ce sont en effet ces derniers qui ont forgé la “conception” israélienne dominante concernant le Hamas depuis 2006, c’est-à-dire depuis l'arrivée au pouvoir du Hamas consécutive au retrait israélien de Gaza en 2005.

 

Pour réaliser à quel point cette Conceptsia était éloignée de la réalité du Hamas et de son idéologie, il suffit de lire l’extrait suivant d’une interview donnée par Avraham Sela au quotidien Ha’aretz, le 19 octobre 2023. “J’ai appartenu pendant 16 ans aux renseignements militaires, et aujourd’hui je suis à l’université, et je souhaite apporter la voix de la logique. Ni la vengeance, ni la victoire. Aujourd’hui il faut faire parler la logique, même lorsque notre sang bout… L’argument selon lequel les Arabes auraient une attitude [envers nous] inscrite dans leur A.D.N., est stupide à mes yeux. Car en fin de compte, nous avons affaire à des êtres humains”.

 

L’auteur de ces mots n’est pas n’importe qui. Il a occupé le poste d’analyste au sein des Renseignements militaires pendant 16 ans, avant d’aborder une carrière universitaire. Il est l’auteur avec Shaul Mishal d’un des ouvrages de référence sur le Hamas, paru en l’an 2000 aux éditions Columbia University Press, sous le titre The Palestinian Hamas, Vision, Violence and Coexistence. Lorsque j’ai lu ce livre, quelques années après sa parution, je travaillais moi-même à un ouvrage sur le Hamas, après avoir publié un premier livre sur les Frères musulmans[1]. J’ai éprouvé en lisant le livre de Mishal et Sela un sentiment de malaise, que je ne parvenais pas à définir alors. En le relisant après le 7 octobre, j’ai compris pourquoi. L’extrait suivant est révélateur de l’esprit dans lequel il a été rédigé.

 

Comment le Hamas a-t-il combiné le dogme religieux avec la pratique ? Quelles étaient les racines de la flexibilité qui a permis au Hamas d’échapper à la tentation de traduire sa rigidité normative en une attitude de “tout ou rien”? Et plus loin : “Les perspectives analytiques fondées sur des métaphores linéaires et des modes de pensée binaires ne peuvent pas appréhender ces incertitudes et ces complexités… C’est en s’écartant de la perception binaire qu’on parvient à une nouvelle manière de comprendre la complexité de la politique du Hamas, qui a permis au mouvement de manœuvrer entre la prose de la réalité politique sans jamais cesser de réciter la poésie de l’idéologie”.

 

J'aurais évidemment beau jeu de moquer cet extrait – et la métaphore poétique particulièrement inadaptée pour désigner l'idéologie meurtrière du Hamas – à la lueur de ce que l’on sait aujourd’hui. Mais mon propos n’est pas de tourner en dérision le livre de Mishal et Sela, au demeurant intéressant, mais bien de saisir ce qui, dans leur manière de considérer le Hamas, a abouti à la Conceptsia… Pour résumer, c’est leur obstination à récuser toute lecture culturelle – et plus précisément toute lecture fondée sur la culture arabo-musulmane du mouvement islamiste palestinien – qui est caractéristique de l’état d’esprit des tenants de la Conceptsia. Or, c’est précisément la culture de l’islam qui est la clé de la compréhension de l’idéologie du Hamas et, plus largement, du fait que la plupart des habitants de Gaza - sans être eux-mêmes membres ou affiliés au mouvement, partagent son idéologie et ont approuvé les exactions du 7 octobre. (à suivre…)

P. Lurçat

 

 

[1] Le Sabre et le Coran. Mon projet de livre sur le Hamas n’a pas abouti. J’ai publié à la place un livre sur les convertis à l’islam radical, intitulé Pour Allah jusqu’à la mort.

A la racine de la “Conceptsia” :  Ces orientalistes israéliens qui n'ont rien compris au Hamas

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La Shoah comme révélateur de la pathologie antisioniste et l’antisémitisme musulman, Pierre Lurçat

May 5 2024, 09:06am

Posted by Pierre Lurçat

(Extrait de mon livre Les mythes fondateurs de l'antisionisme contemporain, qui vient d'être réédité aux éditions B.O.D.)

 

La place qu’occupe la Shoah dans le discours et dans l’idéologie antisioniste est un aspect essentiel à leur compréhension. Comme l’écrit le philosophe Elhanan Yakira, “l’antisionisme est un scandale, et c’est précisément sa nature pathologique que révèle le recours constant à la Shoah de la part des antisionistes” (1). Avant d’analyser de manière précise cette nature pathologique, nous voudrions donner plusieurs exemples de recours au thème de la Shoah (ou “variations autour du mythe du Shoah Business”), qui nous permettront de comprendre la finalité du mythe et de mieux cerner la nature véritable - et scandaleuse, pour reprendre l’expression de Yakira - de l’antisionisme.

 

Dans son livre Post-sionisme post-Shoah, capital pour notre sujet, Elhanan Yakira prend pour point de départ de sa réflexion, l’interrogation que suscite “l’utilisation de la Shoah comme arme idéologique”, employée pour “renforcer toutes sortes de diabolisations, disqualifications et délégitimations d’Israël”. L’hypothèse qu’il avance, pour expliquer ce paradoxe, est que “la Shoah est perçue à la fois comme la source, la raison, la cause et la seule justification possible de l’existence d’Israël”. Il faut donc récuser cette justification, pour supprimer la légitimité d’Israël. C’est ce paradigme central du discours antisioniste (s’attaquer à la Shoah comme justification de l’existence d’Israël), auquel il donne le nom de postulat dominateur

 

 

Observons que le discours antisioniste attribue quant à lui son obsession de la Shoah à une soi-disant omniprésence de celle-ci dans le discours officiel israélien (2). (Un peu comme dans l’histoire du patient obsédé sexuel, auquel le thérapeute montre différentes formes géométriques, qu’il interprète de manière récurrente comme des femmes nues, et qui finit par s’indigner : “C’est vous qui n’arrêtez pas de me montrer des images obscènes!”) L’antisioniste est lui aussi un obsédé qui s’ignore : il voit partout des images de la Shoah, dans le journal télévisé sur la situation à Gaza, en Cisjordanie, et jusque dans les rayons de son supermarché, où les fruits importés d’Israël suscitent chez lui une irrépressible envie de boycott…

 

C’est en ce sens qu’on peut d’ores et déjà analyser le discours antisioniste comme une pathologie politique. Tout comme l’antisémite voit des Juifs partout, l’antisioniste voit partout la main d’Israël (ou du Mossad, accusé par José Bové d’avoir organisé les incendies de synagogues en France au début des années 2000…). Cette pathologie est encore plus flagrante - comme nous le verrons - dans le cas des Juifs antisionistes radicaux, chez qui l’obsession anti-israélienne s’accompagne d’une démarche identitaire, que nous avons déjà analysée en recourant au concept de religion politique, et sur laquelle nous allons revenir dans le présent volet de notre exposé.

 

Un obsédé qui s’ignore : José Bové arrêté à Orly à son retour d’Israël

 

C’est aussi ce ‘postulat dominateur’ qui permet de comprendre le lien - a priori non évident - entre les militants et théoriciens de l’antisionisme et les auteurs négationnistes, lien longuement décrit et analysé par Elhanan Yakira, qui parle à ce sujet d’une communauté d’opprobre, laquelle réunit négationnistes intégraux à la Faurisson, tiers-mondistes anti-israéliens soutenant des positions négationnistes avec hésitation, et “négationnistes soft” prenant la défense de Faurisson par positionnement idéologique, comme Noam Chomsky.

 

A l’origine du mythe du Shoah business : le négationnisme arabe de la Shoah

 

Si l’on tente de déterminer l’origine de l’accusation de “Shoah-business”, c’est-à-dire de l’accusation portée contre Israël et le sionisme d’avoir exploité délibérément la Shoah (ou même d’y avoir contribué), il faut - là encore - tourner le regard vers l’obscur objet de la haine antisioniste, à savoir Israël. Shmuel Trigano, dans un livre important paru en 2005, rappelle que le négationnisme est une invention arabe palestinienne, tout autant qu’européenne. “Les Palestiniens ont inventé très tôt, entre 1945 et 1948, bien avant l’heure, la thèse négationniste. Oscillant entre la dénégation de l’extermination, qualifiée de simple “persécution/oppression” (idhitad) pour la minimiser et son “exagération choquante” produit d’un “complot sans pareil dans les temps modernes” des sionistes, ils n’hésitèrent pas, dès 1946, à voir dans la mémoire de la Shoah une ruse de propagande…” (3)

 

Trigano cite notamment le journal Filastin, lequel écrivait dès 1945 que “les Juifs ont grossièrement exagéré le nombre de leurs victimes en Europe, pour gagner le soutien mondial du fait de leur catastrophe imaginée. L’histoire montrera avec le temps que les Juifs sont ceux dont les pertes sont les moins importantes comparées à d’autres peuples et que leur propagande et leur marchandage à propos de ces victimes sont un moyen pour établir un Etat juif en Palestine”.

 

 

 

Ce que montre cette citation, c’est que la négation arabe de la Shoah, et l’accusation concomitante portée contre le sionisme d’avoir exploité celle-ci à des fins politiques, n’ont pas été importées dans le monde arabe, en provenance de pays occidentaux (selon l’argument souvent évoqué, selon lequel l’antisémitisme serait étranger au monde arabo-musulman et y aurait été introduit tardivement). Elles y sont apparues dès le lendemain de la guerre en 1945, bien avant que Faurisson et ses émules ne diffusent leurs théories négationnistes en France et ailleurs. La question n’est pas seulement chronologique : elle revêt une importance majeure, si l’on veut apprécier à sa juste mesure l’étendue et la nature du phénomène antisioniste et négationniste au sein du monde arabo-musulman.

 

L’antisémitisme arabo-musulman : produit d’importation ou fabrication locale?

 

L’historien Robert Wistrich observait à cet égard que “la judéophobie moyen-orientale était considérée quasiment par tous comme un élément du conflit arabo-israélien, exploité avec cynisme à des fins de propagande par les dirigeants arabes et les élites intellectuelles”. C’était, poursuit Wistrich, en citant Bernard Lewis, “quelque chose qui vient d’en haut, des dirigeants, plutôt que d’en bas, de la société - une arme politique et polémique, à mettre au rebut lorsqu’elle devient inutile”(4). Cette erreur de perspective, très largement répandue, consiste donc à minimiser l’antisémitisme musulman (et sa forme récente, l’antisionisme et le négationnisme), en y voyant un produit d’importation tardif, exogène au monde arabo-musulman et utilisé à des fins politiques par ses élites. 

 

G. Bensoussan : “L’antisémitisme musulman trouve sa source en lui-même”


 

Réfutant cette présentation simpliste et erronée, Georges Bensoussan observe que “ce serait une erreur de réduire l’antisémitisme arabo-musulman à une figure d’importation, même si l’on assiste ici, sans conteste, à l’islamisation des poncifs de l’antisémitisme occidental… Car, en réalité, l’antisémitisme musulman trouve sa source en lui-même. Le Coran abonde d’invectives sur les Juifs “traîtres”, et depuis que ces derniers ont rompu leur promesse antérieure avec Lui, les musulmans figurent le peuple élu de Dieu. Pour la plupart des commentateurs, le conflit israélo-arabe n’est que la poursuite de la lutte entre l’islam et les juifs”. A l’appui de cette dernière remarque, essentielle à la compréhension du contexte historico-culturel de l’antisionisme arabe contemporain (ou de ses origines historiques, dans le “temps long” de l’histoire musulmane), mentionnons cette phrase, déjà citée, tirée du quotidien égyptien Al-Ahram : “Notre guerre contre les Juifs est une vieille lutte, qui débuta avec Mahomet” (6).

 

Shmuel Trigano confirme cette analyse, en faisant remarquer que “la culture islamique n’avait pas à se forcer pour construire l’image du Juif falsificateur, dans la mesure où elle tient les Juifs (et les chrétiens) pour les falsificateurs de la parole de Dieu, le Coran” (7). Dans cette perspective, c’est toute la présentation chronologique, ou encore la généalogie traditionnelle de l’antisémitisme musulman qui est inversée : non seulement les musulmans n’ont pas eu besoin d’aller chercher l’antisémitisme en Europe (ce qu’ils ont fait, par ailleurs, notamment par le biais des chrétiens d’Orient, comme l’ont montré les travaux de Bat Ye’or, voir notre Introduction), mais en réalité, ils ont souvent été les premiers à développer certaines thématiques antijuives et antisionistes, dont ils ont trouvé le substrat dans leur propre univers culturel (8). Il convient donc de garder à l’esprit, avant de poursuivre plus avant notre analyse, cet élément essentiel que G. Bensoussan résume de manière limpide : “l’antisémitisme musulman trouve sa source en lui-même”.

 

(1) E. Yakira, Post-sionisme, Post-Shoah, p.1. Presses universitaires de France, 2010.

(2) Un exemple récent de ce phénomène est donné par le dernier livre du romancier israélien Ishaï Sarid, intitulé de manière significative Le monstre de la mémoire, publié aux éditions Actes Sud. Ce livre est présenté (de manière trop laudative) sur le site Akadem.

(3) S. Trigano, Les frontières d’Auschwitz p. 64, Librairie Générale Française 2005.

(4) R. Wistrich, “L’antisémitisme musulman, un danger très actuel”, Revue d’histoire de la Shoah, no. 180, Antisémitisme et négationnisme dans le monde arabo-musulman, la dérive.

(5) Revue d’histoire de la Shoah, no. 180. Antisémitisme et négationnisme dans le monde arabo-musulman, la dérive, op. cit. p. 6-7. 

(6) Al-Ahram, 26 novembre 1955.

(7) S. Trigano, Les frontières d’Auschwitz, p. 65

(8) C’est précisément cette affirmation du caractère endogène à la culture arabo-musulmane de l’antisémitisme qui a valu à l’historien Georges Bensoussan les déboires que l’on sait.

 

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