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Le « Brith Shalom » et la création de l’université hébraïque de Jérusalem

July 25 2019, 06:42am

Posted by Pierre Lurçat


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La cérémonie d'inauguration au Mont Scopus

 

Il y a aujourd’hui 91 ans jour pour jour, l’université hébraïque de Jérusalem ouvrait ses portes sur le mont Scopus 1. Il est difficile d’apprécier à sa juste valeur le rôle que cette institution, devenue un pôle d’excellence reconnu dans le monde entier, a rempli dans la vie universitaire, intellectuelle, économique et politique du Yishouv, puis de l’État juif, de 1925 jusqu’à nos jours. La liste des anciens élèves passés par le campus de l’universita ha-ivrit contient un véritable « Who’s Who » de l’establishment politique, juridique, médiatique et littéraire de l’Israël contemporain. Mais c’est un aspect différent que le présent article entend aborder : celui des orientations politiques prises dès l’origine par certains des enseignants de l’université, qui ont fait de cette institution un cheval de bataille contre le sionisme politique, puis contre plusieurs dirigeants de l’État d’Israël, de David Ben Gourion à Benjamin Nétanyahou.

brith shalom,buber,gershom scholem,sionisme,université hébraïqueDans la première partie de ce chapitre2, nous avions vu comment Martin Buber, jeune protégé de Theodor Herzl (qui le nomma rédacteur en chef de l’organe du mouvement sioniste, Die Welt) et figure prometteuse de la jeunesse sioniste étudiante, devint rapidement un opposant farouche de son mentor, reprochant au « Visionnaire de l’État » de n’être « pas suffisamment juif ». Dans le même temps, Buber abandonna définitivement l’idée sioniste pour devenir le chantre de l’État binational, posant les fondements théoriques du programme défendu par une frange non négligeable de la gauche israélienne jusqu’à nos jours.

Dans ce combat politique contre le sionisme politique, il fut soutenu par plusieurs intellectuels juifs d’origine allemande, qui furent à ses côtés les animateurs du mouvement Brith Shalom (« Alliance pour la paix »), première organisation juive pacifiste en Eretz-Israël et lointain ancêtre de Chalom Archav. Parmi ces derniers, citons les noms de l’économiste et sociologue Arthur Ruppin, des philosophes Hans Kohn, Hugo Bergmann et du spécialiste de la Kabbale, Gershom Scholem. Albert Einstein associa également son nom aux prises de position de Brith Shalom, sans en être officiellement membre. Comment ces grands esprits juifs de l’époque, en principe favorables à l’idée sioniste, furent-ils amenés à soutenir des conceptions qui allaient finir par heurter les fondements mêmes du sionisme politique ? Cette question dépasse le cadre restreint de notre article. Disons simplement que les facteurs culturels allemands jouèrent un rôle important à cet égard, et notamment la propension à l’idéalisme et l’influence des concepts inspirés de la philosophie kantienne.

 

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L’impératif catégorique de la coexistence judéo-arabe

Quel était le credo politique de l’Alliance pour la Paix ? Il peut se résumer en une phrase : favoriser à tout prix la coexistence judéo-arabe en Palestine, érigée en principe essentiel (une sorte d’impératif catégorique kantien), quitte à renoncer pour cela à l’objectif fondamental du sionisme, celui d’un État juif, à la place duquel il fallait se contenter d’un simple « foyer culturel juif ». Comme l’a montré, de manière fort convaincante, Yoram Hazony dans son livre essentiel, L’État juif, Sionisme, postsionisme et destins d’Israël (3), l’influence des idées de Brith Shalom s’exerça bien au-delà du petit cercle d’intellectuels juifs allemands qui partageaient ces conceptions utopistes. Gershom Scholem, qui enseigna à l’université hébraïque de 1925 à 1965, était parfaitement conscient de l’influence considérable exercée par le cercle restreint dont il faisait partie, comme en témoigne sa lettre à Walter Benjamin, datée du 1er août 1931 :

 

« Le petit cercle de Jérusalem, auquel j’appartiens, avait formulé et appuyé l’exigence d’une orientation nette du sionisme, dont la pierre de touche devait être la question arabe… D’autre part, depuis 1929, une campagne extrêmement violente a été lancée contre nous… A la suite de tout ceci, le congrès a voté une résolution, ouvertement dirigée contre nous, sur ‘l’objectif final’ du sionisme (4). Si l’on prenait à la lettre cette résolution, il en résulterait automatiquement que nous ne serions plus des ‘sionistes’ au sens de l’organisation… Il est vrai que, bon gré mal gré, on se décidera à faire la politique extérieure défendue par nous (ce nous représente moins de vingt personnes, des ‘intellectuels déracinés’ comme on dit ici, et qui néanmoins ont exercé une influence considérable) » (5). La « campagne extrêmement violente » dénoncée par Scholem fut en réalité une réponse aux coups de boutoir portés par le Brith Shalom contre l’Organisation sioniste et contre le sionisme politique lui-même, à la suite des pogromes arabes de 1929.

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Loin de modérer leur vision utopiste d’une « coexistence judéo-arabe » au lendemain des sanglants événements de l’été 1929 qui firent 67 morts à Hébron, les principaux porte-parole de l’Alliance pour la paix saisirent en effet l’occasion pour renouveler leurs attaques contre les dirigeants sionistes, coupables à leurs yeux de s’entêter à réclamer un État juif malgré l’opposition violente (et justifiée à leurs yeux) des Arabes… Le plus virulent et le premier à réagir en ce sens fut Martin Buber, qui déclara ainsi, lors d’une réunion de Brith Shalom à Berlin, en octobre 1929 : « Si nous nous étions préparés à vivre en véritable harmonie avec les Arabes, les derniers événements n’auraient pas pu se produire ». Pour parvenir à cette harmonie, Buber appelait les Juifs à « se familiariser avec l’islam » et à « trouver une entente culturelle avec l’arabisme », préalables à la création d’un Etat binational judéo-arabe 6. Ce faisant, Buber et les autres intellectuels pacifistes imputaient aux dirigeants du Yishouv la responsabilité des pogromes qui les avaient frappés, selon un mode de raisonnement qui a depuis lors été repris ad nauseam par la gauche pacifiste juive.

 

 

D’après Hazony, les conceptions radicales et minoritaires de Brith Shalom ont réussi à s’imposer dans l’État d’Israël, au point qu’elles ont finalement triomphé, à titre posthume, en assénant au sionisme politique une défaite presque fatale. Sans partager le pessimisme de Hazony, on ne peut que le suivre dans son raisonnement, lorsqu’il écrit : « le coup de force institutionnel le plus spectaculaire réalisé par l’Alliance pour la Paix fut son influence sur l’université hébraïque de Jérusalem, qui exerça une hégémonie culturelle incontestée dans la Palestine juive ». L’université hébraïque avait en effet été conçue et imaginée par les fondateurs du sionisme politique, dont elle devait exprimer la quintessence dans le monde académique. Herzl lui-même avait demandé au représentant de la Sublime Porte, alors maître en Palestine, de créer une université juive. Zvi Hermann Shapira, rabbin et mathématicien, avait défendu l’idée d’une université hébraïque lors du Premier Congrès sioniste, à Bâle en 1897. Avant cela, les Hovevei Tsion (« Amants de Sion ») avaient émis l’idée d’une telle université lors de la Conférence de Katowicz, en 1884.

 

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Le rabbin Avraham Itshak Hacohen Kook, grand-rabbin de la Palestine sous mandat britannique, avait parfaitement saisi l’enjeu et les risques que renfermait la création de l’université hébraïque. Dans son discours prononcé lors de la cérémonie d’inauguration, le 1er avril 1925, il exprima ce double sentiment d’espoir et de crainte. Son propos, souvent déformé à des fins polémiques par des milieux juifs orthodoxes antisionistes, qui considéraient sa participation à la cérémonie de Jérusalem comme une trahison, était en effet marqué par l’appréhension de voir l’université hébraïque participer de la tendance assimilationniste présente au sein du peuple juif depuis les débuts de son histoire. Sur ce point comme sur d’autres, la vision du rav Kook s’avéra prémonitoire. Portée sur les fonts baptismaux par tous les dirigeants du Yishouv et saluée par l’ensemble du peuple juif comme un véritable avènement messianique, l’université hébraïque allait très vite échapper, tel un Golem, aux mains de ses fondateurs, pour devenir un ferment de l’idéologie antisioniste et ultra-pacifiste. 

 

Pierre I. Lurçat

(Extrait de mon livre La trahison des clercs d'Israël, La maison d'édition 2016)

Notes

 

1 Lire la belle description de la cérémonie d’inauguration faite par Dan Almagor, « Une répétition générale de la cérémonie de déclaration de l'Indépendance ».

 

2 P.I. Lurçat, « Le péché originel de la gauche israélienne (I) Martin Buber et le sionisme : histoire d’une trahison ».

 

3 Yoram Hazony, L’État juif, Sionisme, postsionisme et destins d’Israël, traduction de Claire Darmon, éditions de l’éclat 2007.

 

4 Cette résolution fut exigée par le leader de l’aile droite du mouvement sioniste, Zeev Jabotinsky, qui entendait ainsi protester contre les atermoiements de Weizmann et de l’exécutif sioniste, lesquels refusaient de déclarer ouvertement que le but du sionisme était la création d’un Etat juif. Lorsque le congrès refusa (contrairement à l’affirmation de G. Scholem) de voter cette résolution, Jabotinsky déchira sa carte de délégué, dans un geste théâtral, déclarant : « Ceci n’est pas un congrès sioniste ! ». Voir ma postface à son autobiographie, que j’ai eu le plaisir et l’honneur de traduire en français, Histoire de ma vie, éd. Les Provinciales, p. 221.

 

5 Cité dans G. Scholem, Walter Benjamin, histoire d’une amitié, page 195, c’est moi qui souligne P.I.L.).

 

6 Cité par Y. Hazony, op. cit. page 259.

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“On dit qu’il existe un pays…” Mutation et paradoxes de l’identité culturelle israélienne (I) Pierre Lurçat

July 19 2019, 08:54am

Posted by Pierre Lurçat

“On dit qu’il existe un pays…”  Mutation et paradoxes de l’identité culturelle israélienne (I)  Pierre Lurçat

A Judith, 

באהבה ובהצלחה

 

La naissance d’une tradition israélienne” : c’est le titre d’un article passionnant de Yoav Shorek dans le numéro de juin 2018 de la revue Hashiloah, qui paraît à Jérusalem depuis trois ans et dont il est le rédacteur en chef (1). L’auteur y explique notamment comment la volonté d’édifier en Israël une culture entièrement laïque et de créer un “Nouveau juif”, qui caractérisait le projet culturel sioniste pendant plusieurs décennies, a fait place depuis peu à l’élaboration d’une synthèse originale, dans laquelle identité juive et identité israélienne ne sont plus contradictoires, mais complémentaires. 

 

Il ne s’agit pas seulement”, écrit Shorek, “d’un changement du rapport à l’identité juive, mais aussi d’une transformation du caractère de l’identité civile israélienne”. Selon lui, la réalité israélienne contemporaine s’inscrit en faux contre l’idée du “Nouveau juif”, mais aussi contre la conception sioniste-religieuse, qui voudrait que “le sionisme laïc ait achevé son rôle” (de fondateur de l’Etat) et qu’il appartiendrait désormais aux membres du courant sioniste-religieux (les fameuses “kippot srougot”) de construire “l’étage supérieur, celui de Jérusalem, du Retour à Sion”. En effet, poursuit Shorek, c’est “l’identité israélienne qui devient la tradition partagée par tous - tradition qui n’est ni laïque ni religieuse”.

 

Cette présentation, résumée ici très succinctement, a le mérite d’offrir une vision un peu plus complexe de la réalité d’Israël aujourd’hui, que l’opposition sommaire et simpliste entre “religieux” et “laïcs”, dont on fait souvent l’aleph et le tav du débat culturel et politique israélien. (2) Pour illustrer le propos de Yoav Shorek, je voudrais évoquer ici la figure d’un des grands écrivains de langue hébraïque, mal connu du public francophone mais très présent dans la vie culturelle israélienne : Shaul Tchernikovsky.

 

Shaul Tchernikovsky

 

Shaul Tchernikovsky (1875-1943), décédé il y a tout juste 66 ans, est un des plus grands poètes de la Renaissance nationale hébraïque. Né en Ukraine, il étudie à Odessa où il publie ses premiers poèmes, avant de partir étudier la médecine à Heidelberg, puis à Lausanne. Il exerce quelques années en Russie, et combat dans l’armée russe en tant que médecin. Il émigre en Eretz-Israël en 1931 et y séjourne jusqu’à son décès en 1943. Outre ses poèmes, il a aussi traduit en hébreu plusieurs oeuvres majeures de la littérature mondiale, parmi lesquelles L’Iliade et L’Odyssée d’Homère, mais aussi Sophocle, Shakespeare, Molière, Pouchkine, Goethe, Heine, Byron, Shelley, etc.

 

Culture populaire et culture savante

 

Si ses traductions des plus grands classiques de la littérature européenne confèrent à Tchernikovsky une place de choix dans le Panthéon des lettres d’Israël, c’est par ses poèmes qu’il est demeuré présent jusqu’à aujourd’hui dans la vie culturelle. Ceux-ci ont en effet été mis en musique par les plus grands compositeurs de chansons populaires israéliens, parmi lesquels Yoel Angel et Nahum Nardi.  Plusieurs des chanteurs les plus connus ont interprété ces chansons, et notamment Naomi Shemer et Shlomo Artsi (3). En cela, Tchernikovsky n’est pas différent de plusieurs autres auteurs classiques de son époque, au premier rang desquels il faut mentionner Haïm Nahman Bialik (et de la génération suivante, comme Léa Goldberg). 

 

Tous ont en effet en commun d’être à la fois considérés comme des auteurs “classiques”, étudiés au lycée en Israël aujourd’hui (pas suffisamment…) et objets de nombreuses études littéraires savantes, mais aussi d’avoir vu leurs poèmes mis en musique par des chanteurs et d’être ainsi entrés dans la culture “populaire”. Ce faisant, la frontière entre auteurs classiques et contemporains, entre culture populaire et culture “savante”, a été largement abolie, ce qui constitue sans doute un trait original de la culture israélienne. C’est un des aspects que nous abordons, Judith et moi, dans notre nouvelle émission culturelle, diffusée sur Studio Qualita.

 

Pierre Lurçat

 

(1) www.hashiloach.org.il 

(2) J’ajoute que ce sujet est le thème de mon livre Israël, le rêve inachevé. Quel Etat pour le peuple Juif? Editions de Paris 2018.

 

(3) Le poème “On dit qu’il existe un pays…” (Omrim yeshna Eretz) dont nous donnons les paroles ci-dessous a été interprété notamment par Naomi Shemer et par Shlomo Artsi.

 

פָּגַע בְּאָח כְּהִגָּמְלוֹ,

פּוֹרֵשׂ אֵלָיו שָׁלוֹם –

וְאוֹר לָאִישׁ וְחָם לוֹ.

 

אַיָּם:

אוֹתָהּ אֶרֶץ,

כּוֹכְבֵי אוֹתָהּ גִּבְעָה?

מִי יַנְחֵנוּ דֶרֶךְ

יַגִּיד לִי הַנְּתִיבָה?

 

כְּבָר

עָבַרְנוּ כַמָּה

מִדְבָּרִיוֹת וְיַמִּים,

כְּבָר הָלַכְנוּ כַמָּה,

כֹּחוֹתֵינוּ תַמִּים.

 

כֵּיצַד

זֶה תָעִינוּ?

טֶרֶם הוּנַח לָנוּ?

אוֹתָהּ אֶרֶץ-שֶׁמֶשׁ,

אוֹתָהּ לֹא מָצָאנוּ.

 

אוּלַי – – –

כְּבָר אֵינֶנָּהּ?

וַדַּאי נִטַּל זִיוָהּ!

דָּבָר בִּשְׁבִילֵנוּ

אֲדֹנָי לֹא צִוָּה – – –

 

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Vel d'Hiv : le jour où Robert Badinter a eu “honte” d’être juif, Pierre Lurçat

July 17 2019, 16:29pm

Posted by Pierre Lurçat

Robert Badinter fait beaucoup parler de lui ces temps-ci. Il a récemment publié un livre très remarqué sur sa grand-mère, Idiss. Et il vient de lancer un “cri de colère” contre l’antisémitisme. Avec une vitalité peu ordinaire, à 91 ans, M. Badinter découvre - mieux vaut tard que jamais - la réalité de l’antisémitisme en France. Mais ce cri tardif m’a remémoré un autre “cri de colère” de Robert Badinter, auquel j’ai assisté en première ligne.

 

Le “cri de colère” de Robert Badinter contre les Juifs

 

C’était en juillet 1992. J’étais alors un jeune Juif de 25 ans, et je dirigeais le mouvement des étudiants sionistes Tagar, tout en préparant mon alyah. Ce jour-là, nous étions venus au Vel d’Hiv, lieu de sinistre mémoire, pour interpeller le président de la République, François Mitterrand. Nous avions distribué un tract, en pointant l’ambiguïté de la position de Mitterrand vis-à-vis du régime de Vichy et son refus de reconnaître la responsabilité de l’Etat français (et, accessoirement, de mettre fin à la tradition de dépôt d’une gerbe sur la tombe du maréchal Pétain, à l’île d’Yeu). A nos yeux, comme à ceux des anciens déportés et survivants de la Shoah qui étaient venus se recueillir en ce lieu symbolique, il était scandaleux que le président de la République puisse venir au Vel d’Hiv dans ces conditions.

 

Quand François Mitterrand est arrivé sur les lieux, il a été accueilli par des huées, des sifflets et des cris : “Mitterrand à Vichy!”. Robert Badinter, le visage contorsionné par un rictus de haine, a alors prononcé un discours d’une extrême violence, tout entier dirigé contre… les militants juifs, qui lui avaient “fait honte”! A la sortie de la manifestation, j’ai été interpellé par deux policiers en civil, et j’ai passé la  nuit au poste, accusé “d’insulte au président de l’Etat”. Si je relate aujourd’hui ce souvenir, ce n’est pas pour rallumer de vieilles polémiques, mais parce qu’il me semble significatif de cette période de l’histoire de France et des Juifs en France, dont il est important de conserver la mémoire.

 

Au-delà de la personne de Robert Badinter, qui importe guère, c’est en effet le bilan d’une époque historique et d’une politique qui sont en jeu. Les années Mitterrand resteront, dans l’histoire des Juifs de France comme dans l’histoire française en général, celles d’une grande confusion morale et politique. Il est emblématique de cette confusion, que celui qui a su s’entourer de nombreux ministres et amis juifs soit resté également fidèle à ses amitiés de jeunesse, tissées à l’époque du régime de Vichy. Or, le procès de Vichy a depuis longtemps été fait en France, notamment grâce aux efforts incessants des époux Klarsfeld et des FFDJF, mais aussi d’autres militants juifs de la mémoire (1). Mais il reste à écrire l’histoire d’une période cruciale pour comprendre le déclin de la France (et celui de la communauté juive française).


 

Robert Badinter et François Mitterrand

 

Car beaucoup des éléments essentiels de ce déclin se sont mis en place pendant les années Mitterrand. Ainsi, le “Nouvel antisémitisme”, apparu sur le devant de la scène publique lors de “l’Intifada des banlieues”, au début des années 2000, a été décrit dans deux livres importants : La nouvelle judéophobie, de Pierre-André Taguieff, et Les territoires perdus de la République de Georges Bensoussan. Si l’on prend la peine de relire les témoignages de professeurs réunis par ce dernier, on constatera que les phénomènes qu’ils décrivent sont apparus au début des années 1990, pendant le deuxième mandat de François Mitterrand.

 

C’est en effet à cette époque - celle de SOS Racisme et de l’idéologie antiraciste triomphante - qu’a émergé cette configuration monstrueuse qu’Alain Finkielkraut devait décrire, bien plus tard, comme un “antiracisme antisémite” (2). Pour comprendre comment la France est devenue ce qu’elle est aujourd’hui, et comment l’antisémitisme a pu ressurgir avec une telle intensité et une telle violence, il faut aussi se rappeler qui était vraiment François Mitterrand, l’ami de René Bousquet, entouré de Juifs et d’anciens vichyssois. Car c’est dans la confusion morale et politique des années Mitterrand qu’est né le Nouvel antisémitisme actuel.


 

Le “Nouvel antisémitisme”, fruit tardif des années Mitterrand

 

Et Robert Badinter? Il a crié sa honte face aux militants juifs de la mémoire, mais il n’a jamais eu honte des fréquentations de Mitterrand, de la francisque et de la gerbe déposée chaque année à l’île d’Yeu, sur la tombe du maréchal Pétain. Au contraire, il s’est obstiné jusqu’à tout récemment à nier l’évidence  - l’amitié entre Mitterrand et Bousquet - pour sauver le souvenir de sa propre amitié avec François Mitterrand. Il n’est pas le seul dans ce cas : la plupart des “Juifs de cour” qui entouraient Mitterrand ont, à des degrés divers, préféré sauver le souvenir de leur amitié et ne pas se dédire, plutôt que d’affronter leurs erreurs et celles de leur mentor et ami. Je ne citerai pas leurs noms, connus de tous. Mais leur responsabilité est grande, face à l’histoire du judaïsme français et face à son inquiétante situation actuelle. A cet égard, le cri de Robert Badinter contre l’antisémitisme paraît bien tardif et dérisoire.

Pierre Lurçat

 

(1) Le Betar et le Tagar ont été parties prenantes de nombreux combats menés par les époux Klarsfeld avec les FFDJF. Sur ce point, je renvoie à mon livre (inédit) L’étoile et le poing. Activisme politique et auto-défense juive en France depuis 1967.

(2) L'expression est en fait due à Pierre-André Taguieff, qui l'avait employée publiquement dès 1982. Voir Annie Kriegel, Israël est-il coupable ?, Paris, Robert Laffont, 1982. 

 

Mitterrand (à droite) et le maréchal Pétain, octobre 1942

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J'ajoute sur ce dossier le texte de ma mère, Liliane Lurçat, écrit en 2014.

 

Dans ce pays détruit, bateau fantôme livré à toutes les rancoeurs
et à toutes  les haines inassouvies ,
Un revenant surgit soudain : Badinter, ami de Mitterrand


Il avait l'âme délicate, l'idée d'un homme coupé en deux le révulsait.
Pour son confort moral, il supprima la peine de mort

Le déchaînement des violences  et des crimes ne l'affecta pas,
l'impunité  des récidivistes pas davantage, sa clémence
pour les assassins  allait de pair avec sa froideur pour les victimes:
son coeur n'allait pas vers les victimes, mais vers les assassins

Tant pis pour tous ceux qui ont perdu leur vie dans des conditions
souvent atroces: les monstres relâchés sont ivres  de leur impunité

On n'entendait plus parler de lui, depuis si longtemps, 
qu'on ne savait même pas si il était encore vivant
mort ou vivant qui pouvait bien le sortir de son néant?

Un cri soudain le réveille et le surprend 
"mort aux juifs"!
ce cri résonne à présent  dans les rues  et dans  les cités
de la France des héritiers de Mitterrand et de Vichy

Fils de déporté, il en est soudain bouleversé
On n'est pas, impunément, ami des anciens de Vichy.

 

liliane lurçat,robert badinter,mitterrand

 

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Le jour où Israël assumera pleinement sa souveraineté sur le Mont du Temple et en Judée-Samarie...

July 2 2019, 11:06am

Posted by Pierre Lurçat

https://www.youtube.com/watch?v=pV3F035R4j4

Au micro de Richard Darmon, j'évoque le sujet de mon livre Israël, le rêve inachevé, et la question de l'identité de l'Etat d'Israël, dans ses aspects historiques, politiques et idéologiques. Cette question est cruciale à la fois pour la définition du caractère juif et/ou occidental de l'Etat hébreu, mais aussi pour lui permettre de trouver sa place au Moyen-Orient et dans le concert des nations.

Contrairement au paradigme trompeur du "processus de paix" et à la formule illusoire des "Territoires contre la paix", celle-ci ne viendra pas en renonçant à des territoires constitutifs de notre identité, ni en voulant échapper à notre identité véritable. Israël n'est pas un projet occidental destiné à "apporter en Orient les bienfaits de la civilisation" (conception laïque du sionisme politique).

C'est seulement le jour où Israël aura enfin choisi d'assumer pleinement son identité hébraïque et sa souveraineté dans tous les territoires libérés de Judée-Samarie et sur le Mont du Temple, que sa présence au Moyen-Orient sera acceptée par les nations.

 

Pierre Lurçat VudeJerusalem.over-blog.com

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