Juifs et Ukrainiens (II) Odessa vue par… Jabotinsky
Dans le texte ci-dessous, le grand dirigeant sioniste décrit la ville où il est né et a passé son enfance. Dans ces lignes, on lit non seulement la tendresse qu’il a conservée toute sa vie pour sa ville natale (1), mais aussi le portrait fidèle d’un lieu bien particulier - et très différent des autres endroits où vivaient alors les Juifs au sein de l’empire russe, dans la fameuse “Zone de résidence” où ils étaient beaucoup moins intégrés au reste de la population. Cette différence explique en grande partie l’attitude très ouverte de Jabotinsky envers les autres nationalités, et notamment envers les Ukrainiens, sujet d’un prochain article.
Pierre Lurçat
Le troisième facteur qui laissa son empreinte sur mon enfance est Odessa. Je ne connais aucune ville au climat aussi agréable et je ne dis pas cela comme un vieillard qui croit que le soleil s’est éteint, parce qu’il ne le réchauffe plus comme autrefois… J’ai passé les plus beaux jours de ma jeunesse à Rome, j’ai aussi habité, étant jeune, à Vienne et j’ai pu comparer leur « climat » spirituel à la même aune : il n’y a aucune ville comparable à Odessa – je parle d’Odessa à cette génération – pour la douceur joyeuse et l’exaltation qui flottent dans l’air, sans la moindre trace de complication de l’âme ou de tragique moral. Je ne dirai pas, à Dieu ne plaise, que j’ai trouvé dans cette atmosphère une grande profondeur ou de la noblesse – car sa légèreté caressante provient de l’absence de tradition. Cette ville a été créée de toutes pièces cent ans avant ma naissance, ses habitants bavardaient en treize langues différentes sans en connaître une seule parfaitement, et parmi mes nombreuses connaissances, il n’y en avait qu’une seule dont le père était lui aussi né à Odessa : or il ne peut y avoir de noblesse sans tradition et sans tragique.
Cette ville – le ricin du prophète Jonas, et toutes les plantes qu’elle renferme – matériellement, moralement et socialement – est elle aussi un ricin, quelque chose d’éphémère, une plaisanterie, une aventure. Il faut évidemment respecter la vérité ; mais le mensonge n’est pas un crime, car votre interlocuteur possède lui aussi une imagination débordante et capricieuse… Et à côté de tout cela, une curiosité avide pour tout ce qu’apporte chaque jour qui commence : la moindre nouvelle est un événement considérable, qui émeut les foules, les mains s’élancent dans les airs, les tables du café tremblent dans le tumulte des cris. Les baisers aussi y sont bon marché : voire même gratuits (et pourtant
ces jeunes filles, pour autant que je m’en souvienne, se sont toutes mariées par la suite, et chacune d’entre elles devint une bonne épouse).
L’enfant qui grandit dans un tel environnement peut être influencé pour le bien et pour le mal : cela ne dépend pas tant de son entourage, que de ses propres qualités. L’un s’imprégnera de la médiocrité (Polonski, poète russe, a écrit un roman décrivant la vie à Odessa, qu’il a surnommée la « ville médiocre ») ; tandis que l’autre s’imprégnera au contraire du tumulte, de la curiosité, de l’audace, de la fraîcheur éternelle qui est chaque matin un sujet d’émerveillement, et du sourire absolu et méprisant envers le malheur comme envers le bonheur. Bizarrement, c’est précisément dans les livres d’un poète anglais, élevé dans la tradition la plus fantastique du monde qu’il a défendue toute sa vie, que j’ai trouvé l’écho de cette psychologie. Kipling a écrit (les mots exacts m’échappent) : « Victoire ou catastrophe – sois capable de les mépriser toutes deux, car toutes deux sont trompeuses ». Et dans sa vieillesse il résuma l’expérience de sa vie en s’adressant ainsi au Créateur : « Mon Dieu, j’ai parcouru toute la terre que Tu as créée et je n’y ai rien vu de banal ; tout ce que j’ai vu est une merveille ». Je suis peut-être de la deuxième espèce.
Jabotinsky adolescent
Extrait d’Histoire de ma vie, traduit de l’hébreu par P. Lurçat
Sur Odessa, voir également le beau roman de Jabotinsky, Les cinq, publié aux éditions Les Syrtes.
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