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Israël - Etats-Unis : une alliance éternelle? Trois réflexions au lendemain du discours de Nétanyahou au Congrès

July 26 2024, 14:18pm

Posted by Pierre Lurçat

Bentsion Netanyahou et son fils, lors d’une cérémonie en souvenir de Yoni

Bentsion Netanyahou et son fils, lors d’une cérémonie en souvenir de Yoni

 

1.

Dans un exposé passionnant, donné pour l’année du décès du professeur Bentsion Nétanyahou à Jérusalem, Rafael Medoff relata la campagne menée par Nétanyahou aux Etats-Unis pour la création d’un État juif, dans les années 1940. Directeur de l’institut Wyman de recherche sur l’antisémitisme à Washington, Rafael Medoff a publié plusieurs livres sur la période des années 1940 aux États-Unis, et notamment A Race Against Death: Peter Bergson, America, and the Holocaust, qui relate le combat du « groupe Bergson » pour alerter l’opinion publique américaine sur l’anéantissement des Juifs en Europe. Peter Bergson et Bentsion Nétanyahou appartenaient aux mêmes cercles sionistes révisionnistes et ont mené plusieurs combats communs, même si leurs priorités étaient différentes : le premier se focalisait sur la lutte pour tenter de sauver les Juifs d’Europe, tandis que le second se consacrait au combat politique pour la création d’un État juif en Eretz-Israël.

 

Le point le plus marquant de cet exposé était le suivant : lors de son séjour aux États-Unis, en pleine Deuxième Guerre mondiale, Bentsion Nétanyahou créa l’embryon de ce qu’on appelle aujourd’hui le lobby juif américain. Alors que les sionistes « mainstream » parlaient aux dirigeants américains dans un langage prudent et souvent timoré, Nétanyahou s’exprimait clairement et sans aucune honte : il leur parlait le seul langage que les dirigeants politiques comprennent, à savoir celui des intérêts. Historien talentueux doué d’une capacité d’analyse politique hors du commun, Bentsion Nétanyahou fut ainsi le premier à défendre la cause sioniste aux États-Unis, en faisant valoir que la création d’un État juif servirait de rempart contre l’influence soviétique au Moyen-Orient. Et, contrairement aux dirigeants sionistes « mainstream » qui étaient acquis au président Roosevelt (lequel ne fit rien pour enrayer la destruction des Juifs d’Europe), Nétanyahou sut tisser des relations étroites avec les deux grands partis politiques américains, qui s’avérèrent essentielles lors du vote aux Nations unies sur la création d’un État juif.

 

2.

A cet égard, le “tropisme américain” de Benjamin Nétanyahou s’inscrit dans le droit fil de l’action de son père, comme on a pu le constater cette semaine, dans son remarquable discours prononcé (pour la 4e fois !) devant un Congrès enthousiaste. Les applaudissements nourris de la quasi-totalité des membres des deux chambres du Congrès américain, qui réservèrent au discours de “Bibi” un nombre record de “standing ovations”, n’étaient pas seulement destinés à la personne du Premier ministre. A travers lui, c’est au peuple d’Israël tout entier qu’ils s’adressaient. Chaque Juif et chaque Israélien (et aussi chaque observateur honnête) a pu mesurer à cette occasion la profondeur de l’amitié qui unit les deux peuples et les deux pays. Il est d’autant plus regrettable que certains commentateurs israéliens, à l’instar des médias français, n’aient pas saisi la grandeur du moment et ne soient pas parvenus à oublier - l’espace d’un instant - leur haine abyssale et totalement irrationnelle envers Nétanyahou… Celui-ci s’est une fois montré sous son meilleur visage : celui d’un homme d’Etat et d’un fin politique, qui maîtrise à la perfection les arcanes du Congrès et de la vie politique américaine en général.

 

3.

              Mais le succès remporté par Nétanyahou – et, à travers lui, par Israël – devant le Congrès américain ne doit pas masquer la question préoccupante, qui est devenue de plus en plus pressante depuis le 7 octobre : combien de temps durera l’alliance entre Israël et les Etats-Unis ? L’absence remarquée de Kamala Harris lors du discours de Nétanyahou était à cet égard lourde de signification. Si elle devait, à D. ne plaise, être élue présidente des Etats-Unis en novembre, sa victoire porterait sans aucun doute un coup très lourd aux relations bilatérales entre les deux pays. Mais, même si Donald Trump est élu, la guerre qui a débuté le 7 octobre a montré les fragilités de l’alliance Israël-Etats-Unis et les dangers inhérents à la confiance excessive portée par l’establishment militaire et sécuritaire israélien dans l’allié américain.

 

Il est grand temps de repenser les fondements de cette alliance et de repenser aussi la doctrine stratégique d’Israël, en tirant les conclusions de neuf mois de guerre. Voici quelques directions dans lesquelles il conviendrait sans doute de s’orienter : aspirer à une véritable indépendance en matière d’armement, autant que faire se peut, pour échapper aux pressions exercées par les pays fournisseurs d'armes en pleine guerre. Et plus généralement, viser à devenir véritablement indépendants, dans la mesure du possible, sur le plan stratégique, militaire et politique. La sécurité d’Israël repose en définitive sur le seul peuple Juif, car comme l’écrivait David Ben Gourion en 1957, “L’État d’Israël ne peut compter que sur un seul allié fidèle dans le monde : le peuple Juif”[1]. Vérité ultime qui demeure tout aussi vraie aujourd’hui qu’alors.

P. Lurçat

 

 

[1] Dans un texte inédit en français, à paraître en septembre dans la Bibliothèque sioniste. D. Ben Gourion, En faveur du messianisme : L’Etat d’Israël et l’avenir du peuple Juif, éd. de l’éléphant 2004.

Israël - Etats-Unis : une alliance éternelle? Trois réflexions au lendemain du discours de Nétanyahou au Congrès

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Le conflit identitaire israélien (III) : Royaume de David ou République de Galaad ?

March 20 2023, 14:35pm

Posted by Pierre Lurçat

Photo by Gili Yaari /Flash90

Photo by Gili Yaari /Flash90

Les seules explications politiques sont insuffisantes pour rendre compte de la violence du conflit intérieur actuel en Israël, qui dépasse tout ce qu’on a pu voir depuis plusieurs décennies. Il y a donc un niveau symbolique ou spirituel, qui permet seul de rendre compte de cette violence et de l’expliquer. Il porte sur l’identité profonde d’Israël en tant que peuple et en tant que nation. Israël doit-il être et sera-t-il un État juif conforme à sa vocation prophétique, ou bien un État occidental dans lequel le judaïsme serait réduit à la seule sphère privée, selon le modèle de l’émancipation – assimilation ?

Troisième volet de ma série d’articles consacrée au conflit identitaire israélien.

 

 

Pour illustrer ce conflit symbolique et spirituel, je voudrais m’arrêter dans les lignes qui suivent sur quelques éléments visuels aperçus dans les manifestations de rue actuelles et dans les médias, qui en rendent compte de manière quotidienne et quasi incessante, le plus souvent sous un angle sympathique et militant.

 

« Une image vaut mille mots ». L’adage déjà ancien reste valable aujourd’hui comme hier. L’analyse des slogans visuels et des symboles utilisés dans les manifestations contre la réforme judiciaire dans les rues d’Israël montre qu’ils sont très largement importés d’un contexte culturel américain, ce qui corrobore le fait qu’Israël est devenu le théâtre d’un affrontement culturel global entre deux visions du monde opposées, qui dépasse les frontières de notre petit-grand pays[1].

 

Margaret Atwood est une romancière américaine. Son roman La cape écarlate décrit un monde imaginaire et cruel, dans lequel un pouvoir tyrannique séquestre les femmes et les transforme en machines à procréer. Comment ce roman écrit en 1985 est-il devenu un des symboles marquants des manifestations actuelles en Israël ? Pour le comprendre, il faut s’arrêter sur le rôle des récits fondateurs et des mythes dans la mobilisation et dans la manipulation des foules.

 

Ce roman dystopique a été écrit, de l’aveu de son auteur, pour exprimer sa crainte de la droite religieuse américaine, après l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan. Le rapport avec la situation actuelle en Israël peut sembler ténu, mais c’est précisément la force des symboles de pouvoir être repris dans des contextes culturels différents… Hanna Benoualid écrit fort justement que nous les utilisons pour parler des cauchemars qui nous taraudent[2].

 

Cela est bien évident aujourd’hui en Israël, où les manifestations sont tout autant dirigées contre la réforme judiciaire que contre le cauchemar fantasmatique d’une théocratie juive. (J’ajoute que la notion même de « théocratie juive » est problématique, car le judaïsme a toujours distingué entre la prêtrise et la royauté). Dans ce contexte, le recours à un symbole visuel importé des États unis est d’autant plus significatif, qu’il permet de court circuiter tout débat rationnel sur la signification véritable d’un État juif et sur la place de la femme dans le judaïsme… En manifestant déguisées en servantes écarlates, les militantes féministes israéliennes évacuent l’objet véritable d’un débat possible et souhaitable et le remplacent par un objet symbolique et fantasmatique.

 

Cette manipulation symbolique et politique n’est donc pas un simple procédé rhétorique, celui qui consiste à identifier l’adversaire à un monstre pour mieux l’écarter (procédé bien connu qu’on désigne aujourd’hui comme délégitimation ou nazification). Elle est aussi et avant tout un mécanisme psychologique, qu’on pourrait décrire comme consistant en une auto-intoxication et comme un état de frayeur induit volontairement, comme sous l’effet de troubles psychotiques. En désignant le gouvernement de Binyamin Nétanyahou, sa politique et sa réforme judiciaire comme « la dictature », ou comme la « coercition religieuse », ses opposants « jouent à se faire peur ». Mais ce jeu est d’autant plus dangereux qu’ils finissent par croire aux symboles qu’ils agitent…

 

Cette manipulation du symbole de la « servante écarlate » et d’autres est d’autant plus significative, que le conflit culturel qui traverse Israël oppose en définitive, de manière schématique, la vision d’un État juif à celle d’un État occidental. En important dans l’espace public israélien des symboles et des thématiques venus des Etats Unis, les manifestants démontrent que leur combat est bien celui de valeurs étrangères à la culture israélienne (entendue au sens large). Ils défilent certes sous le drapeau bleu et blanc, récupéré au service de leur cause par un coup de génie publicitaire, mais leur cause est bien celle d’une culture étrangère, occidentale et américaine, qu’ils entendent imposer au peuple d’Israël. (à suivre…)

 

Pierre Lurçat

 

[1] Un autre exemple est le symbole du poing fermé, emprunté lui aussi aux Etats-Unis, où il a été notamment utilisé par les mouvements noirs américains dans les années 1960 et repris par la JDL.

[2] Je remercie Hanna Benoualid qui a porté à mon attention l’article d’Irit Linor évoquant Margaret Atwood, qu’elle a traduit sur son excellent blog Boker Tov Yerushalayim (wordpress.com).

 

 

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Le conflit identitaire israélien (III) : Royaume de David ou République de Galaad ?

March 20 2023, 14:35pm

Posted by Pierre Lurçat

Photo by Gili Yaari /Flash90

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Les seules explications politiques sont insuffisantes pour rendre compte de la violence du conflit intérieur actuel en Israël, qui dépasse tout ce qu’on a pu voir depuis plusieurs décennies. Il y a donc un niveau symbolique ou spirituel, qui permet seul de rendre compte de cette violence et de l’expliquer. Il porte sur l’identité profonde d’Israël en tant que peuple et en tant que nation. Israël doit-il être et sera-t-il un État juif conforme à sa vocation prophétique, ou bien un État occidental dans lequel le judaïsme serait réduit à la seule sphère privée, selon le modèle de l’émancipation – assimilation ?

Troisième volet de ma série d’articles consacrée au conflit identitaire israélien.

 

 

Pour illustrer ce conflit symbolique et spirituel, je voudrais m’arrêter dans les lignes qui suivent sur quelques éléments visuels aperçus dans les manifestations de rue actuelles et dans les médias, qui en rendent compte de manière quotidienne et quasi incessante, le plus souvent sous un angle sympathique et militant.

 

« Une image vaut mille mots ». L’adage déjà ancien reste valable aujourd’hui comme hier. L’analyse des slogans visuels et des symboles utilisés dans les manifestations contre la réforme judiciaire dans les rues d’Israël montre qu’ils sont très largement importés d’un contexte culturel américain, ce qui corrobore le fait qu’Israël est devenu le théâtre d’un affrontement culturel global entre deux visions du monde opposées, qui dépasse les frontières de notre petit-grand pays[1].

 

Margaret Atwood est une romancière américaine. Son roman La cape écarlate décrit un monde imaginaire et cruel, dans lequel un pouvoir tyrannique séquestre les femmes et les transforme en machines à procréer. Comment ce roman écrit en 1985 est-il devenu un des symboles marquants des manifestations actuelles en Israël ? Pour le comprendre, il faut s’arrêter sur le rôle des récits fondateurs et des mythes dans la mobilisation et dans la manipulation des foules.

 

Ce roman dystopique a été écrit, de l’aveu de son auteur, pour exprimer sa crainte de la droite religieuse américaine, après l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan. Le rapport avec la situation actuelle en Israël peut sembler ténu, mais c’est précisément la force des symboles de pouvoir être repris dans des contextes culturels différents… Hanna Benoualid écrit fort justement que nous les utilisons pour parler des cauchemars qui nous taraudent[2].

 

Cela est bien évident aujourd’hui en Israël, où les manifestations sont tout autant dirigées contre la réforme judiciaire que contre le cauchemar fantasmatique d’une théocratie juive. (J’ajoute que la notion même de « théocratie juive » est problématique, car le judaïsme a toujours distingué entre la prêtrise et la royauté). Dans ce contexte, le recours à un symbole visuel importé des États unis est d’autant plus significatif, qu’il permet de court circuiter tout débat rationnel sur la signification véritable d’un État juif et sur la place de la femme dans le judaïsme… En manifestant déguisées en servantes écarlates, les militantes féministes israéliennes évacuent l’objet véritable d’un débat possible et souhaitable et le remplacent par un objet symbolique et fantasmatique.

 

Cette manipulation symbolique et politique n’est donc pas un simple procédé rhétorique, celui qui consiste à identifier l’adversaire à un monstre pour mieux l’écarter (procédé bien connu qu’on désigne aujourd’hui comme délégitimation ou nazification). Elle est aussi et avant tout un mécanisme psychologique, qu’on pourrait décrire comme consistant en une auto-intoxication et comme un état de frayeur induit volontairement, comme sous l’effet de troubles psychotiques. En désignant le gouvernement de Binyamin Nétanyahou, sa politique et sa réforme judiciaire comme « la dictature », ou comme la « coercition religieuse », ses opposants « jouent à se faire peur ». Mais ce jeu est d’autant plus dangereux qu’ils finissent par croire aux symboles qu’ils agitent…

 

Cette manipulation du symbole de la « servante écarlate » et d’autres est d’autant plus significative, que le conflit culturel qui traverse Israël oppose en définitive, de manière schématique, la vision d’un État juif à celle d’un État occidental. En important dans l’espace public israélien des symboles et des thématiques venus des Etats Unis, les manifestants démontrent que leur combat est bien celui de valeurs étrangères à la culture israélienne (entendue au sens large). Ils défilent certes sous le drapeau bleu et blanc, récupéré au service de leur cause par un coup de génie publicitaire, mais leur cause est bien celle d’une culture étrangère, occidentale et américaine, qu’ils entendent imposer au peuple d’Israël. (à suivre…)

 

Pierre Lurçat

 

[1] Un autre exemple est le symbole du poing fermé, emprunté lui aussi aux Etats-Unis, où il a été notamment utilisé par les mouvements noirs américains dans les années 1960 et repris par la JDL.

[2] Je remercie Hanna Benoualid qui a porté à mon attention l’article d’Irit Linor évoquant Margaret Atwood, qu’elle a traduit sur son excellent blog Boker Tov Yerushalayim (wordpress.com).

 

 

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L'affaire Pollard au regard de l'histoire et de l'actualité israélienne, Pierre Lurçat

March 29 2022, 07:13am

Posted by Pierre Lurçat

Jonathan et Esther Pollard z.l. à Jérusalem

Jonathan et Esther Pollard z.l. à Jérusalem

(Article paru sur Mabatim)

Le hasard a voulu que la série israélienne consacrée à l'affaire Pollard soit diffusée en Israël la semaine où est décédée Esther Pollard. Ce triste concours de circonstances a permis de mesurer l'écart considérable entre la manière dont Jonathan et sa femme sont perçus par le peuple d'Israël et celle dont il est décrit dans la série

 

Pour résumer en une phrase cet écart de perception, nous pourrions dire que Jonathan, considéré à juste titre comme un héros par une grande partie de la société israélienne (il avait été accueilli à l'aéroport de Tel Aviv par le Premier ministre Binyamin Netanyahou en personne, qui lui avait remis sa carte d'identité, le 30 décembre 2021) est dépeint dans la série comme un être bizarre, psychologiquement perturbé, aux motivations difficilement compréhensibles.

 

Cette série est pourtant intéressante à plusieurs titres. Elle retrace l'itinéraire du jeune Juif américain, fils d'un professeur renommé dont une partie de la famille a été déportée et exterminée dans la Shoah, devenu analyste au sein de la Marine américaine, avant de décider de transmettre des informations vitales a l'État d'Israël, puis d'être arrêté et emprisonné pendant trente-cinq ans.

 

L'incompréhension manifeste de plusieurs personnalités interviewées et la tentative de décrire Pollard comme souffrant de troubles psychiques en disent long sur le regard porté par une partie des élites israéliennes sur notre histoire et sur ses héros. Au-delà même des implications politiques de l'affaire Pollard, et des raisons pour lesquelles elle a tellement embarrassé l'establishment politique et militaire israélien, celle-ci nous renseigne en effet sur la perception de l'histoire juive et sioniste par une partie des élites et de la société israélienne en général.

 

Cette perception pourrait être résumée par le mot fameux prêté au philosophe juif allemand Hermann Cohen, à propos des militants sionistes de son époque : “Ils veulent être heureux…”’ Selon cette conception, le sionisme aurait normalisé le peuple Juif et l’existence juive en Israël. On comprend dès lors la course effrénée à la consommation et l’hédonisme qui règnent sans partage dans une partie de la société israélienne. Dans cette perspective, tout ce qui vient troubler cette course à la normalité et au matérialisme est perçu comme un rappel insupportable de la dure condition juive (le “dur bonheur d’être Juif”, comme disait André Neher) et comme une atteinte au droit de vivre “normalement”.

 

C’est ainsi qu’il faut interpréter le mépris que vouent ces mêmes élites politiques ou culturelles aux Juifs de Judée-Samarie, de Hébron ou du Goush Katif, considérés comme des fous (dans le meilleur cas)  ou comme des criminels dans le pire, comme vient nous le rappeler récemment le ministre Bar Lev, obsédé par la soi-disant “violence des Juifs de Judée-Samarie”. Le même mécanisme explique leur attitude envers le Mont du Temple, ce soi-disant “baril de poudre” qui risque de faire exploser leurs rêves de tranquillité et de normalité, bien plus que de faire “exploser le Moyen-Orient”.

 

 

Pollard lors de son arrestation en 1985

Pollard lors de son arrestation en 1985

Solitude d’Israël

 

Dans ce contexte, l’affaire Pollard est un rappel insupportable de la condition juive et de la solitude d’Israël. Solitude, car même le “meilleur ami” de l’État juif, les États-Unis, ont refusé obstinément de transmettre à leur allié indéfectible des informations vitales concernant les pays arabes. Quand un patriote Juif américain s’est opposé à ce refus de partager des informations vitales, il a été envoyé en prison plus longtemps que tous les espions prosoviétiques et prochinois de l’histoire américaine au vingtième siècle. Ce verdict n’était pas seulement une injustice flagrante, mais aussi et surtout, un rappel difficile à entendre du paradoxe de la relation entre Israël et les États-Unis.

 

Ce paradoxe apparaît bien dans le second épisode de la série, lorsque l’auteur énonce le principe fondamental de la politique israélienne envers le “grand frère américain”: “Israël ne mène pas d’activité d’espionnage sur le sol américain”. Ce principe d’airain est officiellement justifié par le fait que les États-Unis sont un allié - le plus important au monde - de l’État juif. Mais cette loi d’airain a été enfreinte dans l’affaire Pollard (et sans doute à d’autres occasions). Pourquoi?

 

La réponse, qui n’est pas clairement énoncée dans la série, est très simple. Israël a dû se procurer des informations vitales pour sa sécurité sur le sol américain, parce que les États-Unis se sont délibérément abstenus de lui transmettre ces informations vitales. “Pourquoi voler ce qu’on vous donne officiellement?” demande l’ancien attaché militaire aux États-Unis Rafi Simhoni. Cette question est un sommet d’hypocrisie, car Simhoni sait parfaitement que les informations transmises par Pollard ne l’avaient pas été par les États-Unis…

 

Le quatrième et dernier épisode de la série s’intitule “Le prix de la trahison”. De quelle trahison s’agit-il? De celle de Jonathan Pollard envers son pays natal, les États-Unis. De l’autre trahison - celle des élites israéliennes envers Pollard - il n’est quasiment pas question. Elle apparaît pourtant à plusieurs moments clés de la série, notamment lorsque le conseiller juridique américain Abe Sofer explique que les États-Unis étaient disposés à accorder l’immunité à tous les Israéliens impliqués dans l’affaire Pollard (dont certains ont réussi à conserver l'anonymat jusqu’à ce jour) en échange de leur entière collaboration pour juger et condamner Pollard. Cette trahison des élites demeure jusqu’à ce jour une tache indélébile dans l’histoire d’Israël. Mais le peuple d’Israël, lui, a fait un autre choix, comme en attestait la foule des anonymes venus accompagner Esther Pollard à sa dernière demeure.

 

Pierre Lurçat

 

Découvrez La Bibliothèque Sioniste !

Les grands textes des pères fondateurs du sionisme politique, inédits ou épuisés en français, mis à la disposition du public francophone.

Déjà parus

  • JABOTINSKY, La rédemption sociale. Eléments de philosophie sociale de la Bible hébraïque.
  • JABOTINSKY, Questions autour de la tradition juive. État et religion dans la pensée du Rosh Betar.
  • GOLDA MEIR, La maison de mon père, fragments autobiographiques.

À Paraître :

  • JABOTINSKY, Les Arabes et nous, le mur de fer.
  • NORDAU. Textes sionistes.

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ou auprès de l’éditeur editionslelephant@gmail.com

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Jabotinsky pionnier de l’antiracisme en Amérique, Pierre Lurçat

January 13 2019, 19:06pm

Posted by Pierre Lurçat

Jabotinsky pionnier de l’antiracisme en Amérique, Pierre Lurçat

La dernière manière d'attaquer Israël - plus sournoise que le traditionnel antisionisme - consiste à déplorer que les dirigeants actuels, et en premier lieu Binyamin Nétanyahou - se soient "éloignés du rêve sioniste des Pères fondateurs". Ce discours est notamment celui d'un Jean-Pierre Filiu, auteur d'un livre récent sur Nétanyahou, intitulé Main basse sur Israël. J'ai eu l'occasion de débattre avec lui sur la chaîne i24 et de dénoncer sa vision caricaturale d'Israël. Pour contrer cette description de la droite israélienne, je remets en ligne cet article sur Jabotinsky, qui montre que la réalité est bien différente de la vision qu'en donnent les adeptes du "Netanyahou bashing", qui n'est pas autre chose que le nouveau visage de la vieille détestation d'Israël. P.L.

 


Jabotinsky.jpgA l’occasion d'un débat à la Knesset sur la proposition de loi visant à interdire l’utilisation du mot « nazi » comme insulte, le quotidien Ha’aretz rappelait que David Ben Gourion avait jadis qualifié Jabotinsky de « Vladimir Hitler ». L’animosité que Ben Gourion vouait à son grand rival de la droite sioniste n’a pas peu contribué aux stéréotypes négatifs entourant la figure du fondateur du sionisme révisionniste. Mais ceux qui se penchent sur la vie et l’œuvre du « Roch Bétar » découvrent un homme très éloigné du portrait peu flatteur qu’ont parfois dressé de lui ses adversaires politiques.

Le professeur Rafael Medoff, directeur de l’institut Wyman de recherche sur l’antisémitisme à Washington, a rappelé récemment, fort à propos, que Jabotinsky avait été un des pionniers de la lutte contre le racisme aux Etats-Unis, en 1910, dans son fameux article « Homo homini Lupus » (« L’homme est un loup pour l’homme »).

Cet article avait été écrit à la suite d’un combat de boxe, organisé le 4 juillet (Jour de l’Indépendance) à Reno, Nevada, entre Jack Johnson et Jack Jeffries, deux champions poids lourds qui ne s’étaient jamais rencontrés auparavant sur un ring. Le premier était en effet noir et le second blanc. Présenté comme le « Combat du siècle », le matche s’acheva par la victoire de Johnson, qui déclencha une vague d’émeutes raciales dans plus de 50 villes des Etats-Unis, faisant une vingtaine de victimes.

 

Johnson_jeff.jpg

Le combat entre Jack Johnson et Jack Jeffries

 

Jabotinsky décrit, dans son article pour le journal russe Odesskiye Novosti (Les Nouvelles d’Odessa), comment des foules en furie se jetèrent sur les habitants noirs, à cinquante contre un, attaquant même les femmes et les enfants. Aux yeux du jeune journaliste russe (âgé de 30 ans), c’était la preuve que les Etats-Unis, la « République la plus libre au monde », souffraient d’un mal quasiment incurable. « Un Juif russe peut encore se convertir », écrit-il, mais « la race ne peut être effacée ». Il décrivait ensuite le régime de ségrégation encore en vigueur aux Etats-Unis, près de cinquante ans après la fin de la guerre de Sécession et l’abolition officielle de l’esclavage.

maison jabo.jpgPour le Roch Bétar, intellectuel polyglotte né dans la ville cosmopolite d’Odessa 1 et théoricien du sionisme formé à l’école politique italienne du début du 20e siècle ; partisan intransigeant de l’égalité des hommes et des femmes ; auteur du fameux Programme d’Helsingfors 2, qui se disait « fou de l’idée d’égalité », l’inégalité des Noirs aux Etats-Unis était une tache indélébile sur le plastron de la grande démocratie américaine.

(Photo ci-contre : la maison natale de Jabotinsky à Odessa)

« Je déteste à un point extrême, de manière organique, d'une haine qui échappe à toute justification, à la rationalité et à la réalité même, toute idée montrant une différence de valeur entre un homme et son prochain. Cela ne relève peut-être pas de la démocratie mais de son contraire : je crois que tout homme est un roi, et si je le pouvais, je créerais une nouvelle doctrine sociale, la doctrine du "Pan-basilisme"...)

Jabotinsky était pourtant un admirateur de la civilisation américaine, comme cela ressort du passage suivant de son autobiographie, où il rapporte un souvenir de son premier voyage aux Etats-Unis :

« L'art politique subit le même sort que celui de l'architecte : comme pour ce bâtiment universitaire que je vis, il y a quelques jours, dans une ville des États-Unis – une tour de cinquante étages, belle comme un rêve matinal, comme une chute d'eau qui s'élance des profondeurs jusqu'aux hauteurs célestes du firmament – et je ne trouvai personne dans toute la ville qui se rappela du nom de son constructeur, pas même le serveur du restaurant, à qui rien n'était caché (c'est lui qui me conseilla d'aller voir la nouvelle université) – lui aussi ignorait le nom de l'architecte ; et dans sa sagesse profonde il me dit : - Cela n'a pas d'importance, Monsieur. L'architecte a dessiné les plans ; d'autres sont venus et les ont modifiés ; les entrepreneurs les ont abîmés ; les imbéciles qui siègent au conseil municipal ont détruit tout ce qu'ils pouvaient détruire ; mais l'édifice est encore debout, c'est le principal ; qui l'a construit ? L'Amérique l'a construit ».

 

Jabotinsky-Speech.jpg

Vladimir Jabotinsky at the Manhattan Center, June 19, 1940. Photo: Jabotinsky Institute

 

Par la suite, cependant, Jabotinsky fut amené à nuancer son regard et l’enthousiasme initial pour la civilisation américaine fit place à un jugement plus critique, qui ne portait pas seulement sur les maux de la société – comme dans l’article Homo homini Lupus précité – mais sur des aspects différents de l’« American Way of Life », comme l’omniprésence des loisirs et la culture de masse…

 

Notes

1. Sur le climat intellectuel de la ville d’Odessa et son influence sur le jeune Jabotinsky, voir notamment l’ouvrage parfois discutable mais fort intéressant de Michael Stanislawsky : Zionism and the Fin de Siècle: Cosmopolitanism and Nationalism from Nordau to Jabotinsky. J'ai évoqué la figure de Jabotinsky dans la belle émission Histoire que lui a consacrée Valérie Perez sur i24.
2. Le programme d’Helsingfors, élaboré en novembre 1906, proclamait les droits des minorités nationales de l’Empire russe, juive et autres.

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