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politique israelienne

Rencontres israéliennes : Benny Ziffer, un « bibiste » au journal Haaretz

June 23 2023, 15:11pm

Posted by Pierre Lurçat

Rencontres israéliennes :  Benny Ziffer, un « bibiste » au journal Haaretz

(article paru dans Israël Magazine)

 

Ma rencontre avec Benny Ziffer se déroule quelques jours après la formation du nouveau gouvernement israélien. Il me reçoit à la rédaction du Haaretz, rue Schoken, au sud de Tel-Aviv. Je connais surtout Haaretz pour la radicalité de ses articles et éditoriaux. Ziffer y dirige le prestigieux supplément littéraire depuis 1989, après y avoir été critique littéraire depuis 1977. Il est aussi traducteur et a notamment traduit du français Mérimée, Apollinaire, ou encore Vipère au poing d’Hervé Bazin.

 

Il me parle de sa famille, qui était francophone. « Mes parents venaient de Turquie. Ma mère était d’une famille sépharade et mon père était né à Vienne et ses parents avaient fui vers la Turquie en 1934. Le français était leur langue commune. Mon grand-père paternel avait créé le premier club sportif juif. La famille de mon père se trouvait en Turquie pour des raisons professionnelles. Ils travaillaient dans le cadre de ce qu’on appelait alors la dette publique ottomane. Mon arrière-grand-père était surnommé “David Consul”, car il travaillait comme portier du Consulat ».

 

Ziffer me raconte ses débuts de critique littéraire dans la revue Keshet, dirigée par Aharon Amir. Il y fait la connaissance de plusieurs écrivains, dont Yehoshua Kenaz, Benjamin Tamuz et le fameux Yonatan Ratosh, fondateur du mouvement cananéen (que j’ai déjà évoqué dans les colonnes d’Israël Magazine[1]). « Les membres de l’élite intellectuelle à cette époque étaient soit cananéens, soit anti-cananéens ». Les Cananéens revendiquaient une identité entièrement coupée de l’histoire et de la tradition juive. Leur projet était de faire renaître une nation hébraïque en rompant tout lien avec l’histoire juive de l’exil.

 

Mon interlocuteur compare les conceptions politiques des Cananéens au « nationalisme intégral » de Charles Maurras et des écrivains français des années 1930 et 1940. « La revue Keshet parlait de manière très élogieuse de Montherlant, Drieu la Rochelle, etc. Les Cananéens voulaient faire évoluer le sionisme et fonder leur nationalisme sur le modèle français, dans lequel le lien à la terre n’aurait rien à voir avec la religion… Ils voulaient qu’Israël soit fondé sur le droit du sol et pas sur la filiation juive. Ils voulaient couper tous les liens avec le judaïsme. Ben Gourion s’est opposé à eux car c’était quelque chose d’insupportable à ses yeux. Qui est Juif ? Est-ce la loi religieuse qui le détermine, ou bien le fait que quelqu’un vit ici et sert dans l’armée ? Leur influence a été importante dans les années 1950… »

 

Je l’interroge sur un écrivain français qu’il connaît bien, et qui a récemment défrayé la chronique en France : Michel Houellebecq. Ziffer me raconte la visite de ce dernier en Israël en 1998. L’ambassade de France avait organisé une rencontre entre l’écrivain et la communauté francophone d’Israël. Mais Houellebecq avait quitté la salle au bout d’un quart d’heure. Ziffer lui avait alors proposé de lui faire visiter Jérusalem, et l’avait notamment accompagné sur le Mont du Temple.

 

« Houellebecq était impressionné par Israël. Il s’attendait à voir un pays désertique et sous-développé. En arrivant à Jérusalem, je lui ai proposé d’aller sur le Mont du Temple. j’avais oublié que l’entrée dans la mosquée était interdite aux non-musulmans. Quand les gardiens du Waqf ont empêché Houellebecq de pénétrer dans la mosquée, il s’est emporté, leur criant que n’importe qui pouvait visiter Notre-Dame… J’avais peur qu’il lui arrive quelque chose. Dans chacun de ses livres depuis lors, il parle d’Israël. Dans Sérotonine aussi, le héros loue un appartement près d’un supermarché qui vend du houmous israélien… »

 

Nous abordons la politique. Je lui demande s’il est content du nouveau gouvernement. « J’espère que le Premier ministre sera assez dominant pour faire régner l’ordre dans son gouvernement. A présent il est devenu centriste, non pas parce qu’il aurait évolué dans ses opinions, mais parce que la gauche a soudain quasiment disparu et que toute la carte politique a bougé. Je pense que tout comment Ben Gourion en son temps, il va transformer les partenaires les plus extrémistes de sa coalition en hommes politiques responsables. Ben Gourion avait fait la même chose avec Itshak Shamir, ex-dirigeant du Lehi qui avait pris part à l’assassinat de Bernadotte. Il l’avait intégré dans les rangs du Mossad ».

 

Je l’interroge sur la famille Nétanyahou, avec lequel il entretient des relations amicales.

Comment expliquer la haine abyssale envers Nétanyahou ? « Tout simplement : la jalousie. “Bibi” a le profil d’un homme de gauche… Son père était le rédacteur en chef de l’Encyclopédie hébraïque, avec Y. Leibowitz. Il fait partie des anciennes élites. S’il avait fait une carrière universitaire, personne n’aurait trouvé à y redire ! Son père était un outsider. La haine contre Bibi est aussi la prolongation de la haine contre Begin et contre la droite, qui est très ancienne ».

 

P.L. Et Sarah Nétanyanou ? « Je crois que la haine à son égard est liée à la misogynie qui fait partie de l’éthos israélien. Elle est à cet égard une victime idéale… Mais je pense que quelque chose est arrivé lors des dernières élections. La gauche a été quasiment effacée. Ils ont dépensé toute leur énergie sur des histoires de haine personnelle. Nétanyahou possède une grande qualité, c’est la patience. Comme a dit Buffon, “Le génie est une longue patience”… »

 

P.L. Parlons du journal Haaretz. Vous savez que les articles de Haaretz sont traduits sur des sites propalestiniens ?

B.Z. Lors du Salon du Livre à Paris, j’étais tombé sur un livre d’Amira Hass (N.d.R. journaliste de Haaretz très radicale) en français.  Je ne l’accuse pas. Elle fait son travail de journaliste. Mais cela pose évidemment un problème. Cela a toujours existé dans le peuple Juif. Le roi David avait déjà écrit “Ne le dîtes pas à Gath…” Mais j’aime beaucoup Gideon Levi. Il a écrit du bien de “Bibi” et il critique souvent la gauche et son hypocrisie, la “gauche caviar”. La question qui importe est de savoir si un journaliste est honnête ».

 

Ziffer compare A.B. Yehoshua et Amos Oz. « Le premier a toujours été sioniste et faisait attention à ses prises de position. Chez Amos Oz ce n’est pas le cas, car il a toujours été très narcissique. Mais Amos Oz a quand même apporté beaucoup de gloire à l’Etat d’Israël.

P.L. En tant qu’écrivain oui, mais en tant que porte-parole de Chalom Archav ?

B.Z. Il n’a pas atteint le statut de grand écrivain en raison de ses prises de position. Je l’ai écrit après son décès, ce qui m’a valu beaucoup d’insultes. Je posais la question, quelle est la différence entre Amos Oz et Tolstoï ? Tolstoï était l’écrivain de tous les Russes. Il regardait tout le monde avec amour. Il ne disait à personne “vous êtes des colons, des fascistes”… Oz a pris parti. C’était une erreur.

P.L Vous n’y voyez pas un phénomène particulier au peuple Juif ? Nous avons un sens de l’autocritique très développé. En tant qu’écrivain juif, il y a une manière très simple de parvenir à la célébrité dans le monde, c’est d’écrire des choses négatives sur le peuple Juif.

B.Z. C’est vrai. C’est une chose tout à fait spécifique aux Juifs. Comme Bashevis Singer : quand il a reçu le Prix Nobel, toute la communauté juive a dit : “Comment a-t-on pu récompenser un écrivain qui écrit des choses tellement vulgaires, qui décrit des prostituées juives…”

P.L. Chez lui cela venait de son amour pour les Juifs !

P.L C’est ce qui fait toute la différence : la critique qui est motivée par l’amour.

B.Z. Oui, il y a une critique motivée par l’amour, comme chez Chalom Aleichem, qui se moque des Juifs avec amour. Mais cela n’atteint pas le niveau d’Amira Hass.

P.L. Le problème commence lorsqu’on écrit quelque chose en pensant “cela va plaire aux non-Juifs…”

B.Z. Alors cela devient quelque chose d’amoral. Mais tant que l’on est convaincu de faire le bien cela n’est pas répréhensible. Je ne pense pas non plus que l’effet soit tellement important. Les antisémites continueront de détester les Juifs de toute façon. Comme a dit Ben Gourion, peu importe ce que diront les Goyim, ce qui importe c’est ce que feront les Juifs ».

 

Au terme de deux heures d’entretien, Benny Ziffer a encore beaucoup à me raconter. Il me raccompagne à la sortie de l’immeuble de Haaretz, et je me dis en le quittant que ce journal recèle bien des surprises.

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[1] Voir notre article “Aux origines de la Marine israélienne, L’école navale du Betar à Civitavecchia”.

Rencontres israéliennes :  Benny Ziffer, un « bibiste » au journal Haaretz
Rencontres israéliennes :  Benny Ziffer, un « bibiste » au journal Haaretz

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La religion progressiste contre la Torah d’Israël (II) : Démocratie politique ou « religion démocratique » ?

June 14 2023, 06:04am

Posted by Pierre Lurçat

"Gay Pride" à  Tel-Aviv : "le petit homme avec son identité et son choix sexuel changeant"

"Gay Pride" à Tel-Aviv : "le petit homme avec son identité et son choix sexuel changeant"

 

Le voyageur qui arrive à Tel Aviv par le train et descend à la station Ha-Shalom est accueilli par un immense panneau qui orne la façade du Beit Ha-Itonout, portant ce slogan : « La démocratie est plus grande que la politique ». Pour l'observateur nourri de philosophie politique classique, ce slogan peut sembler paradoxal. La démocratie est en effet considérée traditionnellement comme une catégorie de la pensée politique et comme une forme particulière de régime politique. Mais ces deux affirmations axiomatiques ont été remises en cause ces dernières années par de nouveaux axiomes politiques, qui ont fini par s'imposer dans une large partie du public occidental. C'est dans ce contexte nouveau qu'il convient de prendre au sérieux et d’analyser le slogan affiché à Tel-Aviv.

 

Si la démocratie est « plus grande que la politique », c'est de toute évidence parce qu'elle ne désigne plus une catégorie politique, mais bien quelque chose d'autre. La démocratie est devenue une catégorie qui échappe au politique, ou qui le transcende. Pour comprendre cette réalité nouvelle, il suffit de voir les dizaines de milliers de manifestants qui scandent « Demokratia ! » dans les rues d'Israël, à la manière d'un mantra. Oui, il y a bien quelque chose de religieux dans la manière dont ils scandent le mot démocratie et dont ils perçoivent ce concept ancien, qui revêt aujourd'hui un sens nouveau. Quel est-il ?

 

Afin de mieux l'appréhender, nous partirons de cette observation éclairante de Pierre Manent, qui faisait remarquer que l'attrait exercé par le gouvernement des juges tient au fait que ceux-ci « prétendent de plus en plus parler immédiatement au nom de l'humanité[1] » C'est précisément ce qui distingue la nouvelle notion de démocratie de son acception classique. Dans cette dernière, la démocratie reposait largement sur l'idée de représentation, en vertu de laquelle le peuple délègue son pouvoir… Cette délégation constitue l'essence même du régime démocratique, qui est comme disait Churchill, « le pire des régimes politiques, à l'exception de tous les autres ». Or c'est précisément cette notion essentielle qui est remise en cause dans la religion de la démocratie qui se fait jour actuellement.

 

Si la démocratie semble, dans sa nouvelle acception, « plus grande que la politique », c'est aussi parce qu'elle parle presque exclusivement de « droits » et de libertés, là où la politique parle aussi de devoirs civiques.et d'obligations citoyennes. La religion démocratique, qui célèbre les droits de l'individu et ses identités multiples et « fluides », se moque de la représentation politique et de ses contraintes, dont elle ne comprend plus la nécessité. Elle exalte, comme le faisait remarquer Shmuel Trigano, non plus « le citoyen et le sujet de droit, l’Homme avec un grand H » mais « le petit homme avec son identité, son sexe et son choix sexuel changeant »[2].

 

A l'ère de l'individu roi, la souveraineté populaire est une idée considérée comme obsolète et comme appartenant à un passé révolu. Le désaveu pour la démocratie traditionnelle apparaît donc comme tout à fait compatible avec l'exaltation d'une « démocratie » largement abstraite et déconnectée des problèmes réels de l'État et de la société. Peu m'importe les problèmes de mon voisin ou ceux de mon pays, pourvu que je puisse exprimer mes sentiments et mon identité sans entrave… « Jouir sans entrave », fameux slogan de mai 68, est bien devenu l'idéal des adeptes de la nouvelle religion progressiste et démocratique, comme cela apparaît au grand jour pendant le « mois de la fierté » qui s’est ouvert la semaine passée à Tel-Aviv. La religion de la « démocratie » est aussi, nous le constatons jour après jour, un culte du moi, de l'identité sexuelle arborée comme un étendard et de l'égoïsme individuel.

 

De même, dans la nouvelle religion progressiste et « démocratique », il n'y a plus de place pour le débat authentique ou pour la confrontation des idées et des opinions. Chacun se bat pour faire triompher sa propre vision du monde, comme sur les réseaux sociaux, en effaçant les avis qui déplaisent ou qui fâchent. La vieille démocratie, avec son parlement, ses débats et son alternance de coalitions élues par le peuple, est donc logiquement synonyme de passéisme ou de réaction. Qui se soucie encore de la majorité, quand sont exaltés constamment les seuls droits des minorités et ceux de l’individu ? (À suivre…)

P. Lurçat

 

NB. Mon dernier livre, Quelle démocratie pour Israël?, est disponible sur Internet et à la librairie française de Tel-Aviv.

 

 

[1] P. Manent, Cours familier de philosophie politique, Fayard 2001, p. 310.

[2] S. Trigano, « Démocratie ou théocratie judiciaire ? », Menora.info 16.3.23.

La religion progressiste contre la Torah d’Israël (II) : Démocratie politique ou « religion démocratique » ?

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Shmuel Trigano. Du coup d’Etat au coup monté, cette fois-ci, on est fixé !

June 7 2023, 13:38pm

Posted by Shmuel Trigano

Shmuel Trigano. Du coup d’Etat au coup monté, cette fois-ci, on est fixé !

J’avais remarqué dans quelques textes[1] sur la crise israélienne qu’il restait un pan obscur, rebelle aux explications rationnelles et sociologiques qu’on pouvait en donner. Le symptôme le plus fort était le côté délirant et abusif du discours qui accompagnait et accompagne toujours la “protestation”. Je pense notamment à l’évocation aberrante d’une menace de “dictature” qui planerait sur la “démocratie israélienne”. Je pense aussi à l’incitation à la guerre civile par des généraux à la retraite. 

Comme je ne trouvais pas dans les faits de réalités confirmant cette “menace”, je l’avais attribuée à un état de la psychologie collective. De récents faits nouveaux m’obligent à plus de précision, et à tenir compte également des erreurs politiques de certains membres de la coalition au pouvoir, notamment le caractère intempestif et massif de la proposition de loi sur la Réforme judiciaire, ou les expressions maladroites de députés de partis religieux, autant de dérapages qui ont nourri dans des esprits peu au faite des choses, la crainte de “la dictature” ! 

Un autre trait ne laissait pas d’inquiéter : l’absence d’un leadership responsable et reconnu comme tel, dirigeant et guidant la “protestation” au point de lui intimer un but, un ordre du jour, une modération si besoin était. Au contraire, on a pu avoir l’impression que les leaders improvisés qui haranguaient épisodiquement les foules étaient à la traîne des mots d’ordre émanant de la “protestation” (désormais la dénomination journalistique de ce mouvement), comme si celle-ci avait été un mouvement spontané surgi de la masse des citoyens, ce qui devait authentifier la crédibilité de ses demandes. Ces leaders se livrèrent au contraire à une surenchère de la radicalité, appelant à la guerre civile, à la rébellion, à la lutte armée…

Et pourtant au fur et à mesure de la répétition de la manifestation du samedi soir, il apparaissait que son déploiement n’était pas erratique mais construit et programmatique, organisé de main de maitre

Et pourtant au fur et à mesure de la répétition de la manifestation du samedi soir, il apparaissait que son déploiement n’était pas erratique mais construit et programmatique, organisé de main de maitre pour gérer de telles foules sur un long terme. De même, les happenings qui au fur et à mesure remplaçaient les slogans usés ne pouvaient pas avoir été improvisés. Qui donc les concevait et les promouvait ?

On commença à chercher le pourquoi du comment. Qui donc avait construit un tel scénario ? De même, manifestement des sommes d’argent très importantes nourrissaient ces manifestations. Qui avait payé pour cette masse de drapeaux, brandis comme pour cacher le véritable enjeu, antidémocratique et antinational de la protestation ? Qui a payé, paie, actuellement même, la campagne d’affichage municipal gigantesque qui couvre les rues des villes et des autoroutes, accusant la coalition des pires actes et désignant à la vindicte publique des députés et des ministres représentés comme des brigands ?  Derrière cette campagne, combien de cabinets publicitaires ont-ils été enrôlés ? Qui paie ? Qui décide des mots d’ordre ? 

On a évoqué le financement américain. Un article fort éclairant paru dans le magazine juif américain Tablet apporta des preuves d’un financement américain au sommet. On a évoqué aussi le milliardaire Soros, les habituelles ONG des “droits de l’homme”… C’est bien ce ce que donnaient à comprendre les slogans de la “protestation” en appelant à l’intervention de puissances occidentales pour sauver les Israéliens du fascisme. 

En un mot, tout nous disait qu’il y avait une direction à ce mouvement, dotée d’un budget considérable, et d’un projet politique, qui n’était pas apparente et qui construisait de toutes pièces un “mouvement” social, une manipulation idéologique des masses, en les inscrivant dans une série de happenings destinés à nourrir le théâtre de semaine en semaine : d’abord les HighTéchistes, puis les banquiers, puis les agences de notation, puis les réservistes, puis les pilotes, puis les religieux, puis les députés du Likoud et que sais-je encore, chaque jour une scène de théâtre nouvelle s’est ouverte dans un scénario qui devait montrer le démembrement pièce à pièce de l’Etat, du peuple juif, du sionisme, avec des appels de pied lancés à l’ennemi par ci par là, et l’appel au secours des Etats-Unis et de l’Europe.

Il ne faut pas négliger une pièce capitale de ce système de manipulation des foules : la complicité totale des médias qui mirent en forme le leurre de l’enjeu qui serait la réforme judiciaire  reconstruite dans le langage journalistique comme “coup d’Etat de régime” (en hébreu “hafikha mishtarite”), “renversement de régime”.

Aujourd’hui, nous savons désormais quelle est la source de ce grand théâtre aux scènes multiples

Aujourd’hui, nous savons désormais quelle est la source de ce grand théâtre aux scènes multiples. C’est un de ses fondateurs et principaux animateurs, un avocat connu, Gilead Scher, un proche d’Ehud Barak  qui en a révélé l’origine dans le podcast d’Amir Oren[2]. C’est autour de lui que la première réunion des instigateurs de la “protestation” [3] a eu lieu, deux semaines donc avant la formation du gouvernement sorti des urnes, C’est-à-dire trois semaines avant la proposition de loi sur la Réforme judiciaire présentée par le nouveau ministre de la justice Yariv Levin. La “protestation” était donc en marche avant même que la proposition de loi n’en ait été formulée ! 

Selon les dires de Gilead Scher, les sondages privés montraient que Natanyahou serait élu. Il fallait, pour ce groupe, se préparer à faire obstacle à cette élection qui n’annoncerait rien de bon sinon l’avènement d’un « gouvernement de l’”obscurité”. Il fallait réunir des forces et lever des fonds importants. Ce soir, le mardi 6 juin où j’écris ces lignes, nous apprenons qu’il y a un million cent mille shekels à dépenser. Ces personnalités sont, semble-t-il, proches du milieu du général à la retraite Ehud Barak dont les discours violents et radicaux, l’appel à la guerre civile ont été remarqués.

La manipulation de l’opinion visait à cacher sous le voile vertueux de la démocratie en danger un refus de reconnaître le verdict des urnes

Du calendrier de ce groupe de personnalités, il découle donc que le principe même de ce que l’on appela plus tard sous une forme trompeuse “la protestation” a précédé l’objet déclaré de cette dernière, à savoir: le danger de dictature et de totalitarisme que ferait peser sur Israël la réforme judiciaire projetée. La critique de cette dernière était donc un leurre pour tromper la galerie, agiter la foule sur la base de dangers autant irréels que terrifiants, accrédités par certains hommes politiques, des généraux, des gens d’autorité, de surcroît à la retraite, qui devaient donner le change et affoler les Israéliens moyens.

La manipulation de l’opinion visait à cacher sous le voile vertueux de la démocratie en danger un refus de reconnaître le verdict des urnes et le projet de mettre hors-jeu le Parlement démocratique et d’empêcher le pouvoir légalement élu de prendre en mains les affaires. La réunion de la coalition au pouvoir et de l’opposition chez le président de l’Etat, en vue d’un compromis, illustre clairement ce contournement du parlement et de la majorité des électeurs. Il prenait en otage le gouvernement nouvellement élu en agitant la rue et en l’accusant de fascisme et de totalitarisme…

A quelles fins ultimes ? Si je me réfère à l’histoire de l’élite de pouvoir israélienne, le but est toujours le même depuis Ben Gourion et le pouvoir travailliste des origines : récuser et délégitimer la droite israélienne et marginaliser le poids des électeurs d’origine sépharade, majoritaires, “soupçonnés” d’être à droite et proches du traditionalisme religieux, tenir à distance les secteurs religieux, et surtout conserver leur influence à toutes les élites qui se sont relayées au pouvoir depuis l’Etat travailliste, alors que ces élites ne représentent plus la majorité électorale, le tout enveloppé dans un emballage distingué et “démocratique”, quitte à se mettre sous la tutelle (imaginaire) d’un Occident imaginaire, mâtiné aujourd’hui de post-modernisme. 

Le vecteur de cette évolution a bien été la chasse à l’homme de plusieurs années menée contre Natanyahou, à l’occasion de multiples procès taillés sur mesure contre lui et qui plus ils avancent, plus ils dévoilent leurs irrégularités, leurs mensonges, le dévoiement du droit, de la police, du pouvoir judiciaire : un procès dont les médias ont fait une histoire à épisode, diffuse chaque soir depuis des années comme un feuilleton sur les écrans de télévision, montrant la collusion du pouvoir judiciaire et de police. C’est l’origine de la haine gratuite qui a rongé du dedans le peuple israélien, des hommes politiques jaloux de Natanyahou et qui a vu le pouvoir judiciaire prendre en otage le système politique au fil d’une élection presque tous les ans.

Il ne leur reste plus qu’à se joindre au BDS palestinien

Quel peut être l’avenir de ce mouvement qui est, semble-t-il, à bout de souffle ? Sa seule action aujourd’hui est la violence, battre, invectiver des passants orthodoxes dans la rue, harceler les députés de la coalition au pouvoir, dégrader toute cérémonie publique, travailler contre Israël à l’étranger. Il ne leur reste plus qu’à se joindre au BDS palestinien. 

Les spécialistes de sécurité sont inquiets : risque-t-on le meurtre de personnalités ? Il y a une telle violence et un tel délire ! On voit apparaître sur la scène une catégorie d’Israéliens inconnus auparavant qui sont les vrais animateurs de la guerre civile : Crime Minister, Akhim la neshek ! ( “Frères d’armes” en français : tout un programme). Pour les avoir vus à la TV, je dirais même qu’ils ont l’air inquiétant. Ils portent le rictus du nihilisme. On sent les anarchistes, les Black Blocks[4], une mouvance qu’on n‘a pas encore vraiment vue en Israël alors qu’on la retrouve dans plusieurs pays européens où ils ne se manifestent que pour détruire, pleins d’un ressentiment social violent. Israël semble ne pas échapper à un tel phénomène…
Le peuple juif se tient à un carrefour de son destin. La majorité silencieuse doit se ressaisir. Et il n’y a aucune fatalité !  

© Shmuel Trigano

Shmuel Trigano est Professeur émérite des Universités


Notes

[1] Quatre articles parus sur Tribune juive et que l’on trouve aussi sur Menora.fr

“La crise israélienne” (30 janvier) “Que se passe-t-il en Israël ? Un putsch “démocratique” ?  (1er Février), https://www.tribunejuive.info/2023/01/28/shmuel-trigano-que-se-passe-t-il-en-israel-un-putsch-democratique/

“Les israélites israéliens…” (13 février) “Démocratie ou théocratie judicaire ?” (16 février)https://www.tribunejuive.info/2023/02/14/shmuel-trigano-democratie-ou-theocratie-judiciaire/

[2] Afarkasete Amir Oren avec Gilad Scher, le 28 mai à 11h 35

https://rotter.net/forum/scoops1/797464.shtml

[3] Tout d’abord Guilead Scher, Yossi Kutshik, Dany Halouts,le milliardaire  Orni Petroushka. Puis deux semaines après Edna Zilber, Shikma Bresler, Ilan  Shiloakh  Amos Malka, Yehuda Adar pour la logistique qui nomma Eran Schwartz pour la mise en pratique (directeur du “QG de la lutte”), Eyal Navé ,en charge ( !) de la protestation des réservistes), Mital Levi Tal ( QG du HighTech)

[4] Le terme désigne un mouvement radical et violent né à Berlin dans les années 1980 dans les milieux anarchistes et autonomistes. De noir vêtus et cagoulés, ils se confrontant à la police lors de manifestations publiques.

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Rencontres israéliennes : Ido Rechnitz, Pour un État démocratique fondé sur la Torah

May 21 2023, 09:12am

Posted by Pierre Lurçat

Le rav Ido Rechnitz

Le rav Ido Rechnitz

(Article paru dans Israël Magazine)

NB J'invité mes lecteurs à écouter la conférence donnée par G.E. Sarfati sur le thème "Israël et le fantasme de la théocratie", disponible ici

Ma rencontre avec le rabbin Ido Rechnitz se déroule quelques semaines après les élections, alors que le nouveau gouvernement n’est toujours pas constitué et que les médias israéliens sont remplis d’éditoriaux dramatiques annonçant la prochaine constitution d’un gouvernement « d’extrême-droite », qui va transformer Israël en État théocratique digne de l’Iran des ayatollahs… Je viens justement de lire le dernier livre publié par Ido Rechnitz, au titre mystérieux de L’État de la Torah démocratique, paru récemment aux éditions du centre « Mishpaté Eretz » à Jérusalem. Pour comprendre de manière plus approfondie le débat qui agite la société israélienne sur le sujet crucial des rapports entre État et religion, j’ai décidé de rencontrer son auteur.

 

Ido Rechnitz me reçoit dans les bureaux du centre Mishpaté Eretz, à Katamon, où il travaille en tant que chercheur. Après une maîtrise en sciences politiques à l’université Bar Ilan, il a achevé un doctorat en pensée juive à l’université d’Ariel. Son dernier livre, tiré de son doctorat, aborde la question de « l’État toranique démocratique » à travers trois figures essentielles : le grand-rabbin Itshak Herzog, le rabbin Eliezer Waldenberg et le rabbin Shlomo Goren. Le choix de ces trois rabbins s’explique par le fait qu’ils ont tous les trois élaboré une doctrine politique fondée sur la Torah et qu’ils abordent notamment la question de la théocratie juive.

 

Je lui demande d’emblée si l’État de la Torah envisagé par ces trois rabbins constitue une théocratie. « C’est un type de théocratie » me répond-il sans hésiter. Le mot théocratie fait évidemment peur aujourd’hui, mais la notion de « théocratie juive » n’a en fait peu de chose en commun avec les régimes théocratiques qui existent aujourd’hui à travers le monde, surtout dans le monde musulman. Ainsi, précise Ido Rechnitz, l’Iran est une théocratie « démocratique » en apparence, où se déroulent des élections, mais qui est en fait un régime totalitaire, comme cela est aujourd’hui évident. L’Arabie saoudite, de son côté, est une théocratie de type monarchique. Mais que signifie une théocratie juive ?

 

Qu’est-ce qu’une théocratie juive ?

 

Pour le comprendre, il faut tenter d’oublier tout ce qui nous vient à l’esprit en entendant le mot théocratie, tellement connoté négativement depuis des siècles, pour revenir aux sources. Le premier contresens à cet égard consiste à croire – comme le laissent penser les hommes politiques qui agitent aujourd’hui le spectre de l’Iran – qu’une théocratie juive serait nécessairement l’équivalent du régime de Téhéran. Le second contresens, tout aussi erroné, consiste à confondre théocratie juive et État dirigé par la halakha (loi juive).

 

Le premier à avoir utilisé l’expression d’« État halakhique » (Medinat Halakha), aujourd’hui devenue polémique, était en fait David Ben Gourion, lors du fameux débat autour de la question « Qui est juif ? » dans les années 1950. Dans l’esprit du grand public en Israël et ailleurs, l’État halakhique est entièrement régi par la loi religieuse, c’est donc un État où il ne reste guère de place pour la liberté de conscience et pour la liberté en général… C’est précisément cet épouvantail de l’État théocratique dirigé par des rabbins qu’on agite aujourd’hui dans le débat politique israélien.

 

Or, dans une théocratie juive, explique le rabbin Rechnitz, les lois de la Torah sont les lois de l’État, mais les rabbins ne sont pas les dirigeants. Les lois de la Torah autorisent en effet une législation humaine, c’est-à-dire une législation par la Knesset telle qu’elle existe aujourd’hui. L’instauration d’un État de la Torah ne modifierait donc pas fondamentalement le régime politique, mais uniquement le système juridique et législatif. D’autre part, la promulgation de lois inspirées par la Torah ne concernerait qu’une partie des lois en vigueur actuellement, car de nombreux domaines échappent à la halakha. Pour illustrer cette réalité méconnue, Ido Rechnitz explique que la plupart des décisions quotidiennes échappent à la loi juive.

 

Dans le domaine juridique, l’ensemble du droit pénal et de la politique publique sont ainsi en dehors du champ d’application de la loi juive, mais relèvent seulement de l’esprit de la Torah. Dès le treizième siècle, le Rashba (Rabbi Shmuel ben Avraham) avait ainsi expliqué que le système de justice pénal de la Torah (reposant sur deux témoins en matière de preuve) n’était pas effectif, et qu’il fallait donc se fier à la justice civile, c’est-à-dire non juive. Concrètement, cela veut dire que l’État de droit de la Torah conserverait les lois actuelles en matière de procédure et de droit pénal.

 

Contre la coercition religieuse

 

A ma question de savoir quels domaines du droit seraient les plus affectés par une telle révolution, Ido Rechnitz me répond qu’il s’agit de domaines techniques et très peu polémiques, comme le droit des contrats ou de la responsabilité civile, c’est-à-dire le droit civil. D’autre part, l’instauration d’un État fondé sur la Torah sur le plan du droit n’a rien à voir avec la question du respect des commandements religieux (mitsvot), qui continuerait de relever de la liberté de chacun. L’État de Torah démocratique ne serait en fait, contrairement à l’idée reçue à cet égard, pas concerné par le respect du shabbat dans l’espace public !

 

Pour comprendre ce paradoxe, mon interlocuteur me renvoie à une responsa du Hazon Ish, célèbre rabbin et décisionnaire du siècle passé, qui explique que la coercition religieuse a pour objectif d’amener les Juifs à respecter les mitsvot. Toutefois, dans le monde actuel, elle est interdite, car elle entraînerait des réactions négatives, de rejet de la Torah. C’est pourquoi il s’oppose à toute initiative de coercition religieuse. A cet égard, souligne Ido Rechnitz, c’est le camp « progressiste » qui est le moins démocratique, car il tente d’imposer au public ses conceptions (à travers la Cour suprême ou les médias qui partagent ses conceptions). Le seul domaine où il existerait (et où il existe déjà) une « coercition religieuse » est celui du statut familial, à savoir le droit du divorce et de la filiation qui repose sur la halakha depuis 1948, en vertu du statu quo établi à l’époque par David Ben Gourion.

 

Vers la Deuxième République d’Israël ?

 

Comment peut-on instaurer un État de Torah démocratique ? A cette question essentielle, le rav Rechnitz répond sans hésiter : « Il faut convaincre le peuple d’Israël qu’il souhaite ce changement ». Cela ne peut pas se faire par des moyens détournés ou en abusant de l’opinion publique… Il se dit favorable à un vote de la Knesset à une majorité qualifiée, de 70 ou 80 députés sur 120 et compare cela aux changements de régime intervenus en France entre la Première et la Troisième République. « C’est un changement de régime, qui conduira à la Deuxième République d’Israël ». C’est précisément pour cette raison que le rabbin Rechnitz préfère employer l’expression « État de la Torah » que celle de théocratie, aux connotations très négatives. Le plus important à ses yeux est d’œuvrer en vue de persuader du bien fondé d’un État de Torah, par des moyens démocratiques.

 

En conclusion, je lui demande à quoi ressemblera l’État de Torah, et en quoi il diffèrera de l’État d’Israël actuel. « Commençons par ce qui ne changera pas. Le régime parlementaire, la Knesset qui continuera de légiférer et d’édicter des lois, à condition de ne pas contredire la Torah… Nous passerons en revue la législation israélienne, dont une grande partie restera inchangée. Le changement le plus important sera de remplacer la Cour suprême par un Beth Din Gadol (tribunal toranique suprême), ce qui suppose de former des juges compétents ». Au terme de notre entretien, je quitte mon interlocuteur avec le sentiment que l’État de Torah démocratique est un idéal tout à fait accessible, même s’il reste beaucoup à faire pour convaincre le public israélien qu’il est souhaitable et réalisable. Mais comme le disait Herzl, « Si vous le voulez, ce ne sera pas un rêve… »

(c) Pierre Lurçat et Israël Magazine  -Reproduction soumise à autorisation expresse par écrit

Rencontres israéliennes : Ido Rechnitz, Pour un État démocratique fondé sur la Torah

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Aharon Barak et les juges marocains : Qui représente la Cour suprême?

May 8 2023, 16:21pm

Posted by Pierre Lurçat

Manifestation devant le domicile d’Aharon Barak

Manifestation devant le domicile d’Aharon Barak

 

           Du point de vue sociologique, les juges de la Cour suprême représentent, à de rares exceptions près, un groupe aujourd’hui minoritaire au sein de la population israélienne, celui des Juifs d’origine ashkénaze, laïcs et de gauche. De manière significative, la tentative récurrente d’introduire un semblant de diversité dans les groupes sociaux et les opinions représentés à la Cour suprême n’a pas remis en cause l’hégémonie de cette minorité socio-politique. On a ainsi vu la nomination d’un juge arabe, d’un juge portant la kippa habitant en Judée-Samarie, qui sont souvent présentés dans les médias comme illustrant la « diversité » des juges. En réalité, ils sont les exceptions qui confirment la règle.

 

           Aharon Barak a ainsi créé l’expression de « test Bouzaglou », dans laquelle Bouzaglou désigne l’homo qualunque israélien, le « citoyen lambda ». Il s’est par la suite défendu d’avoir ce faisant voulu stigmatiser les Juifs orientaux, mais il n’en demeure pas moins que le nom de Bouzaglou n’a pas été choisi au hasard. Dans la vision du monde d’Aharon Barak (tout comme dans celle d’Hannah Arendt à l’époque du procès Eichmann), il existe une hiérarchie bien définie dans la société juive israélienne : l’élite est toujours celle des Juifs ashkénazes.

 

           Dans une interview récente à la chaîne de télévision israélienne Kan 11, Aharon Barak a d’ailleurs déclaré regretter de n’avoir pas fait suffisamment d’efforts pour trouver de plus nombreux juges sépharades susceptibles de siéger à la Cour suprême. Il cite trois noms de juges d’origine sépharade, le juge Mani, le juge Yehuda Cohen et le juge Mazouz. Quand le journaliste insiste et lui demande s’il aurait eu la même carrière s’il s’était appelé « Aharon Bouzaglou », Barak répond : « Nous avons cherché des juges arabes, des juges orientaux, des juges religieux, des juges ultra-orthodoxes… » Et il reconnaît du bout des lèvres avoir commis une erreur, en ne trouvant pas suffisamment de juges d’origine sépharade[1].

 

 

 

 

           Mais l’aveu tardif du juge Barak ne remet pas fondamentalement en cause sa vision du monde et le fait que la Cour suprême représente aujourd’hui, sur le plan sociologique et politique, une minorité (la « cellule du parti Meretz qui siège à Jérusalem », selon l’expression d’un commentateur israélien, qui l’avait employée à une époque où le parti Meretz disposait encore de quelques députés à la Knesset, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui). C’est précisément pour mettre un terme à cet état de fait et pour instaurer un semblant d’égalité et de représentativité au sein de la Cour suprême que la réforme judiciaire, comme nous allons le voir, s’est donné comme objectif essentiel de modifier le mode de nomination des juges, afin d’abolir l’hégémonie de la minorité ashkénaze laïque de gauche.

 

De manière éloquente, dans la même interview, le juge Barak explique que le changement le plus dangereux que la réforme risque d’introduire est de changer le système de nomination des juges… De toute évidence, le mode de nomination des juges, de l’aveu même du juge Barak, est un des piliers de sa Révolution constitutionnelle, car c’est – nous y reviendrons – grâce au système de nomination dénué de toute transparence et de pluralisme qu’il a pu mener celle-ci et préserver une majorité activiste, totalement acquise à ses idées au sein de la Cour suprême.

 Pierre Lurçat

(Extrait de mon livre Quelle démocratie pour Israël? Gouvernement du peuple ou gouvernement des juges?)

 


[1] Voir פגישה עם רוני קובן - פרקים מלאים לצפייה ישירה | כאן (kan.org.il)

ILS ONT LU “QUELLE DEMOCRATIE POUR

ISRAEL?”

 

Un livre politique qui se lit comme un roman policier”.

Liliane Messika, écrivain Mabatim

 

On ne peut imaginer ouvrage plus clair et plus adéquat pour comprendre quel est l’enjeu de ce qui s’est passé dans le pays”.

Rav Kahn, Kountrass
 

Le livre à lire impérativement pour comprendre le projet de réforme judiciaire en Israël”.

Albert Lévy, chef d’entreprise, Amazon

 

“Pierre Lurçat balaye en quelques pages les slogans de la gauche israélienne qui manifeste aujourd’hui massivement au nom de la « défense de la démocratie » contre le « coup d’Etat ». “ 

 

Yves Mamou, Revue politique et parlementaire

 

Aharon Barak et les juges marocains : Qui représente la Cour suprême?

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Israël : la gauche contre le peuple, par Yves Mamou

May 3 2023, 15:17pm

Posted by Yves Mamou

Israël : la gauche contre le peuple, par Yves Mamou

Je reproduis la recension par Yves Mamou de mon livre Quelle démocratie pour Israël?, publiée dans la Revue politique et parlementaire. P.L.

Israël : la gauche contre le peuple - Revue Politique et Parlementaire

Les déchirures politique, sociale et culturelle qui ont surgi en Israël à propos de la réforme de la Cour Suprême sont généralement interprétées en Europe selon les termes imposés par la gauche, à savoir une tentative de coup d’Etat juridique mené par l’extrême droite. Le petit livre intitulé « Quelle Démocratie pour Israël » (Editions l’Eléphant) que vient de publier Pierre Lurçat, essayiste et traducteur, éclaire de manière simple et savante le double aspect de cette crise politique.

 

Le premier aspect, spécifiquement israélien, démontre clairement que la gauche tente aujourd’hui, par une occupation massive des rues, de protéger le pouvoir politique qu’elle a conquis il y a trente ans, par un usage abusif du droit.

Le second aspect de cette crise à priori spécifiquement israélienne illustre et recoupe les contradictions qui tordent les sociétés occidentales comme le divorce entre les élites et le peuple, l’irruption du judiciaire dans le politique, le conflit entre les « valeurs morales universalistes » et les droits du peuple ou de la nation.

Concernant l’aspect proprement israélien de la crise judiciaire, Pierre Lurçat balaye en quelques pages les slogans de la gauche israélienne qui manifeste aujourd’hui massivement au nom de la « défense la démocratie » contre le « coup d’Etat ».

En réalité explique-t-il, le coup d’Etat a bien eu lieu, mais il est vieux de trente ans et c’est la gauche qui l’a mené. La réforme judiciaire que promeut la droite a pour but d’en corriger les effets.

Au début des années 1990, un homme seul, charismatique, le juge Aharon Barak, président de la Cour Suprême, a embarqué l’appareil judiciaire israélien dans une « révolution constitutionnelle » (le terme est de lui) qui a progressivement rogné le pouvoir des élus et a transformé les magistrats non élus de la Cour Suprême en acteurs politiques de premier plan. En catimini, progressivement, sur la base de deux lois votées la nuit par des députés qui n’y ont pas vu malice, la Cour Suprême a progressivement institué l’idée qu’elle était en droit d’intervenir dans tous les champs de la vie politique. Ces deux lois fondamentales portaient l’une sur « la dignité humaine » et l’autre sur la « liberté professionnelle ». Aujourd’hui résume Lurçat, « ceux-ci (les juges de la Cour Suprême) se sont octroyé des pouvoirs exorbitants que nulle loi ne leur a jamais confié, et une compétence sans limite qui leur permet désormais d’annuler des lois, de donner aux contrats un sens que leurs signataires n’avaient jamais prévu, d’intervenir dans les décisions du chef d’état-major et d’annuler toute nomination à un poste public ».

Empêcher ces juges inamovibles de brider la volonté du peuple qui vote est l’enjeu proprement israélien de la réforme judiciaire du gouvernement Netanyahou. Mais, par bien des aspects, cette bagarre politique illustre aussi un conflit entre l’universel et le national propre aux sociétés occidentales.

En Israël, la gauche et la droite conviennent (en aparté pour la gauche) qu’il faut réduire le champ d’intervention de la Cour Suprême. Mais la gauche israélienne, au nom de ses « valeurs » interdit à la droite de mener la réforme et l’accuse de complot contre la « démocratie ». En fait, deux définitions de la démocratie s’affrontent aujourd’hui.

Depuis trente ans, en Israël comme en Occident, la gauche tente d’imposer l’idée que la démocratie ne peut se réduire au jeu mécanique de la majorité qui a le droit d’imposer sa loi à la minorité.

Partout, la gauche a cherché à imposer l’idée que la démocratie est d’abord et avant tout un système de « valeurs ». « Une démocratie de la majorité seule qui ne s’accompagne pas d’une démocratie des valeurs n’est qu’une démocratie formelle et statistique. La vraie démocratie limite le pouvoir de la majorité afin de protéger les valeurs de la société » écrivait lui-même le juge Baarak. Quand la droite est majoritaire en voix, la gauche lui rétorque que son pouvoir est illégitime parce qu’elle n’est pas représentative de la « démocratie des valeurs ».

C’est cet aspect du conflit judiciaire israélien, celui des « valeurs », qui devrait attirer l’attention du lecteur français sur le court essai de Pierre Lurçat.

En Israël comme en Europe et aux Etats Unis, les « valeurs universelles » sont entrées en conflit avec la démocratie formelle.

Les femmes, les noirs, les musulmans, les migrants, les LGBT… ne se contentent pas d’être des citoyens comme les autres qui votent, travaillent et prient librement comme ils le souhaitent. Ils se posent en victimes et réclament des droits spécifiques qui apparaissent aujourd’hui comme « la quintessence de la démocratie, bien plus que les élections libres et démocratiques et leur résultat… (surtout quand ce résultat est contraire à leurs opinions politiques) » pointe avec justesse Pierre Lurçat.

C’est ce sentiment d’incarner des « valeurs universelles » qui fait descendre dans la rue des centaines de milliers de citoyens de gauche en Israel au nom de la « demokratia ».

C’est cet universalisme qui pousse des militaires à refuser de servir, des hommes d’affaires à exporter leurs capitaux hors d’Israël, et des citoyens lambda à penser qu’ils seront beaucoup plus heureux au Portugal ou aux Etats Unis qu’en Israël.

La gauche israélienne utilise l’universalisme des « valeurs » pour se rapprocher de la gauche européenne et américaine et pour prolonger en Israël, l’assaut que la gauche occidentale mène depuis plusieurs décennies, contre son héritage culturel, contre ses traditions, son héritage religieux chrétien, ses lois, sa morale pour les remplacer par des principes soi-disant universels destinés à réaliser la fraternité humaine. Les laïcs de gauche israéliens sont prêts à mettre Israël à genoux pour ressembler le plus possible à cet Occident qui n’en finit plus de s’effondrer sous les coups de tous les types de particularismes.

Yves Mamou

Pierre Lurçat, « Quelle démocratie pour Israel ; Gouvernement du peuple ou gouvernement des juges ? », Editions L’éléphant, 126 pages. 

 

Israël : la gauche contre le peuple, par Yves Mamou

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Conférence : Quelle démocratie pour Israël?

April 28 2023, 08:16am

Posted by Pierre Lurçat

Conférence : Quelle démocratie pour Israël?

J'aurai le plaisir de présenter mon nouveau livre, "Quelle démocratie pour Israël?", dimanche 30 avril à 19h30 (heure d'Israël) en Zoom (lien ci-dessous).

Lancer la réunion - Zoom

Merci de vous connecter un peu avant pour être certain de pouvoir y assister (places limitées)

 

La violente polémique et les manifestations publiques incessantes suscitées depuis quelques mois en Israël par le projet de réforme judiciaire posent une question essentielle. Comment expliquer que des dizaines de milliers d’Israéliens manifestent en scandant « Démocratie ! », alors même que l’objectif affiché de la réforme judiciaire est précisément de renforcer la démocratie et l’équilibre des pouvoirs ? Il y a là, de toute évidence, deux conceptions opposées de la nature du régime démocratique.

Pour comprendre les enjeux de ce débat fondamental, il est nécessaire de revenir en arrière, aux débuts de la « Révolution constitutionnelle » menée par le juge Aharon Barak dans les années 1980 et 1990. C’est depuis lors que la Cour suprême s’est octroyée la compétence de dire le droit à la place du législateur, d’annuler les décisions du gouvernement et de l’administration, les nominations de fonctionnaires et de ministres et les décisions des commandants de l’armée, etc. Aucun domaine n’échappe plus à son contrôle omniprésent.

Dans son nouveau livre, Pierre Lurçat retrace l’histoire de cette Révolution passée inaperçue du grand public et explique les enjeux du projet de réforme actuel, en la replaçant dans son contexte historique. Il rappelle ainsi pourquoi Israël ne possède pas de Constitution et montre comment l’extension du domaine de la compétence de la Cour suprême a affaibli les pouvoirs exécutif et législatif, en la transformant de facto en premier pouvoir.

Replaçant la problématique israélienne dans un contexte plus vaste – celui de la montée en puissance d’un « gouvernement des juges » dans la plupart des pays occidentaux, il s’interroge également sur les causes profondes de l’engouement pour la notion d’un pouvoir des juges et du rejet concomitant de la démocratie représentative et du pouvoir politique en général.

Quelle démocratie pour Israël : Gouvernement du peuple ou gouvernement des juges? Editions L'éléphant 2023. Disponible sur Amazon, B.o.D et dans les bonnes librairies (sur commande).

Conférence : Quelle démocratie pour Israël?

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Yom Ha’Atsmaout 5783 : Retrouver le sens de la Mamlakhtiyout, Pierre Lurçat

April 23 2023, 09:14am

Posted by Pierre Lurcat

Yom Ha’Atsmaout 5783 : Retrouver le sens de la Mamlakhtiyout, Pierre Lurçat

 

Comme l’a écrit le professeur Israël Auman, qui fait partie de la « famille du deuil »[1], dans les colonnes de Makor Rishon, quelques jours avant le 5 Iyar 5783 – Jour de l’Indépendance – depuis les débuts de l’histoire de l’Etat d’Israël, « les dirigeants et les ministres de toutes tendances politiques ont pris part aux cérémonies du Yom Hazikaron (Jour du Souvenir) » et « les règles de la cérémonie ont été observées avec une constance officielle ». Ce dernier mot employé par Israël Auman est difficilement traduisible en français : « mamlakhti ». Le dictionnaire Larousse le traduit par « officiel » ou « étatique », mais aussi par « majestueux ».

 

Or c’est précisément ce concept difficilement traduisible qui est aujourd’hui menacé par le conflit intérieur qui divise Israël depuis quelques mois. Ainsi, quand le chef de l’opposition Yaïr Lapid annonce publiquement qu’il ne prendra pas part aux cérémonies du Jour de l’Indépendance, ou quand un groupe de familles endeuillées (qui ne représentent qu’une infime partie de la grande « famille du deuil », comme le rappelle le professeur Aumann) demandent aux hommes politiques (de la coalition) de s’abstenir de venir dans les cimetières le Jour du Souvenir, c’est la Mamlahktiyout qu’ils contestent et qu’ils foulent aux pieds.

 

Pour comprendre ce qui est en jeu dans cette dernière manche du conflit intérieur israélien, dont j’ai décrit depuis quelques semaines plusieurs aspects[2], je voudrais proposer plusieurs manières de traduire et d’expliquer le mot hébreu difficilement traduisible de « Mamlakhtiyout ». La première traduction, conforme à l’esprit de David Ben Gourion, qui parlait souvent de l’impératif de la Mamlakhtiyout – dont il avait fait un pilier de sa politique – est celle du « sens de l’Etat »[3]. Si le premier Premier ministre d’Israël l’utilisait souvent, c’est parce que cette notion était étrangère à l’éthos du peuple Juif en exil, habitué à vivre sous la souveraineté de peuples étrangers.

 

La deuxième traduction, moins littérale, est celle de « sens du bien commun ». La Mamlakhtiyout désigne en effet ce qui transcende tous les clivages politiques ou sociaux, et qui appartient à l’ensemble de la nation israélienne. Si les jours solennels du Yom Hazikaron et du Yom Ha’atsmaout sont emplis de cérémonie et de faste, c’est précisément parce qu’ils expriment ce qui dépasse tous les clivages – et ils sont nombreux – qui divisent la société israélienne. Devant les tombes de nos soldats et de nos civils tombés pour défendre notre pays ou victimes du terrorisme arabe, tous sont égaux, Juifs laïcs et religieux, druzes et bédouins, etc.

 

La troisième traduction, plus éloignée encore, pourrait être celle de « sens de la démocratie ». Paradoxalement, ceux qui manifestent depuis des mois en scandant « Démocratie ! » ont en effet oublié un des éléments fondateurs du régime démocratique, celui de la représentativité politique. En prétendant exclure des cérémonies du Yom Hazikaron les élus du peuple, qualifiés de manière péjorative de « politiciens » (comme si la fonction même d’homme politique était à leurs yeux entachée d’infamie !), ils contestent fait le fondement du régime démocratique, à savoir l’idée de représentation politique.

 

En effet, lorsqu’un ministre se rend au Mont Herzl le Jour du Souvenir ou le Jour de l’Indépendance, il ne le fait pas en tant que membre d’un parti politique, ni même en tant que représentant du gouvernement dont il fait partie stricto sensu. Il vient incarner, au nom du gouvernement, la volonté populaire (la fameuse Vox Populi), qui s’est exprimée lors des élections et qui a porté au pouvoir une certaine coalition. Celle-ci gouverne le pays en tant que représentante et que mandataire de l’ensemble du peuple et de la nation israélienne. C’est précisément cette notion – pourtant familière à tout Juif à travers le concept ancien de « shalia’h tsibbour ») – qui est aujourd’hui remise en cause par les opposants au gouvernement, lorsqu’ils prétendent interdire aux ministres de participer aux cérémonies des jours sacrés que nous allons vivre cette semaine.

 

Comme je le montre dans mon livre Quelle démocratie pour Israël ? qui paraît ces jours-ci, l’enjeu du débat actuel en Israël – débat qu’on retrouve ailleurs dans le monde démocratique – dépasse de loin la seule question de la réforme judiciaire, car il porte en fait sur la nature même du régime démocratique. Paradoxalement, les partisans d’un « gouvernement des juges », en Israël comme ailleurs, contestent en fait l’idée classique de la démocratie représentative et du pouvoir politique. Voilà, en quelques mots, l’enjeu fondamental de l’idée de Mamlakhtiyout qu’il s’agit de retrouver cette semaine, pendant les jours sacrés du Yom Hazikaron et du Yom Ha’Atsmaout.

Pierre Lurçat

 

N.B. Je donnerai une conférence en Zoom dimanche 30 avril à 19h30 sur le thème « Quelle démocratie pour Israël ».

________________________________________

 

Mon livre Quelle démocratie pour Israël ? vient de paraître aux éditions L’éléphant. Il est disponible sur Amazon, B.o.D. et dans toutes les bonnes librairies.


Un livre politique qui se lit comme un roman policier”.

Liliane Messika, écrivain, Mabatim

 Dans ce petit livre très dense et très pédagogique, Pierre Lurçat nous éclaire sur la crise actuelle que traverse Israël”.

Evelyne Tschirhart, écrivain, Dreuz

On ne peut imaginer ouvrage plus clair et plus adéquat pour comprendre quel est l’enjeu de ce qui s’est passé dans le pays”.

Rav Kahn, Kountrass

 

 

 

[1] Son fils Shlomo est mort lors de l’opération « Paix en Galilée » en 1982.

[2] Voir ma série d’articles sur « Le conflit identitaire israélien ».

[3] Selon Danny Trom, c’est Ben Gourion qui aurait créé l’expression de Mamlakhtiyout, qu’il traduit par étatisme ou par sens civique.

Yom Ha’Atsmaout 5783 : Retrouver le sens de la Mamlakhtiyout, Pierre Lurçat

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Le conflit identitaire israélien (VI) : Fondamentalisme juridique contre démocratie juive?

April 10 2023, 16:48pm

Posted by Pierre Lurçat

Le conflit identitaire israélien (VI) :  Fondamentalisme juridique contre démocratie juive?

Les visuels utilisés dans les manifestations contre la réforme judiciaire, tout comme la distribution de “Haggadot” alternatives (comme la “Haggada de la protestation”) indiquent que l’opposition au gouvernement n’est pas seulement politique, mais qu’elle prend des apparences quasi-religieuses. Comme souvent dans l’histoire du peuple Juif, l’opposition au judaïsme revêt ainsi la forme d’une nouvelle religion, ou tout au moins d’une nouvelle forme de judaïsme. Dans les pages qui suivent, extraites de mon nouveau livre, je montre comment le juge Aharon Barak a fondé sa “Révolution constitutionnelle” sur une conception quasi-religieuse du droit. P.L.

 

                    Cette vision totalitaire d’un droit omniprésent procède en fait, comme l’ont fait remarquer plusieurs observateurs, d’un esprit révolutionnaire et quasiment religieux. Ainsi, pour le juge Menahem Elon, spécialiste du droit hébraïque qui a longtemps été l’adversaire le plus résolu d’Aharon Barak au sein de la Cour suprême : « Il n’existe pas aux yeux de A. Barak de vide juridique, et toute action que nous menons comporte selon lui un aspect juridique. Cette conception correspond à une vision du monde religieuse, et non à une conception juridique. L’expression employée par Barak, “Le monde entier est empli de droit”, est calquée sur l’expression de la prière juive, “Le monde entier est empli de Sa gloire”. Selon Barak, le système judiciaire présente un caractère religieux, qui intègre toute l’expérience humaine [1]».

                    L’appréciation de Menahem Elon est confirmée par Aharon Barak lui-même, qui a confié à l’avocat Yaakov Weinroth qu’il se considérait comme un homme possédant un « sentiment intérieur religieux très profond ». Et de fait, commente Weinroth, « le droit occupe chez lui un statut tellement central, que cela fait penser au comportement d’un homme très religieux[2] ». Aryeh Edrei, professeur de droit à l’université de Tel-Aviv, aboutit lui aussi à la même conclusion que Weinroth, en établissant une comparaison saisissante entre la conception du droit omniprésent du juge Aharon Barak et celle de la halakha (loi juive) développée par le parti juif orthodoxe Agoudath Israël au début du vingtième siècle, à travers la notion de « Daat Torah[3] », littéralement l’avis de la Torah.

 

                    Ce dernier, explique Edrei, a ainsi étendu le champ d’application de la halakha, en considérant que les Sages de la Torah avaient leur mot à dire sur toutes sortes de questions qui ne relèvent pas à première vue du domaine de la loi juive, comme l’économie ou la politique. La loi juive se préoccupe en effet traditionnellement de dire ce qui est obligatoire (commandements positifs) et ce qui est interdit (commandements négatifs). Mais il subsiste entre les deux un immense domaine dans lequel la loi juive n’a rien à dire et qui relève entièrement de la liberté individuelle.

C’est cette conception traditionnelle que la notion de « Daat Torah » a remis en question, en élargissant considérablement le « domaine de compétence » de la loi juive au sein du public représenté par l’Agoudath Israël. Or, poursuit Edrei, c’est la même démarche qui a guidé le juge Barak, dans le domaine du droit israélien. Ainsi, conclut-il, « on peut décrire le conflit actuel en Israël comme opposant deux organes qui s’affrontent au nom de doctrines étonnamment similaires. D’un côté, le “Daat Torah” du “Conseil des Sages de la Torah”, et de l’autre, la Cour suprême et sa doctrine de tout est justiciable ». Cette notion d’un droit « religieux », aussi étonnante qu’elle puisse paraître à première vue, est en fait assez courante dans le monde contemporain, comme l’explique Menahem Mautner, ancien doyen de la faculté de droit de Tel-Aviv.

Un « fondamentalisme juridique »

Dans son livre Le déclin du formalisme et l’essor des valeurs dans le droit israélien, Mautner établit ainsi une comparaison entre le droit aujourd’hui et l’église dans la société catholique autrefois. « Le droit dans les sociétés laïcisées, écrit-il, remplit la même fonction que remplissait l’église dans les sociétés religieuses ». Selon Mautner, le conflit culturel interne à Israël n’est plus ainsi, comme on le décrit souvent, un conflit entre les tenants du « fondamentalisme religieux » et les partisans d’une démocratie laïque et éclairée. Il est devenu ces dernières décennies un conflit entre deux fondamentalismes : un « fondamentalisme religieux » et un « fondamentalisme juridique » laïc.

C’est bien une telle vision fondamentaliste et quasi-religieuse du droit qui a permis au juge Barak de remodeler le système démocratique israélien, en plaçant le juge au-dessus des lois, de la Knesset et du gouvernement. Dans sa vision, en effet, le juge ne fait pas partie du commun des mortels (auquel il a fait référence dans une maxime célèbre, en utilisant le nom de famille Bouzaglou). Il est de par sa fonction le seul habilité à lire, à interpréter et même à modifier la loi. Dans une telle conception, le peuple lui-même perd toute légitimité. Seule la loi est légitime.

Mais, à la différence de la Loi du Sinaï – qui a été donnée au peuple tout entier et que celui-ci est capable de comprendre et d’appliquer – aux yeux d’Aharon Barak, le juge est seul compétent pour comprendre la loi et la “dire” au peuple ignorant. Le juge est véritablement créateur de droit et il a le dernier mot en matière d’interprétation, d’application de la loi et même en matière de législation. En effet, la Cour suprême israélienne s’est arrogée lors de la Révolution constitutionnelle le pouvoir exorbitant (qui ne lui a jamais été conféré légalement) d’annuler toute loi de la Knesset, y compris des Lois fondamentales.

                    Dans la conception classique de la démocratie, la loi exprime la volonté populaire (Vox populi) et la souveraineté du peuple. Aux yeux d’Aharon Barak, au contraire, la loi reste l’apanage d’une minorité « éclairée », seule habilitée à la comprendre et à l’interpréter. C’est au moyen du concept de « public éclairé » qu’il a forgé que Barak interprète la loi dans ses jugements, et qu’il revendique pour la Cour suprême et pour lui-même un statut totalement inédit dans une démocratie, celui de « juge éclairé » créateur de droit. (Dans une interview récente à la chaîne de télévision israélienne Kan 11, Aharon Barak a déclaré regretter avoir employé l’expression de « public éclairé » et celle de « Révolution constitutionnelle »)[4].

                    Pour décrire la conception bien particulière du juge et de la démocratie d’Aharon Barak, telle qu’elle est exposée notamment dans son livre Le rôle du juge en démocratie[5], le juge américain Richard Posner a employé l’expression de « despote éclairé[6] ». C’est en effet un juge « éclairé » aux pouvoirs quasi-despotiques que décrit Barak dans ses écrits théoriques et qu’il appelle de ses vœux. Et c’est bien en « despote éclairé » qu’il s’est comporté, en mettant en application la Révolution constitutionnelle qu’il avait patiemment théorisée bien des années avant 1992. Cette révolution qui a bouleversé l’équilibre des pouvoirs en Israël est ainsi, dans une très large mesure, l’œuvre d’un seul homme.

Pierre Lurçat

Extrait de mon nouveau livre, Quelle démocratie pour Israël : gouvernement du peuple ou gouvernement des juges? Editions L’éléphant 2023.

 

Un ouvrage de droit qui se lit comme un roman policier

Liliane Messika

 

Le livre à lire impérativement pour comprendre le projet de réforme judiciaire en Israël

Albert Lévy


1. Menahem Elon, cité par A. Bendor et Z. Segal, The Hat Maker [hébreu], Kinneret Zmora-Bitan 2009.

2. Cité par Naomi Levitsky, Kevodo (Your Honor), Keter 2001, p. 233.

3. Aryeh Edrei, « Le conseil des Grands de la justice », Makor Rishon 10.3.23, supplément Shabbat.

4. "Rencontre avec Roni Koban », 13.2.23, אהרן ברק | כאן (kan.org.il)

5. The Judge in a Democracy, Princeton University Press 2006.

6. R. Posner, « Enlightened Despot », The New Republic 23.4.2007.

 

Le conflit identitaire israélien (VI) :  Fondamentalisme juridique contre démocratie juive?

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Démocratie de la majorité ou “démocratie des valeurs?” Pierre Lurçat

March 28 2023, 11:57am

Posted by Pierre Lurçat

Aharon Barak

Aharon Barak

La Révolution constitutionnelle de 1992 et ses fondements idéologiques (I)

Pour comprendre comment la réforme judiciaire lancée il y a trois mois a été suspendue sous la pression de la rue et du « Deep State » israélien, il faut revenir quatre décennies en arrière, aux débuts de la Révolution constitutionnelle du juge Aharon Barak. C’est en effet ce dernier qui a imposé sa vision prémonitoire d’une « démocratie des valeurs », préférable selon lui à la démocratie de la majorité. Extrait de mon nouveau livre à paraître après Pessah. P.I.L.

NB J’étais ce matin l’invité de Daniel Haïk sur Radio Qualita pour commenter le discours de Benjamin Nétanyahou.

 

C’est seulement avec l’arrêt Bank Mizrahi de 1995 que la signification véritable des deux lois fondamentales de 1992 est apparue au grand jour. Dans cet arrêt, la Cour suprême a été appelée à examiner la question de savoir si la Knesset possédait ou non le pouvoir d’élaborer une Constitution et de limiter ainsi sa propre autorité législative (en s’interdisant de légiférer des lois anticonstitutionnelles), et si les lois fondamentales promulguées par la Knesset jouissaient d’un statut supra-législatif. Dans son avis majoritaire (celui du juge Barak), la Cour suprême a jugé que le pouvoir de la Knesset d’adopter une Constitution découlait de son pouvoir constituant.

 

Le juge Barak fonde son jugement sur la considération suivante, qui éclaire d’un jour particulier l’ensemble de la Révolution constitutionnelle qu’il a menée : « Une démocratie de la majorité seule, qui ne s’accompagne pas d’une démocratie de valeurs, n’est qu’une démocratie formelle et statistique. La vraie démocratie limite le pouvoir de la majorité afin de protéger les valeurs de la société ». Cette phrase, qui ne concerne pas directement le sujet de l’arrêt Bank Mizrahi, donne une des clés d’interprétation de la vision du monde du juge Barak en général et de sa conception de la démocratie en particulier, qui est aujourd’hui largement partagée par les opposants à la réforme judiciaire. Pour la résumer, nous pourrions dire qu’elle renferme une conception de la démocratie différente de la conception traditionnelle.

 

Ainsi, quand Barak oppose la « démocratie de la majorité » à la « démocratie des valeurs », il sous-entend que la majorité seule ne suffit pas à définir le régime démocratique, tel qu’il le conçoit. A ses yeux, le principe de la majorité n’est qu’une coquille vide, s’il ne s’accompagne pas de la « vraie démocratie », celle des valeurs. Cette opposition rappelle celle, d’inspiration marxiste, entre « démocratie formelle » et « démocratie réelle ». Aharon Barak n’a pourtant rien d’un marxiste, même si la manière dont il a théorisé et mené à bien la Révolution constitutionnelle, seul et sans demander l’avis de quiconque, peut faire penser aux autres grands théoriciens des révolutions des siècles passés.

 

« Démocratie de la majorité » ou « démocratie des valeurs » ?

 

L’idée que la « vraie démocratie limite le pouvoir de la majorité, afin de protéger les valeurs de la société » semble aujourd’hui aller de soi. Plus encore, pour beaucoup de nos contemporains, l’essence même de la démocratie réside précisément dans ces « valeurs de la société », bien plus que dans les règles de fonctionnement et dans les principes constitutifs du régime démocratique, qui sont considérés comme presqu’insignifiants. N’est-ce pas ce que nous disent aujourd’hui les opposants à la réforme judiciaire en Israël, qui manifestent au nom des droits de l’homme, mais aussi des droits des femmes, des droits LGBT, des droits des migrants, etc. ? Ces droits catégoriels, en particulier, semblent exprimer à leurs yeux la quintessence de la démocratie, bien plus que les élections libres et démocratiques et leur résultat… (Surtout, bien entendu, quand ce résultat est contraire à leurs opinions politiques).

 

Cette nouvelle conception de la démocratie, qui tend à s’imposer récemment en Occident et qui correspond à la notion d’un « Etat des droits » plutôt que d’un Etat de droit, est problématique pour au moins deux raisons. La première, qui a été souvent relevée depuis plusieurs décennies, tient au fait qu’elle évacue la notion essentielle du bien commun, pilier de la démocratie dans son acception classique, au profit des intérêts catégoriels. Bien entendu, on peut légitimement considérer que le bien commun consiste précisément à voir défendus la somme de tous les intérêts catégoriels… Mais l’inconvénient d’une telle définition est évident : que faire lorsque certains intérêts catégoriels entrent en conflit les uns avec les autres? C’est précisément ce qui se produit lorsque la Cour suprême doit trancher, par exemple, entre les droits des habitants des quartiers Sud de Tel-Aviv et ceux des migrants. Je laisse le lecteur deviner quels sont les droits auxquels elle donne la préférence…

 

La deuxième raison est plus essentielle encore. Si l’on admet que la démocratie est aujourd’hui « substantielle » et non plus « formelle », c’est-à-dire définie par la défense des « valeurs de la société », qui est habilité à définir ces valeurs ? Et comment faire lorsqu’elles ne sont pas partagées par tous et qu’apparaissent des conflits de valeurs? Le danger que renferme la conception d’Aharon Barak à cet égard réside précisément dans le fait qu’il considère que le juge est seul habilité à définir, apprécier et interpréter ce que sont ces « valeurs de la société »... C’est en effet la clé du rôle novateur qu’il attribue au juge, dans ses écrits théoriques sur le sujet comme dans ses jugements. A ses yeux, le juge est l’interprète des valeurs sociétales, et c’est à ce titre qu’il s’est arrogé le droit d’annuler des lois de la Knesset.

 

(Extrait de mon livre Gouvernement du peuple ou gouvernement des juges ? à paraître aux éditions L’éléphant, avril 2023).

Démocratie de la majorité ou “démocratie des valeurs?” Pierre Lurçat

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