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rencontres israeliennes

Rencontres israéliennes : Benny Ziffer, un « bibiste » au journal Haaretz

June 23 2023, 15:11pm

Posted by Pierre Lurçat

Rencontres israéliennes :  Benny Ziffer, un « bibiste » au journal Haaretz

(article paru dans Israël Magazine)

 

Ma rencontre avec Benny Ziffer se déroule quelques jours après la formation du nouveau gouvernement israélien. Il me reçoit à la rédaction du Haaretz, rue Schoken, au sud de Tel-Aviv. Je connais surtout Haaretz pour la radicalité de ses articles et éditoriaux. Ziffer y dirige le prestigieux supplément littéraire depuis 1989, après y avoir été critique littéraire depuis 1977. Il est aussi traducteur et a notamment traduit du français Mérimée, Apollinaire, ou encore Vipère au poing d’Hervé Bazin.

 

Il me parle de sa famille, qui était francophone. « Mes parents venaient de Turquie. Ma mère était d’une famille sépharade et mon père était né à Vienne et ses parents avaient fui vers la Turquie en 1934. Le français était leur langue commune. Mon grand-père paternel avait créé le premier club sportif juif. La famille de mon père se trouvait en Turquie pour des raisons professionnelles. Ils travaillaient dans le cadre de ce qu’on appelait alors la dette publique ottomane. Mon arrière-grand-père était surnommé “David Consul”, car il travaillait comme portier du Consulat ».

 

Ziffer me raconte ses débuts de critique littéraire dans la revue Keshet, dirigée par Aharon Amir. Il y fait la connaissance de plusieurs écrivains, dont Yehoshua Kenaz, Benjamin Tamuz et le fameux Yonatan Ratosh, fondateur du mouvement cananéen (que j’ai déjà évoqué dans les colonnes d’Israël Magazine[1]). « Les membres de l’élite intellectuelle à cette époque étaient soit cananéens, soit anti-cananéens ». Les Cananéens revendiquaient une identité entièrement coupée de l’histoire et de la tradition juive. Leur projet était de faire renaître une nation hébraïque en rompant tout lien avec l’histoire juive de l’exil.

 

Mon interlocuteur compare les conceptions politiques des Cananéens au « nationalisme intégral » de Charles Maurras et des écrivains français des années 1930 et 1940. « La revue Keshet parlait de manière très élogieuse de Montherlant, Drieu la Rochelle, etc. Les Cananéens voulaient faire évoluer le sionisme et fonder leur nationalisme sur le modèle français, dans lequel le lien à la terre n’aurait rien à voir avec la religion… Ils voulaient qu’Israël soit fondé sur le droit du sol et pas sur la filiation juive. Ils voulaient couper tous les liens avec le judaïsme. Ben Gourion s’est opposé à eux car c’était quelque chose d’insupportable à ses yeux. Qui est Juif ? Est-ce la loi religieuse qui le détermine, ou bien le fait que quelqu’un vit ici et sert dans l’armée ? Leur influence a été importante dans les années 1950… »

 

Je l’interroge sur un écrivain français qu’il connaît bien, et qui a récemment défrayé la chronique en France : Michel Houellebecq. Ziffer me raconte la visite de ce dernier en Israël en 1998. L’ambassade de France avait organisé une rencontre entre l’écrivain et la communauté francophone d’Israël. Mais Houellebecq avait quitté la salle au bout d’un quart d’heure. Ziffer lui avait alors proposé de lui faire visiter Jérusalem, et l’avait notamment accompagné sur le Mont du Temple.

 

« Houellebecq était impressionné par Israël. Il s’attendait à voir un pays désertique et sous-développé. En arrivant à Jérusalem, je lui ai proposé d’aller sur le Mont du Temple. j’avais oublié que l’entrée dans la mosquée était interdite aux non-musulmans. Quand les gardiens du Waqf ont empêché Houellebecq de pénétrer dans la mosquée, il s’est emporté, leur criant que n’importe qui pouvait visiter Notre-Dame… J’avais peur qu’il lui arrive quelque chose. Dans chacun de ses livres depuis lors, il parle d’Israël. Dans Sérotonine aussi, le héros loue un appartement près d’un supermarché qui vend du houmous israélien… »

 

Nous abordons la politique. Je lui demande s’il est content du nouveau gouvernement. « J’espère que le Premier ministre sera assez dominant pour faire régner l’ordre dans son gouvernement. A présent il est devenu centriste, non pas parce qu’il aurait évolué dans ses opinions, mais parce que la gauche a soudain quasiment disparu et que toute la carte politique a bougé. Je pense que tout comment Ben Gourion en son temps, il va transformer les partenaires les plus extrémistes de sa coalition en hommes politiques responsables. Ben Gourion avait fait la même chose avec Itshak Shamir, ex-dirigeant du Lehi qui avait pris part à l’assassinat de Bernadotte. Il l’avait intégré dans les rangs du Mossad ».

 

Je l’interroge sur la famille Nétanyahou, avec lequel il entretient des relations amicales.

Comment expliquer la haine abyssale envers Nétanyahou ? « Tout simplement : la jalousie. “Bibi” a le profil d’un homme de gauche… Son père était le rédacteur en chef de l’Encyclopédie hébraïque, avec Y. Leibowitz. Il fait partie des anciennes élites. S’il avait fait une carrière universitaire, personne n’aurait trouvé à y redire ! Son père était un outsider. La haine contre Bibi est aussi la prolongation de la haine contre Begin et contre la droite, qui est très ancienne ».

 

P.L. Et Sarah Nétanyanou ? « Je crois que la haine à son égard est liée à la misogynie qui fait partie de l’éthos israélien. Elle est à cet égard une victime idéale… Mais je pense que quelque chose est arrivé lors des dernières élections. La gauche a été quasiment effacée. Ils ont dépensé toute leur énergie sur des histoires de haine personnelle. Nétanyahou possède une grande qualité, c’est la patience. Comme a dit Buffon, “Le génie est une longue patience”… »

 

P.L. Parlons du journal Haaretz. Vous savez que les articles de Haaretz sont traduits sur des sites propalestiniens ?

B.Z. Lors du Salon du Livre à Paris, j’étais tombé sur un livre d’Amira Hass (N.d.R. journaliste de Haaretz très radicale) en français.  Je ne l’accuse pas. Elle fait son travail de journaliste. Mais cela pose évidemment un problème. Cela a toujours existé dans le peuple Juif. Le roi David avait déjà écrit “Ne le dîtes pas à Gath…” Mais j’aime beaucoup Gideon Levi. Il a écrit du bien de “Bibi” et il critique souvent la gauche et son hypocrisie, la “gauche caviar”. La question qui importe est de savoir si un journaliste est honnête ».

 

Ziffer compare A.B. Yehoshua et Amos Oz. « Le premier a toujours été sioniste et faisait attention à ses prises de position. Chez Amos Oz ce n’est pas le cas, car il a toujours été très narcissique. Mais Amos Oz a quand même apporté beaucoup de gloire à l’Etat d’Israël.

P.L. En tant qu’écrivain oui, mais en tant que porte-parole de Chalom Archav ?

B.Z. Il n’a pas atteint le statut de grand écrivain en raison de ses prises de position. Je l’ai écrit après son décès, ce qui m’a valu beaucoup d’insultes. Je posais la question, quelle est la différence entre Amos Oz et Tolstoï ? Tolstoï était l’écrivain de tous les Russes. Il regardait tout le monde avec amour. Il ne disait à personne “vous êtes des colons, des fascistes”… Oz a pris parti. C’était une erreur.

P.L Vous n’y voyez pas un phénomène particulier au peuple Juif ? Nous avons un sens de l’autocritique très développé. En tant qu’écrivain juif, il y a une manière très simple de parvenir à la célébrité dans le monde, c’est d’écrire des choses négatives sur le peuple Juif.

B.Z. C’est vrai. C’est une chose tout à fait spécifique aux Juifs. Comme Bashevis Singer : quand il a reçu le Prix Nobel, toute la communauté juive a dit : “Comment a-t-on pu récompenser un écrivain qui écrit des choses tellement vulgaires, qui décrit des prostituées juives…”

P.L. Chez lui cela venait de son amour pour les Juifs !

P.L C’est ce qui fait toute la différence : la critique qui est motivée par l’amour.

B.Z. Oui, il y a une critique motivée par l’amour, comme chez Chalom Aleichem, qui se moque des Juifs avec amour. Mais cela n’atteint pas le niveau d’Amira Hass.

P.L. Le problème commence lorsqu’on écrit quelque chose en pensant “cela va plaire aux non-Juifs…”

B.Z. Alors cela devient quelque chose d’amoral. Mais tant que l’on est convaincu de faire le bien cela n’est pas répréhensible. Je ne pense pas non plus que l’effet soit tellement important. Les antisémites continueront de détester les Juifs de toute façon. Comme a dit Ben Gourion, peu importe ce que diront les Goyim, ce qui importe c’est ce que feront les Juifs ».

 

Au terme de deux heures d’entretien, Benny Ziffer a encore beaucoup à me raconter. Il me raccompagne à la sortie de l’immeuble de Haaretz, et je me dis en le quittant que ce journal recèle bien des surprises.

________________________________________________

 

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[1] Voir notre article “Aux origines de la Marine israélienne, L’école navale du Betar à Civitavecchia”.

Rencontres israéliennes :  Benny Ziffer, un « bibiste » au journal Haaretz
Rencontres israéliennes :  Benny Ziffer, un « bibiste » au journal Haaretz

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Rencontres israéliennes : Ido Rechnitz, Pour un État démocratique fondé sur la Torah

May 21 2023, 09:12am

Posted by Pierre Lurçat

Le rav Ido Rechnitz

Le rav Ido Rechnitz

(Article paru dans Israël Magazine)

NB J'invité mes lecteurs à écouter la conférence donnée par G.E. Sarfati sur le thème "Israël et le fantasme de la théocratie", disponible ici

Ma rencontre avec le rabbin Ido Rechnitz se déroule quelques semaines après les élections, alors que le nouveau gouvernement n’est toujours pas constitué et que les médias israéliens sont remplis d’éditoriaux dramatiques annonçant la prochaine constitution d’un gouvernement « d’extrême-droite », qui va transformer Israël en État théocratique digne de l’Iran des ayatollahs… Je viens justement de lire le dernier livre publié par Ido Rechnitz, au titre mystérieux de L’État de la Torah démocratique, paru récemment aux éditions du centre « Mishpaté Eretz » à Jérusalem. Pour comprendre de manière plus approfondie le débat qui agite la société israélienne sur le sujet crucial des rapports entre État et religion, j’ai décidé de rencontrer son auteur.

 

Ido Rechnitz me reçoit dans les bureaux du centre Mishpaté Eretz, à Katamon, où il travaille en tant que chercheur. Après une maîtrise en sciences politiques à l’université Bar Ilan, il a achevé un doctorat en pensée juive à l’université d’Ariel. Son dernier livre, tiré de son doctorat, aborde la question de « l’État toranique démocratique » à travers trois figures essentielles : le grand-rabbin Itshak Herzog, le rabbin Eliezer Waldenberg et le rabbin Shlomo Goren. Le choix de ces trois rabbins s’explique par le fait qu’ils ont tous les trois élaboré une doctrine politique fondée sur la Torah et qu’ils abordent notamment la question de la théocratie juive.

 

Je lui demande d’emblée si l’État de la Torah envisagé par ces trois rabbins constitue une théocratie. « C’est un type de théocratie » me répond-il sans hésiter. Le mot théocratie fait évidemment peur aujourd’hui, mais la notion de « théocratie juive » n’a en fait peu de chose en commun avec les régimes théocratiques qui existent aujourd’hui à travers le monde, surtout dans le monde musulman. Ainsi, précise Ido Rechnitz, l’Iran est une théocratie « démocratique » en apparence, où se déroulent des élections, mais qui est en fait un régime totalitaire, comme cela est aujourd’hui évident. L’Arabie saoudite, de son côté, est une théocratie de type monarchique. Mais que signifie une théocratie juive ?

 

Qu’est-ce qu’une théocratie juive ?

 

Pour le comprendre, il faut tenter d’oublier tout ce qui nous vient à l’esprit en entendant le mot théocratie, tellement connoté négativement depuis des siècles, pour revenir aux sources. Le premier contresens à cet égard consiste à croire – comme le laissent penser les hommes politiques qui agitent aujourd’hui le spectre de l’Iran – qu’une théocratie juive serait nécessairement l’équivalent du régime de Téhéran. Le second contresens, tout aussi erroné, consiste à confondre théocratie juive et État dirigé par la halakha (loi juive).

 

Le premier à avoir utilisé l’expression d’« État halakhique » (Medinat Halakha), aujourd’hui devenue polémique, était en fait David Ben Gourion, lors du fameux débat autour de la question « Qui est juif ? » dans les années 1950. Dans l’esprit du grand public en Israël et ailleurs, l’État halakhique est entièrement régi par la loi religieuse, c’est donc un État où il ne reste guère de place pour la liberté de conscience et pour la liberté en général… C’est précisément cet épouvantail de l’État théocratique dirigé par des rabbins qu’on agite aujourd’hui dans le débat politique israélien.

 

Or, dans une théocratie juive, explique le rabbin Rechnitz, les lois de la Torah sont les lois de l’État, mais les rabbins ne sont pas les dirigeants. Les lois de la Torah autorisent en effet une législation humaine, c’est-à-dire une législation par la Knesset telle qu’elle existe aujourd’hui. L’instauration d’un État de la Torah ne modifierait donc pas fondamentalement le régime politique, mais uniquement le système juridique et législatif. D’autre part, la promulgation de lois inspirées par la Torah ne concernerait qu’une partie des lois en vigueur actuellement, car de nombreux domaines échappent à la halakha. Pour illustrer cette réalité méconnue, Ido Rechnitz explique que la plupart des décisions quotidiennes échappent à la loi juive.

 

Dans le domaine juridique, l’ensemble du droit pénal et de la politique publique sont ainsi en dehors du champ d’application de la loi juive, mais relèvent seulement de l’esprit de la Torah. Dès le treizième siècle, le Rashba (Rabbi Shmuel ben Avraham) avait ainsi expliqué que le système de justice pénal de la Torah (reposant sur deux témoins en matière de preuve) n’était pas effectif, et qu’il fallait donc se fier à la justice civile, c’est-à-dire non juive. Concrètement, cela veut dire que l’État de droit de la Torah conserverait les lois actuelles en matière de procédure et de droit pénal.

 

Contre la coercition religieuse

 

A ma question de savoir quels domaines du droit seraient les plus affectés par une telle révolution, Ido Rechnitz me répond qu’il s’agit de domaines techniques et très peu polémiques, comme le droit des contrats ou de la responsabilité civile, c’est-à-dire le droit civil. D’autre part, l’instauration d’un État fondé sur la Torah sur le plan du droit n’a rien à voir avec la question du respect des commandements religieux (mitsvot), qui continuerait de relever de la liberté de chacun. L’État de Torah démocratique ne serait en fait, contrairement à l’idée reçue à cet égard, pas concerné par le respect du shabbat dans l’espace public !

 

Pour comprendre ce paradoxe, mon interlocuteur me renvoie à une responsa du Hazon Ish, célèbre rabbin et décisionnaire du siècle passé, qui explique que la coercition religieuse a pour objectif d’amener les Juifs à respecter les mitsvot. Toutefois, dans le monde actuel, elle est interdite, car elle entraînerait des réactions négatives, de rejet de la Torah. C’est pourquoi il s’oppose à toute initiative de coercition religieuse. A cet égard, souligne Ido Rechnitz, c’est le camp « progressiste » qui est le moins démocratique, car il tente d’imposer au public ses conceptions (à travers la Cour suprême ou les médias qui partagent ses conceptions). Le seul domaine où il existerait (et où il existe déjà) une « coercition religieuse » est celui du statut familial, à savoir le droit du divorce et de la filiation qui repose sur la halakha depuis 1948, en vertu du statu quo établi à l’époque par David Ben Gourion.

 

Vers la Deuxième République d’Israël ?

 

Comment peut-on instaurer un État de Torah démocratique ? A cette question essentielle, le rav Rechnitz répond sans hésiter : « Il faut convaincre le peuple d’Israël qu’il souhaite ce changement ». Cela ne peut pas se faire par des moyens détournés ou en abusant de l’opinion publique… Il se dit favorable à un vote de la Knesset à une majorité qualifiée, de 70 ou 80 députés sur 120 et compare cela aux changements de régime intervenus en France entre la Première et la Troisième République. « C’est un changement de régime, qui conduira à la Deuxième République d’Israël ». C’est précisément pour cette raison que le rabbin Rechnitz préfère employer l’expression « État de la Torah » que celle de théocratie, aux connotations très négatives. Le plus important à ses yeux est d’œuvrer en vue de persuader du bien fondé d’un État de Torah, par des moyens démocratiques.

 

En conclusion, je lui demande à quoi ressemblera l’État de Torah, et en quoi il diffèrera de l’État d’Israël actuel. « Commençons par ce qui ne changera pas. Le régime parlementaire, la Knesset qui continuera de légiférer et d’édicter des lois, à condition de ne pas contredire la Torah… Nous passerons en revue la législation israélienne, dont une grande partie restera inchangée. Le changement le plus important sera de remplacer la Cour suprême par un Beth Din Gadol (tribunal toranique suprême), ce qui suppose de former des juges compétents ». Au terme de notre entretien, je quitte mon interlocuteur avec le sentiment que l’État de Torah démocratique est un idéal tout à fait accessible, même s’il reste beaucoup à faire pour convaincre le public israélien qu’il est souhaitable et réalisable. Mais comme le disait Herzl, « Si vous le voulez, ce ne sera pas un rêve… »

(c) Pierre Lurçat et Israël Magazine  -Reproduction soumise à autorisation expresse par écrit

Rencontres israéliennes : Ido Rechnitz, Pour un État démocratique fondé sur la Torah

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Rencontres israéliennes : Robin Twite, un Anglais à Jérusalem

December 18 2022, 13:52pm

Posted by Pierre Lurçat

Robin Twitte (photo P Lurçat)

Robin Twitte (photo P Lurçat)

Robin Twite est un Anglais aussi « british » qu’on peut l’imaginer en regardant la série The Crown, qui parle avec l’accent d’Oxford et a des manières d’authentique gentleman, mais qui a pour particularité d’habiter à Jérusalem. C’est là que j’ai fait sa connaissance il y a quelques années et qu’il me reçoit, dans son appartement de la Colonie allemande. Les étagères de son salon sont remplies d’objets venant des différents pays qu’il a visités pendant sa carrière de diplomate – Sri Lanka, Inde, Ethiopie, etc. Pourtant rien ne le prédestinait à faire une carrière diplomatique, ni à venir s’installer en Israël. Le parcours de Robin Twite, qui porte bien ses 91 ans, droit comme un « I », est plein d’aventures et de « hachga’ha pratit » (Providence).

 

« Je suis né à Rugby, petite ville de 40 000 habitants. J’étais un bon élève, aussi j’ai reçu une bourse pour aller à l’université. J’étais le premier membre de ma famille à aller à l’université. Mon père était technicien et pendant la guerre, il travaillait dans une usine de radars. Nous habitions près de Coventry, la première ville anglaise qui a été bombardée par la Luftwaffe. Mon père avait construit un abri dans le jardin… J’allais à l’école avec un masque à gaz, et lorsque j’ai vécu la Première Guerre du Golfe en Israël, j’étais le seul à savoir immédiatement comment mettre un masque à gaz… »

 

Robin me parle de ses études à Oxford, où la plupart des élèves venaient de milieux bien plus fortunés que le sien. Sa première petite-amie avait un arbre généalogique remontant quatre cents ans en arrière, jusqu’au roi d’Écosse… et elle avait été présentée à la Reine (comme dans « Downton Abbey »). Il a étudié l’histoire moderne, en espérant être admis au Foreign Office, mais ses opinions de gauche l’ont fait écarter. Il a ensuite travaillé dans l’édition, avant d’être admis au British Council, grâce à une rencontre providentielle dans un train… Lors de son entretien d’embauche, on lui a demandé s’il préférait aller en Italie, en Irak ou en Israël. Robin a choisi Israël, sans hésiter, et sans savoir que c’était le début d’une longue histoire d’amour.

 

Rien ne le prédestinait pourtant à venir travailler en Israël. « Je n’avais rencontré aucun Juif avant mon service militaire, durant lequel je fis la connaissance de plusieurs Juifs habitant le quartier populaire d’East End. À Oxford, j’avais aussi rencontré le champion d’échecs israélien Rafi Persitz ». Le choix d’Israël n’avait rien d’évident pour un jeune diplomate anglais. « Les meilleurs étaient envoyés en Inde, au Soudan ou au Kenya. Israël était considéré comme un pays de second choix… »

 

Robin évoque maintenant Israël de la fin des années cinquante, tel qu’il l’a connu lors de son premier séjour, entre 1958 et 1962. « C’était un pays pauvre… Il venait d’intégrer quelque 600 000 nouveaux émigrants, doublant sa population. La période de “Tsena” (pénurie) venait juste de s’achever et on ne trouvait pas grand-chose dans les magasins. Heureusement, il y avait le magasin de l’ambassade, où on trouvait du vin, du dentifrice et… du jambon. La Histadrout était comme un État dans l’État. La plupart des ministres venaient du kibboutz ».

 

Il me raconte ses rencontres avec plusieurs personnalités de premier plan, dont l’ancien Premier ministre David Ben Gourion. « À cette époque, on ne trouvait pas de livres étrangers en Israël. Le British Council avait organisé une exposition avec 8000 livres en anglais à Bet Sokolov, à Tel Aviv. Elle avait été inaugurée par le ministre des Affaires étrangères. Le lendemain, je suis tombé nez-à-nez avec Ben Gourion, qui voulait voir les livres d’archéologie. Il les a regardés attentivement, a feuilleté un livre sur le Sinaï et s’est exclamé ‘’C’est faux !’’. Quelques années plus tard, alors qu’il venait d’être limogé, je l’ai croisé sur la route de Sdé Boker. C’était un jour de pluie, il marchait le long de la route, solitaire. Il venait de perdre sa femme Paula ». Plus tard, Robin s’est lié d’amitié avec Ygal Allon, et avec l’archéologue Ygal Yadin. « Un homme remarquable, plein d’énergie. Je l’ai accompagné à Massada. Il n’aurait jamais dû accepter d’entrer en politique ».

 

Je l’interroge sur les différences entre Israël d’alors et celui d’aujourd’hui. « La Shoah était encore omniprésente… Dans l’autobus, on voyait les numéros sur l’avant-bras des rescapés… Un jour, j’étais allé à Bershéva pour rencontrer le directeur de l’éducation local. Il m’avait reçu dans sa maison à Omer et m’avait fait visiter son “jardin”, qui comportait quelques buissons et deux ou trois plants de rosiers. Je l’ai félicité par politesse, et il m’a raconté que lorsqu’il était à Auschwitz, il s’était promis que s’il s’en sortait, il aurait un jour un jardin avec des fleurs… » En me racontant cette anecdote vieille de plus de 50 ans, Robin a les larmes aux yeux...

Pierre Lurçat

SUITE DANS LE DERNIER NUMERO D'ISRAEL MAGAZINE

Avec la Reine Elisabeth II (photo Collection privée)

Avec la Reine Elisabeth II (photo Collection privée)

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Rencontre avec Marek Yanai à Jérusalem : Un des grands artistes israéliens contemporains

October 14 2022, 13:08pm

Posted by Pierre Lurçat

Rencontre avec Marek Yanai à Jérusalem :  Un des grands artistes israéliens contemporains

(Article paru dans Israël Magazine)

 

La salle est comble ce vendredi matin, à quelques heures du shabbat, pour écouter le peintre Marek Yanai, à Jérusalem, ville qui est un des thèmes principaux de son œuvre. Je l'ai découvert, comme dans doute beaucoup des gens qui sont assis dans la salle de conférence de Beit Avi Chai, à l'occasion de la très belle exposition rétrospective qui lui est actuellement consacrée.

 

Marek Yanai est un homme petit et râblé, au visage énergique, qui ressemble à l'autoportrait de lui exposé ici-même. Iris Barak, qui mène le dialogue avec lui, est la jeune directrice de la collection Dubi Shiff. “Je connais Marek depuis 10 ans. Notre collection vise à encourager la peinture figurative en Israël”. D’emblée, elle lui demande pourquoi il est devenu peintre. Question délicate, à laquelle il répond avec humour : “Un haltérophile n'aurais pas pu faire du saut en hauteur. J'essaie de travailler dans le domaine où je suis doué. J'ai choisi le département art graphique à Betsalel avant de m’orienter vers le département d'art libre (omanout hofshit) ».

 

Iris Barak insiste sur le fait que l'art figuratif n'était pas encouragé à l’époque : « L'art figuratif était considéré comme dépassé… les artistes qui choisissaient l’art figuratif choisissaient un domaine considéré comme "irrelevant"... En Israël, hélas, les budgets des musées sont inexistants. La plupart des artistes ne vivent pas de leur art ». Elle explique son travail auprès de Dubi Shiff, qui collectionne des œuvres d'artistes israéliens depuis trois décennies, et raconte avoir été impressionnée par la personnalité de Marek et par son œuvre. Elle emploie pour qualifier son travail le terme de « subversion ».

 

Marek Yanai : « Je fais ce que j'aime. Je récuse le terme de 'subversion'. Je récuse aussi le terme d'art et d'artiste. Aujourd'hui chaque coiffeur se présente comme artiste… Quelqu’un a dit que si Rembrandt vivait aujourd'hui, il serait réalisateur de films. A propos de Dubi [Shiff], je peignais mes tableaux et soudain vient quelqu'un qui se présente comme collectionneur… J'ai pensé "encore un…" il a regardé mes tableaux et m'a parlé dans ma langue. Je suis en colère car il m'a "pris" mes plus belles peintures… (rires). Il a même pris un de mes plus beaux tableaux pour son appartement de Miami… »

Dans la réponse de Yanai et dans sa façon très modeste de se définir comme un artisan, comme un peintre et non comme un artiste, je retrouve une qualité de certains grands artistes, qui refusent précisément d’entrer dans le jeu très particulier de l’art comme profession et comme activité économique, de ses définitions, de ses modes et de ses mensonges.

 

Iris Barak poursuit l’entretien en expliquant que « les plus grands musées israéliens exposent aujourd'hui des œuvres figuratives... C’est devenu bon ton et c'est la tendance actuelle. Mais ce n'a pas toujours été ainsi ». Lorsqu’elle lui demande quelles ont été ses influences, Marek Yanai répond : « Je vois un visage et je supplie la personne de devenir mon modèle… Rien n'est planifié. Tout est “à l'aide de Dieu’’ ».

 

Iris Barak affirme que Marek maîtrise tant l'aquarelle que la peinture à l'huile, mais là encore, il la reprend : « On ne maîtrise pas… on peut seulement développer une technique… C'est toujours à l'aide de D. et c’est un athée qui vous parle ! Aucun portrait à l’aquarelle ne m'a pris plus de trois heures. La peinture à l'huile nécessite des mois et des années de travail ». Effectivement, on peut le voir dans un film en train de peindre un portrait à l’aquarelle, qui lui sort littéralement des mains.

 

Une dame de l'assistance se lance dans une longue et intéressante description de la particularité de son art, et quand elle finit de parler, Marek lui répond qu'il ne « savait pas être comme ça… » En écoutant parler Marek Yanai, je comprends la différence entre l'artiste qui pratique son art en écoutant sa voix intérieure et celui qui prétend faire passer un message et qui joue le jeu de l'artiste, tel qu'on l'attend de lui… Iris Barak affirme que « Marek représente une école à lui tout seul ». Elle mentionne les noms de Hirshberg et d’Elie Shamir. « Il y a en Israël des artistes de premier rang. Cette année, pour la première fois, le musée d'Israël a accepté de recevoir de l'argent pour un prix décerné à une œuvre figurative… »

 

Marek Yanai explique avoir « peint la Jérusalem d'en haut et d'en bas ». Quelqu’un l’interroge sur son tableau représentant un petit déjeuner… « C'est une longue histoire que j'ai raconté sur le blog “Jerusalem vitrine” et dans le catalogue de l’exposition… Cela a commencé avec les personnes et pas par les objets ». De fait, une grande partie de son œuvre est constituée de portraits, et on comprend en les regardant que Marek Yanai est encore plus intéressé par les hommes et les femmes qu’il peint que par les paysages (qui sont, faut-il le préciser, superbes).

 

Dans le beau film qui lui est consacré à Bet Avi Hai, on le voit raconter comment il est devenu peintre, comment il a été deux fois « chassé » de l’école Betsalel (la prestigieuse école d’art israélienne, hélas menacée par les tendances destructrices de l’art contemporain et par l’antisionisme délirant de ses dirigeants). On le voit aussi parler de Vélasquez et évoquer, avec un éclat dans les yeux, sa passion des portraits. Mais trêve de paroles… Car rien ne remplace la rencontre avec l’œuvre de Marek Yanai. L’exposition à Bet Avi Hai à Jérusalem est ouverte jusqu’au 31 juillet. N’attendez pas le dernier jour pour vous y rendre, et découvrir un des grands artistes israéliens contemporains.

Pierre Lurçat

Rencontre avec Marek Yanai à Jérusalem :  Un des grands artistes israéliens contemporains

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Rencontres israéliennes : Michel Koginsky, le peintre de Méa Sharim

July 5 2020, 07:41am

Posted by Pierre Lurçat

 

Chaque homme a plusieurs facettes, comme une pierre précieuse dont tout l’éclat se révèle en la faisant miroiter à la lumière. De Michel Koginsky, rencontré à la synagogue de la rue Hildesheimer et devenu un ami, je connaissais celles du médecin, de l’élève de Manitou - auquel il a consacré un beau livre, paru il y a une vingtaine d’années sous le titre Un hébreu d’origine juive - et du père de famille. Ce n’est que tout récemment que j’ai découvert ses talents de peintre. Lors d’une visite chez lui, il m’avait montré un de ses tableaux et m’avait promis de me montrer son atelier, à une autre occasion. Entretemps est arrivé le Corona qui a chamboulé les projets de tous. “L’homme propose, et Dieu dispose”, dit le proverbe.


 

Michel Koginsky dans son atelier, photo P. Lurçat


 

Profitant d’une visite pas loin de Méa Shéarim, je me suis rendu au cabinet de Michel Koginsky pour donner enfin suite à ce projet. Le talent d’un artiste ne se mesure ni à sa notoriété, ni à la taille de son atelier. Celui de Koginsky n’est pas plus grand que la pièce de son cabinet médical où il reçoit les enfants de Méa Shéarim. (Ces jours-ci, il ne les y reçoit plus guère, me confie-t-il à mon arrivée, car il préfère interroger leurs parents à travers les barreaux de la porte d’entrée, Corona oblige). Mais le talent, lui, est indéniable. Les portraits qu’il peint attirent l’oeil, le retiennent et le captivent. Il y a quelque chose d’indicible et de puissant dans la manière dont il peint, avec la même force qui le caractérise - la vigueur de sa poigne de main et la ténacité qui lui a permis de gravir l’Everest - périple qui lui a inspiré plusieurs tableaux non figuratifs. 


 


 

La force tranquille de Koginsky s’exprime dans sa manière de peindre, à grands traits fermes et décidés. Les couleurs sont vives et riches. Il n’a pas peur de la matière colorée qu’il dépose sur la toile sans parcimonie, avec la même générosité qu’on retrouve dans son sourire et son hospitalité. Je retrouve dans plusieurs de ses toiles les qualités de l’homme que je connais et apprécie. D’autres tableaux sont plus mystérieux, comme certaines toiles abstraites ou des portraits presque défigurés, exprimant parfois une expression de douleur ou d’incompréhension. Certains de ses portraits font penser à un vieux Juif croisé dans une rue de Jérusalem. Un petit bonhomme en bleu coiffé d’un chapeau ressemble à Isaac Bashevis Singer, tandis qu’un beau jeune homme m’évoque le visage d’un héros du Lehi ou de l’Irgoun.

 

Un petit bonhomme en bleu qui ressemble à Bashevis Singer

 

Comment est-il devenu peintre? “D’un seul coup, un beau jour” me répond-il sans hésiter. L’inspiration est arrivée toute seule, mais la technique, elle a été acquise par l’étude et la pratique. C’est ainsi que Koginsky occupe ses heures perdues, au coeur de Méa Shéarim, entre deux bambins à soigner, déposant sur une toile la couleur de son acrylique et de sa peinture à l’huile. Je lui demande si ses patients - pour la plupart des Juifs orthodoxes - savent qu’il peint ici même, et il me dit avoir préféré ne pas l’ébruiter. Un peintre à Méa Shéarim, ce n’est pas très habituel, et on ne sait pas comment réagiraient les habitants du quartier. En écoutant Michel Koginsky, je pense à Asher Lev, le beau personnage de Chaïm Potok inspiré par un autre peintre, Marc Chagall, et à ses crucifixions qui firent scandale. Chez Koginsky, point de tableaux scandaleux,mais simplement l’expression d’un talent et sa vision d’un monde extérieur et du monde intérieur qui l’habite et qu’il a su exprimer sur ses toiles. 

Pierre Lurçat

Le site de Michel Koginsky : 

https://www.michelkoginsky.com/

 

 

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