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gauche israelienne et juive

La “cancel-culture” est-elle une invention juive ? La gauche israélienne et la politique du ressentiment (I)

April 25 2024, 08:15am

Posted by Pierre Lurçat

Manifestation anti-Nétanyahou

Manifestation anti-Nétanyahou

 

Après l’attaque sans précédent de l’Iran contre le territoire israélien et alors que le front Nord se réchauffe, comment comprendre que la “gauche” israélienne (qui n’a évidemment peu à voir aujourd’hui avec les idéaux de la gauche authentique, ses chefs appartenant tous – d’Ehoud Barak à Yaïr Lapid – à ce qu’on appelait jadis en France la “gauche caviar”) ne trouve rien de mieux à faire que de mettre les rues du pays à feu et à sang pour réclamer, comme elle ne cesse de le faire depuis plusieurs années, le départ de “Bibi”? Comment expliquer que cette même gauche, aux moments les plus dramatiques de notre histoire – et jusque dans le ghetto de Varsovie – ait préféré ses intérêts partisans à l’intérêt supérieur de la nation juive ?

 

En réalité, comme l’avait déjà observé Shmuel Trigano il y a plus de vingt ans, l’identité profonde de la gauche israélienne et juive est une identité du ressentiment. En effet, expliquait-il, “Le camp de la paix a toujours un “mauvais Israël” contre lequel s’affirmer, une exclusion d’autrui à travers laquelle il s’identifie lui-même. Son identité est fondamentalement une identité du ressentiment”[1]. Ce ressentiment, nous l’avons vu à l’œuvre depuis plus d’un siècle dans l’histoire d’Israël. Quand les portes de l’émigration ont été fermées par l’Angleterre devant les Juifs fuyant le nazisme dans les années 1930, le Yishouv dirigé par la gauche sioniste a interdit aux membres du Betar de recevoir les précieux “certificats”, les condamnant ainsi à une mort certaine.

 

Avant cela, elle leur avait fermé le marché du travail, la Histadrout exigeant de chaque travailleur juif qu’il détienne le “carnet rouge” (pinkas adom) attestant de son appartenance au “camp des travailleurs”... A la même époque, David Ben Gourion maniait l’insulte envers son principal rival, Zeev Jabotinsky, qu’il qualifiait de “Vladimir Hitler”. Plus tard, Ben Gourion ne désignait jamais Menahem Begin par son nom, s’adressant à lui à la Knesset uniquement comme “le voisin du député Bader”... Ce dernier exemple est particulièrement significatif. Il montre en effet que la “cancel culture” actuelle n’a rien inventé.

 

Depuis l’assassinat d’Arlosoroff (le 16 juin 1933) et jusqu’à nos jours, la gauche sioniste s’est servie de la violence et des accusations de violence à des fins politiques – pour asseoir et maintenir son hégémonie (l’affaire Arlosoroff est survenue alors que le mouvement sioniste révisionniste était à son apogée) – et elle a constamment accusé ses adversaires, en recourant à la “reductio ad hitlerum[2], c'est-à-dire en accusant ses adversaires politiques d'être des “nazis”

 

La reductio a hitlerum, dont sont aujourd’hui victimes Israël et ses défenseurs sur la scène publique internationale, est ainsi dans une large mesure une invention de cette gauche juive – sioniste et non sioniste – qui n’a reculé devant aucun procédé, recourant au mensonge et à la calomnie pour “annuler” ses adversaires. Ils ont “annulé” Jabotinsky et Begin, réécrit l'histoire du mouvement sioniste pour effacer la part de ceux qui ne pensaient pas comme eux – sionistes révisionnistes, sionistes religieux, mizrahim ou ‘haredim – et aujourd'hui ils voudraient annuler Netanyahou et la volonté de la majorité des Israéliens…

 

Ironie de l’histoire, ceux-là même qui ont trouvé des boucs émissaires dans leur propre camp, en accusant de tous les maux leurs adversaires politiques, se trouvent aujourd’hui trahis par leurs anciens “camarades” progressistes, devenus les ennemis jurés d’Israël, et qui sont en train de rendre judenrein les grandes universités, aux Etats-Unis et ailleurs… (à suivre)

P. Lurçat

 

NB. Mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain vient d’être réédité aux éditions B.O.D. et peut désormais être commandé dans toutes les librairies.

 

 

 

 

 

[1] S. Trigano, L’ébranlement d’Israël, Seuil 2002.

[2] Bien avant que l’expression ne soit forgée par Leo Strauss au début des années 1950.

 

 

[1] S. Trigano, L’ébranlement d’Israël, Seuil 2002.

"Le voisin du député Bader" : Menahem Begin

"Le voisin du député Bader" : Menahem Begin

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Une étincelle d’hébreu : “Hitpak’hout”, retrouver la vue et renoncer à ses illusions

March 13 2024, 09:32am

Posted by Pierre Lurçat

Une étincelle d’hébreu :  “Hitpak’hout”, retrouver la vue et renoncer à ses illusions

Parmi les mots d’hébreu qui ont connu un regain d’actualité depuis le 7 octobre, celui d’Hitpakhout mérite qu’on s’y arrête un instant. Marc Cohn, dans le dictionnaire Larousse, le définit simplement par son sens originel, “recouvrement de la vue” ou de l’ouïe, et par le sens figuré : “fait de devenir plus sage”. C’est ce dernier sens qui lui a donné sa signification très actuelle, celle de renoncer à des illusions et à des espoirs infondés. Les illusions, en l’occurrence, sont les illusions mortelles de l’avant 7 octobre, qui ont conduit aux événements tragiques qu’Israël a connus.

 

Pour illustrer ce dernier sens, nous prendrons un des exemples les plus marquants, celui du secrétaire du mouvement kibboutzique, Nir Meir. Interviewé dans Ha’aretz le 16 février dernier, il a donné à Meirav Moran des réponses étonnantes de sincérité. “Est-ce que vous vous définissez encore comme un homme de gauche ?” lui a-t-elle demandé? “Non, je me définis comme un homme qui sait dans quel environnement il vit”. Et d’ajouter : “Les habitants des implantations ne se trompent pas. La droite a raison : la méthode (des Arabes) est de conquérir des territoires. Et elle a raison d’affirmer que seule l’implantation permet d’asseoir notre souveraineté…

 

Lorsque la journaliste lui demande ce qu’il pense de l’Autorité palestinienne, il répond sans hésiter : “Il n’y aura pas de paix avec les Palestiniens. Je ne me raconte pas d’histoires”. Et quand elle l’interroge pour savoir si ses opinions reflètent celles du mouvement kibboutzique, il rétorque que “les avis concernant le conflit ont été modifiés de fond en comble depuis le 7 octobre. La plupart des habitants des kibboutz qui ont vécu le 7 octobre ne peuvent plus entendre un mot d’arabe, et souhaitent que Gaza soit rasée…” Autre exemple de hitpak’hout, tout aussi marquant: celle du YIVO, la vénérable institut d’études juives créé à Vilna et basé à New-York, qui a récemment annoncé une série de conférences sur les liens entre le Hamas et le nazisme.

           

En lisant les propos de Nir Meir, on comprend la signification très actuelle du mot Hitpak’hout. Il s’agit bien de retrouver la vue, dans son acception la plus large. Pendant des décennies, la gauche israélienne a en effet refusé de voir l’évidence : nos ennemis ne nous ont toujours pas accepté. Les habitants des kibboutz frontaliers de la bande de Gaza ont ainsi cru se faire “amis” des Gazaouis en leur donnant du travail ou en les emmenant dans les hôpitaux israéliens subir des traitements médicaux… On connaît la suite.

 

            Il faut saluer la clairvoyance, tardive mais bienvenue, de Nir Meir et des autres représentants de cette gauche qui s’est si longtemps trompée. Tout comme les anciens communistes devenus les plus lucides critiques de l’URSS, ces kibboutnikim doivent aujourd’hui jouer le rôle de lanceurs d’alerte et d’éveilleurs des consciences en Israël et à l’étranger. Leur hitpak’hout doit inspirer tous ceux qui, en Israël comme ailleurs, continuent de penser selon les schémas dépassés de l’avant 7 octobre. Après le 7.10.23, le mot d’ordre doit être : “Titpak’hou!” Recouvrez la vue !

 

P. Lurçat

           

NB A l’occasion du début du Ramadan, j’analyse au micro de Daniel Haïk la question occultée de la violence de l’islam.

La légitimation de la violence est imprégnée dans l'Islam L'invité de la rédac - YouTube

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Israël : la gauche contre le peuple, par Yves Mamou

May 3 2023, 15:17pm

Posted by Yves Mamou

Israël : la gauche contre le peuple, par Yves Mamou

Je reproduis la recension par Yves Mamou de mon livre Quelle démocratie pour Israël?, publiée dans la Revue politique et parlementaire. P.L.

Israël : la gauche contre le peuple - Revue Politique et Parlementaire

Les déchirures politique, sociale et culturelle qui ont surgi en Israël à propos de la réforme de la Cour Suprême sont généralement interprétées en Europe selon les termes imposés par la gauche, à savoir une tentative de coup d’Etat juridique mené par l’extrême droite. Le petit livre intitulé « Quelle Démocratie pour Israël » (Editions l’Eléphant) que vient de publier Pierre Lurçat, essayiste et traducteur, éclaire de manière simple et savante le double aspect de cette crise politique.

 

Le premier aspect, spécifiquement israélien, démontre clairement que la gauche tente aujourd’hui, par une occupation massive des rues, de protéger le pouvoir politique qu’elle a conquis il y a trente ans, par un usage abusif du droit.

Le second aspect de cette crise à priori spécifiquement israélienne illustre et recoupe les contradictions qui tordent les sociétés occidentales comme le divorce entre les élites et le peuple, l’irruption du judiciaire dans le politique, le conflit entre les « valeurs morales universalistes » et les droits du peuple ou de la nation.

Concernant l’aspect proprement israélien de la crise judiciaire, Pierre Lurçat balaye en quelques pages les slogans de la gauche israélienne qui manifeste aujourd’hui massivement au nom de la « défense la démocratie » contre le « coup d’Etat ».

En réalité explique-t-il, le coup d’Etat a bien eu lieu, mais il est vieux de trente ans et c’est la gauche qui l’a mené. La réforme judiciaire que promeut la droite a pour but d’en corriger les effets.

Au début des années 1990, un homme seul, charismatique, le juge Aharon Barak, président de la Cour Suprême, a embarqué l’appareil judiciaire israélien dans une « révolution constitutionnelle » (le terme est de lui) qui a progressivement rogné le pouvoir des élus et a transformé les magistrats non élus de la Cour Suprême en acteurs politiques de premier plan. En catimini, progressivement, sur la base de deux lois votées la nuit par des députés qui n’y ont pas vu malice, la Cour Suprême a progressivement institué l’idée qu’elle était en droit d’intervenir dans tous les champs de la vie politique. Ces deux lois fondamentales portaient l’une sur « la dignité humaine » et l’autre sur la « liberté professionnelle ». Aujourd’hui résume Lurçat, « ceux-ci (les juges de la Cour Suprême) se sont octroyé des pouvoirs exorbitants que nulle loi ne leur a jamais confié, et une compétence sans limite qui leur permet désormais d’annuler des lois, de donner aux contrats un sens que leurs signataires n’avaient jamais prévu, d’intervenir dans les décisions du chef d’état-major et d’annuler toute nomination à un poste public ».

Empêcher ces juges inamovibles de brider la volonté du peuple qui vote est l’enjeu proprement israélien de la réforme judiciaire du gouvernement Netanyahou. Mais, par bien des aspects, cette bagarre politique illustre aussi un conflit entre l’universel et le national propre aux sociétés occidentales.

En Israël, la gauche et la droite conviennent (en aparté pour la gauche) qu’il faut réduire le champ d’intervention de la Cour Suprême. Mais la gauche israélienne, au nom de ses « valeurs » interdit à la droite de mener la réforme et l’accuse de complot contre la « démocratie ». En fait, deux définitions de la démocratie s’affrontent aujourd’hui.

Depuis trente ans, en Israël comme en Occident, la gauche tente d’imposer l’idée que la démocratie ne peut se réduire au jeu mécanique de la majorité qui a le droit d’imposer sa loi à la minorité.

Partout, la gauche a cherché à imposer l’idée que la démocratie est d’abord et avant tout un système de « valeurs ». « Une démocratie de la majorité seule qui ne s’accompagne pas d’une démocratie des valeurs n’est qu’une démocratie formelle et statistique. La vraie démocratie limite le pouvoir de la majorité afin de protéger les valeurs de la société » écrivait lui-même le juge Baarak. Quand la droite est majoritaire en voix, la gauche lui rétorque que son pouvoir est illégitime parce qu’elle n’est pas représentative de la « démocratie des valeurs ».

C’est cet aspect du conflit judiciaire israélien, celui des « valeurs », qui devrait attirer l’attention du lecteur français sur le court essai de Pierre Lurçat.

En Israël comme en Europe et aux Etats Unis, les « valeurs universelles » sont entrées en conflit avec la démocratie formelle.

Les femmes, les noirs, les musulmans, les migrants, les LGBT… ne se contentent pas d’être des citoyens comme les autres qui votent, travaillent et prient librement comme ils le souhaitent. Ils se posent en victimes et réclament des droits spécifiques qui apparaissent aujourd’hui comme « la quintessence de la démocratie, bien plus que les élections libres et démocratiques et leur résultat… (surtout quand ce résultat est contraire à leurs opinions politiques) » pointe avec justesse Pierre Lurçat.

C’est ce sentiment d’incarner des « valeurs universelles » qui fait descendre dans la rue des centaines de milliers de citoyens de gauche en Israel au nom de la « demokratia ».

C’est cet universalisme qui pousse des militaires à refuser de servir, des hommes d’affaires à exporter leurs capitaux hors d’Israël, et des citoyens lambda à penser qu’ils seront beaucoup plus heureux au Portugal ou aux Etats Unis qu’en Israël.

La gauche israélienne utilise l’universalisme des « valeurs » pour se rapprocher de la gauche européenne et américaine et pour prolonger en Israël, l’assaut que la gauche occidentale mène depuis plusieurs décennies, contre son héritage culturel, contre ses traditions, son héritage religieux chrétien, ses lois, sa morale pour les remplacer par des principes soi-disant universels destinés à réaliser la fraternité humaine. Les laïcs de gauche israéliens sont prêts à mettre Israël à genoux pour ressembler le plus possible à cet Occident qui n’en finit plus de s’effondrer sous les coups de tous les types de particularismes.

Yves Mamou

Pierre Lurçat, « Quelle démocratie pour Israel ; Gouvernement du peuple ou gouvernement des juges ? », Editions L’éléphant, 126 pages. 

 

Israël : la gauche contre le peuple, par Yves Mamou

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Réponse à Eva Illouz, Bruno Karsenti et Ilan Greilsammer : Dénonciation et diabolisation dans le discours de la gauche juive

November 27 2022, 11:30am

Posted by Pierre Lurçat

La scène de l'attentat d'Ariel

La scène de l'attentat d'Ariel

 

Le 15 novembre dernier, alors qu’Israël pleurait les trois victimes de l’attentat d’Ariel, trois universitaires juifs publiaient des articles virulents contre le futur gouvernement de l’État juif, dénonçant le « nationalisme », le « populisme » et le « fascisme juif ». Au-delà du simple débat intellectuel et politique, la concomitance entre ces deux événements nous amène à interroger un phénomène ancien – et pour ainsi dire consubstantiel à l’histoire juive – celui de la dénonciation, de la diabolisation et des accusations fratricides, pour tenter d’en cerner les motivations profondes.

 

Dans les colonnes du journal Le Monde (dont la dérive anti-israélienne a souvent été analysée depuis des lustres), le politologue israélien Ilan Greilsammer dénonce les « 14 députés nauséabonds de l’extrême-droite »[1]. De son côté, la sociologue franco-israélienne Eva Illouz écrit : « Nétanyahou est un populiste de droite ‘’conventionnel’’, similaire à Modi, à Orban ou à Trump. Itamar Ben Gvir, le chef de Sionisme religieux, se situe, lui, au-delà du populisme. Il représente ce que l’on est bien obligé d’appeler, à contrecœur, un ‘’fascisme juif’’ » et elle affirme au passage, comme s’il s’agissait d’une évidence, que « les Palestiniens subissent le joug d’un régime cruel ».  Quant à l’universitaire Bruno Karsenti, il explique dans les colonnes de la revue en ligne K pourquoi le résultat des élections signifie un tournant majeur et le dévoiement, ou carrément la « fin du sionisme… » et appelle à « comprendre à nouveau le sionisme depuis la diaspora »[2].

 

On peut bien entendu considérer que ces trois analyses relèvent d’un débat légitime. Mais cela ne nous dispense pas de nous interroger sur les motivations profondes qui amènent des intellectuels juifs à se désolidariser publiquement d’Israël, en expliquant à la face du monde qu’ils « ne font pas partie » de ces autres Juifs qui ont élu le « gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël »...(L’expression, déjà employée lors de précédentes élections, est notamment reprise par Bruno Karsenti dans l’article précité).  On peut aisément critiquer leur analyse sur le plan strictement factuel, en montrant par exemple que le concept de « fascisme juif » est largement erroné et procède d’une simplification abusive, celle que Léo Strauss avait il y a déjà longtemps analysée sous le vocable de « reductio ad hitlerum »[3].

 

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Leo Strauss

 

Mais notre propos est ici différent : il vise à déceler chez ces trois intellectuels, par-delà la différence possible des parcours individuels, une même attitude profonde, qui remonte très loin dans l’histoire juive. Pour la comprendre, nous citerons un quatrième exemple ; celui du professeur Asa Kasher. Le spécialiste d’éthique, auteur du « Code éthique de Tsahal », a expliqué au lendemain des dernières élections, dans un post très remarqué sur Twitter, que le peuple qui a porté B. Nétanyahou au pouvoir n’était « pas le sien », en dénonçant au passage les « mutations » que représentaient à ses yeux le sionisme religieux et le monde ‘harédi (juif orthodoxe). Ce dernier terme a fait scandale en Israël, au point que Kasher a vainement tenté de se justifier, sans modifier fondamentalement son discours.

 

Si le propos de Kasher est révélateur, c’est parce qu’il résume de manière lapidaire et limpide la posture commune à ces intellectuels juifs. Ceux-ci prétendent en effet faire sécession, au à tout le moins se « distancier » ou se « désolidariser » d’une partie importante de leur peuple, au nom d’une conception bien particulière de l’éthique, de la politique ou de la place d’Israël parmi les Nations. Ils affirment ainsi – conformément au modèle bien connu du Juif assimilé – avoir plus en commun avec les « valeurs universelles » qu’avec le « particularisme juif », tel qu’il s’est exprimé dans le vote des Israéliens, qu’ils assimilent à un phénomène entièrement négatif (« réaction », « illibéralisme », « nationalisme identitaire » pour Karsenti, « nationalisme religieux » pour Eva Illouz).

 

« Nous ne sommes pas comme ces Juifs-là ».

 

Mais cette posture commune ne se contente pas d’exprimer un désaccord, ou un dissentiment. Elle le fait en prenant à parti le reste du monde, comme si l’enjeu était de dire au monde entier : « Nous ne sommes pas comme ces Juifs-là ». Il s’agit donc de dénoncer publiquement le reste des Juifs (qu’il s’agisse d’un parti politique, d’un gouvernement, voire de l’Etat d’Israël tout entier[4]) en faisant allégeance à des « valeurs universelles » dont ces autres Juifs seraient exclus… Cette argumentation n’est pas seulement intellectuelle. Elle procède, comme l’avait bien vu Shmuel Trigano, d’une tentation permanente de la gauche juive, dans l’histoire récente d’Israël, de se positionner contre un « mauvais Israël » (celui des harédim, des sionistes-religieux, des sépharades, etc.[5])

 

Paradoxalement, ces représentants de la gauche juive retournent très souvent l’accusation de séparatisme contre ceux qu’ils critiquent, en se posant eux-mêmes en victimes d’une exclusion hypothétique, comme le fait Bruno Karsenti, en critiquant la Loi Israël Etat-nation du peuple Juif de 2018, qu’il accuse de « replier l’État juif sur le peuple juif entendu comme le peuple des vrais juifs qui se rassemblent sur cette terre expressément et exclusivement juive ». Ce faisant, il reprend à son compte la vieille accusation (portée notamment par Hannah Arendt au moment du procès Eichmann) d’utiliser la « loi religieuse » juive pour définir l’identité israélienne : « Majoritaires sur leur terre, les juifs y sont hégémoniques ; et hégémoniques, ils sont fondés à l’être exclusivement, au détriment de minorités, qui, en tant que minoritaires, n’ont pas voix au chapitre. Cela vaut au premier chef, évidemment, pour les Palestiniens. Mais cela vaut aussi pour quiconque s’écarte du critère d’identité dont on détient la définition, avec une assurance que seule confère la loi religieuse ».

 

Plus profondément encore, cette posture intellectuelle procède de l’attitude de mise à distance de celui qui doit porter la faute, pour permettre aux autres (les « bons Juifs ») de rester persona grata dans la société environnante… On aura reconnu dans ce mécanisme celui du bouc émissaire. Le regretté Rafael Draï avait analysé de manière magistrale ce phénomène, précisément au lendemain de l’assassinat du rabbin Meir Kahana aux Etats-Unis, en se demandant publiquement si le rabbin Kahana n’avait pas été transformé en « bouc émissaire » par l’ensemble de l’establishment juif… La dénonciation actuelle du « fascisme juif » confirme son diagnostic. Il n’y a en réalité dans cette attitude rien de nouveau sous le soleil de Sion… C’est en définitive l’histoire de Joseph et de ses frères qui se rejoue indéfiniment, à toutes les époques.

Pierre Lurçat

 

 

[1] Sur la métaphore “olfactive” dans l’analyse politique et la diabolisation en général, je renvoie à l’ouvrage éclairant de Pierre-André Taguieff, Du diable en politique, CNRS éditions 2014

[2] Notons que cette revue qui se présente comme un lieu de débat interne au judaïsme bénéfice du soutien de nombreuses fondations, notamment la Fondation Heinrich Böll, celle pour la mémoire de la Shoah, et le Ministère français de la Culture

[3] L’expression est employée par Strauss dans son livre Droit naturel et histoire, Paris, Plon, 1954. Sur le concept de “reductio ad hitlerum” et ses usages contemporains, voir notamment le livre de P. A. Taguieff cité ci-dessus. Taguieff est un des premiers à avoir repris ce concept et à l’avoir utilisé pour analyser le phénomène de la diabolisation, dès les années 1980.

[4] Observons que dans le discours antisioniste, le discours passe très rapidement de la dénonciation d’un parti ou d’un gouvernement israélien “fasciste”, à celle du “fascisme juif”, du “suprémacisme juif” ou du “judaïsme raciste”. Sur ce phénomène d’élargissement de la cible, je renvoie à mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain, éditions L’éléphant 2021.

[5] Cf. S. Trigano, L’ébranlement d’Israël, Seuil 2002. 

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Le pistolet d'Ayala Ben Gvir et le retour du « principe de réalité »

November 20 2022, 11:37am

Posted by Pierre Lurçat

Le pistolet d'Ayala Ben Gvir et le retour du « principe de réalité »

Le pistolet d'Ayala Ben Gvir et le retour du « principe de réalité »

 

La photo a fait la « Une » des médias israéliens. On y voit Sarah Netanyahou entourée des femmes des dirigeants des partis de la nouvelle coalition qui vient de remporter les élections. Seul un œil averti peut distinguer, sur les vêtements d'Ayala Ben Gvir, un objet sombre qui se confond avec la couleur de son manteau. Cet objet et les réactions qu'il a suscitées la semaine écoulée en Israël nous en disent plus long que mille mots sur l'état actuel du débat public, et sur celui de la gauche en Israël.

 

« Quand le sage montre la lune, le sot regarde le doigt ». En l’occurrence, le pistolet n’est que le doigt, tandis que la réalité de la situation sécuritaire sur les routes et dans les villes et villages d’Israël est la « lune ». Effectivement, les “sots” se sont empressés de gloser sur le pistolet d’Ayala Ben Gvir, se moquant à la fois de son apparence et de ses choix vestimentaires, tout en ironisant sur le fait qu’elle arborait une arme… Face à la vague de commentaires hostiles et moqueurs des médias “mainstream” (de gauche), Ayala Ben Gvir a tweeté simplement : « J’habite à Hébron, j’ai six enfants, je circule sur les routes dangereuses et mon mari est l’homme le plus menacé d’Israël. Et oui, j’ai un pistolet ».

 

Outre le double standard évident qu’ont révélé ces commentaires – féministes dans le discours mais dont l’empathie pour les femmes s’arrête à la « Ligne verte » et n’inclut pas les femmes figurant sur la photo en question – ils ont aussi révélé le monde fantasmagorique dans lequel vit une grande partie de la gauche israélienne, ou plus exactement de ce qu’il en reste, depuis trente ans. Depuis le jour funeste où Itshak Rabin a serré à contre-cœur la main de l’archi-terroriste Yasser Arafat – transformé pour l’occasion en « homme de paix » – et où la gauche a adopté le narratif post-sioniste, elle vit dans un monde qui a peu à voir avec la réalité du Moyen-Orient.

 

Dans ce monde fantasmagorique, la gauche israélienne s’invente régulièrement de nouveaux « monstres » qu’elle adore détester – hier (et aujourd’hui) Sarah Nétanyahou et son mari, aujourd’hui Ayala Ben Gvir et son mari, etc. Elle qualifie de « fascistes juifs » les habitants de la Ville des Patriarches, tout en couvrant d’éloges les dirigeants corrompus de l’Autorité palestinienne, même quand ils appellent ouvertement au meurtre des Juifs. Comme l’écrivait Shmuel Trigano il y a vingt ans, « Le camp de la paix a toujours un “mauvais Israël” contre lequel s’affirmer, une exclusion d’autrui à travers laquelle il s’identifie lui-même »[1].

 

Il faut lire de temps en temps (à petite dose) les éditoriaux et la page Opinions du journal Ha’aretz, pour voir combien ce « camp de la paix » est pétri de bons sentiments envers le « peuple palestinien » et ses représentants, à Ramallah et à la Knesset, et empli de haine et de fiel pour les Juifs du camp national, pour les Juifs religieux et pour ceux qui habitent à Hébron ou à Ariel.  Au lendemain des élections, Ha’aretz écrivait ainsi, dans un éditorial consacré à la disparition du parti Meretz, que les « héritiers de Shulamit Aloni, de Yair Tsaban et d’Amnon Rubinstein regarderont de loin les 14 disciples du raciste Meir Kahana prêter serment dans le temple de la démocratie », tout en faisant l’éloge (funèbre) du parti qui a « mis en garde contre les méfaits de l’occupation et la violence des colons ».

 

En réalité, si le parti emblématique de la gauche israélienne post-sioniste, qui était constitué à l’origine d’une coalition de trois(!) partis, Mapam, Ratz et Shinoui, ne siège plus aujourd’hui à la Knesset, ce n’est pas tant en raison de la montée en puissance de la droite et des partis religieux, que de l’effritement de l’idéologie post-sioniste, sous les coups de boutoir de la réalité. Le facteur le plus important de la réussite sans précédent de B. Nétanyahou lors du scrutin du 1er novembre n’était pas seulement son talent de politicien hors-pair et l’union des différents partis de la droite, face à la désunion au sein de la gauche et des listes arabes.


Le facteur le plus important expliquant le scrutin du 1er novembre est la réalité impitoyable à laquelle ont été confrontés des centaines de milliers d’Israéliens habitants de la « périphérie » et des villes mixtes d’Israël, lors des pogromes antijuifs du printemps 2021, quand les Arabes israéliens (ceux que les médias français qualifient de « Palestiniens d’Israël ») ont attaqué leurs voisins juifs avec une violence qui a ramené Israël un siècle en arrière, à la période des « événements de 1921, de 1929 et de 1936 », c’est-à-dire aux premières vagues de violences arabes antijuives en Eretz-Israël. C’est ce « principe de réalité » qui a largement dicté le résultat des dernières élections, alors que les partis de gauche continuaient de lancer leurs slogans idéologiques sur le « processus de paix » et d’attiser la haine de leurs électeurs contre les Juifs religieux et contre Binyamin Nétanyahou.

Pierre Lurçat

 

______________________________________________________

Je donnerai une série de conférences en France sur Le Mur de fer de Jabotinsky, à Paris, Lyon, Strasbourg et Marseille dans le cadre de l’Organisation Sioniste Mondiale :

 

Jeudi 1er décembre à Paris, au centre Fleg

Lundi 5 décembre à Strasbourg, renseignements à iif.sxb@gmail.com

Mardi 6 décembre à Lyon au CIV Malherbe

Mercredi 7 décembre à Marseille au centre Fleg

Jeudi 8 décembre à Paris, au KKL

 

[1] S. Trigano, L’ébranlement d’Israël, Seuil 2002.

Le pistolet d'Ayala Ben Gvir et le retour du « principe de réalité »

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La gauche israélienne entre cynisme et naïveté - La réponse de Mahmoud Abbas à la petite-fille de Rabin, Pierre Lurçat

August 22 2019, 09:57am

Posted by Pierre Lurçat

 

J’ai vu la semaine dernière, comme des millions d’Israéliens, la photo de Noa Rothman, petite-fille d’Itshak Rabin, aux côtés de Mahmoud Abbas, dirigeant de l’OLP et de l’Autorité palestinienne”. Sur la photo, ils ont tous les deux le sourire aux lèvres. Mais ces deux sourires ne disent pas la même chose. Celui de Noa Rothman semble dire :”Je suis contente d’être venue ici, c’est un geste fort pour la Paix, cette paix tellement lointaine pour laquelle mon grand-père a donné sa vie”. Le sourire de Mahmoud Abbas, lui, semble dire “Cette Juive naïve me donne l’occasion de redorer mon blason…”

 

Noa Rothman et Mahmoud Abbas

 

Bien entendu, nul ne saura ce qu’ils ont vraiment pensé, au moment où ils ont été photographiés. Mais au fond, peu importe ; en politique, les gestes sont plus importants que les intentions, bonnes ou mauvaises. L’enfer est pavé de bonnes intentions, et nous sommes bien placés pour le savoir. Si une preuve supplémentaire était nécessaire, voici le discours que vient de prononcer Mahmoud Abbas au camp de “réfugiés” de Jalazoune, tel qu’il a été traduit et publié par l’institut MEMRI

 

Au Moyen-Orient, l’enfer a souvent été pavé des bonnes intentions de pacifistes juifs. Depuis que les partisans du Brith Shalom - Martin Buber, Sholem et les autres - ont élaboré leur théorie fumeuse de l’alliance judéo-arabe et jusqu’aux accords d’Oslo qui nous explosé au visage, dans le sang et le feu des attentats palestiniens, nous avons payé le prix fort pour les erreurs de nos pacifistes. Les Arabes ont eux aussi payé le prix fort. Comme l’a dit récemment un observateur avisé, Abbas n’a jamais voulu la paix, il n’a apporté aux Palestiniens que du sang et des larmes… (Ou peut-être parlait-il d’Arafat).

 

Dans les années 1930, la gauche européenne avait instauré la tradition du pèlerinage à Moscou. Les intellectuels communistes ou “compagnons de route” allaient rencontrer le “petit père des peuples”’ et ils revenaient enchantés, chantant les louanges du Grand Staline. Il a fallu qu’André Gide publie son Retour de l’URSS pour que le mythe de Staline entretenu par la gauche européenne commence à s’écorner.

 

Le “petit père des peuples” - La Une de l'Humanité, 6 Mars 1953

 

Le mythe Arafat, lui, est plus tenace. Alors que le monde arabe se désintéresse de plus en plus des Palestiniens et de leur jusqu’au boutisme, et alors que l’ONU, pour la première fois depuis 1974 (date de la réception triomphale d’Arafat à New York) a tenu un débat sur le racisme et l’antisémitisme des manuels scolaires officiels palestiniens, la gauche israélienne continue d’entretenir le mythe d’Arafat, dirigeant palestinien et homme de paix. Pourquoi?

 

Le discours d’Abbas publié ci-dessous devrait être imprimé et affiché dans tous les bureaux de vote d’Israël, pour en finir une fois pour toutes avec le mensonge du “processus de paix”, du “modéré Abbas” et les autres mensonges du même acabit que des centaines d’Israéliens, d’occidentaux et de juifs, naïfs ou corrompus, ont répandus depuis des décennies. 

 

Pierre Lurçat

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Mahmoud Abbas au camp de réfugiés de Jalazone : “Nous entrerons à Jérusalem avec des millions de combattants - Nos martyrs sont ce que nous avons de plus sacré”

Mahmoud Abbas : Nous resterons [ici], et personne ne pourra nous faire partir de notre patrie. S'ils le veulent, ils peuvent partir eux-mêmes. Ceux qui sont étrangers à cette terre n'y ont aucun droit. Alors nous leur disons : chaque pierre que vous avez [utilisée] pour construire sur notre terre, et chaque maison que vous avez construite sur notre terre, est vouée à la destruction, si Allah le veut. 

Peu importe le nombre de maisons et de villages qu'ils déclarent [planifier de construire] ici et là - ils seront tous détruits, si Allah le veut. Ils iront tous à la poubelle de l'histoire. Ils se souviendront que cette terre appartient à son peuple. Cette terre appartient à ceux qui y vivent… Jérusalem est nôtre, qu'ils le veuillent ou non.

 

“Jérusalem est à nous” - Abbas et Arafat

 

Audience : Nous marchons vers Jérusalem, des martyrs par millions ! Nous marchons vers Jérusalem, des martyrs par millions ! Nous marchons vers Jérusalem, des martyrs par millions !

Mahmoud Abbas : Nous entrerons à Jérusalem - des millions de combattants ! Nous y entrerons ! Nous tous, le peuple palestinien tout entier, la nation arabe tout entière, la nation islamique et la nation chrétienne... Ils entreront tous à Jérusalem. Nous n'accepterons pas qu'ils qualifient nos martyrs de terroristes. Nos martyrs sont les martyrs de la patrie. Nous ne leur permettrons pas de déduire un seul centime de leur argent. Tout l'argent leur reviendra, car les martyrs, les blessés et les prisonniers sont ce que nous avons de plus sacré.”

Vidéo  mise en ligne sur la page Facebook d'Abbas le 10 août 2019. 

(Publié par le site MEMRI.FR)

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