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propagande

Le conflit identitaire israélien (III) : Royaume de David ou République de Galaad ?

March 20 2023, 14:35pm

Posted by Pierre Lurçat

Photo by Gili Yaari /Flash90

Photo by Gili Yaari /Flash90

Les seules explications politiques sont insuffisantes pour rendre compte de la violence du conflit intérieur actuel en Israël, qui dépasse tout ce qu’on a pu voir depuis plusieurs décennies. Il y a donc un niveau symbolique ou spirituel, qui permet seul de rendre compte de cette violence et de l’expliquer. Il porte sur l’identité profonde d’Israël en tant que peuple et en tant que nation. Israël doit-il être et sera-t-il un État juif conforme à sa vocation prophétique, ou bien un État occidental dans lequel le judaïsme serait réduit à la seule sphère privée, selon le modèle de l’émancipation – assimilation ?

Troisième volet de ma série d’articles consacrée au conflit identitaire israélien.

 

 

Pour illustrer ce conflit symbolique et spirituel, je voudrais m’arrêter dans les lignes qui suivent sur quelques éléments visuels aperçus dans les manifestations de rue actuelles et dans les médias, qui en rendent compte de manière quotidienne et quasi incessante, le plus souvent sous un angle sympathique et militant.

 

« Une image vaut mille mots ». L’adage déjà ancien reste valable aujourd’hui comme hier. L’analyse des slogans visuels et des symboles utilisés dans les manifestations contre la réforme judiciaire dans les rues d’Israël montre qu’ils sont très largement importés d’un contexte culturel américain, ce qui corrobore le fait qu’Israël est devenu le théâtre d’un affrontement culturel global entre deux visions du monde opposées, qui dépasse les frontières de notre petit-grand pays[1].

 

Margaret Atwood est une romancière américaine. Son roman La cape écarlate décrit un monde imaginaire et cruel, dans lequel un pouvoir tyrannique séquestre les femmes et les transforme en machines à procréer. Comment ce roman écrit en 1985 est-il devenu un des symboles marquants des manifestations actuelles en Israël ? Pour le comprendre, il faut s’arrêter sur le rôle des récits fondateurs et des mythes dans la mobilisation et dans la manipulation des foules.

 

Ce roman dystopique a été écrit, de l’aveu de son auteur, pour exprimer sa crainte de la droite religieuse américaine, après l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan. Le rapport avec la situation actuelle en Israël peut sembler ténu, mais c’est précisément la force des symboles de pouvoir être repris dans des contextes culturels différents… Hanna Benoualid écrit fort justement que nous les utilisons pour parler des cauchemars qui nous taraudent[2].

 

Cela est bien évident aujourd’hui en Israël, où les manifestations sont tout autant dirigées contre la réforme judiciaire que contre le cauchemar fantasmatique d’une théocratie juive. (J’ajoute que la notion même de « théocratie juive » est problématique, car le judaïsme a toujours distingué entre la prêtrise et la royauté). Dans ce contexte, le recours à un symbole visuel importé des États unis est d’autant plus significatif, qu’il permet de court circuiter tout débat rationnel sur la signification véritable d’un État juif et sur la place de la femme dans le judaïsme… En manifestant déguisées en servantes écarlates, les militantes féministes israéliennes évacuent l’objet véritable d’un débat possible et souhaitable et le remplacent par un objet symbolique et fantasmatique.

 

Cette manipulation symbolique et politique n’est donc pas un simple procédé rhétorique, celui qui consiste à identifier l’adversaire à un monstre pour mieux l’écarter (procédé bien connu qu’on désigne aujourd’hui comme délégitimation ou nazification). Elle est aussi et avant tout un mécanisme psychologique, qu’on pourrait décrire comme consistant en une auto-intoxication et comme un état de frayeur induit volontairement, comme sous l’effet de troubles psychotiques. En désignant le gouvernement de Binyamin Nétanyahou, sa politique et sa réforme judiciaire comme « la dictature », ou comme la « coercition religieuse », ses opposants « jouent à se faire peur ». Mais ce jeu est d’autant plus dangereux qu’ils finissent par croire aux symboles qu’ils agitent…

 

Cette manipulation du symbole de la « servante écarlate » et d’autres est d’autant plus significative, que le conflit culturel qui traverse Israël oppose en définitive, de manière schématique, la vision d’un État juif à celle d’un État occidental. En important dans l’espace public israélien des symboles et des thématiques venus des Etats Unis, les manifestants démontrent que leur combat est bien celui de valeurs étrangères à la culture israélienne (entendue au sens large). Ils défilent certes sous le drapeau bleu et blanc, récupéré au service de leur cause par un coup de génie publicitaire, mais leur cause est bien celle d’une culture étrangère, occidentale et américaine, qu’ils entendent imposer au peuple d’Israël. (à suivre…)

 

Pierre Lurçat

 

[1] Un autre exemple est le symbole du poing fermé, emprunté lui aussi aux Etats-Unis, où il a été notamment utilisé par les mouvements noirs américains dans les années 1960 et repris par la JDL.

[2] Je remercie Hanna Benoualid qui a porté à mon attention l’article d’Irit Linor évoquant Margaret Atwood, qu’elle a traduit sur son excellent blog Boker Tov Yerushalayim (wordpress.com).

 

 

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Le conflit identitaire israélien (III) : Royaume de David ou République de Galaad ?

March 20 2023, 14:35pm

Posted by Pierre Lurçat

Photo by Gili Yaari /Flash90

Photo by Gili Yaari /Flash90

Les seules explications politiques sont insuffisantes pour rendre compte de la violence du conflit intérieur actuel en Israël, qui dépasse tout ce qu’on a pu voir depuis plusieurs décennies. Il y a donc un niveau symbolique ou spirituel, qui permet seul de rendre compte de cette violence et de l’expliquer. Il porte sur l’identité profonde d’Israël en tant que peuple et en tant que nation. Israël doit-il être et sera-t-il un État juif conforme à sa vocation prophétique, ou bien un État occidental dans lequel le judaïsme serait réduit à la seule sphère privée, selon le modèle de l’émancipation – assimilation ?

Troisième volet de ma série d’articles consacrée au conflit identitaire israélien.

 

 

Pour illustrer ce conflit symbolique et spirituel, je voudrais m’arrêter dans les lignes qui suivent sur quelques éléments visuels aperçus dans les manifestations de rue actuelles et dans les médias, qui en rendent compte de manière quotidienne et quasi incessante, le plus souvent sous un angle sympathique et militant.

 

« Une image vaut mille mots ». L’adage déjà ancien reste valable aujourd’hui comme hier. L’analyse des slogans visuels et des symboles utilisés dans les manifestations contre la réforme judiciaire dans les rues d’Israël montre qu’ils sont très largement importés d’un contexte culturel américain, ce qui corrobore le fait qu’Israël est devenu le théâtre d’un affrontement culturel global entre deux visions du monde opposées, qui dépasse les frontières de notre petit-grand pays[1].

 

Margaret Atwood est une romancière américaine. Son roman La cape écarlate décrit un monde imaginaire et cruel, dans lequel un pouvoir tyrannique séquestre les femmes et les transforme en machines à procréer. Comment ce roman écrit en 1985 est-il devenu un des symboles marquants des manifestations actuelles en Israël ? Pour le comprendre, il faut s’arrêter sur le rôle des récits fondateurs et des mythes dans la mobilisation et dans la manipulation des foules.

 

Ce roman dystopique a été écrit, de l’aveu de son auteur, pour exprimer sa crainte de la droite religieuse américaine, après l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan. Le rapport avec la situation actuelle en Israël peut sembler ténu, mais c’est précisément la force des symboles de pouvoir être repris dans des contextes culturels différents… Hanna Benoualid écrit fort justement que nous les utilisons pour parler des cauchemars qui nous taraudent[2].

 

Cela est bien évident aujourd’hui en Israël, où les manifestations sont tout autant dirigées contre la réforme judiciaire que contre le cauchemar fantasmatique d’une théocratie juive. (J’ajoute que la notion même de « théocratie juive » est problématique, car le judaïsme a toujours distingué entre la prêtrise et la royauté). Dans ce contexte, le recours à un symbole visuel importé des États unis est d’autant plus significatif, qu’il permet de court circuiter tout débat rationnel sur la signification véritable d’un État juif et sur la place de la femme dans le judaïsme… En manifestant déguisées en servantes écarlates, les militantes féministes israéliennes évacuent l’objet véritable d’un débat possible et souhaitable et le remplacent par un objet symbolique et fantasmatique.

 

Cette manipulation symbolique et politique n’est donc pas un simple procédé rhétorique, celui qui consiste à identifier l’adversaire à un monstre pour mieux l’écarter (procédé bien connu qu’on désigne aujourd’hui comme délégitimation ou nazification). Elle est aussi et avant tout un mécanisme psychologique, qu’on pourrait décrire comme consistant en une auto-intoxication et comme un état de frayeur induit volontairement, comme sous l’effet de troubles psychotiques. En désignant le gouvernement de Binyamin Nétanyahou, sa politique et sa réforme judiciaire comme « la dictature », ou comme la « coercition religieuse », ses opposants « jouent à se faire peur ». Mais ce jeu est d’autant plus dangereux qu’ils finissent par croire aux symboles qu’ils agitent…

 

Cette manipulation du symbole de la « servante écarlate » et d’autres est d’autant plus significative, que le conflit culturel qui traverse Israël oppose en définitive, de manière schématique, la vision d’un État juif à celle d’un État occidental. En important dans l’espace public israélien des symboles et des thématiques venus des Etats Unis, les manifestants démontrent que leur combat est bien celui de valeurs étrangères à la culture israélienne (entendue au sens large). Ils défilent certes sous le drapeau bleu et blanc, récupéré au service de leur cause par un coup de génie publicitaire, mais leur cause est bien celle d’une culture étrangère, occidentale et américaine, qu’ils entendent imposer au peuple d’Israël. (à suivre…)

 

Pierre Lurçat

 

[1] Un autre exemple est le symbole du poing fermé, emprunté lui aussi aux Etats-Unis, où il a été notamment utilisé par les mouvements noirs américains dans les années 1960 et repris par la JDL.

[2] Je remercie Hanna Benoualid qui a porté à mon attention l’article d’Irit Linor évoquant Margaret Atwood, qu’elle a traduit sur son excellent blog Boker Tov Yerushalayim (wordpress.com).

 

 

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« La démocratie c’est la dictature » : Le moment orwellien de la politique israélienne, Pierre Lurçat

March 16 2023, 05:47am

Posted by Pierre Lurçat

« La démocratie c’est la dictature » :  Le moment orwellien de la politique israélienne, Pierre Lurçat

N.B En qualifiant de "compromis du peuple" sa proposition, le président Itshak Herzog participe de la propagande que j'analyse ci-dessous. "Compromis du peuple" ou "compromis des élites"? P.L

Dans la gigantesque campagne de désinformation à laquelle se livrent les médias « mainstream » israéliens et les chefs de l’opposition, avec l’appui – entre  autres – de la Cour suprême, du parti démocrate et du département d’Etat américains et d’ONG financées par des Etats étrangers (tous ces acteurs constituant ce que certains qualifient de « Deep State »), je voudrais m’arrêter ici sur deux mensonges particulièrement efficaces.

 

Le premier consiste à qualifier la Loi sur le contournement (« Hok ha-Hitgabrout ») qui a été votée cette semaine et les autres volets de la réforme judiciaire de « lois personnelles », « Loi Dery », « Loi Bibi », etc. comme si l’objet principal de toute cette réforme était de « sauver » le Premier ministre et d’autres de la rigueur de la justice israélienne, laquelle serait mue par des motivations pures et intègres. L’histoire politique des deux ou trois dernières décennies en Israël montre que c’est précisément le contraire qui est vrai.

 

La réforme en cours – que les médias israéliens qualifient de « putsch » ou de « révolution judiciaire », dans leur Novlangue orwellienne –  n’a rien de nouveau. Ses principes m’avaient été exposés par le ministre Yariv Levin (alors député du Likoud) dans une interview publiée par Israël Magazine en… 2011 ! Elle vise en réalité à rétablir le pouvoir de la Knesset et à permettre aux représentants du peuple et à ses dirigeants démocratiquement élus d’appliquer la politique pour laquelle ils l’ont été, sans craindre de se voir entravés, empêchés, voire inculpés par une justice qui est tout sauf neutre et apolitique. Les exemples de cette triste réalité sont légion.

 

L’ancien ministre de la Justice, Daniel Friedman, avait lui aussi élaboré un projet de Loi de contournement, comme il l’a relaté dans un livre passionnant[1]. Il y explique notamment comment le système judiciaire et la police ont été utilisés, depuis trois décennies, pour torpiller toute tentative de réforme et de rétablir l’équilibre des pouvoirs, en rognant les pouvoirs exorbitants que la Cour suprême s’est octroyée lors de la Révolution constitutionnelle. Cela porte un nom : justice politique.

 

Parmi ceux qui ont tenté de s’attaquer à celle-ci, citons le ministre de la Justice (travailliste) Haïm Ramon, le ministre Yaakov Neeman et le ministre Daniel Friedmann. Les deux premiers ont été inculpés pour des raisons plus ou moins valables, mais toujours dans un but politique évident. Comme l’a écrit Amnon Dankner, en matière d’inculpation de personnalités publiques, il existe trois écoles : « celle de Beit Hillel, celle de Beit Shamai et celle de « cela dépend de qui il s’agit ». En l’occurrence, la Cour suprême, le procureur de l’Etat et la police ont depuis de nombreuses années choisi la troisième école. Ils « ciblent » systématiquement les hommes politiques qui tentent de diminuer le pouvoir du système judiciaire et utilisent tous les moyens pour parvenir à leurs fins.

 

Ce qui nous amène au plus grand mensonge de la campagne actuelle : qualifier de « putsch » et de « révolution » anti-démocratique une réforme qui vise précisément à rétablir la démocratie, l’Etat de droit et la neutralité de la justice. Mais comme l’avait dit un spécialiste de la propagande, « plus le mensonge est gros, plus il passe ». Dans cette immense entreprise de propagande, dont on ignore qui exactement la finance, deux coups de génie ont sans doute été pensés par des conseillers en communication politique américains, les fameux spin doctors qui exercent depuis quelques décennies leurs talents en Israël.

 

Le premier est d’avoir utilisé comme symbole le drapeau d’Israël, pour faire croire que ces manifestations du camp anti-Bibi qui a perdu les dernières élections, représentent la majorité, voire l’ensemble du peuple d’Israël. Le second est d’utiliser le mot de « démocratie », détourné de son sens authentique, en ralliant ainsi les défenseurs abusés de celle-ci. Israël traverse un moment orwellien. Comme dans le fameux roman d’Orwell 1984, où le régime totalitaire avait pour slogans « la guerre c’est la paix » et « la liberté c’est l’esclavage », la campagne de propagande actuelle a adopté pour devise, « la démocratie c’est la dictature ». Le peuple d’Israël est-il dupe ? Rien n’est moins sûr.

P. Lurçat

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La conférence que j’ai donnée à Tel-Aviv sur “Les enjeux de la réforme judiciaire” est à présent en ligne ici :

(8) 28 02 23 Pierre Lurçat Les Enjeux De La Réforme Judiciaire En Israël Tlv - YouTube

 

 

 

[1] The Purse and the Sword,

The trials of the Israeli Legal Revolution, Yediot Aharonot Books 2013.

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La crise politique en Israël : trois explications, Pierre Lurçat

March 12 2023, 16:27pm

Posted by Pierre Lurçat

La crise politique en Israël : trois explications, Pierre Lurçat

Les phénomènes politiques et sociaux, comme l’ensemble des phénomènes humains, ont rarement une explication unique. Dans les lignes qui suivent, je voudrais avancer trois explications possibles - qui ne s’excluent pas mutuellement – à la crise politique actuelle en Israël.

 

1ère explication : une immense manipulation politique et médiatique

 

Le premier niveau d'explication est celui du mensonge politique et médiatique sans précédent, auquel nous assistons depuis plusieurs semaines. Comme souvent, ce mensonge est d'autant plus efficace qu'il est grossier. En qualifiant de "putsch" et de "révolution" antidémocratique une réforme légitime, qui vise précisément à rétablir la séparation des pouvoirs et la démocratie authentique, les médias israéliens et les chefs de l’opposition recourent à une rhétorique mensongère éhontée, qui prétend priver les électeurs israéliens de leur victoire, sous couvert de "sauver la démocratie".

 

Il n'est pas anodin que cette manipulation politique et les manifestations qui l'accompagnent soient orchestrées avec le soutien logistique considérable des ONG à financement étranger, auxquelles la Cour suprême a donné un droit de regard sur la politique intérieure israélienne. A travers la protestation contre la réforme judiciaire, c'est en fait un enjeu de pouvoir fondamental qui se joue actuellement : le peuple d'Israël va-t-il reprendre le pouvoir qui lui a été confisqué par la Cour suprême, au moyen de l'intervention grandissante de cette pléiade d'ONG, véritable cheval de Troie de puissances étrangères, à l'intérieur de la vie publique israélienne ?

 

2eme explication : une guerre intestine

 

Ce qui nous amène à la deuxième explication, celle de la guerre intestine. Les appels répétés à la guerre fratricide et à l'effusion de sang des dirigeants de l'opposition, qui sont pour la plupart (à l'exception de Yair Lapid) des généraux en retraite, comme l'a observé récemment Shmuel Trigano, sont évidemment révélateurs. Dans l’ethos fondateur de la gauche israélienne, la guerre fratricide est toujours salvatrice, depuis la "Saison", l'Altalena et le "canon sacré" de David Ben Gourion et jusqu'à l'expulsion des valeureux habitants du Goush Katif, chassés jusqu'au dernier d'entre eux de leurs maisons manu militari pour faire la place au gouvernement du Hamas, avec la bénédiction de la Cour suprême (sauf une voix, celle du juge sépharade Edmond Levi, véritable “juste à Sodome”)

 

Dans la guerre fratricide que ce quarteron de généraux à la retraite appelle de tous ses vœux, tous les moyens sont légitimes, de l'incitation à la haine et au meurtre jusqu'à la désobéissance civile et au refus d'obéissance de soldats de réserve… A travers cette lutte intestine, c'est l'avenir d'Israël qui est en jeu, avenir qui est menacé par des acteurs étrangers puissants (démocrates américains, Union européenne, etc.) qui étaient déjà présents lors des précédentes phases de la lutte d'Israël pour sa survie. La gauche israélienne, à travers sa dernière mutation au visage wokiste - le camp hétéroclite des "Tout sauf Bibi" -  n'a aucun complexe à s'allier aux ennemis de l'extérieur et de l'intérieur pour atteindre ses objectifs.

 

3eme explication : un conflit d’identité

 

Les deux explications qui précèdent sont évidemment insuffisantes pour rendre compte de la violence du conflit intérieur actuel, qui dépasse de loin tout ce qu'on a pu voir depuis plusieurs décennies. Il y a donc un troisième niveau, symbolique ou spirituel, qui permet seul de rendre compte et d'expliquer cette violence. Ce niveau, largement impensé au sein de l’opposition, porte sur l'identité profonde d'Israël en tant que peuple et en tant que nation… Il peut être formulé ainsi : Israël doit-il être et sera-t-il un État juif conforme à sa vocation prophétique, ou bien un État occidental dans lequel le judaïsme serait réduit à la seule sphère privée, selon le modèle de l'émancipation - assimilation ?

 

Dans cette perspective, l'opposition violente et le mouvement de panique auxquels on assiste actuellement sont à la hauteur de l'espoir qu'un État plus juif fait naître chez ses partisans. Ce qui apparaît à ces derniers comme la réalisation des promesses bibliques semble pour les premiers signifier la fin de leur idéal laïc et occidental. Affrontement irréductible entre deux visions qu'on avait cru compatibles et qui s'avèrent aujourd'hui radicalement opposées. L'avenir dira si nous assistons à un progrès sur la voie de la rédemption ou bien, à Dieu ne plaise, à une terrible régression.

Pierre Lurçat

La conférence que j’ai donnée à Tel-Aviv sur “Les enjeux de la réforme judiciaire” est à présent en ligne ici :

(8) 28 02 23 Pierre Lurçat Les Enjeux De La Réforme Judiciaire En Israël Tlv - YouTube

 

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"Al Aqsa en danger" : aux origines d'un slogan mensonger, par Pierre Lurçat

April 18 2022, 12:42pm

Posted by Pierre Lurçat

N.B. J'ai abordé ce sujet ce matin au micro de Daniel Haïk sur Radio Qualita

C’est au début des années 1930 que la mosquée Al-Aqsa et Jérusalem deviennent des éléments centraux de l’opposition arabe au sionisme, et qu’apparaît un slogan mensonger qui a fait couler depuis des rivières de sang : « Al Aqsa est en danger ! »

Ce slogan a été entendu à de nombreuses reprises ces dernières semaines, tant dans la bouche des prédicateurs et chefs radicaux du Hamas et du mouvement islamiste arabo-palestinien, que dans celle des dirigeants du Fatah et de l’Autorité palestinienne, tous unis dans la même détestation d’Israël et du peuple juif. Mais son invention remonte à une époque déjà lointaine *, où se sont mis en place les principaux acteurs et paramètres de l’affrontement actuel.

J’ai décrit dans mon livre Le Sabre et le Coran ** l’implication des Frères musulmans égyptiens dans la question palestinienne, par l’intermédiaire du Mufti de Jérusalem, Hadj Amin Al-Husseini. Celui-ci a joué un rôle clé dans l’établissement d’une « alliance germano-islamique », qui n’était pas de pure circonstance : le père fondateur du mouvement national palestinien était en effet un nazi convaincu, qui a passé plusieurs années à Berlin pendant la Deuxième Guerre mondiale, diffusant des émissions de propagande à destination des pays musulmans et œuvrant avec acharnement pour convaincre le régime nazi d’inclure les Juifs de Palestine dans la « Solution finale ».

Al-Husseini, les Frères musulmans et le nazisme : une alliance oubliée

C’est Amin Al-Husseini qui a convaincu le mouvement des Frères musulmans égyptiens – matrice de l’islamisme contemporain – de faire de la guerre contre les Juifs et de la question de Jérusalem un élément central de leur propagande, à une époque où ils ne manifestaient aucun intérêt pour ce qui se passait dans la Palestine mandataire voisine. Certains écrivains et hommes politiques égyptiens avaient même exprimé leur sympathie pour le mouvement sioniste, à l’instar du célèbre penseur musulman Rashi Rida, rédacteur en chef du journal Al-Manar.

Al-Husseini avec un dignitaire nazi

Tout change en 1936, année des émeutes arabes fomentées par le Mufti de Jérusalem, qui marquent le début de l’implication des Frères musulmans dans la question palestinienne. Au début de l’été 1936, le Haut Comité arabe de Jérusalem, dirigé par Al-Husseini, envoie ainsi des émissaires en Egypte afin de mobiliser les autorités religieuses, gouvernementales et les médias en faveur de la cause arabe en Palestine. Pour sensibiliser l’opinion, ils prétendent que les Juifs ont voulu « profaner les Lieux Saints » de Jérusalem, soi-disant pour « reconstruire le Troisième Temple sur l’emplacement de la mosquée d’Omar ». Cette rumeur est propagée par les mosquées dans toute l’Egypte, les prédicateurs affirmant que c’est une obligation religieuse pour chaque musulman de s’engager dans le djihad en faveur de la Palestine.

Cet épisode fondateur, largement méconnu, a ainsi permis de poser les bases de l’affrontement idéologique, dont nous vivons aujourd’hui les derniers rebondissements. Le slogan « Al Aqsa en danger » n’a pas été inventé par le Hamas ou par Mahmoud Abbas, le faux modéré dirigeant de l’Autorité palestinienne, qui poursuit le même but que ses nouveaux alliés de Gaza, par des moyens parfois différents. Il remonte à 1936, année cruciale qui voit s’édifier l’alliance entre le fondateur du mouvement national palestinien et les Frères musulmans égyptien.

 

Hitler et le fondateur du mouvement national palestinien, Al-Husseini

Cette alliance est décisive dans l’histoire du mouvement palestinien, tant sur le plan idéologique que sur celui des organisations politiques. En effet, tant le Fatah que le Hamas – ces deux jumeaux que les médias présentent trop souvent comme des adversaires – sont largement issus des Frères musulmans. Le Hamas est la branche palestinienne du mouvement islamiste égyptien, et le dirigeant historique du Fatah, Yasser Arafat, a fait partie dans sa jeunesse des Frères musulmans.

On comprend mieux alors la suite des événements : l’accusation calomnieuse « Al Aqsa en danger », devenue un élément central de la propagande arabe à l’époque de l’alliance entre Hitler et le Mufti de Jérusalem, n’a jamais disparu. Elle réapparaît régulièrement, chaque fois que le conflit s’essouffle et qu’il est nécessaire d’ajouter un peu d’huile sur le feu. Les dirigeants palestiniens, de l’AP ou du Hamas, n’ont même plus besoin aujourd’hui de faire appel aux prédicateurs des mosquées pour diffuser ce slogan mensonger : ils sont aidés par les médias arabes et occidentaux, organes de propagande tout aussi efficaces que les appels des mosquées.

 Pierre Lurçat

* Bien avant que ne se pose la question de la prière juive sur le Mont du Temple, dont la propagande arabe relayée par certains Israéliens voudrait faire aujourd’hui le nœud du conflit…

** Paul Landau, Le Sabre et le Coran, Tariq Ramadan et les Frères musulmans à la conquête de l’Europe, éditions du Rocher 2005.

Calaméo - Le sabre et le Coran

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Yair Golan et la politique de l’apartheid antijuif en Judée-Samarie, Pierre Lurçat

January 9 2022, 09:21am

Posted by Pierre Lurçat

Manifestation de soutien aux habitants de Homesh

Manifestation de soutien aux habitants de Homesh

 

Comme je l’ai écrit dans un livre récent[1], en analysant les différents mythes du discours antisioniste et plus particulièrement le mythe du “génocide du peuple palestinien”, la nazification d’Israël constitue, comme l’a bien montré P. A. Taguieff, le “stade suprême de la diffamation d’un groupe humain”. C’est pourquoi les ennemis d’Israël ont, à toutes les époques, imputé aux Juifs leurs projets génocidaires, afin de justifier leurs propres crimes. Dans cette optique, l’assassin d’un Juif n’est plus coupable, s’il accuse préalablement le Juif d’être lui-même nazi… C’est bien ce mécanisme pervers que nous voyons à l’œuvre aujourd’hui en Occident, sur les campus, dans les médias  et ailleurs.

 

Or c’est un même mécanisme de projection sur les victimes réelles des intentions génocidaires de leurs assassins – analysé par de nombreux psychologues chez le meurtrier de droit commun et également présent dans la psychologie des foules et des collectivités – que l’on retrouve dans l’idéologie “progressiste” et post-sioniste, aujourd’hui représentée au sein même du gouvernement israélien. Ce gouvernement, qui a entrepris de détruire la yeshiva de Homesh, symbole de la résilience juive après les multiples attentats commis par les terroristes arabes palestiniens, doit préalablement délégitimer aux yeux de l’opinion publique intérieure et internationale la présence juive en Judée-Samarie.

 

Ce fut l’objet de la campagne de propagande mensongère sur la “violence des habitants juifs de Samarie”, lancée il y a quelques semaines par le gouvernement, avec l’aide de médias complaisants. Le même mécanisme totalitaire avait été utilisé à l’époque des accords d’Oslo par le gouvernement Rabin-¨Pérès, pour préparer l’opinion aux crimes que leurs alliés de l’OLP allaient immanquablement commettre contre les habitants juifs, s’ils s’obstinaient à demeurer dans leurs localités après que la souveraineté aurait été confiée aux assassins de l’OLP, consacrés en “partenaires de paix” selon la logique orwellienne de l’époque. Et c’est cette même logique mensongère et totalitaire que nous voyons à l’œuvre aujourd’hui.

 

L’opinion publique doit être travaillée méthodiquement, en répétant comme un mantra, après chaque attentat antijuif en Judée-Samarie, que les coupables sont les Juifs… Dans le cadre de cette logique perverse, les propos de Yair Golan ont servi de détonateur, en faisant exploser le mensonge des “nazis” Juifs de Judée Samarie, et en dévoilant au grand jour l’intention véritable des promoteurs d’un “Oslo Guimel”, actuellement en préparation. En qualifiant de “sous-hommes” les habitants de Homesh, et à travers eux, l’ensemble des habitants juifs de Judée Samarie, Golan a révélé l’intention criminelle de ceux qui prétendent sacrifier les “mitnahalim" sur l’autel d‘une “paix” tout aussi illusoire que celles des accords d’Oslo de 1993.

 

Mais Yair Golan n’est pas le seul à penser ainsi. De larges secteurs de la coalition actuellement au pouvoir partagent son avis, même s’ils ne l’expriment par avec la même brutalité et la même franchise. En effet, aux yeux d’une grande partie des élites israéliennes de gauche et des tenants de l’idéologie post-sioniste et “progressiste” actuellement au pouvoir, les pionniers juifs de Homesh, de Hébron ou d’Itamar sont effectivement des “sous-hommes”, ou en tout cas des citoyens de seconde catégorie, qu’il convient d’expulser par la force,  si possible brutalement, en “faisant monter des chars” contre leurs habitations, comme l’avait dit un jour Zeev Sternhell, lui aussi spécialiste du nazisme et de la nazification de ses adversaires politiques.

 

Les propos de Yair Golan projettent un éclairage sinistre sur les intentions d’une partie de l’establishment politique, judiciaire, militaire et culturel israélien envers les habitants juifs de Judée Samarie. Effectivement, les habitants juifs sont traités comme des “sous-hommes”, non, certes, en étant enfermés et – à Dieu ne plaise – exterminés, mais en étant privés de leurs droits élémentaires, comme celui de vivre normalement avec leurs familles dans le cœur historique de la patrie juive ancestrale, ou le droit de circuler sur les routes de Judée Samarie sans être caillassés et victimes d’attentats meurtriers, inspirés par l’idéologie islamiste des partenaires de la coalition de M. Golan..

 

[1] Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain, éditions l’éléphant 2021.

 L’ennemi intérieur de la gauche israélienne : manifestation anti-Nétanyahou

L’ennemi intérieur de la gauche israélienne : manifestation anti-Nétanyahou

Les propos de Golan permettent aussi de comprendre pourquoi les tenants de la création d’un Etat palestinien n’ont jamais eu le moindre problème moral à rencontrer l’héritier du mufti Husseini allié d’Hitler, Yasser Arafat, et de l’embrasser, au sens propre et figuré. A leurs yeux et dans le prisme de leur vision politique pervertie, les Palestiniens sont les nouveaux Juifs et les “colons” de Judée Samarie sont les nouveaux nazis. Comme l’écrivait il y a déjà de nombreuses années Shmuel Trigano, la gauche israélienne a toujours besoin d’un ennemi intérieur. Hier ce furent les sionistes révisionnistes du Herout, puis les Juifs orientaux – envers lesquels de nombreux qualificatifs ont été employés du même registre que celui de Yair Golan. Aujourd’hui ce sont les Juifs de Judée Samarie.

 

Quand Golan croyait déceler, il y a quelques années, un “processus similaire en Israël” à celui qu’avait traversé l’Allemagne nazie dans les années 1930, il ne faisait que reprendre un poncif du discours politique israélien, déjà utilisé avant lui par toutes les icônes de la gauche intellectuelle, de Yeshayahou Leibovitz (qualifiant Tsahal d’armée “judéo-nazie”) à Amos Oz, Zeev Sternhell et aux autres chantres de "La Paix maintenant". Ce qui est nouveau chez Golan aujourd'hui, c’est qu’il tire les conséquences de ce discours nazifiant, en prônant une politique à l’aune de son idéologie. A cet égard, il a le mérite d’être conséquent.

 

Pendant des années, le discours de ces intellectuels a servi d’écran de fumée pour masquer leurs intentions politiques et il a trompé de nombreux observateurs sincères, y compris au sein de la droite israélienne. Aujourd’hui, après les propos révélateurs de Yair Golan, il n’est plus permis de se tromper. Si les “sous-hommes” sont les pionniers de Judée-Samarie, alors nous savons de quoi sont capables ceux qui considèrent ainsi tout un secteur de la population israélienne, et nous savons que rien ne les arrêtera dans leurs projets funestes. La politique que met en œuvre le gouvernement Lapid-Bennet-Gantz-Abbas envers les Juifs de Judée-Samarie porte un nom: celui d’apartheid. Cette vérité-là doit être gravée dans la pierre et ne pas être oubliée.

 

Pierre Lurçat

Yair Golan

Yair Golan

La récente Guerre des dix jours entre le Hamas et Israël a déclenché une nouvelle vague d’hostilité envers l’Etat juif, accusé de commettre des crimes de guerre, d’opprimer les Palestiniens ou d’être un Etat d’apartheid. A travers ces accusations multiples et diverses se fait jour un discours structuré, élaboré depuis plusieurs décennies, celui de l’antisionisme contemporain, qui se décline autour de quelques thèmes majeurs.

Le présent ouvrage analyse l’antisionisme comme une véritable idéologie, pour en comprendre les ressorts et les failles. Il apporte un regard informé sur ce sujet, rendu encore plus brûlant par la crise du Covid-19, qui a ravivé les flammes de la haine envers les Juifs et Israël. Après avoir analysé les différents mythes de l’antisionisme contemporain, il esquisse l’espoir de dépasser l’antisionisme, en instaurant une nouvelle relation entre Israël et ses voisins.

Le rapprochement spectaculaire entre Israël et plusieurs pays arabes du Golfe – qui s’est récemment traduit par la signature des Accords Abraham entre Israël, les Émirats arabes unis et Bahreïn – illustre la reconnaissance véritable de l’existence du peuple Juif dans sa réalité historique et géographique, par plusieurs pays musulmans, reconnaissance lourde de conséquences.

La signification théologique de ces accords est en effet plus importante encore que leur portée politique et économique. A contre-courant de la théologie arabe de la substitution, ces accords permettront peut-être de détruire le fondement théologique de l’antisionisme musulman et d’inaugurer une nouvelle ère dans les relations judéo-arabes, porteuse d’espoir pour la région et pour le monde entier.


Table des matières


Introduction – L’antisionisme contemporain, une idéologie multiforme aux racines
anciennes
Chapitre 1 – Le mythe de la Nakba et la création de l’État d’Israël
Chapitre 2 – Le mythe du génocide du peuple palestinien
Chapitre 3 – Le mythe de l’État d’apartheid
Chapitre 4 – Le mythe du Shoah Business
Chapitre 6 – Le mythe du peuple palestinien souffrant
Conclusion : dépasser l’antisionisme?

Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain. Pierre Lurçat. Éditions l’éléphant – Jérusalem 2021.

En vente dans les librairies françaises d’Israël et sur Amazon.

Les demandes de service de presse doivent être adressées à pierre.lurcat@gmail.com

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1995-2021 : 26 ans après, le mensonge de "l'incitation ayant conduit au meurtre" toujours vivace

November 10 2021, 07:48am

Posted by Pierre Lurçat

Le fameux poster fabriqué par un agent provocateur, Avishai Raviv

Le fameux poster fabriqué par un agent provocateur, Avishai Raviv

 

Le titre hébreu du film “Yamim Noraim” (“Les jours redoutables”, expression désignant traditionnellement la période entre Rosh Hachana et Kippour) ne correspond pas du tout à son titre anglais, sous lequel il a été présenté en avant-première au festival de Toronto : “Incitement”. Cela n’a rien d’exceptionnel dans le monde du cinéma, mais en l’occurrence, cette divergence est significative, car le titre anglais en dit bien plus long sur le contenu du film que celui en hébreu. Incitement est en effet un film politique, présentant sous couvert de thriller psychologique (dont on connaît la fin d’avance), une thèse politique dérangeante et mensongère. La thèse du film peut se résumer par son titre, "Incitation", et par les quelques lignes que le réalisateur a choisi de placer en dernière image du film : on peut y lire que “Yigal Amir a déclaré qu’il n’aurait pas commis son crime sans l’aval de rabbins qui lui ont donné leur autorisation. Malgré cela, aucun rabbin n’a été poursuivi pour l’assassinat de Rabin”. 

 

Cette thèse dérangeante s’articule autour de deux ou trois arguments essentiels, que le film assène à coups de massue, du début jusqu’à la fin. “Yigal Amir a été influencé par des rabbins”, “L’assassinat a été précédé d’une campagne d’incitation, à laquelle a notamment participé le chef de l’opposition de l’époque - et Premier ministre actuel - Benjamin Nétanyahou” (1). “Les motivations d’Yigal Amir étaient autant religieuses que politiques”. Ces trois messages n’ont rien de nouveau. Ils ont été répétés à profusion depuis le 5 novembre 1995, car dès le lendemain du crime, celui-ci a été exploité politiquement par le camp auquel appartenait Itzhak Rabin. La thèse de l’incitation au meurtre par des rabbins a pourtant été infirmée par le tribunal de district de Tel-Aviv dans son jugement, dans des termes non équivoques (2). Elle continue malgré cela d’être soutenue par de nombreux protagonistes, comme l’ancien chef des services secrets intérieurs (Shin-Beth) au moment de l’assassinat, Carmi Gillon, qui continue de clamer qu’Yigal Amir a été “incité par des rabbins”.


 

“Incitation” - Une thèse politique mensongère (image de fiction tirée du film)


 

Comme l’écrit le critique du journal Maariv, Yaron Zilberman mêle sans cesse les images d’archives aux scènes de fiction, créant une confusion artistique qui sert son message politique. La confusion volontairement entretenue entre fiction et documentaire, entre narration et argumentaire politique, est dans l'air du temps. A l'heure de la post- vérité, peu importe de savoir si des rabbins ont effectivement donné un blanc seing à Yigal Amir, comme le prétend le film, alors même que la justice israélienne a dit le contraire… Comme il importe peu de savoir quel a été le rôle véritable d’Avishaï Raviv, l’agent provocateur du Shin Beth - les services secrets intérieurs - qui a véritablement poussé au meurtre un Yigal Amir encore hésitant. (3) 

 

A l'ère où seul compte le narratif, qui se préoccupe encore de vérité historique, ou de vérité tout court?  Le plus grave, en l’occurrence, est sans doute ce qu'on enseigne aux enfants des écoles d'Israël. Croiront-ils eux aussi, comme l'affirme ce film, que le bras de l'assassin de Rabin a été armé par des rabbins qui n'ont jamais été inquiétés, au nom d'une Torah qui inciterait au crime? A cet égard, il y a beaucoup à dire sur la manière dont le film (et au-delà du film, tout un pan de la culture israélienne contemporaine) décrit la tradition juive, ses éléments et ses symboles. Ainsi, dans une scène marquante du film, la veille de l’assassinat, on voit Yigal Amir fasciné et presque envoûté par les lettres d’un rouleau de Torah sur lequel son père, scribe, est en train de travailler. 


 

Une vision caricaturale du judaïsme


 

D’autres scènes montrent des rabbins de manière caricaturale. On hésite pour savoir si l’auteur du film est simplement ignorant, ou s’il déteste vraiment (comme d’autres artistes israéliens) notre Tradition et ses représentants. Une question centrale posée par le film - de manière réductrice et très orientée - est celle de savoir si le “Din rodef” (l’obligation de tuer un Juif pour l’empêcher de perpétrer un meurtre qu’il s’apprête à commettre), soi-disant appliqué à Rabin par certains rabbins - “justifiait” son exécution au regard de la loi juive. Toute personne un tant soit peu versée dans l’histoire juive sait que les peines de mort mentionnées dans la Torah ne sont quasiment jamais appliquées. Le film repose largement sur cette ambiguïté, qu’il ne contribue pas à lever, préférant l’exploiter au service de sa thèse politique.

 

Et malgré tout cela, le film de Zilberman n’est pas dénué de qualités. Il tient en haleine, et la performance de certains des acteurs est remarquable. Notamment celle de l’acteur principal, Yehuda Nahari Halevi, d’origine yéménite comme Amir. Il réussit à incarner son personnage de manière forte et crédible, en dépit de la manière assez caricaturale dont sont dépeintes ses relations avec son entourage (son père, personnage assez falot, qui tente de le dissuader, tandis que sa mère ne cesse de vanter son intelligence, et les jeunes filles qu’il courtise). Yigal Amir n’est pas du tout décrit comme un monstre, mais bien comme un être humain et il est rendu presque sympathique (!), tellement le réalisateur est obnubilé par le désir de montrer qu'il a été incité et manipulé par des rabbins.


 

Yehuda Nahari Halevi : impressionnant de vérité
 

Le réalisateur Yaron Zilberman a de toute évidence été séduit par ce sujet fort et complexe. Il a visiblement été déchiré entre l’attrait du sujet, la possibilité de faire un thriller psychologique captivant, ce à quoi il n’est parvenu que partiellement, et la volonté de faire passer un message politique, éculé et largement mensonger, mais toujours efficace. Hélas, c’est cette deuxième possibilité qu’il a choisie. Le résultat est un film d’autant plus dangereux qu’il est séduisant, par le message simpliste qu’il véhicule et par sa capacité de nuisance politique.

Pierre Lurçat

Notes :

 

(1) Comme l’a montré le journaliste du quotidien Ha’aretz, Anshel Pfeffer, dans sa récente biographie de Nétanyahou, ce dernier n’a jamais “incité” à l’assassinat d’Itshak Rabin, directement ou indirectement. Ce sont, comme l’écrit Pfeiffer (peu suspect de sympathies pour la droite israélienne, et lui-même membre de la corporation journalistique) “les médias israéliens qui ont inventé le narratif de ‘l’incitation qui aurait conduit au meurtre de Rabin’. Et qui ont dépeint Nétanyahou comme ‘le principal responsable de cette incitation’. 

 

(2) En réponse à l’affirmation d’Yigal Amir qui avait lui-même fait état de rabbins qu’il aurait consulté sur le sujet, le juge Edmond Lévy président du tribunal de Tel-Aviv a écrit dans le jugement : “Ma conclusion est que la démarche qu’il a pu effectuer auprès d’un quelconque rabbin, directement ou indirectement, pour s’assurer que la victime avait le statut de “Din rodef”, n’était destinée qu’à obtenir un aval a posteriori à l’action que l’accusé avait déjà décidé de réaliser. D’où la conclusion supplémentaire, que la tentative de donner à l’assassinat de Rabin une justification halachique est déplacée et constitue un abus cynique et grossier de la hala’ha [loi juive] à des fins étrangères au judaïsme”. Jugement du tribunal de Tel-Aviv, 498/95, Etat d’Israël contre Yigal Amir,

Jugement (en hébreu) : http://www.nevo.co.il/Psika_word/mechozi/M-PE-2-003-L.doc

 

(3) C’est Raviv, on ne le rappellera jamais assez, qui avait ainsi imprimé le fameux poster de Rabin en uniforme SS, utilisé jusqu’à aujourd’hui comme argument contre le public sioniste-religieux, auquel Amir avait été assimilé.

 

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Bombardement de l’immeuble abritant l’Associated Press : Comment les médias sont devenus des acteurs de la guerre contre Israël

May 20 2021, 08:33am

Posted by Pierre Lurcat

 

A la mémoire de Haim Azses,

pionner de la Hasbara en Israël

 

Cela fait belle lurette que la profession de journaliste n’a plus grand chose à voir avec celle d’Albert Londres ou de Joseph Kessel, et ressemble plus à un obscur travail de gratte-papier copiant et collant des “Tweets”, et allant parfois chercher une référence historique - pour combler ses lacunes en culture générale - sur Wikipédia, cette encyclopédie des pauvres. Hélas, la destruction de l’enseignement public en France ne date pas d’hier et nos journalistes sont pour la plupart fraîchement émoulus des “écoles de journalisme”, ces tristes établissements où sont formatés ceux qui sont censés nous “dire l’actualité”, modernes Pythies.

 

Mais le sujet qui nous occupe ici n’est pas la baisse du niveau intellectuel des journalistes, sujet qui mériterait à lui seul une enquête (journalistique?) en bonne et due forme, mais la disparition de leurs critères moraux et professionnels (qu’ils désignent par le terme pompeux de “déontologie”). En effet, ceux qui se targuent de donner des notes de moralité au reste de la planète et qui sont imbus de l’idée que la Liberté de la presse et de l’information serait la Valeur suprême, devant laquelle doivent s’effacer toutes les autres, ne sont pas toujours des parangons de vertu. L’exemple suivant permettra d’illustrer notre affirmation.

 

Depuis samedi dernier, les médias français (et étrangers) se sont émus de la frappe par l’armée d’Israël du bâtiment abritant les locaux de l’Associated Press et d’Al-Jazira à Gaza ville. “La destruction des bureaux d’Al-Jazira et de ceux d’autres médias dans la tour Jala à Gaza est une violation flagrante des droits humains et est considérée internationalement comme un crime de guerre”, dénonce Moustapha Souag, directeur général du groupe qatari (pays qui s’y connaît en la matière), cité sans aucun commentaire par le quotidien Le Monde.  Or, en réalité, la présence d’opérationnels et de services de renseignement militaire du Hamas est un “secret de Polichinelle”, largement connu des médias du monde entier (1). 

 

Si les médias le savent, c’est parce qu’ils ont abandonné depuis bien longtemps leur rôle d’observateurs “neutres” (l’ont-ils jamais été?) pour devenir des acteurs du conflit israélo-arabe, comme l’a bien décrit l’ancien journaliste de l’AP, Matti Friedman :  « La presse occidentale est devenue moins un observateur de ce conflit qu’un acteur de celui-ci, un rôle qui a des conséquences sur les millions de personnes qui tentent de comprendre l’actualité, y compris les décideurs qui dépendent des récits journalistiques pour comprendre une région où ils cherchent constamment à intervenir de manière productive » (2).

 

Légitime défense : le bâtiment de l’AP à Gaza s’effondrant comme un château de cartes


 

Des journalistes servant de “boucliers humains” au Hamas

Ce qui devrait faire scandale, aux yeux des médias des pays démocratiques, c’est justement le fait que des journalistes acceptent de travailler dans le même immeuble que des terroristes du Hamas, auxquels ils servent de “bouclier humain”. Mais en réalité, cela fait longtemps que les journalistes occidentaux qui couvrent le “conflit” israélo-arabe ont accepté de se plier aux diktats du Hamas, de l’AP et des autres mouvements terroristes palestiniens, dont ils relaient avec complaisance le narratif mensonger au détriment d’Israël. Bien entendu, si vous interrogez un de ces journalistes, il vous expliquera doctement qu’il n’a pas le choix, et que le “devoir d’informer” oblige à accepter les conditions du Hamas à Gaza, ou celles de l’AP en Judée-Samarie (“Cisjordanie” dans le lexique autorisé).

 

Comme l’écrit Liliane Messika, “Une vidéo circule sur la Toile, celle d’un journaliste libanais, installé avec des confrères sur un toit d’où ils ont une vue imprenable sur l’immeuble du Renseignement du Hamas (ainsi que d’Al Jazzera et Associated Press), situé à une cinquantaine de mètres et qui va être détruit par Tsahal (Twitter). Cette vidéo a été signalée par la MENA, dont le journaliste a été impressionné par le calme des journalistes installés là, qui ne portent ni casque ni gilet pare-balles et qui ont, manifestement, eu tout le temps nécessaire pour préparer leurs objectifs… Les journalistes qui couvrent les conflits, ailleurs dans le monde, risquent leur vie. Pas ceux-là. Ils font confiance à la technologie de Tsahal et savent qu’ils ne risquent rien, car les Israéliens préfèrent avorter une opération que tuer un civil”.

Voilà bien l’hypocrisie de nos donneurs de leçons au monde entier : ils profitent de la protection de l’armée israélienne pour envoyer en toute tranquillité leurs dépêches mensongères sur les soi-disant “crimes de guerre” israéliens ! Ils se reposent à la piscine de l’American Colony, au coeur de Jérusalem (pardon, Jérusalem-Est) après avoir couvert les dernières émeutes arabes en “Palestine”, préférant le luxe démodé de ce palace à celui des hôtels miteux de Ramallah. Je me souviens d’un de ces plumitifs, G. Malbrunot, qui venait dans les cafés de Jérusalem chercher ses “proies” parmi les jeunes Israéliennes innocentes, il y a une vingtaine d’années, avant de retourner faire son vilain travail de correspondant d’un journal français. Ils soutiennent sans retenue les ennemis jurés d'Israël, et ils viennent pleurnicher quand Tsahal riposte, en détruisant une cible mixte abritant des soldats du Hamas d'une part, et leurs alliés de l'Associated Press d'autre part...

Une conscience morale aussi développée que celle d’un batracien: Charles Enderlin

RECTIFICATIF Bien entendu, ce portrait ne prétend pas décrire TOUS les journalistes français ou étrangers, car il existe des exceptions. Je connais des journalistes honnêtes, qui font leur travail avec conscience professionnelle et s’efforcent de le faire bien. Je connais aussi des journalistes courageux, qui couvrent des zones de guerre plus périlleuses que la ville de Gaza. Mais il faut reconnaître que, pour la majorité des correspondants français, formatés aux dépêches de l’AFP et à la vulgate anti-israélienne qu’ils entendent depuis leur enfance, il n’est pas possible d’envisager une autre façon de penser. Rappelons-nous du fake de Charles Enderlin et de France 2, accusant Tsahal de “crime rituel” à Netsarim, reportage qui a fait couler le sang de dizaines de civils israéliens innocents. 

 

Et rappelons-nous des pétitions organisées pour soutenir le journaliste accusé de faux, pétitions signées par le gratin de la profession de France et de Navarre. M. Enderlin, qui s’est payé le luxe d’intenter des procès pour “diffamation” (3) a continué de couler des jours paisibles à Jérusalem, bien après avoir commis son faux. Pensez-vous que l’image terrible des réservistes de Tsahal déchiquetés vivants par une meute palestinienne l’ait empêché de dormir? Je ne crois pas. Aux dernières nouvelles, Enderlin vient de publier ses mémoires et il vient d’accuser Israël de “manipuler les médias” à Gaza (4)... Ceux qui font profession d’incarner la “conscience de l’humanité” ont parfois une conscience morale très peu développée, sans doute du niveau d’un batracien. Mais peut-être suis-je trop sévère pour les batraciens. 

Pierre Lurçat

NB Article paru initialement sur https://mabatim.info/

1. Sur la collaboration entre l’Associated Press et divers régimes autoritaires de l’Allemagne nazie au Hamas, voir : https://www.tabletmag.com/sections/news/articles/ap-collaboration-nazis-reporting-news

2. https://www.causeur.fr/israel-musele-la-presse-a-gaza-retour-sur-une-fake-news-200866?utm_source=Envoi+Newsletter&utm_campaign=31b159d8b3-Newsletter_4_fevrier_COPY_01&utm_medium=email&utm_term=0_6ea50029f3-31b159d8b3-57602921

3. Y compris un procès contre moi, que j’ai gagné.

4. "Manipuler la presse, ce n’est pas bien, souligne Charles Enderlin, qui rappelle que l’immeuble abritant AP et Al-Jazeera hébergeait aussi "des points de diffusion d’images sortant de Gaza". Résultat, à Gaza, "il reste Reuters et l’Agence France-Presse (AFP), qui ont beaucoup de mal à fonctionner parce qu’en raison des pannes d’électricité, il y a très peu d’Internet et très peu de téléphone".

https://www.rtbf.be/info/monde/detail_charles-enderlin-depuis-des-mois-les-journalistes-internationaux-avaient-beaucoup-de-mal-a-se-rendre-dans-gaza?id=10762713

 

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15 mai 1948 - 15 mai 2021 : Le mythe de la Nakba : l'origine d’un mot et le début d’une falsification de l’histoire, Pierre Lurçat

May 15 2021, 18:49pm

Posted by Pierre Lurçat

(Extrait de mon livre Les mythes fondateurs de l'antisionisme, à paraître)

Selon plusieurs sources convergentes, c’est sous la plume de Constantin Zureiq, célèbre intellectuel syrien, né dans un foyer grec orthodoxe de Damas, que le terme de Nakba serait entré dans le dictionnaire politique arabe, avant de pénétrer dans le lexique politique contemporain.

 

« La défaite des Arabes en Palestine n’est pas une calamité passagère ni une simple crise, mais une catastrophe (Nakba) dans tous les sens du terme, la pire qui soit arrivée aux Arabes dans leur longue histoire pourtant riche en drames », assène Zureiq en ouverture de son ouvrage “Ma’an al-Nakba” (“Signification de la catastrophe”).

 

En réalité, pourtant, Zureiq n’avait pas tant à l’esprit la “catastrophe” de la naissance d’Israël, que celle de l’enlisement arabe dans le passé et du refus arabe de la modernité, comme il ressort de cette citation extraite de ce même livre :

 

La raison de la victoire des sionistes est que celui-ci [Israël] est enraciné dans la modernité occidentale, alors que la plupart d’entre nous y sommes encore hostiles. Ils (les sionistes) vivent dans le présent et dans le futur, alors que nous continuons de vivre dans les rêves du passé et de nous enivrer de sa gloire disparue”.

 

Recrues de l’Armée de libération arabe à Beersheva, 1948

 

On ne saurait mieux décrire l’attitude actuelle des dirigeants palestiniens, qui brandissent la Nakba comme une arme de guerre contre Israël, au lieu de tourner leur regard vers l’avenir… Comme l’explique Shmuel Trigano (1) :

 

La défaite de leurs armées et l’échec de leur politique, qui avait refusé le partage de la Palestine mandataire, se voient ainsi, avec la « Nakba », réécrits sous la forme stupéfiante d’une injustice congénitale dont ils seraient les victimes, attachée à l’existence même d’Israël qui, pour se constituer, aurait dépossédé de sa terre un peuple innocent afin de prendre sa place. D’agresseurs les Palestiniens deviennent des victimes. Et l’extermination d’autrui devient pitié et compassion pour soi même”.

 

On est ici au coeur de ce qu’on pourrait appeler le complexe d’infériorité-supériorité, profondément ancré dans la conscience arabo-musulmane, qui consiste à transformer toute défaite en accusation contre l’autre et à remplacer toute autocritique par une démonisation de l’autre, chargé de tous les maux, selon le principe bien connu du bouc émissaire. La Nakba, dans cette perspective, devient pour les arabes une manière facile de faire porter aux Israéliens et aux Juifs la responsabilité de leur défaite et de leur incapacité à affronter leur propre histoire.

 

La première Nakba : 1920 et non 1948

 

En réalité, contrairement à la version généralement admise aujourd'hui de l’origine de l’expression Nakba dans le vocabulaire politique arabe contemporain, celle-ci n’est pas née après 1948. La première Nakba ne date en effet pas de 1948, mais de 1920 ! L’expression “am al-nakba” (“année de la Nakba”) désigne ainsi l’année 1920, et on la trouve sous la plume de l’historien arabe chrétien renommé Georges Antonius, dans son livre fameux The Arab Awakening (Le réveil arabe) : 


 


 

« L’année 1920 porte un nom maudit dans les annales arabes : on l’appelle l’Année de la Catastrophe (Am al-nakba). Elle vit les premiers soulèvements armés qui eurent lieu pour protester contre la colonisation d’après-Guerre, imposée aux pays arabes par les Alliés. Cette année-là, de graves révoltes eurent lieu en Syrie, en Palestine, et en Iraq ».

 

Ainsi, la première Nakba des Arabes de Palestine n’a pas eu lieu en 1948, mais en 1920, et elle ne concernait pas la guerre israélo-arabe, mais le partage de la “Grande Syrie” entre les deux puissances coloniales française et britannique. Comme le rappelle le professeur Steven Plaut, qui a été un des premiers à relever l’utilisation originelle du mot Nakba dès 1920 (2) :

 

“Quand les forces alliées chassèrent les Turcs du Levant, les deux puissances principales, la Grande Bretagne et la France, se partagèrent le butin. La Grande-Bretagne obtint la Palestine, y compris ce qui est aujourd'hui la Jordanie, tandis que la France obtenait le Liban et la Syrie.

Le problème était que les Arabes palestiniens se considéraient comme Syriens et étaient considérés comme tels par d’autres Syriens. Les Arabes palestiniens étaient furieux de ce qu'une barrière artificielle fût érigée au sein de leur patrie syrienne par les puissances coloniales infidèles – une frontière qui allait séparer les Arabes syriens du nord des Arabes syriens du sud, plus tard nommés, à tort, "Palestiniens".

La majeure partie des Arabes palestiniens avaient en fait émigré en Palestine, depuis la Syrie et le Liban, au cours des deux générations précédentes, majoritairement pour profiter de l'amélioration des conditions de vie et des opportunités de travail offertes par l'immigration sioniste et les capitaux qui affluaient dans la région. En 1920, les deux groupes d'Arabes syriens, ceux de Syrie et ceux de Palestine, déclenchèrent des émeutes violentes et meurtrières.

 

Rebelles dans la Ghouta en 1925 - pendant la “Grande révolte syrienne”

 

La “Nakba” désigne donc, dans son sens historique premier, la “catastrophe” du partage du Proche-Orient entre Français et Britanniques et de la fin de l’éphémère “Royaume de Syrie”, avec sa partition en Syrie du Nord et Syrie du Sud. Elle n’a rien à voir avec Israël, ni avec les “Palestiniens” (terme qui n’existait pas en 1920, les Arabes de Palestine mandataire se considérant eux-mêmes comme des Arabes et des habitants de la “Syrie du Sud” (Souriya al-Janubiyya).

Pierre Lurçat

 

NB Retrouvez la suite de mon cours sur le “mythe de la Nakba”, donné dans le cadre de l’Université populaire du judaïsme, en ligne ici, sur le site AKADEM.


 

Notes

(1) https://www.jforum.fr/les-trois-ages-du-mythe-de-la-nakba-une-deconstruction.html

(2) Voir “Comment la Nakba prouve la fiction d’une nation palestinienne” http://lessakele.over-blog.fr/article-19408041.html.

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Du blitz médiatique au lynch physique : Comment les médias excitent les foules ameutées contre Israël Pierre Lurçat

May 13 2021, 06:22am

Posted by Pierre Lurçat

 

Parmi les nombreux responsables de la vague d’antisémitisme qui sévit en France depuis une vingtaine d’années, il en est un qui est rarement évoqué - et pour cause - par les médias : ce sont les médias eux-mêmes. Comme l’écrit InfoEquitable, au sujet de la couverture par Euronews d’une tentative de lynch d’un automobiliste juif à Jérusalem, “Euronews transforme le lynchage d’automobilistes israéliens en attaque à la voiture bélier contre des Palestiniens”, ajoutant que “dans le contexte actuel tendu, c’est exactement le genre de calomnie qui risque d’inciter à la haine anti-juive en France”. De son côté, le CRIF a publié un communiqué qui “demande aux autorités françaises de veiller à ce que les manifestations prévues en France samedi prochain ne se transforment (pas) en un déferlement de haine et de violence anti juive comme ce fut le cas en 2014”.

 

Même s’il n’est pas suivi d’effet, ce communiqué a au moins le mérite de mettre le doigt sur le problème. La haine anti-juive n’apparaît pas spontanément, que ce soit dans les rues de Gaza, de Paris ou de Lod. Elle est attisée par des “prêcheurs de haine”, qui peuvent être des dirigeants du Hamas, des prédicateurs dans des mosquées, des députés arabes à la Knesset ou des parlementaires français, surfant sur la haine d’Israël… Mais elle est également attisée par les médias, dès lors qu’ils utilisent incessamment les stéréotypes anti-israéliens et qu’ils adoptent le narratif arabe de “l’agression israélienne”, chaque fois que la situation s’embrase aux frontières et à l’intérieur d’Israël.

 

Le “Prix de la Désinformation” attribué à France 2 après l’affaire Al-Dura, 

photo Irène Elster

 

Ce phénomène n’est pas nouveau. J’y ai personnellement été confronté pour la première fois lors de la première Intifada, en 1988, quand je participais à un séminaire de “hasbara” (réinformation) animé par Haïm Azses z.l. au C.I.D.I.P, à Paris. Plus tard, j’ai pris part à la lutte contre la désinformation au début des années 2000, en créant le Prix de la Désinformation, décerné aux médias français qui se “distinguaient” dans leur traitement injuste et leur parti-pris contre Israël. L’aspect sur lequel je voudrais m’attarder ici est un phénomène important et peu souvent abordé : le rôle des médias pour transformer un public en foule haineuse et pour développer l’instinct de lynch.

 

La manipulation des émotions par les médias

 

Cet aspect du rôle des médias a été analysé par plusieurs auteurs, bien avant l’époque des médias sociaux. Dans un chapitre éclairant de son livre Le temps prisonnier, intitulé “L’émotion collective et son induction par les médias”, la psychologue Liliane Lurçat analysait la contagion émotionnelle, concept qui décrit “l’émotion collective suscitée par les médias”. Cette analyse, faite en 1995, n’a rien perdu de son actualité. “Les médias, écrit-elle, peuvent utiliser ou manipuler l’émotion collective qu’ils suscitent. Ils peuvent l’entretenir de manière plus ou moins permanente, avec des pointes circonstancielles dans le domaine de l’actualité par exemple” (1).

 

C’est bien à cette utilisation de l’émotion collective que nous assistons actuellement, dans la couverture médiatique de l’opération “Gardien des murailles”, en France et ailleurs. Quand le quotidien Le Monde écrit que “les attaques israéliennes ont fait au moins 35 morts, dont douze enfants”, il reprend à son compte, volontairement ou non, l’image - profondément ancrée dans la conscience occidentale et musulmane - du Juif assassin d’enfants (2). Quand ce même quotidien explique que “le Hamas s’est invité dans la bataille de Jérusalem” et que “le mouvement islamiste entendait briser le ‘siège’ du sanctuaire d’Al-Aqsa, le troisième lieu saint de l’islam, d’où la police israélienne a violemment évacué les fidèles en prière lundi matin”, il adopte sans la moindre retenue le narratif du Hamas et la calomnie d’”Al-Aqsa en danger”, slogan inventé dans les années 1930 par le mufti pro-nazi Al-Husseini, fondateur du mouvement national palestinien (3).

 

‘Al-Aqsa en danger” - une calomnie nazie et palestinienne

L’évocation de “fidèles en prière” dans la mosquée, évacués sans ménage par la police israélienne, n’est pas innocente. Il ne s’agit pas seulement d’un mensonge médiatique (car ces “fidèles” avaient depuis des semaines accumulé des pierres sur le Mont du Temple - que les médias français qualifient avec obstination d’esplanade des mosquées - en vue d’une attaque planifiée de longue date). Il s’agit bien d’une manipulation des émotions collectives et plus précisément, d’une manipulation du sentiment victimaire et du complexe d’infériorité/supériorité, profondément ancré dans l’islam depuis ses origines (4). Comment cette manipulation se fait-elle? 

 

Foule ameutée et instinct de lynch

 

Revenons à l’analyse du phénomène psychologique. Le sociologue français Gabriel Tarde (1843-1904) expliquait que “les émotions ou les idées les plus contagieuses sont naturellement les plus intenses, et que les idées les plus intenses sont les plus étroites ou les plus fausses, celles qui frappent les sens et non l’esprit” (5). Liliane Lurçat reprend son concept de contagion émotionnelle pour l’appliquer à la télévision : “A la télévision, l’opposition entre la raison et les émotions est exploitée pour submerger la raison, dans la diffusion de thèmes séducteurs et réducteurs”. En quoi cela permet-il de comprendre non seulement les récentes attaques contre Israël, à Gaza, Lod ou Jérusalem, mais aussi les attaques contre des Juifs en France et ailleurs? 

 

La contagion des émotions: Gabriel Tarde

 

Parce que, explique Liliane Lurçat, cette manipulation des émotions par l’image télévisée - aujourd’hui renforcée au centuple par les médias sociaux, qui amplifient encore les phénomènes de contagion émotionnelle (au point qu’on a parlé en Israël cette semaine d’une “Intifada Tik-Tok (6) - “favorise les attitudes régressives observées dans les foules ameutées”. Or, selon le psychologue Henry Wallon, il y a un lien direct entre la manipulation des émotions et les phénomènes de “foule ameutée”, car “l’émotion est faite pour ameuter” (7).

 

Nous touchons ici à l’élément essentiel, dans la chaîne de causalité qui relie la diffusion dans les médias et sur les réseaux sociaux d’images violentes, manipulant des émotions primaires comme la colère, la haine, et le passage à l’acte de foules ameutées, qui se transforment très vite en meutes agressives, animées par l’instinct de vengeance, l’instinct de tuer, en un mot: l’instinct du lynch. C’est ce dernier que nous avons vu à l’oeuvre ces derniers jours, dans les rues de Lod et de Jérusalem, quand des foules arabes s’en prennent à des passants juifs, qu’elles sortent manu militari de leurs véhicules pour les lyncher aux cris de “Allah ou-Akbar”. 

 

C’est ce même instinct de lynch qu’on avait vu à Ramallah en 2000, lorsque deux malheureux soldats de réserve israéliens avaient été lynchés et littéralement déchiquetés vivants par une foule arabe ameutée, après la calomnie du meurtre rituel de Mohammed Al-Dura, lancée par Charles Enderlin et France 2, responsable de tant de morts. Et c’est ce même instinct grégaire primitif - qui remonte aux origines de l’espèce humaine - qui sera présent demain dans les rues de Paris et des grandes métropoles à travers le monde, quand des foules scanderont “Mort à Israël!” sous les yeux impuissants des forces de police, dépassées par l’ampleur d’un phénomène déjà ancien. Les grands médias auront alors beau jeu de décrire “l’importation du conflit proche-oriental”, importation dont ils sont eux-mêmes les principaux responsables, par leur manipulation quotidienne des émotions et leur couverture inéquitable (pour employer un euphémisme) dudit conflit. 

Pierre Lurçat

 

Notes

1. Liliane Lurçat, Le temps prisonnier, Des enfances volées par la télévision. Desclée de Brouwer 1995.

2.  Les “enfants” palestiniens tués à Gaza sont - est-il besoin de le préciser - tantôt des jeunes soldats recrutés par le Hamas, tantôt des civils qu’il met en première ligne contre Tsahal.

3. Je renvoie sur ce sujet à mon article coécrit avec Philippe Karsenty dans Causeur, https://www.causeur.fr/israel-jerusalem-alaqsa-terrorisme-145787

4. Complexe consistant à transformer la défaite militaire arabe en accusation contre Israël et à remplacer l’autocritique par une démonisation de l’autre, qui est chargé de tous les maux, selon le principe bien connu du bouc émissaire. J’aborde ce sujet dans mon cours sur Les mythes fondateurs de l’antisionisme, donné dans le cadre de l’université populaire du judaïsme, et devant faire l’objet d’un livre à paraître en 2021-2022.

5. G. Tarde, L’opinion et la foule, cité par Liliane Lurçat dont je reprends l’analyse, Le temps prisonnier, Op. cit. p. 148.

6. Voir par exemple https://www.jpost.com/arab-israeli-conflict/tiktok-intifada-is-just-the-tip-of-the-iceberg-analysis-666403

7. H. Wallon, L’enfant turbulent, PUF 1984, cité par L. Lurçat, op. cit. p. 149.

 

 

 

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