« La démocratie c’est la dictature » : Le moment orwellien de la politique israélienne, Pierre Lurçat
N.B En qualifiant de "compromis du peuple" sa proposition, le président Itshak Herzog participe de la propagande que j'analyse ci-dessous. "Compromis du peuple" ou "compromis des élites"? P.L
Dans la gigantesque campagne de désinformation à laquelle se livrent les médias « mainstream » israéliens et les chefs de l’opposition, avec l’appui – entre autres – de la Cour suprême, du parti démocrate et du département d’Etat américains et d’ONG financées par des Etats étrangers (tous ces acteurs constituant ce que certains qualifient de « Deep State »), je voudrais m’arrêter ici sur deux mensonges particulièrement efficaces.
Le premier consiste à qualifier la Loi sur le contournement (« Hok ha-Hitgabrout ») qui a été votée cette semaine et les autres volets de la réforme judiciaire de « lois personnelles », « Loi Dery », « Loi Bibi », etc. comme si l’objet principal de toute cette réforme était de « sauver » le Premier ministre et d’autres de la rigueur de la justice israélienne, laquelle serait mue par des motivations pures et intègres. L’histoire politique des deux ou trois dernières décennies en Israël montre que c’est précisément le contraire qui est vrai.
La réforme en cours – que les médias israéliens qualifient de « putsch » ou de « révolution judiciaire », dans leur Novlangue orwellienne – n’a rien de nouveau. Ses principes m’avaient été exposés par le ministre Yariv Levin (alors député du Likoud) dans une interview publiée par Israël Magazine en… 2011 ! Elle vise en réalité à rétablir le pouvoir de la Knesset et à permettre aux représentants du peuple et à ses dirigeants démocratiquement élus d’appliquer la politique pour laquelle ils l’ont été, sans craindre de se voir entravés, empêchés, voire inculpés par une justice qui est tout sauf neutre et apolitique. Les exemples de cette triste réalité sont légion.
L’ancien ministre de la Justice, Daniel Friedman, avait lui aussi élaboré un projet de Loi de contournement, comme il l’a relaté dans un livre passionnant[1]. Il y explique notamment comment le système judiciaire et la police ont été utilisés, depuis trois décennies, pour torpiller toute tentative de réforme et de rétablir l’équilibre des pouvoirs, en rognant les pouvoirs exorbitants que la Cour suprême s’est octroyée lors de la Révolution constitutionnelle. Cela porte un nom : justice politique.
Parmi ceux qui ont tenté de s’attaquer à celle-ci, citons le ministre de la Justice (travailliste) Haïm Ramon, le ministre Yaakov Neeman et le ministre Daniel Friedmann. Les deux premiers ont été inculpés pour des raisons plus ou moins valables, mais toujours dans un but politique évident. Comme l’a écrit Amnon Dankner, en matière d’inculpation de personnalités publiques, il existe trois écoles : « celle de Beit Hillel, celle de Beit Shamai et celle de « cela dépend de qui il s’agit ». En l’occurrence, la Cour suprême, le procureur de l’Etat et la police ont depuis de nombreuses années choisi la troisième école. Ils « ciblent » systématiquement les hommes politiques qui tentent de diminuer le pouvoir du système judiciaire et utilisent tous les moyens pour parvenir à leurs fins.
Ce qui nous amène au plus grand mensonge de la campagne actuelle : qualifier de « putsch » et de « révolution » anti-démocratique une réforme qui vise précisément à rétablir la démocratie, l’Etat de droit et la neutralité de la justice. Mais comme l’avait dit un spécialiste de la propagande, « plus le mensonge est gros, plus il passe ». Dans cette immense entreprise de propagande, dont on ignore qui exactement la finance, deux coups de génie ont sans doute été pensés par des conseillers en communication politique américains, les fameux spin doctors qui exercent depuis quelques décennies leurs talents en Israël.
Le premier est d’avoir utilisé comme symbole le drapeau d’Israël, pour faire croire que ces manifestations du camp anti-Bibi qui a perdu les dernières élections, représentent la majorité, voire l’ensemble du peuple d’Israël. Le second est d’utiliser le mot de « démocratie », détourné de son sens authentique, en ralliant ainsi les défenseurs abusés de celle-ci. Israël traverse un moment orwellien. Comme dans le fameux roman d’Orwell 1984, où le régime totalitaire avait pour slogans « la guerre c’est la paix » et « la liberté c’est l’esclavage », la campagne de propagande actuelle a adopté pour devise, « la démocratie c’est la dictature ». Le peuple d’Israël est-il dupe ? Rien n’est moins sûr.
P. Lurçat
_____________________________________________________________
La conférence que j’ai donnée à Tel-Aviv sur “Les enjeux de la réforme judiciaire” est à présent en ligne ici :
(8) 28 02 23 Pierre Lurçat Les Enjeux De La Réforme Judiciaire En Israël Tlv - YouTube
[1] The Purse and the Sword,
The trials of the Israeli Legal Revolution, Yediot Aharonot Books 2013.