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Oublier Amalek (III) : Israël et la question du Mal après le 7 octobre - Contenir le mal ou l’éradiquer ?

April 11 2024, 07:06am

Posted by Pierre Lurçat

Oublier Amalek (III) : Israël et la question du Mal après le 7 octobre - Contenir le mal ou l’éradiquer ?

Une récente déclaration du Premier ministre israélien met en lumière un changement radical dans le discours public en Israël après le 7 octobre : “Nous combattons le mal absolu… Sinwar sera éliminé comme Haman a été éliminé”. Au-delà de la référence à la figure tutélaire de l’ennemi du peuple Juif, cette déclaration contient surtout la désignation du Hamas comme “mal absolu”. A cet égard, il s’agit d’une nouveauté significative : Israël ne combat plus pour se défendre, ni même pour anéantir l’ennemi, mais pour détruire le ‘mal absolu”. Troisième volet de notre série d’articles consacrés à la question du mal depuis le 7 octobre.

Lire les 2 premiers articles:

 

Oublier Amalek? Israël et la question du mal après le 7 octobre, Pierre Lurçat - VudeJerusalem.over-blog.com

Oublier Amalek ? Israël et la question du mal après le 7 octobre (II) : De l’indignation à l’indifférence - VudeJerusalem.over-blog.com

 

“Le Mal existe de manière immanente, comme un phénomène particulier… Les temps dans lesquels nous vivons se caractérisent par un énorme accroissement du Mal sous les formes les plus variése. Je crois qu’il ne s’est jamais produit une telle progression du Mal, comme celle que nous connaissons aujourd’hui”

Gustav Herling[1]

 

            Dès le lendemain du 7 octobre, Israël a entamé une révision de la fameuse “Conceptsia”, qui avait rendu possible la guerre lancée par le Hamas le jour de Simhat Torah. Les questions posées ont permis d'aborder cette Conceptsia dans ses aspects militaires, politiques, stratégiques et moraux. Mais il y a une autre dimension, essentielle, qui a été quelque peu négligée et que nous voudrions esquisser ici : la dimension philosophique. Jusqu’au 7 octobre en effet, l’ensemble de l’establishment politique israélien – et, au-delà encore, une grande partie des élites intellectuelles, universitaires, rabbiniques et médiatiques – pensaient que le conflit israélo-arabe était un conflit territorial, qu’il était loisible de résoudre au moyen de concessions faites à un ennemi considéré comme un acteur rationnel (selon le fameux principe des “territoires contre la paix”, partagé par la gauche et par une partie de la droite[2]...)

 

C’est précisément cette croyance très largement partagée qui a volé en éclats, en même temps que la fragile barrière dite “intelligente”, séparant Israël de Gaza. Un des soubassements philosophiques du slogan “les territoires contre la paix” est en effet le présupposé selon lequel l’ennemi partage grosso modo nos valeurs et notre mode de pensée. Cette croyance profondément enracinée en nous, qui nous fait attribuer à l’ennemi (et à l’Autre en général) notre propre système de pensée, génère de multiples erreurs, dont les conséquences sont parfois immenses.

 

Sans prétendre épuiser ce sujet très vaste, nous pourrions définir comme l’“erreur fondamentale” celle qui consiste à croire que nos ennemis veulent le Bien. C’est en effet sur cette erreur que repose l’ensemble de la Conceptsia, qui a prétendu approvisionner Gaza en électricité, en denrées et produits de base et faire passer au gouvernement du Hamas l’argent du Qatar… Cette erreur fondamentale peut s'énoncer ainsi : “S’ils sont bien nourris, ils seront apaisés et enclins à ne pas nous attaquer”.

 

Or, cette erreur cruciale, qui remonte aux débuts du conflit israélo-arabe[3], repose sur un présupposé erroné : nos ennemis ne partagent pas nos valeurs. L’ennemi gazaoui et l’ennemi musulman en général ne cherche pas le Bien, la Paix, la Sécurité ou la Prospérité - toutes valeurs que nous révérons et pensons universelles - car il aspire exactement au contraire ! Le Hamas, le Hezbollah et l'Iran (mais aussi l’Autorité palestinienne, par d’autres méthodes) cherchent le contraire du Bien et de la Paix : ils veulent le djihad et la soumission, c'est-à-dire la Guerre et le Mal[4]. Les terroristes du Hamas et leurs supplétifs dans la population dite “civile” de Gaza n'aspirent pas à élever leurs enfants dans la prospérité mais à les voir mourir en “martyrs” dans le sang, le bruit et la fureur.

 

La découverte la plus lourde de signification faite par la société israélienne dans son ensemble après le 7 octobre est ainsi celle de la réalité du Mal. Comme l’écrivait le philosophe Jacques Dewitte dans un article éclairant paru en 2011, “le mal existe, ou plus exactement, il persiste, il insiste…” Ou, pour citer l’écrivain polonais Gustav Herling, ”il ne s’est jamais produit une telle progression du Mal, comme celle que nous connaissons aujourd’hui”. Face à cette manifestation d’un Mal absolu et persistant, l’après-7 octobre marque le début d’une désillusion et d’un douloureux réveil, qui passe aussi par une révision de notre vision du bien et du mal.  Un des aspects significatifs de cette révision est la modification à laquelle nous assistons du discours public en Israël, illustrée notamment par cette déclaration récente du Premier ministre israélien à l’occasion de Pourim : “Nous combattons le mal absolu… Sinwar sera éliminé comme Haman a été éliminé”.

 

De nombreuses déclarations du même acabit de la part de dirigeants politiques et militaires, mais aussi de soldats du rang et d’officiers, montrent que la société israélienne a (enfin) compris à qui nous avions affaire. L’ennemi doit être vaincu et détruit, non pas seulement en raison d’impératifs sécuritaires ou existentiels. Il doit être détruit et annihilé, en tant que représentant du Mal absolu, car aucune coexistence n’est possible avec le Mal absolu. Le rôle d’Israël n’est pas de “contenir” le mal (selon la doctrine américaine du containment mise en œuvre pendant la Guerre froide) mais bien de le combattre sans relâche et sans merci en vue de l'anéantir. Oui, le Hamas et Gaza, le Hezbollah et le régime iranien doivent être détruits. (à suivre…)

P. Lurçat

NB. Mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain vient d’être réédité aux éditions B.O.D. et peut désormais être commandé dans toutes les librairies.

 

 

[1] in Variations sur les ténèbres, Seuil 1999, cité par J. Dewitte, “Y a-t-il une réalité substantielle du mal?” Paru dans Crime et folie, Cahiers de la NRF, Gallimard, 2011.

[2] Cf le chapitre consacré aux Accords de Camp David de mon livre La trahison des clercs d’Israël

[3] Cf Jabotinsky Le Mur de fer, éditions l’éléphant 2022.

[4] Voir notamment les livres de Bat Yeor et celui de Bernard Lewis, Le langage politique de l’islam, Gallimard.

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Oublier Amalek ? Israël et la question du mal après le 7 octobre (II) : De l’indignation à l’indifférence

April 2 2024, 07:38am

Posted by Pierre Lurçat

Funérailles de victimes du pogrom de Hébron, 1929

Funérailles de victimes du pogrom de Hébron, 1929

 

“Il y a pire qu’une âme perverse, c’est une âme habituée”.

Charles Péguy

 

« Terriblement désespérée, moralement abattue, je me sentais absolument incapable d’accepter l’idée que je venais de vivre un pogrome en terre d’Israël… J’en avais vu de nombreux dans ma ville natale de Bialystok, et à Varsovie et à Siedlce ; mais un pogrome qui se déroulait ici, en Eretz-Israël ? Comment était-ce possible ? Il ne pouvait rien arriver de pire ! C’était le massacre de nos rêves et de nos espoirs, le massacre de nos années d’efforts et du mouvement sioniste dans son intégralité que ce pogrome… »

 

Puah Rakovski

Lire la première partie : Oublier Amalek? Israël et la question du mal après le 7 octobre, Pierre Lurçat - VudeJerusalem.over-blog.com

Dans son beau livre autobiographique, la militante sioniste et féministe Puah Rakovski raconte le sentiment d'effroi et de désespoir qu'elle a éprouvé lors des pogroms antijuifs des années 1920 en Eretz Israël. A ses yeux, il était impensable de revivre dans son pays d'adoption ce qu'elle avait vécu dans sa Russie natale. Le plus terrible à ses yeux était l'idée que le destin juif puisse se répéter dans le nouveau pays où s'édifiait un « Nouveau Juif », capable de se défendre et de contre-attaquer.

 

L'histoire des cent dernières années n'a fait que confirmer le regard désabusé porté par Rakovski sur les pogroms de 1921, auxquels l'historiographie sioniste a donné le nom très significatif d'« événements de 1921 »… Incapable de transformer radicalement le destin juif, le Yishouv a cru dissimuler cet échec, en inventant un euphémisme pour désigner les pogroms commis par les Arabes en Eretz Israël. L'indignation ressentie par la militante sioniste fraîchement débarquée dans le pays « ancien nouveau » a malheureusement fait place depuis lors à un sentiment tout autre, qu'on peut difficilement qualifier autrement qu'une forme d'habitude et même d'indifférence.

 

Pour avoir vécu en Israël depuis l'époque des funestes accords d'Oslo, il y a trente ans, je peux témoigner que les attentats horribles qui n'ont jamais vraiment cessé depuis lors ont été de plus en plus accueillis avec un sentiment de lassitude et de fatalisme, comme si la majorité du peuple d'Israël n'était plus capable de comprendre la signification du slogan resté depuis lors toujours actuel, hélas : « dam yehudi eyno hefker » (le sang juif ne coulera pas en vain). Il aura donc fallu le choc incommensurable du 7 octobre pour que la société israélienne dans son ensemble se réveille de sa torpeur et comprenne qu'il n'est pas possible de vivre derrière une barrière, avec des ennemis assoiffés de sang juif de l'autre côté !

 

De ce point de vue, le réveil de l'après 7 octobre aura été douloureux, mais salutaire. L'accoutumance au terrorisme à laquelle avaient conduit des décennies d'attentats meurtriers était en effet devenue une situation intenable et un piège mortel… A force de croire que le mal de la terreur arabe était inévitable, qu'il n'était pas plus grave que la neige en hiver ou que les accidents de la route, nous avions fini par ne plus comprendre ce qu'il signifiait et quelles pouvaient être ses conséquences.

 

Pour illustrer l'erreur conceptuelle dans laquelle l'État d'Israël et ses élites s'étaient largement enfermés avant le 7 octobre, je citerai un rabbin israélien connu, qui expliquait au micro de la radio de l'armée, il y a tout juste un an, à l'occasion de la fête de Pourim, que la notion d'Amalek était purement spirituelle et n'avait rien à voir avec l'actualité et qui mettait en garde les auditeurs – avec l'approbation enthousiaste du présentateur de l'émission – contre le soi-disant « danger » de confondre Amalek avec les Palestiniens..

 

De tels propos étaient répandus avant le 7 octobre, et on pouvait penser en écoutant ce genre de discours convenu que le rôle des rabbins était d'enseigner à leurs ouailles comment oublier Amalek, tout comme des générations de rabbins en galout avaient enseigné que Jérusalem était une notion spirituelle et qu'on devait faire de tout lieu sur la terre une petite Jérusalem… en oubliant la Jérusalem authentique. (A suivre...)

P. Lurçat

 

NB. Mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain vient d’être réédité aux éditions B.O.D. et peut désormais être commandé dans toutes les librairies.

 

 

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Oublier Amalek? Israël et la question du mal après le 7 octobre, Pierre Lurçat

March 24 2024, 08:25am

Posted by Pierre Lurçat

Oublier Amalek? Israël et la question du mal après le 7 octobre, Pierre Lurçat

Souviens-toi d'Amalek!” : l'injonction biblique qui revient comme un leitmotiv dans la prière et dans le calendrier juif peut sembler étonnante à l'oreille du Juif moderne. Faut-il encore répéter que nous avons été, tout au long de notre longue histoire, détestés, haïs et persécutés ? Ne le savons-nous pas depuis l'aube de notre histoire ? Pourquoi répéter et ressasser cette injonction qui ressemble à un rappel cruel et vain d'une réalité à laquelle nous aurions préféré échapper ? Ou peut-être est-ce précisément en raison de notre tendance à chercher par toutes sortes de moyens sophistiqués à oublier cette réalité terrible que la tradition nous enjoint de nous souvenir d'Amalek? Réflexions à l'occasion du premier Pourim de l'après 7 octobre.

 

L'échec colossal à anticiper et à empêcher l'attaque meurtrière du 7 octobre interroge les fondements mêmes du projet sioniste, tout autant qu'il interpelle la conscience juive contemporaine. Cet échec n'est pas seulement, comme certains s'évertuent à le faire croire en Israël et ailleurs, celui de l'armée, du gouvernement et des services de sécurité, même s'ils sont les premiers concernés et mis en cause. En réalité, il s'agit d'un échec qui recouvre de multiples dimensions et qui, contrairement à celui de la surprise de Kippour 1973, va bien au-delà de ses dimensions strictement sécuritaires et militaires.

 

Il est aussi, comme nous voudrions le montrer dans les lignes qui suivent, un échec conceptuel et philosophique dans la capacité d'Israël et du peuple juif à 'appréhender le mal. Le mouvement sioniste avait pourtant cru tirer les leçons de notre histoire et de l'hostilité endémique à laquelle nous sommes confrontés depuis les débuts de l'histoire juive. Herzl, le “visionnaire de l'État” (Hozé ha-Medina) avait réfléchi sur l'antisémitisme et imaginé plusieurs “solutions” parfois naïves ou farfelues, avant d'en arriver à l'idée sioniste. Max Nordau s'est lui aussi intéressé de près au phénomène de la haine antijuive. Et Jabotinsky a consacré à ce sujet des nombreux articles qui demeurent souvent très actuels, tout en élaborant la dimension militaire du sionisme, qui était absente de la doctrine de Herzl.

 

Mais la création de l'État d'Israël a quelque peu relégué au second plan la réflexion sur cette question primordiale, en dépit des guerres incessantes depuis 1948 et de la persistance de l'antisémitisme en diaspora, et des formes nouvelles qu'a revêtues la “haine la plus ancienne”... Paradoxalement, la nouvelle réalité de l'existence juive après 1948 a peut-être engendré une illusion dangereuse, qu'on pourrait exprimer ainsi : avec notre souveraineté retrouvée, plus aucun Juif n'est en danger irrémédiablement.

 

L'État d'Israël est ainsi devenu, aux yeux de millions de Juifs à travers le monde, synonyme d'une “police d'assurance” contre l'antisémitisme. Chaque nouvelle vague de haine antijuive en Europe, en URSS ou, plus récemment, aux Etats Unis, s'est ainsi traduite par une vague d'émigration vers Israël, pays refuge. Or c'est précisément cette notion d'un Etat refuge qui a largement volé en éclats le 7 octobre, même si la situation des Juifs en dehors d'Israël s'est également dégradée depuis lors. Ainsi, de manière paradoxale, l'événement du 7 octobre et ses suites ont renforcé la vocation d'Israël comme État juif au sens identitaire tout en affaiblissant sa vocation première d'État refuge… (à suivre)

P. Lurçat

NB. Mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain vient d’être réédité aux éditions B.O.D. et peut désormais être commandé dans toutes les librairies.

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