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culture israelienne

Le fantasme de la sécession et de la guerre civile au cœur de la culture israélienne

June 23 2024, 11:56am

Posted by Pierre Lurçat

Le fantasme de la sécession et de la guerre civile au cœur de la culture israélienne

 

Pour comprendre la poursuite des appels à la guerre civile et au renversement du gouvernement par tous les moyens – au milieu d’une guerre existentielle dont l’enjeu est la survie de notre Etat – il faut se pencher sur le fantasme de la « sécession », qui habite la culture et la politique israélienne depuis 1948. Article paru dans Israël Magazine, avant la guerre du 7 octobre. P.L.

 

« Chaque religion parle de ce qui lui fait défaut », faisait remarquer le rabbin Léon Ashkénazi, à propos du désir d’unité au sein du peuple Juif. En réalité, tout autant que le souhait de rester un peuple uni, c’est souvent la volonté contraire qui est exprimée aujourd’hui dans le débat public israélien : celle d’une séparation entre deux États, un État juif laïc autour de Tel-Aviv et un État juif religieux autour de Jérusalem. Mais cette idée fantasmatique n’a pas été inventée par les cerveaux des publicitaires et des généraux en retraite qui dirigent l’actuel mouvement de protestation. Elle court en réalité comme un fil rouge à travers la culture israélienne depuis 1948 et même avant. Un des premiers qui a exprimé l’idée de la séparation fut Amos Kenan, dans son livre La route d’Ein Harod, paru en 1984, qui décrivait un Israël en proie à la guerre civile.

 

Dans ce roman dystopique, un coup d’État amenait au pouvoir une junte militaire, qui expulsait du pays la minorité arabe, tandis qu’une poignée de rebelles résistait au nouveau pouvoir dans le nord du pays. Le roman relatait le périple d’un habitant de Tel-Aviv soumise au pouvoir militaire, pour rejoindre Ein Harod en Galilée. Trois décennies plus tard, le thème de la sécession et de la guerre civile est au cœur de la série Autonomies, écrite par Yonathan Indurski et Ori Elon (auteurs de Shtisel) et diffusée en 2019. Cette fois-ci, la guerre civile a triomphé et donné lieu à une véritable scission entre un État séculier autour de Tel-Aviv et un autre religieux autour de Jérusalem.

 

Plus récemment, Yishaï Sarid a publié un roman intitulé Troisième Temple, qui décrit un Israël en guerre, dans lequel un officier juif lève une armée pour reconquérir le pays dévasté par les Amalécites, après la reconstruction du Temple de Jérusalem. Dans le roman de Sarid, paru en 2015, la Cour suprême est supprimée par décret royal et remplacée par le Sanhédrin. Ce dernier a notamment pour tâche de juger les dirigeants rebelles de Tel-Aviv, condamnés pour avoir préconisé la suppression du shabbat et de la circoncision. Il n’est pas anodin que l’auteur soit le fils de l’ancien député et ministre Yossi Sarid, ancien dirigeant du parti Meretz.

 

Ces trois exemples montrent que l'idée d'une séparation entre deux Israël est présente depuis longtemps dans l'imaginaire et dans l'ethos collectif de l'État juif. Plus encore que le fantasme d'un nouveau schisme – qui rejouerait l'épisode historique traumatique de la séparation entre le royaume d'Israël et celui de Juda – cette thématique illustre la tentation, omniprésente au cœur même du mouvement de renaissance nationale juive, d'une séparation entre le destin israélien et le destin juif, vécu comme une malédiction.


La contradiction inhérente au sionisme politique

 

Citons encore une fois le rabbin Ashkénazi, observant que certains Israéliens étaient venus ici pour ne plus être Juifs, tandis que d'autres souhaitaient au contraire y devenir plus Juifs... Cette contradiction inhérente au projet sioniste rejaillit aujourd'hui avec une violente décuplée, au sein du mouvement d’opposition au gouvernement, accusé d'être le « plus à droite de l'histoire d'Israël ». Dans cette opposition se fait jour un autre reproche, beaucoup plus profond : celui de vouloir réinscrire l'histoire d'Israël-État dans celle d'Israël-peuple et de confondre le destin israélien avec la vocation juive.

 

C'est ce reproche fondamental qui permet de comprendre le fantasme récurrent d'une séparation et d'un nouveau schisme. Faire sécession d'un État juif englobant les provinces historiques de Judée et de Samarie en se repliant sur « l'État de Tel Aviv » – synonyme de liberté et de modernisme – pour échapper à Jérusalem, à ses vieilles pierres (le fameux « Vatican » auquel Moshe Dayan était impatient de renoncer, après la victoire miraculeuse de juin 1967) et à sa tradition millénaire. C'est dans ce contexte que prend tout son sens le slogan des manifestants « Hofshi beArtsenou » (« libre sur notre terre »), qui oblitère délibérément la fin de la citation de notre hymne national : « la terre de Sion et de Jérusalem ».

 

Mais ce fantasme récurrent de la sécession est voué à l'échec, car jamais le peuple juif n'est parvenu à échapper à sa vocation. Son seul choix est de l'assumer librement et fièrement, ou au contraire de la supporter comme un destin non choisi et malheureux. Dans cette perspective, les événements des derniers mois s’apparentent à une nouvelle crise d’identité, ou plus précisément à une nouvelle phase de la « mutation d’identité » que vit le peuple Juif, en passe de redevenir Hébreu sur sa terre retrouvée.

P. Lurçat

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Arik Einstein et la liturgie laïque d'un peuple en prière, Pierre Lurçat

November 26 2023, 09:05am

Posted by Pierre Lurçat

« Ses chansons étaient des prières » :

« Ses chansons étaient des prières » :

Les chansons d’Einstein appartiennent non seulement au folklore israélien, mais aussi au rituel presque sacré du jour qui est le plus fédérateur de toute l’année, celui du Souvenir des soldats. Plus généralement, elles appartiennent au cœur de l’expérience vécue par les Israéliens, dont beaucoup considèrent ces chansons comme une forme de prières (car Israël, même lorsqu’il ne respecte pas toutes les mitsvot, reste un peuple qui prie ! Dixième anniversaire du décès d'Arik Einstein.

 

 


 

Lors de mon premier séjour en Israël, à l’âge de 17 ans, un des tout premiers disques que j’ai achetés était celui d’Arik Einstein, « Reguel po, reguel sham » (« Sitting on the Fence » en anglais). A l’époque, je ne comprenais presque rien des paroles de ses chansons, mais elles me parlaient quand même et trouvaient une résonance intime en moi (de même que j’ai su que ce pays était le mien, bien avant d’avoir compris que j’étais sioniste…). Ce souvenir personnel, qui ressemble sans doute à ceux de beaucoup d’olim, traduit à mes yeux le secret de l’affection que je portais – que nous portons – au chanteur qui vient de s’éteindre : ses chansons exprimaient, avec tant d’autres et peut-être plus encore que les autres, la quintessence de l’être israélien. Quel était son secret, et quel est le secret de cet « être israélien » ?

 

Répondre à cette question, c’est tenter de définir ce qui constitue le cœur de la culture israélienne. Né à Tel-Aviv en 1939, Einstein appartient à la « génération de l’Etat », celle des sabras qui n’ont pas connu l’exil. Son père faisait partie du théâtre Ohel, troupe d’inspiration socialiste fondée en 1925 (dont un des plus grands succès fut l’interprétation du « Brave Soldat Schweik »). La carrière musicale d’Arik Einstein est impressionnante : sa discographie s’étend du début des années 1960 à la fin des années 2000, soit un demi-siècle de création et d’interprétation musicale (outre sa carrière d’acteur).

 

 

Il est souvent considéré comme le fondateur du rock israélien (avec Shalom Hanoch) et comme celui dont l’œuvre a fait le lien entre les chansons hébraïques de l’époque d’avant l’Etat et la musique israélienne contemporaine. Mais dire que ses chansons figurent parmi les plus connues, et les plus jouées à la radio – jusqu’à ce jour, ce qui est remarquable pour un artiste de sa génération – ne suffit pas à décrire l’apport d’Einstein à la vie musicale et culturelle israélienne, et à la vie israélienne tout court. Comme l’écrivait Hemi Shalev dans Ha’aretz, Arik Einstein était « la voix d’Israël », et il incarnait ce « nouvel Israël, libéral (au sens américain) et séculier que nous pensions autrefois devenir… ». On ne saurait mieux définir tout ce qu’il représentait et représente aux yeux d’une large fraction du public israélien. Cet homme discret et modeste, qui n’aimait pas monter sur scène et détestait l’aspect commercial du métier d’artiste, incarnait en effet un visage d’Israël que beaucoup regardent aujourd’hui avec nostalgie et évoquent avec un sentiment quasi-religieux.

 

Le projet culturel sioniste et la musique israélienne

Ce visage d’Israël est étroitement lié au projet culturel, aussi ancien que le mouvement sioniste lui-même, et qui a engendré certaines des crises politiques les plus graves tout au long de l’histoire du mouvement sioniste, puis de l’Etat d’Israël, de l’époque d’Herzl 1 et jusqu’à nos jours. Pour le résumer en une phrase, on peut dire qu’il s’agit de créer une culture israélienne ou hébraïque profane, capable de rivaliser avec la vieille culture juive religieuse ou sacrée…

 

On pourrait dire, pour simplifier les choses et employer une forme de raccourci journalistique, que l’Israël qui pleure aujourd’hui Arik Einstein est celui qui n’a pas pleuré lors des monumentales funérailles du rav Ovadia Yossef, il y a quelques semaines. Mais la réalité est plus complexe, car ces « deux Israël » se recoupent dans une certaine mesure, jusque dans la famille d’Arik Einstein – dont les deux filles sont devenues ‘harédi en épousant les fils d’Ouri Zohar 2, son vieux camarade devenu un Juif orthodoxe – et beaucoup d’Israéliens vivent à la frontière entre les deux, « un pied d’un côté et un pied de l’autre » (pour citer une chanson d’Arik Einstein…).

Arik Einstein, avec Uri Zohar

 

On entend souvent dire que la culture israélienne laïque est en recul et on parle beaucoup du retour aux racines juives et à la tradition, qui touche le monde culturel et aussi la musique israélienne contemporaine. Mais ce n’est qu’un aspect de la réalité. Car de manière concomitante à ce retour aux sources, la culture israélienne laïque vit et se développe. Le projet culturel israélien – celui de fonder une culture laïque largement coupée des racines juives – n’a certes pas entièrement réussi, comme en témoigne le retour à la tradition d’une large partie du monde culturel et de la société israélienne dans son ensemble, mais il n’a pas totalement échoué non plus. On en donnera pour preuve le fait que les jours les plus marquants du calendrier israélien sont deux dates dont le cérémonial et la « liturgie » sont largement laïques : Yom Ha’atsmaout (Journée de l’Indépendance), et Yom Hazikaron  (Jour du Souvenir des soldats).

 

Ce dernier jour, en particulier, est pour la plupart des habitants d’Israël indissociablement lié aux chansons qui passent en boucle à la radio pendant toute la journée, et dont beaucoup ont été écrites ou chantées par Arik Einstein. De ce point de vue, on peut dire que les chansons d’Einstein appartiennent non seulement au folklore israélien, mais aussi au rituel presque sacré du jour qui est le plus fédérateur de toute l’année, celui du Souvenir des soldats (et aussi de certains jours tristes comme ceux d’attentats particulièrement tragiques ou celui de l’assassinat d’Itshak Rabin, dont on a vécu une sorte de « remake » lors du décès d’Einstein).

 

Plus généralement, elles appartiennent au cœur de l’expérience vécue par les Israéliens, dont beaucoup considèrent ces chansons comme une forme de prières (car Israël, même lorsqu’il ne respecte pas toutes les mitsvot, reste un peuple qui prie !) ; et elles contribuent à définir ce qui constituera sans doute un jour un élément central de l’histoire moderne d’Israël – histoire tout à la fois sacrée et profane – une sorte de « Méguilat Ha’Atsmaout » qui s’écrit sous nos yeux, dans la joie et dans les larmes.


 

1. L’opposition des rabbins à Herzl provenait essentiellement du projet sioniste de fonder une culture juive profane, soutenu par Herzl au début.

2. L’histoire de Zohar et Einstein – deux amis séparés par le « retour » du premier, mais dont les enfants se sont doublement unis par le mariage – est éminemment symbolique des rapports conflictuels mais néanmoins fraternels entre les différents secteurs de la société israélienne.

 

Extrait de mon livre, Israël, le rêve inachevé, éditions de Paris/Max Chaleil. P.L.

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Le conflit identitaire israélien (IV) : Face au monde ‘harédi : peur, ignorance et haine gratuite

March 24 2023, 09:57am

Posted by Pierre Lurçat

Shtisel : des hommes comme les autres

Shtisel : des hommes comme les autres

 

            Invité à une seouda de Pourim chez une amie à Jérusalem, j’y ai fait la connaissance d’un professeur à la retraite de l’université hébraïque, Menahem M., qui est une sommité dans son domaine (la langue et la littérature arabe). Cet homme affable et cultivé est un sabra très représentatif de sa génération (né dans les années 1930). Ayant combattu dans l’armée en tant qu’officier des renseignements militaires, il a connu de près plusieurs dirigeants israéliens et assumé des responsabilités dans l’administration civile de la Judée-Samarie, outre ses accomplissements professionnels.

 

Notre conversation a commencé de manière très banale : apprenant qu’il vivait depuis quarante ans à Katamon, quartier que je connais bien, je lui demandai si le quartier avait beaucoup changé. En réponse, il m’expliqua d’emblée que son immeuble abritait deux familles de Juifs pratiquants, mais qu’ils étaient très « supportables » ! Il avait aussitôt interprété ma question anodine comme si je parlais de la « haredisation » de Jérusalem, sujet d’inquiétude pour beaucoup de ses habitants non pratiquants.

 

Le professeur M. n’est pourtant pas un universitaire israélien « hiloni » typique : il m’expliqua faire le kiddoush tous les vendredis et le Seder « selon la halakha ». Par ailleurs, il range parmi les trois plus grandes catastrophes de l’histoire d’Israël depuis 1948 la guerre de Kippour et les accords d’Oslo. Sur ce dernier point, il m’avoua s’être trouvé en minorité à l’université hébraïque. Quand nous évoquâmes la figure de Moshé Dayan, pour lequel il n’avait aucune affinité, il me le décrit comme un Israélien empli de préjugés envers les Juifs de diaspora, évoquant les « tailleurs juifs de New York » comme l’aurait fait un journal antisémite du début du siècle passé.

 

Mais lorsque nous arrivâmes inéluctablement à parler de l’actualité, malgré tous mes efforts pour cantonner la conversation à l’histoire d’Israël sur laquelle il avait beaucoup à dire, ce que je craignais arriva. Il s’exclama : « Nous sommes gouvernés par des fascistes juifs ! »  Après le refrain sempiternel sur Smotrich et Ben Gvir, j’eus droit à un aveu plus intéressant à mon goût. Sa plus grande crainte était de voir Israël se transformer en théocratie juive, et il préférait « être enterré avant de voir cela arriver ».

 

En écoutant ces mots, je pensais à une phrase similaire du juge Aharon Barak, le « grand-prêtre » de la Révolution constitutionnelle, qui déclarait dans une récente interview à la chaîne Kan « préférer mourir » plutôt que de voir Israël se transformer en un Etat différent de celui qu’il dit aimer… Dans les deux cas, le refus de voir le pays se transformer conduit à préférer ne plus être de ce monde. Comme si l’évolution démographique était nécessairement synonyme de catastrophes à venir… En repensant à ma conversation, j’y ai décelé quelques éléments caractéristiques de l’attitude des médias mainstream et d’une large fraction de la population israélienne envers le monde harédi, que je voudrais exposer brièvement ici.

 

L’ignorance et la peur

 

            La première caractéristique de cette attitude est une grande ignorance, nourrie pas les médias israéliens qui entretiennent une image stéréotypée et le plus souvent négative du monde ‘harédi. Les évolutions profondes de la société israélienne depuis trois décennies, y compris à l’intérieur de la société juive ‘harédi (travail des femmes, enrôlement grandissant des jeunes hommes dans l’armée, etc.) n’ont pas modifié ces stéréotypes, qui sont utilisés par certains partis et hommes politiques, qui en ont fait leur fonds de commerce. Il y a bien sûr quelques exceptions, et certaines personnalités du monde ‘harédi jouissent d’une grande popularité, comme le chanteur Shuli Rand ou l’acteur et chanteur devenu rabbin Uri Zohar.

       Mais ces exceptions – qui appartiennent au monde du spectacle – ne remettent pas en cause les préjugés négatifs entretenus par les médias israéliens et partagés par une large partie de la population. Comme souvent, l’ignorance va de pair avec la peur. Le professeur Dan Schetman, Prix Nobel de chimie, déclarait récemment : “J’ai une peur mortelle des ‘Harédim… Ils nous prennent notre Etat”. On a peur de ce qu’on connaît peu ou mal, et la plupart des Israéliens ignorent le monde ‘harédi qui se trouve pourtant au cœur des grandes villes, et qui – contrairement à un stéréotype tenace – ne demande qu’à être connu et découvert. Le succès de la série « Shtisel » a pourtant montré que les ‘Harédim étaient des hommes comme les autres et qu’ils partageaient les mêmes préoccupations que l’ensemble des Israéliens.

 

L’épouvantail de la « coercition » religieuse

 

Cette peur est d’autant plus injustifiée que la notion même de coercition religieuse est étrangère au judaïsme. Comme me l’a expliqué le rabbin Ido Rakenitz, auteur d’un livre savant et passionnant sur l’Etat de la Torah démocratique, il est impossible de contraindre un Juif à faire une mitsva, celle-ci devant être accomplie de son plein gré pour être valable… [1] Selon lui, l’instauration d’un Etat de la Torah ne modifierait pas fondamentalement le régime politique israélien. D’autre part, la promulgation de lois inspirées par la Torah ne concernerait qu’une partie des lois en vigueur actuellement, car de nombreux domaines échappent à la halakha.

 

Pour illustrer cette réalité méconnue, Ido Rakenitz explique que la plupart des décisions quotidiennes échappent à la loi juive, car il existe un espace immense de liberté entre ce qui est obligatoire (commandements positifs) et ce qui est interdit (commandements négatifs). A titre de comparaison, dans la vision du monde du juge Aharon Barak, il n’existe aucun espace de liberté non soumis au droit, car « le monde entier est empli de droit » (dixit Barak)[2].

 

L’Etat de Torah démocratique ne serait ainsi, contrairement à l’idée reçue à cet égard, pas concerné par le respect du shabbat dans l’espace public! Pour comprendre ce paradoxe, le rabbin Rakenitz me renvoie à une responsa du Hazon Ish, célèbre rabbin et décisionnaire du siècle passé, qui explique que la coercition religieuse a pour objectif d’amener les Juifs à respecter les mitsvot. C’est pourquoi dans le monde actuel, elle est interdite, car elle entraînerait des réactions négatives au lieu d’avoir l’effet escompté. C’est pourquoi il s’oppose à toute initiative de coercition religieuse.

 

A cet égard, souligne Ido Rakenitz, c’est le camp « progressiste » qui est le moins démocratique, car il tente d’imposer au public sa vision du monde (à travers la Cour suprême ou les médias qui partagent ses conceptions). Le seul domaine où il existerait (et où il existe déjà) une « coercition religieuse » est celui du statut familial, à savoir le droit du divorce et de la filiation qui repose sur la halakha depuis 1948, en vertu du statu quo établi à l’époque par David Ben Gourion. (à suivre…)

 

Pierre Lurçat

 

[1] Voir notre article “Rencontres israéliennes : Ido Rechnitz Pour un État démocratique fondé sur la Torah”, Israël Magazine février 2023.

[2] Sur ce sujet je renvoie à mon livre à paraître, Comprendre la réforme judiciaire en Israël, gouvernement du peuple ou gouvernement des juges ? Editions l’éléphant 2023.

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Georges Brassens et la chanson israélienne, Pierre Lurçat

October 25 2021, 16:03pm

Posted by Pierre Lurçat

 

A Gabrielle,

amoureuse d’Israël

et de la culture française

Joyeux anniversaire!

 

Le double anniversaire de la naissance du chanteur français (né le 22 octobre 1921) et de son décès (le 29 octobre 1981) est l’occasion de nous pencher sur l’influence qu’il a eue sur la chanson israélienne, notamment au travers de traductions et d’adaptations de ses chansons par certains des plus grands auteurs-compositeurs et interprètes israéliens. Remarque préliminaire : les liens entre la culture israélienne et la France sont un vaste continent, qui reste encore à explorer…(1) Dans les années 1950 et 1960 notamment, de nombreux écrivains et artistes israéliens se sont rendus en France et ont traduit ou adapté en hébreu de nombreuses œuvres françaises, de la littérature classique à la chanson populaire.

 

La première version de “Banaï chante Brassens”, 1974

 

Parmi les artistes israéliens qui ont chanté des chansons inspirées de Brassens en hébreu, Yossi Banaï fait figure de précurseur. Après un séjour à Paris, Yossi Banaï devint l’un des promoteurs de la chanson française en Israël. En 1969, il produisit le spectacle, « Il n’y a pas d’amours heureux », spectacle qui fut entièrement consacré aux chansons de Georges Brassens. Son disque “Yossi Banaï chante Brassens”, sorti en 1974 et réédité par Ed-Harzi en 1997, reprend certains des titres les plus connus de Brassens, parmi lesquels Le Gorille, Chanson pour l’Auvergnat ou Le parapluie. Ces chansons ont été traduites et/ou adaptées en français par des artistes, paroliers ou écrivains talentueux tels que Naomi Shemer, Dan Almagor, ou Yaakov Shabtaï.



 



 

Outre Banaï, il faut mentionner d’autres chanteurs aussi variés que Corinne Allal (qui a notamment interprété une version adaptée d’Au bois de mon coeur, sous le titre Ey Sham baLev, traduction d’Ehoud Manor), ou encore Chava Alberstein. Cette dernière a ainsi interprété la chanson “Véyoyo gam”, adaptation israélienne de La femme d’Hector de Brassens, qui a aussi été chantée par la troupe Lahakat Ha-Nahal en 1958, sur des paroles de Dan Almagor (lesquelles n’ont rien à voir avec les paroles de La femme d’Hector).



 



 

La chanson Véyoyo Gam a connu un grand succès et été reprise également par Yardena Arazi et Ofra Haza en 1979 (regardez-les ici, c’est un régal!) (2). Plus récemment Shlomi Shaban a interprété une version israélienne de Trompe la mort, traduite par Uri Manor. Comment expliquer le succès non démenti des chansons et mélodies de Brassens auprès de si nombreux auteurs et interprètes israéliens, jusqu’à aujourd’hui? Je laisse la question ouverte aux suggestions de mes lecteurs, qui sont les bienvenues.

 

 

Pierre Lurçat

 

1. Lire notamment notre article “Les écrivains israéliens et la France, un amour partagé” et “David Shahar, un écrivain israélien amoureux de la Bretagne”, repris dans mon livre Israël, le rêve inachevé.

2. Voir l’excellent blog Obegshabbat auquel nous avons puisé de précieuses informations. https://onegshabbat.blogspot.com/2011/04/blog-post_07.html


 

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A qui appartient Jérusalem? "Gardiens des Murailles” : Entre chanson, rêve, prophétie et réalité

May 25 2021, 08:03am

Posted by Pierre Lurçat

 

לג'ודית

 

La culture israélienne profane qui s’est développée en Israël depuis un siècle n’a jamais complètement coupé les liens avec ses racines juives. Bien au contraire : la poésie de Rahel, comme les chansons de Naomi Shemer, pour ne citer que deux exemples,  sont pleines de références et d’allusions à la Bible et aux autres textes de la Tradition. A travers l’hébreu, cette dernière demeure toujours en toile de fond, jusque dans les chansons populaires, comme le montre l’exemple de Shomer Ha-Homot (שומר החומות). 

 

Cette chanson classique de la célèbre “Lahakat Pikoud Merkaz”, une des troupes musicales de l’armée, a été écrite en 1977 par Dan Almagor, qui a récemment ajouté un nouveau couplet, écrit dans son abri, sous le feu des missiles du Hamas. En relisant aujourd’hui les paroles de Shomer ha-Homot, on ne peut s’empêcher de penser combien elles sont prémonitoires. Comme souvent en Israël, les paroles de chansons - en particulier celles écrites par de jeunes soldats, qui appartiennent à un genre bien particulier - expriment mieux que bien des mots savants la réalité complexe et mélangée de l’existence dans notre petit-grand pays. 

 

Les murailles d’Israël illuminées pendant l’opération “Shomer ha-Homot”

 

Cette chanson nous parle d’un soldat, debout sur la muraille entourant la Vieille Ville, qui regarde autour de lui et se souvient de ses rêveries de lycéen, suscitées par le verset du prophète Isaïe : “Sur tes remparts, ô Jérusalem, j’ai posté des guetteurs”. Ce verset fameux, lui-même chanté par les Juifs du monde entier, fait partie d’une prophétie d’Isaïe dont les paroles sont sans doute plus actuelles aujourd’hui que jamais :

 

Pour l’amour de Sion, je ne garderai pas le silence, pour Jérusalem je n’aurai point de repos… Alors les peuples seront témoins de Ton triomphe et tous les rois de ta gloire, et on t’appellera d’un nom nouveau… Tu ne seras plus dénommée la Délaissée et ta terre ne s’appellera plus solitude : toi tu auras pour nom Celle que j’aime et ta terre se nommera l’Epousée, parce que tu seras la bien-aimée de l’Eternel’.

 

Ces mots d’Isaïe résonnent aux oreilles de chaque Juif, et de chaque lecteur de la Bible - avec plus d’intensité aujourd’hui, car la Terre d’Israël n’est plus une “solitude” et un désert - comme elle l’a été pendant les siècles de sa domination par la chrétienté et l’islam. Seuls les Juifs ont su la faire fleurir, comme l’avait annoncé les Prophètes d’Israël. Seul l’Etat d’Israël a fait “refleurir le désert”, selon l’expression qui n’est pas seulement un slogan de l’Agence juive, mais une réalité bien vivante. Seul le peuple Juif revenu sur sa Terre retrouvée peut donner un sens nouveau et actuel aux paroles antiques de la prophétie d’Isaïe, et épouser sa Terre ancienne et nouvelle.

 

Faire refleurir le désert : coquelicots dans le Néguev (source)

 

Pour savoir à qui appartient Jérusalem, la ville que le monde entier, du Hamas à Macron - nous dispute, il suffit d’appliquer le jugement de Salomon, le “plus Sage des hommes” : qui, des deux “mères”, veut le bien de son enfant? Qui, de tous les peuples, a su réunifier la Ville sainte et en faire une capitale de paix et non de guerre? Qui parle de Jérusalem comme ville de paix, et non comme un slogan guerrier pour inciter à la haine et à la violence? Jérusalem appartient au peuple qui a su en faire une ville moderne, un “corps gigantesque qui vit et respire” selon les mots de notre dernier prophète, Zeev Binyamin Herzl.

 

La chanson écrite par Dan Almagor exprime l’aspiration à la paix omniprésente au sein du peuple Juif, qui a donné au monde l’idée même de la paix. Mais celle-ci ne viendra qu’à la fin des temps. Point de “paix maintenant”, car le pacifisme ne fait que reculer la Paix véritable, en nous empêchant de nous défendre et de contre-attaquer, en portant la guerre sur le territoire de l’ennemi, pour annihiler chez lui toute volonté de nous détruire. “Nous n’avons pas encore atteint le stade du militarisme”, écrivait Jabotinsky de manière prémonitoire il y a près d’un siècle. L’opération “Gardien des murailles” s’est achevée, comme les précédents rounds, en queue de poisson. En attendant que Tsahal montre sa force véritable et donne au peuple d’Israël la sécurité, il nous reste à prier Celui qui “ne dort ni ne sommeille”, le Gardien d’Israël, pour qu’il nous donne la Victoire.

Pierre Lurçat

NB j'ai commenté les résultats de l'opération "Gardiens des murailles" au micro de Daniel Haïk, sur Radio Qualita.

 

Je me tiens sur le mur

Debout sous la pluie seul et toute la vieille ville

Allongée sur ma paume je la regarde amoureux

Je viens toujours ici juste pour regarder

Mais maintenant je suis ici en service

Mais maintenant, je suis ici en service.

Oui, oui, qui rêvait alors en classe

Quand nous avons appris à réciter sur vos murs Jérusalem

J'ai placé des gardiens

Qu'un jour vienne et je serai l'un d'eux

Qu'un jour vienne et je serai l'un d'eux

Qu'un jour vienne et je serai l'un d'entre eux.

 

Je me tiens sur le mur

Debout à l'écoute des voix

Les voix du marché et l'agitation

Appels et paniers de vendeurs ambulants

Voici la voix du muezzin

Voici la cloche qui sonne, mais je dois écouter

S'il n'y a pas d'explosif, de grenade

S'il n'y a pas d'explosif, de grenade.

Oui, oui, qui a rêvé …

 

Je me tiens sur le mur

Frissonnant et regardant ici, il faisait déjà chaud

Garde la nuit loin de la nuit de pleine lune

Lavage des murs et des portes le jour venu

Nous n'aurons plus besoin de gardes

Nous n'aurons plus besoin de gardes.

Oui, oui, qui a rêvé ...

 

אני עומד על החומה

עומד בגשם לבדי וכל העיר העתיקה

מונחת לי על כף ידי אני מביט בה מאוהב

אני עולה לכאן תמיד סתם להביט

אבל עכשיו אני נמצא כאן בתפקיד

אבל עכשיו אני נמצא כאן בתפקיד.

 

כן, כן, מי חלם אז בכיתה

כשלמדנו לדקלם על חומותייך ירושלים

הפקדתי שומרים

שיום יגיע ואהיה אחד מהם

שיום יגיע ואהיה אחד מהם

שיום יגיע ואהיה אחד מהם.

 

אני עומד על החומה

עומד מקשיב אל הקולות

קולות השוק והמהומה

קריאות רוכלים ועגלות

הנה הוא קול המואזין

הנה דינדון הפעמון אבל עלי להאזין

אם אין שום נפץ של רימון

אם אין שום נפץ של רימון.

 

כן, כן, מי חלם...

 

אני עומד על החומה

רועד מקור ומסתכל הנה שקעה כבר החמה

שומר מלילה מה מליל אור הירח במלואו

שוטף חומות ושערים מתי יבוא היום שבו

לא נזדקק עוד לשומרים

לא נזדקק עוד לשומרים.

 

כן, כן, מי חלם...

 

LIENS

La version originale de Lahakat Pikoud Merkaz :

https://www.youtube.com/watch?v=pS2rl8q3epg

 

Version plus récente illustrée d’images de la Guere des Six Jours:

https://www.youtube.com/watch?v=j6dmnoXGbGA

 

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“Les Shtisel sur mon balcon” : La culture israélienne et le monde juif ‘harédi, Pierre Lurçat

January 7 2021, 14:24pm

Posted by Pierre Lurcat

 

La troisième saison de “Shtisel” n’a pas déçu les attentes des spectateurs israéliens : elle est aussi riche, émouvante et drôle que les deux précédentes. Mais au-delà des qualités intrinsèques qui expliquent en grande partie son succès, il y a sans doute une autre raison, moins évidente, qui permet de comprendre pourquoi des dizaines de millions de personnes, en Israël et dans le monde, suivent avec intérêt l’histoire de cette famille d’un quartier juif orthodoxe de Jérusalem. Pendant des décennies, en effet, la culture israélienne a regardé le monde ‘harédi avec un regard ambivalent, empreint de curiosité à laquelle se mêlait une dose variable, mais toujours présente, de mépris et d’aliénation. 

 

 

Paradoxalement, l’attitude des “premiers Israéliens” - partageant pour beaucoup d’entre eux les valeurs du sionisme laïc et anti-religieux - envers leurs frères juifs orthodoxes était sans doute plus proche que celle des Israéliens aujourd’hui. Après tout, pour la majorité des Juifs venus d’Europe centrale et orientale, le monde ‘harédi était celui de leur enfance. Les sionistes russes notamment, avaient souvent grandi dans le Shtetl et été éduqués au ‘héder, parfois à la yeshiva, et leur rejet de l’orthodoxie juive s’accompagnait d’une connaissance intime de ses codes culturels et de ses règles. Cela transparaît bien dans le beau livre de souvenirs de l’ancien président d’Israël, Zalman Shazar (Rubashov), Etoiles du matin (2), comme chez d’autres écrivains israéliens (comme S.J. Agnon, pour n’en citer qu’un). 


Quand Shazar évoque la bibliothèque de son père - qui avait grandi dans un foyer hassidique Habad - les “melamdim” (enseignants) de sa ville natale, ou les prédicateurs qui venaient le jour de Kippour à la synagogue, il parle de lui. La sympathie qui transparaît à travers chaque ligne du livre n’exprime pas seulement la nostalgie d’un monde disparu, elle est aussi celle de l’auteur pour une partie de son être intime. A de nombreux égards, Zalman Shazar, qui avait quitté la tradition pour devenir un militant sioniste socialiste dans sa jeunesse, avait gardé, jusqu’à son dernier jour, l’âme d’un Hassid (2). Cela est vrai aussi, à un degré variable, de la plupart des écrivains et des dirigeants sionistes laïcs de la génération de Shazar. Le monde juif traditionnel d’Europe - et même celui des yeshivot pour certains d’entre eux - leur était familier, même s’ils en avaient rejeté le mode de vie, et cela explique en partie l’attitude conciliante de David Ben Gourion envers les Juifs ‘harédim lors du débat sur l’éducation publique ou sur l’exemption de service militaire dans les années 1950. 



 

Le président Shazar et le Rabbi de Loubavitch



 

L’attitude de l’establishment politique et culturel israélien a bien évolué depuis lors. L’écart grandissant qui s’est creusé au fil des décennies entre la population juive ultra-orthodoxe et le reste des Israéliens tient non seulement à la différence des modes de vie (3) mais aussi, et surtout, à la manière négative (et souvent hostile) dont les Juifs ‘harédim sont décrits dans les grands médias, mais aussi dans la production culturelle israélienne. Trop d’artistes, de cinéastes ou de journalistes israéliens prennent encore un malin plaisir à décrire le judaïsme orthodoxe et ses symboles comme s’il s’agissait d’une autre planète, avec une attitude faite d’ignorance et d’hostilité, qui confine parfois à la fameuse “haine de soi juive” analysée par Theodor Lessing il y a près d’un siècle (4).

 

Tournage de la saison 3 sur mon balcon à Jérusalem

 

“Shtisel” rompt avec cette attitude et retrouve la proximité envers le judaïsme de la Torah de la génération de 1948. Les histoires qu’il raconte sont certes universelles, mais elles sont aussi propres au monde ‘harédi. Les personnages sont décrits sans aucune condescendance, non pas comme des êtres exotiques vivant selon des normes bizarres mais comme vous et moi. “Shtisel” réussit à nous faire vivre au milieu d’un monde qui nous paraissait étranger et à le rendre proche et sympathique au spectateur, israélien ou non, Juif ou non. Cette série nous apprend plus sur le judaïsme ‘harédi que bien des livres savants. Rien que pour cela, Shtisel mérite amplement le succès qu’il connaît. 

P. Lurçat

 

NB Mon nouveau livre, “Vis et Ris”, vient de paraître et est disponible en France sur Amazon, et en Israël en commande auprès de l’auteur : pierre.lurcat@gmail.com

“Une petite lumière chasse beaucoup d’obscurité”. Cet adage des Juifs hassidim de Habad me semblait alors, pendant les longues journées que je passai au chevet de ma mère, résumer parfaitement le secret de sa vie et de ses multiples combats, personnels, professionnels et intellectuels. Elle était née à Jérusalem, avait grandi et vécu à Paris, où elle avait passé toute son existence adulte. Elle s’était battue pour ses idées, pour son statut de chercheur indépendant au CNRS et pour le droit de mener ses recherches en solitaire, loin des foules, des modes, des idéologies et des crédits de recherche. “Hors des sentiers battus”, selon l’expression qu’elle affectionnait particulièrement. Elle avait lutté, farouche et ombrageuse, contre ses patrons de labo - ces “mandarins” de la psychologie contre lesquels elle avait défendu becs et ongles, aux côtés de son mari, une autre idée de la recherche scientifique, plus exigeante et plus austère. Elle avait lutté contre les gardiens de Drancy, contre les dirigeants du Parti, qui n’appréciaient guère son esprit rebelle et la soupçonnaient d’accointances “sionistes“ ; son frère n’était-il pas lieutenant-colonel de l’armée israélienne, comme elle l’avait déclaré sur un questionnaire officiel du Mouvement de la Paix, à Prague , en pleine période des procès antijuifs, avec une témérité qui frôlait l’inconscience? Elle s’était toute sa vie battue contre les partis, les institutions et les idéologies, restant jusqu’à son dernier jour un esprit libre et rebelle. Oui, ma mère avait gardé, toute sa vie durant, quelque chose d’étranger et d’insaisissable qui faisait d’elle une personne inclassable, fière et rétive”.

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(1) Dont une traduction partielle - et talentueuse, due à Guy Deutsch - est parue en 1966 en français, aux éditions Albin Michel.

(2) Voir sur ce sujet l’évocation par Shazar de son grand-père dans son livre Etoiles du matin, et aussi sur le site https://www.loubavitch.fr/bibliotheque/recit-hassidiques/1584-zalman-shazar-et-les-quatre-mouvements

(3) Laquelle s’est pourtant amoindrie ces dernières années, avec l’entrée massive des femmes orthodoxes dans le monde du travail et la création d’unités ‘harédi au sein de Tsahal.

(4) Théodore Lessing, La haine de soi. Le refus d'être juif, Berg International 2001.

 

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Hommage à Ivry Gitlis, par Judith Assouly

December 25 2020, 09:21am

Posted by Judith Assouly

 

Hommage à Ivry Gitlis, par Judith Assouly

 

 

Musicien de génie, homme exceptionnel, d’un humour et d’une originalité incroyables, racontant des histoires sans fin, jouant avec les mots, toujours étonné par la vie, la musique... J’ai eu la chance de le rencontrer en 1985 à Lunéville où il était venu donner un concert pour le bicentenaire de la synagogue…Puis à plusieurs occasions, chacune représentant un moment précieux. 

 

Ivry Gitlis est né à Haïfa le 25 août 1922 et a eu son premier violon à l’âge de 5 ans. Il dit lui-même qu’il est exilé…(1) Comme il le raconte dans cette interview, il s’appelait Itzhak (celui qui rira) et s’est donné le prénom d’Ivry pendant la guerre. Il voulait garder les mêmes initiales et avoir un nom hébreu, d’où Ivry. Dès son enfance, il a entendu et rencontré les plus grands artistes de l’époque. A étudié avec Jacques Thibaud, Georges Enesco. Il a bien connu Yehudi Menuhin. 

 

Remarqué et encouragé par Huberman (le fondateur de l’orchestre de Palestine), il a étudié en Europe, notamment à Paris dans les années 30, puis y est revenu peu de temps après la guerre, à Paris et à Londres, où il a joué avec l’orchestre philharmonique. Dans les années 1950, il se rend aux Etats-Unis. En 1963 il est le premier violoniste israélien à jouer en Union Soviétique. Gitlis est le premier musicien israélien qui a fait une carrière internationale. On le voit ici dans le premier concerto pour violon de Tchaikovsky  

Gitlis 76-E

Avec Martha Argerich, 1976

 

Grand ami et complice de la pianiste Martha Argerich,il se produit régulièrement avec elle. Il contribue aussi à rendre populaire la musique classique, notamment par ses passages à la télévision. Il a même joué avec Lennon et Keith Richards. Musicien au répertoire classique, on l’entend aussi dans la musique tzigane, ou dans le jazz. Israël a rendu hommage à Ivry Gitlis il y a deux ans. Israël a toujours été dans son cœur.

 

Si vous voulez mieux connaître la vie et la personnalité d’Ivry Gitlis, lisez L’âme et la corde paru en 2013.” Il faut jouer comme si c’était pour vous une question de vie ou de mort”,  écrivait-il. Que son souvenir soit bénédiction! 

Judith Assouly


(1) Dans une émission sur France- Culture, interrogé par Frédéric Taddei, Ivry Gitlis rappelle que le nom de “Palestine” a été donné par les Romains pour effacer celui de Judée…

Retrouvez l’émission que Judith Assouly et Pierre Lurçat lui ont consacrée sur Radio Qualita il y a un an, ici https://www.studioqualita.com/single-post/2019/09/13/culturasion-7-de-moshe-katz-%C3%A0-ivry-gitlis?fb_comment_id=1705593472859703_1716856001733450

 

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Naomi Shemer (1930-2004), 16 ans déjà! *

June 30 2020, 19:00pm

Posted by Judith Assouly et Pierre Lurçat


 

Naomi Shemer, 16 ans déjà!

 

Qui ne connaît pas le nom de Naomi Shemer? * Sa chanson “Yeroushalayim shel zahav”, interprétée par Shuli Nathan, est devenue quasiment un second hymne national et c’est sans doute la chanson israélienne la plus connue aujourd’hui. Elle a été reprise et adaptée par les plus grands chanteurs, en Israël (comme Ofra Haza) et ailleurs (ici Rika Zaraï). 

 

Mais qui était Naomi Shemer? Un spectacle musical, Simané Derekh, produit par le théâtre Habima et qu’on a pu voir récemment dans les grandes villes israéliennes, retrace son parcours. Née à Kinneret en 1930, elle entame l’étude du piano à l’âge de 6 ans. Elle repousse son service militaire pour aller étudier la musique au conservatoire de Tel-Aviv et à l’Académie Rubin de Jérusalem.

 


 

Sa carrière musicale s’étend sur près de cinquante ans, jusqu’à sa mort en 2004. On lui doit plusieurs des chansons les plus connues et les plus belles du répertoire israélien, parmi lesquelles Lu Yehi (écrite pendant la guerre du Kippour) qu’on entend ici interprétée par Hava Halberstein, peu de temps après sa création.

 

Au-delà de sa place incontestée dans le Panthéon de la chanson israélienne, et derrière l’image d’unanimité qu’elle semble réunir autour d’elle, Naomi Shemer a pourtant fait l’objet d’une polémique aussi vaine que futile, liée précisément à sa chanson la plus fameuse, Yeroushalayim shel zahav.

 

 

On lui a en effet reproché d’avoir donné une vision partisane de Jérusalem, en parlant de la “place du marché vide” comme s’il n’y avait pas d’habitants arabes à Jérusalem…

 

Cette polémique appelle deux remarques. Tout d’abord il n’est pas anodin que l’auteur de ce reproche ait été une autre icône de la culture israélienne, l’écrivain Amos Oz, dont l’itinéraire intellectuel et politique s’apparente à une remise en question de tout l’ethos sioniste, comme je l’ai écrit ici. (1)

 

Deuxièmement, Naomi Shemer, tout en s’engageant politiquement, n’a jamais prétendu être une artiste engagée et elle a souffert de cette polémique. 

Rappelons nous donc de l’immense artiste, et écoutons là interpréter une de ses chansons immortelles http://www.israelseder.org/?p=321

Pierre Lurçat

(1) Voir  http://vudejerusalem.over-blog.com/2018/12/quand-amos-oz-s-appelait-encore-amos-klausner-une-histoire-de-des-amour-et-de-tenebres-pierre-lurcat.html

* Extrait de l’émission que Judith Assouly et moi avons consacrée à Naomi Shemer sur Studio Qualita. https://www.studioqualita.com/single-post/2019/08/02/CulturaSion%E2%80%99-4---Naomi-Shemer-%E2%80%9CIsha-Ovedet%E2%80%9D-%E2%80%9CHa-Halonot-hagevohim%E2%80%9D

 

LIENS

 

Yeroushalayim shel zahav, Shuli Natan 

 https://www.youtube.com/watch?v=mjmMllp8hJg

Yeroushalayim interpétée par Rika Zarai 

https://www.youtube.com/watch?v=WlRB4hVFYMM

Lu Yehi interprété par hava Alberstein 

https://www.dailymotion.com/video/x6udil

Naomi Shemer chante au bord du Kinneret 

http://www.israelseder.org/?p=321


 

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Les femmes agunot vues par une série israélienne

December 10 2019, 10:38am

Posted by Pierre Lurçat et Judith Assouly

 

De nos jours, des centaines de femmes de par le monde sont concernées par le problème des ‘agounot. Il peut aussi bien s’agir de femmes auxquelles le mari refuse la délivrance du Guett (acte de divorce religieux), que de maris présumés décédés et dont la mort n’est pas avérée au regard du droit rabbinique : maris disparus ou absents.

 

La série israélienne “Metir Agounot” aborde cette question douloureuse sous un angle original et intéressant, à travers le personnage d’un rabbin-enquêteur interprété par l’acteur israélien Aviv Allouche, qu’on avait pu admirer dans “LiHyot Ita”. Cette série originale fait découvrir le monde du Beth Din rabbani et des lois sur les Agounot, de manière à la fois captivante (comme un film policier) et instructive

 

Dans un contexte politique où les clivages entre Israéliens religieux et laïcs sont souvent attisés par certains partis politiques, c’est un effort louable pour faire connaître le monde religieux…

 

Voir l’émission Culturasion consacrée à cette série israélienne : 

https://www.youtube.com/watch?v=De9vkx0Dqos&t=21s

 

Pour en savoir plus sur la question des femmes Agounot : 

https://presses-universitaires.univ-amu.fr/agounot-femmes-entravees

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Matti Caspi, l'artiste aux mille chansons, Pierre Itshak Lurçat

November 29 2019, 10:13am

Posted by Pierre Lurçat

Matti Caspi, l'artiste aux mille chansons, Pierre Itshak Lurçat

Matti Caspi, musique israélienne

A Judith

Matti Caspi, qui fêtera ses 70 ans ce shabbat, fait partie du paysage musical israélien depuis plus de quarante ans. Ses premiers albums sont sortis dans les années 1970 et son dernier album date de 2017. De l'avis de la plupart des critiques, mais aussi du public, Matti Caspi est un des plus grands auteurs-compositeurs et interprètes de sa génération, et sa contribution à la chanson israélienne est immense. Portrait d'un artiste talentueux et exigeant.

 

Caspi est né en 1949 au kibboutz 'Hanita, en Galilée. Tout jeune, il apprend à jouer de la flûte, de la mandoline et de l'harmonica, puis étudie le piano au conservatoire de Nahariya, après que son père soit parvenu – au prix de nombreux efforts – à convaincre le kibboutz de faire l'acquisition d'un piano... Il effectue son service militaire dans la troupe "Lahakat Pikoud Darom". Pendant la guerre de Kippour, il chante aux côtés de Leonard Cohen devant les soldats de Tsahal, dans le Sinaï. Sa carrière musicale prend son envol au milieu des années 1970. Il sort son premier album en 1974, sur l'encouragement d'Arik Einstein. Son deuxième album, intitulé tout simplement "Matti Caspi" et sorti en 1976, a été élu en 2008 album le plus important des années 1970, et la plupart de ses titres sont devenus des classiques (Ir AtsouvaBrit Olam...).

 

Au cours de sa longue carrière musicale – qui n'est pas encore terminée – Matti Caspi a écrit près de 1000 chansons (!) et a composé, chanté et collaboré avec de nombreux autres artistes, comme par exemple Shlomo Gronich (avec qui il a sorti son premier disque en 1970), mais aussi Riki Gal, Yardena Arazi, Arik Sinaï, Gali Atari, Chava Alberstein ou Boaz Sharabi, pour lesquels il a composé de très nombreuses chansons. Son dernier album comprend une chanson interprétée en duo avec Yehudit Ravitz, avec qui il a collaboré il y a déjà longtemps. Mais l'artiste avec lequel Caspi a entretenu les liens les plus étroits est le célèbre chansonnier Ehoud Manor, disparu il y a quatre ans. Le titre du dernier album de Caspi est un hommage à Manor : c'est celui-ci, en effet, qui avait surnommé Caspi son "âme sœur"...

 

Un retour aux sources

 

matti caspi,musique israélienneCet album est ainsi – dans une large mesure – un "retour aux sources" pour Caspi, tant par son style musical, que par le fait que les paroles de toutes les chansons sont écrites par Ehoud Manor, qui avait déjà écrit celles des premiers albums de Caspi, il y a presque quarante ans. On y retrouve la variété des genres et des sources d'inspiration caractéristique de son style musical. Celles-ci englobent à la fois la chanson hébraïque traditionnelle, la musique brésilienne (qu'il affectionne particulièrement), le jazz, mais aussi la musique classique et la musique tzigane, avec laquelle il a un lien familial (son grand-père était originaire de Roumanie).

 

Comme beaucoup d'artistes, Caspi entretient des rapports ambivalents avec les médias. Récemment encore, il déclarait ne pas lire les journaux depuis plus de 20 ans, ce qui est un exploit pour quelqu'un qui vit en Israël ! En réalité, Caspi a beaucoup souffert des atteintes à sa vie privée dans les journaux, et il s'est souvent exprimé en termes très durs (et parfois justifiés) contre les médias. Il a vécu plusieurs années aux Etats-Unis et au Canada, et sa décision de quitter le pays était liée à des raisons personnelles et familiales, après son divorce mouvementé. Mais il est revenu en Israël en 1997 et a été accueilli chaleureusement par le public (sa première apparition publique après son retour a fait l'objet d'un album).

 

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En 2000, il a sorti son album "Duettim", composé comme son nom l'indique de duos avec des artistes aussi divers et fameux que Rami Klingstein, Shoshana Damari ou Ety Ankri. Un autre sujet sur lequel Matti Caspi ne mâche pas ses mots est celui de l'évolution de la musique en Israël, et en particulier du développement des programmes TV comme "Ko'hav Nolad". Il connaît bien le sujet, puisqu'il faisait partie du jury lors de la première saison de l'émission à succès, qu'il a ensuite quittée. Avec le recul, il ne la considère pas tant comme une "pépinière" de futurs chanteurs que comme un phénomène purement commercial.

 

Un chanteur à l'image d'Israël

 

Matti Caspi appartient à la génération des chanteurs nés avec l'Etat, et son œuvre musicale est à l'image de notre pays : variée, prolixe, talentueuse et sensible. Bien qu'il soit aimé du public, qui a toujours apprécié son talent, Caspi ne recherche pas la publicité et fuit les journalistes. Il n'est pas à proprement parler un "chanteur populaire", car il y a quelque chose en lui d'élitiste et d'exigeant, qui ne correspond pas aux normes actuelles du chanteur de variété. "Je n'ai jamais écrit de chansons pour qu'on les aime", explique-t-il sur son site officiel *.

 

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"Si je procédais ainsi, je ne serais pas ce que je suis. J'écris les chansons qui viennent du plus profond de moi, et si elles ne m'émeuvent pas, alors je prefère les oublier. S'il y a deux autres personnes que cela émeut, alors cela suffit pour faire un public. Je ne veux pas décevoir mon public. Je ne peux pas écrire subitement quelque chose que tout le monde aimera, en utilisant seulement mon talent et pas mon inspiration". 

La multiplication des "jeunes talents" (qui ne sont pas toujours si talentueux que ça...) et l'inflation qui caractérise le paysage musical actuel en Israël font parfois oublier les grands classiques, ceux qui ont écrit, composé et interprété les plus grands titres de la chanson israélienne. Mais en replaçant les choses dans la perspective de l'histoire musicale israélienne, on est obligé de constater que Matti Caspi, tout comme Arik Einstein, Ehoud Manor, Yehudit Ravitz et tant d'autres, restent inégalés et irremplaçables. Mazal tov Matti, et Ad Mea VeEssrim!

 

www.matticaspi.co.il.

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Aujourd'hui dans CulturaSion’ #9 : Le musée d’art moderne de Tel Aviv

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