Diplomatie française vs Israël : quelle objectivité ? Pierre Lurçat au micro d’Ilana Ferhadia
J'étais l'invité d'Ilana Ferhadian vendredi pour commenter l'actualité israélienne et son traitement dans les médias français.
Le blog de Pierre Lurçat, écrivain et traducteur. L'actualité vue de Jérusalem, avec un accent particulier sur l'histoire d'Israël et du sionisme.
J'étais l'invité d'Ilana Ferhadian vendredi pour commenter l'actualité israélienne et son traitement dans les médias français.
L’article publié la semaine dernière sur le site de France Culture et signé Christian Chesnot, intitulé « La bande de Gaza emmurée, les Palestiniens occultés », apporte des éléments de réponse à une question souvent posée, au sujet de la couverture médiatique d’Israël par les médias français : celle de leur bonne foi.
Dans son travail de rectification, InfoEquitable se contente le plus souvent de rétablir la réalité des faits, sans s’interroger sur les motivations idéologiques des médias concernés et sur leur bonne foi. Parfois, cependant, il est difficile de leur accorder le bénéfice du doute.
Ainsi, quand Christian Chesnot prétend analyser la politique sécuritaire d’Israël, face aux attaques incessantes menées par le Hamas et les autres groupes djihadistes depuis la bande de Gaza, en prenant pour seul élément d’information « une photo de Menahem Kahana de l’AFP », il se livre à un exercice périlleux pour la déontologie journalistique.
Certes, « une image vaut mille mots », comme dit l’adage. Mais que dit en réalité la photo de l’AFP, intitulée « Trois soldats israéliens devant le nouveau mur qui ceinture la bande de Gaza », et surtout que ne dit-elle pas de la réalité du conflit armé entre Israël et le Hamas ?
Pour répondre à cette question, nous n’avons pas eu à chercher bien loin. La réponse figure en effet dans un autre article signé Christian Chesnot sur le même site de France Culture, et publié le 25 mai 2021.
Dans cet entretien, fort intéressant et documenté, l’interlocuteur de Christian Chesnot, Michel Goya, ancien colonel d’infanterie de marine et analyste militaire, explique notamment que « le Hamas est bloqué et ne peut pas envahir Israël ! ».
En effet, poursuit-il, « Israël est protégé par une barrière physique qui empêche les incursions terrestres et par une barrière anti-aérienne qui empêche en grande partie les frappes aériennes ». Effectivement, la barrière construite par Israël est le complément de l’infrastructure anti-aérienne (les batteries de missiles anti-missiles Patriot) déployée par l’Etat hébreu tout autour de la bande de Gaza : elle est de nature purement défensive.
Christian Chesnot le reconnaît d’ailleurs explicitement au détour d’une phrase, dans son article du 11 décembre, en expliquant qu’« après trois ans de travaux, cette barrière sécuritaire est pourvue de centaine (sic) de caméras, de radars et d’autres capteurs destinée (sic) à empêcher toute infiltration vers Israël ».
Mais cet aveu est aussitôt contredit par la suite de l’article, où il écrit notamment, citant le photographe palestinien Ammar Abd Rabbo, que « Le cliché de Menahem Kahana revêt une dimension intemporelle et universelle. Où sommes-nous ? Sur quelle planète ? « Ce qui me frappe, c’est le manque d’horizon qui est bouché, comme pour signifier qu’il n’y avait (sic) pas d’avenir pour la population palestinienne de l’autre côté du mur. » Cette dernière semble avoir disparu ».
Avec cette envolée lyrique et malgré les fautes d’orthographe, nous ne sommes plus, de toute évidence, dans le registre de l’information, mais dans celui de la littérature.
L’article développe ensuite le thème bien connu du malheur palestinien (« De l’autre côté de la barrière de béton, 2 millions de Palestiniens survivent dans un territoire de poche, miné par la pauvreté et le désespoir »), sans jamais poser la question de savoir qui est responsable de cette situation. La conclusion de cet article à charge est à l’avenant : « Pour sortir de l’enclave, les Palestiniens ne disposent que d’une seule issue au sud, celle du terminal de Rafah, qui débouche sur le territoire égyptien… Ainsi va la vie des Gazaouis, dont le quotidien est coincé entre la Méditerranée, la frontière égyptienne et le nouveau mur israélien ».
Le journaliste (et ancien otage) Christian Chesnot* est donc parfaitement informé de la nature défensive et des justifications militaires de la barrière construite par Israël autour de Gaza.
Mais il préfère néanmoins la décrire à partir d’une image – nécessairement tronquée – de la réalité, celle que lui fournit la photo de l’AFP. Photo sans contexte, qui s’adresse à l’émotion plutôt qu’à la raison.
France Culture, une fois de plus, a donné le pas à l’émotion sur la réflexion, aux clichés (photographiques et journalistiques) sur les analyses et au narratif palestinien sur l’objectivité.
* Christian Chesnot, grand-reporter à France Inter, est coauteur d’un livre intitulé Palestiniens 1948-1998, Génération Fedayin : de la lutte armée à l’autonomie (Autrement 1998).
(I): Un discours antisioniste dans «Répliques»
(II): Architecture et mise en accusation de l’Etat juif
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Image : Flickr CC BY 2.0 Rob Pierson
J’avais bien aimé le premier livre d’Eva Illouz, Pourquoi l’amour fait mal. C’était en 2012, quand elle vivait encore en Israël, avant qu’elle ne devienne directrice d’études à l’EHESS et, selon l’expression consacrée, une des “intellectuelles les plus importantes de sa génération” (1). A quel moment est-elle devenue la “grande sociologue” célèbrée par le Nouvel Observateur et d’autres médias, qui lui donnent régulièrement la parole pour commenter l’actualité? Est-ce au moment où elle a commencé à faire du dénigrement d’Israël un de ses thèmes de prédilection ? L’hypothèse demande à être vérifiée.
Quoi qu’il en soit, dans sa dernière intervention médiatique en date, intitulée “Depuis les ténèbres, qu’avons-nous appris”, Eva Illouz se montre en parfait exemple de ce qu’on pourrait appeler “l’intellectuel confiné”. Je veux parler de ces intellectuels qui ont tiré, pour leçon principale de la crise actuelle, la confirmation de l’exactitude de leurs propres idées. Ils n’ont pas retiré une virgule à leurs propos d’avant le Coronavirus, dans lequel ils ont trouvé l’occasion inespérée de faire l’auto-promotion de leur discours (2).
Le concept de “démocratie illibérale”, créé par le politiste américain Fareed Zakaria en 1997 et entré depuis dans le lexique politique contemporain, rappelle à certains égards l’ancienne distinction marxiste entre “libertés formelles” et “libertés réelles”, et le concept actuellement très en vogue de “populisme” (ou de “peuplocratie”) (3). A l’origine, “l’illibéralisme” décrit des régimes comme celui de Viktor Orban en Hongrie, ou celui du parti Droit et Justice en Pologne. Parmi ceux qui ont décrit Israël comme une “démocratie illibérale”, citons Jean-Pierre Filiu et à sa suite, Dominique Moïsi et Alexis Lacroix.
Eva Illouz a de son côté employé l’expression de “démocratie illibérale” pour qualifier Israël en 2018, dans un article publié dans Ha’aretz et repris dans Le Monde (4). Elle y écrivait notamment: “Ce qui est le plus surprenant, c’est que pour promouvoir ses politiques illibérales, Netanyahu est prêt à snober et à rejeter la plus grande partie du peuple juif, ses rabbins et intellectuels les plus reconnus...”. L’idée d’un divorce entre Israël (dirigé par la droite) et la diaspora juive américaine (largement acquise au parti démocrate) était alors maniée comme un épouvantail par les opposants de Nétanyahou. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et l’efficacité de la politique israélienne dans la crise du Covid-19 amène de nombreux Juifs, aux Etats-Unis et ailleurs, à envisager leur avenir en Israël.
La Cour suprême la plus puissante au monde - Jérusalem
Cela n’empêche pas Eva Illouz de continuer de parler de ‘démocratie illibérale”, en écrivant que : “Les démocraties illibérales telles qu’Israël, la Pologne, la Turquie et la Hongrie se sont servies de la crise du coronavirus pour faire croire que le Reichstag était en feu et en ont profité pour suspendre les libertés civiles et révoquer le pouvoir du parlement et des tribunaux (Netanyahou a ainsi échappé au procès qui l’attendait le 17 mars)”. Ce morceau d’anthologie appelle quelques commentaires. Tout d’abord, Israël n’a pas “suspendu les libertés civiles”, mais plus simplement confiné sa population - exactement comme l’ont fait la France et les autres “démocraties libérales” - avec une efficacité dont atteste le faible nombre de victimes du Covid-19 (un “détail” qui semble échapper à Eva Illouz).
Pourquoi Mme Illouz réserve-t-elle ses critiques aux seules “démocraties illibérales” et surtout à Israël, alors que les mesures adoptées en Israël sont similaires à celles adoptées (souvent avec moins de succès, en raison d’hésitations et de mauvaise gestion) dans les autres pays démocratiques? Quant à la “révocation du pouvoir du parlement et des tribunaux”, on se demande si l’auteur de ces propos est vraiment informée de ce qui se passe en Israël. Comparer Israël - où les mesures prises l’ont été sous le contrôle tatillon d’une Cour suprême, qui est sans doute la plus puissante au monde - à la Hongrie de Viktor Orban (5), qui a voté une loi d’urgence sans limite, relève dans le meilleur des cas de la malhonnêteté intellectuelle.
Déconfinez-vous, Mme Illouz!
(Photo ANTJE BERGHAEUSER. LAIF-REA)
Je ne sais pas d’où vient la détestation d’Israël qui anime Eva Illouz. Mais j’ai envie de lui dire : “déconfinez-vous!” Sortez de votre confinement intellectuel dans la tour d’ivoire de l’EHESS, pour aller à la rencontre du réel. Arrêtez d’abreuver vos lecteurs du Nouvel Obs de mensonges et d’inexactitudes concernant Israël, démocratie vivante dont bien des pays du monde, y compris celui dans lequel vous avez élu domicile, feraient bien de s’inspirer. Israël, une “démocratie illibérale”? Non : Israël, démocratie libérale, Etat juif et démocratique et lumière des nations.
Pierre Lurçat
(1) D’après le Journal du Dimanche. https://www.lejdd.fr/Culture/Livres/la-sociologue-eva-illouz-la-sexualite-est-une-marchandise-3948495
(2) Un autre exemple d’intellectuel confiné, est le philosophe italien Gorgio Agamben, sur lequel nous reviendrons.
(3) Fareed Zakaria, « The Rise of Illiberal Democracy », Foreign Affairs, no 76, novembre- décembre 1997. Voir aussi F. Zakaria, The Future of Freedom: Illiberal Democracy at Home and Abroad, New York, W.W. Norton, 2003 ; tr. fr. Daniel Roche : L’Avenir de la liberté, Paris, Odile Jacob, 2003. Cité par P.A. Taguieff, L’Islamisme et nous (Paris, CNRS Éditions, 2017), p. 234, note 143. Sur le concept de “peuplecratie”, voir le livre intéressant de Ilvo Diamanti et Marc Lazar, Peuplecratie, La métamorphose de nos démocraties, Gallimard 2019, qui observe que le “populisme est un des mots les plus confus du vocabulaire de la science politique”. Sur le "néo-populisme", lire l'ouvrage éclairant de Pierre-André Taguieff, Le nouveau national-populisme, Paris, CNRS éditions, .
A travers cette abondance de néologismes plus ou moins pertinents, on entrevoit souvent la volonté idéologique de disqualifier des adversaires politiques démocratiquement élus.
(4) Une version en ligne est aimablement fournie par le site agencemediapalestine.fr, ici.
(5) Lequel revendique l’idée de “créer un Etat illibéral”, voir https://budapestbeacon.com/full-text-of-viktor-orbans-speech-at-baile-tusnad-tusnadfurdo-of-26-july-2014/
La mise en accusation quasi-planétaire d’Israël est moins le résultat de la propagande palestino-islamiste, qu’un effet du fonctionnement du système médiatique. La condamnation unanime d’Israël, indépendamment de toute analyse des faits, témoigne d’abord du mode de formation et de diffusion de l’information journalistique…
Pierre-André Taguieff, Israël et la question juive
Grâce à Genet, nous avons compris… ce qu’était un événement, nous avons compris qu’un événement était tout le contraire d’un fait, nous avons compris que pour qu’un événement soit, il suppose de porter en lui une dimension métaphysique - il doit, comme phénomène, toucher à l’essence de ce qu’il représente.
Eric Marty, Bref séjour à Jérusalem
Lors d’une récente soirée musicale et poétique donnée à Jérusalem par le journaliste français Patrick Poivre d’Arvor, ce dernier a proclamé son “amitié” pour les Juifs, avant de lancer, au détour d’une phrase, une accusation sans appel contre Israël, qui selon lui “humilierait” les Palestiniens, au lieu de poursuivre dans la voie du “dialogue”... La tentative d’un membre du public pour lui répondre fut vite étouffée par le modérateur du débat, qui préféra ne pas froisser cet hôte de marque, en rétablissant la vérité des faits.
Pour comprendre les raisons profondes du mensonge des médias français et de leurs acteurs (fussent-ils les mieux intentionnés) sur Israël, je propose de recourir à la distinction capitale établie par le professeur de littérature Eric Marty, entre le fait et l’événement. “Tout le contraire d’un fait” - cette définition de l’événement, citée en exergue au présent article, s’applique parfaitement au récit médiatique du conflit israélo-arabe, dans lequel les faits sont constamment déformés, mutilés, obscurcis ou escamotés. Mais il ne s’agit pas tant d’une volonté délibérée de tromper (qui existe parfois), que d’une conséquence presque inévitable de la posture, ou de ce que Pierre-André Taguieff appelle le “système médiatique”.
Les médias “mentent comme ils respirent” : Charles Enderlin à Jérusalem
Comme l’écrit Eric Marty à un autre endroit, “la déformation, la désinformation sont pratiquement totales, aussi naturelles aux médias français que le fait de respirer”. Ainsi, les médias, selon Eric Marty, “mentent comme ils respirent” à propos d’Israël... Pourquoi? Parce que les médias ne se préoccupent guère des faits. lls cherchent - ou plutôt ils créent - des événements, c’est-à-dire des faits qui rentrent dans leur grille de lecture. Tout fait qui n’entre pas dans leur grille de lecture, qui ne lui correspond pas, ou qui la contredit, est évacué, éliminé, ou encore transformé et travesti pour lui correspondre.
Ainsi, au lendemain de l’assassinat à Hébron par un sniper palestinien de la petite Shalhevet Pass, bébé juif âgée d’à peine 1 an, le 26 mars 2001, la journaliste Catherine Dupeyron publiait dans le quotidien français Le Monde un article intitulé “Obsèques de la haine à Hébron pour la petite Shalhevet Pas”. La haine, comme on le comprenait en lisant l’article, n’était pas celle, bien avérée, des Palestiniens tueurs d’enfants juifs, mais celle, tout à fait imaginaire et supputée, des habitants juifs de Hébron, la ville des Patriarches, que la correspondante du Monde décrivait ainsi : “ville qui compte dix mille Palestiniens et près de quatre cent cinquante juifs radicaux”.
Enterrement de la petite Shalhevet H.y.d.
Dans cet exemple, l’assassinat délibéré de la petite Shalhevet Pass était ainsi éliminé, pour faire place à l’événement que constituait, aux yeux du journal Le Monde, les “obsèques de la haine” ou les “appels à la vengeance” des Juifs de Hébron. L’événement, comme dit Marty de manière lapidaire et saisissante, est “le contraire d’un fait”. Dans les faits, un sniper palestinien tue un bébé juif israélien. Mais ce fait, apparemment limpide dans sa cruauté et sa barbarie, donne lieu pour les médias à la création d’un événement contraire, qui est le prétendu appel à la haine des Israéliens.
Bien entendu, on pourrait offrir une lecture moins radicale du travail médiatique que celle de Marty, en expliquant que les médias choisissent et sélectionnent les “faits”. Selon cette autre lecture, l’événement serait simplement un fait choisi et privilégié par les médias, et non plus le contraire d’un fait. Ainsi, entre le fait de l’assassinat du bébé juif, et le fait des appels à la vengeance, ils donneraient la préférence au second, qui cadre mieux avec leur grille de lecture.
Mais une telle description est bien en-deça de la réalité, comme le montre l’analyse d’Eric Marty à propos de Sabra et Chatila. Dans la relation médiatique de cet événement, il ne s’agit plus seulement de choisir et de sélectionner certains faits, mais aussi et surtout d’ériger certains faits en événements, ou plutôt de créer des événements, qui n’ont qu’un rapport lointain - le plus souvent d’inversion et de négation - avec les faits (1).
Le mythe de Sabra et Chatila
Ainsi, le fait de l’assassinat de Palestiniens par des phalangistes chrétiens est devenu un événement mythique, dans lequel Ariel Sharon, Tsahal, Israël, voire “les Juifs” sont les coupables... L’événement Sabra et Chatila, selon cette analyse, est bien le contraire des faits qui s’y sont déroulés. Mais cette nouvelle définition de l’événement médiatique est incomplète : “pour qu’un événement soit”, poursuit en effet Marty, “il suppose de porter en lui une dimension métaphysique”. Cette “dimension métaphysique” de l’événement est particulièrement saisissante dans le cas de Sabra et Chatila, où le massacre des Palestiniens par des phalangistes chrétiens est devenu un acte d’accusation contre… les Juifs.
Jean Genet en visite dans un camp palestinien à Amman
Pour comprendre plus précisément cette dimension métaphysique de l’événement Sabra et Chatila, Eric Marty nous invite à lire ce qu’il appelle la “phrase primordiale et majeure” de Jean Genet, tirée de son livre Un captif amoureux : “Si elle ne se fût battue contre le peuple qui me paraissait le plus ténébreux, celui dont l’origine se voulait à l’Origine, qui proclamait avoir été et vouloir demeurer l’Origine… la révolution palestinienne m’eût-elle, avec tant de force, attiré?” Cette phrase, effectivement, est capitale, parce qu’elle donne la clé de compréhension non seulement de l’engagement de Jean Genet, qui se livre avec sincérité et lucidité, mais aussi de celui de très nombreux autres militants de la “cause palestinienne”... En ce sens, on a pu dire que la “chance” des Palestiniens était d’avoir pour adversaires les Juifs...
C’est à la lueur de cette affirmation capitale de Genet, qu’on comprend aussi la dimension métaphysique et mythique de Sabra et Chatila, et au-delà de cet événement, du conflit israélo-arabe dans sa totalité. L’événement Sabra et Chatila - comme celui de la Nakba, comme l’événement Deir Yassin et comme tant d’autres événements du même acabit - ne sont en effet que les maillons d’une même chaîne ininterrompue, qui remonte à la nuit des temps (c’est précisément la définition du mythe, qui renvoie presque toujours aux origines). C’est toujours le même spectacle qui est ainsi rejoué indéfiniment, et chaque partie est toujours assignée au même rôle (2) : le Juif est toujours assigné à son rôle d’assassin (assassin du Christ pour les chrétiens, assassin des prophètes pour les musulmans, assassin des Palestiniens pour le téléspectateur contemporain) et les "Palestiniens" sont toujours d'innocentes victimes, "humiliées" par Israël, selon l'expression de PPDA.
Pierre Lurçat
(1) Sur le rapport entre faits et événements dans les médias, voir aussi l’analyse éclairante de Neil Postman dans son livre récemment traduit en français, Technopoly, édition L’échappée.
(2) Comme me l’avait expliqué le regretté Haim Azses dans son séminaire sur la désinformation donné à Paris lors de la Première Intifada, il y a plus de 30 ans.
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Mon cours sur “Les mythes de l’antisionisme”, donné dans le cadre de l’Université populaire du judaïsme fondée par Shmuel Trigano, est en ligne sur Akadem.