Dans un article publié il y a une vingtaine d’années[1], le sociologue Shmuel Trigano analysait ce qu’il qualifiait de “signe juif de la politique française”, défini comme l’utilisation de la Shoah et du signe juif en général, à des fins politiques et politiciennes. “L'invocation répétée de la Shoah, source de moralisation universelle”, expliquait-il, “a contribué à la naissance d'un nouveau sacré qui a conféré au signe juif une valeur éthique absolue. Simultanément, la citoyenneté du juif français s'est vue construite comme modèle de l'intégration républicaine (I'envers de Vichy) offert en exemple aux immigrés : le signe juif, symbole de la République. Ces deux figures sont nées sans doute en écho au refoulé de l'Occupation dans la mémoire collective et à I'inquiétude née d'une immigration massive”.
Vingt ans plus tard, cette analyse n’a pas pris une ride. Au contraire : les récentes déclarations du président-candidat Emmanuel Macron sur Vichy et les Juifs ou celles sur les “Juifs d’Orient” (titre d’une exposition qu’il a récemment inaugurée à l’Institut du Monde arabe) et les polémiques permanentes autour de propos du candidat Eric Zemmour sur les mêmes sujets montrent que le “signe juif” est, une fois de plus, un élément central de la politique française, placé au cœur de la campagne pour l’élection présidentielle.
Paradoxalement, comme le constatait Trigano à l’époque, ce “signe juif” ne coïncide pas nécessairement avec la condition vécue des Juifs. L’expérience des vingt dernières années montre qu’il ne coïncide pas du tout avec elle… Au contraire, on pourrait dire - et c’est l’hypothèse que nous voudrions avancer ici - que l’utilisation du signe juif est d’autant plus marquée et flagrante que leur condition réelle se dégrade. Ou, pour dire les choses en d’autres termes, plus le “Juif réel” devient persona non grata dans la France d’aujourd’hui, plus son double symbolique est omniprésent et célébré dans le discours politique et médiatique.
Ainsi, alors que le “Nouvel antisémitisme” connaît un pic jamais atteint et que des Français de confession juive sont - pour la première fois depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale - assassinés en France parce qu’ils sont Juifs (Sébastien Sellam, Ilan Halimi, Mireille Knoll, Sarah Halimi, etc.), le président Emmanuel Macron célèbre, en inaugurant l’exposition sur “Les Juifs d’Orient” à l’institut du Monde arabe, le “vivre ensemble” (expression calquée de l’espagnol convivencia, terme qui a été utilisé pour décrire la soi-disant “coexistence judéo-musulmane” dans l’Espagne sous domination de l’islam[2]), l’hospitalité (en terre d’islam), les “influences mutuelles”, etc. Autant de thèmes idéologiques qui doivent permettre de réaffirmer son credo politique de la “France plurielle”, à la veille de l’élection présidentielle.
Dans ce discours politique et idéologique, les Juifs sont doublement mobilisés par le président Macron. Ils le sont à titre de “Juifs modèles”, représentants de la “communauté juive”, comme lorsque le grand-rabbin Haïm Korsia se tient aux côtés d’Emmanuel Macron et de Jack Lang pour apporter son tampon de "cacherout républicaine” à l’exposition de l’Institut du monde arabe. Et ils le sont en tant que “Juifs symboliques”, quand Macron célèbre le “peuple juif, mémoire de l’humanité”, expression qui tend à reléguer l’histoire juive concrète dans un passé immémorial. Ce discours enjoliveur a pour fonction de mobiliser le signe juif, en célébrant un passé juif idéalisé, tout en faisant oublier la condition terrible des Juifs réels dans la France actuelle.
De même, lorsqu’Emmanuel Macron se tient, entouré de Serge et de Béate Klarsfeld, devant la stèle en mémoire des déportés juifs à Vichy, pour effectuer “un double geste mémoriel” selon l’expression de certains médias, il mobilise là encore le “signe juif” à des fins politiques et politiciennes (pour contrer la campagne d’Eric Zemmour, comme l’explique Le Monde). Dans les deux cas, les "Juifs modèles" que sont les époux Klarsfeld ou le rabbin Korsia servent non seulement de faire valoir au président de la République candidat à sa réélection, mais ils servent aussi de "témoins" de moralité, au service d'une entreprise de récupération politique de l'histoire et de négation de la réalité de la condition juive.
Que cette utilisation du "signe juif" ait commencé à l'époque du Président François Mitterrand n'est évidemment pas fortuit. Celui-ci était en effet l'homme politique qui a le plus exploité la présence de personnalités juives, dont il aimait à s'entourer pour jeter un voile opaque sur ses véritables intentions et motivations. Le seul président de l'histoire politique française qui était un authentique homme d'extrême droite, ancien cagoulard décoré de la Francisque, devenu "socialiste" par pur opportunisme, a pu ainsi s'acheter une réputation d'ami des Juifs qui perdure jusqu'à ce jour.
Mitterrand avec Pétain, 1942
Plus tard, Jacques Chirac a poursuivi sur cette voie, en prononçant son fameux discours du Vel d'Hiv, tout en vendant à Saddam Hussein l'arme nucléaire qui aurait pu effacer Israël de la carte, sans la décision de Menahem Bégin de détruire Osirak… l'acte bien réel et concret de la diplomatie française pro-arabe était ainsi contrebalancé, et pour ainsi dire effacé, par le geste symbolique du président Chirac, décrit jusqu'à aujourd'hui comme très philosémite.
La politique française continue aujourd'hui de se servir du signe juif, avec la coopération active des Juifs-modèles, les Klarsfeld, Attali, Jack Lang, etc. (la liste est longue), sous la présidence d'Emmanuel Macron. Au-delà même de cette duplicité fondamentale de la politique française, le signe juif a pour fonction principale de focaliser le débat public et de discréditer les adversaires du pouvoir en place, en tenant lieu d'exutoire symbolique et de cache-misère, qui dissimule tant bien que mal la réalité de la condition juive, dont la dégradation apparemment irréversible est acceptée comme un fait accompli. Les Juifs-modèles célèbrent ainsi le mensonge du "vivre ensemble", en occultant la réalité du nouveau statut des Juifs, celui de la dhimma, aujourd'hui rétablie en France.
Pierre Lurçat
Article paru sur le site Menora.info
_____________________________________________________________________
Un événement éditorial : La maison de mon père, de Golda Meir
Pierre Lurçat présente le livre au micro de Cathy Choukroun sur RADIO QUALITA
https://www.youtube.com/watch?v=T5aGrpsaHI4
Une des plus grandes dames de la scène politique israélienne…”
Ilana Ferhadian, RADIO J
https://www.youtube.com/watch?v=iiJLxxXn3-M
En 1972 paraissait en Israël le premier livre autobiographique rédigé par Golda Meir, qui était alors Premier ministre depuis plusieurs années. Ce texte, publié en français pour la première fois, couvre la partie de la vie de l’auteur qui s’étend de son enfance en Russie et de sa jeunesse en Amérique, à son séjour au kibboutz Merhavia, dans les années 1920. On y découvre, outre l’autoportrait de celle qui allait devenir la première femme Premier ministre de l’État d’Israël, la description fidèle et sans fioritures d’une génération tout entière, celle des pionniers de la Troisième Alyah (1921-1924).
La maison de mon père, traduction et présentation de Pierre Lurçat, éditions Books on Demand
Les demandes de service de presse (papier ou numérique) doivent être adressées à
Noémie Machner
+33 (0)1 53 53 14 89
presse@bod.fr
avec en copie
editionslelephant@gmail.com
[2] Voir à ce sujet S. Trigano, “La convivencia”, de la modernité à la post-modernité, Pardès no. 67.