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Le SPCJ : Protection policière ou auto-défense – Comment assurer la sécurité des Juifs en France ?

March 10 2024, 14:04pm

Posted by Pierre Lurçat

Le SPCJ : Protection policière ou auto-défense –  Comment assurer la sécurité des Juifs en France ?

En marge de la manifestation parisienne qui a connu des affrontements entre manifestants juifs et pro-Hamas, je publie un extrait de mon enquête inédite sur l’auto-défense juive en France. P.L.

 

J’ai rendez-vous avec Dan A. (nom fictif), le responsable du SCPJ (Service de protection de la communauté juive). Il me reçoit dans le local que son organisation occupe, au cœur de Paris, dans un bâtiment abritant plusieurs institutions communautaires, parmi les mieux protégés de la capitale… Le nom du SPCJ ne laisse pas de m’intriguer. Pourquoi donc y a-t-il besoin aujourd’hui d’un service de protection spécifique à la communauté juive française ? N’est-ce pas un aveu d’échec flagrant des autorités françaises à garantir l’existence pérenne des Juifs en France ? J’espère en savoir plus au terme de notre entretien.

 

Dan me parle tout d’abord de Jabotinsky – dont il sait que j’ai traduit l’autobiographie en français – et de son fameux article « La muraille d’acier », dans lequel le dirigeant sioniste, fondateur du Bétar, explique que la paix avec les Arabes ne pourra s’instaurer que le jour où ceux-ci auront renoncé à tout espoir de parvenir à détruire Israël. Il me raconte qu’il a distribué L’Histoire de ma vie de Jabotinsky aux membres de son staff, sur le conseil d’un ancien camarade du Tagar, devenu entretemps un géopoliticien très apprécié sur les plateaux de télévision.

 

Dans un coin de la pièce – un local sans fenêtre qui ressemble plus à une chambre forte d’un immeuble d’habitation israélien qu’au bureau d’une association juive parisienne très officielle – sont entreposées des caisses contenant un petit livre au titre évocateur : « Autoémancipation » de Pinsker, autre classique de la littérature sioniste. Dan m’apprend qu’il offre ce petit livre en cadeau à tous les jeunes militants juifs qui suivent la formation dispensée par le SPCJ. « Il faut leur faire lire Pinsker, Jabotinsky et les autres grands penseurs sionistes », m’explique-t-il. Il me relate ensuite l’historique du SPCJ, dont il est le jeune directeur. Comme l’explique son site Internet : « Le Service de Protection de la Communauté Juive a été créé en 1980, au lendemain de l’attentat de la rue Copernic à Paris.

 

Le SPCJ est issu d’une volonté commune du Conseil Représentatif des Institutions juives de France (CRIF), du Fonds Social Juif Unifié (FSJU) et des Consistoires, de protéger la communauté juive dans son ensemble. Ainsi, les membres du Bureau Exécutif du SPCJ sont désignés par les Institutions citées plus haut pour y siéger une fois par mois. Le Président du SPCJ est M. Eric de Rothschild. L’existence du SPCJ est essentiellement due à la menace terroriste et antisémite qui sévit depuis les années 80 ».

 

            Aux yeux du grand public, le SPCJ s'occupe essentiellement de répertorier les actes antisémites – au sujet desquels il publie un rapport circonstancié qui tient lieu de « baromètre » de l'évolution de la haine antijuive dans la France actuelle – mais ce n'est en réalité que la partie la plus visible de son activité. En fait, il s'occupe surtout de protection des édifices et lieux de culte juifs, en totale collaboration avec la police française, et aussi d'audit et de conseil en travaux de sécurité : en clair, comment faire en sorte que les synagogues et les écoles soient mieux protégées…

 

« J’ai porté les cercueils des enfants juifs de Toulouse… »

 

Après ce préambule, j’entre dans le vif du sujet et interroge mon interlocuteur sur l’horrible attentat de Toulouse en mars 2012 et ses conséquences pour les Juifs de France. Comment expliquer que l’assassin-djihadiste ait pu commettre son crime horrible sans être inquiété et n’ait pas même rencontré un sas de sécurité ou un garde à l’entrée de l’école Ozar Hatorah de Toulouse ? La réponse, me confie Dan avec franchise et sans la moindre langue de bois, tient en une phrase : « Nous n’avons pas réussi à convaincre les dirigeants de cette école d’embaucher un agent de sécurité ».

 

Aveu terrible, car même en admettant que le terroriste Mohammed Merah aurait pu abattre sans difficulté un gardien formé au contrôle des sacs à main, et pas à la lutte antiterroriste – argument que j’ai entendu souvent depuis lors – il n’en reste pas moins que la présence d’un agent de sécurité aurait pu avoir un effet de dissuasion, et que son absence doit peser lourd sur la conscience des dirigeants de la communauté juive de Toulouse, et peut-être aussi sur celle du rabbin Monsonego, dont la fille fait partie des victimes de Merah !

 

Dan confirme mon sentiment, en m’expliquant : « J’ai porté les cercueils des enfants juifs de Toulouse… Les responsables de la communauté sont venus vers moi et m’ont dit : ‘Cela fait des années que tu nous avais mis en garde, et on ne t’a pas écouté…’ » Pourtant, rencontrant quelques jours plus tard le dirigeant d’une des plus grandes organisations de la communauté juive parisienne, je n’aurai pas l’impression d’une quelconque remise en question, ou d’une volonté de tirer des leçons de cette tragédie : mais plutôt celle d’un retour à la normale, « business as usual », comme disent les Américains.

 

Nous abordons maintenant le thème de l’activité quotidienne des militants du SPCJ, en dehors des périodes de crise comme celle qui a suivi l’attentat de Toulouse : la protection des synagogues et l’entraînement sportif des volontaires. Dan m’explique qui sont les jeunes Juifs qui suivent la formation dispensée par le SPCJ. « J’ai organisé il y a quelques mois une rencontre entre les dirigeants de la communauté et les jeunes qui s’entraînent au Krav Maga… Ils ont été surpris par deux choses : voir des filles s’entraîner aux côtés des garçons, et voir des jeunes adultes, avocats ou médecins ! »

 

Il n’y a en effet pas de profil sociologique bien défini des volontaires du SPCJ, qui recrute dans tous les milieux. Curieusement, beaucoup des jeunes Juifs qui montent la garde pendant plusieurs heures chaque semaine – le shabbat et les fêtes – sont issus de familles non pratiquantes, voire très assimilées. Comme l’explique avec ironie un jeune volontaire, « c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour venir à la synagogue chaque semaine, sans jamais y mettre les pieds… »

 

Le SPCJ : une organisation communautaire avec un message sioniste

 

Aux yeux de Dan, il est évident que le SPCJ est sioniste. Il me l’explique en me montrant le petit livre de Pinsker, Auto-émancipation, offert aux jeunes volontaires à l’issue de leur formation. Pour beaucoup d’entre eux, ce sionisme se traduit par la participation à la sécurité des Juifs de France, mais certains poursuivent leur engagement en faisant leur alyah, à l’instar d’un jeune Juif de la banlieue parisienne devenue un symbole : Yohann Zerbib, tombé pendant la Deuxième Guerre du Liban à l’été 2005, qui était, m’apprend Dan, un volontaire du SPCJ. Mon interlocuteur a d’ailleurs tenu à ce que cet engagement sioniste se manifeste très concrètement, par une « prestation de serment » des jeunes volontaires, qui se déroule à la synagogue de La Victoire ou dans la crypte du Mémorial de la Shoah.

 

Le SPCJ se défend d’être un « mouvement de jeunesse », même si ses volontaires ont presque tous entre 18 et 25 ans. Une des activités développées récemment est la formation au Krav- maga dans les écoles juives, dans le cadre du programme « Massada * », qui s’adresse aux élèves âgés de 12 à 16 ans. « L’école Lucien de Hirsh nous a demandé de donner des cours de ‘Krav’ dans le cadre de l’éducation physique et sportive, gratuitement », m’explique Dan. « Nous avons immédiatement accepté ». Par la suite, d’autres écoles juives ont rejoint ce programme.

 

Pour conclure cet entretien, je lui demande comment il en est venu à travailler au SPCJ. Il me raconte qu’il a suivi des études dans un lycée parisien, dans une section littéraire, avant de partir en Israël, où il a fait son armée au sein d'une unité combattante. Il me parle aussi de son cousin, Noam Ohana, qui a raconté son parcours dans l’armée israélienne dans un livre publié en 2002, qui a connu à l’époque un certain retentissement : Journal de guerre.

 

Ohana, m’explique Dan, était élève à Sciences-Po, avant de tout quitter pour rejoindre les rangs de Tsahal. Il s’est « bagarré » avec le directeur de cette école à la réputation prestigieuse (dont le niveau actuel n’est plus celui qu’elle avait jadis), pour le convaincre de perpétuer la mémoire d’un condisciple juif, David Gritz, disparu tragiquement dans l’attentat de la cafétéria de l’université hébraïque de Jérusalem. Episode dont je me souviens parfaitement, car j’étais présent en France à l’époque et j’avais participé, comme beaucoup de Juifs parisiens, à l’enterrement de Gritz, au cimetière du Montparnasse.

Le directeur de Sciences Po, Richard Descoings, a refusé obstinément d’accéder à la demande d’Ohana. Jusqu’au jour où celui-ci, recruté entretemps par un grands Fonds d’investissement américain, partenaire de la « Sciences Po US Foundation », s’est trouvé en position de force pour négocier avec son ancien directeur… En clair, il l’a placé devant un ultimatum : si Sciences-Po ne veut pas commémorer la mémoire de David Gritz, nous cesserons notre soutien financier à l’école française ! Anecdote qui en dit long sur l’état d’esprit de certaines « élites » françaises actuelles. Je quitte le directeur du SPCJ avec l’impression que ce jeune homme ouvert et intelligent porte une lourde responsabilité sur les épaules…

P. Lurçat

Extrait de L’étoile et le poing, livre inédit, à paraître aux éditions l’éléphant.

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M
Et il en faudra du courage face à la lâcheté des élus qui de tous bords se tourne vers un électorat muzz de plus en plus important , indispensable à leur réélection !
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