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Le rav Kook, Shmuel Yosef Agnon et le “bataillon du travail”. Une histoire de Pessah, P. Lurçat

April 21 2024, 12:32pm

Posted by Pierre Lurçat

Le campement du Bataillon du travail à Rehavia, Jérusalem

Le campement du Bataillon du travail à Rehavia, Jérusalem

 

L'histoire se passe à Jérusalem, pas loin du quartier où j'habite, en 1926. Les protagonistes sont des figures bien connues de l'histoire du Yishouv: le grand rabbin de la Palestine mandataire, Abraham Itzhak Hacohen Kook, l'écrivain et futur Prix Nobel de littérature Shmuel Yosef Agnon, et les Pionniers du Gdoud HaAvoda, le fameux « bataillon du travail », d'obédience sioniste socialiste. Le rabbin Kook – qui n'était pas seulement un érudit et un géant de la pensée, mais aussi un homme d'action – se rendit auprès des dirigeants du bataillon du travail à Jérusalem (ils étaient installés dans le quartier de Rehavia, alors en pleine construction), à l’approche de Pessah, pour les convaincre de ne pas manger de ‘Hamets à Pessah. Sachant que la matsa coûtait plus cher que le pain, il leur offrit de payer la différence…

 

Le rabbin Kook fut éconduit sans le moindre égard… « Ceux d'entre nous qui souhaitent manger de la matsa se sont déjà organisés. Quant aux autres, ce qu’ils consomment est leur affaire privée ». Sans se démonter, le rabbin Kook répondit à son interlocuteur que la consommation de ‘Hamets par les ‘haloutsim.qui s'occupent d'édifier le pays, n'était pas une affaire privée, mais bien une question publique… « Cela touche au cœur de la nation juive ! » Azriel Carlebach, élève du rav Kook et futur rédacteur en chef du journal Maariv, raconte que le rabbin fut chassé manu militari.

 

L'affaire fit quelques vagues dans la presse juive de l'époque, et l'organe de l’Agoudat Israel à Vienne, Haderekh, publia un article reprochant au rabbin Kook son attitude trop conciliante envers les « apikoyer »... Mais l'histoire ne s'arrête pas là. L'année suivante, à l'approche de Pessah, les pionniers du bataillon du travail reçurent des matsot de la part de l'écrivain Shmuel Yosef Agnon, qui était leur voisin. Et l'année suivante, ils vinrent acheter des matsot de leur propre initiative.

 

Cette histoire en dit long sur le conflit entre Juifs religieux et laïcs, qui se poursuit un siècle plus tard dans des termes presque inchangés. Le rav Abraham Wasserman, qui l’a relatée dans les colonnes de Makor Rishon, ajoute une précision intéressante. Les membres du bataillon du travail n’étaient pas tous des Juifs « éclairés » et laïcs. Un d’entre eux, Eliezer Orlander, était un Juif observant, qui poussait le zèle jusqu’à porter deux paires de tefillin chaque matin. Selon Wasserman, le dirigeant du Gdoud Ha-Avoda, Itshak Sadeh lui-même, veillait à trouver un minyan pour qu’Orlander puisse prier chaque matin… Je ne sais pas si ce détail est véridique, mais il ajoute évidemment une touche très positive à cette histoire.

 

Elle me touche personnellement aussi, parce que mon grand-père, Joseph Kurtz, a fait partie du bataillon du travail, à peu près à la même époque à laquelle se déroulent les faits, à Jérusalem où ma mère est née en 1928. Mon grand-père était, à l’instar de la plupart des ‘haloutsim du bataillon du travail, un Juif libéré du joug des mitsvot. Mais l’amour d’Israël qui coulait dans ses veines a été transmis aux générations suivantes, comme en atteste le fait que deux de mes nièces vivent en Israël, où elles sont montées à leur tour, des années après moi. Hag Pessah casher vé-Saméakh!

P. Lurçat

 

Joseph Kurtz, mon grand-père, en costume bédouin

Joseph Kurtz, mon grand-père, en costume bédouin

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