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histoire d'israel

Comment la Cour suprême est devenue le premier pouvoir en Israël, Pierre Lurçat

December 20 2021, 10:34am

Posted by Pierre Lurçat

Je publie ici un extrait de ma contribution au colloque “Où va la démocratie?” organisé par Shmuel Trigano en décembre 2020. J'y analyse le processus par lequel la "Révolution constitutionnelle" menée par le juge Aharon Barak dans les années 1990 a abouti à faire de la Cour suprême le premier pouvoir en Israël. L’ensemble de l’article paraîtra dans le numéro 67 de la revue Pardès, janvier 2022.

 

Le langage du droit au service d’une oligarchie

 

La grande supercherie des tenants de la Révolution constitutionnelle consiste à parler sans cesse le langage du droit. Ils n’ont que ce mot à la bouche : l’État de droit (Shilton ha-Hok). Que veut dire au juste cette expression? Selon Naomi Levitsky, «aux yeux de Barak, les dirigeants n’ont pas de pouvoir en eux-mêmes, ils ne l’acquièrent que du peuple et de la loi. Les dirigeants sont au service du peuple dans les limites de la loi ». Mais comme toujours, il faut lire entre les lignes ce que Barak ne dit pas.

 

En réalité, le peuple n’a pas de légitimité dans la conception juridico-politique de Barak. Seule la loi est légitime. Mais encore faut-il qu’elle soit interprétée par le juge qui seul est capable de la comprendre et de la «dire » au peuple ignorant... Comme il l’explicite dans ses écrits sur le rôle du juge en démocratie, le juge ne doit pas seulement appliquer ou interpréter la loi. Il est créateur de droit... En vérité, dans la conception du droit de Barak, le juge a le dernier mot en matière d’interprétation, d’application de la loi et même en matière de législation, puisque la Cour suprême israélienne s’est arrogé le pouvoir exorbitant (qui ne lui a jamais été conféré légalement) d’annuler toute loi de la Knesset, y compris des Lois fondamentales (affaire en cours concernant la Loi sur l’État nation).

 

Aharon Barak

 

Dans une démocratie, la loi exprime la volonté populaire et la souveraineté du peuple. Dans la conception de Barak, au contraire, la loi reste l’apanage d’une minorité «éclairée », seule capable et méritoire de l’interpréter et de la comprendre. Il y a là une immense régression anti-démocratique, passée inaperçue en 1992 et dont nous voyons aujourd’hui les fruits. Ce n’est pas seulement que la loi soit devenue trop «technique», comme on l’entend souvent dire dans les pays occidentaux, c’est aussi que le peuple est par nature incapable de comprendre et de faire la loi !

 

On mesure ici combien la Loi juive, révélée par Moïse au peuple tout entier, est infiniment plus démocratique que le droit israélien réinterprété par Aharon Barak lors de la Révolution constitutionnelle : la loi révélée au Sinaï était accessible au plus élevé des Prophètes comme à la dernière des servantes, comme l’enseigne la Tradition juive. Chez Barak et ses partisans, au contraire, seul le «juge éclairé» est capable de comprendre la Loi...

 

Aharon Barak est, on le voit, le contraire d’un démocrate. Il revendique ouvertement une conception élitiste et oligarchique, et presque monarchique de la politique. À ses yeux, un « souverain éclairé » vaut mieux qu’une majorité aveugle (En cela, il a été un précurseur... Que nous disent en effet aujourd’hui les manifestants anti-Nétanyahou, avec leur slogan «Tout sauf Bibi », sinon que la majorité se trompe et qu’elle n’a pas le droit d’imposer ses vues à une minorité éclairée ?).

 

Comment en est-on arrivé là?

 

1 – Sous la houlette du juge Barak, la Cour suprême israélienne est devenue l’instrument de la poursuite de la domination des anciennes élites (celles d’avant le changement de pouvoir de 1977), comme l’explique le professeur Menahem Mautner dans un ouvrage éclairant. Alors que certains dirigeants du Likoud étaient favorables, avant 1977, à l’adoption d’une Constitution qui servirait de rempart contre l’hégémonie du pouvoir travailliste, dans les faits, la Cour suprême israélienne est ainsi devenue l’instrument de la poursuite de cette hégémonie.

 

Signature des accords d’Oslo

 

En réalité, la Cour suprême israélienne est devenue non seulement l’instrument des anciennes élites (incarnées par le Parti travailliste et le mouvement kibboutzique) mais aussi et surtout, celui des élites post-sionistes, qui étaient hostiles à la fois à la droite religieuse et aussi aux partisans de l’ancien consensus sioniste de gauche. Ce n’est pas un hasard si la Révolution constitutionnelle a largement coïncidé avec la «révolution culturelle» concomitante aux accords d’Oslo, au début des années 1990.

 

Ce que ces deux événements majeurs ont signifié, dans l’Israël de la fin du xxe siècle, en proie à la montée de l’individualisme et à la fin des idéologies et du sionisme socialiste, était avant tout la montée en puissance des idées post-sionistes et la tentative d’imposer par le pouvoir judiciaire et par des accords politiques arrachés à une majorité très courte leurs conceptions radicales.

 

2 – Qui représente la Cour suprême israélienne ? 

 

Du point de vue sociologique, les juges de la Cour suprême israélienne représentent une minorité radicale et coupée du peuple (la « cellule de Meretz qui siège à la Cour suprême israélienne » selon l’expression d’un commentateur israélien). Significativement, la tentative d’introduire un semblant de diversité dans les opinions représentées à la Cour suprême n’a pas remis en cause l’hégémonie des Juifs ashkénazes laïcs de gauche. Aharon Barak a ainsi créé l’expression de «Test Bouzaglou », dans laquelle Bouzaglou désigne l’homo qualunque israélien. Il s’est défendu dans un livre d’avoir ce faisant voulu stigmatiser les Juifs orientaux, mais il n’en demeure pas moins que le nom de Bouzaglou n’a pas été choisi au hasard. Dans la vision du monde d’A. Barak (comme dans celle d’Hannah Arendt au moment du procès Eichmann) il existe une hiérarchie bien définie dans la société juive israélienne. L’élite est toujours celle des Juifs allemands.

 

Hannah Arendt

 

3 – Un autre élément d’explication important est le processus par lequel la Cour suprême israélienne est devenue l’instrument des minorités actives et de gouvernements étrangers qui les soutiennent et les financent. Des gouvernements étrangers se sont ainsi immiscés dans le débat politique israélien en utilisant la Cour suprême israélienne comme un véritable cheval de Troie, par le biais de multiples ONG à financement étranger, comme en attestent les innombrables pétitions de « justiciables palestiniens » manipulés par Chalom Archav, Breaking the silence, etc.

 

Des valeurs étrangères au peuple d’Israël

 

Ruth Gabizon avait affirmé que : «La Cour suprême devrait élaborer et renforcer les valeurs qui sont partagées par la société qu’elle sert, valeurs reflétées par les lois de cette société – et non telles qu’envisagées  par les juges à titre personnel ou en tant que représentants de valeurs sectorielles »... La réflexion de Gabizon appelle deux remarques. Tout d’abord, peut-on encore affirmer aujourd’hui que la Cour suprême israélienne sert la société ou qu’elle est au service de la société ? En réalité, pour que la Cour suprême soit au service de la société israélienne et de ses valeurs, encore faudrait-il que les juges qui siègent à Jérusalem connaissent les valeurs de la société dans laquelle ils vivent et qu’ils les respectent un tant soit peu... Est-ce le cas aujourd’hui ?

 

À de nombreux égards, la Cour suprême israélienne représente et défend aujourd’hui des valeurs étrangères au peuple d’Israël : celles de l’assimilation, du post-sionisme et du postmodernisme, etc. Elle s’attaque régulièrement dans ses décisions non seulement aux droits des Juifs sur la Terre d’Israël, mais aussi au mode de vie juif traditionnel et aux valeurs de la famille juive. On peut affirmer, au vu des arrêts de la Cour suprême israélienne depuis 30 ans, qu’elle incarne le visage moderne des Juifs hellénisants de l’époque des Maccabim. Il y a évidemment des exceptions. Rappelons le cas du juge Edmond Lévy, qui rédigea l’opinion minoritaire lors de l’expulsion des habitants Juifs du Goush Katif.

Pierre Lurçat

© Pardès. 

L’ensemble de l’article paraîtra dans le numéro 67 de la revue Pardès, janvier 2022.

https://www.inpress.fr/livre/pardes-n67-ou-va-la-democratie-suivi-de-le-mythe-andalou-et-de-le-concept-deretz-israel/

 

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La guerre des Juifs au cœur de l’idéologie du camp “progressiste” en Israël

December 9 2021, 10:04am

Posted by Pierre Lurçat

L’Altalena en flammes au large de Tel-Aviv

L’Altalena en flammes au large de Tel-Aviv

Lorsque Yair Lapid et Naftali Bennett ont formé leur gouvernement en juin dernier, de nombreux commentateurs se sont interrogés sur le caractère hétéroclite de leur coalition, qui réunissait des transfuges du sionisme religieux (que certains médias français s’obstinent à qualifier – contre toute évidence – de représentants de “l’extrême-droite”), des partis centristes, les lambeaux du parti travailliste et un parti arabe islamiste. S’agissait-il d’un gouvernement “d’union nationale”, du retour de la gauche post-sioniste, ou tout simplement de l’assemblage contre-nature de tous les membres du camp “Rak lo-Bibi” (“Tout sauf-Bibi”) ?

 

La réponse à cette question a été donnée quelques semaines plus tard : ce gouvernement représente en fait l’arrivée au pouvoir en Israël du courant “progressiste”, déjà incarné aux Etats-Unis par la frange la plus radicale du parti démocrate, au pouvoir depuis la victoire de Joe Biden. Mais ce qualificatif de “progressiste” est, comme beaucoup d’autres adjectifs du vocabulaire politique, trompeur. Car derrière le slogan du “progrès” et de la défense des droits de toutes les minorités, qu’on a déjà vus à l’œuvre dans de nombreux domaines (1), se dissimule tant bien que mal une idéologie radicale.

 

C’est au nom de cette idéologie que le ministre de la Défense a convoqué la semaine dernière une réunion au plus haut niveau de tous les chefs des organes de sécurité israéliens, pour lutter contre… les exactions commises par les habitants juifs de Judée-Samarie. Oui, moins de six mois après les sanglantes émeutes déclenchées par des pogromistes arabes qui ont incendié des synagogues et des biens juifs dans toutes les villes mixtes d’Israël, et alors qu’une nouvelle vague d’attentats frappe au cœur de Jérusalem, le ministre Gantz a trouvé le véritable “ennemi” à abattre. Ce sont les “Juifs des collines”, ces quelques dizaines de jeunes gens habitant dans des localités, souvent construites sur les lieux d’attentats anti-israéliens, qui sont apparemment, aux yeux de Gantz et des autres responsables sécuritaires, le danger le plus grave pour la sécurité intérieure d’Israël.

 

Cette décision très médiatisée et soutenue par une large fraction de l’establishment culturel et politique en dit long sur l’agenda politique du nouveau gouvernement. Moins d’un mois après la déclaration de six ONG liées au FPLP comme “organisations terroristes”, justifiée et appuyée sur des éléments de preuve incontestables, la décision du ministre Gantz n’est pas seulement une manœuvre tactique, destinée à rassurer l’aile gauche de sa coalition. Il s’agit, plus fondamentalement, de “resserrer les rangs”’ idéologiques du camp “tout sauf Bibi”, en désignant une fois de plus à la vindicte populaire un ennemi intérieur.

 

Il ne s’agit plus cette fois de l’ancien Premier ministre, envers lequel l’hostilité sans limite des médias n’a pas faibli depuis son éviction de la rue Balfour, mais du noyau idéologique des habitants juifs en Judée-Samarie. Cette désignation d’un “bouc émissaire” à l’intérieur même d’Israël s’inscrit dans la droite ligne de nombreux événements du même acabit, depuis l’époque des accords d’Oslo, par lesquels Rabin et Pérès entendaient sacrifier les Juifs au-delà de la “ligne verte” sur l’autel d’une paix illusoire avec les ennemis – véritables – de l’OLP, intronisée en “partenaire de paix”. Mais cette politique du “bouc émissaire” remonte plus loin encore dans l’histoire moderne d’Israël.

 

On la trouve déjà à l’œuvre à l’époque du Yishouv, quand le Mapaï prédominant utilisait son emprise sur l’économie – au moyen de la toute puissante Histadrout – pour exclure du marché du travail les jeunes membres du Betar, dont le chef idéologique, Vladimir Jabotinsky, était qualifié de “fasciste” et d’ennemi du peuple. On la retrouve pendant les années de plomb de la lutte pour l’Indépendance, quand la Haganah et le Palmah s’alliaient aux forces de police britanniques pour chasser manu militari et parfois torturer et assassiner des jeunes membres du Lehi et de l’Etsel, eux aussi proclamés “ennemis du peuple”, au nom du même parti-pris idéologique, qui préfère s’allier à l’ennemi extérieur pour “nettoyer” le pays de certains de ses adversaires idéologiques…

 

Manifestation anti-Nétanyahou (photo Israel National News)

Manifestation anti-Nétanyahou (photo Israel National News)

On la retrouve aussi quand le Premier ministre David Ben Gourion ordonnait au chef du Palmah, Itshak Rabin, de bombarder l’Altalena, bateau affrété par l’Irgoun à bord duquel des militants de l’Irgoun, parfois rescapés de la Shoah, transportaient une précieuse cargaison d’armes destinées à équiper la petite armée juive, face aux ennemis arabes plus nombreux et mieux armés. Cet épisode est crucial pour comprendre l’ADN idéologique d’une partie de la gauche israélienne, hier comme aujourd’hui. Non seulement Ben Gourion (2) ordonna de couler l’Altalena, en arguant d’un prétendu risque de sédition de la part de son adversaire politique, Menahem Begin. Pire encore : il qualifia le canon qui avait bombardé l’Altalena – faisant plusieurs morts parmi ses passagers – de “canon sacré” (3).

 

Cette sacralisation de la violence fratricide et de la guerre civile se poursuit jusqu’à nos jours. La volonté du gouvernement “progressiste” Bennett-Lapid-Raam de désigner un ennemi idéologique au sein du peuple Juif s’inscrit dans la droite filiation de l’Altalena et du “canon sacré” de David Ben Gourion. Elle montre qu’aux yeux du camp “progressiste” et d’une partie de la gauche israélienne, l’impératif politique demeure, envers et contre tout, celui de la démonisation et de la lutte à outrance contre l’adversaire politique, désigné comme bouc émissaire et comme “ennemi intérieur”, au lieu de s’allier à lui pour lutter contre les ennemis extérieurs au peuple Juif.

Pierre Lurçat

Article paru initialement sur le site Menora.info,

https://www.menora.info/la-guerre-des-juifs-au-coeur-de-lideologie-du-camp-progressiste-en-israel/

 

Notes

1. Dont le combat très médiatisé des “Femmes du Kottel” n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

2. Ben Gourion avait pourtant rencontré Jabotinsky à Londres et conclu un accord avec lui, pour lequel il fut désavoué par son propre camp, épisode relaté dans une pièce de théâtre écrite par A.B. Yehoshua.

3. Le journaliste Shlomo Nakdimon rapporte que lorsque le commandant adjoint de l’armée de l’air se mit en quête de volontaires pour bombarder le navire en haute-mer, trois pilotes non-juifs refusèrent l’ordre de mission, l’un deux déclarant “Je n’ai pas perdu quatre camarades et volé 10 000 miles pour bombarder des Juifs”. Un autre soldat, Yosef Aksen, vétéran de l’Armée rouge, déclara être prêt à subir la mort pour insubordination, plutôt que de tirer sur des Juifs.

Article paru sur le site Menora.info

https://www.menora.info/la-guerre-des-juifs-au-coeur-de-lideologie-du-camp-progressiste-en-israel/

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La Ménorah, par Théodor Herzl

December 4 2021, 17:24pm

Posted by Theodor Herzl

La Ménorah, par Théodor Herzl

Le récit qu’on lira ci-dessous a été rédigé par Herzl en 1897, et est paru dans le journal du mouvement sioniste Die Welt, le 31 décembre 1897, quelques mois après le Premier Congrès sioniste. Autobiographique, il en dit long sur le parcours du fondateur du sionisme politique, sur son “retour au judaïsme” concomitant à l’élaboration de son projet politique. On connaît en effet souvent le début du parcours de Théodor Herzl, généralement décrit comme un Juif assimilé, et sa “découverte” du sionisme, concomitante à l’affaire Dreyfus. On connaît beaucoup moins la dimension proprement juive de son cheminement et son retour au Judaïsme.

 

Herzl a en effet, comme il l’explique lui-même dans ce texte essentiel, fait téchouva, non pas en se mettant à pratiquer les préceptes religieux du judaïsme, mais en faisant Retour à son peuple et à son identité. Il a aussi décrit dans ses livres le futur Etat d’Israël et le Temple reconstruit à Jérusalem (1). Comme l’explique Georges Weisz, dans son ouvrage novateur sur le “Visionnaire de l’Etat”, Herzl “s’identifie au Shamash, le serviteur de la Lumière”, et “c’est ce rôle” qu’il a “effectivement joué dans la Résurrection d’Israël sur sa terre” (2).

P. Lurçat

 

 

“Il était un homme, qui avait ressenti au plus profond de son être la détresse d’être juif. Il avait, par ailleurs, une situation personnelle satisfaisante. Il jouissait d’une large aisance et, de plus, il était heureux dans sa profession puisqu’il pouvait créer ce que voulait son cœur : il était artiste. Quant à son origine juive et à la foi de ses pères, il s’en était depuis longtemps désintéressé - lorsque, avec un mot d’ordre nouveau, réapparut la vieille haine. Avec beaucoup de ses contemporains, notre ami crut d’abord que cette tourmente était passagère. Mais loin de s’améliorer, la situation alla en s’aggravant, et les attaques, quoique ne le visant pas personnellement, lui furent une douleur sans cesse renaissante, si bien que, bientôt, son âme tout entière ne fut plus qu’une plaie sanglante. Il arriva alors que ces souffrances intimes et qu’il taisait l’incitèrent à méditer sur leur source, c’est-à-dire sur son Judaïsme même ; et, ce qui n’aurait pu sans doute arriver en des jours meilleurs, parce qu’il s’en trouvait déjà si éloigné, il advint qu’il se mit à l’aimer, ce Judaïsme, d’une tendresse profonde. Et même, de cette tendresse particulière il ne se rendit point tout d’abord, un compte exact, jusqu’au jour où des sentiments obscurs, une pensée se dégagea, claire et forte, qu’il ne tarda d’ailleurs pas à exprimer : c’était la pensée que, pour échapper à la détresse juive, il n’y a pas d’autre chemin que le retour au Judaïsme.

 

Lorsque ses meilleurs amis, ceux qui se trouvaient dans une situation analogue à la sienne, l’apprirent, il y eut des hochements de tête significatifs, et l’on crut que sa raison était troublée. Car comment trouver un remède dans ce qui était fait pour aggraver et exaspérer le mal ? Mais lui, se disait que si la misère morale était devenue à ce point sensible,  c’était parce que les nouveaux Juifs n’avaient plus ce contrepoids, que leurs pères, mieux trempés, trouvaient en eux-mêmes. Derrière son dos, le persiflage allait bon train ; d’aucuns lui riaient franchement au nez, mais il ne fut point ébranlé par les vaines remontrances des gens, dont il n’avait eu jusque-là l’occasion d’apprécier ni le bon sens, ni la profondeur du jugement ; il supporta avec sérénité les plaisanteries, bonnes ou mauvaises. Et comme, au reste, sa conduite ne paraissait pas déraisonnable, on finit par le laisser se livrer en paix à sa marotte - que d’aucuns désignaient plus durement comme une manie.

 

Quant à notre ami, avec la logique patiente qui lui était propre, il tirait des prémisses de son idée, une conséquence après l’autre. Parmi les transitions par lesquelles il dut passer, il y en avait qui lui étaient pénibles, quoique, par fierté, il n’en laissa rien voir. En sa qualité d’homme et d’artiste, pénétré de conceptions toutes modernes, il avait en lui des coutumes, des manières d’être qui n’avaient rien de juif, et son esprit, initié aux civilisations des peuples modernes, en avait reçu une empreinte ineffaçable. Comment concilier tout cela avec son retour au Judaïsme? Ce lui fut une source de conflits intimes : il eut même des doutes sur l’exactitude de sa pensée directrice, de son “idée maîtresse”. Peut-être cette génération d’hommes, qui avaient grandi sous l’influence de civilisations étrangères, n’était-elle plus guère capable d’accomplir ce retour au Judaïsme, dans lequel il avait découvert la solution du problème? Mais la génération suivante l’accomplirait bien, elle, si on la guidait à temps dans la bonne voie. Et, dès lors, il se préoccupa de ses enfants, pour que ceux-ci, au moins, devinssent Juifs, par l’éducation qu’ils recevraient chez eux.

 

Photo : Onegshabbat.blogspot.com

Photo : Onegshabbat.blogspot.com

 

Auparavant, il avait laissé passer sans s’y arrêter la fête qui, à travers tant de siècles, a fait rayonner, dans l’éclat des petites lumières traditionnelles, le souvenir glorieux des Macchabées. Cette fois-ci, il en profita pour ménager à ses enfants, un beau souvenir pour les années à venir. Il s’agissait d’implanter de bonne heure dans ces jeunes âmes, l’amour de leur antique race. Il fit venir une Ménorah, et lorsque, pour la première fois, il tint entre les mains le candélabre aux neuf branches, un sentiment indéfinissable l’emplit. C’est qu’aux jours déjà lointains de son enfance, de petites lumières toutes semblables avaient brillé dans la maison paternelle - et maintenant, une douceur en émanait, je ne sais quoi de familier, d’intime. Cette tradition ne lui apparaissait point comme une chose du passé, froide et morte ;  elle avait traversé les générations sans rien perdre de sa vie intense - chaque petite flamme s’allumant d’une autre, jusqu’à la forme, si ancienne, de la Ménorah qui sollicita sa réflexion.

 

De quelle période datait la conception primitive de ce candélabre ? Sans doute, c’est à l’arbre qu’il emprunte ses formes essentielles: au milieu, le tronc, avec de chaque côté quatre branches, se dressant l’une sous l’autre, pour atteindre toutes la même hauteur. Plus tard, le symbolisme d’une autre époque y ajouta la neuvième branche, plus courte que les autres, qui se trouve en avant et porte le nom de serviteur. Combien de mystères les générations successives ont-elles ajouté à cette forme d’un art si simple à l’origine, et qui emprunte directement à la nature! Et notre ami songea, en son âme d’artiste, à donner une nouvelle vie à cette forme rigide et fixe de la Ménorah, à désaltérer ses racines, comme celles d’un arbre. Le nom même de la Ménorah, que désormais il prononçait, chaque soir, devant ses enfants, sonnait agréablement à ses oreilles. Des lèvres enfantines, surtout, le mot glissait avec un son d’un charme tout spécial

 

La première bougie fut allumée, et on raconta l’origine de cette fête. L’histoire merveilleuse de cette flamme qui, jadis, dans le Temple, vécut tout à coup si longtemps, puis le retour de l’exil babylonien ; la reconstruction du second Temple, les exploits des Macchabées. Notre ami racontait à ses enfants ce qu’il savait. Ce n’était pas beaucoup, assurément, mais c’était assez pour eux. Le second soir, à la seconde flamme, ce furent eux qui lui refirent les récits de la veille ; et, à mesure qu’ils lui racontaient ce que, pourtant, ils tenaient de lui-même, tout lui apparut nouveau et d’une beauté singulière. A partir de ce moment, il se fit une fête d’accroître chaque soir le nombre des lumières. Une flamme après, l’autre se dressa, et avec les enfants, le père rêvait à la douce clarté. Ce fut bientôt plus qu’il ne pouvait, et ne voulait leur dire, car ils ne l’auraient pas compris.

 

En prenant la résolution de rentrer au sein du Judaïsme, et en proclamant ouvertement cette décision, il avait cru accomplir uniquement un devoir d’honnêteté et de raison. Il n’avait point soupçonné qu’il pourrait y trouver, par surcroît, la satisfaction de son ardente aspiration vers le beau. Ce fut pourtant ce qui arriva. La Ménorah, avec sa clarté croissante, était un objet de beauté, qui suggérait de bien nobles pensées. De sa main experte, il dessina alors le projet d’une Ménorah nouvelle, qu’il voulait offrir à ses enfants pour l’année suivante. Librement, il développa le motif primitif des huit branches, s’élevant à droite et à gauche du tronc, jusqu’à la même hauteur et qui s’étendent dans le même plan. Il ne se crut point lié par une tradition rigide ; il créa du nouveau, en puisant directement aux sources naturelles, laissant là les interprétations de toutes sortes, quelque justes qu’elles puissent être d’ailleurs. Lui, tendait uniquement au beau rempli de joie. Mais s’il se permit d’apporter du mouvement dans les formes figées, il en respecta l’ordonnance générale, le style antique et noble. Ce fut un arbre aux branches élancées, terminées comme par des calices ouverts ; et de ces calices fleurs devaient sortir des lumières.

 

 

A cette occupation, au milieu de ses pensées, la semaine s’écoula. Le huitième jour arriva, et toutes les lumières brillaient, sans oublier même la neuvième - la servante fidèle - qui jusque-là, n’avait servi qu’à allumer les autres. Maintenant, une grande clarté rayonnait de la Ménorah. Les yeux des enfants rayonnaient.

 

Pour notre ami, s’évoquait là le symbole de l’embrasement de la nation. D’abord, une lumière solitaire, il fait noir encore, et la lumière unique a l’air triste. Puis, elle trouve un compagnon, puis un autre, et un autre encore. Les ténèbres doivent reculer. C’est auprès de la jeunesse, chez les pauvres, que s’allume d’abord la flamme, puis d’autres les rejoignent, tous ceux qui sont épris de Droit, de Vérité, de Liberté, tous ceux qui aiment le Progrès, l’Humanité, le Beau. Et lorsque, enfin, toutes les lumières sont unies en une clarté rayonnante, l’oeuvre accomplie nous remplit d’admiration et de joie. Et nul poste ne donna plus de joie que celui de serviteur auprès de la Lumière.

Théodor Herzl

Paru en français dans L’avenir illustré, 30 décembre 1929.

Theodor Herzl | My Jewish Learning

1. Je renvoie sur ce sujet à mon livre Israël, le rêve inachevé, éditions de Paris/Max Chaleil 2018.

2. Voir G. Weisz, Theodor Herzl, Une nouvelle lecture; L’Harmattan 2006, p. 117.

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JABOTINSKY, Questions autour de la tradition juive. Etat et religion dans la pensée du Rosh Betar.

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JABOTINSKY, Les Arabes et nous, le mur de fer.

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Sadate à Jérusalem – le « faux Messie » de la paix

October 7 2021, 12:20pm

Posted by Pierre Lurçat

40 ans après l'assassinat de Sadate, le narratif du "soldat de la paix" s'est imposé. Dans l'extrait suivant de mon livre La trahison des clercs d'Israël, je présente une vision iconoclaste du dirigeant arabe qui avait compris, bien avant les autres, quel était le talon d'Achille d'Israël. P.L.

 
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Sadate (à droite)

Le premier à avoir compris, dans le camp arabe, la transformation qu’avait subie l’État d’Israël au lendemain de la « guerre d’octobre » fut Anouar Al-Sadate. Un certain discours le présente aujourd’hui, à l’instar de Rabin, comme un « faucon devenu colombe ».

Mais ce raccourci journalistique est faux et trompeur, pour l’un comme pour l’autre. Il faut relire le dernier discours de Rabin à la Knesset [1] pour comprendre qu’il n’a jamais renié son passé ; et il faut relire le discours de Sadate à Jérusalem, pour comprendre qu’il est lui aussi resté fidèle à ses engagements et à sa vision, conforme à la doctrine politique de l’Égypte établie depuis la Révolution des officiers libres en 1952.

Le plus farouche ennemi d’Israël, admirateur d’Hitler dans sa jeunesse[2], ne s’est pas transformé du jour au lendemain en ami des Juifs : il a tout simplement compris que la meilleure façon de vaincre Israël était de se servir de la paix comme d’un cheval de Troie pour affaiblir et diviser l’opinion israélienne, et pour obtenir par la négociation ce que les armées arabes n’avaient pu remporter sur les champs de bataille. 

 

D’une société idéaliste à une société individualiste

Un des ouvrages qui a le mieux décrit cette transformation en Israël est celui d’un sociologue de l’université de Haïfa, Oz Almog [3], qui a montré le passage d’une société idéaliste et collectiviste (celle de la génération de 1948 ou « génération de l’État ») à une société plus matérialiste et individualiste, celle de l’après-guerre de Kippour.

Cette transformation a pris des formes multiples, touchant tous les domaines de la société et de la vie publique et privée (les médias, les arts, les rapports hommes-femmes, etc.). Mais c’est dans le domaine politique que ses conséquences ont été les plus marquantes.

Le soldat des guerres d’Indépendance et des Six jours, animé par l’énergie du désespoir (celle des combattants de 1948, dont beaucoup sont tombés les armes à la main face à un ennemi supérieur en nombre mais beaucoup moins motivé ; et celle des soldats de 1967, conscients de protéger leur pays contre la menace d’extermination proférée par Nasser) s’est transformé en un soldat fatigué de se battre, qui doutait de la justesse de sa cause.

Ces doutes sont apparus au grand jour dès le lendemain de la guerre de Kippour et ont culminé lors de la Première Guerre du Liban, en 1982. Sadate avait bien compris ce sentiment de lassitude animant la société israélienne lorsqu’il est venu à Jérusalem, non pas pour offrir une « paix des braves », selon l’image d’Epinal, mais pour exiger d’Israël qu’il accepte toutes ses conditions.

Ce faisant, il a fixé le dangereux précédent de la « paix contre les territoires », paradigme trompeur accepté par Israël qui subsiste jusqu’à ce jour.

Le faux Messie de la paix, hier et aujourd’hui

Dans son beau livre Être Israël, publié en France quelques mois après les accords de Camp David [4], le journaliste Paul Giniewski raconte trente années de reportages et de voyages en Israël, de 1948 à 1978.

Avec talent et justesse, il décrit l’euphorie qui a gagné la société israélienne lors de la visite de Sadate à Jérusalem. Dans un chapitre intitulé « 1977 : brève rencontre avec le Messie », il relate ses sentiments mitigés à l’écoute du discours de Sadate devant la Knesset :

« J’écoute. Ma déception augmente. Le mot paix revient de plus en plus souvent : [Sadate :] « Je prononce le mot paix, et que la miséricorde de Dieu tout-puissant soit sur vous, et que la paix vienne pour nous tous. Paix sur toutes les terres arabes, et paix sur Israël ! ».

Mais en même temps, l’accusation devient de plus en plus précise. Sadate est venu à la Knesset pour dénoncer Israël ! (…) Je viens d’entendre ce qui, chez les Arabes, fait l’unanimité des modérés et de ceux du camp du refus. Les uns réclament la destruction d’Israël. Les autres acceptent son existence, au prix de concessions qui conduiront à sa destruction : la restitution des territoires, un État palestinien. La différence est dans les mots, dans le style, mais pas dans le but final. .. »

Et Giniewski rapporte aussi les mots de Golda Meir, la dame de fer d’Israël, interrogée sur les accords de Camp David par un journaliste, qui lui déclare : « Sadate et Begin méritent le prix Nobel de la paix ». Elle sourit : – « Peut-être aussi l’oscar du cinéma ? ». A la buvette du Parlement, où les députés se congratulaient avant le discours [de Sadate], je l’entends dire de sa voix désabusée : – Vous attendez le Messie ? Quand nous sommes allés au kilomètre 101 [5], [le général] Aharon Yariv négociait avec un officier égyptien. Nous avons aussi cru que c’était le Messie. Mes enfants, quand le Messie viendra, il ne s’arrêtera pas au kilomètre 101 ».

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts du Jourdain depuis lors, après l’assassinat de Sadate et celui de Rabin. L’euphorie née de la visite de Sadate à Jérusalem s’est depuis longtemps dissipée, et même la gauche israélienne, qui avait voulu faire d’Arafat un partenaire de paix, a dû déchanter.

Le Messie n’est pas venu à Camp David, ni à Oslo, et il n’a même pas appelé au téléphone, comme l’a chanté Chalom Hanoch. Mais le messianisme de la paix, lui, est bien vivant. Et toujours aussi dangereux, comme tous les faux Messies.

(Extrait de mon livre La trahison des clercs d’Israël, La Maison d’édition 2016)

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[1] Le 5 octobre 1995, Rabin prononça un discours politique qui devait être son dernier devant le Parlement israélien (Knesset), dans lequel il exposa sa vision des futures frontières de l’État d’Israël après les accords d’Oslo.

Il y mentionna notamment son refus d’un retour aux « frontières de 1967 », l’importance de conserver des « blocs d’implantations » en Judée-Samarie et de maintenir le Jourdain comme frontière de sécurité et son refus de voir Jérusalem redivisée. Voir Dore Gold, « Rabin’s lats Knesset speech », Israel Hayom 2/11/2012.

[2] Voir à ce sujet la lettre adressée par Sadate à Hitler dans le journal cairote El-Moussaouar, le 18 septembre 1953 : « Mon cher Hitler, Je vous félicite du fond du cœur. Même s’il vous semble que vous avez été battu, en réalité vous êtes le vainqueur. Vous avez réussi en créant des dissensions entre le vieux Churchill et ses alliés, les fils de Satan. L’Allemagne vaincra car son existence est nécessaire à l’équilibre mondial. Elle renaîtra en dépit des puissances de l’Ouest et de l’Est. Il n’y aura pas de paix sans que l’Allemagne redevienne ce qu’elle a été…

Pour le passé, je pense que vous avez commis quelques fautes, comme d’ouvrir trop de fronts et [de ne pas avoir su parer à] l’imprévoyance de Ribbentrop face à l’experte diplomatie britannique. Mais ayez confiance en votre pays, et votre peuple réparera ces faux pas.

Vous pouvez être fier d’être devenu immortel en Allemagne. Nous ne serions pas surpris si vous y apparaissiez de nouveau ou si un nouvel Hitler se levait dans votre sillage. » (Lettre reproduite par Jean-Pierre Péroncel-Hugoz dans Le radeau de Mahomet, Lieu Commun, 1983, réédité chez Flammarion en 1984).

[3] Farewell to Srulik – Changing Values Among the Israeli Elite, Zmora Bitan and Haifa University Press, 2004 [hébreu].

[4] Paul Giniewski, Être Israël, Stock 1978.

[5] Lieu où se déroulèrent les pourparlers de cessez-le-feu entre le général israélien Aharon Yariv et le général égyptien Gamassi qui mirent officiellement fin à la guerre de Kippour.

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Jabotinsky et le rav Kook : la “rencontre” de deux géants, Pierre Lurçat

August 22 2021, 11:51am

Posted by Pierre Lurçat

 

A l’occasion du Yahrzeit du rabbin Avraham Itshak Hacohen Kook, qui a été célébré le 3 Eloul, je publie ici un extrait inédit du nouveau livre de Jabotinsky, Questions autour de la tradition juive, qui paraît ces jours-ci. J’y évoque l’influence décisive qu’a eue sur Jabotinsky la prise de position courageuse du rav Kook dans l’affaire Arlosoroff. P. Lurçat

 

 

L’homme de l’avenir, l’homme entier, auquel aucun sens ne manquera, sera “religieux”. Je ne sais pas quel sera le contenu de sa religion ; cependant il sera porteur du lien vivant entre son âme et l’infini qui l’accompagnera partout où il ira”. (Jabotinsky, De la religion)

 

Le pronostic formulé par Jabotinsky selon lequel “l’homme entier sera religieux”, marque une évolution marquante de sa pensée, depuis celle exprimée trente ans plus tôt dans son article Le sionisme et Eretz Israël. Que s’est-il passé entretemps ? Comment le jeune dirigeant sioniste russe, convaincu que la religion n’est plus aujourd’hui qu’un “cadavre embaumé”, en est-il venu à y voir une dimension importante de la personnalité humaine, aux côtés de la musique et de l’art ? Les raisons de cette évolution radicale sont multiples. Mentionnons tout d’abord le cheminement personnel de Jabotinsky, qui a mûri et a eu le temps d’approfondir sa réflexion sur de multiples domaines. Le leader sioniste endurci qui s’exprime en 1935 n’est évidemment pas le jeune homme fougueux de 25 ans.

 

Le second facteur est celui des rencontres qu’il a faites et des personnes qui l’ont marqué, parmi lesquelles on peut mentionner le rabbin Falk, qui servit comme aumônier militaire dans les rangs des Muletiers de Sion, mais aussi et surtout le grand-rabbin Avraham, qui exerça une influence importante sur l’idée que Jabotinsky se faisait du judaïsme et de la religion. Dans une lettre adressée en juin 1934 à Nathan Milikovsky, qui n’est autre que le grand-père de Benjamin Nétanyahou, Jabotinsky parle en ces termes du rabbin Kook : “Le nom du rabbin K. est devenu en l’espace d’une nuit un symbole sublime dans le cœur des foules. Et moi-même, en toute humilité, si je n’étais pas totalement ignorant des choses de la Tradition, craignant de m’exprimer sur les sujets religieux, je choisirais précisément cet instant pour lancer publiquement un appel dont je rêve depuis l’époque de ma jeunesse : renouveler, de nos jours, le titre de « Cohen Gadol » (Grand-Prêtre)”.



 

 

Le rav Kook : le “Cohen Gadol”

Jabotinsky : un “ange descendu du ciel”



 

De son côté, le rabbin Kook, selon certains témoignages, aurait qualifié Jabotinsky “d’ange de Dieu” . Les deux qualificatifs sont assez forts et inhabituels, tant dans la bouche de Jabotinsky que dans celle du rabbin Kook, pour mériter qu’on y prête attention. Comment ces deux hommes, que tout séparait en apparence et qui ne se sont selon toute évidence jamais rencontrés, en sont-ils venus à se porter une telle estime réciproque ? La réponse à cette question est liée à un événement qui a joué un rôle important non seulement dans l’histoire politique du Yishouv, l’affaire Arlosoroff, mais aussi dans l’évolution des conceptions de Jabotinsky  concernant la place de la religion juive dans le futur État juif, et des rapports entre État et religion en général. 

 

Lorsque le dirigeant sioniste travailliste Haïm Arlosoroff est assassiné sur une plage de Tel-Aviv le 16 juin 1933, la presse et les dirigeants du Yishouv accusent immédiatement – et sans la moindre preuve – le Betar. Trois militants sont arrêtés, sur la base d’un témoignage obscur de la veuve d'Arlosoroff et l’un d’eux, Avraham Stavsky, est condamné à mort. Jabotinsky  est d’emblée convaincu qu’il s’agit d’une fausse accusation et il œuvre sans relâche pour obtenir l’acquittement de Stavsky, qu’il compare dans des articles à Mendel Beilis (Juif ukrainien accusé de crime rituel en 1911). Dans ce combat, Jabotinsky  reçoit le soutien décisif du grand-rabbin de Palestine mandataire, Avraham I. Hacohen Kook. Ce dernier prend courageusement la défense des accusés, s’exposant à la vindicte des journaux et partis de gauche, qui l’insultent et dont certains (comme l’Hashomer Hatzaïr) n'hésitent pas à couvrir le pays d’affiches proclamant “Honte au pays dont les rabbins soutiennent des assassins”!  

 

 

Très impressionné par l’intervention du rabbin Kook, Jabotinsky  écrira plus tard, dans une lettre adressée au rabbin Milikowski, organisateur du comité de défense des accusés, “Vous ne pouvez pas estimer la valeur de cette action… Outre son rôle décisif pour faire triompher la justice dans l’affaire Stavsky, elle aura des conséquences profondes et essentielles sur l’orientation politique et spirituelle du public hébreu en Eretz-Israël et en diaspora. Un exemple : j’ai déjà reçu plusieurs lettres demandant que je propose, lors de notre prochain Congrès mondial, une motion spéciale concernant les rapports entre l’Hatsohar (Organisation sioniste révisionniste) et la tradition religieuse”.

 

Ainsi, de l’aveu même de Jabotinsky, c’est l’intervention du rabbin Milikovsky qui suscita le changement d’orientation de son mouvement, attaché à une laïcité militante, et son évolution vers une attitude plus favorable à la tradition juive. Un an plus tard, en 1935, lors du Congrès fondateur de la Nouvelle Organisation sioniste, Jabotinsky accueille avec sympathie “l’Alliance de Yéchouroun”, courant sioniste-religieux qui vient de s’intégrer au sein du parti révisionniste, malgré la vive opposition de plusieurs membres de la Vieille Garde du parti, au rang desquels figurent Adia Gourevitz (fondateur du mouvement cananéen) et son propre fils, Eri Jabotinsky. 

 

Dans son discours prononcé devant le Congrès de la N.O.S., Jabotinsky  déclare : “Bien entendu, la religion est l’affaire privée de chacun… Dans ce domaine doit régner la liberté absolue, héritée de l’ancien libéralisme sacré… Mais ce n’est pas une question privée de savoir si le Mont Sinaï, les prophètes sont des fondements spirituels ou une momie dans une vitrine de musée, comme le corps embaumé de Pharaon…” Et il poursuit : “C’est une question essentielle et supérieure pour un État et pour notre nation, de veiller à ce que le feu sacré perpétuel ne s’éteigne pas… pour que soit préservée, au milieu du tumulte des innombrables influences qui entraînent la jeunesse de nos jours, et qui la trompent parfois et l’empoisonnent, cette influence qui est une des plus pures – l’esprit de Dieu ; pour qu’un espace subsiste pour ses partisans et une tribune pour ses promoteurs”...

 

Pierre Lurçat

 

Jabotinsky, Questions autour de la tradition juive, précédé de “État et religion dans la pensée du Roch Betar”. La Bibliothèque sioniste 2021. En vente sur Amazon.

 

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Parution de mon livre “Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain”

June 25 2021, 08:22am

La récente Guerre des dix jours entre le Hamas et Israël a déclenché une nouvelle vague d’hostilité envers l’Etat juif, accusé de commettre des crimes de guerre, d’opprimer les Palestiniens ou d’être un Etat d’apartheid. A travers ces accusations multiples et diverses se fait jour un discours structuré, élaboré depuis plusieurs décennies, celui de l’antisionisme contemporain, qui se décline autour de quelques thèmes majeurs.

Le présent ouvrage analyse l’antisionisme comme une véritable idéologie, pour en comprendre les ressorts et les failles. Il apporte un regard informé sur ce sujet, rendu encore plus brûlant par la crise du Covid-19, qui a ravivé les flammes de la haine envers les Juifs et Israël. Après avoir analysé les différents mythes de l’antisionisme contemporain, il esquisse l’espoir de dépasser l’antisionisme, en instaurant une nouvelle relation entre Israël et ses voisins.

Le rapprochement spectaculaire entre Israël et plusieurs pays arabes du Golfe – qui s’est récemment traduit par la signature des Accords Abraham entre Israël, les Émirats arabes unis et Bahreïn – illustre la reconnaissance véritable de l’existence du peuple Juif dans sa réalité historique et géographique, par plusieurs pays musulmans, reconnaissance lourde de conséquences.

La signification théologique de ces accords est en effet plus importante encore que leur portée politique et économique. A contre-courant de la théologie arabe de la substitution, ces accords permettront peut-être de détruire le fondement théologique de l’antisionisme musulman et d’inaugurer une nouvelle ère dans les relations judéo-arabes, porteuse d’espoir pour la région et pour le monde entier.


Table des matières


Introduction – L’antisionisme contemporain, une idéologie multiforme aux racines
anciennes
Chapitre 1 – Le mythe de la Nakba et la création de l’État d’Israël
Chapitre 2 – Le mythe du génocide du peuple palestinien
Chapitre 3 – Le mythe de l’État d’apartheid
Chapitre 4 – Le mythe du Shoah Business
Chapitre 6 – Le mythe du peuple palestinien souffrant
Conclusion : dépasser l’antisionisme?

Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain. Pierre Lurçat. Éditions l’éléphant – Jérusalem 2021.

En vente dans les librairies françaises d’Israël et sur Amazon.

Les demandes de service de presse doivent être adressées à pierre.lurcat@gmail.com

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De l’affaire Arlosoroff à aujourd’hui : Cette gauche israélienne et juive qui confond l’ennemi et l’adversaire

June 17 2021, 10:10am

Posted by Pierre Lurçat

 

Le camp de la paix a toujours un “mauvais Israël” contre lequel s’affirmer, une exclusion d’autrui à travers laquelle il s’identifie lui-même. Son identité est fondamentalement une identité du ressentiment.

Shmuel Trigano

 

Il est encore trop tôt pour faire le bilan de l’ère Nétanyahou et pour “enterrer” - comme l’ont déjà fait plusieurs éditorialistes et observateurs - celui qui, de l’avis de ses partisans comme de certains de ses détracteurs, est déjà entré dans l’Histoire comme un des grands dirigeants d’Israël à l’époque moderne. Mais, au lendemain de la formation du gouvernement le plus bizarre et le plus hétéroclite qu’Israël ait jamais connu, on peut tirer quelques leçons de cette campagne électorale et de son résultat. Le phénomène qui nous intéresse ici, au-delà même de la haine, qui a visé depuis plusieurs années Binyamin Nétanyahou, totalement irrationnelle et injustifiée (mais n’est-ce pas le propre de toute haine?), est celui de la confusion qu’une certaine gauche israélienne entretient délibérément entre ses adversaires et ses ennemis. 

 

Ce phénomène n’est pas nouveau. On pourrait même dire qu’il est inscrit dans l’ADN d’une fraction non négligeable de la gauche israélienne et juive, celle qui trouve ses racines historiques et politiques pas tant dans le sionisme travailliste des pères fondateurs, que dans la Troisième Internationale et dans le bolchévisme le plus pur et dur (au sens propre, comme le reconnaissait jadis Ben Gourion, en n’hésitant pas à se qualifier lui-même de “bolchévique”, au début des annés 1920) (1). C’est cette confusion dangereuse et lourde de conséquences dont nous voyons aujourd’hui les fruits amers. 

 

Comme l’écrivait Shmuel Trigano il y a vingt ans, “Le camp de la paix a toujours un “mauvais Israël” contre lequel s’affirmer, une exclusion d’autrui à travers laquelle il s’identifie lui-même” (2). On ne saurait mieux décrire l’identité du nouveau gouvernement des “anti-Bibi”, qu’aucun ciment idéologique ou politique ne réunit, sinon leur détestation abyssale envers Nétanyahou. La coalition des “anti-Bibi” a préféré faire alliance avec les islamistes des Frères musulmans, pour chasser du pouvoir son adversaire, c’est-à-dire qu’elle a fait alliance avec ses ennemis pour triompher de son adversaire.

 

Manifestation anti-Bibi

 

Cette politique de l’exclusion et du ressentiment, nous l’avons vue à l’œuvre, tout au long de l’histoire du sionisme politique, à chaque fois que les tenants du sionisme socialiste ont prétendu exclure leurs adversaires, tantôt du marché du travail dans le Yishouv des années 1920 et 1930 (en exigeant des travailleurs la carte de la Histadrout), tantôt de l’alyah (en privant les jeunes du Betar de certificats d’immigration). Elle a également visé l’apport du sionisme de droite à la fondation de l’État d’Israël, exclusion qui ne concerne pas seulement l’historiographie du sionisme (3), mais aussi les manuels d’histoire utilisés dans les lycées israéliens.

 

Depuis l’assassinat d’Arlosoroff (le 16 juin 1933) et jusqu’à nos jours,  cette fraction de la gauche sioniste s’est servie de la violence et des accusations de violence à des fins politiques - pour asseoir et maintenir son hégémonie (l’affaire Arlosoroff est survenue alors que le mouvement sioniste révisionniste était à son apogée) et elle a accusé ses adversaires, en recourant à la “reductio ad hitlerum” (bien avant que l’expression ne soit forgée par Leo Strauss au début des années 1950). La reductio a hitlerum, dont sont aujourd’hui victimes Israël et ses défenseurs sur la scène publique, est ainsi dans une large mesure une invention de cette gauche juive - sioniste et non sioniste -  à l’époque de Zeev Jabotinsky, que David Ben Gourion avait surnommé “Vladimir Hitler”.

 

Jabotinsky

 

Un exemple frappant, et presque ridicule, de cette confusion entre l’adversaire politique et l’ennemi nous a été donné dimanche dernier par la chanteuse Avinoam Nini, bien connue pour ses opinions radicales, qui a comparé Nétanyahou et… Haman, lors de la manifestation festive organisée par la gauche israélienne au lendemain de l’annonce du départ de B. Nétanyahou. Cette comparaison est d’autant plus choquante que Nétanyahou est sans doute le Premier ministre israélien qui a le plus œuvré pour protéger l’Etat juif contre les Haman modernes véritables que sont les dirigeants iraniens. Cet épisode révélateur montre précisément comment cette frange de la gauche à laquelle appartient la chanteuse confond Haman et Esther, réservant sa haine à ses adversaires politiques, tout en se montrant pleine d’indulgence envers nos ennemis. Il n’y a là, hélas, rien de nouveau sous le soleil.

Pierre Lurçat

NB Article paru sur le site Menora.info

1. Voir notamment l’article de Y. Nedava, “Ben Gourion et Jabotinsky”, dans Between two visions [hébreu] Rafael Hacohen éd. Jérusalem.

2. S. Trigano, L’ébranlement d’Israël, Seuil 2002. 

3. En hébreu, et aussi en français, Cf. mon article “Redonner à Jabotinsky son visage et sa place dans l'histoire du sionisme”, http://vudejerusalem.over-blog.com/2021/04/redonner-a-jabotinsky-son-visage-et-sa-place-dans-l-histoire-du-sionisme-pierre-lurcat.html

 

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CONFÉRENCE EN LIGNE - JEUDI 3 JUIN 19H00 - L’Etat juif selon Jabotinsky

June 3 2021, 07:59am

Posted by Pierre Lurçat

Après le succès de la première conférence de Pierre Lurçat sur Zeev Jabotinsky, l’OSM  l'invite à nouveau pour mieux vous faire connaître cet important dirigeant sioniste.

The Israeli Right: From Jabotinsky to Netanyahu - The Tikvah Fund

73 ans après la proclamation de l’État d’Israël, la question des liens entre État et religion et entre Juifs laïcs et religieux continue d'interpeller le public israélien. 

 

Jabotinsky, outre ses idées sur la politique et l'économie, a aussi élaboré une réflexion approfondie sur sa vision du futur État juif, et sur la place que la tradition juive devait y occuper. Sur ce sujet crucial, comme sur d’autres, sa réflexion est plus actuelle que jamais.

 

Rendez-vous jeudi 3 juin à 19h (FR) -  

 

INSCRIPTIONS http://bit.ly/Jabontinsky_et_la_religion

 



 

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15 mai 1948 - 15 mai 2021 : Le mythe de la Nakba : l'origine d’un mot et le début d’une falsification de l’histoire, Pierre Lurçat

May 15 2021, 18:49pm

Posted by Pierre Lurçat

(Extrait de mon livre Les mythes fondateurs de l'antisionisme, à paraître)

Selon plusieurs sources convergentes, c’est sous la plume de Constantin Zureiq, célèbre intellectuel syrien, né dans un foyer grec orthodoxe de Damas, que le terme de Nakba serait entré dans le dictionnaire politique arabe, avant de pénétrer dans le lexique politique contemporain.

 

« La défaite des Arabes en Palestine n’est pas une calamité passagère ni une simple crise, mais une catastrophe (Nakba) dans tous les sens du terme, la pire qui soit arrivée aux Arabes dans leur longue histoire pourtant riche en drames », assène Zureiq en ouverture de son ouvrage “Ma’an al-Nakba” (“Signification de la catastrophe”).

 

En réalité, pourtant, Zureiq n’avait pas tant à l’esprit la “catastrophe” de la naissance d’Israël, que celle de l’enlisement arabe dans le passé et du refus arabe de la modernité, comme il ressort de cette citation extraite de ce même livre :

 

La raison de la victoire des sionistes est que celui-ci [Israël] est enraciné dans la modernité occidentale, alors que la plupart d’entre nous y sommes encore hostiles. Ils (les sionistes) vivent dans le présent et dans le futur, alors que nous continuons de vivre dans les rêves du passé et de nous enivrer de sa gloire disparue”.

 

Recrues de l’Armée de libération arabe à Beersheva, 1948

 

On ne saurait mieux décrire l’attitude actuelle des dirigeants palestiniens, qui brandissent la Nakba comme une arme de guerre contre Israël, au lieu de tourner leur regard vers l’avenir… Comme l’explique Shmuel Trigano (1) :

 

La défaite de leurs armées et l’échec de leur politique, qui avait refusé le partage de la Palestine mandataire, se voient ainsi, avec la « Nakba », réécrits sous la forme stupéfiante d’une injustice congénitale dont ils seraient les victimes, attachée à l’existence même d’Israël qui, pour se constituer, aurait dépossédé de sa terre un peuple innocent afin de prendre sa place. D’agresseurs les Palestiniens deviennent des victimes. Et l’extermination d’autrui devient pitié et compassion pour soi même”.

 

On est ici au coeur de ce qu’on pourrait appeler le complexe d’infériorité-supériorité, profondément ancré dans la conscience arabo-musulmane, qui consiste à transformer toute défaite en accusation contre l’autre et à remplacer toute autocritique par une démonisation de l’autre, chargé de tous les maux, selon le principe bien connu du bouc émissaire. La Nakba, dans cette perspective, devient pour les arabes une manière facile de faire porter aux Israéliens et aux Juifs la responsabilité de leur défaite et de leur incapacité à affronter leur propre histoire.

 

La première Nakba : 1920 et non 1948

 

En réalité, contrairement à la version généralement admise aujourd'hui de l’origine de l’expression Nakba dans le vocabulaire politique arabe contemporain, celle-ci n’est pas née après 1948. La première Nakba ne date en effet pas de 1948, mais de 1920 ! L’expression “am al-nakba” (“année de la Nakba”) désigne ainsi l’année 1920, et on la trouve sous la plume de l’historien arabe chrétien renommé Georges Antonius, dans son livre fameux The Arab Awakening (Le réveil arabe) : 


 


 

« L’année 1920 porte un nom maudit dans les annales arabes : on l’appelle l’Année de la Catastrophe (Am al-nakba). Elle vit les premiers soulèvements armés qui eurent lieu pour protester contre la colonisation d’après-Guerre, imposée aux pays arabes par les Alliés. Cette année-là, de graves révoltes eurent lieu en Syrie, en Palestine, et en Iraq ».

 

Ainsi, la première Nakba des Arabes de Palestine n’a pas eu lieu en 1948, mais en 1920, et elle ne concernait pas la guerre israélo-arabe, mais le partage de la “Grande Syrie” entre les deux puissances coloniales française et britannique. Comme le rappelle le professeur Steven Plaut, qui a été un des premiers à relever l’utilisation originelle du mot Nakba dès 1920 (2) :

 

“Quand les forces alliées chassèrent les Turcs du Levant, les deux puissances principales, la Grande Bretagne et la France, se partagèrent le butin. La Grande-Bretagne obtint la Palestine, y compris ce qui est aujourd'hui la Jordanie, tandis que la France obtenait le Liban et la Syrie.

Le problème était que les Arabes palestiniens se considéraient comme Syriens et étaient considérés comme tels par d’autres Syriens. Les Arabes palestiniens étaient furieux de ce qu'une barrière artificielle fût érigée au sein de leur patrie syrienne par les puissances coloniales infidèles – une frontière qui allait séparer les Arabes syriens du nord des Arabes syriens du sud, plus tard nommés, à tort, "Palestiniens".

La majeure partie des Arabes palestiniens avaient en fait émigré en Palestine, depuis la Syrie et le Liban, au cours des deux générations précédentes, majoritairement pour profiter de l'amélioration des conditions de vie et des opportunités de travail offertes par l'immigration sioniste et les capitaux qui affluaient dans la région. En 1920, les deux groupes d'Arabes syriens, ceux de Syrie et ceux de Palestine, déclenchèrent des émeutes violentes et meurtrières.

 

Rebelles dans la Ghouta en 1925 - pendant la “Grande révolte syrienne”

 

La “Nakba” désigne donc, dans son sens historique premier, la “catastrophe” du partage du Proche-Orient entre Français et Britanniques et de la fin de l’éphémère “Royaume de Syrie”, avec sa partition en Syrie du Nord et Syrie du Sud. Elle n’a rien à voir avec Israël, ni avec les “Palestiniens” (terme qui n’existait pas en 1920, les Arabes de Palestine mandataire se considérant eux-mêmes comme des Arabes et des habitants de la “Syrie du Sud” (Souriya al-Janubiyya).

Pierre Lurçat

 

NB Retrouvez la suite de mon cours sur le “mythe de la Nakba”, donné dans le cadre de l’Université populaire du judaïsme, en ligne ici, sur le site AKADEM.


 

Notes

(1) https://www.jforum.fr/les-trois-ages-du-mythe-de-la-nakba-une-deconstruction.html

(2) Voir “Comment la Nakba prouve la fiction d’une nation palestinienne” http://lessakele.over-blog.fr/article-19408041.html.

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Yom Yeroushalayim - Herzl et la vision du Temple reconstruit : une prophétie moderne

May 9 2021, 12:35pm

Posted by Pierre Lurçat

 

A l’occasion du Yom Yeroushalayim qui sera célébré ce soir et demain, je publie ici la description de la future Jérusalem vue par le “Visionnaire de l’Etat”, Binyamin Zeev Herzl. Dans le tumulte des violences antjuives déclenchées pendant le mois du Ramadan - violences consubstantielles à l’islam qui s’est propagé au fil de l’épée - nous avons parfois tendance à oublier l’essentiel. L’essentiel, c’est le miracle de notre Terre retrouvée, Jérusalem libérée, et le Mont du Temple encore - mais très provisoirement - sous souveraineté étrangère. Yom Yeroushalayim saméah ! P.I.L.

 

Le Mont du Temple constitue la pierre de touche du sionisme politique et l’un des sujets les plus brûlants du débat interne à Israël aujourd’hui. Plusieurs des pères fondateurs du sionisme et de l’État juif - Herzl, Jabotinsky ou Avraham Kook - partageaient, au-delà de leurs conceptions très différentes de l’État et de la place que la tradition juive devait y occuper, une conception commune de la nécessité de reconstruire le Temple de Jérusalem, symbole et centre de l’existence juive renouvelée en terre d’Israël. Ainsi, dans son roman programmatique Altneuland, Theodor Herzl imagine et décrit avec une précision étonnante la ville sainte, capitale du futur État juif. La lecture de ce roman de politique fiction écrit en 1902 montre que l’État envisagé par Herzl était marqué par une double influence occidentale et juive, qui s’exprime notamment dans les deux édifices qu’il envisage au cœur de la Nouvelle Jérusalem, capitale du futur État juif : le Palais de la paix et le Temple. 

 

Herzl en visite à Jérusalem, 1898

Si le Palais de la Paix exprime la dimension universaliste très présente chez Herzl, et ses conceptions progressistes marquées par l’optimisme caractéristique du dix-neuvième siècle (que l'on peut rapprocher de celui d’un Jules Verne), le Temple exprime la continuité juive et l’enracinement de l’État juif dans l’histoire et la tradition juive bimillénaire. Altneuland est ainsi, conformément à son titre, un pays à la fois ancien et nouveau. L’extrait suivant permet d’apprécier la place que Herzl attribue au Temple dans la Jérusalem reconstruite : 

 

« Ils étaient montés directement de Jéricho au mont des Oliviers, d’où le regard embrasse un vaste panorama circulaire, qui incite au rêve. Jérusalem était restée la Sainte. Elle resplendissait toujours des monuments érigés dans ses murs par les religions au cours des siècles et par des peuples divers. Mais quelque chose de neuf, de vigoureux, de joyeux s’y était ajouté : la vie ! Jérusalem était devenu un corps gigantesque et respirait. La vieille ville, ceinte de ses murailles respectables, n’avait que peu changé, pour autant qu’on pouvait en juger du haut du mont. Le Saint-Sépulcre, la mosquée d’Omar, les coupoles et les toits de jadis étaient les mêmes. Toutefois, mainte merveille les complétait. Le palais de la Paix, par exemple, un vaste édifice neuf, étincelait au soleil. Un grand calme régnait sur la vieille ville.

 

Carte postale représentant le Temple envoyée par Herzl à sa fille Pauline

 https://blog.nli.org.il/en/herzl-postcards-daughter/

 

Hors les murs, Jérusalem offrait un autre spectacle. Des quartiers neufs avaient surgi, traversés de rues plantées d’arbres, une épaisse forêt de maisons entrecoupée d’espaces verts, où circulaient des tramways électriques, des boulevards et des parcs, des écoles, des bazars, des bâtiments publics somptueux, des théâtres et des salles de concert. David nomma les bâtiments les plus importants. C’était une métropole du vingtième siècle.

 

Mais on ne pouvait détacher son regard de la Vieille ville, au centre du panorama. Elle s’étendait de l’autre côté de la vallée du Kidron, dans la lumière de l’après-midi, et une atmosphère de solennité flottait sur elle. Kingscourt avait posé toutes les questions possibles, et David y avait répondu. Mais quel était ce palais gigantesque, blanc et or, dont le toit reposait sur des colonnes de marbre, sur une forêt de colonnes à chapiteaux dorés ? Friedrich ressentit une profonde émotion quand David répondit : ‘C’est le Temple’…

 

 

Ainsi, le fondateur du sionisme politique décrit une Jérusalem moderne, métropole du vingtième siècle reconstruite autour du Temple et du Palais de la paix, symbolisant la double aspiration à la continuité et au renouveau, à la perpétuation de la tradition juive et à l’ouverture vers l’universel qui doivent toutes deux guider, selon Herzl, le projet sioniste. Cette idée apparaît également dans un paragraphe de son livre L’État juif consacré à l’architecture : « La nature même de la région inspirera le génie aimable de nos jeunes architectes… Le Temple continuera d’être bien visible, puisque seule l’ancienne foi nous a maintenus ensemble ». Dans son Journal également, il évoque en ces termes sa visite à Jérusalem en 1898 : « A travers la fenêtre, je contemple Jérusalem qui s’étend devant moi. Même délabrée, c’est toujours une belle ville. Quand nous nous y installerons, elle redeviendra peut-être une des plus belles villes du monde ». 



 

Cent-vingt ans après la visite en Terre Sainte du fondateur du mouvement sioniste, la prophétie de Zeev Binyamin Herzl s’est accomplie. L’État juif est une réalité, et Jérusalem est effectivement devenue une ville moderne, qui s’étend bien au-delà de la Vieille Ville et des ruelles malodorantes qu’il a parcourues à l’automne 1898. Loin de s’abandonner au sentiment de désespoir que la vue de la ville sainte dans sa désolation avait suscité en lui, Herzl a su décrire et imaginer ce qu’elle pourrait devenir, dans le futur État juif à la construction duquel il a donné sa vie. « Ce pourrait être une cité comme Rome et le Mont des Oliviers offrirait un panorama comparable à celui du Janicule. Je sertirais comme un écrin la Vieille Ville avec tous ses restes sacrés. Sur le flanc des collines, qui auraient verdi par notre labeur, s’étalerait la nouvelle et splendide Jérusalem ».



 

L’État d’Israël lui-même, ce « corps gigantesque » qui respire et qui vit, pour reprendre l’image de Herzl, ressemble beaucoup aujourd'hui au pays imaginé par celui-ci dans Altneuland et dans l’État juif, mélange de tradition et de modernité, au carrefour de l’Orient et de l’Occident. Jérusalem, ville où ma mère est née en 1928 et où j'habite depuis plus de vingt-cinq ans, est bien devenue une des plus belles villes du monde, comme l'avait prédit Herzl. Depuis le quartier où je vis, on peut apercevoir en même temps, en regardant vers le Sud, les murailles de la Vieille Ville et l'emplacement du Temple et, en portant le regard vers l'Ouest, à l'horizon, le pont des cordes, gigantesque monument qui orne depuis dix ans l'entrée de la ville nouvelle, œuvre de l'architecte espagnol Santiago Calatrava. Ce pont ultra-moderne qui s'intègre pourtant parfaitement dans le paysage de Jérusalem, avec ses cordes évoquant la harpe du Roi David et sa pointe tendue vers le ciel, est, à l'image de notre capitale et de notre pays, à la fois futuriste et ancré dans la tradition, ouvert sur l'avenir sans renier le passé.

Extrait d’Israël, le rêve inachevé, Quel Etat pour le peuple Juif? éditions de Paris/Max Chaleil 2018.

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