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rav kook

Pourquoi combattons-nous ? (I) : La deuxième Guerre d’Indépendance d'Israël, par Pierre Lurçat

October 29 2023, 18:50pm

Posted by Pierre Lurçat

Pourquoi combattons-nous ?  (I) : La deuxième Guerre d’Indépendance d'Israël, par  Pierre Lurçat

L’échec de Tsahal à anticiper et à empêcher l’attaque meurtrière du 7 octobre revêt une dimension bien plus profonde que la seule dimension des renseignements militaires… Cet échec interroge en réalité la capacité de notre armée et de nos dirigeants à comprendre qui sont nos ennemis et qui nous sommes. Premier volet d’une réflexion sur la dimension identitaire de la guerre actuelle.

 

            « Notre deuxième guerre d’Indépendance » : cette expression a été entendue à maintes reprises depuis le 7 octobre. Hier matin, pourtant, un journaliste de Galé Tsahal, Rino Tsror, contestait sa pertinence et ironisait sur le fait que le Hamas n’était qu’un groupe terroriste primitif armé de bulldozers… Cette remarque atteste à la fois d’une totale incompréhension et de la condescendance que certains médias israéliens continuent d’exprimer, tant à l’égard de l'ennemi que des sentiments ressentis par une large partie de la population d’Israël. En réalité, si le Hamas a été capable de commettre ce massacre avec des moyens aussi primaires en apparence (mais avec le soutien de l’Iran, que le journaliste de Galé Tsahal avait apparemment oublié), cela atteste non pas de sa faiblesse, mais de la nôtre.

 

            Mais l’expression de « Deuxième Guerre d’Indépendance » signifie quelque chose de bien plus profond, qui échappe de toute évidence à Rino Tsror, à Nahum Barnéa et à beaucoup de leurs confrères – hélas surtout occupés à poursuivre leur combat politique contre B. Nétanyahou et contre le gouvernement. Ce que signifie cette expression, c’est que le peuple d’Israël – dans son immense majorité – a ressenti de nouveau, dans sa chair, le même sentiment d'un combat existentiel, qui l’animait en 1948. Ce combat existentiel peut se résumer à trois questions essentielles, que l’on croyait résolues depuis longtemps, et qui ressurgissent aujourd’hui dans toute leur acuité.

 

Contre qui combattons-nous ?

 

            La première de ces questions est celle de savoir contre qui nous nous battons. Contre le seul Hamas et ses exactions ? Contre Gaza, ou contre l’axe du mal Iran-Hamas-Qatar (soutenu par la Russie de Poutine et la Turquie d’Erdogan) ? Contre le « mal absolu » et contre une nouvelle forme de nazisme ? Toutes ces réponses se valent apparemment et se rejoignent, mais elles ne sont pas entièrement équivalentes. De la réponse à cette question dépendent en effet les réponses à deux autres questions, tout aussi fondamentales. Il ne s’agit pas seulement en effet de terminologie, ni même de politique et de stratégie militaire.

 

Car derrière la question de la définition de l’ennemi se profile celle des objectifs de la guerre. Si notre ennemi n’est que le Hamas et ses infrastructures, alors il « suffit » de le détruire militairement, comme Tsahal s’apprête à le faire. Or, cela suffira-t-il ? Non, si l’on considère que le Hamas n’est qu’un élément de « l’axe du mal » et que le problème de Gaza n’est qu’un élément de la sécurité d’Israël. En d’autres termes : une fois le Hamas annihilé, il restera encore à détruire le Hezbollah, le Djihad islamique et sans doute aussi (même si le consensus est beaucoup moins large à son égard) le Fatah de Mahmoud Abbas (sans parler du régime iranien, pour la destruction duquel l’intervention militaire des Etats-Unis est indispensable).

 

Mais on peut également soutenir que notre combat ne vise pas seulement ces ennemis implacables, mais aussi, à travers eux, le nouveau visage de l’Ennemi éternel d’Israël, celui que la tradition juive désigne comme Amalek. Si nous désignons le Hamas comme Amalek, cela signifie qu’il convient non seulement de le détruire militairement, mais d’extirper aussi toute racine de son engeance qui cherche, à chaque génération (comme le dit la Haggadah de Pessah), à nous anéantir. 

 

Pourquoi combattons-nous et dans quels buts ?

 

            La question de la définition de l’ennemi n’est ainsi pas seulement militaire et politique ; elle entraîne des conséquences philosophiques et existentielles. D’aucuns affirment d’ores et déjà que le combat contre l’axe du mal et contre le Hamas est voué à l’échec, parce qu’on « ne peut pas faire disparaître une idéologie ». L’argument n’est pas infondé, mais il risque d’aboutir, si on le prend pour argent comptant, à ne rien faire. Or, le recours aux concepts de la tradition d’Israël permet d’apporter une réponse différente à cette question cruciale.

 

            Si notre ennemi est la figure moderne d’Amalek (et je rappellerai ici que durant plusieurs décennies, des intellectuels et des rabbins israéliens se sont évertués à prétendre qu’Amalek n’avait plus aucune signification pour Israël aujourd’hui et qu’il ne désignait surtout pas l’ennemi palestinien…), alors l’injonction de le combattre doit être renouvelée à chaque génération. C’est sans doute l’oubli de cette injonction – pour des raisons multiples qu’il faudra d’analyser ailleurs[1] – qui a aussi permis au Hamas de mener son attaque et de surprendre Israël. Or, cette injonction vise précisément à nous rappeler à chaque instant que l’ennemi est là et que notre existence n’est nullement garantie, quelle que soit notre puissance militaire et technologique.

 

            Et si l’on accepte que le Hamas est la figure contemporaine d’Amalek, cela veut dire que notre combat est aussi d’essence religieuse, morale et spirituelle, et point seulement militaire. Cette précision est capitale, car elle seule permet d’armer Israël pour affronter un ennemi qui, lui, définit son combat dans des termes religieux. Une des erreurs fondamentales de l’establishment sécuritaire d’Israël depuis des décennies est justement d’avoir cru qu’on pouvait affronter l’ennemi arabe en se définissant uniquement comme un Etat occidental et non comme l’incarnation politique du peuple d’Israël, c’est-à-dire le peuple élu par Dieu pour appliquer sa Torah.

 

Qui sommes-nous et au nom de quoi combattons-nous ?

 

            Ainsi, la définition de l’ennemi est liée non seulement à celle de nos objectifs de guerre, mais aussi à celle de notre identité propre et de ce à quoi nous aspirons. Nous touchons ici à un point crucial, qui permet de comprendre (sans prétendre évidemment entrer dans les calculs de la Providence…) pourquoi la guerre de Simhat Torah intervient précisément après des mois d’une lutte fratricide, dont l’enjeu essentiel était précisément de savoir qui nous sommes et quelle est l’essence profonde de l’Etat d’Israël !

 

            L’échec de Tsahal à anticiper et à empêcher l’attaque meurtrière du 7 octobre revêt ainsi une dimension bien plus profonde que la seule dimension des renseignements militaires… Cet échec touche en réalité à l’incapacité presque congénitale de notre armée à comprendre qui sont nos ennemis et qui nous sommes. (J’ajoute immédiatement que cette incapacité concerne en fait les échelons les plus élevés, car au niveau du simple soldat et des officiers de terrain, beaucoup ont compris depuis longtemps ce dont il est ici question).

 

            Face à un ennemi qui veut nous annihiler au nom de sa religion (l’islam) et qui veut nous annihiler en tant que peuple Juif, porteur de la parole divine (qu’il prétend que nous avons falsifiée), la riposte véritable n’est pas – comme l’ont cru et affirmé des générations de « clercs » israéliens – de dire que nous ne sommes pas animés d'un projet religieux et que nous sommes venus ici uniquement pour créer un Etat refuge, afin d'échapper à l’antisémitisme…

 

La réponse consiste bien au contraire à revendiquer notre identité véritable et à affirmer haut et fort que nous avons, nous, pour objectif, non seulement de détruire le Hamas et tous les autres représentants d’Amalek qui se trouvent à nos frontières et au sein même de notre pays[2], mais aussi d’édifier un Etat juif qui sera, selon l’expression du rabbin Abraham Itshak Hacohen Kook, le « siège de la royauté divine », Kissé Malhout Shamayim. Seule une telle affirmation nous permettra d’asseoir à long terme notre présence sur cette petite portion de terre que le monde entier nous dispute et que Dieu nous a confiée pour y faire régner sa Parole (à suivre…).

P. Lurçat

 

NB Je donnerai une conférence en ligne sous l’égide du centre Menahem Begin, à l’occasion du centième anniversaire de la parution du « Mur de Fer », le mardi 7 novembre à 20h30, sur le thème « Dôme d’acier ou Mur de Fer ? » Comment assurer la sécurité d’Israël selon Jabotinsky.

 

 

[1] Une hypothèse est que nous avons cultivé l’injonction de nous souvenir de la Shoah, mais n’avons pas su l’actualiser, en croyant que le nazisme en tant que mal absolu relevait d'un passé aboli.

[2] Précisons sur ce point que selon les informations les plus récentes, les Arabes israéliens n’ont pas pris fait et cause pour le Hamas à ce jour.

Pourquoi combattons-nous ?  (I) : La deuxième Guerre d’Indépendance d'Israël, par  Pierre Lurçat

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“Humains, trop humains…” : Face à la cruauté du Hamas, l’humanité d’Israël est-elle justifiée? Pierre Lurçat

October 12 2023, 10:11am

Posted by Pierre Lurçat

“Humains, trop humains…” : Face à la cruauté du Hamas, l’humanité d’Israël est-elle justifiée? Pierre Lurçat

NB Plusieurs signes semblent indiquer que nous sommes sortis de cette posture "morale" erronée et que Tsahal se bat aujourd'hui sans limite contre un ennemi inhumain qui ne mérite aucune compassion. Comme je l'écrivais en 2018, "La victoire contre le Hamas n’est pas seulement une question militaire et stratégique, elle est aussi - et avant tout - une question morale. Car c’est sur le plan des normes morales que réside notre principale faiblesse. L’heure est à ‘terroriser les barbares’, selon l’injonction du Rav Kook. L’heure est au réarmement moral d’Israël et du peuple Juif face à leurs ennemis". P.L.

 

Une fillette de la famille du chef du Hamas subit une greffe à l’hôpital Ichilov de Tel-Aviv”. Cette information a fait la “Une” de l’actualité en Israël. Les médias français et occidentaux, eux, l’ont passée à la trappe. Ils préfèrent titrer, comme Le Monde, “Le survivant d’une famille décimée à Gaza, saisit la Cour pénale internationale”, en faisant passer Israël et le peuple Juif pour des assassins, conformément à l’imagerie antisémite séculaire. Mais mon propos n’est pas ici de déplorer une fois de plus les mensonges des médias occidentaux (1). La question qui me préoccupe est celle - plus fondamentale, voire cruciale - de notre propre vérité. Qui sommes-nous, ou plutôt qui voulons-nous être? Un modèle de moralité et d’angélisme dans un monde barbare? 

 

Est-ce que la vocation de “Lumière des nations” que nous assignent nos Prophètes consiste à soigner les proches de nos pires ennemis, ceux qui gardent en otages nos soldats - morts ou vivants - pour obtenir des concessions de notre part, en attendant de lancer un nouvel assaut meurtrier contre nos civils ? Ou peut-être sommes-nous victimes d’une terrible illusion, d’une erreur de perspective à laquelle nous ont habitués des centaines d’années d’existence galoutique, loin des préoccupations de la vie nationale, durant lesquelles nous avons désappris le sens véritable des injonctions bibliques et talmudiques? 

 

Plus encore qu’elle ne nous apprend sur la désinformation et le mensonge permanent des médias occidentaux concernant Israël, la décision de soigner la nièce d’Ismaïl Hanieyh à l’hôpital Ichilov doit nous faire réfléchir sur la psychologie de nos ennemis et la nôtre, et sur l’asymétrie fondamentale du conflit qui nous oppose à nos voisins. Elle nous invite surtout à comprendre ce que signifie véritablement la vocation morale d’Israël. Loin de vouloir faire l’éloge d’Israël, en démontrant une fois de plus combien nous sommes humains et nos ennemis inhumains, je prétends affirmer ici que notre humanité débordante est un défaut et une faille dans notre cuirasse, que nos ennemis savent exploiter pour nous affaiblir. Et elle n’est même pas conforme à notre Tradition authentique...

 

Un présupposé d’humanité mensonger

Car cette décision repose sur un présupposé d’humanité, qui est totalement faux ! Elle fait l’hypothèse que nos ennemis sont des hommes comme nous et qu’en leur montrant un visage d’hommes, nous les inciterons à dévoiler eux aussi leur humanité. Or c’est, hélas, le contraire qui est vrai… Plus nous sommes enclins à faire preuve d’humanité avec eux, plus ils se jouent de nous et se montrent cruels. Cette vérité éternelle avait déjà été énoncée par nos Sages dans le Talmud : « Celui qui a pitié des méchants, finit par se montrer cruel envers les justes… » Le peuple israélien a éprouvé dans sa chair la réalité tragique de cet adage, lorsque le gouvernement Sharon, voulant mettre fin à la « cruelle occupation  de Gaza », a fait preuve de l’inhumanité la plus flagrante envers les Justes qui peuplaient les yichouvim du Goush Katif. 

 

La synagogue détruite de Névé Dekalim : une inhumanité flagrante

 

La parasha de Ki Tetsé commence par le verset : “Lorsque tu iras en guerre contre tes ennemis, que l'Éternel, ton Dieu, les livrera en ton pouvoir, et que tu leur feras des prisonniers”, au sujet duquel Rachi commente : “Il s’agit d’une guerre facultative, car dans les guerres pour Eretz-Israël il ne saurait être question de faire des prisonniers”. Si nous pensons que les mots de Rachi font encore sens aujourd’hui, alors nous ne pouvons faire l’économie de nous interroger sur le sens de ce commentaire, si terrible puisse-t-il paraître à la conscience juive actuelle, façonnée par l’idée occidentale d’origine chrétienne, de la dichotomie entre droit et morale, entre pouvoir séculier et religion. 

 

Comment agir face à des loups sauvages?

Dans un article très éclairant écrit après la Deuxième Guerre du Liban, dans la défunte revue francophone Forum-Israël, le rav Oury Cherki abordait la question de “l’éthique juive de la guerre”, et citait une réponse du rav A.I . Hacohen Kook au rav Zaïdel, qui lui avait demandé pourquoi la tradition juive impose des guerres si violentes et parfois si cruelles (2). Le rav Kook répondit : “Pour ce qui est des guerres, il était impossible à une époque où nos voisins étaient des loups sauvages, que seul Israël ne fasse pas la guerre, car alors, les nations se seraient liguées pour nous exterminer. Bien au contraire, c’était une chose indispensable. Il fallait terroriser les barbares, en employant également des moyens cruels, tout en gardant l’espoir d’amener l’humanité à ce qu’elle devrait être. Mais il ne faut pas avancer le temps, et se croire à l’époque messianique quand on n’y est pas”. 

Cette réponse énonce plusieurs vérités très actuelles sur l’attitude qu’Israël devrait adopter face au Hamas.  Premièrement, face à un ennemi barbare, on se doit d’être cruel. En d’autres termes, il faut “terroriser les terroristes”. (Et qu’on ne vienne pas nous dire que les civils de Gaza sont “innocents”. Car comme l’explique le Rav Cherki, la distinction entre des soldats “coupables” et des civils “innocents” repose sur un syllogisme erroné). Enfin, l’espoir de faire progresser l’humanité vers des normes morales plus élevées n’est pas aboli, mais il concerne les temps messianiques, qui ne sont pas encore là.

Rav Kook : “Il fallait terroriser les barbares”

Nos ennemis ne changeront pas. C’est donc à nous de changer ! Cessons de nous comporter en modèles d’humanisme, en agneaux dans un monde de loups. Devenons une fois pour toutes, comme l’exigeait Jabotinsky, une ‘race fière et cruelle’. Alors que le Hamas se prépare déjà au prochain round contre Israël, l’heure n’est pas aux marques d’humanité envers le Hamas, ses dirigeants et leurs familles, mais au renforcement de notre capacité de résistance et de contre-offensive. La victoire contre le Hamas n’est pas seulement une question militaire et stratégique, elle est aussi - et avant tout - une question morale. Car c’est sur le plan des normes morales que réside notre principale faiblesse. L’heure est à ‘terroriser les barbares’, selon l’injonction du Rav Kook. L’heure est au réarmement moral d’Israël et du peuple Juif face à leurs ennemis.

Pierre I. Lurçat

(Article publié initialement en 2018)

(1) Voir https://infoequitable.org/ sur les mensonges des médias français.

(2) Epitres du rav Kook, Igrot Re’ia, vol. 1 p. 100, cité par O. Cherki, art. cit. C’est moi qui souligne. Je renvoie également sur ce sujet aux chapitres de mon livre La trahison des clercs d’Israël (La Maison d’édition 2016) consacrés au droit juif de la guerre.

 

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Jabotinsky et le rav Kook : la “rencontre” de deux géants, Pierre Lurçat

August 22 2021, 11:51am

Posted by Pierre Lurçat

 

A l’occasion du Yahrzeit du rabbin Avraham Itshak Hacohen Kook, qui a été célébré le 3 Eloul, je publie ici un extrait inédit du nouveau livre de Jabotinsky, Questions autour de la tradition juive, qui paraît ces jours-ci. J’y évoque l’influence décisive qu’a eue sur Jabotinsky la prise de position courageuse du rav Kook dans l’affaire Arlosoroff. P. Lurçat

 

 

L’homme de l’avenir, l’homme entier, auquel aucun sens ne manquera, sera “religieux”. Je ne sais pas quel sera le contenu de sa religion ; cependant il sera porteur du lien vivant entre son âme et l’infini qui l’accompagnera partout où il ira”. (Jabotinsky, De la religion)

 

Le pronostic formulé par Jabotinsky selon lequel “l’homme entier sera religieux”, marque une évolution marquante de sa pensée, depuis celle exprimée trente ans plus tôt dans son article Le sionisme et Eretz Israël. Que s’est-il passé entretemps ? Comment le jeune dirigeant sioniste russe, convaincu que la religion n’est plus aujourd’hui qu’un “cadavre embaumé”, en est-il venu à y voir une dimension importante de la personnalité humaine, aux côtés de la musique et de l’art ? Les raisons de cette évolution radicale sont multiples. Mentionnons tout d’abord le cheminement personnel de Jabotinsky, qui a mûri et a eu le temps d’approfondir sa réflexion sur de multiples domaines. Le leader sioniste endurci qui s’exprime en 1935 n’est évidemment pas le jeune homme fougueux de 25 ans.

 

Le second facteur est celui des rencontres qu’il a faites et des personnes qui l’ont marqué, parmi lesquelles on peut mentionner le rabbin Falk, qui servit comme aumônier militaire dans les rangs des Muletiers de Sion, mais aussi et surtout le grand-rabbin Avraham, qui exerça une influence importante sur l’idée que Jabotinsky se faisait du judaïsme et de la religion. Dans une lettre adressée en juin 1934 à Nathan Milikovsky, qui n’est autre que le grand-père de Benjamin Nétanyahou, Jabotinsky parle en ces termes du rabbin Kook : “Le nom du rabbin K. est devenu en l’espace d’une nuit un symbole sublime dans le cœur des foules. Et moi-même, en toute humilité, si je n’étais pas totalement ignorant des choses de la Tradition, craignant de m’exprimer sur les sujets religieux, je choisirais précisément cet instant pour lancer publiquement un appel dont je rêve depuis l’époque de ma jeunesse : renouveler, de nos jours, le titre de « Cohen Gadol » (Grand-Prêtre)”.



 

 

Le rav Kook : le “Cohen Gadol”

Jabotinsky : un “ange descendu du ciel”



 

De son côté, le rabbin Kook, selon certains témoignages, aurait qualifié Jabotinsky “d’ange de Dieu” . Les deux qualificatifs sont assez forts et inhabituels, tant dans la bouche de Jabotinsky que dans celle du rabbin Kook, pour mériter qu’on y prête attention. Comment ces deux hommes, que tout séparait en apparence et qui ne se sont selon toute évidence jamais rencontrés, en sont-ils venus à se porter une telle estime réciproque ? La réponse à cette question est liée à un événement qui a joué un rôle important non seulement dans l’histoire politique du Yishouv, l’affaire Arlosoroff, mais aussi dans l’évolution des conceptions de Jabotinsky  concernant la place de la religion juive dans le futur État juif, et des rapports entre État et religion en général. 

 

Lorsque le dirigeant sioniste travailliste Haïm Arlosoroff est assassiné sur une plage de Tel-Aviv le 16 juin 1933, la presse et les dirigeants du Yishouv accusent immédiatement – et sans la moindre preuve – le Betar. Trois militants sont arrêtés, sur la base d’un témoignage obscur de la veuve d'Arlosoroff et l’un d’eux, Avraham Stavsky, est condamné à mort. Jabotinsky  est d’emblée convaincu qu’il s’agit d’une fausse accusation et il œuvre sans relâche pour obtenir l’acquittement de Stavsky, qu’il compare dans des articles à Mendel Beilis (Juif ukrainien accusé de crime rituel en 1911). Dans ce combat, Jabotinsky  reçoit le soutien décisif du grand-rabbin de Palestine mandataire, Avraham I. Hacohen Kook. Ce dernier prend courageusement la défense des accusés, s’exposant à la vindicte des journaux et partis de gauche, qui l’insultent et dont certains (comme l’Hashomer Hatzaïr) n'hésitent pas à couvrir le pays d’affiches proclamant “Honte au pays dont les rabbins soutiennent des assassins”!  

 

 

Très impressionné par l’intervention du rabbin Kook, Jabotinsky  écrira plus tard, dans une lettre adressée au rabbin Milikowski, organisateur du comité de défense des accusés, “Vous ne pouvez pas estimer la valeur de cette action… Outre son rôle décisif pour faire triompher la justice dans l’affaire Stavsky, elle aura des conséquences profondes et essentielles sur l’orientation politique et spirituelle du public hébreu en Eretz-Israël et en diaspora. Un exemple : j’ai déjà reçu plusieurs lettres demandant que je propose, lors de notre prochain Congrès mondial, une motion spéciale concernant les rapports entre l’Hatsohar (Organisation sioniste révisionniste) et la tradition religieuse”.

 

Ainsi, de l’aveu même de Jabotinsky, c’est l’intervention du rabbin Milikovsky qui suscita le changement d’orientation de son mouvement, attaché à une laïcité militante, et son évolution vers une attitude plus favorable à la tradition juive. Un an plus tard, en 1935, lors du Congrès fondateur de la Nouvelle Organisation sioniste, Jabotinsky accueille avec sympathie “l’Alliance de Yéchouroun”, courant sioniste-religieux qui vient de s’intégrer au sein du parti révisionniste, malgré la vive opposition de plusieurs membres de la Vieille Garde du parti, au rang desquels figurent Adia Gourevitz (fondateur du mouvement cananéen) et son propre fils, Eri Jabotinsky. 

 

Dans son discours prononcé devant le Congrès de la N.O.S., Jabotinsky  déclare : “Bien entendu, la religion est l’affaire privée de chacun… Dans ce domaine doit régner la liberté absolue, héritée de l’ancien libéralisme sacré… Mais ce n’est pas une question privée de savoir si le Mont Sinaï, les prophètes sont des fondements spirituels ou une momie dans une vitrine de musée, comme le corps embaumé de Pharaon…” Et il poursuit : “C’est une question essentielle et supérieure pour un État et pour notre nation, de veiller à ce que le feu sacré perpétuel ne s’éteigne pas… pour que soit préservée, au milieu du tumulte des innombrables influences qui entraînent la jeunesse de nos jours, et qui la trompent parfois et l’empoisonnent, cette influence qui est une des plus pures – l’esprit de Dieu ; pour qu’un espace subsiste pour ses partisans et une tribune pour ses promoteurs”...

 

Pierre Lurçat

 

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Dans la bibliothèque de mon père : La poésie et l’éclat du monde - à propos de Philippe Jaccottet

October 16 2020, 07:47am

Posted by Pierre Lurçat

 

Découvrir la bibliothèque de quelqu’un, c’est un peu pénétrer le secret de son âme. La bibliothèque de mon père n’était pas seulement l’endroit où il rangeait ses livres. C’était, plus encore, le jardin secret de ses passions multiples, qui se sont succédées au fil des ans. Il n’était pourtant pas un bibliophile, ni un lecteur obsessionnel (ou une “taupe monomaniaque”, selon l’expression d’Einstein qu’il citait parfois). Ses lectures étaient au contraire éclectiques, à l’image de ses multiples centres d’intérêt : science et histoire des sciences, littérature, histoire, philosophie, poésie…. Je pourrais citer, en repensant à ses nombreux livres, la devise de Térence : “Rien de ce qui est humain ne lui était étranger.”



 

“Rien de ce qui est humain ne lui était étranger” : François Lurçat z.l. (1927-2012)



 

A présent qu’il est parti dans le monde de Vérité, en me laissant une partie de ses livres, je retrouve en les lisant certains traits de sa personnalité et découvre des aspects de lui que j’ignorais. Par où commencer? Par les livres qui étaient sans doute ses compagnons les plus permanents et les plus intimes: je veux parler de la poésie. Une transaction secrète, le beau livre de Philippe Jaccottet (poète qu’il affectionnait particulièrement), s’ouvre par cet avertissement :”aucun de ces textes n’a été écrit pour les spécialistes de la littérature (toutes gens dont la science me confond)... mais pour d’éventuels amateurs de poésie”. Ces derniers mots ont été soulignés au crayon par mon père, qui faisait partie de ces amateurs éclairés de poésie, conçue pas tant comme un moyen d’échapper au bruit et à la fureur du monde qui nous entoure, que d’en saisir la vérité profonde.


A l’intérieur des limites de la vie

 

Scientifique de profession, devenu physicien par vocation (il a raconté dans un texte inédit, publié dans ces colonnes, comment il a découvert sa vocation précoce à l’âge de dix ans, alors qu’il séjournait à Moscou avec ses parents), il avait, à travers son amour de la poésie - qui remontait sans doute aux années de son enfance parisienne et moscovite - mis en pratique l’injonction exprimée par Jaccottet dans ses Eléments de poétique : “Ce que j’ai essayé de faire, ou ce que ma nature profonde a essayé de faire en moi, ç’a été que la poésie trouvât place, plus naturellement et plus discrètement, à l’intérieur des limites de la vie…” Oui, la poésie était pour mon père un élément indissociable de sa vie intérieure, une “transaction secrète” qui exprimait les mouvements les plus profonds de son âme.

 

Les mots qui suivent, eux aussi soulignés au crayon dans un recueil de textes de Jaccottet, traduisent bien ce que mon père avait sans doute cherché, et trouvé dans la poésie. “Le monde est-il trop atroce, trop beau? Ce qui apparaît alors, en tout cas, comme une évidence, c’est qu’aucune mesure, à cet égard, ne peut le mesurer. La science peut bien multiplier ses efforts, perfectionner à l’infini ses appareils : il y a un ordre d’expériences qui échappera toujours aux mesures dont elle dispose”. Dans un autre texte, Jaccottet explique ce qu’il reproche aux écrivains du “Nouveau roman” - et à Nathalie Sarraute en particulier - et livre au passage sa conception du rôle de la poésie, et de la littérature en général. “Ce que nous cherchons en fin de compte dans les livres, c’est précisément la grandeur, c’est non point à nous évader du monde, mais à mieux en voir, avec les ombres, l’éclat”.

 

“Un choix en faveur du monde” - Philippe Jaccottet



 

L’éclat du monde, Jaccottet et le rav Kook

 

Oui, c’est bien cet “éclat du monde”, selon l’expression parlante de Jaccottet (qui fait penser à la Kabbale) que mon père cherchait dans la poésie, mais aussi dans la peinture ou dans la musique, ou encore, toujours selon les mots de ce poète avec lequel il éprouvait une affinité particulière - que je n’ai comprise que des années après sa mort - “un choix en faveur du monde”. Cette manière d’envisager le rôle du poète et de l’écrivain, si peu conforme aux canons de notre époque, me semble rejoindre celle qu’avait envisagée le grand rabbin de la Palestine mandataire, Avraham Itshak Hacohen Kook (lui aussi auteur de poésie), dans sa vision de ce que pourraient devenir la littérature, et l’art hébraïque dans l’Etat juif renaissant sur sa terre retrouvée. 

 

Le rav Kook

 

Ainsi ce dernier, dans une lettre visant à encourager les membres de l’académie Betsalel nouvellement fondée à Jérusalem, affirmait sa certitude que “le sentiment esthétique, dès lors qu’il ne se prend pas pour une fin en soi, dispose à recevoir de très hautes lumières” (2). Que la réflexion du poète suisse de culture chrétienne coïncide avec celle du rabbin Kook n’aurait guère surpris mon père, qui avait embrassé le destin du peuple Juif en tant que Ben Noa’h - et dont la bibliothèque contenait aussi de nombreux ouvrages de pensée juive - et notamment le très beau livre Chirat Ha-chaïm (La poésie de la vie), de Yossef Ben Chlomo, publié en français sous le titre trop modeste d’Introduction à la pensée du rav Kook (3).

 

Délabrement des mondes

 

Un autre souci que mon père partageait avec le poète, était celui du “délabrement des mondes” et de la perte du lien entre les mots et les choses, entre le langage et le monde : “Comment te tiendras-tu dans ce délabrement des mondes - Le monde glisse, les saisons se dérobent… - Les joints des mots se rompent, certains sombrent, d’autres s’éloignent… - Qui peut encore parler si l’air lui manque ?” Dans ce souci exprimé par Philippe Jaccottet, je retrouve l’inquiétude profonde qui a conduit mon père à délaisser sa carrière de physicien, après sa retraite de l’université, pour se consacrer à la philosophie des sciences et à la question, cruciale à ses yeux, de l’intelligibilité des théories scientifiques et de leur rapport avec le monde qui nous entoure. Un autre poète avait exprimé - de manière peut-être encore plus aigue - ce souci qui l’animait : Yves Bonnefoy, auquel il avait consacré une étude intitulée “Yves Bonnefoy, le réel et la science” (4). Dans une conférence prononcée en 1958, Bonnefoy affirmait “identifier presque la poésie et l’espoir” et vouloir “réinventer un espoir”. Ailleurs, il écrivait, “Il y a un monde en face de nous, un monde plus vaste que la parole”. 

 

C’est précisément parce que des poètes (mais aussi des philosophes) portaient, bien plus que ses collègues physiciens - pour la plupart incapables de comprendre sa réflexion sur la science, cet espoir de retrouver le contact avec le monde réel - derrière sa description mathématique et scientifique - que mon père fondait lui aussi un espoir sur la poésie. Espoir non certes religieux - car il avait conservé, jusque dans sa critique la plus radicale du scientisme actuel, son esprit scientifique et rationaliste - mais espoir moral et spirituel, comme l’expriment les mots qui concluent le livre La transaction secrète de Philippe Jaccottet : “Une patience illimitée… le travail presque absurde, chaque matin repris, si possible, de changer le mal en bien, ou en moindre mal ; de réparer la demeure… Des graines pour replanter la forêt spirituelle”. יהיה זכרו ברוך

Pierre Lurçat

A suivre...

 

(1) Le livres de Philippe Jaccottet sont publiés aux éditions Gallimard.

(2) Cité par Catherine Chalier, L’appel des images, Actes Sud 2011, p. 28.

(3) Editions du Cerf 1992.

(4) Publiée dans la Nouvelle Revue Française, mai 1993 et reprise dans son livre La science suicidaire, Athènes sans Jérusalem, éditions F.X. de Guibert 1999

 

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Le Saint des Saints : Le Rav Kook et les pionniers d’Eretz-Israël, sous la plume d’Edmond Fleg

August 21 2020, 13:45pm

Posted by Pierre Lurçat et Edmond Fleg

לג'ודית אהובתי - החלוצה שלי

 

Dans de très belles pages de son récit autobiographique, au titre évocateur : Vers le monde qui vient (1), Edmond Fleg décrit son voyage en Eretz-Israël en 1931. Parti sur les traces de Jésus, l’auteur qui relate tout d’abord son judaïsme perdu, puis retrouvé, y fait la rencontre des grands hommes et des héros de la Renaissance juive, de Herzl à Trumpeldor, des morts de Hébron aux Haloutsim qui défrichent la terre et la font refleurir. De ce livre magnifique, j’extrais les lignes suivantes, consacrées au rabbin Avraham Itshak Hacohen Kook, dont le Yahrzeit sera célébré ce dimanche (ג’ באלול).

P. Lurçat 

 

Le rav Kook (1865-1935) pendant la période de Jaffa.

 

“Quel spectacle pourrait différer plus de la Palestine nouvelle, de ses puits à moteur, de ses centrales électriques, de ses écoles, sans rabbins parfois, de ses colonies parfois sans synagogues?

 

Pourtant, quels sont ces hommes rasés, aux cheveux courts, aux jambes nues, à la poitrine nue dans leur chemise ouverte qui, tout à l’heure, escortaient la Tora, qui dansent maintenant avec les Hassidim? Ce sont les Pionniers, les frères de Trumpeldor, les Haloutzim ! Que font ces incroyants, parmi ces croyants? Comment ces purs souffrent-ils ce contact des impurs?

 

Tout à coup, je comprends ! Ils ont la même foi, sous une double apparence : ce que les uns ont espéré, les autres le réalisent ; la prière des saints, leurs bras l’ont exaucée! Ensemble, ils l’accomplissent, le miracle annoncé par la Bible et la Cabbale, le mariage de la terre morte avec le peuple mort, ressuscitant tous deux, par leur embrassement, pour préparer au monde une résurrection !

 

Le rav Kook (au centre) au milieu des haloutsim, 

lors de sa première visite aux moshavot, 1913.

 

Et comme je quittais Méron, je me souvins d’une réponse que m’avait faite à Jérusalem le rabbin Kouk, un des plus orthodoxes.

 

- Que pensez-vous, lui dis-je, des Haloutzim, de ces impies qui veulent bien chômer le Sabbat, se rappeler quelques fêtes de l’année, mais négligent les rites, oublient les traditions?

 

- Savez-vous, me répondit-il, ce que fut jadis le Saint des Saints? C’était, au fond du Temple, un lieu si pur qu’aucun être humain n’y pouvait entrer. Seul, le Grand-Prêtre, au seul jour du Grand-Jeûne, y pénétrait pour prier ; et lui-même, auparavant, devait se purifier. Mais, quand on le construisit, ce Saint des Saint, les maçons qui, dans leurs vêtements souillés, maniaient de leurs mains sales la truelle et le mortier, étaient-ils purs? Les Haloutzim aujourd’hui rebâtissent le Saint des Saints ; pourquoi leur demander la pureté rituelle? Qui laboure la Terre Sainte, en parlant l’hébreu, travaille pour Israël et pour l’Eternel : l’hébreu mène à la Bible, la Terre d’Israël à Dieu !” (2)

Edmond Fleg

 

(1) Albin Michel 1960. Sur Edmond Fleg, lire l’article de Véronique Chemla, http://www.veroniquechemla.info/2010/02/edmond-fleg-1874-1963-chantre-sioniste.html

(2) Cette idée, qui revient à plusieurs reprises dans les écrits du rav Kook, inspira également sa rencontre avec les haloutsim habitant des Moshavot, auxquels il rendit visite à trois reprises, en 1913, 1923 et 1927.

 

 

Edmond Fleg (à gauche) aux côtés de Robert Gamzon

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"Terrorisons les barbares" - Face à la cruauté du Hamas, l’humanité d’Israël est-elle justifiée? par Pierre I. Lurçat

August 28 2018, 20:26pm

Posted by Pierre Lurçat

"Terrorisons les barbares" - Face à la cruauté du Hamas, l’humanité d’Israël est-elle justifiée? par Pierre I. Lurçat

 

La Cour suprême autorise cinq malades de Gaza à se rendre à Jérusalem”. Cette information a fait la “Une” de l’actualité en Israël. Les médias français et occidentaux, eux, l’ont passée à la trappe. Ils préfèrent titrer, comme Libération, “Gaza, génération estropiés”, en faisant passer Israël et le peuple Juif pour des assassins, conformément à l’imagerie antisémite séculaire. Mais mon propos n’est pas ici de déplorer une fois de plus les mensonges des médias occidentaux. La question qui me préoccupe est celle - plus fondamentale, voire cruciale - de notre propre vérité. Qui sommes-nous, ou plutôt qui voulons-nous être? Un modèle de moralité et d’angélisme dans un monde barbare?

Libération : l’imagerie antisémite séculaire

Est-ce que la vocation de “Lumière des nations” que nous assignent nos Prophètes consiste à soigner les proches de nos pires ennemis, ceux qui gardent en otages nos soldats - morts ou vivants - pour obtenir des concessions de notre part, en attendant de lancer un nouvel assaut meurtrier contre nos civils ? Ou peut-être sommes-nous victimes d’une terrible illusion, d’une erreur de perspective à laquelle nous ont habitués des centaines d’années d’existence galoutique, loin des préoccupations de la vie nationale, durant lesquelles nous avons désappris le sens véritable des injonctions bibliques et talmudiques?

 

Plus encore qu’elle ne nous apprend sur la désinformation et le mensonge permanent des médias occidentaux concernant Israël, la décision de la Cour suprême doit nous faire réfléchir sur la psychologie de nos ennemis et la nôtre, et sur l’asymétrie fondamentale du conflit qui nous oppose à nos voisins. Elle nous invite surtout à comprendre ce que signifie véritablement la vocation morale d’Israël. Loin de vouloir faire l’éloge d’Israël, en démontrant une fois de plus combien nous sommes humains et nos ennemis inhumains, je prétends affirmer ici que notre humanité débordante est un défaut et une faille dans notre cuirasse, que nos ennemis savent exploiter pour nous affaiblir. Et elle n’est même pas conforme à notre Tradition authentique...

 

Un présupposé d’humanité mensonger

Car la décision de juges siégeant à Jérusalem repose sur un présupposé d’humanité, qui est totalement faux ! Elle fait l’hypothèse que nos ennemis sont des hommes comme nous et qu’en leur montrant un visage d’hommes, nous les inciterons à dévoiler eux aussi leur humanité. Or c’est, hélas, le contraire qui est vrai… Plus nous sommes enclins à faire preuve d’humanité avec eux, plus ils se jouent de nous et se montrent cruels. Cette vérité éternelle avait déjà été énoncée par nos Sages dans le Talmud : « Celui qui a pitié des méchants, finit par se montrer cruel envers les justes… » Le peuple qui vit à Sion a éprouvé dans sa chair la réalité tragique de cet adage, lorsque le gouvernement Sharon, voulant mettre fin à la « cruelle occupation  de Gaza », a fait preuve de l’inhumanité la plus flagrante envers les Justes qui peuplaient les yichouvim du Goush Katif.

La synagogue détruite de Névé Dekalim : une inhumanité flagrante

 

Nous avons lu shabbat dernier la parasha de Ki Tetsé, qui commence par le verset : “Lorsque tu iras en guerre contre tes ennemis, que l'Éternel, ton Dieu, les livrera en ton pouvoir, et que tu leur feras des prisonniers”, au sujet duquel Rachi commente : “Il s’agit d’une guerre facultative, car dans les guerres pour Eretz-Israël il ne saurait être question de faire des prisonniers”. Si nous pensons que les mots de Rachi font encore sens aujourd’hui, alors nous ne pouvons faire l’économie de nous interroger sur la signification de ce commentaire, si terrible puisse-t-il paraître à la conscience juive contemporaine, façonnée par l’idée occidentale d’origine chrétienne, de la dichotomie entre droit et morale, entre pouvoir séculier et religion.

 

Comment agir face à des loups sauvages?

Dans un article très éclairant écrit après la Deuxième Guerre du Liban, dans la défunte revue francophone Forum-Israël, le rav Oury Cherki abordait la question de “l’éthique juive de la guerre”, et citait une réponse du rav A.I . Hacohen Kook au rav Zaïdel, qui lui avait demandé pourquoi la tradition juive impose des guerres si violentes et parfois si cruelles (1). Le rav Kook répondit :

“Pour ce qui est des guerres, il était impossible à une époque où nos voisins étaient des loups sauvages, que seul Israël ne fasse pas la guerre, car alors, les nations se seraient liguées pour nous exterminer. Bien au contraire, c’était une chose indispensable. Il fallait terroriser les barbares, en employant également des moyens cruels, tout en gardant l’espoir d’amener l’humanité à ce qu’elle devrait être. Mais il ne faut pas avancer le temps, et se croire à l’époque messianique quand on n’y est pas”.

Cette réponse énonce plusieurs vérités très actuelles sur l’attitude qu’Israël devrait adopter face au Hamas.  Premièrement, face à un ennemi barbare, on se doit d’être cruel. En d’autres termes, il faut “terroriser les terroristes”. (Et qu’on ne vienne pas nous dire que les civils de Gaza sont “innocents”. Car comme l’explique le Rav Cherki, la distinction entre des soldats “coupables” et des civils “innocents” repose sur un syllogisme erroné). Enfin, l’espoir de faire progresser l’humanité vers des normes morales plus élevées n’est pas aboli, mais il concerne les temps messianiques, qui ne sont pas encore là.

 

Rav Kook : “Il fallait terroriser les barbares”

Comme je l’écrivais au lendemain du carnage d’Itamar : Nos ennemis ne changeront pas. C’est donc à nous de changer ! Cessons de nous comporter en modèles d’humanisme, en agneaux dans un monde de loups. Devenons une fois pour toutes, comme l’exigeait Jabotinsky, une ‘race fière et cruelle’. Alors que le Hamas se prépare activement au prochain round contre Israël, l’heure n’est pas aux marques d’humanité envers le Hamas, ses dirigeants et leurs familles, mais au renforcement de notre capacité de résistance et de contre-offensive. L’heure est à ‘terroriser les barbares’, selon l’injonction du Rav Kook.

Pierre Itshak Lurçat

Note

(1) Epitres du rav Kook, Igrot Re’ia, vol. 1 p. 100, cité par O. Cherki, art. cit. C’est moi qui souligne. Je renvoie également sur ce sujet à mes articles “Israël face au Hamas, Samson enchaîné”, et “Tsahal applique-t-elle trop bien le droit de la guerre face au Hamas?”, ainsi qu’aux chapitres de mon livre La trahison des clercs d’Israël consacrés au droit juif de la guerre.

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L'affaire du Kottel - Le Rav Kook et le combat pour les droits des Juifs, Pierre Lurçat

August 14 2018, 12:13pm

Posted by Pierre Lurçat

Le Rav Kook (1865-1935)

Le Rav Kook (1865-1935)

 

La politique de la Kedousha : le Rav Kook et le mouvement sioniste révisionniste (I)

Le Yahrzeit du Rav Avraham Itshak Hacohen Kook - grand-rabbin de la Palestine mandataire et figure de proue du sionisme religieux - est l’occasion de nous pencher sur un sujet rarement évoqué : celui de l’engagement politique du Rav Kook. On connaît bien les positions politiques du Rav Tsvi Yehouda, fils du Rav Kook, associé au mouvement des implantations et plus précisément au Goush Emounim, fondé par plusieurs de ses élèves en 1974. Mais le Rav Kook père fut lui aussi un rabbin engagé politiquement, qui n’hésita pas à laisser de côté ses livres et l’étude de la Torah, pour prendre parti dans des causes politiques brûlantes, à plusieurs moments déterminants de l’histoire du Yishouv. C’est sur un de ces épisodes, aujourd’hui largement oublié, que nous voudrions revenir, en nous attachant plus particulièrement aux liens tissés entre le Rav Kook et des membres du mouvement sioniste révisionniste et de la mouvance sioniste de droite en Eretz-Israël.

 

Le Rav Kook à Jérusalem, 1925


 

L’affaire du Kottel et les sonneurs de choffar du Betar

 

Le premier épisode se déroule au mois d’Av 5690 (1930). A l’époque, les Arabes de Jérusalem et de Palestine mandataire, incités par le tristement célèbre mufti de Jérusalem, Hadj Amin Al-Husseini (qui allait s’allier avec Hitler quelques années plus tard et participer activement à la Shoah), avaient décidé de contraindre les Juifs à renoncer au Kottel, le mur occidental du Temple. A cette fin, ils menacèrent de renouveler les violences anti-juives, qui avaient fait des dizaines de victimes l’année précédente, lors des pogromes de 1929 (1). Durant la même période, le mufti Al-Husseini développa, en étroite collaboration avec le mouvement des Frères musulmans, qui venait tout juste d’être créé en Egypte, la thématique de propagande meurtrière autour de la mosquée Al-Aqsa, exprimée dans le slogan mensonger “Al-Aqsa en danger”, qui allait devenir un élément essentiel de la propagande islamiste jusqu’à nos jours (2) .

 

C’est dans ce contexte explosif que le Rav Kook s’engagea avec force dans le combat pour protéger les droits des Juifs sur le Kottel, prenant position publiquement et témoignant devant la Commission spéciale créée par le gouvernement britannique, sous l’auspice de la Ligue des nations, pour “examiner les droits des juifs et des musulmans sur le Mur des lamentations”. Le Rav Kook, invité à témoigner devant la Commission, proteste avec véhémence contre la prétention de celle-ci de déterminer à qui appartient le Kottel. “Cette Commission de la Ligue des Nations est-elle la propriétaire du Kottel?” s’exclame-t-il avec force. “Qui vous a donné l’autorisation de décider à qui il appartient? Le monde entier appartient au Créateur et Il a transféré la propriété de la Terre d’Israël tout entière - y compris le Kottel - au peuple Juif (Rachi sur Genèse 1.1). Aucune puissance au monde, pas même la Ligue des nations, ni la présente commission, ne peut nous retirer ce droit”.

 

Malgré les protestations du Rav Kook, le rapport de la Commission conclut que la propriété du Mur appartient exclusivement aux musulmans (!) mais que les juifs ont cependant le droit de prier au Kottel, sous certaines restrictions, et sans que cela leur confère aucun droit de propriété. Parmi les restrictions apportées au droit de culte des Juifs figure l’interdiction de sonner du Shoffar, pour ne pas “causer de perturbation aux musulmans”. Cette dernière interdiction est particulièrement insupportable pour les Juifs de Jérusalem et du Yishouv, qui ont l’habitude de sonner du Shoffar au Kottel lors des grandes fêtes, et notamment à Yom Kippour.

 

Le jour de Kippour 1930, un jeune élève de l’école des cadres du Betar, le rav Moshé Segal, décide de braver l’interdiction et sonne du Shoffar pendant les prières de ce jour sacré, devant le Kottel. Il est immédiatement arrêté par la police britannique et conduit à la prison de Kishlé, dans la Vieille Ville. Informé de ces événements, le Rav Kook intervient immédiatement, sans attendre la fin du jeûne, auprès du secrétaire du gouvernement du mandat, en exigeant la libération de Segal. Il prévient son interlocuteur qu’il ne mettra pas fin à son jeûne, tant que le jeune Juif ne sera pas libéré. Face à la fermeté du Rav, le représentant du gouvernement anglais cède et ordonne de libérer Moshé Segal.

 

Moshé Segal sonnant du Shoffar au Kottel, 1930


 

Quelques semaines auparavant, le 15 août 1929, lors du jeûne de Tisha Be’Av, des centaines de jeunes Juifs appartenant au Betar et au “Comité pour le Mur” créé par le professeur Yossef Klausner se rendent en procession vers le Kottel, brandissant le drapeau national juif et chantant l’hymne national, Hatikva. En réaction, les Arabes incités par le Mufti déclenchent des émeutes, brûlant des livres de prières et objets du culte juifs. Les jeunes Juifs du Betar, arrivés au Kottel, s’écrient à voix haute : “Shema Israël, le Kottel est à nous, le Kottel est un”. Ils se rendent ensuite vers la yeshiva Mercaz Harav pour y rencontrer le Rav Kook. Le récit de cette rencontre nous a été transmis par le rabbin Shlomo Zalman Sonnenfeld .

 

“Le Rav Kook était très ému.. Il se leva de son siège, se pencha vers les jeunes Juifs et leur dit d’une voix étranglée d’émotion : “La fierté nationale qui anime vos coeurs est l’expression de la sainteté de l’âme divine qui appartient à tout Juif. Par votre zèle en faveur des lieux saints de la nation, vous êtes semblables aux Maccabim.. Nous avons l’obligation de faire savoir au monde entier, qu’il n’est pas possible qu’un Lieu saint comme le Mur occidental reste entouré de ruelles pestilentielles. Nous exigeons la justice et nous n’en démordrons pas. Que D.ieu vous bénisse de Sion!”.

 

(à suivre...)

Pierre Lurçat

Notes

(1) Pogromes que l’historiographie juive désigne plus sobrement par l’euphémisme “d’événements de 1929”.

(2) C’est Amin Al-Husseini qui a convaincu le mouvement des Frères musulmans égyptiens – matrice de l’islamisme contemporain – de faire de la guerre contre les Juifs et de la question de Jérusalem un élément central de leur propagande, à une époque où ils ne manifestaient aucun intérêt pour ce qui se passait dans la Palestine mandataire voisine. Certains écrivains et hommes politiques égyptiens avaient même exprimé leur sympathie pour le mouvement sioniste, à l’instar du célèbre penseur musulman Rashid Rida, rédacteur en chef du journal Al-Manar. Voir Paul Landau, Le Sabre et le Coran, éditions du Rocher 2006.

(3) Rapporté par Simha Raz, Mala’him kibné Adam, éd. Kol Mevasser, Jérusalem 1993. Voir également sur cet épisode http://www.ravkooktorah.org/YOM_KIPPUR_66.htm.  Lire aussi l’article intéressant du Blog BokerTovYérushalayim, https://bokertovyerushalayim.wordpress. com/2015/09/25/le-groupe-clandestin-des-souffleurs-de-shofar/

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