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litterature

Amos Oz, côté jardin, Pierre Lurçat

July 3 2022, 07:12am

Amos Oz, côté jardin, Pierre Lurçat

(Article paru dans Causeur.fr)

 

A l'ère de #MeToo et de la confusion des genres qui caractérise notre époque, il n'est pas rare que les écrivains fassent parler d'eux après leur mort et pas toujours à leur avantage. C'est ce qui est arrivé à l'écrivain israélien Amos Oz, décédé en 2019. Sa fille Galia a publié il y a un an un livre qui s'apparentait à un règlement de comptes, intitulé Quelque chose déguisé en amour. Son fils et sa fille aînée Fania ont tenté depuis de restaurer l'image de leur père.

 

C'est aujourd'hui au tour de Nili Oz de publier en Israël son témoignage, au sujet de l'homme dont elle a partagé la vie pendant plus de soixante ans. Intitulé « Mon Amos », ce petit livre dévoile un visage de l'écrivain mal connu du grand public, intime et émouvant. On y découvre un jeune homme à la fois sensible et sûr de lui, qui a connu le succès dès son premier livre et qui a apostrophé publiquement tous les dirigeants israéliens, depuis David Ben Gourion jusqu'à Benyamin Netanyahou.

 

Oz – né Klausner – est issu d’une famille bien connue de l'aristocratie sioniste de droite (son oncle était l'historien renommé Yossef Klausner). Très tôt, il a cependant abandonné l’ethos sioniste de la droite israélienne pour devenir le chantre de « La Paix maintenant ». Cette métamorphose a sans doute des causes multiples, que Nili Oz ne détaille pas. Mais la raison principale est le conflit avec son père, intimement lié au décès tragique de sa mère Fania, qui a mis fin à ses jours quand Amos était âgé de douze ans.

 

Cet événement traumatique a pour ainsi dire déterminé toute sa vie, car il ne s'est jamais remis de la perte de sa mère, comme le montre bien le livre. C'est sans doute la privation d'amour maternel qui l'a conduit à rechercher plus ou moins activement les honneurs et l'attention du public, en Israël comme à l'étranger. Paradoxalement, le succès et la publicité dont son œuvre a été gratifiée, dès le début de sa carrière littéraire, n'ont jamais pu combler ce manque initial.

 

Amos Oz est resté toute sa vie l'adolescent orphelin en quête de l'affection d'une mère disparue. Ce manque s'accompagnait d'un reproche non exprimé envers la mère absente. La description faite par Oz lui-même dans Une histoire d'amour et de ténèbres, sans doute son plus beau livre, est ainsi corroborée par le récit de la femme qui l'a aimé et accompagné toute sa vie adulte. Mais ce n'est qu'un aspect du livre, qui raconte aussi la vie au kibboutz et les relations entre l’écrivain et la femme de sa vie. Le portrait dressé par Nili Oz est plein de retenue et d'humour.

 

Ce livre, qui mériterait d’être traduit en français, permet de mesurer l’écart entre l’homme privé et la figure publique, bien connue à travers ses interventions dans les médias internationaux, du Monde au New York Times. Une anecdote illustre la distance qui séparait l’écrivain et l’homme public de l’homme privé. Pendant la première guerre du Liban, dont Israël marque ces jours-ci le quarantième anniversaire, Menahem Begin justifia l'opération « Paix en Galilée » en invoquant la Shoah. En réaction, Amos Oz publia un article intitulé, « M. Begin, Hitler est mort ! », signifiant par-là que le souvenir de la Shoah ne devait pas être utilisé à des fins politiques.

 

En apparence, tout séparait l’écrivain Sabra du kibboutz Houlda du Premier ministre d’origine lituanienne, dont les opposants moquaient le style « exilique ». Mais en vérité, la Shoah était bien présente dans la vie privée d’Amos Oz, car la famille de sa mère avait été exterminée, et le deuil de ses parents n’était pas étranger à sa fin tragique. Ainsi, c’est bien la destruction des Juifs d’Europe qui avait en large partie déterminé la vie privée de l’écrivain. Son jardin secret était hanté par le souvenir de cette mère rescapée de l’horreur et trop tôt disparue.

Pierre Lurçat

Nili Oz, My Amos, Keter 2022.

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NB Je serai présent cet après-midi au Salon du livre francophone organisé à Jérusalem dans les locaux de Qualita

Amos Oz, côté jardin, Pierre Lurçat

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Un récit de la perte et du don : Le tranchant de la lumière, d’Evelyne Tschirhart

August 13 2020, 18:49pm

Posted by Pierre Lurçat

Et soudain, au détour du sentier, la clairière s’était logée tout entière dans son regard ébloui avec, au-dessus d’elle, une large tache d’un bleu séraphin.

Alors une partie de son enfance avait surgi ; autrefois, dans la détresse de l’exil, elle avait dû trouver une forme de consolation dans ce contact nouveau avec la nature… Et, à cet instant, la nostalgie poignante de ce qui avait été une perte, en même temps qu’un don, avait fait surgir les images oubliées de Souzy, les avait révélées dans la lumière de la clairière où toutes les nuances de vert s’étageaient jusqu’au bleu”.


 

Comme tous les grands livres, on peut aborder Le tranchant de la lumière de différentes manières. A travers la quête d’une enfance perdue et retrouvée, c’est d’abord le récit poignant d’une enfant cachée pendant la Shoah, qui tente de reconstituer par les mots ce dont elle a été largement privée - une enfance marquée par la blessure de l’absence d’une mère internée à Drancy, disparue sans qu’elle sache si elle reviendrait un jour (“Faut-il donc toujours craindre de voir disparaître ceux qu’on aime?”). Mais le drame de la séparation et de la disparition (provisoire) de la mère n’est qu’un aspect du livre. 

 

En même temps que la perte, comme l’écrit l’auteur, il y a le don, que l’enfant saura faire vivre et fructifier. Ce don concomitant à la perte, il est tout d’abord celui d’un regard acéré sur le monde environnant. Très jeune, l’enfant recueillie par une tante et confiée à une nourrice en Essonne apprend ainsi à poser un regard étonné et curieux sur la nature qui l’entoure. Dans ce regard attentif, souvent émerveillé, on voit naître la vocation future de l’artiste, qui saura un jour faire revivre, sur sa pellicule ou sur la toile, les premières impressions de l’enfant qu’elle a été.

 

Si elle avait eu besoin de ce retour, ce n’était pas seulement pour revoir des lieux décisifs de son enfance qu’elle avait en partie enfouis. C’était aussi pour ressaisir dans son corps le sens si particulier de leur éclat. C’était bien cet éclat qu’elle avait recherché ou simplement reconnu par la suite, au cours de ses déambulations, à travers la photographie ou la peinture, sans toujours pouvoir en désigner l’origine. Il lui avait permis de voir les choses avec une intensité et une vérité qui l’apaisaient”.

 

 

Le “tranchant de la lumière”,  c’est aussi  cette omniprésence de la lumière et de son caractère insaisissable que la narratrice du livre tente de saisir, avec ses mots, avec son appareil photo, et de fixer sur le papier, par l’écriture et par la photographie. Car le photographe, tout comme l’écrivain, s’efforce d’immobiliser ce qui est par définition mouvant et instable : la réalité du monde qui nous entoure, tout comme celle du souvenir et du vécu intérieur. Les pages évoquant le village, les descriptions de la nature paisible et de la vie à la campagne sont parmi les plus belles du livre. La troisième dimension du livre (mais il y en a d’autres encore), c’est celle de la redécouverte de l’identité juive. 

 

Le livre s’ouvre ainsi sur la vision de l’église du village, qui surgit majestueuse, au-dessus du champ de maïs. Quand la narratrice retrouve la maison de sa tante, où elle a passé une partie de la guerre après l’internement de sa mère, le nom de la  rue des Fèves lui fait penser à la galette des Rois, ce “gâteau d’Epiphanie”. “La maison de tante Suzanne, c’était cette graine d’Epiphanie longtemps enfouie et qui germait en cet instant dans la douce chaleur de l’émotion”... Les références chrétiennes sont toujours présentes, de manière plus ou moins visible, dans cette terre de France qui demeure imbibée de son passé et de son histoire.

 

Les platanes, photo Evelyne Tschihart


 

Dans les dernières pages, le narrateur se trouve à Jérusalem, et elle se laisse guider par la foule jusqu’au “Mur des Lamentations”. “Ida ignorait à peu près tout de la religion de ses ancêtres, mais elle se sentait pourtant profondément imprégnée de cette ferveur qui s’exprimait là… Les mots de la prière lui manquaient mais sa fidélité à ce peuple était intacte et sereine, pour les suppliciés, pour sa mère, pour la transmission qui avait tant manqué et pour ce peuple qui vivait, ici et maintenant, dans sa fierté retrouvée”. Ainsi, le périple de la narratrice sur les traces de son séjour d’enfant caché en Essonne se double d’un autre voyage, à la fois extérieur et intime, en quête de son identité juive. C’est à Jérusalem qu’elle trouve une réparation au manque de la famille maternelle, dans ce voyage qui est “à la fois un retour aux sources et un moment d’apaisement”. Un très beau livre.

Pierre Lurçat

 

Evelyne Tschirhart, Le tranchant de la lumière, éditions Terra Cota 2013.

Site de l’auteur : http://www.tschirh-art.com/

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