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Le mythe du “génocide du peuple palestinien”, Pierre Lurçat

January 8 2024, 16:55pm

Posted by Pierre Lurçat

Le mythe du “génocide du peuple palestinien”, Pierre Lurçat

 

Alors que la Cour de justice de La Haye s'apprête à examiner la plainte pour génocide de l'Afrique du Sud contre Israël, je publie ici un extrait de mon livre Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain, consacré au mythe du “génocide du peuple palestinien”. A travers les accusations récurrentes de génocide portées contre Israël et son armée, c’est en effet le discours mythique de l’antisémitisme séculaire qui se perpétue. P.L.

 

 

La présentation constante d’Israël et de son armée comme “tuant des Palestiniens” n’est pas une simple accusation polémique. Derrière l’accusation de meurtre délibéré, de “crimes de guerre” et de “génocide”, il y a un véritable discours mythique. Lisons à ce propos les remarques éclairantes de Pierre-André Taguieff, au sujet de l’affaire Al-Dura[1] :

 

Dans la construction du sionisme comme une entreprise génocidaire, les propagandistes font feu de tout bois : après avoir transformé les Palestiniens en symboles des pauvres, des humiliés et des offensés, puis en victimes de “l’impérialisme d’Israël”, ou plus largement d’un “complot américano-sioniste”, ils leur donnent le visage de prétendus “enfants-martyrs”. C’est en effet par assimilation avec la légende du crime rituel juif “que s’est opérée l’exploitation internationale, par toutes les propagandes antisionistes, du prétendu “assassinat par l’armée israélienne du jeune Palestinien Mohammed Al-Dura”.

 

Cette analyse relie de manière très significative l’affaire du petit Mohammed Al-Dura à l’accusation séculaire du “crime rituel”, qui est une des thématiques les plus anciennes de l’antisémitisme. La propagande contemporaine n’a en l’occurrence rien inventé : elle ne fait que recycler constamment des thèmes anciens, qu’elle puise dans l’imaginaire collectif et dans l’arsenal de la propagande antisémite, développé au cours des siècles.

 

Ajoutons qu’on ne saurait comprendre l’acharnement avec lequel les médias français et occidentaux présentent chaque Palestinien tué dans un “affrontement” (le plus souvent alors qu’il était lui-même l’assaillant) comme une “victime innocente”, si on ne tient pas compte de ce ‘subtexte’, ou fondement sous-jacent - conscient ou non - du mythe du crime rituel, à travers le prisme duquel le conflit israélo-arabe est constamment présenté. Ce mythe ancien est apparemment resté présent dans l’inconscient collectif occidental. C’est en faisant cette hypothèse et en gardant à l’esprit ces remarques préliminaires, que nous allons analyser le mythe du “génocide du peuple palestinien”. (...)

 

La filiation historique entre l’antisionisme et l’antijudaïsme

 

En réalité, ce mécanisme d’inversion permanent consistant à vouloir détruire l’adversaire tout en l’accusant de ses propres intentions n’a rien de nouveau. L’historien Georges Bensoussan écrit à ce propos que “tout discours meurtrier impute en effet à sa victime le dessein qu’il nourrit à son endroit[2]”. Pierre André Taguieff analyse également ce mécanisme, auquel il a donné le nom, que nous lui empruntons, d’inversion victimaire, dans ses “trois grands moments historiques”[3] : celui de l’antijudaïsme antique et médiéval, celui de l’antisémitisme moderne, et enfin celui de l’antisionisme contemporain. Cette perspective historique plus large nous permet de comprendre comment le mythe du “génocide du peuple palestinien” s’inscrit dans le droit fil de l’accusation de crime rituel, qu’il reprend à son compte et auquel il donne des formes nouvelles.

 

Un élément essentiel à la compréhension du mythe du génocide et des autres mythes de l’antisionisme contemporain est en effet celui de la filiation historique qui relie ce dernier à l’antisémitisme moderne et à l’antijudaïsme de l’Antiquité et du Moyen-Âge. Ce n’est pas par hasard que les analyses les plus éclairantes de l’antisionisme contemporain ont été faites par des historiens, comme Pierre-André Taguieff, souvent cité dans le cadre de notre ouvrage, et l’historien de l’antisémitisme Léon Poliakov, dont il poursuit les travaux. Un exemple récent nous est donné par le discours de Mahmoud Abbas en décembre 2019, dans lequel il a accusé Israël d’être responsable de la diffusion de drogues au sein de la société palestinienne[4]. En juin 2016, Abbas avait déjà accusé Israël d’empoisonner les puits et l’eau potable bue par les Palestiniens[5].

 

 
Le mythe du “génocide du peuple palestinien”, Pierre Lurçat

Cette accusation était de toute évidence la remise au goût du jour d’un thème antisémite ancien, largement répandu au Moyen-Age. La légende des “Juifs empoisonneurs” réapparaît ensuite au 16e siècle, sous la plume de Martin Luther, qui affirmait que “si les Juifs pouvaient nous tuer tous, ils le feraient volontiers, certes, spécialement ceux qui exercent la médecine[6]. Plus tard, cette accusation revient sur le devant de la scène à l’époque contemporaine, lors de la tristement célèbre affaire du “complot des Blouses blanches”, orchestré par Staline en janvier 1953. Plus récemment encore, l’accusation d’empoisonnement est formulée à l’encontre d’Israël, lors du décès de Yasser Arafat en novembre 2004, dans un hôpital français.

 

Cet exemple - parmi beaucoup d’autres - permet de comprendre comment fonctionne le discours antisioniste, et plus précisément comment il s’alimente à la source de l’antijudaïsme antique et de l’antisémitisme moderne. Il le fait en puisant dans l’éventail de stéréotypes négatifs concernant les Juifs, qui s’est constitué depuis des siècles. Le discours antisioniste radical, comme le discours antisémite “classique”, fait feu de tout bois : il puise indistinctement dans les accusations antijuives d’origine religieuse, chrétienne notamment. Citons encore Taguieff : “La sécularisation des accusations contre les Juifs, à l’exception de celle de déicide, n’a nullement interrompu, à partir du 18e siècle, le processus de transmission de leurs formes religieuses”[7].

 

De même, pourrait-on dire en extrapolant cette remarque, la sécularisation des accusations contre Israël dans l’antisionisme contemporain n’a pas interrompu le processus de transmission de thèmes antijuifs anciens, comme on le voit dans le discours d’un Mahmoud Abbas accusant Israël (et les rabbins) d’empoisonner les puits des Palestiniens.

 

(Extrait de P. Lurçat, Les Mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain, éditions l’éléphant 2021. En vente sur Amazon).

Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain – Éditions L’éléphant

 

 

[1] La Judéophobie des Modernes, op. cit. p. 300. Le 30 septembre 2000, la chaîne France 2 diffusait des images d’un échange de tirs au carrefour Netsarim, dans la bande de Gaza. Le correspondant Charles Enderlin affirmait que le jeune Mohammed Al-Dura avait été tué par des tirs israéliens. Cette affirmation qui ne reposait sur aucun élément incontestable donna lieu à des accusations contre Tsahal d’avoir délibérément tué Al-Dura. 

[2] In “Antisémitisme et négationnisme dans le monde musulman”, Revue d’histoire de la Shoah no. 180, janv-juin 2004. p. 12.

[3] Pierre-André Taguieff, « Un exemple d’inversion victimaire : l’accusation de meurtre rituel et ses formes dérivées », Argumentation et Analyse du Discours [En ligne] 18/10/2019. http://journals.openedition.org/aad/3500

[4]Abbas accuse Israël d'être à l'origine de la corruption chez les Palestiniens”, i24news.tv, 20/12/2019

https://www.i24news.tv/fr/actu/international/moyen-orient/1576834118-abbas-accuse-israel-d-etre-a-l-origine-de-la-corruption-chez-les-palestiniens

[6] Trachtenberg, Joshua. 1983 [1943]. The Devil and the Jews : The Medieval Conception of the Jew and Its Relation to Modern Antisemitism (New Haven : Yale U. P.) Cité par Taguieff 2019.

[7] Pierre-André Taguieff, « Un exemple d’inversion victimaire : l’accusation de meurtre rituel et ses formes dérivées », 2019 https://journals.openedition.org/aad/3500#bodyftn11

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"Suprémacisme juif": aux origines d'une expression mensongèree

November 2 2022, 15:05pm

Posted by Pierre Lurcat

"Suprémacisme juif": aux origines d'une expression mensongèree

L’article qu’on trouvera ci-après (1) illustre un phénomène inquiétant, qu’on peut décrire comme la migration de certains éléments du discours antijuif dans le lexique des grands médias français. Plus qu’un simple phénomène sémantique, il s’agit d’une évolution significative, qui illustre la radicalisation du discours sur (contre) Israël dans les grands médias français, pièce supplémentaire à verser au dossier de l’antisémitisme/antisionisme actuel.

 

L’exemple choisi - l’expression de “suprémacisme juif” - n’est pas anodin. L’accusation de “racisme juif” (dont le suprémacisme est une forme extrême) est en effet, comme l’a démontré le politologue Pierre-André Taguieff dans ses nombreux travaux sur le sujet, un élément essentiel du discours antisémite/antisioniste contemporain. Plus précisément, c’est autour de cette accusation de “racisme juif”, aussi ancienne que l’antisémitisme lui-même, que se focalise le discours du “Nouvel Antisémitisme” apparu dans les années 2000.

 

Dans le chapitre intitulé “Le mythe du juif raciste” de son ouvrage magistral sur la question, La judéophobie des Modernes, Des Lumières au djihad mondial”, P.A. Taguieff analyse ainsi la place de l’accusation de “racisme juif” dans le discours antijuif contemporain :

 

Les Juifs se plaignant d’être victimes du ‘racisme’, il fallait encore mettre en oeuvre une stratégie de rétorsion pour neutraliser l’argument en le retournant contre les victimes… Un sixième thème d’accusation est donc entré sur la scène antijuive : celui du Juif raciste, originellement - voire originairement- génocidaire, dont le “sioniste” supposé “raciste” représenterait la dernière incarnation historique. Ce nouveau thème d’accusation peut être considéré comme une réinvention, dans le contexte planétaire de la guerre contre Israël et le “sionisme”, de l’antique accusation de xénophobie/misanthropie, amalgamée à celle de barbarie… L’apparition de cette figure négative du Juif dans l’espace mondial a été l’occasion d’une cristallisation de toutes les représentations judéophobes...

 

C’est dans ce contexte qu’il faut situer et analyser l’usage de l’expression “suprémaciste/suprématisme juif” dans le discours antijuif contemporain. On la retrouvait jusqu’à récemment chez de nombreux porteurs de l’idéologie antijuive, de Soral à Dieudonné en France, à David Duke aux Etats-Unis. Son adoption par les correspondants en Israël de grands quotidiens français n’est pas un fait anodin. (2) J’ajoute que l’exemple analysé ci-dessous n’est pas le seul. On pourrait citer aussi celui d‘apartheid (récemment utilisé dans les médias français au sujet de la loi Israël-Etat nation du peuple juif)  

Pierre Lurçat

 

(1) L’auteur est un professionnel des médias, qui a choisi de garder l’anonymat. Cet article paru initialement en 2019 n'a rien perdu de son actualité, alors que les médias français rendent compte des résultats des dernières élections en Israël.

(2) Il n’est pas non plus anodin que l’une de ces correspondants soit Danièle Kriegel, épouse de Charles Enderlin, l’auteur de la calomnie Al-Dura, que le professeur Richard Landes a qualifiée de “première accusation de crime rituel du vingtième siècle”... Cela fait beaucoup pour une seule famille.

 

« Suprémacisme juif »: quand la presse popularise un concept inexact, jusqu’alors utilisé par les anti-juifs

 

Jamais cette expression n’avait été utilisée dans la presse. Elle se retrouve soudain appliquée à propos de deux politiciens de droite radicale, membres de partis différents, aux idées virulentes contre les Arabes mais actifs de longue date dans la vie politique israélienne. L’innovation sémantique, qui s’est répandue dans quatre quotidiens français, en l’espace de quelques semaines, met aussi en lumière la rapide circulation des idées et des innovations sémantiques au sein du petit monde des correspondants de presse qui oeuvrent en Israël.

 

En Israël comme ailleurs, il existe des courants politiques radicaux. Il ne s’agit pas ici de défendre des politiciens de droite radicale, mais de signaler l’adoption soudaine d’un qualificatif inadapté pour les décrire.

 

Qu’est-ce que le suprémacisme

Le suprémacisme est « une idéologie de supériorité et de domination : elle affirme qu'une certaine catégorie de personnes est supérieure aux autres et doit les dominer ou les asservir, ou est en droit de le faire » ; on le décrit aussi comme une « idéologie raciste qui affirme qu'il existe une hiérarchie entre les êtres. »

 

L'accusation de « suprématisme juif », dont il est question ici, n’est pas anodine : elle rappelle la vieille antienne du « Juif raciste » qui est un élément central de l’antisémitisme contemporain, comme l'a montré Pierre-André Taguieff. On se rappelle de la résolution 3370 adoptée par l’ONU en 1975, avant d’être abrogée en 1991, qui avait condamné « le sionisme » comme une « forme de racisme et de discrimination raciale ».

 

La soudaine vulgarisation d’un concept

 

Le 21 février, le correspondant du Monde en Israël parlait d’un petit parti israélien, Otzma Yehudit, en évoquant à propos de la tentative d’alliance du Premier ministre Benjamin Nétanyahou avec ce parti « une chance réelle à cette formation suprémaciste juive d'entrer au Parlement ». D’après nos recherches, il était sans doute le premier journaliste à parler de « suprémaciste juif » dans un grand quotidien français.

 

Quelques jours plus tard, la correspondante du Point à Jérusalem, Danièle Kriegel, remettait à l’honneur le terme, placé pour la première fois dans un titre d’article :  


 

 

Otzma Yehudit est l’héritier du parti d’extrême droite « Kach » du rabbin Meïr Kahane qui fut dans les années 90 interdit pour cause d’incitation au racisme. L’article de Danièle Kriegel relatait comment la Cour suprême avait exclu des élections un candidat de ce parti aux législatives israéliennes, Michael Ben-Ari, en lui reprochant une attitude raciste.

 

Thierry Oberlé, correspondant du Figaro, reprit ensuite le terme à son compte :

 

 

L’innovation a rapidement fait tache d’huile. Fin mars, à son tour, le correspondant de Libération, Guillaume Gendron, s’est mis à utiliser ce langage – pour parler d’un autre candidat :


 

 

Aux yeux de Guillaume Gendron, c’est Moshe Feiglin, candidat du parti « Zehout », qui mérite ce qualificatif.

 

Qui sont Ben Ari et Feiglin

Michael Ben Ari et Moshe Feiglin ne sont pas des nouveaux venus. Ils ont tous deux servi comme députés à la Knesset par le passé. Notre propos n’est pas ici de cautionner ou non leur politique ou le jugement de la Cour suprême. Il est clair que les deux candidats ont des positions radicales, très dures contre les Arabes.

 

Michael Ben-Ari voudrait expulser la majorité des Arabes d’Israël et de tous les territoires disputés, qu’il aimerait annexer. Pour lui, toute personne qui « ose parler contre un Juif » doit être un homme mort, prônant sa « suppression par un peloton d’exécution comme les Arabes le comprennent le mieux… ». Il a beau avoir précisé plus tard que sa remarque s’adressait au leadership du Hamas et non à tous les Arabes et qu’il n’était « pas contre tous les Arabes, seulement contre ceux qui ne sont pas loyaux envers l’Etat d’Israël », il ne donne pas dans la modération.

 

Moshe Feiglin, lui, est un ancien membre du Likoud qui a par la suite fondé le parti Zehout. Durant sa période au Likoud, il a même été vice-président de la Knesset, un poste très en vue ; pourtant, nous n’avons trouvé aucune trace de description de ce personnage comme un suprémaciste dans les médias durant toute cette période. Moshe Feiglin, outre ses idées originales « libertariennes » évoquées par Guillaume Gendron, voudrait lui aussi « aider » les Arabes à émigrer dans les pays voisins (non seulement ceux des territoires disputés, mais aussi ceux qui sont aujourd’hui israéliens…).

 

Les idées des deux politiciens peuvent-elles être qualifiées de suprémacistes ?

 

Le Ku Klux Klan, le nazisme, l’apartheid sont des idéologies qui ont prôné la supériorité raciale d’un groupe sur un autre. Plutôt qu’une supériorité raciale juive, il semble qu’Otzma Yehudit et Zehout préconisent une séparation – un « chacun chez soi » : les Juifs en Israël, les Arabes dans les pays alentours où ils disposent du droit à l’auto-détermination… On peut tout à fait réprouver cette idée – c’est d’ailleurs le cas de la majorité des électeurs israéliens qui sont peu nombreux à soutenir ces partis. Mais le terme de « suprémacisme » n’est sans doute pas le plus adéquat.

 

Cela n’empêche pas des adversaires politiques de Michael Ben Ari de penser qu’il « croit à la supériorité de la race ». Dans une dépêche de l’Agence France-Presse (AFP), on lit en effet que « Tamar Zandberg, à la tête du parti de gauche Meretz, a affirmé dans un communiqué que "la place des gens qui croient à la supériorité de la race est derrière les barreaux et pas au Parlement". » Pour autant, si elle a rapporté l’opinion de la cheffe du Meretz qui a œuvré devant le tribunal pour l’interdiction de Michael Ben Ari, l’AFP s’en est tenue à qualifier ce dernier de « leader d’extrême droite », ce qui correspond certainement à son positionnement sur l’échiquier politique israélien.

 

 

 

Un usage inédit

 

En tout état de cause, une recherche de l’expression de « suprémacisme juif » sur Google semble indiquer que son utilisation par des médias généralistes francophones est inédite. Jusqu’alors, elle était l’apanage de sites soraliens ou musulmans radicaux. C’est aussi le titre d’un ouvrage de David Duke, véritable suprémaciste blanc et ancien chef du Ku Klux Klan…

 

Ceux qui veulent diaboliser les Juifs doivent être ravis que plusieurs grands quotidiens donnent soudain du crédit à la thèse jusqu’alors marginale de l’existence d’une tendance « suprémaciste juive ». Ils ne manqueront pas de s’en servir pour tenter de dénigrer l’ensemble des Juifs (oubliant que certains des plus virulents adversaires d’Israël, comme le Hamas ou le Hezbollah, pourraient sans doute bien davantage être qualifiés de suprémacistes, d’autant que ces courants sont beaucoup plus influents qu’Otzma Yehudit et Zehout ne le sont en Israël). Les journalistes ont la responsabilité de peser les mots. Ils ont failli sur ce plan en adoptant soudainement un vocable aussi controversé.

 

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Du blitz médiatique au lynch physique : Comment les médias excitent les foules ameutées contre Israël Pierre Lurçat

May 13 2021, 06:22am

Posted by Pierre Lurçat

 

Parmi les nombreux responsables de la vague d’antisémitisme qui sévit en France depuis une vingtaine d’années, il en est un qui est rarement évoqué - et pour cause - par les médias : ce sont les médias eux-mêmes. Comme l’écrit InfoEquitable, au sujet de la couverture par Euronews d’une tentative de lynch d’un automobiliste juif à Jérusalem, “Euronews transforme le lynchage d’automobilistes israéliens en attaque à la voiture bélier contre des Palestiniens”, ajoutant que “dans le contexte actuel tendu, c’est exactement le genre de calomnie qui risque d’inciter à la haine anti-juive en France”. De son côté, le CRIF a publié un communiqué qui “demande aux autorités françaises de veiller à ce que les manifestations prévues en France samedi prochain ne se transforment (pas) en un déferlement de haine et de violence anti juive comme ce fut le cas en 2014”.

 

Même s’il n’est pas suivi d’effet, ce communiqué a au moins le mérite de mettre le doigt sur le problème. La haine anti-juive n’apparaît pas spontanément, que ce soit dans les rues de Gaza, de Paris ou de Lod. Elle est attisée par des “prêcheurs de haine”, qui peuvent être des dirigeants du Hamas, des prédicateurs dans des mosquées, des députés arabes à la Knesset ou des parlementaires français, surfant sur la haine d’Israël… Mais elle est également attisée par les médias, dès lors qu’ils utilisent incessamment les stéréotypes anti-israéliens et qu’ils adoptent le narratif arabe de “l’agression israélienne”, chaque fois que la situation s’embrase aux frontières et à l’intérieur d’Israël.

 

Le “Prix de la Désinformation” attribué à France 2 après l’affaire Al-Dura, 

photo Irène Elster

 

Ce phénomène n’est pas nouveau. J’y ai personnellement été confronté pour la première fois lors de la première Intifada, en 1988, quand je participais à un séminaire de “hasbara” (réinformation) animé par Haïm Azses z.l. au C.I.D.I.P, à Paris. Plus tard, j’ai pris part à la lutte contre la désinformation au début des années 2000, en créant le Prix de la Désinformation, décerné aux médias français qui se “distinguaient” dans leur traitement injuste et leur parti-pris contre Israël. L’aspect sur lequel je voudrais m’attarder ici est un phénomène important et peu souvent abordé : le rôle des médias pour transformer un public en foule haineuse et pour développer l’instinct de lynch.

 

La manipulation des émotions par les médias

 

Cet aspect du rôle des médias a été analysé par plusieurs auteurs, bien avant l’époque des médias sociaux. Dans un chapitre éclairant de son livre Le temps prisonnier, intitulé “L’émotion collective et son induction par les médias”, la psychologue Liliane Lurçat analysait la contagion émotionnelle, concept qui décrit “l’émotion collective suscitée par les médias”. Cette analyse, faite en 1995, n’a rien perdu de son actualité. “Les médias, écrit-elle, peuvent utiliser ou manipuler l’émotion collective qu’ils suscitent. Ils peuvent l’entretenir de manière plus ou moins permanente, avec des pointes circonstancielles dans le domaine de l’actualité par exemple” (1).

 

C’est bien à cette utilisation de l’émotion collective que nous assistons actuellement, dans la couverture médiatique de l’opération “Gardien des murailles”, en France et ailleurs. Quand le quotidien Le Monde écrit que “les attaques israéliennes ont fait au moins 35 morts, dont douze enfants”, il reprend à son compte, volontairement ou non, l’image - profondément ancrée dans la conscience occidentale et musulmane - du Juif assassin d’enfants (2). Quand ce même quotidien explique que “le Hamas s’est invité dans la bataille de Jérusalem” et que “le mouvement islamiste entendait briser le ‘siège’ du sanctuaire d’Al-Aqsa, le troisième lieu saint de l’islam, d’où la police israélienne a violemment évacué les fidèles en prière lundi matin”, il adopte sans la moindre retenue le narratif du Hamas et la calomnie d’”Al-Aqsa en danger”, slogan inventé dans les années 1930 par le mufti pro-nazi Al-Husseini, fondateur du mouvement national palestinien (3).

 

‘Al-Aqsa en danger” - une calomnie nazie et palestinienne

L’évocation de “fidèles en prière” dans la mosquée, évacués sans ménage par la police israélienne, n’est pas innocente. Il ne s’agit pas seulement d’un mensonge médiatique (car ces “fidèles” avaient depuis des semaines accumulé des pierres sur le Mont du Temple - que les médias français qualifient avec obstination d’esplanade des mosquées - en vue d’une attaque planifiée de longue date). Il s’agit bien d’une manipulation des émotions collectives et plus précisément, d’une manipulation du sentiment victimaire et du complexe d’infériorité/supériorité, profondément ancré dans l’islam depuis ses origines (4). Comment cette manipulation se fait-elle? 

 

Foule ameutée et instinct de lynch

 

Revenons à l’analyse du phénomène psychologique. Le sociologue français Gabriel Tarde (1843-1904) expliquait que “les émotions ou les idées les plus contagieuses sont naturellement les plus intenses, et que les idées les plus intenses sont les plus étroites ou les plus fausses, celles qui frappent les sens et non l’esprit” (5). Liliane Lurçat reprend son concept de contagion émotionnelle pour l’appliquer à la télévision : “A la télévision, l’opposition entre la raison et les émotions est exploitée pour submerger la raison, dans la diffusion de thèmes séducteurs et réducteurs”. En quoi cela permet-il de comprendre non seulement les récentes attaques contre Israël, à Gaza, Lod ou Jérusalem, mais aussi les attaques contre des Juifs en France et ailleurs? 

 

La contagion des émotions: Gabriel Tarde

 

Parce que, explique Liliane Lurçat, cette manipulation des émotions par l’image télévisée - aujourd’hui renforcée au centuple par les médias sociaux, qui amplifient encore les phénomènes de contagion émotionnelle (au point qu’on a parlé en Israël cette semaine d’une “Intifada Tik-Tok (6) - “favorise les attitudes régressives observées dans les foules ameutées”. Or, selon le psychologue Henry Wallon, il y a un lien direct entre la manipulation des émotions et les phénomènes de “foule ameutée”, car “l’émotion est faite pour ameuter” (7).

 

Nous touchons ici à l’élément essentiel, dans la chaîne de causalité qui relie la diffusion dans les médias et sur les réseaux sociaux d’images violentes, manipulant des émotions primaires comme la colère, la haine, et le passage à l’acte de foules ameutées, qui se transforment très vite en meutes agressives, animées par l’instinct de vengeance, l’instinct de tuer, en un mot: l’instinct du lynch. C’est ce dernier que nous avons vu à l’oeuvre ces derniers jours, dans les rues de Lod et de Jérusalem, quand des foules arabes s’en prennent à des passants juifs, qu’elles sortent manu militari de leurs véhicules pour les lyncher aux cris de “Allah ou-Akbar”. 

 

C’est ce même instinct de lynch qu’on avait vu à Ramallah en 2000, lorsque deux malheureux soldats de réserve israéliens avaient été lynchés et littéralement déchiquetés vivants par une foule arabe ameutée, après la calomnie du meurtre rituel de Mohammed Al-Dura, lancée par Charles Enderlin et France 2, responsable de tant de morts. Et c’est ce même instinct grégaire primitif - qui remonte aux origines de l’espèce humaine - qui sera présent demain dans les rues de Paris et des grandes métropoles à travers le monde, quand des foules scanderont “Mort à Israël!” sous les yeux impuissants des forces de police, dépassées par l’ampleur d’un phénomène déjà ancien. Les grands médias auront alors beau jeu de décrire “l’importation du conflit proche-oriental”, importation dont ils sont eux-mêmes les principaux responsables, par leur manipulation quotidienne des émotions et leur couverture inéquitable (pour employer un euphémisme) dudit conflit. 

Pierre Lurçat

 

Notes

1. Liliane Lurçat, Le temps prisonnier, Des enfances volées par la télévision. Desclée de Brouwer 1995.

2.  Les “enfants” palestiniens tués à Gaza sont - est-il besoin de le préciser - tantôt des jeunes soldats recrutés par le Hamas, tantôt des civils qu’il met en première ligne contre Tsahal.

3. Je renvoie sur ce sujet à mon article coécrit avec Philippe Karsenty dans Causeur, https://www.causeur.fr/israel-jerusalem-alaqsa-terrorisme-145787

4. Complexe consistant à transformer la défaite militaire arabe en accusation contre Israël et à remplacer l’autocritique par une démonisation de l’autre, qui est chargé de tous les maux, selon le principe bien connu du bouc émissaire. J’aborde ce sujet dans mon cours sur Les mythes fondateurs de l’antisionisme, donné dans le cadre de l’université populaire du judaïsme, et devant faire l’objet d’un livre à paraître en 2021-2022.

5. G. Tarde, L’opinion et la foule, cité par Liliane Lurçat dont je reprends l’analyse, Le temps prisonnier, Op. cit. p. 148.

6. Voir par exemple https://www.jpost.com/arab-israeli-conflict/tiktok-intifada-is-just-the-tip-of-the-iceberg-analysis-666403

7. H. Wallon, L’enfant turbulent, PUF 1984, cité par L. Lurçat, op. cit. p. 149.

 

 

 

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