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inspiration

Célébrations d'automne, Pierre Lurçat

September 25 2022, 09:04am

Posted by Pierre Lurçat

Célébrations d'automne, Pierre Lurçat

A tous mes lecteurs, Chana tova, Ktiva vé-Hatima tova!

Chaque année, avec le retour de l'automne, il sentait monter en lui un sentiment de nostalgie mêlé de joie, comme lorsque dans son enfance, il voyait arriver la rentrée des classes. Ce jour – que beaucoup d'enfants redoutaient, car il signifiait pour eux la fin des grandes vacances et le début de longues heures d'étude ennuyeuses et monotones – il le considérait comme le début d'une nouvelle vie pleine de bonheur et de petits plaisirs innocents, comme celui d'ouvrir une trousse flambant neuve et d'en sortir des stylos et des crayons parfaitement taillés, dont la mine piquait comme une épingle. 

 

À l'appréhension de découvrir ses nouveaux professeurs, avec leurs manies, leurs exigences et leurs têtes de Turc, se mêlait l'excitation d'ouvrir les livres neufs, humer leur odeur d'encre d'imprimerie et entamer l'étude de matières nouvelles, dont le nom était parfois aussi mystérieux que celui d'une terre lointaine sur la mappemonde.

 

La cour de récréation, emplie d'une foule d'enfants agitée, que les sifflets du surveillant parvenaient à peine à dompter ; les interminables parties de billes autour des marronniers aux larges feuilles en éventail, comme les doigts de la main, les jeux et les bousculades qui se poursuivaient pendant la longue interruption de midi, et le soleil rasant, colorant d'un rouge mordoré la cime des arbres du jardin du Luxembourg, qu'il traversait deux fois par jour, matin et soir... Automne ! Il regrettait cette saison, qui était autrefois sa préférée, dans le Paris de sa jeunesse, maintenant qu'il habitait à Jérusalem, où le climat passait presque sans transition de l'été chaud et sec à l'hiver froid et pluvieux.

 

Plus tard, il avait goûté d'autres saveurs et découvert d'autres sensations automnales : les fêtes, austères et solennelles, de Roch Hachana et de Kippour, et la foule des Juifs qui venaient expier leurs fautes et demander à Dieu de leur accorder une année douce. Il se souvenait de son étonnement, lorsqu'il était entré pour la première fois dans une synagogue et y avait découvert des Juifs affairés, posant le toit d'une cabane ; à cette époque il ne savait même pas ce qu'était une Soucca

 

À l'âge où ses camarades de lycée se préoccupaient de sport ou vivaient leurs premières aventures amoureuses, il avait découvert la religion de ses ancêtres et s'était mis à apprendre frénétiquement l'hébreu, seul, armé d'une Bible de Munk et d'un dictionnaire Larousse. La première fois qu'il avait célébré Kippour, il avait passé presque une heure debout, à déchiffrer la prière des Dix-huit bénédictions, ânonnant chaque mot l'un après l'autre, pendant que les fidèles autour de lui, assis, écoutaient la lecture de la Torah.

 

« Et que j'aime, ô saison, que j'aime tes rumeurs… Les fruits tombant sans qu'on les cueille ». Ces vers d'un poète étudié au lycée, longtemps oubliés au fonds de sa mémoire, refirent surface après plusieurs décennies, en même temps que le nom de son professeur de français, Monsieur Boulitreau. Pendant de longues années, il avait effacé de son esprit toute trace de ces œuvres qu'il avait jadis aimées, voulant faire table rase de cette culture profane pour mieux s'imprégner, croyait-il, des mélodies antiques des textes hébraïques et araméens. 

 

À présent, tout cela lui semblait vain et illusoire. Il s'était finalement résigné à ne pas être devenu totalement israélien et à continuer à parler, à lire et à penser en français. Il prenait maintenant plaisir à réciter des poèmes d'Apollinaire ou des tirades entières de Racine. « Le vent et la forêt qui pleurent, – Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille… ». Pouvait-on aimer deux langues, deux cultures, deux pays en même temps ? L'amour jaloux et exclusif auquel il s'était entièrement donné, lui paraissait maintenant excessif et trompeur, comme un amour d'adolescent. 
 

Il aspirait à renouer les fils de son histoire personnelle, à rassembler le puzzle épars de sa vie, pour goûter enfin, après tant d'années de lutte, d'insatisfaction et d'aspirations violentes et inassouvies, un peu de sérénité et de bonheur. Vingt ans après son départ soudain et son installation en Israël – qui avaient surpris et attristé ses proches et ses amis – il commençait tout juste à retrouver un semblant d'unité dans sa vie déchirée, coupée en deux, et à comprendre les mots mystérieux de Rabbi Nahman : « Il n'y a pas plus entier qu'un cœur brisé ».

 

Écoutant à la synagogue la longue plainte du chofar, il y avait retrouvé comme un écho lointain de ses premières émotions musicales – une phrase d'une sonate de Beethoven qui avait le don de lui arracher des larmes de joie. Il avait enfin fini par comprendre que la nouvelle année n'était pas seulement un recommencement, une renaissance – dont la survenance au début de l'automne correspondait beaucoup mieux à la réalité intérieure et profonde du cycle de l'année, que les agapes païennes du premier janvier – mais qu'elle était aussi un renouvellement et un retour sur lui-même, sur les moments oubliés et longtemps reniés de sa jeunesse, dans lesquels il prenait maintenant plaisir à se replonger.

(Extrait de Jour de Sharav à Jérusalem, éd. L'éléphant 2020)

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Longtemps épuisé, mon livre Jour de Sharav à Jérusalem est de nouveau disponible, en format Kindle et en format papier.

 

Le « sharav », c'est le vent du désert qui souffle parfois sur Jérusalem, ce qui donne son titre à l'une des nouvelles de cet agréable recueil. Né à Princeton aux États-Unis, l'auteur, qui a grandi en France, vit désormais à Jérusalem. Les textes, très courts mais finement ciselés, qu'il nous offre, se présentent comme autant d'hommages à la cité du roi David. (Jean-Pierre Allali, Crif.org)
 

 

Avec son livre si poétique, Pierre Itshak Lurçat nous offre toute une palette de couleurs d’émotions. Parfois, c’est la musique que l’on entend presque, tant sa présence revient comme une nostalgie lancinante de ses années de jeunesse, mais aussi comme la résonance de son intégration en Israël. (Julia Ser)
 

Lurçat n’est pas un portraitiste phraseur. C’est l’amour du peuple juif qui le porte et il est contagieux. La Ville Sainte qui le fascine abrite ses émotions et offre un écrin à ces histoires. « A Jérusalem, qu’on le veuille ou non, on est porté vers le haut » confie Lurçat. La photo en couverture du livre prend alors tout son sens. Ces destins qui traversent ces pages sont comme les cordes de cette harpe, tendus vers le ciel, qui vibrent en harmonie, traversés par un impératif d’élévation. (Katie Kriegel, Jerusalem Post)

 

Lisez ce livre, et relisez-le. Il mérite de prendre place à côté des meilleurs écrits de la littérature franco-israélienne ou israélo-française… Le vibrato de ce livre tient aussi à cette structure particulière où chaque abacule vit sa vie pour mieux participer à la composition. Il est beau ce petit livre, entre Paris et Jérusalem, entre passé et présent, entre ici et là-bas. Comment ne pas y être sensible ? (Olivier Ypsilantis)

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Jour de neige à Jérusalem, Pierre Lurçat

February 20 2022, 18:53pm

Posted by Pierre Lurçat

Jour de neige à Jérusalem, Pierre Lurçat

 

 

La neige avait commencé à tomber le mercredi soir et s’était arrêtée le jeudi dans la matinée, mais cela avait suffit à couvrir d’un manteau blanc toute la ville. Chaque fois qu’elle tombait à Jérusalem – cela arrivait une fois tous les trois ou quatre ans – c’était le même rituel. La vie s’arrêtait – les écoles fermaient et les employés étaient libérés de leur travail plusieurs heures à l’avance pour ne pas, à Dieu ne plaise, être coincés sur la route dans leur véhicule…

 

Julia, qui avait grandi en France, se moquait un peu de cette panique qui s’emparait de tous, comme si la neige était une catastrophe naturelle imprévisible. Mais aux yeux des enfants et des adolescents, c’était une vraie bénédiction. Non seulement les écoles fermaient, mais ils pouvaient jouer dans la neige et ériger des bonhommes aux formes grotesques, coiffés d’un bonnet ou d’un chapeau de paille, qui regardaient les passants d’un air  gai ou triste.

 

Beaucoup de familles venaient de la côte pour voir la neige à Jérusalem, car elle ne tombait jamais dans la plaine côtière. Ainsi se réalisait la vieille injonction biblique de “monter à Jérusalem”, pensa-t-il avant de chasser cette idée saugrenue. Mais le lendemain matin, le spectacle qui s’offrit à lui dans les rues du quartier de la colonie allemande n’avait rien de réjouissant. Des arbres à moitié cassés, aux branches arrachées et aux troncs fendus, parsemaient le sol à chaque coin de rue, et le quartier tout entier était devenu comme un immense champ de bataille.

 

Pauvres arbres! Ils avaient l’air de soldats estropiés ou défigurés après un bombardement, et le cœur de Yaakov se serra, en pensant qu’ils n’avaient même pas pu s’enfuir sous le feu de l’ennemi. Oui, ils étaient comme des soldats enfoncés dans la terre, dans les tranchées de la guerre de 1914-1918, incapables de bouger, attendant les bombes comme une fatalité ou une antique malédiction. La dernière fois que la neige était tombée, pourtant, il ne se souvenait pas d’un tel spectacle de désolation.

 

Sans doute la mairie avait alors pris ses précautions à l’avance, en élaguant les branches et en taillant les arbustes au début de l’hiver. Il ressentait encore le sentiment de colère éprouvé en voyant, dans le quartier de Talpiot ha-Yeshana (“l’ancienne Talpiot”) où il vivait alors, les arbres de sa rue aux moignons élagués… Mais au moins, la neige ne les avait pas atteints. Tandis qu’aujourd’hui, leurs branches pleines de feuilles avaient ployé sous le poids et beaucoup n’avaient pas supporté ce fardeau.

 

Pendant plusieurs jours, ce spectacle se prolongea, avant que les services de la voirie ne finissent par venir ramasser les branches coupées, entassées au coin des rues ou au milieu des trottoirs par les habitants. Chaque rencontre avec un arbre tombé – sur le chemin matinal qu’il empruntait pour “s’aérer l’esprit”, avant d’entamer sa journée de travail – était comme un coup de poignard dans le cœur. Le souvenir ancien de la grande tempête qui avait dévasté les parcs et jardins en France, à la fin des années 1990, lui remonta en mémoire.

 

A l’époque, il vivait déjà à Jérusalem, mais son père lui avait décrit le spectacle de désolation en Ile-de-France, et son émotion – qui était palpable dans les longues lettres qu’ils échangeaient – lui semblait alors difficile à comprendre, avec l’éloignement géographique. Il avait toujours partagé avec son père l’amour des arbres, mais en avançant en âge, cet amour abstrait avait changé de nature, et il se prenait maintenant à regarder les arbres croisés sur son chemin avec affection, comme s’il s’agissait de véritables personnes. Leurs branches élancées étaient comme des mains tendues vers le ciel, et leurs formes tourmentées lui évoquaient souvent les prières de rabbins hassidiques, dont il avait jadis lu les prières et les aphorismes.

 

            En contemplant la cime d’un chêne, dont les branches s’élevaient haut dans le ciel, il se remémora les paroles d’une chanson dont l’auteur était décédé quelques mois auparavant, paroles inspirées d'un verset de la Bible. “Car l’homme est comme l’arbre des champs : Comme l’arbre, il aspire aux cimes, - Comme l’homme, il flambe dans l’incendie – Et moi je ne sais pas – Où j’ai été et où je serai – Comme l’arbre des champs”. Lui aussi avait longtemps aspiré aux cimes, mais à présent il ne cherchait plus qu’à se poser quelque part et à y planter racine. Le temps des errances et des pérégrinations était passé, et il voulait désormais trouver un lopin de terre pour bâtir sa maison et jouir de la vie aux côtés de sa femme, en regardant grandir ses petits-enfants.

Pierre Lurçat

 

“Car l’homme est comme l’arbre des champs” - photo P. Lurçat ©

“Car l’homme est comme l’arbre des champs” - photo P. Lurçat ©

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Le double printemps de Jérusalem, Pierre Lurçat

January 17 2022, 08:27am

Posted by Pierre Lurçat


 

Car l’homme est comme l’arbre des champs :

Comme l’arbre, il aspire aux cîmes

Comme l’homme, il flambe dans l’incendie

Et moi je ne sais pas

Où j’ai été et où je serai

Comme l’arbre des champs”.

 

Nathan Zach (1930-2020)



 

Plus de vingt-cinq ans après son installation à Jérusalem, il avait fini par comprendre le secret de l’attirance mystérieuse ressentie pour cette ville où était née sa mère et où il n’avait jamais posé le pied avant l’âge adulte. Se promenant un matin de shabbat dans le quartier de la Colonie allemande qu’il affectionnait tout particulièrement, il avait constaté que des brins d’herbes épars étaient apparus ici et là en l’espace d’une nuit. La veille, la terre était encore sèche et nue, et ce matin-là, après la première pluie de l’année qui était arrivée quelques jours après Soukkot, la couleur brune et jaune était parsemée de tâches vertes, d’un vert tendre et presque printanier. “On dirait le printemps!” avait-il pensé en son for intérieur, en marchant d’un pas vif en direction de la rue Gdoud ha-Ivri - qui portait le nom des bataillons hébraïques créés en pleine Première Guerre mondiale par Vladimir Jabotinsky, l’enfant terrible du sionisme russe.

 

 

La pensée que ce tapis d’herbe printanier survenait en plein automne l’avait empli d’une joie matinale qui éclaira toute sa journée. La radio diffusait les poèmes mis en musique d’un écrivain disparu la semaine précédente, et le refrain d’un de ses poèmes les plus connus, “Car l’homme est comme l’arbre des champs”, ne le quittait pas. Lui aussi se sentait maintenant comme un arbre des champs, qui avait poussé et grandi sur une terre étrangère avant de venir s’implanter dans la terre de ses lointains ancêtres, où il avait longtemps cherché sa place, luttant contre les difficultés de la vie quotidienne, élevant ses enfants en se disant qu’ils auraient - eux au moins - une vie plus facile dans ce pays où ils avaient la chance de grandir.

 

Le “bosquet de la lune” - vaste étendue plantée d’arbres et parsemée de rochers - qu’il traversait chaque jour pendant sa marche matinale, lui avait toujours paru comme un morceau de campagne en pleine ville, qui donnait son charme pastoral à cette partie de la ville, bien différentes des quartiers d’habitation construits dans les années 1980 dans la périphérie, comme celui où il avait habité dans les premières années après son alyah. A l’époque, ils vivaient dans une banlieue au nord de Jérusalem, où quelques arbrisseaux ne suffisaient pas à donner de l’ombre, pendant les chaudes journées d’été. Parfois, le vendredi, ils prenaient deux autobus pour traverser la ville et se rendre à la piscine de Ramat Rahel, dans le kibboutz qui surplombait l’extrémité Sud de la capitale, d’où l’on pouvait apercevoir les faubourgs de Beit Lehem.

 

Lorsqu’ils se rendaient en famille dans le quartier ombragé et plein de charme de la Colonie allemande, il se disait toujours qu’il aimerait y vivre, mais cela lui paraissait comme un rêve impossible à réaliser. Le départ en Israël, avec femme et enfants et deux lourdes malles remplies de vêtements et de livres, lui avait semblé comme une épopée de dimension mythique - il mettait ses pieds dans les pas de son grand-père, Haloutz monté en Israël dans les années 1920, où il avait rencontré son épouse et donné naissance à leurs deux enfants aînés à Jérusalem. 

A l’époque, l’enthousiasme de la jeunesse lui permettait de surmonter avec plus d’ardeur les problèmes d’intégration, ce qui ne l’empêchait pas de succomber parfois à des moments de désespoir, surtout après les éreintantes visites dans les administrations et à la banque hypothécaire, dont les méandres de la bureaucratie lui semblaient alors une épreuve quasi-insurmontable. Bien des années plus tard, il avait fini par se faire une place dans le pays, tout en regrettant de n’y être pas mieux intégré professionnellement. A deux décennies de distance, cette période de sa vie lui semblait s’estomper dans une brume lointainte comme un souvenir d’enfance… 

 

Remontant la rue Hildesheimer où se trouvait la petite synagogue qu’il fréquentait le shabbat et les jours de fête, il s’arrêta pour contempler la maison arabe aux volets bleus qu’il avait souvent admirée, sans penser qu’il y serait invité un jour pour le kiddoush et que les propriétaires deviendraient des amis. Sa deuxième installation à Jérusalem - après l’intermède parisien de quelques années, lui avait permis de trouver un nouveau souffle dans sa vie.  Quand Julia lui avait dit qu’elle aimait cette ville plus encore que Tel-Aviv, il avait presque sauté de joie, en pensant que les chemins de la Providence étaient impénétrables. 

 

Pendant des années, il avait rêvé d’habiter ce quartier, et voilà qu’il était venu y vivre avec la femme aimée, qui partageait désormais son existence et lui avait donné une nouvelle jeunesse. “Oui, c’est bien celà!” se dit-il en regardant le tapis d’herbe verte qui tapissait le bosquet de la Lune, et son coeur de gonfla de bonheur en pensant à la femme qu’il aimait : “C’est mon deuxième printemps”.



 

 

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L'oeuf en chocolat - Souvenirs d'une enfance juive à Paris, 1929, par Liliane Lurçat

May 13 2019, 18:34pm

Posted by Liliane Lurçat

Paris_V_rue_Frédéric-Sauton_reductwk.jpgC'était avant la guerre, nous habitions rue Frédéric Sauton dans un quartier où beaucoup de juifs habitaient, réfugiés de Pologne pour la plupart, fuyant les pogromes.

Nous sommes arrivés en France en 1929. Mes parents, haloutzim chassés par les anglais, mon frère Menahem et moi. Mon jeune frère Sami est né à Paris  en 1932

Mes parents étaient pauvres  parmi les plus pauvres. Ils épargnaient à la caisse d'Epargne de quoi retourner un jour en Palestine (argent qui avait fondu à la fin de la guerre)

Mon père, manoeuvre industriel, travaillait 6 longues journées par semaine à l'usine. Il dormait le dimanche complètement éreinté.

Il portait une ceinture herniaire pour contenir ses hernies. Son travail consistait à soulever et à ranger d'énormes tiges de métal.

Ma mère s'était improvisée marchande ambulante. Elle se procurait la marchandise  chez des grossistes juifs du Sentier et la revendait sur le marché de la Porte d'Italie.

Elle partait , le soir, vers de lointaines banlieues  où logeaient des anarchistes italiens, son gros baluchon sur le bras

 

photo.JPG

Chaya Kurtz

 

Une dame juive fortunée, médecin  aux  idées  modernes  passait nous voir à la maison et nous exhortait à retourner en Palestine. Elle me trouva un jour assise dans l'escalier, attendant le retour de mes parents, mon cartable à côté de moi.

Elle m'entraîna à la boulangerie  et me fit choisir mon goûter : un gros oeuf en chocolat
C'était à Pâques . J'étais assise dans l'escalier au retour de mon père, le gros oeuf sur les genoux, vite rangé pour une consommation plus raisonnable

A la fin de la guerre, cette dame revint nous voir. Désespérée et désenchantée  après les grands massacres, elle nous dit : nous sommes sur terre pour accomplir notre cycle. Mes parents ont dit, plus raisonnables qu'elle: on a survécu, il nous reste seulement la vie, "nor mit un leben".

 

LILIANE LURCAT.jpg

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