L'oeuf en chocolat - Souvenirs d'une enfance juive à Paris, 1929, par Liliane Lurçat
C'était avant la guerre, nous habitions rue Frédéric Sauton dans un quartier où beaucoup de juifs habitaient, réfugiés de Pologne pour la plupart, fuyant les pogromes.
Nous sommes arrivés en France en 1929. Mes parents, haloutzim chassés par les anglais, mon frère Menahem et moi. Mon jeune frère Sami est né à Paris en 1932
Mes parents étaient pauvres parmi les plus pauvres. Ils épargnaient à la caisse d'Epargne de quoi retourner un jour en Palestine (argent qui avait fondu à la fin de la guerre)
Mon père, manoeuvre industriel, travaillait 6 longues journées par semaine à l'usine. Il dormait le dimanche complètement éreinté.
Il portait une ceinture herniaire pour contenir ses hernies. Son travail consistait à soulever et à ranger d'énormes tiges de métal.
Ma mère s'était improvisée marchande ambulante. Elle se procurait la marchandise chez des grossistes juifs du Sentier et la revendait sur le marché de la Porte d'Italie.
Elle partait , le soir, vers de lointaines banlieues où logeaient des anarchistes italiens, son gros baluchon sur le bras
Chaya Kurtz
Une dame juive fortunée, médecin aux idées modernes passait nous voir à la maison et nous exhortait à retourner en Palestine. Elle me trouva un jour assise dans l'escalier, attendant le retour de mes parents, mon cartable à côté de moi.
Elle m'entraîna à la boulangerie et me fit choisir mon goûter : un gros oeuf en chocolat
C'était à Pâques . J'étais assise dans l'escalier au retour de mon père, le gros oeuf sur les genoux, vite rangé pour une consommation plus raisonnable
A la fin de la guerre, cette dame revint nous voir. Désespérée et désenchantée après les grands massacres, elle nous dit : nous sommes sur terre pour accomplir notre cycle. Mes parents ont dit, plus raisonnables qu'elle: on a survécu, il nous reste seulement la vie, "nor mit un leben".