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L'oeuf en chocolat - Souvenirs d'une enfance juive à Paris, 1929, par Liliane Lurçat

May 13 2019, 18:34pm

Posted by Liliane Lurçat

Paris_V_rue_Frédéric-Sauton_reductwk.jpgC'était avant la guerre, nous habitions rue Frédéric Sauton dans un quartier où beaucoup de juifs habitaient, réfugiés de Pologne pour la plupart, fuyant les pogromes.

Nous sommes arrivés en France en 1929. Mes parents, haloutzim chassés par les anglais, mon frère Menahem et moi. Mon jeune frère Sami est né à Paris  en 1932

Mes parents étaient pauvres  parmi les plus pauvres. Ils épargnaient à la caisse d'Epargne de quoi retourner un jour en Palestine (argent qui avait fondu à la fin de la guerre)

Mon père, manoeuvre industriel, travaillait 6 longues journées par semaine à l'usine. Il dormait le dimanche complètement éreinté.

Il portait une ceinture herniaire pour contenir ses hernies. Son travail consistait à soulever et à ranger d'énormes tiges de métal.

Ma mère s'était improvisée marchande ambulante. Elle se procurait la marchandise  chez des grossistes juifs du Sentier et la revendait sur le marché de la Porte d'Italie.

Elle partait , le soir, vers de lointaines banlieues  où logeaient des anarchistes italiens, son gros baluchon sur le bras

 

photo.JPG

Chaya Kurtz

 

Une dame juive fortunée, médecin  aux  idées  modernes  passait nous voir à la maison et nous exhortait à retourner en Palestine. Elle me trouva un jour assise dans l'escalier, attendant le retour de mes parents, mon cartable à côté de moi.

Elle m'entraîna à la boulangerie  et me fit choisir mon goûter : un gros oeuf en chocolat
C'était à Pâques . J'étais assise dans l'escalier au retour de mon père, le gros oeuf sur les genoux, vite rangé pour une consommation plus raisonnable

A la fin de la guerre, cette dame revint nous voir. Désespérée et désenchantée  après les grands massacres, elle nous dit : nous sommes sur terre pour accomplir notre cycle. Mes parents ont dit, plus raisonnables qu'elle: on a survécu, il nous reste seulement la vie, "nor mit un leben".

 

LILIANE LURCAT.jpg

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Quand Chagall peignait Notre-Dame, par Pierre Lurçat

April 16 2019, 19:20pm

Posted by Pierre Lurçat

Quand Chagall peignait Notre-Dame, par Pierre Lurçat

 

De Victor Hugo à Marc Chagall, Notre-Dame de Paris a inspiré les plus grands artistes de toutes les époques. Elle appartient, selon l’expression consacrée, au “patrimoine de l’humanité”, ce qui signifie qu’elle touche à cette dimension insaisissable qui, sous ses formes religieuses ou artistiques,  concerne la même réalité irréductible de l’être humain. Ou comme l’écrit ce matin Henri Pena-Ruiz, “en ces temps oublieux de l’unité de tous les êtres humains, saisie par les passions tristes des différences, le sens universel de notre condition commune s’est rappelé à nous… Les monuments... nous font savoir, comme le dit Montaigne, que «chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition».

 

C’est précisément cet oubli de l’unité de tous les êtres humains qui m’a frappé, en lisant certains commentaires des médias et notamment les réactions de plusieurs responsables des institutions juives de France. Les messages de “tristesse” adressés à l'archevêque de Paris et de “soutien à nos frères chrétiens” ont manqué l’essentiel. Comme si la France était une juxtaposition de communautés, qui ne partageraient que des émotions convenues, dictées par le "vivre-ensemble", et où chacun compatirait aux malheurs de l'autre par voie de communiqués et de messages sur les réseaux sociaux. Quant à Notre-Dame, elle n’est pas une (grande) église! Elle n’appartient pas aux chrétiens de Paris ou de France, comme une simple paroisse de quartier. Notre-Dame, c’est Paris et c’est la France, et à ce titre elle appartient à tous les hommes, y compris les Juifs.


 

Marc Chagall, L’arbre de Jessé


 

C’est ce qu’avait bien compris un grand Juif du siècle passé, Marc Chagall. Il voyait dans Notre-Dame, au-delà de l’édifice religieux (1), le symbole de la ville et du pays qui l’avaient accueilli, en 1910, alors qu’il était un jeune homme plein d’idées et de rêves, loin de sa Russie natale. Elle est présente dans plusieurs de ses oeuvres, parfois aux côtés de la tour Eiffel, moderne cathédrale d’acier.


 

Chagall, Vue de Notre-Dame

 

Paris! Aucun mot n’a résonné aussi doucement à mes oreilles” rapporte Chagall dans son autobiographie. Sous son pinceau, la ville des Lumières devient le théâtre enchanté de l’amour et du bonheur, comme dans son tableau “Vue de Notre-Dame”, où la cathédrale sert de décor à la rencontre entre une jeune femme nue et un personnage mythique, mi-homme mi-oiseau, qui lui tend un bouquet de fleurs.


 

Les monstres de Notre-Dame:

Si seulement je pouvais parvenir, chevauchant l’une des gargouilles de Notre-Dame…”


 

Amoureux des personnages mythiques et monstrueux, Chagall était évidemment tombé sous le charme des gargouilles de Notre-Dame, qu’il a représentés dans sa lithographie Les monstres de Notre Dame, élément d’une série publiée dans la revue Derrière le miroir. Les gargouilles figurent aussi dans la “lettre d’amour à Paris” reproduite ci-dessous, où il écrit notamment “si seulement je pouvais parvenir, chevauchant l’une des gargouilles de Notre-Dame,à tracer un chemin à travers cieux…”

 


 

Le cri d’amour de Chagall pour Paris, sa seconde patrie, a été partagé par de nombreux émigrés juifs à l’époque, venant de Russie ou d’ailleurs. Parmi ceux-ci, ma mère, née à Jérusalem en Palestine mandataire, et qui a grandi dans le quartier des bords de Seine, face à Notre-Dame, alors un quartier populaire. Sur les bancs de l’école publique, elle a appris les vers de Victor Hugo, comme des dizaines d’autres enfants venus d’Europe centrale et d’Asie mineure (“Kurtz, Knopf, Kambourakis…” égrenait chaque matin la maîtresse en faisant l’appel des noms).

 

Enfant, elle jouait au square Viviani et au square Notre-Dame. Adolescente, elle flânait sur les bords de la Seine et chez les bouquinistes. Aujourd’hui très âgée, et aussi vieille, à l’échelle de l’homme, que Notre-Dame, ma mère est restée depuis lors amoureuse de Paris, comme Marc Chagall et comme tant d’autres.


Pierre Lurçat

 

(1) Ce qui n’épuise évidemment pas le thème des relations entre Chagall et le christianisme, tellement présent dans son oeuvre.


 

La Lettre d’amour de Chagall à Paris

J’ai quitté ma terre natale en 1910. A cette époque, j’ai décidé que j’avais besoin de Paris.

J’y suis allé car je cherchais sa lumière, sa liberté, sa culture et l’opportunité d’y perfectionner mon art. Paris a illuminé mon monde de ténèbres comme le soleil lui-même l’aurait fait.

J’ai passé mes jours à vagabonder Place de la Concorde ou près des jardins du Luxembourg. J’ai contemplé Danton et Watteau, j’ai arraché quelques feuilles.

Oh, si seulement je pouvais parvenir, chevauchant l’une des gargouilles de Notre-Dame comme s’il s’agissait d’un cheval, à tracer un chemin à travers cieux à la force de mes bras et mes jambes.

Te voilà, Paris. Tu es mon second Vitebsk.

Marc Chagall


 

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