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danny trom

L’État de l’exil - Israël, les Juifs, l’Europe de Danny Trom, par Pierre Lurçat

May 11 2023, 15:53pm

Posted by Pierre Lurçat

L’État de l’exil - Israël, les Juifs, l’Europe de Danny Trom, par Pierre Lurçat

L’État de l’exil - Israël, les Juifs, l’Europe de Danny Trom

 

Alors que l’État juif célèbre son soixante-quinzième anniversaire, l’essai que Danny Trom consacre à Israël et au sionisme paraît à point nommé.

(Article paru initialement sur le site de la Revue des Deux Mondes)

Sous le titre L’État de l’exil – Israël, les Juifs, l’Europe, le directeur de recherche au CNRS livre une réflexion passionnante sur la question de l’identité de l’État hébreu, qui depuis 1948 et bien avant encore alimente le débat à l’intérieur d’Israël et au sein du peuple Juif.

« Qu’est-ce que l’État d’Israël ? » En mai 1950, la question a été posée lors d'une séance de la Knesset – le parlement israélien. La réponse fût lapidaire et stupéfiante : « On ne sait pas... » Israël est en effet un des rares pays au monde qui, soixante-quinze ans après sa fondation, continue de s'interroger sur son identité. Les raisons de ce questionnement permanent sont multiples. Danny Trom l’aborde sous l'angle politique et constitutionnel, en le reliant au projet du fondateur du sionisme politique, Theodor Herzl. Relisant les écrits de celui qui est surnommé le « Visionnaire de l'État », Trom fait une analyse minutieuse et très fouillée du projet herzlien. Il montre que celui-ci ne repose pas tant sur l'idée du Contrat social rousseauiste, que sur celle du negotiorum gestor, concept du droit romain utilisé par Herzl pour justifier sa mission.

 

Comme ce dernier l’explique dans son ouvrage programmatique, L’État des Juifs, « lorsque le bien d’une personne incapable d’agir est en danger, chacun est en droit d’intervenir pour le sauvegarder. C’est là le gestor, le gérant de l’affaire d’autrui… Son mandat lui est délivré par une nécessité supérieure »[1]. Cet exposé succinct du concept du droit romain permet de comprendre comment Herzl conçoit son rôle : il est le gestor du peuple Juif, dont l’existence même est en danger. Herzl, comme d’autres dirigeants sionistes, était en effet très soucieux de la souffrance juive et avait eu la prescience de la Shoah.

Une des questions principales que soulève Danny Trom est celle de savoir si « avec la naissance du Judenstaat (l'État des Juifs), le gestor s'éteint ? » Ou en d'autres termes, si la fondation de l'État d'Israël met fin au droit de regard des Juifs de la diaspora sur le destin de l'État qui prétend les représenter ? Cette question prend un visage très actuel et parfois polémique, alors que de nombreux intellectuels juifs se disent aujourd'hui inquiets pour l'avenir d'Israël, y compris l’auteur du livre.

 

Le débat constitutionnel israélien

 

Danny Trom apporte un regard neuf sur le sionisme politique et sur les idées de son fondateur. Les chapitres deux à six, intitulés respectivement « L'État de toute urgence », « L'État dispensable », « L’État de détresse », « L'État du droit international » et « L'État-abri pour tous », inscrivent le projet sioniste dans un contexte politique européen, qui demeure toujours pertinent à ses yeux, cent-vingt ans après la parution du manifeste de Théodore Herzl. Mais c'est sans doute le premier chapitre du livre, « La procrastination constitutionnelle », qui est le plus éclairant pour comprendre l'actualité brûlante.

Le sociologue rappelle l'anecdote fameuse racontée par Jacob Taubes, jeune philosophe berlinois séjournant à l'université hébraïque de Jérusalem, qui se rend en pleine guerre d'Indépendance à la bibliothèque, pour emprunter La Théorie de la constitution de Carl Schmitt. Le bibliothécaire lui apprend à son grand étonnement que le livre a déjà été emprunté par le ministre de la Justice, Pinchas Rosen, qui en avait besoin pour tenter de rédiger un projet de Constitution… Trois quarts de siècle plus tard, Israël n'en a toujours pas et cette absence génère des problèmes que le projet de réforme de la justice de Benyamin Netanyahou, pour le moment reporté, tente de résoudre.

 

Danny Trom revient sur les principales raisons qui ont également conduit à l’ajournement du projet constitutionnel entamé en 1948 et remis aux calendes grecques par David Ben Gourion. Celui-ci pensait que le plus urgent était de consolider l'État nouvellement créé et non que « les Juifs à travers le monde se querellent sur une constitution… » Cet avertissement s'est depuis avéré prémonitoire, alors que les Israéliens et les Juifs de la diaspora se querellent aujourd’hui sur la question toujours brûlante de l’identité d’Israël.

 

Une des lacunes du livre est cependant de s'en tenir à la vision classique d'un Herzl juif assimilé, découvrant la solution sioniste à l'occasion de l'affaire Dreyfus. En réalité, le journaliste avait hérité de son grand-père l'idée que les Juifs reviendraient un jour dans leur patrie ancestrale, comme l'a bien montré Georges Weisz dans Herzl, nouvelle lecture[2]. Herzl avait ainsi expliqué que « le sionisme est le Retour à la judéité, avant même d’être le retour au pays des Juifs ».

Mais cette réserve ne retire rien à l'intérêt de l’ouvrage de Danny Trom, dont l’écriture académique s’illumine parfois d’heureuses métaphores, comme dans le passage suivant : « Apparu sous le signe de l’état d’urgence, l’État pour les Juifs fut nommé dans la précipitation “État d’Israël”, à la manière dont se décide dans la panique le nom de l’enfant d’une mère qui aurait dénié sa grossesse jusqu’au jour de l’accouchement… L’État porte congénitalement la marque de cette surprise : on ne le vit pas arriver et lorsqu’il apparut, on le célébra tel un miracle… » Près de cent-trente ans après la rédaction de L’État des Juifs par Herzl, ce miracle ne cesse pas d’étonner, de diviser ou de réjouir.

 

Pierre Lurçat

 

Danny Trom, L’État de l’exil - Israël, les Juifs, l’Europe, PUF 2023, 280 pages.

 

[1] Herzl, L’État des Juifs, trad. Claude Klein, La Découverte/ Poche 2003, p. 86.

[2] G. Weisz, Theodor Herzl, Une nouvelle lecture. L’Harmattan 2006.

L’État de l’exil - Israël, les Juifs, l’Europe de Danny Trom, par Pierre Lurçat

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Vers la fin du judaïsme en France? par Pierre Lurçat La France sans les juifs, de Danny Trom

March 18 2019, 14:43pm

Posted by Pierre Lurcat

Les transformations de la condition juive en France depuis 1940, et au cours de la décennie écoulée - celle qui s’étend de l’assassinat d’Ilan Halimi à celui de Mireille Knoll - ont fait l’objet d’innombrables articles de presse, mais de peu d’analyses sociologiques et politiques  de fond récentes. Le livre de Danny Trom vient combler cette lacune. L’auteur, chercheur au CNRS, a publié plusieurs livres, à la croisée de la sociologie et de la science politique, parmi lesquels Persévérance du fait juif. Une politique de la survie (2018).

 

Tout point de vue est toujours aussi et déjà un exercice de description de soi et du monde”. Cette phrase extraite du préambule de son livre permet de comprendre la motivation de l’auteur. Son analyse n’est pas tant celle de l’observateur extérieur, que celle du “spectateur engagé”, pour citer Raymond Aron, dont la réflexion est très présente dans le livre de Trom.


 

Un livre passionnant

 

Le flux des juifs quittant la France a pris une ampleur et une régularité telles qu’il faut bien parler d’émigration de masse. Cela ne se dit jamais dans des termes aussi abrupts, parce qu’ils la quittent imperceptiblement, un à un. Et parce que l’on hésite: est-ce quelque chose qui arrive aux juifs ou à la France?” Pour comprendre ce qui “arrive aux juifs” et à la France, Trom commence par interroger la place spéciale qu’occupent les juifs dans l’histoire et dans la constitution de la nation française, reprenant à son compte la définition de Pierre Manent : la France est une “nation de marque chrétienne où les juifs jouent un rôle éminent”(1). Il remonte à l’époque de l’émancipation des juifs, par laquelle ceux-ci se trouvent “intriqués dans la définition moderne de la France”. On pense à l’ouvrage de Pierre Birnbaum sur les “fous de la République’(2).

 

Tout change avec la défaite de 1940 et la trahison que représente le Statut des Juifs. A la trahison du Statut des juifs d’octobre 1940 fait écho celle de 1967, quand la France gaullienne, non contente d’avoir reproché à Israël son attaque préventive, fait le procès des juifs, “peuple sûr de lui et dominateur”. Le départ des juifs de France n’est pas tant, dans cette perspective et comme l’explique Danny Trom, la conséquence d’une adhésion au projet sioniste - laquelle a longtemps été marginale chez les juifs français - que celle d’un amour déçu envers la France.


 

Ben Gourion et De Gaulle en 1967

 

Dans des pages très intéressantes, Trom compare l’attitude de Raymond Aron et celle d’Hannah Arendt, tous deux juifs assimilés, le premier farouchement Français et républicain, la seconde attachée à sa culture allemande et brièvement sioniste. “Nous voici donc au coeur d’une énigme : l’Etat d’Israël fait subitement intrusion, s’impose à l’expérience d’Aron et d’Arendt”. Citant les propos d’Aron, empreints d’un  pathos inhabituel sous sa plume : “Si les grandes puissances selon le calcul froid de leurs intérêts laissent détruire le petit Etat qui n’est pas le mien, ce crime… m’enlèverait la force de vivre”), Trom montre ce que le “moment 1967” signifie dans la pensée et dans l’expérience de ces deux penseurs.

 

L’auteur affirme avec lucidité que “les conseils insistants prodigués par l’Europe à l’Etat d’Israël en vue du règlement du conflit territorial sont peu crédibles, si ce n’est risibles”. Dans son chapitre consacré à l’Europe, aux fondements de laquelle se trouvent “la défaite” (de 1945) et “le crime” (de la Shoah), il soutient pourtant que l’Europe, “résolument technocratique et pacifiste”, aurait renoncé d’emblée à la politique. Or, rien n’est moins évident quand on analyse l’attitude de l’Union européenne à l’endroit d’Israël. Car l’Europe ne se contente pas de conseils, elle mène une politique pro-palestinienne agressive. Celle-ci se traduit notamment par le financement d’une multitude d’associations radicales, luttant avec acharnement pour influer sur la politique et pour modeler le visage de la démocratie israélienne, en soutenant sans la moindre retenue les terroristes palestiniens et en leur donnant accès à la Cour suprême, pour y attaquer les décisions législatives, exécutives et administratives à tous les niveaux de l’Etat.


 

Eurabia : l’élément manquant


 

Sur ce point crucial, l’analyse de l’auteur est insuffisante pour comprendre et analyser la politique de l’Union européenne envers Israël (et, par ricochet, envers les juifs, accusés de soutenir Israël). L’Union européenne incarne aujourd’hui la “nouvelle église du totalitarisme”, pour reprendre l’expression de la politologue israélienne Raya Epstein, et le discours pacifiste et technocrate qu’elle adopte n’est que le masque trompeur de ses visées impérialistes et totalitaires. La politique arabe de la France (et de l’Europe) est l’élément manquant du puzzle (3), qui permet de comprendre comment la “guerre contre les juifs” a pu prendre une telle ampleur ces dernières années en France, au point que l’antisémitisme, longtemps inabordé et quasiment tabou, est devenu aujourd’hui un sujet important de la vie publique française.

 

L’autre élément absent de son analyse est celui du sionisme et de l’attitude des institutions juives. Le premier, même marginal, est néanmoins présent dans l’histoire des Juifs en France depuis 1945 (et avant). Son histoire demeure à écrire. Quant à la seconde, comment comprendre l’attitude pusillanime de la plupart des dirigeants des institutions juives de France (rabbinat et Consistoire notamment), face aux enjeux et aux menaces sans précédent que les juifs affrontent? Au lieu d’accompagner et d’encourager le départ des juifs vers Israël - seule solution à long-terme - ils se contentent le plus souvent de “dénoncer” l’antisémitisme dans une attitude incantatoire et, pour le reste, de faire comme si de rien n’était. “Business as usual”... Un livre passionnant.

 

Pierre Lurçat

 

(1) Pierre Manent, Situation de la France. Desclée de Brouwer 2015.

(2) Les fous de la République : histoire politique des Juifs d'État, de Gambetta à Vichy, Paris, Fayard, 1992.

(3) Sur ce sujet, je renvoie notamment aux ouvrages essentiels de Bat Ye’or, Eurabia, l’axe euro-arabe, éd. Jean-Cyrille Godefroy 2006, et de David Pryce-Jones, Un siècle de trahison, la diplomatie française et les juifs, Denoël 2008.

 

Israël : seule solution à long terme pour les Juifs de France

 

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